Nouvelle ère, l’exigence de changements de cap en France et en Europe – contribution au débat de Marie-Noëlle Lienemann

article publié le mercredi 12 mars 2025 sur le site de Marie-Noëlle Lienemann

Promouvons une économie de défense et de souveraineté par des politiques de relance et de justice sociale

Nous entrons dans une nouvelle ère, mais réfléchissons sérieusement à ce qu’elle implique, définissons une stratégie à court et à moyen terme sans repartir dans de fausses directions qui s’avèreront des impasses !

La violence et la brutalité des annonces et du comportement de Donald Trump montrent une inflexion et une accélération d’une politique américaine qui avait relégué en seconde zone les enjeux européens pour concentrer son regard et ses actions en direction de l’Asie avec en ligne de mire la puissance chinoise. Déjà le soutien de l’administration de Biden à l’Ukraine était davantage calibré pour conjurer une avancée excessive de Poutine dans ce pays que pour lui infliger une cinglante défaite. Il est clair qu’elle ne souhaitait pas ouvrir un conflit majeur avec la Russie (ce que les dirigeants du Kremlin ont sans doute vite compris). Cela posait et pose encore la question majeure de la crédibilité du droit international. Ce n’est hélas pas le seul cas !

Mais là, il est vrai que l’inversion d’alliance ou pour le moins un rapprochement explicite des États-Unis d’Amérique avec la Russie constitue un fait nouveau. Trump face à la menace chinoise veut éviter un front Russie/Chine et, par ailleurs, compte bien poursuivre son impérialisme autour des USA (canal de Panama, Canada et Groenland).

Sans compter que se joue aussi l’accès aux terres rares, métaux et autres ressources indispensables au développement économique et technologique qui va constituer un point cardinal des relations internationales.

Dans cette perspective, l’Europe n’a aucune place sérieuse dans la logique trumpiste : ni assez de ressources naturelles, ni avancées technologiques majeures ! Et manifestement partager des idéaux démocratiques ne semble plus être une préoccupation prioritaire !

On nous annonce aujourd’hui un accord USA/Ukraine pour proposer à Moscou un cessez-le-feu. Tant mieux, et  la France doit agir au-delà pour qu’une paix équilibrée et durable soit signée. Pour l’heure, tout ceci est encore aléatoire. Mais cela n’empêche pas un constat lucide sur le changement de cadre géopolitique.

Le lâchage actuel de l’Ukraine et la totale indifférence à l’égard de l’Europe sommée, d’une part, d’assumer seule sa défense ou en tout cas de payer pour la garantir (ce que les Américains préconisent et ils n’hésiteront pas à faire pression dans ce sens) et, d’autre part, de rééquilibrer ses échanges commerciaux avec les USA, en particulier s’agissant des biens industriels, exige de notre part des réactions à la hauteur des enjeux.

Il faut reconquérir notre indépendance militaire. C’est vrai pour la France qui a des atouts au sein de l’UE et ce devrait être vrai pour l’Europe. Et si nos voisins européens semblent découvrir cette exigence, rien n’est en fait aujourd’hui très clair, si ce n’est le besoin de réengager un réarmement de notre continent pour faire face aux menaces qui pèsent sur lui.

Attention dans des moments troublés, il faut être rigoureux sur les mots comme sur les faits et n’entretenir ni des peurs irrationnelles ni des illusions trompeuses.

1- La France n’a pas à entrer dans une économie de guerre, elle doit entrer dans une économie de défense et de reconquête de souveraineté. C’est la meilleure garantie pour notre paix !

La France ne se situe pas en posture de guerre et actuellement n’est en guerre avec personne.

Néanmoins, elle doit rentrer dans une économie de défense parce qu’elle doit, d’une part, se préparer à d’éventuelles menaces que l’on voit poindre à l’horizon et qui pour une part (mais pour une part seulement…) ont changé de nature, mais aussi parce qu’elle subit dès à présent des attaques de type variées, comme il se doit dans des guerres hybrides. On a pu voir comment la Russie a agi pour la déstabilisation en Afrique ou comme les cyber-attaques se multiplient.

Une économie de souveraineté ne signifie pas fermer nos échanges et collaborations, ni renoncer à des alliances et à la construction européenne.  Mais il s’agit de se mettre en situation de maitriser au maximum notre avenir et faire face, si besoin, seuls à des lourds périls et de tous ordres.

Consacrer d’importants efforts pour renforcer nos capacités militaires et de défense est justifié car la seule dissuasion nucléaire ne saurait suffire, elle doit être l’ultime recours et suppose d’être appuyée sur des moyens conventionnels suffisants et consistants.

De fait, nos choix récents étaient davantage tournés vers la projection extérieure, la lutte contre le terrorisme et moins sur la défense de notre territoire national. Cela doit redevenir la priorité.

Il faut donc y consacrer des crédits importants et accompagner une montée en puissance de la production d’armements. Evidemment cette constatation exige des changements majeurs de politique économique et la gauche doit faire des propositions sérieuses et offensives et ne pas se laisser embarquer dans le durcissement de la politique austéritaire et de reculs sociaux qui n’a fait que nous affaiblir !

2- Ne partons pas tête baissée dans l’idée d’une défense européenne ! Parlons de la défense de l’Europe et de la défense de la France ! Engageons de premiers jalons et réarmons notre pays.

Ne théorisons pas notre incapacité dans ce monde nouveau à pouvoir être maître de notre destin, avec cette formule rabâchée à l’envie : nous ne pouvons plus agir seuls, on ne peut le faire qu’avec l’Europe !

Certes, il est mieux agir de concert avec nos voisins européens et consolider nos liens pour ensemble être plus forts, et nous devons faire le maximum pour cela. Mais en aucune façon, nous ne devons accepter de nous trouver affaiblis ou incapables de faire prévaloir nos choix, nos intérêts, nos valeurs, de garantir notre indépendance ! brefs partenaires oui, vassaux – de fait – jamais !

Certes, nous devons très vite avec les Européens (et il y a déjà un problème de définition et de périmètre, puisque, d’une part, le Royaume-Uni est hors de l’UE et, d’autre part, certains pays comme la Hongrie ne sont pas nécessairement très fiables) agir de concert en particulier en soutien à l’Ukraine, trouver les moyens de relancer la production militaire dans nos pays et consacrer les sommes qui s’imposent pour la défense. Mais faut-il encore être au clair sur ce que ce changement radical de paradigme impose.

Nous devons favoriser la création d’une plateforme opérationnelle de défense entre Européens et eux seuls, ainsi que renforcer la production d’armement en Europe.  Mais il est extrêmement prématuré de parler de défense européenne. 

Oui il faut rapidement prendre des décisions pour produire des armes sur notre continent et la France doit engager des mesures d’urgence pour sa réindustrialisation.

Nous devons être extrêmement fermes avec nos voisins européens :  nous ne pouvons pas continuer à financer les budgets européens pour que les autres pays achètent des armes aux Américains ou hors UE. Certes, il va falloir un certain temps pour que cela ne soit plus nécessaire du tout, mais au moins veillons à ce qu’ils n’achètent plus des armements qui ne peuvent être produits en Europe. Le cas des F35 est un bon exemple.

Par ailleurs, sous l’effet de l’émotion, les dirigeants allemands semblent davantage décidés à avancer dans la direction de la coopération européenne.  Seuls les actes comptent et ne négligeons pas leur vulnérabilité aux pressions américaines sur leurs exportations outre-Atlantique et le chantage qui leur sera fait concernant l’achat de matériel américain. Ce ne serait hélas pas la première fois !  On a vu comment le Bundestag a tout fait pour faire capoter le projet européen d’hélicoptère Tigre III, ce qu’au final il a obtenu, et la Bundeswehr a acheté des hélicoptères à dominante américaine ! Trump ne va pas se gêner.

Mais de surcroit, il est fort probable que les Allemands mettent les énormes sommes annoncées pour son réarmement au service de productions nationales, parfois concurrentes aux entreprises françaises et il faut être attentifs car le passé récent exige notre vigilance : les coopérations franco-allemandes se sont souvent achevées par une prédation par les acteurs d’outre-Rhin de nos entreprises avec leurs avancées technologiques que de fait nous perdions !

Et en tout cas, s’agissant de l’armement français, il ne faudra pas compter uniquement sur les débouchés européens et il faudra continuer à travailler, voire intensifier la coopération, avec d’autres pays non alignés qui ne veulent pas être soumis aux diktat américains, russes ou chinois ! C’est d’ailleurs un point majeur de notre politique internationale : nouer des alliances avec les pays qui ne veulent pas entrer dans l’orbite des trois blocs impérialistes.

Rappelons que la défense doit demeurer une stratégie, une mise en œuvre souveraine de la Nation. Évidemment c’est particulièrement vrai de la dissuasion nucléaire qui ne saurait être partagée, même s’il revient à notre pays de définir librement les conditions de son utilisation.

3- Surtout pas de saut fédéraliste, mais des exigences immédiates de réorientation de l’UE !

D’abord fort heureusement, nous n’avons pas cédé aux sirènes fédéralistes car, sur de nombreux dossiers, la France était ultra-minoritaire. Si nous l’avions fait, nous serions encore davantage en hyper fragilité aujourd’hui, ne serait-ce que sur la poursuite de la production électrique nucléaire, mais aussi sur ses dépenses militaires.

La France, en tout cas souvent, avait eu raison.  Mais trop souvent aussi, elle n’a pas suffisamment créé un rapport de force pour exiger des réorientations majeures de l’Union Européenne et ce sont souvent ceux qui, aujourd’hui, nous pressent au fédéralisme qui, hier, nous poussaient à accepter la logique néolibérale et malthusienne, la thèse des autres, au nom de l’UE à tout prix. Et cela nous a conduit dans les impasses actuelles.
Ce fut vrai lors de l’acceptation des dogmes budgétaires inscrits dans le marbre des traités dans le traité d’Amsterdam. Nous disions alors que cette logique économique induirait structurellement un affaiblissement de la croissance ! Cela s’est hélas confirmé avec un décrochage massif en termes de PIB entre l’Europe et les USA mais avec quasiment toutes les autres régions du monde. Même dans ce cadre, nous plaidions pour que soit sorties des critères de dépenses publiques, les dépenses de défense !! Que nenni et alors que notre pays poursuivait un certain effort en ce sens, d’autres comme l’Allemagne nous montraient du doigt comme de mauvais élèves. Quand nous contestions la concurrence libre et non faussée, qui entretiendrait le dumping social et fiscal, on nous promettait un grand marché porteur de prospérité. Nous n’avons eu ni la prospérité ni le renforcement du sentiment européen, mais l’aggravation des inégalités, de la pauvreté, des tensions sociales qui nourrissent l’extrême droite et les populistes.

