Élections en Israël : plus qu’une crise politique, une crise identitaire

Le 23 mars dernier, les quatrièmes élections depuis deux ans se tenaient en Israël. Benjamin Netanyahou semble avoir manqué son pari d’une campagne conçue comme un référendum sur sa personne.

La multitude de partis communautaires réunissant entre 4 et 7% des suffrages nous contraint à une analyse par bloc électoral, même si ceux-ci sont mouvants et manquent parfois de cohérence.

Le premier bloc, celui de la droite religieuse, est celui de Benjamin Netanyahou. Le Likoud, sa principale composante, obtient 24% des suffrages et 30 députés (sur 120). S’il s’agit d’une performance en demi-teinte, il n’en reste pas moins que le Likoud a dix points d’avance sur le deuxième parti. Les alliés de Benjamin Netanyahou sont d’une part les ultra-orthodoxes de Shas (séfarade) et de Judaïsme Unifié de la Torah, qui obtiennent presque 13% des voix à eux deux et 16 sièges. D’autre part, le Likoud peut compter sur le soutien des partis néo-sionistes Yamina et du Parti sioniste religieux. Ces deux partis, populaires dans les colonies et auprès des jeunes soldats, représentent la branche religieuse du néo-sionisme. Ils obtiennent 11% des suffrages et 13 sièges. Cela porte la coalition de Benjamin Netanyahou à 59 sièges, deux de moins que la majorité.

Un deuxième bloc, celui de la droite laïque, est lui-même fracturé entre sionistes traditionnels et néo-sionistes. Les deux partis néo-sionistes de droite, Israël Beytenou, défendant les intérêts des juifs russophones, et Nouvel Espoir, scission récente du Likoud, tous deux issus de scissions du Likoud, obtiennent 10% des voix et 11 sièges. Le centre-droit laïque, qui avait concurrencé le Likoud aux dernières élections unis dernières le parti Bleu et Blanc de l’ancien général en chef de Tsahal Benny Gantz, était cette fois divisé. Benny Gantz et quelques députés avaient fini par se rallier à Benjamin Netanyahou, provoquant la rupture des puristes anti Likoud du parti Yesh Atid. Ce dernier parvient à 14% des suffrages et 17 sièges, tandis que Benny Gantz obtient 6.5% des voix et 8 sièges. La droite laïque obtient dans son ensemble 38 sièges, 21 de moins que celle de Netanyahou.

La gauche sioniste, unie aux dernières élections, est partie divisée en mars. Le mapaï, parti travailliste fondateur historique d’Israël à l’électorat vieillissant, obtient 6% des voix et 7 sièges. Le Meretz, parti des jeunes urbains progressistes et précaires de Tel-Aviv obtient 4.5% des voix et 6 sièges. La gauche progresse nettement, puisqu’en 2019 la coalition Mapaï-Meretz n’avait obtenu que 5.8% des voix et 7 sièges. Une partie de l’électorat de centre-gauche, séduit par Bleu et Blanc et l’opposition unifiée à Benjamin Netanyahou qu’elle promettait, est revenue au Mapaï. La gauche reste néanmoins dans un état moribond, alors que la crise du logement en Israël dure depuis quinze ans. Aucun mouvement social et populaire n’a pu être structuré par la gauche, qui focalise son discours sur le progressisme et la lutte contre les extrémistes religieux et néo-sionistes. Au total, la gauche obtient 13 sièges.

Enfin, les partis arabes sont eux aussi partis divisés alors qu’ils étaient unis aux dernières élections. La gauche nationaliste arabe obtient 4.8% des voix et 6 sièges, tandis que les islamistes obtiennent 3.8% des voix et 4 sièges. Au total, les partis arabes obtiennent donc 10 sièges.

Le Likoud, qui est devenu un parti à la limite du culte de la personnalité autour de Benjamin Netanyahou, a fait campagne en vantant les succès de politique diplomatique (normalisation des relations avec plusieurs pays arabes) et sanitaire (sortie anticipée de la crise du covid grâce à la vaccination massive). L’opposition a insisté sur les scandales de corruption qui l’entourent et sur l’obscurantisme religieux grandissant de son gouvernement.

