Loi « séparatismes » : la République instrumentalisée

Confusion, Communication et Concordat : les trois « C » d’un projet de loi « séparatismes » qui abîme la loi de 1905

L’examen du projet de loi improprement appelé « confortant le respect des principes de la République » à l’Assemblée nationale a démontré à qui veut bien l’entendre à quel point c’est un (très) mauvais texte. L’exécutif et la majorité présidentielle proclament à tue tête qu’ils renforceront par là la laïcité et les moyens de lutte contre les séparatismes et plus particulièrement contre l’islamisme. Ce n’est pas parce qu’une affirmation est répétée ad nauseam qu’elle en devient vraie.

L’examen sérieux de ce texte et les débats auxquels il a donné lieu nous amènent à conclure que c’est un texte de circonstance, au mieux inutile et au pire dangereux. C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnalités et associations inscrites dans le combat pour la Laïcité s’y opposent.

En effet, les principales mesures mises en avant par les promoteurs de ce projet existent déjà dans la loi et ce texte n’apporte rien de neuf, ne permet aucune efficacité concrète supplémentaire qui le justifierait.

Un texte de circonstance, qui aligne mesures redondantes, inefficientes et parfois dangereuses

Ainsi, l’article 1er inscrit dans la loi le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel les organismes de droit privé chargés de l’exécution d’un service public sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité du service public pour les activités qui relèvent de ce champ. On peut donc se demander si – au-delà du choix d’un affichage politique permettant au Président de la République de dire qu’il « agit » – il était réellement besoin d’inscrire dans la loi une jurisprudence acceptée partout et qui a ainsi défini le principe en question.

L’article 4 crée une nouvelle infraction pénale afin de mieux protéger les agents chargés du service public en sanctionnant les menaces, les violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre dans le but de se soustraire aux règles régissant le fonctionnement d’un service public. Mais la législation actuelle devrait déjà le permettre ! Que va changer cette nouvelle infraction ? Les agents publics seront-ils mieux protéger pour autant. Il paraît plus important que ce soit l’attitude de l’administration et de la hiérarchie dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale ou l’éducation nationale, où jusqu’ici les agents ont été peu suivis, peu soutenus (avec parfois des conséquences mortelles) avec un discours qui aurait pu se résumer à un « pas de vagues »… L’article 5 est du même acabit.

Par ailleurs, le débat parlementaire a été trop longtemps accaparé par l’amendement Berger d’interdiction du port du voile par des fillettes. Cette disposition – en apparence nécessaire puisque le voilement de petites filles se rattache à une pratique sectaire compromettant gravement l’épanouissement et les conditions d’éducation d’une enfant – est cependant inutile. Le dispositif légal de protection de l’enfance en danger (article 375 du code civil) octroie en effet au juge des enfants de larges pouvoirs lui permettant d’ordonner qu’une fillette voilée soit confiée à d’autres référents (personnes physiques ou institutions) qu’à ses parents. Il suffirait donc de décider d’appliquer la législation actuelle : il s’agit d’une affaire de volonté politique au sens strict du terme et non d’effets d’estrade ou de plateau TV.

L’article 18 reprend en partie le fameux article 24 de la proposition de loi « sécurité globale ». La création d’un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui paraît superflue car les articles R 226-1 et suivants du code pénal et l’article 9 du code civil couvre déjà ce champ : il est strictement interdit de dévoiler publiquement des informations et des données personnelles sans l’accord de la personne concernée. La question est comme pour la protection des fonctionnaires dans l’article 4 du projet de loi la volonté de mettre en œuvre la législation existante… Par ailleurs, ce nouveau délit pose une difficulté majeure : comment un juge pourra-t-il caractériser l’intention de nuire ?

Mesure dangereuse et déjà retoquée par le Conseil constitutionnel : la création du délit de haine en ligne n’est qu’un réchauffé de la loi Avia retoquée par le Conseil constitutionnel. La définition juridique de ce délit est toujours vague et, surtout, ce dernier pourra être jugé en comparution immédiate. Il s’agit d’une dénaturation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Le gouvernement prétend néanmoins qu’il ne s’appliquera pas aux journalistes, au mépris du principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Disposition tout à la fois inutile et vexatoire, le projet de loi propose de renforcer les contrôles sur les associations cultuelles soumises au régime de la loi de 1905. Dans le même temps, le projet de loi met en place une disposition qui prétend favoriser le passage des associations cultuelles sous régime de la loi de 1901 à celui de 1905 ; cette mesure s’adresse essentiellement aux associations catholiques et musulmanes qui vivent sous ce régime, mais sans les y contraindre. Il semble que ce processus de transition du statut 1901 vers le statut 1905 répond à une demande de nombreuses associations cultuelles musulmanes, soucieuses de mettre fin à la suspicion dont elles font l’objet le statut 1905 impliquant déjà plus de contraintes que celui de 1901 ; il est peu probable par contre que les organisations catholiques utilisent ce dispositif, n’ayant jamais accepté de se conformer à la loi de 1905 et s’étant vues reconnaître par décret en 1923-1924 un statut dérogatoire au travers des « associations diocésaines ». À court et moyen termes, qui subira donc le renforcement des contrôles sur les associations cultuelles soumises au régime de la loi de 1905 ? Il s’agira des associations protestantes et juives (sur les quelques 4 000 associations de loi 1905, près de 75% appartiennent à la Fédération Protestante de France, le reste étant largement le fait des associations synagogales) qui ont toujours tenu à respecter la loi de 1905 (dans sa lettre et dans son esprit) qu’elles appelaient d’ailleurs de leurs vœux. Cela explique que les principaux dirigeants de la Fédération protestante de France soient aujourd’hui à l’initiative d’un lobbying très actif contre le projet. Il faut reconnaître qu’il y a de quoi s’interroger quand le projet de loi ne propose rien de sérieux pour combattre l’islamisme radical et que les mesures plus concrètes aboutissent à faire chier ceux avec qui on n’a jamais eu aucun problème ou à donner des gages supplémentaires à l’église catholique (en matière patrimoniale), nous y reviendrons, qui n’a jamais vraiment respecté la loi de 1905 …

Au titre des dispositifs inapplicables ou inefficient, notons par exemple : Les mariages forcés. Ils existent bien évidemment, mais sont très rarement célébrés sur le territoire national. Or le dispositif de vérification de la réalité du consentement par un entretien préalable avec un officier d’état civil ne s’appliquerait qu’en France. La précision en la matière n’est pas condamnable mais elle n’aura aucune efficacité concrète.

Le gouvernement prétendait contrôler plus fermement les établissements scolaires privés hors contrat – le président de la République évoquant lors de son discours des Mureaux ces établissements comme un paravent pour la déscolarisation de nombreux enfants qui y seraient embrigadés par des islamistes. À la lecture de l’article 23, on cherche vainement où se trouve le renforcement des contrôles, se contentant d’alourdir timidement les sanctions contre les établissements déjà hors des clous. L’éducation nationale est en train de réduire le nombre de postes, comment imaginer dans cette situation que le renforcement des contrôles puisse être effectif : en réalité, ces contrôle vont même diminuer en pratique. Quant au devenir de l’école à la maison, il n’existe malgré la communication initiale du gouvernement aucune contrainte supplémentaire…

Le projet de loi prétend empêcher les discriminations entre filles et garçons en matière d’héritage. Mais cela est interdit depuis longtemps en France : on ne peut plus déshériter totalement un de ses enfants, même si on peut limiter sa part à la portion réservataire. Dans ce contexte légal, comment un dispositif de contrôle accru (qui, de toute façon, ne pourrait s’appliquer qu’aux biens immobiliers se trouvant en France) pourrait-il être efficace ?

