Mila : brisons le silence !

Le procès de la jeune Mila (18 ans depuis peu), menacée de mort pour avoir vivement critiqué l’islam et « Dieu », vient de débuter. Les menaces à son encontre ont repris de plus belles ces derniers jours. La justice avait débuté son travail après que 100 000 messages à caractère violent, dont 50 000 appels au crime et menaces de mort, lui ont été expédiés.

Bien qu’elle soit sous protection 24h/24 (cas rare), la jeune femme est désormais convaincue qu’elle sera assassinée un jour ou l’autre : « Peut-être que je serai morte dans cinq ans… Je vais forcément ne pas rester en vie ». La jeune femme vie recluse pour ne pas être assassinée comme Samuel Paty, qui fut lui aussi victime d’une campagne de harcèlement numérique.

Pourtant, en République laïque, la critique, moqueuse, acerbe des croyances est un droit. Les propos mêmes vulgaires à l’endroit de ce que certains croient être un Dieu ne sont ni illégaux ni répréhensibles. Seuls la haine, la discrimination et le dénigrement d’un groupe humain, en raison de sa foi, de son origine, de sa couleur, sont punis par la loi … et les tribunaux nous le confirment assez régulièrement.

Notre pays a vu le combat des Lumières prendre une force universelle en dénonçant le supplice subi par le Chevalier de la Barre ; dans la patrie de la République laïque, nul ne devrait pourtant être en danger pour avoir dénigré les religions ou de supposées divinités. Nous regrettons que les organisations et responsables politiques – qui, au premier chef, devraient défendre Mila – brillent aujourd’hui avant tout par leur timidité, laissant à l’extrême droite un boulevard, car donnant à penser à une partie de nos concitoyens qu’elle serait la seule à défendre cette jeune femme. Pourtant l’extrême droite ne la défend en rien !

Chacun sait bien les tombereaux d’injures que Mila recevrait de sa part si elle avait tenu les mêmes propos à l’endroit du catholicisme. Pour l’extrême droite, il ne s’agit pas de défendre la liberté d’expression, mais d’utiliser le drame vécu par Mila pour dénoncer les musulmans de ce pays et camoufler un discours de haine à l’égard d’une communauté de croyants rendus ainsi collectivement complices des agresseurs. L’extrême droite réduit l’affaire Mila à cette seule facette, sans jamais rappeler les insultes homophobes dont Mila est victime. La défense de la liberté de penser a bon dos. Ainsi, le fait que certains, par électoralisme ou par lâcheté, ne défendent pas cette jeune femme attaquée à cause de son orientation sexuelle et de sa liberté de ton, de parole et de pensée, est encore plus grave.

Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Cayat, Paty, et d’autres encore : la liste des victimes que le terrorisme islamiste a fait taire par les armes est amèrement longue. Tout doit être fait pour que le nom de l’adolescente ne s’ajoute pas à cette liste.

Les silencieux, les relativistes, ceux qui trouvent que Mila « exagère », ceux qui mettent sur le même plan agressée et agresseurs sont des lâches. Ils contribuent au harcèlement généralisé dont elle est victime ; ils lui mettent une cible dans le dos en admettant que les harceleurs pourraient avoir une part de vérité ; ils confortent les intolérants, les violents et les assassins.

En France, chacun a le droit d’avoir une religion et d’exercer librement son culte ; chacun a le droit d’être athée. En France, nous avons fait en sorte qu’il n’y ait plus de religion(s) d’État ; le blasphème n’y existe pas (cette catégorie n’a d’ailleurs aucune raison d’être où que ce soit). Nous faisons la différence entre le croyant et la croyance : le croyant a des droits, la croyance n’en a pas. N’importe qui peut critiquer une religion quelle qu’elle soit, bafouer et dénigrer ses dogmes ou ses rites. Le sacré ne regarde que celui qui croit, et cela est une composante non négociable de la liberté d’expression.

La République se fonde sur la primauté de la souveraineté populaire face à aux tentatives d’imposer un « droit divin » : le Peuple a fait la loi, au nom du Peuple on dit le droit et on rend la Justice. Cela seul compte ! Respecter les principes fondamentaux républicains devrait nous protéger tous.

La Gauche Républicaine et Socialiste réaffirme son attachement à la liberté d’expression, à la liberté de conscience, et son soutien plein et entier à la jeune Mila.

“Misère de la démocratie territoriale” – tribune de Rémi Lefebvre

tribune publiée dans Libération, le 15 juin 2021

L’illisibilité des règles du scrutin et la nationalisation des enjeux risquent d’accroître le désintérêt des citoyens pour les élections régionales et départementales, regrette Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille.

L’abstention a battu un record historique aux élections municipales, scrutin pourtant de «proximité» (55,34 % au premier tour, trois points de plus au second). Les maires de 2020 sont les plus mal élus de l’histoire de la République. Au premier tour, 30 maires de plus de 50 000 habitants l’ont été avec moins de 25 % des inscrits. Le contexte sanitaire n’est pas seul en cause. La participation baisse de scrutin en scrutin au niveau local, tout particulièrement dans les quartiers populaires. Les élections régionales et départementales, a priori moins mobilisatrices, vont renouveler dans quelques jours le reste du personnel politique local. Sa légitimité sera elle aussi problématique. Atonie de la campagne, illisibilité des règles du jeu et de l’offre politiques, nationalisation des enjeux : les citoyens peinent à s’approprier ce double scrutin. La démocratie territoriale donne l’impression de tourner à vide.