La personnalisation extrême de cette élection et l’impression de plébiscite pro ou anti Netayahou ne doit pas cacher certaines tendances électorales lourdes.

Cette élection a marqué une forte progression du camp néo-sioniste, qu’il soit laïque et dans l’opposition ou religieux et pro-Netanyahou. Cette idéologie expansionniste diffère largement du sionisme originel. Elle repose sur la volonté d’annexer les territoires palestiniens et d’en expulser les Arabes. Les laïques ont lâché Benjamin Netanyahou il y a deux ans, provoquant une crise politique dont Israël n’est toujours pas sorti. La cause de cette rupture est l’influence politique et démographique grandissante des ultra-orthodoxes, qui refusent le service militaire et obtiennent des subventions publiques qui réduisent les capacités budgétaires de l’Etat. Ces partis, qui appartiennent certes à des coalitions politiques différentes, représentent plus d’un électeur sur cinq et 26 sièges, 14 de plus qu’aux dernières élections. Le parti religieux sioniste, le plus extrême des néo-sionistes, relève de l’idéologie kahaniste, une idéologie authentiquement raciste et suprémacistes. Les militants de ce parti, qui avait été interdit dans les années 90, mènent régulièrement des expéditions punitives dans les quartiers et villes arabes et jugent positivement l’assassinat d’Yitzak Rabin. Il n’avait même pas obtenu 0.5% des suffrages aux dernières élections. Comme dans les autres démocraties occidentales, Israël est donc confronté à la montée en puissance d’un parti raciste d’extrême-droite qui progresse de manière fulgurante d’une élection à l’autre.

 

Malgré tout, aucun bloc ne semble capable de gouverner. Certaines solutions semblent se dessiner, mais elles semblent toutes aussi bancales que précaires et irréalistes.

Dans le camp Netanyahou, on pousse pour une coalition religieuse face aux laïques. Le parti islamiste Ra’am, qui ne se positionne pas officiellement dans l’opposition, pourrait apporter les quatre sièges d’appoint pour une majorité. Aussi invraisemblable que cette alliance puisse paraître, elle est régulièrement évoquée et des négociations auraient lieu en ce moment-même pour obtenir cette majorité des partis religieux. Qu’importe qu’un des alliés de Netanyahou soit un parti ouvertement raciste contre les Arabes, qu’importe que le Likoud et Yamina amalgament régulièrement l’ensemble des Palestiniens à un peuple de terroristes islamistes, une solution d’alliance avec les islamistes est évoquée. Yamina, toutefois, a indiqué qu’elle refuserait d’être membre d’une quelconque coalition avec un parti arabe.

Du côté de l’opposition, tout semble être fait dans l’unique objectif de sortir Benjamin Netanyahou du pouvoir. Les partis néo-sionistes de droite sont prêts à s’allier aux nationalistes arabes, une perspective inimaginable et absurde il y a encore six mois. Toutefois, sans l’appoint des islamistes, cette coalition n’aurait pas le pouvoir.

La situation est figée, et le scénario le plus probable est finalement celui d’une nouvelle élection dans quelques mois, la cinquième en deux ans. Les thèmes de campagne – influence de la religion, annexion ou démantèlement des colonies, corruption, politique étrangère – sont à mille lieux de la crise sociale qui se joue aujourd’hui en Israël. La progression alarmante de partis politiques extrémistes et ouvertement violents, qui accompagne l’incapacité à trouver un consensus démocratique, est partie intégrante de la Weimarisation de la politique que nous décrivions récemment. La gauche économique, hébraïque ou arabe, n’obtient pas 15% des suffrages, et même si elle est en progression, il semble que ce soit plus conjoncturel que structurel. La question laïque est omniprésente, tant l’extrémisme religieux et l’obscurantisme progressent, mais les partis laïques n’ont pas la majorité. Les résultats locaux démontrent un éclatement total du pays : à Jérusalem, les ultra-orthodoxes obtiennent plus de 30% des voix, alors qu’à Tel-Aviv c’est la gauche qui obtient 30% des voix. Dans les colonies, un électeur sur quatre a voté pour les kahanistes, et presque un sur deux pour Yamina. Les banlieues de Tel-Aviv, villes champignons construites pour accueillir l’immigration russe des années 90, votent massivement pour les néo-sionistes laïques, et les zones arabes sont elles-mêmes divisées, entre villes qui votent pour la gauche nationaliste et bédouins qui votent pour les islamistes.

