La droite allemande en 2021, entre social conservatisme, néolibéralisme et retour du nationalisme

Ce week-end, la CDU, le parti chrétien-démocrate allemand, auquel appartient la chancelière Angela Merkel, a tenu son congrès virtuellement.

Crise pandémique oblige, le congrès en présentiel de décembre 2020 avait été repoussé et organisé en ligne en janvier. Un bon millier de délégués ont donc voté sur les orientations stratégiques et les choix de personnes en vue de l’élection fédérale de septembre 2021.

Une personne était absente : Angela Merkel. Son parti l‘a obligée dès 2018 à annoncer son retrait après la campagne de 2021. Dès cette date, elle a abandonné la présidence du parti. Pourtant, jamais elle n’a été plus populaire que pendant cet hiver en pleine crise pandémique.

Un nouveau président a été élu : il s’agit d’Armin Laschet, avec 55% des voix des délégués, face à deux concurrents, le néolibéral Friedrich Merz, ancien PDG de Blackrock Allemagne, et le centriste Norbert Röttgen, lors un vote étonnamment ouvert pour un parti allemand. Laschet l’emporte sur Merz au second tour avec un score équivalent à celui qu’avait fait Annette Kramp-Karrenbauer en 2018 face à… Merz.

La ligne de la CDU n’est pas déterminée

Ce congrès, à 8 mois de l’élection fédérale, n’a cependant pas permis de trancher la ligne politique de la future campagne, entre continuité sociale-conservatrice, réformes néolibérales, et tournant nationaliste. La vie interne à la CDU est en effet rythmée, depuis le retour de l’extrême-droite au Bundestag avec 94 députés, par les actes de violence de celle-ci (émeutes racistes et antisémites à Chemnitz, attentat antisémite de Halle, attentat raciste de Kassel, meurtre politique de l’élu CDU pro-migrant Walter Lübcke par un commando néonazi).

Le quotidien plutôt libéral-conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung constatait il y a une semaine que le patrimoine des 10 Allemands les plus riches avait progressé de… 233%.

Aujourd’hui, au lendemain de la défaite du néolibéral Merz à la présidence de la CDU, le FAZ réclame à celle-ci de travailler “en équipe” – c’est-à-dire en intégrant le vaincu à un poste de pouvoir – et de “redécouvrir l’économie de marché” – les 16 années de Merkel paraissant aux néolibéraux des années de stagnation quasi soviétique.

Pourtant, le taux de pauvreté allemand a bien bondi de 12 à 17% dans la même période. Abandonnées par le SPD, les classes populaires et salariée votent désormais pour deux partis d’opposition, les Linke à gauche et l’extrême-droite nationaliste AfD à droite. Un tiers des votants AfD appartiennent aux 20% les plus riches d‘Allemagne, opposés à la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne et à l‘Euro, qui les empêchent de vivre de leurs rentes tant que les taux d’intérêts sont négatifs.

La droite allemande se retrouve ainsi à la croisée des chemins, entre un néolibéralisme intransigeant – Merz étant plus proche de Thatcher, Cameron, Macron –, un social-conservatisme, la position de Merkel – qui n’a finalement conduit aucune réforme de structure en Allemagne et a dû même accepter contre son gré l’établissement d’un salaire minimum – et un nationalisme résurgent – une partie de la droite cherchant à composer avec le retour de l’extrême-droite dans les parlements régionaux et au Bundestag.

Merz, multimillionnaire, se présente comme “représentant de la classe moyenne“. Cela éclaire bien la nature de l’escroquerie du néolibéralisme : des millionnaires annoncent sans fard la politique de maximisation de LEUR fortune contre l’intérêt général, le pauvre étant rendu par la promesse illusoire de participer au partage du butin, alors qu’en réalité son pouvoir d’achat au mieux stagnera.

Le choix du candidat à la chancellerie n’est pas tranché non plus

Avec Laschet, la CDU recule devant la radicalité des réformes néolibérales. Merz sans doute aurait pu convaincre les classes moyennes supérieures votant AfD, ainsi que les électeurs du FDP. Mais aurait-il pu conserver l’électorat salarié chrétien-démocrate ?

Laschet, président de la région la plus peuplée d‘Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie, s’est présenté comme un candidat de la continuité. Cependant, pendant le week-end, une expression dominait le débat, en anglais “vote Laschet, get Söder” : votez Laschet, obtenez Söder.