Elle est d’abord d’une grande complexité. Les Français éprouvent toujours des difficultés à comprendre une répartition des compétences à la fois évolutive et byzantine. Le même jour, les électeurs votent à la proportionnelle mais sur des listes départementales pour leurs conseillers régionaux et au scrutin binominal pour un duo de conseillers départementaux. La fusion des régions, décrétée sans concertation par François Hollande, a créé des ensembles immenses et sans pertinence (comme la Nouvelle-Aquitaine ou le Grand Est) et a déstabilisé un cadre territorial auquel les Français s’identifient mal depuis 1986. Pour féminiser les départements, les candidats au scrutin départemental se présentent désormais en binôme. Mais le prix de cette salutaire parité a été le redécoupage de cantons qui ont souvent désormais la taille de circonscriptions législatives.

En milieu urbain, ce territoire d’élection ne renvoie à aucun espace vécu pour les électeurs et, en milieu rural, il a perdu une large part de sa dimension de proximité. Les partis entretiennent une forme de confusion en présentant sur les affiches les deux candidats titulaires avec leurs suppléants. A gauche, les alliances électorales aux deux scrutins régionaux et départementaux sont souvent désarticulées. On dénombre seize types de configurations à gauche aux élections départementales ! Dans les Hauts-de-France, la gauche est rassemblée aux régionales derrière l’écologiste Karima Delli mais aux élections départementales les diverses forces qui la composent partent dispersées (ce qui incite les militants à ne faire campagne que pour ce second scrutin). Les vocations départementales sont au demeurant en baisse : on dénombre 14 % de candidats en moins par rapport à 2015. Les vieux partis, à l’implantation militante déclinante, comme les nouveaux sont parfois à la peine. Dans le Maine-et-Loire, le Parti socialiste (PS) ne présente qu’un candidat. La République en marche (LREM) n’est présente que dans 10 % des cantons.

Des enjeux territoriaux détournés à des fins partisanes nationales

Mais peu importe puisque la focalisation des médias comme des partis politiques sur les élections régionales a complètement occulté le scrutin départemental. Le couplage des deux scrutins n’est pas nouveau mais on n’a jamais si peu traité des départements qui dépensent pourtant deux fois plus que les régions chaque année (70 milliards d’euros). Les enjeux régionaux sont-ils pour autant vraiment discutés et mis en débat ? Que nenni. Ils sont eux-mêmes écrasés par les considérations politiques nationales qui prennent toute la lumière médiatique et politique, la proximité de l’élection présidentielle renforçant la nationalisation du scrutin. Ce n’est pas, là encore, un phénomène inédit mais il est particulièrement marqué en 2020. Le Rassemblement national (RN) fourbit ses armes présidentielles et cherche à gagner en respectabilité territoriale, le scrutin est censé faire office de primaire à droite (sans que ses règles soient claires…), La République en marche utilise la consultation pour poursuivre la décomposition du jeu politique et fracturer ses adversaires.

Bref, les enjeux territoriaux sont détournés à des fins partisanes nationales. La nationalisation actuelle présente une originalité : traditionnellement, ce sont les partis dans l’opposition qui politisaient le scrutin quand le pouvoir en place, souvent impopulaire, cherchait à le localiser. Il n’en va pas de même en 2020. La République en marche peut se permettre de conférer une dimension nationale au scrutin parce qu’elle n’a pas d’élus sortants et parce qu’elle instrumentalise les élections locales qui ne sont pour elle qu’une variable d’ajustement national. Comme on l’a vu en région Paca, LREM est essentiellement une machine présidentielle. On peut émettre l’hypothèse que ce cadrage national aura d’autant plus d’impact que la crise sanitaire a réduit le travail de démarchage électoral. La campagne de terrain est atone : peu de porte-à-porte ni de réunions publiques et de meetings.

Quand les enjeux spécifiquement régionaux sont abordés, ils le sont principalement sous l’angle de la sécurité… qui n’est pas une compétence régionale. La droitisation du débat public a gagné l’échelle territoriale et rend peu audible les propositions de la gauche comme la gratuité du train et des transports. Les candidats surenchérissent sur la question de la sécurité, proposant l’aide à l’armement des polices municipales ou plus de tranquillité dans les trains ou les lycées. Le candidat LREM en Ile-de-France promet même de créer une police régionale ! Globalement, les programmes proposés présentent peu de différences et d’alternatives. C’est un dernier aspect de l’affaiblissement de la démocratie territoriale. Les marges de manœuvre dont bénéficient départements et régions sont de plus en plus faibles. La réduction des dotations de l’Etat ces dernières années et la perte d’autonomie fiscale en font de plus en plus des collectivités techniques de gestion. Alors à quoi bon voter ? Malgré la progression de la vaccination, les mairies peinent même à trouver des assesseurs pour organiser le scrutin. Le vote aux élections locales ne devient un rituel, souvent désinvesti, que pour une minorité d’électeurs qui ont encore suffisamment de repères pour y sacrifier.

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