Israël est en proie à une crise politique qui ne fait que refléter la crise identitaire profonde qui la traverse. Le mode de scrutin proportionnel amène le blocage, mais un mode de scrutin majoritaire mènerait au pouvoir un camp qui ne serait que marginalement soutenu. Arabes ou hébreux, orthodoxes ou laïques, néo-sionistes ou pour la paix, les multiples fractures qui structurent la société israélienne se retrouvent en politique. Tant que cette crise identitaire ne sera pas résolue, Israël ne pourra pas sortir de la crise politique. Pendant ce temps, la crise sociale et la Weimarisation progressent.

Weimarisation de la République fédérale : concept et processus

L’année 2021 va voir l’achèvement d’un phénomène que nos camarades installés en Allemagne nous décrivent depuis dix ans … mais un phénomène qui a débuté voici près de 20 ans : la Weimarisation de la République fédérale d’Allemagne.

La République de Weimar est restée dans les mémoires pour le Traité de Versailles, l’hyperinflation, l’incapacité des deux partis de gauche de s’allier, la crise économique des années 1930, et finalement, une coalition du centre droit et de l’extrême droite achevant son agonie.

L’instabilité ministérielle de Weimar s’accompagnait de l’absence de majorités claires, avec un émiettement en dizaines de micro partis catégoriels ou régionalistes obtenant des élus. C’est ce qui mena à la répétition de « grandes coalitions » associant centre gauche et centre droit, puis, dès 1930, à des gouvernements minoritaires au parlement qui contournaient celui-ci en utilisant des ordonnances.

Cela accéléra la défiance populaire à l’égard du parlement, et finalement, de la démocratie en soi,. Cette situation favorisa l’ascension du parti promettant un pouvoir fort, mais aussi d’unir en son sein toutes les classes sociales, selon un agenda raciste et une définition racialiste de la société, avec l’antisémitisme comme ciment, et le militarisme comme outil d’avenir, la colonisation de l’Europe orientale comme projet, le parti nazi.

L’une des faiblesses institutionnelles de Weimar, d’après les « spécialistes » qui pensent que le cadre juridique détermine les réalités sociales, aurait été la proportionnelle intégrale, favorisant l’émiettement du vote, et dès lors, l’incapacité de grands partis à constituer des blocs permettant un fonctionnement sain de la democratie, avec une alternance entre majorité et opposition des deux blocs. Cette interprétation trop répandue écarte toute analyse sérieuse sur la culture politique, historique et sociale construite par la domination du militarisme ultra-nationaliste prussien et sa sublimation raciste après la défaite de 1918…

Selon les mêmes interprètes, le mode de scrutin devait en quelque sorte favoriser la réconciliation des droites et des gauches pour que la démocratie fonctionne – la thèse des gauches irréconciliables étant dès lors l’un des pires poisons à donner à une démocratie. Le mode de scrutin de la République fédérale est par conséquent hybride : la moitié des députés sont élus « à la britannique » – le candidat arrivé en tête dans une circonscription emporte le siège – et l’autre moitié à la proportionnelle, avec une correction du nombre de sièges in fine.

De plus, pour réduire l’émiettement parlementaire de Weimar, la loi électorale fédérale a fixé un seuil de 5%, l’idée etant que le citoyen informé n’allait pas voter pour un parti sans chance sérieuse d’entrer au Bundestag et s’engagerait dans l’un des deux blocs pour y défendre son intérêt particulier.