Les certificats de virginité ou la polygamie sont évidemment déjà interdits en France et une jurisprudence fournie ont renforcé depuis longtemps notre arsenal juridique en la matière. On se demande bien dans ce contexte ce qu’apporte de neuf et d’efficace les articles 14 et 16.

Nous ne pouvons que nous interroger sur la présence dans un projet de loi de mesures redondantes avec le droit français et/ou inefficiente et sur des pratiques souvent marginales (ce qui ne retirent rien à la nécessité de les combattre). Pour notre part, nous ne pouvons verser dans le discours réducteur expliquant que ce texte stigmatiserait les musulmans ; les réseaux sociaux ont trop souvent répondu de fausses informations initiées par des organisations islamistes tentant de faire croire que le projet de loi porterait atteinte à la liberté de conscience et d’exercice du culte. Tout cela est faux et de telles affirmations ne résistent pas à la lecture du texte. Il est cependant particulièrement curieux que le gouvernement (et les médias) aient choisi d’insister dans leur communication sur des mesures du projet de loi qui sont les plus anecdotiques et qui ont le moins de portée pratique : cette stratégie de communication est effectivement stigmatisante car elle donne à penser que ces pratiques marginales sont plus répandues que dans la réalité et qu’étant essentiellement le fait de quelques centaines de familles de confession musulmane les musulmans seraient plus indulgents que les autres citoyens français à leur égard (ce qui est faux). Le gouvernement est donc bien lancé dans une course à l’image avec le RN pour savoir qui sera le plus dur avec un islamisme « fantasmé » car étendu à l’ensemble des Français de confession musulmane (voire tous ceux qu’on assigne à religion supposée du fait de leur nom ou de leur figure), comme nous l’a démontré le spectacle indigne donné par Gérald Darmanin face à Marine Le Pen sur France 2.

Le penchant concordataire du Macronisme

Plus grave, ce projet de loi applique une logique concordataire contraire à la loi de 1905 et s’autorise même à quelques cadeaux supplémentaire pour l’Eglise catholique du point de vue financier et immobilier. Les accointances coupables d’Emmanuel Macron avec l’Église romaine ne sont pas une nouveauté pour qui se souvient du scandaleux discours prononcé en 2018 au couvent des Bernardins ; c’est en fait toute la pensée « présidentielle » qui est acquise au Concordat.

Il n’est nul besoin de préciser que l’exécutif et la majorité présidentielle ne comptent en aucune manière toucher au Concordat d’Alsace-Moselle et aux statuts spéciaux de la Guyane et de Mayotte. Plus généralement, le projet de loi refuse l’extension de la loi de 1905 à tous les territoires de la République. Les amendements généraux en ce sens ont été rejetés en commission. Pire ! Les débats de l’Assemblée Nationale ont abouti au renforcement du « droit local » concordataire d’Alsace et de Moselle. Dans le texte initial du projet, les dispositions modifiant les lois de 1905 et de 1901 étaient étendues aux « associations inscrites » de ces territoires. Or le Gouvernement, cédant aux pressions du lobby localiste, les en a retirées, pour les inscrire dans le prétendu « droit local », alors que celui-ci n’a qu’un caractère provisoire (selon le Conseil constitutionnel) et devrait être harmonisé avec le droit commun de la République. Le « séparatisme » politique alsacien en sort « conforté ». Notons que ce « séparatisme » local dépasse très largement le camp de la droite macroniste ou conservatrice : quand Olivier Faure, premier secrétaire du PS, s’était prononcé en décembre 2020 en faveur de l’abolition du Concordat d’Alsace-Moselle, il avait été vertement et publiquement tancé par de nombreux dirigeants et élus locaux de son parti. Or quand on défend la République et son projet, il faut savoir être exemplaire. On ne peut pas exiger que la règle commune s’applique à tous si on prétend conserver ses privilèges. Il y a quelque chose d’indécent à défendre une situation d’exception : Le prétexte des « réalités locales » qu’ils mettent en avant est inepte : la République ne saurait diviser ses citoyens en fonction de leur religion ou de leurs associations confessionnelles où que ce soit sur le territoire.

Pensant obtenir (ou faisant semblant de le penser) ainsi un ralliement de l’Église catholique au régime de la loi de 1905, ce qui n’est pas à l’ordre du jour, le gouvernement a « lâché » une contrepartie importante : la possibilité pour les associations cultuelles d’avoir des immeubles de rapport, à condition que ceux-ci soient acquis gratuitement par dons et legs. Cela permettra à certains cultes déjà bien dotés en immobilier (essentiellement l’Église catholique) de renforcer leur position patrimoniale et financière et d’en distribuer à volonté les bénéfices.

Cette nouvelle disposition va permettre aux écoles privées confessionnelles, très majoritairement d’obédience catholique, de faire don aux associations diocésaines de leur patrimoine immobilier. Largement financées par l’argent public depuis la loi Debré (1959) et la loi Carle (2009), ces écoles contribueront au financement du culte catholique.

Dérive concordataire encore dans les modifications imposées aux associations soumises au régime de la loi de 1905, alors que justement cette dernière avait trouvé un équilibre qui n’a pas beaucoup de raison d’être mis en cause et assurer une grande liberté d’organisation et d’exercice du culte. Les associations cultuelles, loi 1905, verraient avec l’article 26 une immixtion dans leur liberté d’organisation, avec l’article 27 des procédures qui ont fait la preuve par le passé de leur lourdeur et inefficacité, et avec les articles 33, 35 et 36 un contrôle financier qui nous paraît disproportionné au regard des effets escomptés. Alors que le but initial du projet de loi était de rendre attractive la loi 1905, pour notamment encourager l’islam français à choisir ce cadre législatif, le projet de loi multiplie les contraintes concernant l’ensemble des associations relatives à l’exercice du culte. Au lieu de veiller à l’égalité de traitement de toutes les associations, il introduit des discriminations, y compris dans des domaines qui ne relèvent pas de leur objet spécifique. Ces contraintes nouvelles auront-elles quelque effet pour limiter le séparatisme ? On peut en tout cas poser la question.

Or la loi de 1905 et le principe de laïcité séparent les Religions et l’État, ils garantissent l’intérêt général en empêchant que des convictions et organisations religieuses imposent leur vue à la conduite des affaires publiques ; ils établissent définitivement la souveraineté populaire face à toute tentative d’imposer un « droit divin ». Mais la laïcité et la loi de 1905 établissent aussi la neutralité et la non intervention de l’État dans les affaires internes des associations cultuelles pourvu qu’elles respectent les lois de la République (tout comme les lois sur la liberté d’association en général). De ce point de vue, certains font mine de ne pas comprendre que ce projet de loi pouvait donc mettre en cause certaines dispositions permettant la liberté de culte, en ce sens que l’administration n’a pas à s’immiscer dans l’organisation interne « des » cultes. Or, en l’occurrence, le principe de séparation commence à être écorné. Ce type de dispositions pourrait être poursuivi et le principe de séparation des Églises et de l’État ne serait plus assuré. Certes, il y aurait toujours la possibilité de recours devant le juge administratif, mais ce type de démarche remontant parfois jusqu’au Conseil d’État et aux Cours européennes conduirait probablement notre État à être désavoué. En jouant avec les principes, en tentant de généraliser un état d’esprit concordataire, l’exécutif macroniste fragilise en réalité la République face à toutes les organisations confessionnelles car il nous ferait subir une forme de judiciarisation de la vie cultuelle. Or cela n’était jusqu’ici le fait que de groupement sectaire (parfois avec succès car les Témoins de Jéhovah se sont vus reconnaître en juin 2000 le statut d’association cultuelle que leur contester l’administration fiscale) et le risque serait sans doute aujourd’hui plus grave qu’hier dans ce domaine ; nous y reviendrons.