Markus Söder, Président du Land de Bavière, est également le président du second parti de la droite allemande, la CSU chrétienne sociale. La CSU ne participait pas au congrès, mais beaucoup estiment que, Laschet devenu président de la CDU, c’est Söder qui sera en septembre le candidat à la chancellerie de la coalition de droite. Son parti a refusé de voter au Parlement européen la mise en garde à la Hongrie, invitant Orban à son congrès, et souhaite un contrôle des frontières.

Merz serait ainsi à nouveau marginalisé.

Son protecteur, le président du Bundestag Wolfgang Schäuble – l’ancien ministre des finances qui mena la campagne européenne pour briser Tsípras et écraser le peuple grec (et ainsi faire diversion de la crise bancaire qui frappait notamment la Deutsche Bank) –, n‘a jamais pu mener en Allemagne ce qu’il a fait en Europe. Merkel et le SPD l’ont ainsi freiné. Il souhaite, et avec lui les milieux conservateurs libéraux, mener la bataille que mènent le libéralisme en Europe contre les vestiges des États sociaux créés, en réponse à l’invention européenne du fascisme, dans l’après-guerre.

Le congrès de la CDU n’a donc en réalité rien tranché.

Dès sa défaite, Merz a réclamé d’entrer au gouvernement comme ministre de l’économie, à la place de Peter Altmaier, un des plus fidèles des fidèles d’Angela Merkel. La Chancelière, qui depuis la campagne électorale de 2005 que Merz a failli lui faire perdre, le tient le plus éloigné possible d’elle et a refusé. Si elle ne contrôle plus le parti, elle reste cheffe du gouvernement jusqu’en septembre 2021.

Laschet President de la CDU doit donc à la fois faire avec Merkel, Chancelière sur le départ, mais bénéficiant d’un taux de confiance dépassant les 70%, avec Merz, qui pèse plus de 40% du parti, et enfin avec Söder, qui depuis la Bavière compte bien ramasser la mise en octobre 2021 et hériter de la chancellerie.

Dysfonctionnements partidaires

Mais comment la droite allemande, dominante, peut elle être ainsi depuis trois ans dans une crise existentielle aussi profonde ?

Tout d’abord, un point politique fondamental est de nouveau illustré par les outils de démocratie interne mis en place en 2018 à la CDU et au SPD, mais les outils ne règlent pas les conflits politiques.

Traditionnellement, la présidence des partis allemands est décidée dans les négociations entre courants à l’avance, ou échoit de fait à l’occupant de la chancellerie. La question ne porte plus que sur le nombre de points séparant l’heureux élu des 100%.

Le SPD, déjà, avait cessé cette pratique. Si Schulz, l‘ancien président du Parlement européen, avait obtenu en mars 2017 un score soviétique de 100% à la présidence de son parti, il avait été forcé de démissionner suite à la débâcle de septembre 2017, son parti se maintenant de justesse au dessus des 20%.

Depuis, ce sont les militants qui ont élu un binôme à sa tête, le ministre des finances et vice-Chancelier Olaf Scholz perdant fin 2018 face à deux inconnus promettant la rupture avec la CDU de Merkel.

Depuis cependant, l’appareil social-libéral, après avoir empêché ses présidents de prendre le contrôle effectif, et utilisé tous les prétextes pour les ridiculiser dans la presse, a repris la main, et imposé la candidature de Scholz à la Chancellerie. Bien qu’empêtré dans deux scandales, celui de la banque Warburg et celui de l’entreprise de la Fintech Wirecard, Scholz rassure une base de cadres soucieux de continuer l’attelage avec la droite, et ainsi conserver un orteil dans le pouvoir, avec ce qui l’accompagne : les postes et les prébendes.

Le SPD se traîne dans les sondages suite à cette nominations, avec à peine à 15% des intentions de vote.

L’outil de la démocratie interne ne s’accompagnait pas de la volonté de traiter les enjeux politiques, et leurs conséquences personnelles, au fond. Cela n’a rien réglé, malgré la crise de la droite, et une gestion considérée comme réussie par l’opinion allemande de la pandémie, le SPD se dirige vers la marginalité politique.

Le souffle chaud de l’extrême-droite sur la nuque

La CDU a dû faire face à plusieurs crises après le scrutin de 2017.

Tout d’abord, le score avec Merkel fut plus que médiocre. La droite, dans son ensemble, passait en effet de 42% à 33%, et l’extrême-droite AfD progressait de 4,7 à 12,5%. Les libéraux du FDP, absents du Bundestag entre 2013 et 2017, y sont revenus, gagnant 3 points. La droite, CDU et CSU bavaroise, avait perdu donc tant à sa droite que sur la ligne libérale.