Cela a longtemps marché : les Allemands de l’Ouest se sont longtemps organisés autour de deux grands partis de masse, les Völkerparteien, à gauche le SPD, à droite l’Union de la CDU et la CSU, chacun de ces deux partis fédérant des ailes droites, centriste au SPD, nationaliste au sein de l’Union, et de gauche, marxiste au SPD, chrétienne sociale au sein de l’Union. Le FDP, le parti libéral, à la fois sur les libertés publiques et les questions économiques, subsista seul comme petit parti.

Premiers signes

L’apparition des Verts dans les années 1980 allait commencer un processus d’émiettements par cercles successifs de sujets spécifiques. Les Verts regroupent à la fois des gauchistes que le SPD ne voulait pas organiser en son sein, et des conservateurs soucieux de la nature, et refusant des centrales nucléaires dans leurs jardins. C’est l’ambivalence des Grünen, entre anciens « amis » de la Rote Armee Fraktion (RAF) et bourgeois souabes surpris d’être frappés par la police en refusant un chantier de centrale nucléaire.

La réunification a initié de fait un nouvel émiettement, car le parti issu des anciens communistes de l’Est (parti socialiste unifié d’Allemagne – SED), devenu Parti du socialisme démocratique (PDS), n’ayant aucun allié naturel ou espace d’intégration avec les partis de l’Ouest, et subsistant une quinzaine d’années en tant que parti régional voire régionaliste, car moins « communiste » que défenseur des intérêts des Ossis (Allemands de l’Est) face à une réunification vécue comme une sorte de colonisation. Une étude récente d’ailleurs démontrait que l’Ossi, encore aujourd’hui, est perçu par la société allemande comme une sorte de migrant de l’intérieur : mêmes stéréotypes et discriminations silencieuses que pour un descendant de migrant.

En parallèle, la troisième voie social-démocrate a théorisé en Europe une rupture interne, tout à la fois concernant les classes sociales qu’elle représentait, que dans la synthèse des familles politiques constituant la gauche. Avant même l’apparition du clintonisme et du blairisme, le Labour britannique s’était divisé selon cette grille de lecture, les ailes droites et gauches devenant irréconciliables. L’évolution a suivi un long processus, avec des rythmes différents selon les spécificités nationales, dans la plupart des pays d’Europe occidentale. La social-démocratie n’a pas compris son incapacité à prendre réellemnt pied dans l’ancienne Europe de l’Est ; elle a cessé dans la même période d’être un espace d’engagement réellement militant, de formation, mais aussi d’encadrement. Sur ses décombres, dans les géographies de ses pertes électorales, ont émergé des partis d’extrême droite.

En Allemagne, ce mouvement s’engage surtout à partir de 2002.

On aurait pu penser que le système institutionnel l’emporterait sur les tensions sociales et économiques pour déterminer le paysage politique, selon l’interprétation de ceux qui considèrent que le cadre domine la dynamique sociale.

En 2002, on a encore deux grands blocs, un SPD encore populaire à 35%, une gauche majoritaire, une droite en un seul bloc à 35% et Les libéraux. Les anciens communistes disparaissent quasiment du parlement, à moins de 5% des voix, et seulement deux élues, qui emportent par leur implantation régionale leur circonscription. La démocratie semble solide, la loi constitutionnelle joue son rôle, il y a alternance entre deux blocs, mais aussi, modération du fait majoritaire par l’obligation de coaliser avec deux petits partis, qui servent d’amortisseurs, Verts ou FDP.

Schröder, le dynamiteur

Le deuxième mandat de Schröder va tout faire exploser.

L’agenda 2010 de réformes de l’assurance chômage et du droit du travail – les réformes Hartz 4 – n’était pas à l’agenda de la campagne de 2002. Il est annoncé en mars 2003, un peu à la surprise générale, et, grâce au soutien des Verts, s’impose aux oppositions de l’aile gauche du SPD et du syndicalisme allemand.