D’ailleurs le basculement fédéral dans ces circonstances serait d’autant plus dangereux.

On pourrait parler de la pongée aveugle dans la mondialisation libérale et le refus de sérieusement soutenir la production européenne et de prévoir des barrières aux frontières de l’UE. On pourrait citer les conditions du grand marché de l’électricité qui a renchéri le prix de l’énergie … bref la liste est longue.

Plus que jamais ce qu’il faut faire en Europe, c’est privilégier des coopérations intergouvernementales équilibrées, desserrer l’étau de l’austérité budgétaire et engager une nouvelle politique économique européenne, fondée sur la relance, une relance de reconstruction tant des investissements productifs, de recherche, d’innovation, d’éducation, que  d’un modèle social où les salariés peuvent vivre dignement de leur salaire, avec une protection sociale élevée  et d’un plus juste équilibre capital travail. Car l’atonie de la demande intérieure européenne pèse lourd sur nos industries et freine notre réindustrialisation.

Il n’y a pas d’exemple de réarmement sérieux d’un pays sans relance économique.

Cela suppose aussi de permettre à chaque État de retrouver sérieusement les moyens de sa compétitivité en dehors de cette logique destructrice de dumping social et en l’occurrence de faire baisser sérieusement notre prix de l’énergie. Donc avant de remettre en cause l’actuel marché de l’énergie (on notera qu’aujourd’hui l’Espagne qui s’est mis hors ce dernier est le pays où l’électricité est la moins chère !), nous devons exiger comme le suggère Olivier Lluansi dans son excellent livre Réindustrialiser, le défi d’une génération que 15% de la production nucléaire française puisse être vendue aux industriels à prix coûtant ! Nous avons des moyens de pressions si les résistances à ces dérogations étaient trop fortes. Agissons vite car il n’est pas exclu que rapidement soient rouverts les échanges de gaz avec la Russie à bas prix sous la bénédiction des Américains et qui à nouveau seront un avantage pour nos voisins outre-Rhin.

Au-delà, on ne peut plus tergiverser sur la mise en place de protections à nos frontières et des règles favorables à la consommation de proximité notamment pour les appels d’offre publics.  Hélas nous avons à travers les traités (rappelons que les Français l’avaient rejeté) confié l’ensemble de la politique commerciale de l’UE à la commission européenne. On en voit tous les jours les tristes conséquences, récemment encore avec le Mercosur, ou dans l’affaire des panneaux solaires chinois.  Mais cela risque d’être particulièrement douloureux pour la riposte aux attaques de Trump !

4- Une réaction effective et dissuasive à la hausse des droits de douanes annoncés par Trump !

Poutine et Trump n’ont en commun que de prendre en compte la force ! Alors face à sa hausse des droits de douanes, nous ne pouvons pas, comme la fois dernière, nous contenter de mesures limitées et ciblées, accompagnées d’un verbe haut. Mais la réalité était que rien de significatif ne touchait fortement les USA.

Si l’on veut frapper un grand coup, annonçons que nous allons taxer les armes américaines ou au moins un panel significatif dans les domaines où l’Europe est capable de prendre le relais ! Peut-être que cela amènera l’administration américaine à réduire ses prétentions et à discuter sérieusement. On le voit dès à présent dans la liste des « rétorsions » de la commission face à la hausse des taxes US sur l’acier et l’aluminium très limitée et juste ajustée à des sommes équivalentes à celle imposées par Trump. Bref c’est une position qui n’est en rien dissuasive !

Il est à craindre que la commission européenne comme d’habitude s’enlise dans des recherches de vains compromis sans avoir auparavant créé l’indispensable rapport de force ! Pire que Madame Von der Leyen négocie un fois de plus avec le prisme des intérêt allemands !

5- Pour mettre en œuvre une économie de défense et de souveraineté, en France aussi il faut changer d’orientations économiques et budgétaires et engager une politique de relance ! Relance par des investissements productifs (dont l’armement mais pas seulement) et par la consolidation de notre modèle social.

Relancer une économie de défense doit aller de pair avec un esprit de défense. Car face aux dangers, un peuple ne gagne pas seulement avec des moyens militaires (il en faut et les utiliser à bon escient) mais aussi un esprit de défense et cela exige plus de cohésion sociale, plus de justice, et autant que faire se peut la défense d’un idéal commun. Pour la France, c’est la République.

De surcroit, pour financer ces nouvelles dépenses, il est impératif de soutenir une politique de croissance qui, seule, garantit des ressources nouvelles et importantes. Il nous faut un grand plan de relance d’investissements productifs au sein desquels la recherche doit avoir une place significative car notre pays est très très loin derrière les autres pays développés. Il faut urgemment rattraper notre retard.

Mais une économie de défense et de souveraineté ne peut se contenter de soutenir les investissements militaires, elle doit concerner de très nombreux secteurs civils. D’ailleurs il est essentiel de bien mettre en synergie les deux dimensions civiles et militaires !  Insistons sur la reconquête d’une souveraineté numérique et technologique.

Face aux menaces chacun doit participer à proportion de ses facultés.

Emmanuel Macron a eu grand tort, a fait une grave erreur lorsqu’à peine disait-il que nous avions à faire face à une menace existentielle qu’il se précipitait à dire qu’il n’y aurait pas de hausses d’impôts, en clair que les plus riches ne seraient pas mis à contribution. Quelle honte !

Hélas, l’histoire a montré qu’une large part du patronat a souvent privilégié son portefeuille à la défense de la Nation et rares sont ceux qui ont fait œuvre de patriotisme et de résistance (il y en a eu néanmoins).

En tout cas faire porter l’effort de réarmement sur les salariés, sur la dégradation de notre modèle social serait une énorme erreur et serait voué à l’échec !

L’adhésion du peuple suppose la justice, l’effort d’abord demandé aux plus riches, au plus forts, une meilleure redistribution des richesses au service de l’intérêt national !

Je le répète c’est un impératif pour réussir !

Ni va-t’en guerre, ni tentés par une sous-estimations des menaces venant de Russie ou d’ailleurs, nous ne devons pas tarder à nous préparer à ce monde nouveau qu’il nous faut affronter avec lucidité, courage (en particulier de sortir des voies suivies jusqu’alors et qui nous ont affaiblies) avec chevillée au corps l’ambition d’être un peuple maître de son destin et de concourir à un monde qui ne saurait être partagé entre des empires dominants !

Bien d’autres questions et choix vont se poser à nous dans les mois qui viennent. C’est toute la noblesse d’une démocratie d’en débattre. Faisons-le sans tarder, sans esquiver les difficultés, avec sérieux en sortant des postures de communication ou des invectives et déclarations réductrices. Dans ces temps difficiles, soyons plus que jamais pleinement citoyens.

Marie-Noëlle Lienemann
ancienne ministre,
coordinatrice nationale de la GRS,
membre du conseil économique, social et environnemental

Protéger l’Europe et soutenir l’Ukraine ne justifie pas d’accélérer son adhésion à l’UE !

communiqué de presse d’Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste – mercredi 12 mars 2025

Je me suis abstenu sur la résolution débattue ce jour à l’Assemblée nationale pour renforcer notre soutien à l’Ukraine. 

La guerre déclenchée il y a trois ans par les armées de Vladimir Poutine a semé la mort et la destruction dans un pays qui n’aspire qu’à la liberté, la démocratie et l’indépendance.

La France a raison d’entreprendre une action résolue en faveur d’une paix juste et durable en Ukraine, assortie de garanties de sécurité suffisantes pour dissuader la Russie de jamais reprendre les hostilités.

A cet égard, la proposition conjointe des États-Unis et de l’Ukraine pour un cessez-le-feu est un pas dans la bonne direction. A présent, la balle est dans le camp de la Russie.

Mais la sécurité collective du continent européen nécessitera des efforts au long cours de la part des pays européens et de la France, dans le strict respect de son pacte social.

Nos compatriotes rejettent l’impérialisme meurtrier du Kremlin et souhaitent que l’Union européenne, enfin émancipée de la tutelle américaine, soit forte contre cette menace.

Mais ils ne souscrivent pas à l’idée que pour ce faire, l’Ukraine doive adhérer à l’UE, a fortiori de façon accélérée ! Une telle adhésion provoquerait des déséquilibres financiers et économiques insolubles, particulièrement pour nos agriculteurs.

Ces derniers ne sauraient être la variable d’ajustement d’un mouvement irréfléchi qui mettrait en danger notre souveraineté alimentaire et au-delà, l’idée même de la construction européenne.

Les Français soutiennent la volonté exprimée par la majorité des forces politiques pour soutenir l’Ukraine contre son agresseur. Mais toute volonté d’accélérer l’histoire sans les consulter serait vouée à l’échec.

intervention d’Emmanuel Maurel en séance le mercredi 12 mars 2025 à l’Assemblée nationale

La France et les Européens doivent refonder leur stratégie géopolitique

Cette contribution au débat a été rédigée le vendredi 21 février 2025 par Frédéric Faravel pour nourrir la réflexion au sein de la Gauche Républicaine et Socialiste sur l’évolution brutale et rapide de la situation géopolitique européenne et internationale. Elle vise à sortir le débat public des alternatives caricaturales qui dominent dans les médias et les réseaux sociaux.

Il y a dix ans, la série TV norvégienne Occupied paraissait parfaitement décalée avec son scénario d’accord secret entre l’Union Européenne et la Russie pour subvertir une Norvège écolo ayant décidé d’abandonner l’extraction du pétrole en mer du nord. Aujourd’hui, on ne peut exclure le scénario d’une série finlandaise Conflict : un pays européen envahi à l’Est de l’Europe, les États-Unis très présents au début qui expriment très clairement le fait qu’ils n’apporteront pas de soutien aux membres de l’OTAN.

L’un des éléments majeurs du problème des États européens aujourd’hui est ainsi pointé : alors que toute l’Europe a fondé sa sécurité collective sur la solidarité américaine – plus encore après la chute du mur de Berlin quand pour les États d’Europe centrale et orientale l’adhésion à l’OTAN primait sur « l’intégration européenne » – elle ne bénéficie plus totalement du parapluie ou du bouclier américain. Les arguments invoqués à demi-mot par les Américains dans la série finlandaise paraissent assez réalistes : la priorité est donnée à la compétition avec la Chine en Asie et dans la zone indopacifique, c’est donc aux Européens de se débrouiller pour apaiser la situation et trouver une solution diplomatique sans réel soutien militaire.

Si l’élection de Donald Trump, et son accointance manifeste pour les États autoritaires et la conduite illibérale des affaires intérieures et internationales, est un facteur aggravant que nous voyons aujourd’hui dans la façon dont il tente de dépecer l’Ukraine au profit du Kremlin, il semble cependant évident que la toile de fond durable et générale de la géopolitique européenne, c’est une Europe de plus en plus aux prises avec une rivalité croissante qui se déroule entre trois grandes puissances impérialistes : les États-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie. Depuis des mois, voire des années, l’Europe est spectatrice, « victime collatérale », mais pas véritablement actrice de cet affrontement entre ces trois puissances.