L’esprit concordataire du pouvoir s’exerce enfin en direction des organisations cultuelles musulmanes. Nous ne pouvons ici que conseiller à l’exécutif d’agir avec plus de prudence qu’il ne le fait. En effet, tous ceux qui se sont donnés pour mission d’intervenir dans l’organisation des associations cultuelles musulmanes et de les contraindre à se confédérer, au prétexte de mettre fin à la « chienlit », ne peuvent pas prétendre à afficher des résultats solides. La création du Conseil Français du Culte Musulman par Nicolas Sarkozy a abouti à plusieurs années de polémiques et de conflits financiers, institutionnels et politiques dans lesquels l’État est désormais systématiquement pris à partie sans arriver à déterminer quels sont réellement ses interlocuteurs légitimes. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont à nouveau tenté de régler ces difficultés entre 2015 et 2017 ; ils ont dû rétropédaler assez piteusement. En plein examen du projet de loi sur les « séparatismes », Emmanuel Macron a franchi un cap supplémentaire, qui met l’État en porte-à-faux avec son propre principe de laïcité.

Ainsi lundi 18 janvier 2021, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a adressé un courrier électronique à l’ensemble des parlementaires pour leur communiquer officiellement une « Charte de principes pour l’Islam de France » (ci-dessous) en ces termes : « Permettez-moi de vous adresser le texte de la charte signé par les représentants de l’Islam en France, ce matin, en présence de Monsieur le Président de la République. » Il est tout d’abord sidérant que le Président de la République soit présent lors d’une réunion interne du CFCM visant à valider et signer une telle Charte. Disons le clairement : nous n’avons pas à nous prononcer sur le fait qu’une organisation confessionnelle (quelle qu’elle soit) et ses membres décident en interne – comme c’est le cas dans d’autres organisations confessionnelles – d’exprimer leur attachement aux valeurs de la République. Il y a dans cette Charte des positions qui peuvent être intellectuellement intéressantes, d’autres qui vont au-delà de nos préoccupations, et peu importe ! Mais nous faisons face ici à une immixtion assumée de l’État non seulement dans l’organisation interne d’un culte, mais aussi dans la construction du discours de ce culte… Comment donc interpréter le mépris évident de ces règles de la part de l’exécutif ? Faut-il considérer que le CFCM et ses membres sans cette Charte contrevenaient aux lois républicaines et qu’il fallait y remédier ? Évidemment non ! L’interprétation la plus logique est donc que c’est bien l’exécutif – la Présidence de la République et le gouvernement – qui est à l’origine de cette Charte dans une logique concordataire aberrante et absurde. Emmanuel Macron joue ici le rôle d’un petit Napoléon Bonaparte ! L’exécutif contrevient donc à un principe cardinal de la République française, mais il agit aussi de manière contre-productive : un tel texte émanant d’une initiative interne et spontanée pourrait être considéré comme positif ; or ce texte semble avoir été imposé de l’extérieur ce qui est la meilleure manière à la fois de créer une polémique, de donner un prétexte pour le dénoncer pour ceux qui parmi les associations cultuelles ont des positions au minimum ambiguës et de ralentir l’infusion nécessaire du ralliement à la République chez certains croyants.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ! En bas de la dite Charte transmise aux parlementaires, il manque de manière visible plusieurs signatures… ce qui indique que le caractère interne de ce texte est plus que douteux. Enfin, le sénateur LREM des Français de l’étranger, Richard Yung, a hier vendu la mèche sur la nature profonde de la démarche en indiquant sur son blog que « Emmanuel Macron a par ailleurs donné deux semaines aux fédérations absentes pour signer le texte. » Le caractère néo-concordataire du locataire de l’Élysée est ici totalement démontré et c’est la République qui en fait les frais.

Remettre la République au milieu du village

Alors que les Français s’inquiètent de la situation sociale, économique et sanitaire du pays, un gigantesque écran de fumée sur le « séparatisme religieux » vient cacher leurs problèmes. La France a besoin d’un grand plan de redressement qui appelle tous les citoyens à faire corps ensemble. Tout cela ressemble donc à une opération de diversion. Nous nous méfions des lois de circonstances car elles sont souvent mal fichues, mal préparées, fourre-tout. C’est le cas de celle-ci. Annoncée en octobre 2020 par un discours assez confus d’Emmanuel Macron aux Mureaux, elle n’était cependant pas avec la reprise de l’épidémie de COVID une priorité absolue de l’action gouvernementale. C’est l’assassinat de Samuel Paty qui a décidé le gouvernement d’en faire l’outil d’une contre-offensive contre la gauche – qui lui reprochait l’abandon des enseignant par l’État et leur hiérarchie – et contre l’extrême droite avec laquelle il a entamé une course à l’échalote. Une loi élaborée sous le coup de l’émotion est rarement une bonne loi.. et ce projet de loi comporte trop de dispositions inutiles, inapplicables. Au final, ce texte n’est qu’une vaste opération de communication du gouvernement.

Ce pouvoir commet une grave tartufferie, car une bonne partie de la lutte juridique et politique contre l’islamisme radical pourrait se faire aussi avec les outils juridiques contre les dérives sectaires… Or la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) vit depuis le début du quinquennat le calvaire d’une mort à petit feu que lui inflige le macronisme. Cet outil, ainsi que l’ensemble des dispositions juridiques permettant de lutter contre les comportements sectaires, serait pourtant d’une utilité évidente face aux logiques séparatistes réelles de groupes salafistes qui tentent de subjuguer des familles et parfois des quartiers. Le statut d’association cultuelle ne limitait d’ailleurs pas les capacités de la MIVILUDES à exercer sa surveillance sur certaines organisations confessionnelles ; ainsi la Mission communiquait encore publiquement en 2012 sur le fait que sa surveillance s’exerçait toujours sur les Témoins de Jéhovah reconnus en association cultuelle en 2000 par le Conseil d’État. Le renforcement des moyens humains et financiers de la MIVILUDES, tout comme la restauration d’un renseignement territorial de qualité et fortement implanté, devrait figurer parmi les priorités d’un gouvernement réellement soucieux de lutter contre des phénomènes séparatistes, sectaires et antirépublicains ; nul besoin d’une loi pour cela. Macron et ses soutiens ont préféré faire une loi : la Messe est dite !

Si la République est affaiblie, c’est que les services publics sont laminés par des politiques néolibérales, que des territoires sont relégués par des politiques d’austérité économiquement inefficaces et socialement injustes, et qu’une partie toujours plus grande de la population ne peut plus voir dans la République la promesse d’émancipation qu’elle devrait représenter.

La destruction de l’école, l’impossibilité d’une intégration aux valeurs républicaines sont le terreau fertile des menaces que nous connaissons. D’ailleurs, aucune disposition positive visant à lutter contre les discriminations au logement, à l’embauche, ou contre les contrôles d’identité au faciès n’est prévue dans le texte. De telles mesures auraient pourtant été de nature à « conforter les principes républicains ». Non seulement le gouvernement ne règle pas les questions auxquelles il prétendait s’atteler, mais il ne souhaite pas changer de politique. Par défaut de sérieux, d’ambition et de responsabilité, il manque largement le but qu’il prétend atteindre.

Rien dans ce projet de loi pour traiter l’essentiel donc, notamment en mettant en œuvre une stratégie de reconquête idéologique dans tous les territoires où opèrent l’extrémisme religieux, pour laquelle il faudrait réimplanter des organisations d’éducation populaire laïques avec de vrais moyens ! Rien pour démontrer que la République reprend le chemin qu’elle n’aurait jamais dû abandonner, celui de la République sociale (celui que Jaurès considérait comme indispensable pour la survie de la République laïque), celui qui fait que la promesse républicaine d’égalité pourrait être considérée comme concrète par nos concitoyens dont beaucoup aujourd’hui se sentent abandonnés.