Dès 2004 naissent des scissions à l’aile gauche du SPD, qui s’organisent en 2005 avec les restes d’un parti agonisant, le PDS des ex communistes est-allemands. De cette alliance de bric et de broc naîtra les Linke ; elle est la conséquence directe de la volonté de l’aile droite du SPD de gouverner sans l’aile gauche, même au prix de ne plus être le parti matrice des synthèses à gauche. Rejeté par son électorat du fait de ces réformes, le SPD perdra en 2004 et 2005 Land après Land. Schröder a tenté de chercher son salut dans une élection anticipée, pour prendre de court à la fois la droite, où Merkel était encore considérée comme une présidente de transition, et sa gauche.

Son pari échoua de 8 000 voix. Mais le Bundestag en sortira bloqué.

Le parlement est privé de majorité de gauche ; la gauche est pourtant majoritaire, avec 327 sièges sur 614, mais le PDS et ses alliés (ils ne sont pas encore devenus Linke mais sont remontés à 8,7% des suffrages et 54 députés) et le SPD sont « irréconciliables », et les Verts est-allemands, issus des mouvements civiques dissidents comme Bündnis ’90, reconnaissent encore au sein des élus du PDS des anciens membres de la Stasi.

C’est donc le retour de la coalition maudite de Weimar : la « Grande Coalition ». Merkel devient chancelière, et n’aura plus qu’un programme politique : le rester.

L’explosion du parti de masse à gauche va progressivement renforcer l’émiettement politique et parlementaire.

La première GroKo (abréviation populaire de grande coalition) va voir une première résurgence de l’extrême-droite avec le parti néonazi NPD, mais aussi le « parti pirate », libertarien et laïc (il réclame la séparation des Eglises et de l’Etat).

L’émiettement weimarien s’accompagne de l’impossibilité de faire des majorités de droite ou de gauche. Il apparaît d’abord dans les votes communaux, régionaux. On commence à parler de coalitions bizarres, utilisant parfois les couleurs des drapeaux de nations lointaines pour désigner les associations de couleur des partis : Jamaïque, Kenya, Feu rouge, etc.

L’élection fédérale de 2009 sanctionna l’explosion de la gauche avec un SPD effondré à 23% – il était à 42% en 1998. Mais la droite aussi ne retrouve pas pour autant ses grands scores, et ce sont les Libéraux du FDP qui apparaissent comme le sas de sortie d’une partie de l’électorat ; ils remplacent le SPD comme partenaires de coalition de l’Union. Au total, les deux anciens grands partis de masse ne regroupent plus que 60% de l’électorat, contre 85% en moyenne de long terme. Les 3 « petits partis » font chacun plus de 10%. Le vote pour des partis non représentés au parlement a également progressé : cela représente 8% des suffrages démontrant ainsi qu’une part croissante de l’électorat veut voter pour son parti de cause unique coûte que coûte.

2009 marquait ainsi la fin de l’équilibre institutionnel instauré par la loi fondamentale en RFA, mais sur le chemin de la Weimarisation il manquait encore un composant essentiel.

Les sociaux-libéraux choisissent la soumission et la marginalisation de la gauche

L’élection fédérale de 2013 représenta l’accélération de cette Weimarisation, masquée sur un scrutin par la popularite d‘Angela Merkel. Son parti connaît un rebond, que l’on sait avoir été ultime, à 42%. Mais sa politique est rejetée, et c’est le FDP qui en fait les frais ; son allié de coalition n’arrive pas à rester au Bundestag en passant de 14,7% à moins de 5%.

Cette année là, l’AfD manque de peu son entrée au Bundestag. Sa progression suivra aux européennes, aux régionales, et son apparition détraque un peu plus le jeu institutionnel prévu par la loi fondamentale.

Seulement 85% des suffrages exprimés sont représentés au Bundestag – 15% des électeurs (+7 points!) ont choisi des partis en connaissant le risque de ne pas être représentés.