La provincialisation de l’Europe ?

Comment est-on passé d’une situation où les États européens disposaient de la puissance et en usaient régulièrement sur un mode impérialiste, puis une Europe qui restait le cœur des enjeux économiques et géopolitiques, à une situation où l’Europe est devenue vassale et sur la voie de la marginalisation ? Les Européens ont d’une certaine manière unifié la planète : la première véritable mondialisation est passée par la colonisation, une « œuvre » européenne qui passe par le commerce, la guerre et la conquête, et du XVIIIème au début du XXème siècle les rivalités européennes ont fait du monde un champ de bataille unifié, un système poli, un système international unifié. Depuis le XXème siècle, c’est exactement l’inverse : les rivalités entre grandes puissances mondiales façonnent et transforment l’Europe et ont pesé par ailleurs sur son processus d’intégration.

L’Europe va-t-elle devenir provinciale, marginalisée par des grandes puissances extra-européennes, sans même en être le champ de bataille, l’arène principale de la compétition de puissance ? C’était pourtant encore le cas pendant la guerre froide, où Soviétiques et Américains se disputaient le contrôle de l’Europe. Non seulement les États européens semblent avoir perdu toute puissance, mais les puissances réelles s’occupent en réalité d’autres régions.

Nous savons que les États-Unis en tout cas ne considèrent plus l’Europe comme un enjeu réellement important. Avec Obama, Trump I et Biden (mais c’était déjà un sujet sous Clinton), ils se sont avant tout focalisés sur l’Asie et la zone indopacifique, en compétition avec la Chine, et Trump II – malgré les diversions contraintes où il doit amuser la galerie (Ukraine et Gaza) – concentre en réalité ses intervention sur le continent américain : toutes ses initiatives importantes depuis le début de son second mandat montrent plutôt un resserrement sur ce qu’on appelait l’hémisphère occidental, c’est-à-dire le pré-carré, Canada, Groenland, Panama…

En Europe, la priorité de Trump semble d’avoir la paix le plus rapidement, presque à tout prix, pour ne pas avoir à donner de troupes en Europe et à poursuivre le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Les provocations sur Gaza et la « Riviera du Proche-Orient » occupée par les Américains ne ressemblent en rien à une solution pérenne et semblent plutôt relever de la diversion. Pour l’Ukraine, manifestement, il n’y a pas non plus de solution évidente, mais celle qu’il répète avec son entourage est assez constante : il faut s’arrêter à la ligne de front actuelle et donner satisfaction au Kremlin sur le reste, soit un désarmement et une neutralisation de l’Ukraine (voire son émiettement) qui sinon serait une menace pour les pauvres russophones ; c’est en fait une reprise complète des arguments et des angles d’attaques traditionnels de Poutine.

La mobilisation des Européens, ainsi que la visite d’Emmanuel Macron à Washington en février, pourraient avoir infléchi la propension du Président américain à la capitulation, en obtenant de sa part des assurances, à ce stade verbales, sur les garanties de sécurité de l’Ukraine. Mais la versatilité et l’imprévisibilité de Trump incitent à la prudence. Avéré le même jour au Conseil de sécurité de l’ONU, où les USA se sont alliés à la Russie sur une résolution sur l’Ukraine ne comportant plus référence à son intégrité territoriale ni à son agresseur, cet alignement signifie que les États-Unis pourraient ne pas honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs alliés.

On pourra toujours rationaliser l’exigence de Trump I de voir les États européens membres de l’OTAN accroître leur participation financière à l’Alliance et leurs budgets militaires (sur ce dernier point, on peut même se dire qu’il y a une logique) mais on peut aussi y voir un prétexte qui servira le moment venu à se désengager en invoquant « l’absence d’effort » des Européens. Cette inquiétude européenne pousse les Ukrainiens à rentrer dans le débat pour ne pas être pris entre l’enclume américaine et la masse russe. Kyïv envoie ce message : « il faut pas que le sort de l’Europe soit décidé sans l’Europe, qu’elle soit court-cuitée par les grandes puissances ». Il y a quelques semaines à Davos, Volodymyr Zelensky disait que « le grand problème de l’Europe, c’est qu’elle peut pas se défendre ». Reconnaissons que c’est bien un problème parce que cela nous rend faibles et vulnérables et cela induit en réalité que personne n’éprouve le besoin d’écouter aucun des États européens.

L’Europe ? Combien de divisions ?

Le sujet n’est pas tant celui de l’Union Européenne car il faut également tenir compte de la Grande Bretagne. Qu’on le veuille ou non – les positions de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la sortie dans un premier temps du commandement intégré de l’Alliance atlantique sont explicites et elles peuvent servir de base pour réfléchir à une stratégie sans OTAN – nous sommes intégrés ensemble dans le cadre de l’OTAN. Toute évolution visant à sortir la France et l’Europe de son statut de faiblesse passera nécessairement par des initiatives en coordination avec la Grande Bretagne. Le Royaume-Uni est un pays qui, même s’il n’est plus dans l’Union européenne, est intéressé à la stabilité européenne.

Le problème de l’Europe n’est pas tant qu’elle n’aurait pas d’armées ou de budgets militaires – ils sont insuffisants mais les efforts dans ce domaine croissent – c’est que la dispersion, l’absence de coordination empêche toute conception d’une ligne de défense solide, vis-à-vis d’un régime russe agressif, qui puisse garantir d’alimenter l’Ukraine en armes si jamais, comme cela semble se dessiner, il faudrait l’assumer sans les États-Unis, et qui puisse garantir la sécurité de l’Ukraine si on doit lui donner des garanties de sécurité. Plusieurs petites armées, cela fait-il une grosse armée ?

C’est également un problème dans le dialogue avec Trump, qui veut imposer à chaque membre européen de l’OTAN de dépenser 5% de son budget pour sa défense. Une meilleure coordination au sein de l’UE avec une dépense à hauteur de 5% conduirait à dépenser collectivement plus que les USA en matière militaire. L’absence totale de coordination militaire et industrielle, la soumission de la majorité des armées européennes au marché militaire d’occasion américain, la concurrence entre productions et marchés européens (au bénéfice du matériel américain) aboutit dans la croissance de nos efforts budgétaires militaires à une colossale perte d’énergie et de crédits.

En 2023, la France a dépensé 2,1% de son budget pour la défense, contre 1,8% auparavant, un effort important dans le contexte budgétaire actuel. L’absence de coordination des dépenses pourrait donc à court terme poser des problèmes budgétaires croissant. Quand on doit acheter certains équipements dits « consommables » en masse – munitions, missiles, drones –, des équipements qu’on peut perdre rapidement et massivement sur le champ de bataille, il faut pouvoir renouveler très rapidement les stocks : une politique d’achat nationale non seulement rend difficile voire impossible cet objectif mais en plus facilite la submersion par le matériel américain en l’absence de toute règles collectives. L’exemple le plus parlant en la matière, c’est l’initiative de 2023 sur les munitions : les Européens se sont accordés pour fournir un million de d’obus d’artillerie aux Ukrainiens, mais en décidant que chacun d’entre eux négocie son contrat dans son coin, sans coordination (on ne parle même pas de centralisation), avec une politique d’achat interne ou extérieure. Résultat, les obus sont arrivés très tard (trop tard) en Ukraine à un moment où il aurait fallu peut-être arriver à deux millions ou trois millions d’obus.

Obus du canon CAESAR

Cet exemple a été mis en avant Kaja Kallas1, haute représentante de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui a suggéré de suivre l’exemple de la rationalisation européenne des achats de vaccins durant la crise sanitaire en se donnant les moyens de discuter en force avec l’industrie sur les prix, le rythme, la rapidité, la quantité. Cependant on ne sent pas que cette analyse et cette impulsion évoquées par la Haute Représentante soit reprise au vol par la présidente de la Commission européenne pour initier une démarche auprès du Conseil et du Parlement européens ; Ursula von der Leyen, ancienne (et très mauvaise) ministre de la défense d’Angela Merkel, semble avoir conservé les réflexes de l’ère Merkel sur les intérêts énergétiques allemands qui passent par la nécessité de ménager le Kremlin. [Les 800 milliards d’euros annoncés début mars par Ursula von der Leyen sont en réalité 150 milliards de prêts garantis et la représentation de ce que représenteraient une autorisation à dépasser les contraintes européennes imposées au budget nationaux de 1,5 points, donc 650 milliards. La Pologne, la France, la Roumanie, la Finlande, la Belgique sont déjà au-delà ; les marges de manœuvre seraient donc limitées à la Suède et l’Allemagne (cette dernière ayant par ailleurs accumulé des retards massifs d’investissements publics) : l’argent frais n’est donc pas apporté par cette initiative.

Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous a permis de nous rendre compte à quel point les capacités, par exemple, militaires françaises étaient faibles en termes purement quantitatifs, sur les chars, sur les obus, sur les munitions. Très rapidement, nous avons été à court de munitions. Les efforts que l’on a fait en matière de tanks étaient important pour nous, mais dérisoires à l’échelle du conflit ; ce que l’on a réussi à envoyer en Ukraine ce compte en unités.

Quelle initiative française ?

Historiquement, la France n’a pas vraiment été une puissance très européenne en matière de défense. Même si nous aimons dire que nous avons été les premiers à ne pas avoir totalement confiance dans la fiabilité de la protection américaine, notre capacité à maintenir notre rôle de puissance africaine était aussi une conséquence de la « protection américaine » comme une puissance installée pour la défense de l’Europe occidentale. Or ces dernières années, en parallèle à la guerre en Ukraine, la France a subi l’effondrement complet de ses positions en Afrique (et le Royaume Uni également dans une moindre mesure).

L’armée française est sans doute en train de vivre une sorte de révolution culturelle : on passe de la logique d’une armée qui se veut « légère », capable d’agir un peu toute seule en se déployant très rapidement, avec des effectifs légers qui peuvent aller assez loin (notamment en Afrique), à une logique où il faut se penser comme une armée européenne en Europe, une armée qui doit avoir plus de stocks et plus d’équipements lourds et qui doit plus penser sa complémentarité avec les autres briques des armées européennes et, si ce n’est la mutualisation de certains équipements, le partage de certaines pratiques avec d’autres armées européennes pour être influente dans une logique de coalition. Ce ne sont donc plus les mêmes qualités et valeurs qui doivent être encouragées.

