L’école républicaine : c’est l’égalité et la mixité, la coopération et l’émancipation

Depuis un an et demi, les réformes de l’éducation proposées par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, sont menées au pas de charge et sans réelle concertation avec les principaux acteurs de l’éducation.

Parcoursup ou encore les réformes du baccalauréat ont déjà des effets désastreux sur les élèves (surtout sur les plus fragiles) et mettent en place la construction de parcours dans lesquels seuls les élèves et les familles les plus initiés vont pouvoir bien s’orienter, avec le risque d’inégalités territoriales (les lycées qui offrent le plus de spécialités vont essayer d’attirer les élèves les plus favorisés…).

Les textes de la loi « pour une école de la confiance » ne s’attaquent pas à la reproduction sociale et risquent au contraire de renforcer une école élitiste.

 

Le projet de loi pour une « école de la confiance » a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 19 février. Si certains points, comme des mesures pour l’inclusion des élèves handicapés (même si le métier d’AESH -accompagnants des élèves en situation de handicap- doit être davantage revalorisé que ce qui est proposé) ou l’Inscription du droit à une scolarité sans harcèlement, paraissent intéressants, ce texte n’apporte pas de réponses qui soient à la hauteur de la situation.

 

La loi « pour une école de la confiance » correspond bien à un projet cohérent, dangereux, tant pour l’école que pour le statut de la fonction publique (que le gouvernement Philippe veut remettre en cause.)

 

Nous lui reprochons trois défauts ou erreurs majeurs.

Tout d’abord de s’inscrire encore dans une logique comptable, dans l’idéologie du moins d’Etat et de la baisse des moyens alloués à la fonction publique. il y a une volonté générale de ce gouvernement en ce qui concerne la fonction publique : baisser le nombre de fonctionnaires et avoir recours à de plus en plus de contractuels.

Le gouvernement veut désormais confier des fonctions d’enseignement rémunérées aux assistants d’éducation, qui exercent aujourd’hui des missions de surveillance, à condition qu’ils préparent un concours d’enseignement. L’idée affichée dans l’article 14 de la loi est de développer des prérecrutements pour améliorer l’attractivité du métier. On peut craindre que ces personnels constituent une brigade de remplacement à moindre frais (les AED sont payés entre 600 et 900 euros), ce qui permettrait surtout de compenser le manque de postes de professeurs. Mettre des étudiants en master qui ne sont détenteurs d’aucun concours (qui ne seront peut-être jamais enseignants !) face à des classes ne va pas sans comporter des risques.

Le texte évoque l’occasion pour les étudiants de recevoir « une formation concrète ». Il est dommage de renvoyer la formation des enseignants au terrain et à la mise en situation et de ne pas penser à améliorer la formation initiale.

Permettre par ailleurs avec la création d’  « établissements publics des savoirs fondamentaux» (création qui n’a fait l’objet d’aucune discussion préalable avec les syndicats) le regroupement d’écoles avec un collège au sein d’un même établissement, à l’initiative des collectivités territoriales de rattachement, semble obéir surtout à la volonté de mutualiser les personnels administratifs, de faciliter les services partagés primaire-collège, les regroupements de niveaux, ou bivalence… et donc de faire des économies, alors même que ce type d’organisation n’a pas fait la preuve de son efficacité en direction des élèves.

 

La seconde erreur consiste à renforcer une école de la concurrence. L’article 3 notamment, qui rend obligatoire la scolarisation à 3 ans est une mesure en trompe l’œil : 98% des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés ! En réalité la loi n’aura d’impact que sur 25000 élèves tout au plus, dont 7000 en Guyane ou à Mayotte (la scolarisation à 6 ans n’est pas encore acquise sur ces territoires). Le vrai changement apporté par la loi concerne en réalité le financement des écoles maternelles privées sous contrat : désormais l’obligation de financement par les communes sera étendue à ces dernières. Un coût difficile à assumer pour les communes et un coup porté à la mixité scolaire ainsi qu’à la laïcité !