Frédéric Faravel

Voici venu le temps de notre Fête Nationale

Le 14-Juillet est une journée commémorative pareille à aucune autre : elle célèbre l’irruption du Peuple français dans l’histoire, face à l’absolutisme et aux privilèges d’une caste, en se donnant les moyens d’abattre un des symboles de l’arbitraire ; elle célèbre également l’unité et la fraternité du pays par-delà sa diversité et son histoire tumultueuse. Le 14-Juillet sera toujours la conjugaison de la prise de la Bastille et de la fête de la fédération un an plus tard.

La légende veut que la première – précédée par la montée de la colère du peuple de Paris – fut lancée par Camille Desmoulins

« Citoyens, peut-on vous braver plus insolemment ? Après ce coup, ils vont tout oser, et, pour cette nuit, ils méditent, ils disposent peut-être une Saint-Barthélémy pour les patriotes. Aux armes ! Aux armes ! Prenons tous des cocardes vertes, couleur de l’espérance. »

La France est un peuple de Rebelles, mais un peuple de rebelles qui s’unissent pour lancer au monde un message de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, un peuple de rebelles qui accueillent toutes celles et tous ceux qui partagent leurs espérances.

La Fête Nationale célèbre donc ces journées qui annoncèrent l’unité de la Nation, sa transfiguration dans une République universelle, l’affirmation que le Peuple doit désormais être souverain et qu’il ne laissera plus personne le dépouiller de cette dignité humaine.

Soyons à la hauteur de ce message : soyons libres et rebelles contre les faux souverains. Retrouvons ensemble le chemin de l’égalité. Soyons unis dans une Nation fraternelle.

Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Prolongeant la dynamique du mouvement d’indignation qui a saisi toutes les sociétés occidentales après le meurtre raciste de George Floyd aux États-Unis d’Amérique commis par un policier blanc de Minneapolis, le débat public et les manifestations s’étendent aujourd’hui plus largement à la question de la mémoire, de l’esclavage et des logiques structurelles qui nourrissent toujours dans notre société le racisme et les discriminations.

Une partie du débat et des happenings se cristallisent aujourd’hui sur les statues de personnalités d’époques diverses, que certains souhaitent déboulonner comme représentations symboliques d’une oppression raciste passée. Sans parler du cas particulier des États-Unis et de la mémoire de la Guerre Civile qui seule permit l’abolition de l’esclavage, la statue d’un commerçant esclavagiste britannique a été jetée dans la rivière à Bristol ; elle avait été érigée plusieurs siècles plus tôt pour le remercier d’avoir apporté la prospérité à la ville grâce au détestable « commerce triangulaire », la symbolique était ici particulièrement puissante.

Mémoires de France

En France aussi, les happenings militants se développent et le débat bat son plein. Si cela peut donner lieu à des caricatures, disons le la question n’est pas en soi illégitime. Il ne doit plus, heureusement, rester en France de statue, de rue ou d’avenue Pétain et plus aucun républicain ne lui rend hommage, le chef du régime défaitiste et collaborationniste qui trahit la France ayant effacé le « vainqueur de Verdun » (et sur cette dernière image d’Épinal, il y aurait beaucoup à dire). Pour s’émouvoir de la raréfaction des rues Adolphe-Thiers ou reprocher encore à Gustave Courbet d’avoir fait abattre la colonne Vendôme, il faut être un adorateur particulièrement zélé des « Versaillais ». Que notre pays évolue et choisisse au cours de son histoire et de l’évolution de sa société d’honorer telle ou telle figure est dans l’ordre des choses, mais nous sommes en démocratie et cela doit se faire lors d’un débat serein.

Si d’aucuns ont choisi de s’en prendre à la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale ou exigent que l’on rebaptise la salle Colbert dans le Palais Bourbon car il aurait promulgué le « code noir », rappelons qu’il a promulgué une bonne partie des codes de l’époque, qu’il n’en est pas l’initiateur en tout cas pas plus que Louis XIV qui pourrait bien être visé par la même colère. Personne ne semble retenir que les fresques de la Salle des Conférences du Sénat racontent dans ce grand palais républicain une histoire de France quasi exclusivement monarchique et catholique, ce qui est pour le moins cocasse. De même personne ne songe sérieusement à réduire en cendres le Sacré Cœur, alors qu’il a été construit pour célébrer le massacre de la Commune de Paris et prévenir le peuple de la Capitale qu’il serait toujours surveillé par l’Église et l’Armée. Quand a contrario un buste du Général De Gaulle est vandalisé à Lille sous le prétexte de racisme ou que la statue de Jacques Cœur subit le même sort à Bourges (on peut s’interroger sur une opération de provocation volontaire en pleine campagne des élections municipales) en l’accusant de colonialisme, nous faisons face à de l’inculture et à une méconnaissance affligeante de notre histoire qu’il faudra réparer.

Évidemment, la France a une longue histoire, dans les siècles qui se sont écoulés on trouve le pire et le meilleur. Il faut savoir vivre avec et savoir la regarder sereinement et démocratiquement ; que les promoteurs de l’esclavage ou des militaires connus pour avoir perpétré des massacres de populations civiles dans l’hexagone ou en Outre Mer soient progressivement écartés ou que leurs méfaits soient rappelés ne devraient pas nous effrayer. Mais il est important qu’alors que nos commémorations symboliques peuvent évoluer nous ne jetions un voile sur tout ou partie de notre histoire : les régimes, gouvernements, monarques, ministres, généraux, etc. qui ont fait la France doivent être présentés aussi avec leurs zones d’ombre ; l’histoire de l’Outre Mer où vivent plusieurs millions de nos concitoyens mériterait elle aussi d’être valorisée, enseignée aussi bien dans la Creuse qu’à Fort-de-France.

La République face à l’histoire

L’esclavage – en quelques époques ou lieux que ce soit – ne peut apparaître à un républicain et un humaniste sincère que comme une abjection morale. Il laisse des traces profondément dans les sociétés qu’il a blessées et parfois plusieurs générations après. Quiconque veut bien être un peu observateur constatera que c’est encore le cas à bien des égards en Martinique, Guadeloupe ou à la Réunion, où la stratification économique et sociale ou même certains comportements portent encore l’héritage de l’esclavage. Clemenceau, journaliste pour Le Temps, s’était rendu aux États-Unis d’Amérique après la victoire de l’Union sur la confédération, il avait vu l’horreur des conséquences de l’esclavage même après son abolition, il en était revenu profondément anticolonialiste.

Or l’un des premiers actes de notre pays en devenant République fut de rompre symboliquement avec cette pratique abominable. La République française s’est constituée en abolissant l’esclavage, une première fois en 1794, et l’un des premiers actes du gouvernement provisoire qui établit la Deuxième République en 1848 c’est à nouveau l’abolition de l’esclavage et la création pour la première fois en droit positif dans le monde occidental de la notion de crime contre l’humanité, puisque le citoyen français qui continuerait à posséder et/ou à acheter des esclaves serait déchu de sa nationalité française. Qui se souvient de cela ? Qui se souvient que la proclamation devant la face du monde de l’aspiration à l’égalité par la Nation française avait bien dès le départ cette portée universelle puisqu’elle s’adresse à tous les êtres humains quelle que soit leur couleur de peau ? C’est dire combien les attaques récentes contre la mémoire de Victor Schoelcher, père de l’abolition, sont absurdes. Cela ne doit par contre pas effacer une réalité historique et politique qui est trop peu enseignée, voire pas du tout : l’abolition n’est pas un cadeau accordé dans un élan de pure générosité humaniste ; si l’abolition put être décidée (avec le compromis qu’on trouverait aujourd’hui aberrant sur l’indemnisation des propriétaires) c’est aussi la conséquence des nombreuses révoltes d’esclaves à la Martinique et à la Guadeloupe, notamment, et de la lutte réussie pour l’indépendance d’Haïti. L’abolition répondait donc aussi à un rapport de force et des intérêts bien compris. L’ensemble de cette histoire, plus complexe que l’image d’Épinal qu’en fit plus tard la IIIème République, mériterait d’être rappelée et enseignée.