Cela ne signifie pas que la France doit renoncer à être influente en Afrique, notamment dans les pays francophones, mais elle ne le fera sans doute pas sous la forme de partenariats militaires tels qu’ils existaient voici encore 7 ans : un long chemin de rétablissement de notre image est devant nous, image qui pour l’instant ne nous permet pas de contester les positions acquises par les Chinois ou les proxies russes à notre détriment. Dans le même temps, notre appareil de défense doit à nouveau se repenser dans le champ de la transformation de la position européenne.

L’opportunité polonaise

Il y a aujourd’hui un État qui, pour des raisons que l’on comprend aisément, souhaite désormais une « Europe de la défense », alors qu’il s’en est longtemps désintéressé ; un pays qui augmente son budget militaire : la Pologne a atteint les 4,7% de son budget consacré à la défense, à comparer aux 2,1% français, la Pologne qui réclame désormais – comme l’a longtemps fait seule la France – que ces dépenses soient comptées à part dans les règles budgétaires européennes, voire soient en partie prises en charge par le budget de l’Union Européenne, puisque la frontière polonaise est la frontière de l’Union Européenne avec le bloc russe.

La Pologne est en première ligne pour observer la dégradation sécuritaire de toute la zone, avec l’invasion de l’Ukraine et tout récemment le désengagement annoncé des Américains de l’OTAN. La Pologne veut être protégée d’une énième invasion russe, elle alerte sur des modes multiples depuis des années sur le péril et c’est un sentiment parmi les dirigeants politiques polonais qui apparaît comme parfaitement consensuel et transpartisan ; cette menace était déjà soulignée en 1999 par Aleksander Kwaśniewski, président de la Pologne social-démocrate (ex-communiste) entre 1995 et 2005 ; le PiS, ultra-conservateur et nationaliste, reprenait les mêmes éléments dès 2015, et aujourd’hui Donald Tusk, premier ministre libéral, développe les mêmes arguments.

La Pologne est passée d’une sécurité « assurée » par le pacte de Varsovie, par l’Union soviétique, à une sécurité assurée par l’OTAN. Dès 1990, Lech Wałęsa expliquait que la Pologne avait vocation à entrer dans l’OTAN dans une vision polonaise d’une guerre froide emportée par le camp occidental et par une troïka qui, pour les Polonais, s’incarnait en Jean-Paul II, Ronald Reagan et l’OTAN. L’idée que cette sécurité polonaise serait toujours assurée par l’OTAN, alliance militaire la plus efficace de l’histoire, est en train de glisser vers la nécessité qu’elle le soit également par l’Union Européenne et par la Pologne elle-même. Ce glissement, depuis le début de la guerre en Ukraine, est un axe essentiel, incarné par la multiplication des accidents de frontières, dès qu’un drone ou un missile tombe d’un côté ou de l’autre ; la question qui se pose aux Polonais est comment et qui pourrait les aider à tenir.

La Pologne n’est pas le seul pays dans ce cas alors qu’elle est, d’une certaine manière, déjà en guerre hybride contre la Russie, avec l’intrusion des drones, avec des miliciens de Wagner qui font des manœuvres le long de sa frontière. C’est déjà un premier niveau qui est franchi, la Pologne construit une sorte de bouclier oriental qui va en partant de l’enclave de Kaliningrad, puis le long de la frontière biélorusse, avec à la fois des éléments de défense concrets (barrières anti-char, hérissons d’acier, tout élément censé ralentir la progression d’une armée d’invasion terrestre) et des éléments de « smart défense » (informations, transmission de désinformation, etc.).

Pendant longtemps, la France et la Pologne pouvaient donner l’impression de regarder dans des directions très différentes. La France, intéressée plutôt par l’outre-mer, par l’Afrique ; la Pologne, évidemment rivée sur sa frontière terrestre. La France, parfois sceptique vis-à-vis de l’allié américain, la Pologne, extrêmement engagée sur l’importance du partenariat transatlantique… Finalement, l’évolution de la tectonique des grandes puissances – Poutine et Trump par-dessus nous – nous a rapprochés. Les Français sont contraints de penser leur système de défense dans un cadre plus européen qu’avant et sont par la force des vents contraires moins en Afrique et plus présents en Europe. Et désormais les Polonais sont plus intéressés à des solutions complémentaires à l’OTAN. C’est ainsi qu’ils poussent ou partagent désormais l’idée d’avoir peut-être des emprunts européens, d’avoir un pot commun européen pour faire des investissements conjoints. Il y a eu des rumeurs fin 2024 sur leur souhait de proposer 100 à 500 milliards d’euros pour emprunter en commun sur des grands projets collectifs qu’il faudrait mettre en place entre Européens, comme une défense antimissile.

Olaf Scholz, Chancelier allemand (SPD) démissionnaire, et Donald Tusk, premier ministre (libéral) polonais

Donc d’un côté, des Français qui parlent plus de pilier européen au sein de l’OTAN, un langage qui est devenu audible à Varsovie, et, de l’autre, des Polonais qui parlent plus de solutions entre Européens, y compris par l’Union Européenne. Or si les Français et les Polonais, qui sont deux États qui accordent beaucoup d’importance à la défense, regardent dans des directions différentes, il n’y a pas de défense européenne ; s’ils regardent dans la même direction, il y a une opportunité.

Les relations entre la France et la Pologne sont anciennes. Sans remonter à Henri III et Napoléon, deux acteurs qui fleurent bon l’Ancien Régime ou l’Autocratie, on peut penser au rétablissement de l’indépendance polonaise en 1919 et à l’alliance militaire qui, dès ce moment, est conclue entre nos pays. Charles De Gaulle – pour lequel la défense fût toujours une affaire nationale – était ainsi aux premières loges entre avril 1919 et début 1921 comme instructeur de la jeune armée polonaise qui devait faire face à la première invasion soviétique ; le commandant puis le colonel De Gaulle défendit toujours le système d’alliances de la République française en Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie) qui s’accompagnait de garanties de sécurité, certes dissymétriques mais réciproques, alors que le Maréchal Pétain et ses séides le dénigraient et plaidaient pour un isolationnisme conséquent derrière la ligne Maginot (contrairement à ce que raconte sa fiche wikipédia). Contrairement aux idées reçues, la Pologne s’est relativement bien défendue en septembre 1939 face à la Wehrmacht : l’effondrement fut avant tout précipitée par l’attaque sur le flanc Est, avec l’invasion soviétique consécutive au pacte Ribbentrop-Molotov signé quelques semaines plus tôt. La France se rua courageusement derrière la ligne Maginot : l’abandon de la Tchécoslovaquie à Munich a pavé la défaite de 1940.

Faire face aux périls

Poutine parie aujourd’hui sur le fait que les États-Unis prennent leurs distances avec des Européens désorganisés et faibles. Cela représente pour le Kremlin une ouverture pour avancer d’une manière ou d’une autre, que ce soit de façon directe, comme en Ukraine (Moldavie, Kazakhstan, pays baltes), ou de façon plus indirecte, hybride, mais de façon opportuniste (notamment en déstabilisant les sociétés et leurs élections comme en Géorgie ou en Roumanie aujourd’hui ou avec des alliés explicites comme la Slovaquie ou la Hongrie).

La Pologne et toute l’Europe baltique et balkanique sont acculées également parce que la Russie est désormais 100% focalisée sur son industrie de guerre, ce qui n’est pas le cas de l’Europe, loin de là. Les élites russes ont tout misé sur la guerre de Poutine, les oligarques ont intérêt à ce que la guerre paye car la Russie n’a pas reconstruit son économie après la fin de l’URSS : elle reste d’abord et avant tout extractiviste et prédatrice sans réellement profiter aux Russes eux-mêmes. La menace est aussi là.

Chacun s’accorde désormais à considérer que cette menace est sérieuse et que les USA ne bougeront pas. Cela signifie qu’on doit être capable de se défendre, donc capable de se battre à la frontière polonaise. Jusqu’au sommet de l’OTAN à Madrid 2022, on a considéré qu’il était suffisant de positionner quelques troupes à l’Est (comme nous en avons dans les pays baltes aujourd’hui). Nous avons changé de paradigme depuis Madrid, alors que Biden était encore à la Maison-Blanche : il s’agit d’être capable si la situation se présentait de repousser l’armée russe à la frontière. Cela veut dire qu’il faut des pays forts à la frontière, comme la Pologne. Ça veut dire aussi que les pays d’Europe de l’ouest, comme la France, doivent être présents à la frontière car nous n’aurons pas d’alliés sans leur offrir des garanties de solidarité. Car il est évident qu’après la manipulation des services russes en Afrique contre les intérêts français, tout repli de notre pays face aux ingérences du Kremlin sera considéré comme un encouragement.

C’est la raison pour laquelle la France a renforcé sa présence en Roumanie, mais nous sommes loin d’avoir atteint les capacités nécessaires. 1.000 ou 1.500 soldats européens dont des Français en Roumanie sont une force dérisoire par rapport au nombre de soldats mobilisés aujourd’hui par la Russie sur le front ukrainien. En cas d’attaque réelle d’un État de l’Union Européenne, le plan de l’OTAN était d’arriver à 100.000 soldats collectivement en quelques jours en cas d’attaque. Aujourd’hui, malgré le désengagement annoncé des États-Unis (donc l’inconsistance de l’OTAN), l’effort à fournir est le même. Or plus on a de soldats sur place, plus on est capable de réagir vite et de rassurer des pays à la frontière qui n’ont pas envie d’avoir une occupation longue et des massacres comme à Boutcha. Cela fait partie de la confiance entre alliés de dire qu’on est capable de vous défendre à la frontière, pas des années après.

Plus que la Pologne ce sont plutôt les pays baltes, qui sont les premiers menacés, car, fort heureusement, la Russie n’a pas les moyens, d’agresser un autre pays à la profondeur géographique de la Pologne ; si elle devait choisir d’entrer quelque part, ce serait plutôt dans un pays balte. C’est pourquoi plusieurs dizaines de milliers de soldats européens et canadiens de l’OTAN (et jusqu’à 100.000 pour un plan de déploiement) y sont stationnés, à comparer aux 1.500 postés en Roumanie. La faible profondeur stratégique de l’Estonie, par exemple, donne une raison de plus pour être solide à la frontière, parce qu’on ne peut pas mettre en oeuvre une défense élastique, où on recule un petit peu pour pouvoir contre-attaquer ensuite. Cela renforce l’importance de la crédibilité entre alliés. D’autres encore sont fragiles et on peut penser à la Moldavie, pour laquelle la guerre en Ukraine est une réalité proche avec les troupes russes positionnées dans la pseudo-république de Transnistrie (figée dans un temps parallèle brejnevien).