Dans la foulée, la constitution d’une coalition de bloc bourgeois avait échoué. Droite, Verts et libéraux n’ont pas pu s’entendre – le FDP, allié en Europe de LREM, claquant justement la porte sur l‘Europe.

Pendant six mois, la Chancelière n’a été qu’une cheffe de gouvernement de gestion des affaires courantes. Le rejet par les libéraux de la coalition bourgeoise (surnommée aussi “coalition jamaïcaine” – Noir-Vert-Jaune) a entraîné une reconduction de la grande coalition avec le SPD, mais sans enthousiasme aucun : 42% des militants du SPD ont voté contre le contrat de coalition, pendant que nombre de fédérations de la CDU trouvaient l’ampleur des concessions faites trop importantes.

Le surgissement de l’extrême-droite à 12,5% a de nombreuses causes, qu’il ne s’agit pas d’étudier ici. Gardons en tête que ce score est assez homogène à l‘Est comme à l‘Ouest au dessus de 9%, avec des pics à 25% en Saxe.

L‘AfD fait 12,5% en Bavière, ce qui a traumatisé les chrétiens-sociaux de la CSU. La Bavière est l’une des régions les plus riches d‘Allemagne, exportatrice, au chômage en-dessous de 4%. Horst Seehofer, président de la CSU et ministre-président de la Bavière, en tira comme conclusion que Merkel, en septembre 2015, avait fait une erreur politique majeure en ouvrant les frontières aux réfugiés. L‘Allemagne, qui a besoin en flux constant d’un solde positif de 200 000 migrants par an pour compenser la baisse de sa démographie naturelle, a accueilli plus d’un million de migrants.

Les syndicats patronaux allemands – qui se plaignent depuis dix ans de pénuries de main-d’œuvre très qualifiée, mais n’investissent ni dans la formation des chômeurs longue durée, ni dans les pays européens à forte dynamique démographique et haut niveau de qualification, comme la France – réclament chaque année des plans massifs d’immigration supplémentaire. Seehofer écoute bien sûr cette demande de déflation salariale par l’immigration des patrons allemands, mais constate surtout les dégâts considérables dans sa base électorale. Et l’immigré ne vote pas.

De plus, si le citoyen européen vote aux municipales, il ne vote pas aux élections nationales : pour nombre de Bavarois, l‘Union Européene est trop laxiste avec la Grèce et l‘Italie. De plus, la CSU apprécie énormément le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán (et son parti, le Fidesz), invité d’honneur de son congrès en 2018.

Seehofer a alors négocié de quitter la présidence de la Bavière, récupérée par un jeune qui ne cesse de monter, Söder (dont on a déjà parlé plus haut), pour devenir ministre de l’intérieur de la grande coalition, et avec comme objectif d’y empêcher les politiques migratoires merkelliennes. L’été 2018 verra une crise profonde au sein de la coalition nouvellement formée, qui concernait la CDU de Merkel et la CSU de Seehofer, sur fond d’émeutes de l’extrême-droite en Saxe, à Chemnitz.

A la suite de cette crise, Seehofer a soutenu mordicus le patron des services secrets intérieurs, Hans-Georg Maaßen, membre de la CDU, qui affirmait que l’extrême-droite n’était pour rien dans les émeutes, et voyait le danger plutôt à l’extrême-gauche, notamment les antifa, et l’islamofascisme. Paradoxalement, cette crise fut fatale à … la présidente d’alors du SPD, et ancienne ministre du travail, Andrea Nahles, qui, écœurée, a depuis quittée la politique. La crise a aussi profondément abîmé Seehofer, forcé de limoger Maaßen, qui conseillait en secret l‘AfD. Mais cette crise a aussi révélée une vulnérabilité de Merkel. Car c’est bien suite à cette crise que la CDU a commencé à penser l’après Merkel.

L’assassinat d’un de ses élus régionaux en Hesse par un militant d’extrême-droite en 2018, et les attaques meurtrières de Halle en 2019 contre une synagogue, puis en Hesse en 2020 contre des cafés fréquentés par des Turcs et des Kurdes, ces deux derniers attentats faisant plus de 11 morts ayant été commis par des militants néonazis, ont confirmé que l‘Allemagne connaissait depuis 20 ans une résurgence de la “bête immonde”.

Première succession de Merkel, première crise

Merkel a alors passé la main une première fois, abandonnant la présidence de la CDU.