Si l’idéal républicain est donc bien universaliste et égalitaire, la République n’est pas acquise une bonne fois pour toute. Napoléon Bonaparte au moment d’établir le Consulat – qui était déjà une forme d’abolition de la République – rétablit l’esclavage en Guadeloupe avec une répression féroce (la Martinique occupée par les Britanniques ne connut jamais cette première abolition) et tenta de reconquérir Haïti pour y rétablir l’esclavage. La motivation profondément raciste de ce personnage pourtant illustre de l’histoire de France ne fait pas de doute. Ainsi lorsque nous enseignons l’Histoire du Consulat et de l’Empire, notre récit national devrait sans doute célébrer l’instigateur du code civil, mais peut-être brosser aussi le portrait moins flatteur du dirigeant raciste d’un régime très autoritaire et intrusif, qui mit souvent pour de mauvaises raisons l’Europe à feu et à sang (revers de la médaille de la gloire militaire temporaire qu’on lui attribue). La République fut également progressivement subjuguée par un autre Bonaparte ; les missi dominici de Napoléon le Petit imposèrent ainsi un régime particulièrement oppressif pour les Antillais et Réunionnais que la Deuxième République venait de libérer de l’esclavage. Ce régime se perpétua d’ailleurs au-delà de la chute du Second Empire, il ne tomba réellement qu’avec départementalisation de 1946 et l’action publique ne cesse depuis de corriger petit à petit les séquelles de cette histoire.

Si l’idéal républicain est bien universaliste et égalitaire, les gouvernements de la République et ceux qui les dirigent ne sont pas parfaits et peuvent même avoir commis des fautes. On peut établir que l’esclavage et la colonisation naissent de concert. Pour soutenir l’idée de l’esclavage, il faut évidemment soutenir l’idée d’une inégalité entre les Hommes, l’existence de races inférieures et supérieures. Les premières colonies antillaises et africaines sont ainsi totalement liées à l’histoire de l’esclavage. La poursuite de la colonisation après l’abolition symbolique de l’esclavage est héritière de cette idée que les peuples colonisés seraient de ces « races inférieures » et l’Européen, le Français, serait donc légitime à les dominer. La colonisation porte ainsi un message radicalement opposé à celui de la République. Comment plaider la cohérence d’une France républicaine qui puisse prétendre diriger des territoires et des populations auxquelles elle refuse les bénéfices des droits qu’elle proclame pour toute l’humanité ? En Algérie, seule véritable colonie de peuplement française (considérée comme partie intégrante du territoire national dès les années 1880), le code de l’indigénat impliquait des peines spéciales décidées par l’administration coloniale pour les Algériens, qui bien que Français ne bénéficiaient pas pleinement de la citoyenneté. Il n’est pas possible d’arguer après coup que c’était une autre époque et qu’il serait inapproprié de mesurer la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec les lunettes de 2020 : les débats politiques et parlementaires sur la pertinence de l’aventure coloniale, tant du point de vue philosophique que pratique, furent particulièrement vifs. On l’a dit, des Républicains radicaux comme Clemenceau étaient profondément anticolonialistes, mais certains nationalistes ou monarchistes voyaient également dans la colonisation une diversion par rapport à la « nécessaire » préparation de la revanche sur l’Allemagne, quand l’inventeur de l’école républicaine obligatoire, gratuite, publique et laïque – Jules Ferry – fut un colonialiste convaincu. Jean Jaurès qui commença sa carrière politique à l’ombre de ce dernier devint ensuite tout à la fois socialiste et anticolonialiste, mais il faut dire que la vigueur anticolonialiste concrète de la SFIO s’effaça rapidement après son assassinat. Charles De Gaulle, envoyé dans les années 1930 en mission au Liban, rédigea lui-même une note indiquant que de tels régimes supposant que des peuples soient ainsi mis sous tutelle étaient déjà anachroniques et qu’il était dans le sens de l’histoire qu’ils prennent leur indépendance. De quoi éclairer sous un jour particulier l’action qu’il mena quelques trente années plus tard (après avoir compté sur « l’empire » comme base arrière de la France Libre), qui est elle-même percluse de multiples contradictions.

L’universalisme républicain en acte

La République et son idéal font ainsi souvent les frais des rapports de force politiques, quand ce n’est pas plus prosaïquement et banalement la conséquence de « petits jeux politiciens ». La République est un combat ; on ne peut tenir notre devise Liberté – Égalité – Fraternité pour acquise du simple fait qu’elle serait énoncée. Comme socialistes, nous connaissons bien les logiques inégalitaires à l’œuvre en économie capitaliste qui ne plient ou reculent que sous l’effet du rapport de force politique et social que l’on construit (ou pas). Pourquoi serait-ce différent pour les inégalités et discriminations fondées sur l’origine, la couleur ou la religion supposée ? Pourquoi serait-ce différent quand les Libéraux et le monde capitaliste instrumentalisent également les enjeux d’identité pour réduire la personne à l’individu, pour diminuer d’autant la capacité des travailleurs à s’organiser collectivement en les dressant les uns contre les autres en fonction de leurs origines ? Pourquoi serait-ce différent quand les discriminations liées à l’origine croisent les inégalités économiques et sociales ?

D’ailleurs en d’autres points du globe, ce type de processus a été parfaitement utilisé, y compris à des fins économiques, entre des populations différentes que ne séparaient pas la couleur de peau : l’opposition au sein de la classe ouvrière d’Irlande du Nord entre Unionistes et Nationalistes (Protestants et Catholiques) grâce à l’encouragement du sectarisme est un modèle du genre.

Raison de plus pour ne pas se laisser pièger par des concepts ambigus ou même pervers. Ainsi la notion de « privilège blanc » (expression popularisée par une écrivaine de talent et à succès mais dont on peut s’interroger sur son sens des réalités) peut évidemment être comprise, dans une certaine mesure, s’il s’agit de désigner cette situation où, par le fait d’être blancs, certains d’entre nous ont accès facilement à un logement, un emploi, à un certain nombre de choses sans même nous en rendre compte. Mais cette notion, même si on peut en comprendre l’intention (chez certaines personnes de bonne foi), est viciée à la base car le concept de « privilège » renvoie à quelque chose qu’il faudrait en principe abolir. Or, le souci aujourd’hui n’est pas de savoir si les « blancs » doivent avoir accès facilement à un logement, etc. ou s’il faudrait leur retirer cette capacité, alors même qu’elle n’est pas l’apanage de tous les « blancs ». Cette façon de penser est même quelque part une manière de réinvestir le principe de « hiérarchie des races », entre les « blancs » qui auraient (forcément) une vie merveilleuse et « les autres ». La question c’est de se demander pourquoi d’autres n’ont pas accès, pourquoi nous tolérons encore que dans les faits de telles discriminations perdurent concrètement ; la question est de se demander – lorsqu’on a constaté qu’il y a des gens, en raison de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur handicap, pour lesquels l’exercice des droits humains est soit tronqué, soit inexistant – comment il faut agir pour faire reculer puis mettre fin concrètement à cette rupture d’égalité. Car à nouveau ce que l’universalisme républicain nous rappelle c’est bien l’unité de l’humanité, l’égalité entre tous les Hommes, en cela il n’est en rien un concept évanescent et surplombant comme le prétendent certains militants différentialistes ou intersectionnalistes. L’universel ne relève pas d’une sorte de dogme surplombant, d’un ensemble de principes qu’on accepte tels quels. L’universel c’est une aspiration qui est toujours en construction, qui est traversée d’une réflexion sur les façons de faire progresser ces aspirations universelles. L’universalisme républicain devient concret lorsqu’il existe une volonté politique pour le mettre en œuvre.

