Impôt international sur les sociétés : la longue marche n’est pas finie

Les États du G7 ont adopté ce week-end le principe qui consiste à taxer au moins à 15% les bénéfices des grands groupes quel que soit le territoire où ils exercent leur activité. C’est une avancée importante et il n’est pas question de faire la fine bouche ; le dispositif proposé par le G7 pourrait – s’il était mis en application – être un outil de plus pour lutter contre l’évasion et l’évitement fiscal. Mais il convient cependant de ne pas se laisser prendre par les communiqués triomphant des différents gouvernements dont le nôtre.

50 % en moyenne dans le monde en 1981

Aujourd’hui une entreprise multinationale peut quasiment choisir où elle va payer ses impôts sur les bénéfices réalisés. En vertu du principe de la souveraineté fiscale, chaque État fixe librement son taux d’imposition sur les profits. En France il est de 28%, mais en Irlande, il n’est que de 12,5%. Une entreprise qui exerce sur plusieurs pays européens, dont la France, a tout intérêt à faire « remonter » ses bénéfices vers l’Irlande et payer ainsi 12,5% plutôt que 28% en France, ou 24% en Italie. C’est d’ailleurs le choix opéré par Google ou Apple pour leurs activités sur le Vieux Continent.

Le nouveau mécanisme d’impôt minimum mondial en discussion prévoit un taux défini à l’avance et applicable à une entreprise quel que soit le pays où elle exerce ses activités. Chaque pays garderait son droit souverain à fixer le taux de prélèvement qu’il souhaite, mais, lorsque celui-ci serait inférieur au taux d’impôt minimum mondial, la différence devrait être payée par l’entreprise au pays où se situe son siège social.

Poussé par l’administration Biden, le projet d’impôt minimum mondial sur les sociétés est en fait le résultat d’une réflexion qui mûrit depuis plusieurs années au sein de l’OCDE et de ses 38 États représentant 75% des échanges commerciaux mondiaux. C’est un Français, Pascal Saint-Amans, ancien fonctionnaire du service de la législation fiscale à Bercy, qui y pilotait ce dossier.

Cependant l’Irlande et la Hongrie, notamment, qui pratiquent de manière « industrielle » le dumping fiscal, ont annoncé vouloir maintenir des taux d’impôt bas sur les bénéfices des entreprises. Ces États vont donc déployer une intense activité pour retarder la signature d’un accord performatif. En effet, dès lors qu’une entreprise sera contrainte de payer un taux minimum sur ses bénéfices partout où elle possède des activités, le recours à un paradis fiscal deviendra beaucoup moins intéressant.

Ces débats interviennent par ailleurs après une phase massive de réduction des taux d’imposition sous l’effet de la concurrence fiscale devenue la norme des années 1990 et 2000 – le taux d’imposition des sociétés était de 50 % en moyenne dans le monde en 1981. L’impôt fédéral américain sur le revenu des sociétés est l’impôt le plus important, en termes de taux d’imposition, du nombre des entités concernées et de la complexité de ses règles. À la suite de la réforme fiscale adoptée à la fin de l’année 2017 (Tax Cuts and Jobs Act of 2017), le montant de l’impôt sur les sociétés est passé de 35 à 21%. 21% était le taux initial évoqué par l’administration Biden dans les discussions qui précédaient la réunion du G7. Il est possible que la stabilisation des négociations autour de 15% résulte du manque de soutien international que Joe Biden et ses services ont essuyé. Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont beau jeu dans leur communication de mettre en scène un positionnement exigeant, alors qu’ils ont été en retard sur le sujet depuis le début du quinquennat. La communication gouvernementale française a insisté sur la revendication d’inscrire dans le communiqué final « au moins 15% » plutôt que « 15% » sec ; l’exécutif préfère donc ne pas insister sur les 21%. Au demeurant, le taux français est déjà passé de 31 à 28% ; il passera l’année prochaine à 25%… et on ne parle ici que de l’impôt brut sur les sociétés : si l’on parle du net, la France est déjà au 15%. Il semble donc que ce taux soit un objectif pour le Macronisme triomphant et non un plancher.

Attention aux questions non évoquées

Les ministres des Finances du G7 ne doivent pas uniquement trouver un début d’accord sur un taux minimum d’imposition. Ils doivent aussi définir quelles seront les entreprises concernées par ce système  : uniquement les géants du numérique (Google, Apple, Facebook, Amazon, sans oublier les BATX chinois) ou toutes les entreprises à partir d’un certain niveau de chiffre d’affaires et de rentabilité ? Les États-Unis peuvent avoir intérêt à ce que le périmètre soit le plus large possible puisque les géants du numérique sont essentiellement des firmes américaines.