Par ailleurs l’article 9 transforme le CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire) indépendant en CEE (Conseil d’évaluation de l’école) qui sera directement sous contrôle du ministère et qui produira des évaluations rendues publiques, ce qui pourrait créer une mise en concurrence des établissements et des conduites d’évitement des établissements moins bien notés. Le Conseil national d’évaluation du système scolaire, mis en place par la loi Peillon de 2013, produisait des études de qualité et avait su trouver sa place dans le paysage éducatif. On peut se demander quelle est la logique de sa suppression. Ce remplacement du CNESCO par une officine entièrement à la main du ministre montre bien sa conception de l’évaluation. Evaluer les établissements, ce n’est pas du tout la même chose que l’évaluation des politiques publiques et du système. Mais à quoi bon évaluer sa propre politique, quand on est déjà persuadé de détenir la seule vérité, la seule possible, celle « qu’impose la recherche »…

On peut s’interroger également sur la création des EPLEI, établissements publics locaux d’enseignement international : ces établissements ont vocation à scolariser des élèves bilingues de la maternelle au lycée et seront financés en partie par des fonds privés. Ils obéiront à un système dérogatoire. Ils formeront des établissements élitistes au fonctionnement proche de l’enseignement privé et semblent s’adresser surtout aux plus aisés.

 

 

La troisième erreur relève davantage du domaine de la méthode. La méthode Blanquer est celle d’une marche forcée, autoritaire, sans dialogue social, bien loin de ce que semblent indiquer les termes consensuels et séducteurs d’« émancipation » ou « d’école de la confiance » qui sont mis en avant par la communication ministérielle. « L’école de la confiance » est une formidable antiphrase !

L’article 1 qui insiste sur le droit de réserve des enseignants et sur leur « devoir d’exemplarité » répond à quelle nécessité et à quelle urgence ? À l’heure de la mobilisation des stylos rouges, du succès du hashtag #pasdevague qui a été utilisé sur les réseaux sociaux par des enseignants qui dénonçaient  le manque de soutien de leur hiérarchie, on peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle communication qui a heurté les enseignants ; ces derniers attendent surtout une reconnaissance de leurs missions, un soutien de leur ministre, et, alors que le gel du point d’indices des fonctionnaires se poursuit, des mesures en direction de leur pouvoir d’achat. Au lieu de cela ils se font rappeler à l’ordre et il est question d’un grand plan pour financer…l’installation de drapeaux dans les salles de classes !

En guise d’ « Ecole de la confiance », on constate surtout le règne de la méfiance vis à vis du personnel éducatif ! Ce fameux article 1 de la loi s’inscrit dans la continuité du corsetage que le ministre Blanquer est en train d’imposer aux enseignants. iI ne veut pas plus de liberté pédagogique (qu’il qualifie d’anarchisme) que de liberté d’expression. A ses yeux, et c’est cohérent avec sa croyance qu’il n’existe qu’une méthode, et que c’est la sienne, les enseignants doivent être des exécutants des circulaires que le ministère produit (cf. les 130 pages de consignes sur l’enseignement des mathématiques et de la lecture d’avril 2018)

La création des Établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, voulue par le ministre, retirée du projet de loi pour passer ensuite par le biais d’amendements, qui met les écoles primaires sous la tutelle des collèges et ce sans étude d’impact préalable, ni discussion avec la communauté éducative, est emblématique également de cette méthode autoritariste.

Par ailleurs le projet de loi présenté par le gouvernement début février sur les instances de dialogue social dans la fonction publique ne peut que nous inquiéter dans sa volonté de remettre en cause le paritarisme : la quasi-totalité des compétences des commissions paritaires serait supprimée et ce texte permettrait une diminution du nombre des CHSCT (comités hygiène, sécurité, conditions de travail) en les fusionnant avec les CT (comités techniques).