Ainsi, après la démonstration que nous venons de faire, si l’expression de racisme d’État nous semble impropre dans la République française, le débat sur la définition de « racisme structurel » peut être entendu mais doit faire l’objet de beaucoup de précautions. Le Défenseur des Droits vient de pointer une politique systématique dans un arrondissement de Paris d’arrestations de personnes de couleur ; il considère ici qu’il ne s’agit plus de l’acte d’un individu mais d’une structure, il a également pointé le fait que ses interpellations sur les dysfonctionnements de l’institution n’avaient pas reçu de réponses depuis 5 ans. Soyons clairs, il existe en France une politique ou une stratégie particulière qui a des effets de « racisme institutionnel », c’est celle qui préside aux contrôles d’identité. C’est un cas particulièrement choquant : toutes les études montrent que lorsque vous êtes jeunes, noirs ou d’origine maghrébine, vous avez 10 à 20 fois plus de « chances » d’être contrôlés : cela signifie que 3 ou 4 fois par jour au bas mot une personne issue de ces catégories peut-être contrôlée, ce qui explique aisément un sentiment de ras-le-bol, de révolte et parfois les propos et les actes qui vont avec (avec les conséquences que l’on peut imaginer). Cette pratique s’apparente donc à une peine administrative appliquée à une catégorie de la population qui doit justifier plus que d’autres de son appartenance à la Nation, du fait de son apparence … et cela devant ses amis, devant ses proches, devant les collègues de travail qui eux ne seront pas contrôlés, et le fait que cela se passe également parfois sans témoin n’en diminue pas l’ineptie. Les justifications prétextées pour cette pratique discriminante sont de deux ordres : l’immigration irrégulière et le trafic de stupéfiant… Notre police est affectée pour une trop grande part au contrôle et à la répression du commerce et de la consommation d’une drogue qui est aujourd’hui légale au Canada et dans de nombreux États européens et des USA : la marijuana. Ces policiers doivent être affectés à des tâches autrement plus importantes pour l’ordre public, notre sécurité et la concorde civile. Avec cette réforme, l’essentiel des contrôles d’identité et leur justification tendancieuse disparaîtraient. La fin de cette stratégie de fait des contrôles d’identité discriminatoires auraient également pour conséquence de participer à la modification de l’état d’esprit d’une partie des forces de police, à qui la hiérarchie impose de fait une façon de penser qui s’éloigne des principes républicains.

Notons aussi que le choix des hommes compte sur ce chemin semé d’embûches. Dans la suspicion qui existe entre une partie de la population et les forces de l’ordre, le problème ne vient pas directement des policiers, mais de la stratégie qu’on leur demande d’appliquer. Les hommes comptent dans ces matières : M. Papon était dans les années 1960 Préfet de police de Paris ; sous son autorité ont eu lieu le Massacre de Charonne (8 février 1962, 9 morts et 250 blessés) et celui des manifestants pro-FLN du 17 octobre 1961 (pas moins de 200 morts). Le Préfet Grimaud qui lui a succédé avait une toute autre politique en matière de maintien de l’ordre, il est évident que de nombreux manifestants de Mai-68 doivent la vie à ce changement de préfet. À un moment, il y a la responsabilité des chefs qui donnent des consignes et des stratégies, et les policiers ne sont souvent que des agents qui doivent obéir aux ordres qui leur ont été donnés (tant qu’ils ne sont pas illégaux). Rappelons le courrier adressé à ses troupes par le Préfet Grimaud le 29 mai 1968 : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez. » La hiérarchie, l’administration républicaine et ses cadres se doivent en tout temps et toute circonstance d’impulser un discours, des consignes et des stratégies conformes à l’idéal républicain, si l’on veut que l’ensemble des représentant de l’État en toute matière (et pas seulement en ce qui concerne la sécurité et le maintien de l’ordre) agisse selon les principes républicains.

L’éducation est aussi un terrain à réinvestir. Nous avons insisté plus haut sur l’enseignement de l’histoire, sur un récit national qui prenne mieux en compte la diversité du peuple français, qui tienne compte avec raison des faces sombres et lumineuses de notre pays. Faire face à notre histoire avec réalisme est la meilleure manière de renforcer l’unité de la communauté nationale. Il faudra donc revoir notre enseignement de l’esclavage et de la colonisation, l’enseignement des l’histoire de l’Outre Mer et des pays qui ont été si fortement liés, pour le pire mais parfois aussi le meilleur, au nôtre avant de prendre leurs indépendances. Le fait que l’immigration algérienne se soit poursuivie – dans des proportions importantes – après 1962 montre également que la France était capable de dépasser la guerre civile qu’elle avait subi et fait subir des deux côtés de la Méditerrannée. Il ne faut pas non plus oublier les conditions souvent indécentes dans lesquelles beaucoup de travailleurs maghrébins puis leurs familles furent reçus, ou plutôt parqués. Une histoire de l’immigration doit donc être intégrée au récit national, en ayant à l’esprit que le fait que celle-ci depuis les années 1960 provienne très majoritairement de pays dont les populations ont été dominées par la France modifie quelque peu la manière dont nous pouvons atteindre les objectifs républicains d’assimilation et d’intégration que nous avons appliqués aux immigrations précédentes. Au demeurant nous récusons l’idée parfois avancée (au comptoir du café du commerce) que si les Italiens, Polonais, Yiddish, Espagnols ou Portugais ont subi un forme de « bizutage », il serait tolérable que les immigrations maghrébines et subsahariennes le subissent aussi.

Enfin, la crise sanitaire que nous venons de subir a de nouveau démontré les discriminations de tout ordre dont font l’objet des habitants de certaines parties de notre territoire. La Seine-Saint-Denis a enregistré ainsi un niveau de contamination, de décès et de verbalisation (cf. notre paragraphe sur le contrôle au faciès) plus important que la moyenne nationale. On sait parfaitement que ce département compte aujourd’hui de très nombreux habitants d’origine méditerranéenne, subsaharienne et chinoise. Les statistiques ethniques réclamées par certains – en prenant le risque de figer les identités – n’apporteraient rien de nouveau et d’utile à l’action publique. La sous dotation médicale ou en services publics de ce territoire est ancienne et n’est pas liée à la nature de son peuplement actuel mais l’a précédé. Le déficit d’égalité de la Seine-Saint-Denis s’est donc creusé au fil des décennies ; il a commencé à le faire selon une logique que nous qualifierons de « méfiance » à l’égard de « classes laborieuses » considérées comme des « classes dangereuses ». L’installation des familles de travailleurs immigrés à la sortie des bidonvilles dans lesquels ils étaient cantonnés parfois jusque dans les années 1970 n’a fait que renforcer cette discrimination territoriale, dans un territoire frappé dès le début des années 1980 par une violente désindustrialisation. Ici encore l’inégalité économique et sociale rejoint la problématique des discriminations « ethniques » et celle de la ségrégation géographique. Le retour à une « Politique de la Ville » digne de ce nom (elle a fini d’être mise en lambeau sous le quinquennat de François Hollande), parallèle à un renforcement massif des services publics et des politiques de droit commun pour ramener ces territoires à l’égalité républicaine, ou un renforcement des contrôles et des sanctions pénales en matière de discrimination à l’embauche et dans l’emploi, est une urgence absolue.