Soldats européens en manœuvre dans les pays baltes dans le cadre de l’OTAN

Donald Tusk avait expliqué récemment que, dans le fond, les premiers partenaires de la Pologne étaient avant toute chose les États baltes et nordiques, traumatisés eux-aussi comme la Pologne par les conséquences immédiates du pacte germano-soviétique. C’est aussi important de le rappeler, Poutine ayant fait de la réécriture de l’histoire une arme de destruction massive, niant l’existence du protocole secret entre Ribbentrop et Molotov qui n’auraient signé qu’un accord de non-agression, l’invasion de la Pologne étant de sa seule responsabilité (c’est ce qu’il a expliqué dans l’entretien qu’il avait accordé en 2023 à Tucker Carlson). Voilà qui est encore incandescent dans l’état d’esprit des peuples baltes et polonais dont il ne s’agirait pas de sous-estimer la force du patriotisme. Or c’est bien dans les pays baltes qu’a commencé la dislocation de l’empire soviétique avec des manifestations qui y exigeaient la publication du protocole secret Ribbentrop-Molotov, nié par le pouvoir soviétique.

La responsabilité de la France

Pendant 45 ans, les menaces ont été – malgré des points chauds – relativement figées par l’équilibre nucléaire, menaces réciproques heureusement jamais mises à exécution. Cela donne aux pays qui ont une force nucléaire une responsabilité particulière, parce qu’ils sont mieux protégés, comme disposant une capacité de dissuasion : Poutine peut toujours menacer la France de l’arme atomique, il sait que sa menace si elle était mise à exécution l’exposerait rien qu’avec l’arsenal français à des dégâts peu imaginables quand bien même notre pays subirait une catastrophe complète.

La France a une position intermédiaire dans ce débat. Elle a une doctrine, qui est que son arme nucléaire vise à « protéger les intérêts vitaux de la Nation », dans une logique essentiellement nationale, mais la France ajoute à cela une sorte de note de bas de page : les intérêts vitaux de la Nation ont une dimension européenne. Cette position a été rappelée l’année dernière en Suède par le président de la République, débat ouvert devant des Suédois qui, il n’y a pas si longtemps encore, revendiquaient une neutralité relative2, mais qui demandaient à la France si ce type de dissuasion pouvait participer de la sécurité européenne.

Dans le même temps, d’autres États membres de l’Union Européenne ne sont pas forcément à l’aise sur l’ouverture de ce dialogue et n’ont pas envie de dire publiquement que la protection américaine ne nous suffit plus, craignant que cela donne l’impression à la Russie que le dispositif de défense est rompu. Il y a donc un débat à relancer, un vocabulaire commun à construire. Avec l’élection de Trump et le désengagement américain de l’OTAN, trouver la formule qui permette de dire que la défense des intérêts vitaux nationaux de la France se jouent aussi en Europe – non pas pour soumettre l’usage de la dissuasion nucléaire française (pas plus que la Britannique) à un aréopage bavard (cela doit rester notre prérogative) – serait bienvenue vis-à-vis de la Russie et surtout pour la confiance avec nos alliés européens.

À ceux qui prétendraient que l’usage de l’arme atomique par la France ne sauraient s’entendre que dans la protection stricto sensu du territoire national, rappelons que les deux fois où la bombe américaine a été utilisée ce fut à des milliers de kilomètres des USA et que les fois où il fût envisagé de le faire avec des alertes maximum, il s’agissait de Berlin et de Cuba. À tout prendre, on peut entendre le fait que la construction du Mur de Berlin met un terme à une crise de trois ans avec une tension nucléaire intense et réelle : c’était sans doute moins grave que la bombe. A contrario, le fait que l’Ukraine ait décidé de se débarrasser de ses armes nucléaires doit aujourd’hui être observé avec des regrets ironiques, c’est en tout cas une partie du débat a posteriori en Ukraine : « donnez-nous des garanties de sécurité, parce que, sinon, on va regretter de s’être débarrassé de cette garantie de sécurité importante qui était le fait d’avoir une arme nucléaire » ou « on va se demander s’il ne faudrait pas, à l’avenir, nous doter à nouveau d’armes nucléaires ». C’est réversible assez facilement. Facilement, pas forcément d’un point de vue politique, mais d’un point de vue technique, les Ukrainiens comme beaucoup d’autres en ont la capacité.

La plupart des États autour de nous, que ce soit la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, parlent tous d’une protection pas simplement de leur territoire national, mais aussi de leurs alliés. Par-dessus tout, il faut aussi concevoir que les impérialismes renaissant, qui lancent des guerres d’agression (ou menacent de le faire), le font toujours parce qu’ils calculent que les risques sont minimes : donc créer une forme d’ambiguïté stratégique, d’insécurité face à des pouvoirs bellicistes est nécessaire ! Le message doit être : il n’y a rien à gagner à s’attaquer à l’Europe !

Ce renforcement de la sécurité européenne passe bien entendu par une discussion réelle entre la Pologne, la France et l’Allemagne, également avec les Britanniques, et en associant sérieusement des partenaires militaires relativement solides (Italie, Espagne, Suède …) : nous devons viser une reconstitution du « triangle de Weimar »3, avec un rapport à égalité entre la Pologne et l’Europe occidentale, et non un couple franco-allemand mythifié (on a payé pour savoir) s’imposant aux autres. Aujourd’hui d’ailleurs c’est un moteur franco-polonais qui peut faire bouger l’Allemagne, souvent plus réticente, plus paralysée par ses doutes ; Français et Polonais peuvent dans ce triangle composer une valse à deux, à deux face à un.

Dans ce cadre, il faudra poser les fondements de ce qui peut être une nouvelle alliance, qui ne soit pas une armée européenne (incapable de respecter la question de la souveraineté), mais qui permettent une véritable coordination militaire. La question de l’industrie et de sa coordination doit également être posée, tout comme celle du marché de l’armement en veillant à ce que nous cessions collectivement de saper notre indépendance, donc en arrêtant de s’en remettre systématiquement au matériel américain.

Nous avons un devoir

Ces débats à gauche dans des moments tragiques nous les avons déjà eus. Par fascination pour la force, par naïveté pacifiste malgré l’agression ou par lâcheté, certains ont préféré s’incliner devant les brutes, c’était le cas de Paul Faure – secrétaire général de la SFIO de 1921 à 1940 – qui portait comme une croix le refus absolu de la guerre, même de défense, après les fautes de 1914. À cause de ces illusions, il choisit Pétain et la collaboration.

Face à lui et à la majorité des socialistes, Blum décida pourtant comme président du conseil un grand plan de réarmement dès 1936. Cet effort indispensable avait été mené sans l’opposer à la mise en œuvre d’un programme inédit de progrès social et économique rendu possible par la mobilisation des ouvriers lors des grèves de mai-juin 1936. Les efforts consentis par la Nation pour sa défense ne pouvaient réussir sans soutien populaire (et n’oublions pas que le détricotage dès 1938 des acquis du Front Populaire a prodigieusement sapé ce soutien) : tous ceux qui aujourd’hui prétendent que le réarmement nécessaire de la France et des démocraties européennes ne pourra se faire qu’à la condition de faire le deuil de notre modèle social nous conduisent donc à un dramatique échec, s’ils devaient prévaloir, tout comme ceux qui expliquent en miroir qu’il faut refuser l’effort de défense pour renforcer notre modèle social. Au contraire, nous devons affirmer que l’effort de réarmement et de réorganisation militaire fonctionnera, sera soutenu parce que les Français verront leur modèle social être conforté, et vus les dégâts encaissés depuis 30 ans être réparé, parce qu’ils soutiendront un système qui permettra de défendre la Liberté et la démocratie républicaine ET l’Égalité et la République sociale.

Blum dénonça en 1938 le « lâche soulagement » qui n’avait rien résolu à Munich. Avec lui, Léo Lagrange plaidait pour la lucidité antifasciste : les Radicaux et une partie de ses camarades socialistes refusèrent qu’il fût nommé ministre de la défense nationale (on récolta pour notre malheur Daladier) car jugé belliciste. Après avoir laissé son nom à l’émancipation de la jeunesse et des prolétaires, par le sports et les loisirs, il mourut à 39 ans sur le front le 9 juin 1940 juste avant que la défaite ne pose en des termes différents la question de la survie de la Nation.

Soyons des Léon Blum et des Léo Lagrange qui réussissent…

Frédéric FARAVEL

  1. Kaja Kallas, première ministre de l’Estonie de 2021 à 2024. Présidente du parti de la réforme, affilié à Renew Europe. Elle a été nommée Haute représentante de l’UE et vice-présidente la Commission européenne le 1ᵉʳ décembre 2024. ↩︎
  2. Sans être membre de l’OTAN et tout en revendiquant sa neutralité, la Suède a rejoint le Partenariat pour la Paix en 1994 (un an avant de rejoindre l’UE) et elle a officiellement reconnu ses engagements de solidarité stratégique à l’égard des autres États membres de l’Union Européenne en 2009. Elle est également liée depuis longtemps par des accords sur le renseignements avec les services occidentaux. ↩︎
  3. Le Triangle de Weimar définit la coopération trilatérale entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Il est, pour reprendre la formule de l’historien Bronisław Geremek « un instrument politique intelligent ». Concrètement, c’est un forum de rencontre, de dialogue et d’échange informel entre ces trois pays, et non un accord formel de coopération. ↩︎

« Non, nous ne laisserons pas tomber les Arméniennes et les Arméniens » – tribune dans Libération

Tribune de Léon Deffontaines, tête de liste de la Gauche unie pour les élections européennes, Emmanuel Maurel, député européen, en 3e position sur la liste de la Gauche unie et Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, en 73e position sur la liste de la Gauche unie – publiée dans Libération le 20 mars 2024 à 19h48

A quelques mois des élections européennes, Léon Deffontaines, Emmanuel Maurel, Pierre Ouzoulias de la liste de la Gauche unie, dénoncent le contrat gazier signé entre l’UE et l’Azerbaïdjan en 2022. Celui-ci permet au pouvoir azéri de disposer d’une manne financière propice à la conduite d’une guerre inacceptable contre la République d’Arménie.

En juillet 2022, la Commission européenne s’est compromise aux yeux des soutiens de l’Arménie, en signant un contrat gazier avec l’Azerbaïdjan, valable jusqu’en 2027. Chacun a encore en mémoire cette sinistre photo d’Ursula von der Leyen, posant à Bakou, aux côtés du dictateur Aliev, au terme d’une conférence de presse dans laquelle elle plaida pour un renforcement du «partenariat existant» au nom d’un «approvisionnement stable et fiable» en gaz.

Justifié par la guerre en Ukraine et notre accoutumance au gaz russe, cet accord doit prémunir les pays européens d’une rupture d’approvisionnement, tout en pénalisant les rentrées d’argent de Moscou, indispensables à la poursuite des offensives militaires menées par Vladimir Poutine en Ukraine.