Les CAP (commissions administratives paritaires) ne seraient plus consultées sur aucun acte de gestion et ne seraient même plus des instances de recours pour les mouvements des personnels et les promotions. Cette conception du dialogue social est alarmante. Plus largement le projet de loi modifiant le statut de la fonction publique qui va être débattu dans les semaines à venir remet en cause le statut même de fonctionnaire, en proposant l’introduction d’une rupture conventionnelle y compris pour les fonctionnaires. Et la voie tracée vise à avoir de plus en plus recours au contrat plutôt qu’au statut.

Enfin, d’une manière générale Jean-Michel Blanquer suit ses idées, ses postulats, et est fermé à la discussion. La méthode Blanquer, c’est quoi ? Je décide et tout le monde exécute, en silence !

Il ne jure par exemple que par la science et les évaluations mais… ne retient que celles qui l’arrangent et qui sont produites par ses amis. Aucune étude, par exemple, ne prouve les bienfaits des quatre jours de classe, c’est même tout le contraire. Mais il passe outre. Son rapport aux sciences cognitives relève de la foi – et il fait fi de toutes les sciences humaines, comme si le fonctionnement du cerveau et les apprentissages étaient indépendants du contexte pédagogique, social, émotionnel…

 

Au final, la méthode Blanquer c’est la communication, l’affichage, l’affichage de drapeaux dans les classes, la Marseillaise, les uniformes qu’il défend par ailleurs… Tout cela est merveilleux, mais ce n’est pas cela l’école républicaine ! L’école républicaine, c’est celle de l’égalité et de la mixité, celle de la coopération et de l’émancipation. C’est tout le contraire de ce qu’il fait, en favorisant l’école privée (l’école à 3 ans), en accroissant les inégalités territoriales (la réforme du lycée et les choix de spécialités inégaux selon les établissements et les territoires), en adoptant des programmes si conservateurs et destinés à une minorité d’élèves qu’il provoque des démissions en cascade au Conseil supérieur des programmes.

 

La pré-professionnalisation portée par le ministre ne va pas apporter toutes les réponses, loin de là, elle n’attaquera pas les racines du mal. De plus en plus de professeurs démissionnent après l’obtention de leurs concours, pour des motifs géographiques ou en raison de la dureté d’une année de stage où les tâches sont concentrées et où les attentes sont fortes.

Nous proposons de renforcer l’attractivité d’un métier qui connaît de réels problèmes de recrutement (on le voit au niveau de la baisse importante du nombre de candidats dans certaines spécialités pour les concours de l’éducation nationale- mathématiques, lettres, anglais et allemand en particulier-) en donnant aux enseignants des salaires intéressants dès le début de leur carrière et tout au long de celle-ci (on sait qu’ils font partie des plus mal payés en Europe) , en réfléchissant à une amélioration des conditions de travail des professeurs (les distances géographiques entre lieu d’exercice et lieu d’habitation sont un réel problème, ainsi que les services partagés entre des établissements éloignés les uns des autres ), et en réfléchissant à une attractivité territoriale accrue pour les zones urbaines d’éducation prioritaire mais aussi dans les territoires ruraux dans lesquels il faut créer plus de stabilité en y fixant des professeurs.

 

Nous voulons affirmer qu’une réforme de l’éducation nationale qui a pour idée directrice de faire des économies n’est pas à la hauteur alors même que des études montrent que la France est un des pays de l’OCDE les plus mal classés en termes d’investissement éducatif. Il faut suffisamment d’enseignants et de personnels d’accompagnement dans les écoles, les collèges, les lycées et universités de notre pays ! Cela implique de mettre fin à la baisse des postes et au recours aux contractuels …

 

Nous réaffirmons la nécessité de ne pas abandonner et même de renforcer une vraie formation théorique et pratique des enseignants, exigeante, étalée dans le temps, pourquoi pas sur trois ans, ce qui serait bien plus pertinent que de parachuter des étudiants en cours de formation dans les établissements scolaires pour jouer les bouche-trous.

 

Pour finir ce gouvernement semble décidé à s’attaquer désormais au statut de la fonction publique ; nous réaffirmons notre attachement au service public ainsi qu’aux fonctionnaires qui sont la garantie de l’égalité républicaine et les porteurs de ses valeurs sur tous nos territoires.

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