* * *

La République est un combat. La réalisation de la promesse de l’universalisme républicain est un combat. Elles ne peuvent se satisfaire de notre immobilisme ; pour faire un peu de provocation, détournons dans cette conclusion le fameux slogan maoïste : « La République est comme une bicyclette : quand elle n’avance pas, elle tombe ! »

La République est née en rejetant radicalement l’esclavage et le racisme, en proclamant l’égalité humaine à toute l’humanité. Notre pays n’a pas besoin d’accommodements, de négociations, de tractations, de privilèges : il a besoin d’égalité et de République. Plus que jamais ! La concrétisation de notre idéal ne va pas de soi et dépend des actions que nous aurons la volonté et le courage de mettre en œuvre : au travail !

Restaurer une police républicaine

« Nous ne sommes pas dans le même camp ».

Cette réponse du Préfet de police de Paris à une citoyenne Gilet jaune qui l’interpellait calmement dit la fracture entre la police française et le peuple qu’elle est censée protéger. C’est cette fracture qui ressurgit aujourd’hui à travers les manifestations contre les violences policières.

C’est entendu, les forces de l’ordre sont au front depuis des années et ont été sollicitées dans des conditions souvent extrêmes. D’abord face à la déferlante terroriste qui a sévi à partir de 2015. Puis dans l’encadrement des mouvements sociaux, de la colère des Gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites. Aujourd’hui encore, elle est sur le pont face à l’épidémie de coronavirus. Les policiers sont aussi des travailleurs et les logiques comptables de l’État libéral pèse sur leurs effectifs, sur leurs rémunération, sur leur organisation et leurs moyens de travail.

Comment et pourquoi sommes-nous passés, en quelques années, des applaudissements et de la reconnaissance légitime que leur ont témoigné les Français lors des attentats de Charlie Hebdo aux réactions parfois virulentes qui s’expriment aujourd’hui à leur endroit ?

D’abord, il y a une responsabilité éminente dans la chaîne de commandement. Depuis Nicolas Sarkozy, la plupart des ministres de l’Intérieur ont cédé aux coups de mentons et au discours martial, conférant à notre Police une mission centrée de façon exclusive sur sa dimension répressive. C’est un défaut originel de la police française qui, à travers son histoire, a trop souvent été comprise comme protectrice des institutions avant de protéger les citoyens. La suppression de la police de proximité ne disait rien d’autre qu’une défiance envers les citoyens, la conception d’une autorité autoritaire, qui s’impose sans consentement.

Cette dérive n’est pas un accident de l’histoire. Elle résulte du libéralisme lui-même qui, en organisant les systèmes de hiérarchisation sociale et en accentuant les inégalités, a besoin d’un Etat régalien fort pour préserver des institutions qui lui sont favorables et protéger le capital et les richesses concentrées dans quelques mains. La ligne Bolsonaro est la destination finale de cette approche : un système économique dérégulé confié aux grandes firmes privées et un Etat autoritaire qui protège les intérêts du petit nombre.

La restauration d’une police républicaine est une impérieuse nécessité car les violences et les débordements qui ont eu lieu dans plusieurs affaires ne sont pas excusables : si des policiers ont abusé de leur autorité allant jusqu’à attenter à la vie de citoyens, ils doivent être jugés et sévèrement punis. Au-delà, nous nous devons de comprendre politiquement les raisons de ces dérives, et Il faut ne pas hésiter à remettre en cause la hiérarchie, les ordres, le changement de stratégie impulsé par le haut depuis une dizaine d’années pour le maintien de l’ordre et leur apporter une réponse globale.

Par ailleurs, Il faut résister à la surenchère et aux raccourcis : la police française n’est pas raciste, mais il y a, sans aucun doute, des racistes dans la police, comme partout ailleurs, dans l’ensemble de la société.

Et comme partout dans la société, le racisme est un délit et la culture de l’impunité ou le laisser faire, comme le montre le développement d’un groupe facebook de 8000 policiers qui assènent des propos racistes, contribuent à généraliser le sentiment de racisme de la police dans l’opinion.

La sécurité est un droit pour tous les Français, mais ne peut être garantie que dans un cadre strictement républicain.

Pour la restauration d’une police républicaine, la Gauche Républicaine et Socialiste propose 5 grandes mesures :

– Le rétablissement d’une vraie police de proximité, dotée de moyens conséquents, pour qu’elle puisse être au contact de la population
– L’augmentation des effectifs des forces de l’ordre de 25.000 postes pour assurer la sécurité des Français sur l’ensemble du territoire national
– L’augmentation de la rémunération des policiers et l’amélioration de leurs conditions de travail dans le cadre d’une négociation nationale avec les partenaires sociaux
– La systématisation des caméras mobiles pour l’ensemble des interpellations et l’instauration d’un récépissé pour les contrôles d’identité

– Une réforme de la doctrine d’emploi de la Compagnie Républicaine de Sécurité et la mise en place d’un corps de médiation de la police pour l’encadrement des manifestations

Face à la violence et au racisme, redonner force à la République !

Le meurtre de Georges Floyd par quatre policiers de Minneapolis (Minnesota) est la dernière goutte de sang faisant rompre des digues dans les opinions publiques occidentales.

La prise de conscience en cours dépasse le cadre américain et rappelle dans l’universalité de la réponse des jeunesses des sociétés riches les mouvements oubliés contre l’apartheid de l’Afrique du Sud des années 1980.

Ainsi, malgré la conscience du risque pris, alors que la pandémie due au Covid-19 n’est pas finie, des dizaines de milliers de manifestants, jeunes pour la plupart, masqués, ont manifesté partout en Europe contre le racisme et les violences policières : Bruxelles, Londres, Copenhague, Berlin, Munich, Francfort, Hambourg, et même, malgré l’interdiction prononcée par les préfets, à Paris et plusieurs grandes villes de France. À Bristol, une statue de l’esclavagiste Colson a été jeté dans le port.

Tous les cortèges ont en commun de rassembler des jeunes, entre 18 et 35 ans, beaucoup de primo-manifestants, tous habillés de noirs. C’est un mouvement d’opinion qui rebondit sur celui des « Friday » pour le climat. Il démontre un refus de thèses et d’organisations sociales et politiques au cœur du néolibéralisme, et dont le protecteur dévoyé est souvent la police.

Il ne constitue pas encore une alternative, et les contradictions sont nombreuses encore entre tenants de l’universalisme humaniste, et ceux, adhérant paradoxalement à la définition néolibérale d’une humanité divisée en identités et inégalités de nature, privilégiant l’individualisme de la communauté, et niant les solidarités de classe. C’est le piège de ce moment : il y a des libéraux souhaitant le repli individualiste ou communautaire pour nier les classes et les questions sociales ; il y a des faux universalistes souhaitant plonger la tête dans le sable, privilégiant la conservation de l’ordre social à la résolution de sa violence. Les uns ne veulent pas de la République, les autres nient qu’elle soit sociale.

L’Allemagne face aux infiltrations terroristes de sa police

À Berlin, à Munich, à Hambourg, à Nuremberg, dans de nombreuses villes allemandes, les manifestations ont fait le lien entre racisme et violences policières.

Dans ce pays, les policiers doivent prêter serment à la loi fondamentale, qui inclut la déclaration des Droits de l’Homme, et proclame le caractère intangible de la dignité humaine.