Ce dernier point est très contestable, tant de lourds soupçons pèsent sur l’origine russe du gaz fourni par l’Azerbaïdjan à l’Union européenne. Ils ont d’ailleurs été dénoncés par les auteurs de ce texte, mais la Commission européenne s’est bien gardée de donner suite à ces interrogations, estimant qu’il n’y avait pas de doute sur la provenance du gaz.

Prête à tout pour éviter l’effondrement énergétique, Bruxelles a donné vie à ce contrat, offrant à Bakou la charge de prodiguer 3,5 % du total des importations gazières de l’UE en 2022, contre un montant de 15,6 milliards d’euros. Ces proportions devraient être sensiblement les mêmes pour l’année 2023, comme l’a d’ores et déjà indiqué la Commission européenne.

Autant d’argent qui permet aujourd’hui au pouvoir azéri de disposer d’une manne financière propice à la conduite d’une guerre contre la République d’Arménie, dont l’existence est plus que jamais menacée.

Azerbaïdjan a une nouvelle fois violé le droit international

Ce fut le cas dès le 13 septembre 2022, quand l’Azerbaïdjan a une nouvelle fois violé le droit international, en procédant à une offensive militaire contre l’Arménie, causant la mort de près de 170 personnes.

Que dire ensuite de l’invasion du Haut-Karabakh par l’armée azerbaïdjanaise en septembre dernier, entraînant la fuite de plus de 100 000 Arméniens, soit quasiment la totalité de la population, vers l’Arménie. Cet exode forcé a généré des drames humains dont nous mesurons à peine les conséquences.

Pour Aliev, derrière lequel se trouve Erdogan, cette offensive réussie signifie que les velléités de rétablissement de l’Empire ottoman ont toutes leurs raisons d’être, même si elles impliquent une résurgence du génocide arménien.

Conscient de la gravité de la situation, le Sénat a voté à la quasi-unanimité une résolution condamnant explicitement les agissements de l’Azerbaïdjan, tout en demandant des sanctions au niveau européen et international.

Plus récemment, ce fut au tour de l’un des auteurs de cette tribune de déposer un amendement au Parlement européen, exigeant la suspension immédiate de l’accord gazier passé entre la Commission et l’Azerbaïdjan.

A dix-neuf voix près

Hélas, celui-ci fut rejeté, à 19 voix près. Dix-neuf voix contre, dont celle de madame Valérie Hayer, tête de liste Renaissance pour les élections européennes, laquelle n’hésite pas à qualifier de «Munichois» tous ceux qui auraient l’outrecuidance de parler de paix en Ukraine, mais qui, manifestement, n’applique pas les mêmes principes moraux dès lors qu’il s’agit de l’Arménie. Dix-neuf voix contre, dont celles d’une majorité présidentielle, toute à sa gloire de célébrer la panthéonisation de Missak Manouchian, mais qui refuse de rompre ce contrat qui permet à Bakou de mener une guerre infâme à ceux qui lui ont survécu.

Contre ces tergiversations, indignes des Droits de l’homme et du soutien que nous devons à l’Arménie, nous réaffirmons notre volonté de mettre fin à cet accord inique. Cette proposition vaut pour aujourd’hui et pour le 10 juin prochain, au lendemain d’une élection européenne que nous espérons triomphante pour ceux qui, comme nous, ne laisseront pas tomber les Arméniennes et les Arméniens.

L’Ukraine dans l’UE ? Le débat entre Chloé Ridel et Emmanuel Maurel dans Mediapart

entretien croisé – propos recueillis par Fabien Escalona et Ludovic Lamant – publié le 13 mars 2024 à 14h57 dans Mediapart

L’Union européenne doit-elle s’élargir à l’Ukraine ? Alors que la question constitue l’un des clivages de la campagne électorale, Mediapart a organisé un débat entre deux candidats de gauche : Chloé Ridel (PS), favorable à cet élargissement, et Emmanuel Maurel (GRS, liste de la gauche unie pour le monde du travail), qui y est opposé.

Faut-il intégrer l’Ukraine à l’Union européenne (UE) ? Le pays a formulé une demande d’adhésion dans la foulée de son invasion par les troupes russes en février 2022. En décembre 2023, les dirigeants européens ont officiellement ouvert des négociations avec Kyiv.

Pour en débattre, Mediapart a organisé un échange au long cours entre deux candidats de gauche au scrutin européen du 9 juin prochain, en désaccord sur cet enjeu clivant de la campagne. 

Chloé Ridel, porte-parole du Parti socialiste (PS) et dixième sur la liste PS-Place publique emmenée par Raphaël Glucksmann, autrice du livre D’une guerre à l’autre : L’Europe face à son destin (L’Aube, 2022), a ainsi dialogué avec Emmanuel Maurel, élu depuis 2014 à Strasbourg, qui se présente en troisième position sur la liste portée par le communiste Léon Deffontaines au nom de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), après avoir figuré sur des listes PS (2014) et LFI (2019).

Mediapart : L’Union européenne a décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, un pays en guerre avec la Russie et partiellement occupé. Est-ce une bonne idée, et pourquoi ?

Chloé Ridel : Opposer un refus a priori d’entrer en négociation, ce serait d’abord renoncer à une ambition internationaliste. Notre rôle ne doit pas être d’opposer les peuples et les travailleurs, mais de réconcilier des ambitions : d’un côté, aider l’Ukraine à rentrer dans l’UE, car c’est son souhait ; de l’autre, réunir les conditions qui permettent de ne pas fragiliser notre industrie, notre agriculture, et l’architecture institutionnelle de l’Union.

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Emmanuel Maurel et Chloé Ridel. © Photos Laurent Hazgui pour Mediapart

S’opposer a priori à une perspective d’adhésion, comme le font aujourd’hui l’extrême droite, La France Insoumise et le Parti communiste, c’est aussi se priver d’un levier de transformation de l’UE. Dans tous les cas, le processus devra en effet être conclu à l’unanimité des États membres. Cela signifie la possibilité d’un veto, et donc d’un moyen de pression pour obtenir des améliorations progressistes. On doit profiter de ce processus pour demander une augmentation du budget européen, une réforme de la politique agricole commune (PAC) et une réforme des traités.

Les Ukrainiens ne meurent pas pour nous rejoindre. Ils défendent surtout leur intégrité territoriale et leur patrie.

Emmanuel Maurel

Emmanuel Maurel : Le problème, c’est qu’on nous présente la chose comme allant de soi. La position de Chloé n’est pas la même que celle des principaux responsables des institutions européennes. Quand on entend Charles Michel [président du Conseil européen – ndlr]Ursula von der Leyen [présidente de la Commission européenne – ndlr] ou Roberta Metsola [présidente du Parlement européen – ndlr], c’est comme si l’élargissement était déjà fait. C’est une logique de fait accompli, contre laquelle je m’insurge depuis dix ans. Car oui, l’élargissement fait débat.

Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agit d’une décision symbolique par rapport à un pays agressé. L’UE le soutient humanitairement, financièrement et militairement, mais elle a le sentiment, parfois justifié, qu’elle n’en fait pas assez. Elle cherche donc une réponse politique pour montrer qu’elle est « vraiment » du côté de l’Ukraine. Mais il s’agit d’une fuite en avant.

L’UE ne va pas bien, est confrontée à des crises dans tous les sens – énergétique, écologique, économique, etc. Or ses dirigeants sont incapables de tracer des perspectives pour conforter l’Union. Ils cherchent une sorte de grand projet qui permettrait d’unifier les opinions et les gouvernements. Le problème, c’est que l’élargissement, c’est quelque chose de concret.

À travers leur résistance, les Ukrainiens nous ont rappelé la raison d’être du projet européen.

Chloé Ridel

D’abord, l’Ukraine ne respecte aujourd’hui aucun des critères pour être intégré à l’UE. Ensuite, il y a déjà des gens dans la salle d’attente depuis de longues années, dans les Balkans notamment, qui n’ont pas encore ouvert tous les chapitres de négociation. Enfin et surtout, on ne nous explique pas le projet. Unifier le continent davantage, mais pour aller où ? Mon refus n’est pas seulement technique, il est d’abord politique.

Est-ce qu’avec cet élargissement, l’UE ne retrouve pas une raison d’être plus vitale que la construction d’un grand marché, à savoir la défense d’un modèle politique ?

Chloé Ridel : La dimension symbolique est évidemment présente. Dès la révolution Euromaïdan de 2014, l’Ukraine a exprimé une volonté de se tourner vers l’Europe. Et c’est parce qu’elle s’est tournée vers l’Europe que Vladimir Poutine a attaqué l’Ukraine. En termes de coût net pour le budget européen, l’Institut Delors a calculé que son adhésion représenterait 0,10% du PIB européen. Si cette somme nous amenait à laisser sur le bord du chemin l’Ukraine, et en son sein des gens prêts à mourir pour nous rejoindre, que penseraient de nous les États-Unis, la Chine, les pays africains… ? Que nous abandonnons les nôtres pour si peu.

Illustration 2
© Photos Laurent Hazgui pour Mediapart

À travers leur résistance, les Ukrainiens nous ont rappelé la raison d’être du projet européen. Nous avions raté notre entrée dans le XXIe siècle, nous nous étions divisés vis-à-vis des grandes puissances de l’argent et des puissance étrangères. Mais depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, le projet européen reprend du sens. C’est celui de la solidarité des peuples autour d’un modèle qui repose sur des institutions démocratiques, ainsi qu’une certaine idée de la justice sociale et de l’écologie.

Je rejoins Emmanuel Maurel pour dire qu’il ne s’agit pas d’aligner de grandes phrases creuses. L’élargissement, c’est un immense défi. Mais il vaut la peine et rencontre nos intérêts. Regardons les Balkans : avoir laissé ces pays à nos portes pendant si longtemps a permis à la Chine et à la Russie de les infiltrer. Le Monténégro s’est ainsi retrouvé piégé par un prêt de la Chine pour une autoroute, que nous avons dû racheter au dernier moment. 

Emmanuel Maurel : Que l’on ressente une émotion intense quand on voit l’Ukraine se faire attaquer par la Russie, je l’entends bien. Mais on ne fait pas de la politique uniquement avec des émotions. Par ailleurs je ne dirais pas que les Ukrainiens meurent pour nous rejoindre, ils défendent surtout leur intégrité territoriale et leur patrie. Et enfin, je ne peux pas laisser dire qu’on laisserait l’Ukraine au bord du chemin en n’ouvrant pas des négociations pour l’adhésion. On ne l’a jamais autant aidée qu’aujourd’hui !

Chloé Ridel : Tu penses vraiment qu’ils ne vivraient pas une fin de non-recevoir comme un abandon ?

Emmanuel Maurel : Je ne réagis pas par rapport à ce qu’ils veulent. C’est le risque de dislocation de l’Europe qui m’angoisse le plus.