En décembre 2018, c’est sa dauphine officielle, Annette Kramp-Karrenbauer, surnommée AKK, qui lui succède, avant d’entrer en juillet 2019 au cabinet comme ministre de La Défense, remplaçant Ursula von der Leyen, elle-même en partance pour la Commission européenne. Déjà, c’était un vote ouvert des délégués ; déjà, son adversaire principal était un revenant dans la politique, le néolibéral Friedrich Merz.

L’année 2019 n’a pas permis à AKK (pas plus qu’à la co-présidence du SPD) de s’imposer. Mais c’est une autre crise, juste avant la crise pandémique, en février 2020, qui aura raison d’elle. Les élections régionales de Thuringe se conclurent par la victoire du président sortant, membre des Linke, le parti allié à la France Insoumise au Parlement européen, regroupant anciens communistes est-allemands et les socialistes ayant quitté le SPD sous Schröder. Cependant, il n’avait pas de coalition majoritaire (Die Linke, SPD, Verts). Alors, le FDP, le parti allié de Macron, va obtenir de la CDU et de l’extrême-droite un vote en sa faveur, le plus petit parti représenté à la région obtenant ainsi la présidence !

Le scandale, le bloc des droites reconstitué rappelant 1933 plutôt que 1989, entraîna la démission du président du FDP. Mais l’absence d’autorité d‘AKK, incapable d’empêcher la CDU régionale de mêler ses voix à l’extrême-droite, était si patente, qu’elle annonça sa démission. Depuis, comme ministre de la Défense, pour plaire à Trump, elle a annoncé une commande d’avions de combat américains F18.

Ainsi, entre 2018 et 2020, les trois partis de gouvernement ont perdu une à deux fois leur présidence.

Le moment Söder ?

Markus Söder, en héritant de la CSU bavaroise, a senti le vide. Dans la crise pandémique, il a su prendre les devants, mener des actions de test et de traçage tôt, puis des confinements plus stricts que dans le reste de l‘Allemagne. Accompagné d’une politique de soutien aux activités économiques et culturelles et d’une communication fondée sur l’expression de la solidarité et non sur la punition, son action lui vaut une forte popularité. De plus, son refus de toute compromission avec l‘AfD – il veut récupérer les électeurs, pas le parti – le rend compatible aux autres partis démocratiques. Enfin, de plus en plus de voix parlent de lui comme le candidat à la chancellerie en 2021.

Déjà deux fois, en 1980 et en 2002, c’est le parti régionaliste bavarois qui présentait le candidat à la chancellerie. Une fois avec Franz-Joseph Strauss, battu par Helmut Schmidt, une fois avec Edmund Stoiber, battu par Schröder. Les deux fois, cependant, les deux chanceliers SPD n’ont pas rempli les 4 ans de leur mandat : en 1982, les alliés libéraux de Schmidt l’ont trahi pour Helmut Kohl ; en 2005, Schröder, face aux résistances aux réformes de l’agenda 2010, décida de convoquer des élections anticipées un an plus tôt, perdant de justesse face à Angela Merkel.

Ce retour historique permet de rappeler qu’en 2005, justement, Angela Merkel tenta de gagner grâce à un agenda néolibéral, soucieux de réduction des dépenses publiques, et d‘une réforme fiscale inspirée par Merz. Très mal en point au début de la campagne, Schröder martela son message contre la réforme Merz, et réussit à finir à 8 000 voix seulement de Merkel.

Elle a depuis compris le message :

  1. écarter Merz et les faucons néolibéraux ;
  2. endosser les réformes Schröder, mais surtout, ne pas en faire d’autres ;
  3. trianguler sur les thèmes d’un SPD tellement centriste que cela en devenait trop facile.

C’est la recette Merkel pour conserver le pouvoir, réduisant le SPD, mais ouvrant son front droit.

Chemnitz 2018, Celle, Halle, la Thüringe : bien plus que la pandémie, les crises européennes ou la question climatique, c’est bien la relation à l’extrême droite qui domine l’actualité et les transformations de la droite allemande. Étrangement, depuis 2018, ce sont les militants terroristes néonazis et l‘AfD qui dictent leur actualité aux instances de la CDU, tragiquement.

Le vote de 2021, sans plateforme clarifiée, pourrait, sans la figure rassurante de Merkel, sanctionner une droite courant dans tous les sens.

Paradoxalement, on pourrait assister, par nécessité électorale, au retour de “Mutti“ – le surnom de Merkel est “La maman“, comme Mitterrand a pu être “Tonton”.

Politiquement cependant – et c’est la leçon de ce congrès –, la “weimarisation” de la vie politique de la République fédérale allemande se poursuit, et cela devrait éveiller la vigilance de tous les Européens.

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