À ce titre, il est jugé incompatible avec le service public l’engagement dans des partis et mouvements d’extrême droite tels que le NPD.

Il y a presque dix ans, on découvrait cependant que dix meurtres, neuf immigrés d’origine turcs ou grecs, et une policière, avaient été commis par une cellule terroriste d’extrême droite, la NSU. Tout au long des enquêtes, la police n’avait pourtant jamais prospecté sur cette piste, privilégiant des « règlements de compte entre maffias et clans », se plaignant d’une omerta empêchant le recueil d’informations sur cette maffia, qui n’existait pourtant que dans les préjugés racistes des enquêteurs.

Depuis, les groupements d’extrême droite ont renforcé leurs efforts pour infiltrer la police.

Depuis quelques années, les autorités ne réagissent plus par des enquêtes administratives, comme la France continue elle à le faire avec l’IGPN, juge et partie, mais directement en saisissant les services secrets intérieurs.

C’est ainsi qu’en 2018 un groupe Whatsapp de 40 policiers a été identifié et observé : ces policiers, du Land de Hesse, utilisaient les bases de données de la police pour envoyer des lettres de menaces à des militants antiracistes et des avocats des victimes de la NSU. Suite à une perquisition en février 2020, il a été prouvé que certains de ces fonctionnaires avaient détourné armes et munitions des dépôts policiers en vue de préparer des actions terroristes. Les enquêtes en cours ont entraîné les limogeages immédiats des fonctionnaires concernés.

En France, un tel groupe peut grimper à 8 000 participants !

La co-présidente d’un des partis au gouvernement, le SPD, Saskia Esken, a réclamé hier une grande enquête sur le racisme dans la police. Elle n’est pas seule : les autorités hiérarchiques policières elles-mêmes parlent de combattre le racisme dans leur rang, de renforcer formation et encadrement, de se donner les moyens pour maintenir une police républicaine, loyale au serment à la loi fondamentale.

Samedi, malgré des affrontements en fin de manifestation à Berlin et 93 arrestations, le chef de la police a « remercié » les manifestants « majoritairement pacifiques » et loué leurs efforts pour respecter la distanciation physique – discours si différent d’un Castaner déclarant en janvier 2019 « ceux qui viendront manifester savent qu’ils seront complices des débordements » ou d’un préfet de police indiquant à une manifestante âgée qu’ils n’étaient « pas dans le même camp ».

Une culture de l’impunité est la négation de la République

Ce long développement permet de souligner la culture de l’impunité qui s’est établie en France. Aujourd’hui même, le rapport du Défenseur des Droits la dénonce : en cinq ans, le Défenseur des droits a demandé des poursuites disciplinaires dans trente-six affaires de manquements aux règles de déontologie, sans recevoir de réponse.

La République proclame l’égalité de toutes et tous devant la loi. Cela vaut également pour ceux dépositaires, au nom du peuple souverain, du monopole de l’exercice de la violence légitime. Le peuple républicain attend de sa police protection et service, pour pouvoir jouir des libertés publiques garanties par la constitution.

Cependant, l’exercice de la violence ne reste légitime que s’il est contrôlé, encadré, si les Gardiens de la Paix sont formés et dirigés correctement, si des effectifs et des moyens nécessaires et suffisants permettent d’assurer les missions.

Devenir policier est un engagement au service de la Nation qui peut rendre nécessaire le sacrifice de sa vie pour sauver les autres. C’est un métier difficile, ingrat, à la conjonction de demandes contradictoires, entre des politiques néo-libérales qui veulent gérer à coup de matraque les inégalités sociales, une Nation espérant Protection et Soutien, et des groupes sociaux et politiques s’affranchissant de la République.

Il faut le dire : le gardien de la paix est au cœur du pacte social républicain, comme le professeur, l’infirmière, le militaire, le pompier. C’est pourquoi les attentes sont également particulièrement élevées quant à l’exemplarité de son comportement en fonction. Tout cela implique de garantir l’exemplarité par la sanction immédiate des comportements déviants.

En France cependant, de faux républicains affirment l’infaillibilité de nature de la police.

Républicaine par la force des textes de lois, elle serait sans faute ni tâche. Elle devrait dès lors être soustraite à tout examen de son action, ses fonctionnaires considérés au-dessus de tout soupçon.

Cette culture de l’impunité est entretenue par le rôle prééminent donné à l’IGPN, autorité de contrôle administrative interne.

L’absence de contrôle s’accompagne de la lâcheté hiérarchique. Comment un groupe Facebook a-t-il pu atteindre 8 000 membres sans qu’un seul gradé, face aux centaines de messages racistes et sexistes, n’intervienne ? Comment se peut-il qu’un tel groupe ne soit pas surveillé par la sécurité intérieure ?

Cela s’explique par une raison simple : depuis 2005 au moins, la police est utilisée comme instrument principal de lutte contre les révoltes et les colères sociales, tout en restant une variable d’ajustement budgétaire, dont on réduit toujours les effectifs ou les moyens concrets, poussant ses fonctionnaires à bout, jusqu’aux « épidémies de suicides ».

La hiérarchie policière, versée dans la seule répression sociale, au point d’agresser les journalistes et les parlementaires en manifestation, sous estime le danger d’infiltration des institutions par des groupes et idéologie d’extrême droite souhaitant la guerre civile européenne.

Ces idéologies sont à l’origine des attentats d’Anders Breivik en Norvége en 2011, du tueur de Munich en 2016, du meurtre de la députée travailliste britannique Jo Cox en 2016, des attentats en Allemagne contre des élus, des juifs et des turcs en 2019 et 2020.

Pourquoi une police où les syndicats affiliés à l’extrême droite ont fortement progressé ces dix dernières années serait-elle immunisée face à un phénomène européen ?

L’égalité devant la loi nécessite de remettre les deux moteurs inséparables, la sanction et la formation, au cœur de la réforme de la police républicaine.

Il est insupportable que des personnes, interpellées pour des délits, meurent au moment de leur interpellation, qu’ils s’appellent Traoré ou Chouviat. La doctrine et les techniques d’interpellation doivent changer, l’obligation de secours à la vie redevenir prioritaire à l’accomplissement d’un acte administratif visant à sanctionner un outrage.

Il est contraire à la République que la police ne garantisse plus l’exercice des droits fondamentaux, tel que celui de manifester, de s’exprimer, mais au contraire les en empêche. Ce n’est pas le rôle de la police de décrocher, pendant le confinement, des banderoles d’opposants accrochés à des balcons privés. Il est absolument intolérable que des élus, des journalistes, des syndicalistes, soient des cibles dans les cortèges. Personne ne devrait perdre un œil ou une main dans l’exercice d’un droit fondamental. Il est absolument nécessaire de pourchasser devant la justice tous les actes de violence non proportionnés de membres des forces de l’ordre. Il n’est pas proportionné aux impératifs de maintien de l’ordre d’éborgner, amputer, et blesser des citoyens libres de manifester.

* * *

Aux États-Unis, le Parti Démocrate a annoncé une grande réforme de la police en cas d’alternance. En Allemagne, le plaquage ventral est maintenant interdit. La France, en retard, sous la pression internationale, a annoncé l’interdiction de la prise d’étranglement mais reste dans l’ambiguïté sur le plaquage ventral.

La confiance dans la République et sa police exige à la fois de la réformer, de mieux la former et l’encadrer, et de briser la lâche impunité que lui garantit le pouvoir actuel.

Remettre de la République dans la police, c’est remettre de la République dans la société, et par conséquent, s’attaquer aux conséquences sociales de 40 ans de destruction néolibérale de l’Etat et de la cohésion nationale.

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.