Je répète qu’on n’en a jamais fait autant, en termes d’aide humanitaire et militaire, pour un pays hors de l’UE. On ne l’a pas fait pour la Bosnie dans les années 1990, et on ne l’a pas fait non plus pour les pays du Maghreb au moment des révolutions arabes dans les années 2010. Je me souviens qu’on ergotait sur des sommes très insuffisantes pour permettre leur développement économique. Au passage, c’est un des effets de l’élargissement toujours plus à l’Est : l’espace méditerranéen n’est plus dans l’agenda de la Commission et du Conseil.

Il faut transformer l’Europe pour accueillir l’Ukraine, parce qu’il est faux de dire que, en l’état, on pourrait l’accueillir.

Chloé Ridel

Quant à l’influence de la Chine, elle ne s’exerce pas qu’auprès des pays non-membres de l’UE, mais aussi en Grèce, au Portugal, en Italie, et même en France. Et pourquoi ? À cause de l’obsession du laissez-faire, et de la concurrence libre et non faussée. Cela me rappelle l’exemple des panneaux solaires. On avait des entreprises européennes qui se constituaient péniblement sur ce marché, on a discuté des moyens de faire face à une concurrence chinoise déloyale, et l’Allemagne d’Angela Merkel a tout bloqué, de sorte que la filière a été détruite.

Chloé Ridel : Tu t’éloignes du sujet. J’alerte moi aussi sur le fait que depuis la crise économique de 2008, la Chine possède 15 % des capacité portuaires européennes. Mais c’est parce qu’on a laissé faire. En quoi est-ce un argument pour nous empêcher de faire bloc, tout en nous élargissant ?

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© Photos Laurent Hazgui pour Mediapart

Emmanuel Maurel : Là où je veux en venir, c’est que je pense que tu as tort sur la communauté intellectuelle qui existerait à propos du modèle européen. À l’Est, nos partenaires envisagent l’UE sous l’angle de leur avantage comparatif dans un grand marché. Je le déplore, car j’ai été élevé dans l’admiration de grandes figures comme Vaclav Havel, avec l’impression que l’unification du continent se ferait autour de la culture, de la démocratie, mais ça ne s’est pas passé comme ça.

La France fait partie des pays qui ont le plus payé l’élargissement de 2004, à travers des délocalisations massives à l’Est.

Emmanuel Maurel

Chloé Ridel : Je te le dis en toute amitié : tu es resté coincé dans les années 1990. J’ai lu les mémoires de l’ambassadeur Claude Martin, qui a conduit au Quai d’Orsay toutes les négociation d’adhésion de ces pays d’Europe centrale et orientale. La seule chose qu’ils souhaitaient à cette époque, effectivement, c’était l’économie de marché et l’Otan. Mais nous sommes 25 ans plus tard. Une partie importante de la jeunesse de ces pays est profondément pro-européenne, et elle tient à l’UE car elle la perçoit comme une façon de lutter contre la corruption, en faveur d’institutions démocratiques.

Les choses évoluent et notre responsabilité n’est pas de dire que “de toute façon, on n’a rien en commun”, mais de donner du sens au projet européen, de rassembler autour d’un modèle qui ressort dès que l’on voyage dans le reste du monde. Il y a trois façons de le définir : le libéralisme politique, une certaine vision de la justice sociale, et demain une certaine écologie européenne qui passe par la sobriété.

Quel bilan tirer du précédent élargissement ? On voit bien, avec le récent malaise agricole, comment l’extrême droite pourrait se nourrir d’un nouvel élargissement vécu comme une menace sur les conditions de vie ?

Emmanuel Maurel : Chloé me renvoyait aux années 1990, mais si je peux me permettre, c’est elle qui y est restée bloquée. J’étais moi aussi dans cet espèce d’idéalisme européen, et je me souviens des socialistes qui faisaient campagne sur l’Europe sociale. Mais cet idéalisme s’est fracassé sur la réalité de l’UE, à savoir la compétition et la concurrence érigées comme fondamentaux absolus.

In fine, dès qu’on débat d’harmonisation sociale, les pays de l’Est mettent en avant leur avantage comparatif, qui passe par des salaires très bas. L’élargissement de 2004 s’est d’ailleurs traduit par un accroissement du PIB des pays qui nous ont rejoint, c’est clair, mais les salaires sont restés très bas car c’est leur avantage comparatif.

Je cherche toujours l’intérêt général européen, mais quand on représente la France au Parlement, on défend aussi l’intérêt français. Or notre pays fait partie de ceux qui ont le plus payé l’élargissement de 2004, à travers des délocalisations massives à l’Est, tandis que l’Allemagne en a été la principale bénéficiaire. En raison de la mauvaise stratégie de nos dirigeants mais aussi de la nature de la construction européenne, la France a été la grande perdante des élargissements successifs.

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© Photos Laurent Hazgui pour Mediapart

Prenons un exemple concret. Il y a un an, on a dit qu’on ferait des facilités d’exportation pour certains produits agricoles ukrainiens. Les pays de l’Est y étaient les plus favorables. Six mois après, les mêmes exprimaient le fait que ça ne leur convenait plus, que leur marché était déstabilisé, et ont demandé une exemption que l’UE leur a accordée. Depuis, les Français, les Espagnols, les Italiens et les Allemands demandent la même chose. Imaginez, en cas d’adhésion, ce qui se passera sur des plus gros volumes !

Notre responsabilité, en tant qu’internationalistes de gauche, c’est de montrer un chemin.

Chloé Ridel

Chloé Ridel : Je partage ton pessimisme de l’intelligence. Mais sans optimisme de la volonté, ce n’est que de la servitude volontaire. Sur la question des salaires, par exemple, rappelons qu’on a obtenu un smic européen. Et dans cette élection, notre liste propose un serpent salarial européen, comme jadis on avait eu un système monétaire européen, pour faire converger les salaires à travers l’UE.

Il faut faire attention à ne pas tout mettre sur le dos des élargissements. La destruction de l’industrie française est en partie liée à des choix politiques néfastes imputables à nos dirigeants, car d’autres pays de l’Ouest ont mieux protégé leur industrie. Elle est aussi liée à la concurrence internationale. C’est pourquoi je suis favorable à ce que l’Europe protège ses frontières, en ajoutant une jambe industrielle au Pacte vert. Pour résumer, je suis pour l’intégration de l’Ukraine à l’UE, mais aussi pour que l’UE se protège vis-à-vis de la Chine.

En ce qui concerne les produits agricoles ukrainiens, Raphaël Glucksmann reconnaît que les choses ont été mal faites et posent problème, pas tant chez nous qu’en Pologne ou en Roumanie. L’Ukraine est une grande puissance agricole, qui exporte d’ailleurs plus en dehors de l’UE qu’à l’intérieur. Il ne s’agit pas de l’empêcher de se développer. Simplement, cela ne doit pas se faire au détriment de l’agriculture française. Une nouvelle PAC, orientée vers une plus juste répartition des revenus en faveur des petites exploitations et la transition écologique, irait dans ce sens.

On partage un constat sur les problèmes à régler, mais de notre côté il y a une volonté, et de ton côté il n’y en a pas. C’est cela que je critique.

Emmanuel Maurel : Aucune volonté ? Ça fait dix ans que je me bats sur une question aussi essentielle que la souveraineté industrielle, sur le refus de certains accords de libre-échange, tout seul au sein du groupe socialiste qui me tapait dessus, car la majorité de ses membres était complètement convertie au libre-échange. Le serpent salarial européen, c’est une super idée, mais le PS la portait déjà en 1989, puis en 1994, puis en 1999… Quant au Smic européen, il n’existe pas ! C’est vrai qu’à force, j’ai développé une forme de lassitude.

Chloé Ridel : Tu ne peux pas ignorer que le contexte a changé depuis la pandémie en Europe…

Emmanuel Maurel : La pandémie, en effet, a été un moment de prise de conscience extraordinaire. Tout d’un coup, ce qui était absolument tabou à Bruxelles – par exemple les concepts de réciprocité commerciale ou de protectionnisme – devenait audible. Le problème, c’est qu’ensuite la politique menée est allée totalement à l’encontre de l’inflexion qu’il y a eu dans le discours. L’activisme libre-échangiste a repris de plus belle.

On est dans un moment décisif pour l’agriculture européenne, qui a été sacrifiée depuis les accords du GATT et de l’OMC. Or la concurrence de l’Ukraine dans ce domaine présente des risques considérables. Parce que ce n’est pas seulement la taille des exploitations qui pose problème, mais aussi les produits concernés, dont certains sont aujourd’hui interdits en Europe. Confortons déjà un certain nombre de secteurs, et après on verra.

Le risque, c’est qu’à force de faire n’importe quoi, de façon précipitée, non concertée, le projet européen se casse la gueule, purement et simplement.

Chloé Ridel : Pour moi, je le répète, il faut transformer l’Europe pour accueillir l’Ukraine, parce qu’il est faux de dire que, en l’état, on pourrait l’accueillir. Ce qui signifie que l’Europe doit devenir une vraie puissance politique et de protection. Il faudrait pour cela doubler le budget européen, et nous avons des idées de nouvelles ressources propres pour atteindre cet objectif. Si l’on ne prend pas ce chemin-là, alors là, oui, je suis d’accord, l’Union se disloquera lentement.

On a beaucoup parlé des défis socioéconomiques de l’élargissement, mais ils seraient aussi institutionnels. Quelle est votre position à cet égard ?

Emmanuel Maurel : Si on élargit à de nombreux pays et que l’UE finit par compter 36 membres, l’ensemble deviendrait ingouvernable et ce serait donc la fin de l’unanimité sur certains votes. C’est un saut fédéral. Et je pense que s’il y a des gens qui décident de ce saut fédéral, il va falloir demander l’avis aux Français, par référendum.

Chloé Ridel : Nous souhaitons faire sauter l’unanimité au Conseil sur les questions fiscales, parce que c’est ce qui empêche tout progrès en la matière. On a aujourd’hui des paradis fiscaux au sein de l’UE qui mettent leur veto à toute initiative d’harmonisation.

Sur les questions de sécurité et de défense, nous proposons aussi le passage à la majorité qualifiée, parce qu’on n’a pas envie que demain, l’Ukraine puisse mettre son veto à des décisions en la matière. Pour autant, nous sommes pour un système d’« opt out », car personne ne peut obliger une nation souveraine à appliquer des décisions de défense ou de politique étrangère avec lesquelles elle serait en désaccord.

En attendant l’adhésion ou son échec, que propose-t-on à l’Ukraine ? Plus largement, quelle politique de voisinage peut-on envisager en dehors du simple libre-échange ?