Ce n’est que grâce à cela que la gauche en 2013 est à nouveau majoritaire sur le papier. Ainsi, tout au long de ce mandat, de 2013 à 2017, la gauche aurait pu, aurait dû, surmonter ses désaccords « irréconciliables » et aurait pu, aurait dû, renverser Merkel. Celle-ci, obsédée par le possible rassemblement des gauches, fera tout pour l’empêcher, y compris s’asseoir sur les traités internationaux pour ouvrir les frontières.

On ne reviendra pas en détail sur la responsabilité des gauches ici. Dans un contexte de Weimarisation, reconnaissons seulement que 2013-2017 était la fenêtre d’opportunité pour retrouver l’équilibre institutionnel prévu par la loi fondamentale, et reconstruire un bloc de masse. Les classes bourgeoises sociales-libérales refuseront la reconstitution de la synthèse social-democrate structurante et choisiront la marginalisation.

L’émiettement final … ?

Les élections de 2017 voient le retour des faiblesses de Weimar : l’extrême droite est de retour, avec 12% des suffrages et 94 députés.

On compte pas moins de 6 partis représentés au Bundestag. Aucun bloc n’est majoritaire.

L‘Union fait l’un de ses pires scores historiques à 33%, le SPD son pire score historique, à 20%, retrouvant un niveau …. d’avant la première guerre mondiale.

Pendant les 6 mois qui suivront l’élection, l’Allemagne n’aura qu’un gouvernement démissionnaire, expédiant les affaires courantes.

La GroKo se réforme sans enthousiasme, secouée pendant deux ans de crises internes. La droite se fissure, entre aile droite tentée par l’alliance avec l’AfD, et une aile centriste n’excluant pas des alliances régionales avec les … anciens communistes devenus Linke.

La crise pandémique a provoqué un rassemblement national des partis associés aux exécutifs régionaux. L’AfD en a été exclue, elle a perud en visibilité, en vote (lors des récentes élections régionales dans le sud-ouest de l’Allemagne – https://g-r-s.fr/enseignement-des-elections-locales-en-allemagne/) et en intention de vote, du moins en apparence.

Mais l’émiettement se poursuit et s’achève.

En 2021, Merkel ne se représentera pas.

La GroKo bancale de 2018-2021 aura été une mauvaise affaire tant pour le SPD, passé définitivement sous les 20%, que pour l’Union, qui s’effondre dans un dernier sondage à 26%, et pour la démocratie.

8% des électeurs refusent le jeu institutionnel et s’entêtent sur des partis sans aucune chance de représentation parlementaire : NPD, Pirates, mais aussi partis communautaristes, animalistes, ultragauchistes ou satiriques. Ce sont les Sonstige, les « divers ».

Les Verts occupent l’espace du Nouveau Centre, du Zentrum de 1928.

Théoriquement, si le sondage Forsa du 24 mars 2021 était le résultat des prochaines élections fédérales de septembre 2021, la gauche de l’ancien temps serait majoritaire en sièges. Incapable de parler ensemble en 2005, seulement capables entre 2013 et 2017 de s’allier en fin de mandat, pour passer contre Merkel le mariage pour tous, il est cependant peu probable qu’ils se coalisent en 2021.

La compréhension historique et sociologique des Verts ne les conduisent pas à « éviter de refaire Weimar ». Leur ambition structurante s’est affranchie peu à peu des réflexions issues du gauchisme allemand qui les a un temps caractérisés. Ce sont pourtant eux qui devraient avoir les cartes en main, tout au long de la campagne, et, sauf accident dramatique pendant la campagne, après.

Ce que Merkel avait retardé en 2011 en décidant à la surprise générale l’arrêt du nucléaire, alors que les Verts étaient déjà à 20% des intentions de vote, pourrait se produire dix ans après.

La question pour l’Allemagne, est de savoir si elle retourne aux vieux démons enfantés par Weimar, ou si elle inventera d’une nouvelle synthèse post-unification…

Les classes populaires y seront-elles associées, ou le séparatisme satisfait d’une bourgeoisie prospère va-t-il accentuer encore les fractures de la société allemande ?

C’est l’enjeu tant de la gestion de la crise pandémique que de l’élection fédérale dans six mois.

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