Emmanuel Maurel : Il y a déjà un accord d’association qui existe avec l’Ukraine. On ne part pas de rien. Ensuite, je pense qu’il y a d’autres solutions politiques pour affirmer sa solidarité avec des pays autour de l’Europe. Le principe d’une communauté politique européenne est intéressant.

Sur la politique de voisinage, on fait du surplace depuis presque dix ans. C’est pourtant un sujet qui mériterait un budget beaucoup plus important et une réflexion stratégique beaucoup plus conséquente. Ceci afin de réintégrer dans le jeu le Royaume-Uni, mais aussi le Sud méditerranéen, pour que les relations avec ces pays ne se résument pas à des accords sur la question migratoire. Parce qu’aujourd’hui, malheureusement, c’est le cas.

Chloé Ridel : Je trouve aussi que l’idée d’une Communauté politique européenne est intéressante. Il s’agit d’un cénacle alternatif permettant de rassembler les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne, pour des coopérations qui n’impliquent pas d’adhésion totale. Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron l’a vidée de son sens en ne clarifiant pas le périmètre de cette communauté, d’où la participation d’un régime dictatorial comme celui de l’Azerbaïdjan.

Maintenant, comment doit-on se comporter vis-à-vis de l’Ukraine ? Pour nous, il faut davantage être au rendez-vous du soutien à la résistance ukrainienne. Si on s’arrête là, l’histoire retiendra que la France aura soutenu l’Ukraine à la hauteur de seulement 0,6 % de notre PIB. On a perdu deux ans depuis l’invasion totale à ergoter sur l’envoi d’armes, ce qui a conduit à donner la main à Vladimir Poutine, qui lui parie sur le fait de nous avoir à l’usure.

Nous avons l’occasion, à travers l’élargissement à l’Ukraine, de transformer l’Europe dans un sens progressiste. Notre responsabilité, en tant qu’internationalistes de gauche, c’est de montrer un chemin. Ne renonçons à rien, ni à l’accueil de l’Ukraine dans la famille européenne, ni au progrès social, ni à la protection de nos travailleurs et de notre agriculture.

L’entretien s’est déroulé lundi 11 mars dans les locaux de Mediapart. Emmanuel Maurel et Chloé Ridel ont relu et modifié des points de détail de cette retranscription.

Soutien à l’Ukraine : le gâchis d’Emmanuel Macron

Après avoir réussi à stopper l’invasion russe et à regagner du terrain en fin d’année 2022, l’Ukraine se trouve aujourd’hui dans une situation beaucoup plus difficile. Sa contre-offensive de 2023 a échoué et l’armée de Poutine, sans réaliser de gains territoriaux importants, parvient néanmoins à remporter des victoires et à dégrader les capacités de résistance de l’armée ukrainienne.
 
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron a subitement décidé que « l’envoi de troupes françaises n’était pas exclu », provoquant la stupéfaction de tous nos alliés. Dans les minutes qui ont suivi sa déclaration du 27 février, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne, les États-Unis et l’OTAN ont désavoué cette déclaration à l’emporte-pièces.
 
Depuis lors, les macronistes instrumentalisent la guerre en Ukraine à des fins politiciennes, en voulant faire croire aux Français que si l’on n’est pas d’accord avec le Président de la République, c’est qu’on est au mieux un « pacifiste bêlant », au pire un « poutinophile ». Bien des observateurs soupçonnent que cette posture va-t-en-guerre ne sert en réalité que des buts électoraux.
 
Pour parvenir à une paix juste, l’Ukraine a besoin de notre aide, mais pas au point de déclencher une escalade militaire entre puissances nucléaires. Emmanuel Macron n’a pas rendu service à la cause ukrainienne en s’engageant dans cette voie intenable, massivement rejetée par les Français. Et son fiasco diplomatique n’a pas non plus rendu service à la France.
 
Face au rouleau compresseur russe, les soutiens de l’Ukraine doivent faire preuve de responsabilité. En « assumant » ses déclarations insensées, Emmanuel Macron ne fait que donner du grain à moudre à ceux qui veulent laisser tomber l’Ukraine. Le chef de l’État devrait aussi apprendre l’humilité : quand on n’a transféré que 3,8 milliards d’armements à l’Ukraine pendant que l’Allemagne en transférait 25 milliards, on est très mal placé pour donner des leçons.
 
Aujourd’hui, le Parlement a débattu de l’accord de sécurité franco-ukrainien signé le 16 février dernier, qui prévoit des livraisons d’armes, ainsi qu’une coopération plus étroite dans le domaine militaire et du renseignement, mais aussi le soutien de la France à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN ! Le premier volet de cet accord est positif. Le second volet n’est pas acceptable.

La liste de la « gauche unie » sait où elle va – Emmanuel Maurel, dimanche 10 mars 2024 – France Info

Emmanuel Maurel, député européen GRS, et troisième sur la liste de la gauche unie pour le monde du travail, conduite par Léon Deffontaines, était l’invité de France Info dimanche 10 mars 2024 à 7h45. Il a mis les points sur les « i ».

Le lancement de campagne de la minorité présidentielle se fait sous le signe de la supercherie : les macronistes nous refont le coup de 2017 et 2022 : « NOUS ou le chaos ». Un chiffon rouge agité avant chaque élection. Pas besoin de programme, pas de comptes à rendre sur leur bilan désastreux.

Car les troubles causés par l’orientation néolibérale de la politique européenne – libre-échange, PAC, désindustrialisation – ils en sont les co-responsables même s’ils ne veulent pas l’assumer. La campagne des élections européennes de 2024 mérite mieux que ce storytelling éculé. Nous dénoncerons les tartuffes pour porter notre exigence d’alternative et de choix qui favorisent les intérêts de la France et des travailleurs de notre pays.

De même, Emmanuel Macron et ses soutiens après avoir été d’une grande ambigüité face à Poutine se mettent à divaguer sur la guerre en Ukraine : nous devons aider l’Ukraine, nous devons empêcher qu’elle perde face à la Russie qui l’a envahie… Mais nous ne sommes pas en guerre contre cette dernière. Et les déclarations belliqueuses du président la République ont considérablement isolé notre pays, même au sein des membres de l’OTAN : un comble !

Macron : n’est pas Churchill qui veut !

Les élections européennes approchant, Emmanuel Macron cherche un axe de campagne pour imposer un nouveau storytelling qui motive son électorat traditionnel à se déplacer en juin prochain. Et il a trouvé, ou le pense-t-il…

Il souhaite remettre en scène le duel de l’élection présidentielle, et pour cela il désigne un « combat à mort » entre le Rassemblement National, soutien à peine voilé de Vladimir Poutine, et son camp. Lui-même se pose en chef de guerre : le soutien français à l’Ukraine n’a « aucune limite« , il ne faut plus écarter « l’envoi de troupes » en Ukraine et Gabriel Attal dénonce à l’Assemblée Nationale la présence de la 5e colonne parmi les députés. Si la proximité de Marine Le Pen et du RN avec le Kremlin est connue, Macron a lui aussi beaucoup varié. Trop, en tout cas, pour venir donner des leçons et se composer un personnage à la Churchill dont il n’a ni l’étoffe ni le sens de l’histoire.

Rappelons-le : la Russie est l’agresseur, l’Ukraine a été envahie, il faut l’aider à se défendre et tenter de lui éviter de perdre ! Les conséquences pour les Européens et les Français seraient sinon désastreuses. Mais nous ne sommes pas en guerre avec la Russie et nous n’avons pas les moyens d’entrer dans un tel engrenage : l’équilibre est fragile, mais nous devons le tenir.

Nous devons le tenir d’autant plus que l’OTAN pourrait bien vaciller et déclencher une panique chez nos voisins européens, alors que la menace poutinienne a provoqué l’adhésion de la Finlande et voici quelques jours de la Suède à l’alliance atlantique. La France a un rôle à jouer pour inventer l’après-OTAN.

Mais avec des déclarations politiciennes et empruntes d’amateurisme diplomatique, Emmanuel Macron vient d’isoler spectaculairement notre pays. Rétablir l’ambiguïté stratégique est bel et bien nécessaire, mais elle implique de conserver des alliés.

Poutine désorienté face au « En Même Temps »… l’ambigüité stratégique selon Macron © JD

Un an de guerre de Poutine en Ukraine

Une année s’est écoulée depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une année terrible et meurtrière où des centaines de milliers de soldats et de civils ont péri et dont les dégâts se chiffrent déjà en centaines de milliards. Une année que Vladimir Poutine s’entête, au mépris des principes fondamentaux du droit international que la Russie avait pourtant participé à créer.

Mais dans leur hubris, Poutine et ses sbires ont rencontré un hiatus: la résistance du peuple ukrainien. Pour les Ukrainiens, l’enjeu est simple : s’ils arrêtent de se défendre, leur pays disparaît.

Pour faire cesser la guerre, la balle est dans le camp du Kremlin. Sa responsabilité est totale.

En apportant son aide pour la défense de l’Ukraine, la France applique le droit à la légitime défense du pays agressé face au pays agresseur. Jamais nous ne reconnaîtrons l’autorité de Moscou sur les territoires envahis et occupés, qui sont Ukrainiens et le resteront.

La Gauche Républicaine et Socialiste apporte son soutien à l’Ukraine et à son peuple. Elle appelle également à réfléchir dès maintenant à l’après et préparer la reconstruction des zones détruites. Cela passera dans un premier temps par l’annulation de la dette ukrainienne et l’octroi d’aides qui doivent permettre à l’Ukraine d’opérer sa transition vers une démocratie pleine et entière, débarrassée de la corruption.

C’est à ce prix que nous montrerons à l’Ukraine que nous nous tenons à ses côtés pour l’avenir.

La France doit agir de toutes ses forces pour l’arrêt de cette boucherie et le retour à une paix fondée non pas sur le fait accompli mais sur le droit international et visant à l’entente entre tous les peuples.

Livraison de chars : jusqu’où entrer dans le conflit en Ukraine ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la GRS, était l’invité samedi 4 février de France 24 et Public Sénat dans l’émission « Ici l’Europe » avec Roza Thun und Hohenstein, députée européenne (Renew, Pologne).
Après des semaines d’hésitations, plusieurs pays alliés de l’Ukraine, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont décidé d’acheminer des tanks, tant réclamés par Volodymyr Zelensky. Mais les pays européens ne sont pas en reste. L’Allemagne a ainsi annoncé l’envoi de 14 chars Leopard et la Pologne livrera 60 chars supplémentaires. Le Portugal et l’Espagne sont non seulement aussi disposés à fournir des blindés, mais également à participer à la formation des soldats ukrainiens pour leur utilisation. Les Pays-Bas, quant à eux, réfléchissent à l’envoi d’avions de chasse F16. La course à l’armement des Ukrainiens s’accélère, au risque d’une dangereuse escalade.

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