Les grands groupes vont sans doute essayer d’obtenir que le périmètre des sociétés concernées par ce nouvel impôt soit le plus restreint possible. Entre les intérêts américains et ceux des grandes entreprises, qui sont apparemment divergents, arrivera-t-on à un compromis équilibré ? Peut-être que oui, peut-être que non…

Pourquoi cette réponse de Normand ? Parce qu’un sujet pourtant déterminant n’est jamais évoqué devant l’opinion publique (internationale ici) : celui de l’assiette. En effet, on pourra toujours se battre comme des chiffonniers et amuser la galerie autour des taux d’imposition, si l’assiette de la taxation est restreinte la portée réelle du dispositif n’aura pas in fine l’effet attendu. On nous a déjà fait le coup en France : à défaut de se souvenir du « vase de Soissons », il conviendrait de se rappeler le sketch autour de la taxe GAFAM. Après des années à snober sous tous les gouvernements de François Hollande, les propositions solides et étayées (portées notamment par Marie-Noëlle Lienemann, qui avait réussi à faire voter un dispositif ambitieux par le Sénat), Emmanuel Macron et Bruno Le Maire avaient fini en 2019 par céder à la pression devant les insupportables provocations fiscales des GAFAM et BATX et la colère de l’opinion publique. Mais ils avaient fait adopter un dispositif très limité et très éloigné des besoins et même abandonnée en 2019 sous la pression américaine. Or cette valse politico-fiscale masquait l’essentiel : pour être réellement efficace et éviter que le coût de la taxe soit transféré sur ses utilisateurs, la France aurait dû élargir le périmètre de la taxe GAFAM aux activités en ligne comme la vente, ou le streaming, sans lesquels son rendements est anémié. Apple et Microsoft vendent hardware, sofware et services ; Google et Facebook vendent quasi exclusivement du service. La question de l’assiette pour la taxe sur les Géants du numérique ou pour l’impôt minimal sur les sociétés n’est donc pas neutre : elle détermine tout à la fois le périmètre des entreprises concernées et le rendement de ces taxes.

Évidemment, ces démarches ne résolvent pas le problème de fond. Ce sont des solutions temporaires en attendant trouver une solution de long terme pour adapter notre système fiscal à l’économie du XXIème siècle. C’est bien sûr tout le système fiscal mondial qu’il faudra réformer en profondeur. Mais avant même le « grand soir » international, on ne sait pas encore comment cet accord va être mis en application dans l’Union européenne.

Loi Terrorisme et Renseignement : pérennisation de mesures contestables

Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a été examiné mardi 1er juin et mercredi 2 juin 2021 en séance publique à l’Assemblée nationale. Il avait été présenté lors du Conseil des ministres du 28 avril 2021 par Gérald Darmanin et par Éric Dupond-Moretti quelques jours après le meurtre d’une fonctionnaire de police à Rambouillet. Malgré la concomitance des faits, le texte n’est toutefois pas une réponse à ce drame : le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs indiqué que le texte n’aurait en rien permis de l’empêcher.

Ce projet, sur lequel les ministères de l’Intérieur et de la Justice « travaillent depuis plusieurs mois », était programmé de longue date, car deux lois votées en juillet 2015 sur le renseignement et en octobre 2017 sur le terrorisme étaient frappées d’une forme d’obsolescence programmée, car il était prévu d’évaluer les mesures « expérimentales » qu’elles avaient instaurées et qui, sans ce projet de loi, seraient tombées. Le gouvernement en profite donc pour pérenniser des mesures contestées dès l’origine et qui pour certaines n’ont pas même démontré leur efficacité (si l’on se réfère à ce qu’en attendaient leurs promoteurs) et même les amplifier. Le renforcement du contrôle parlementaire reste par ailleurs à un niveau très décevant.

Que propose le projet de loi ?

Les mesures de lutte antiterroriste

Quatre mesures de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT, qui a pris le relais de l’état d’urgence instauré à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis de novembre 2015, sont pérennisées.

Leur expérimentation avait été prolongée par une loi du 24 décembre 2020 jusqu’au 31 juillet 2021. Le ministre de l’Intérieur jugeait alors leur pérennisation « prématurée ». Il est donc étonnant que 5 mois plus tard ces mesures soient devenues subitement pérennisables.

Ces mesures de police administrative concernent les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires.

Elles sont complétées par :

  • la possibilité de fermer des lieux dépendant d’un lieu de culte ;
  • l’interdiction, pour une personne sous surveillance et assignée dans un périmètre de résidence, d’être présente lors d’un évènement exposé à un risque terroriste particulier ;
  • la possibilité d’allonger jusqu’à deux ans cumulés les mesures de surveillance pour les sortants de prison condamnés à des peines de prison lourdes pour terrorisme ;
  • la création, pour ces mêmes sortants de prison, d’une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste. Elle concernera des individus particulièrement dangereux. Elle pourra être décidée en l’absence de mesure de suivi judiciaire et sera cumulable avec les mesures de surveillance. Sa durée sera d’un an maximum, renouvelable dans la limite de cinq ans. Cette nouvelle mesure judiciaire, qui sera prononcée par le tribunal de l’application des peines, doit remplacer les mesures de sûreté voulues par la loi du 10 août 2020, dite Braun-Pivet, que le Conseil constitutionnel a censurées.
  • Toujours au titre de l’arsenal antiterroriste, les préfets et les services de renseignement seront désormais destinataires des informations sur la prise en charge psychiatrique d’une personne radicalisée.

Les mesures sur le renseignement

La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement est révisée afin de tenir compte de l’évolution des technologies et des modes de communication utilisés par les terroristes, selon le gouvernement.

L’article 27 de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, dite Rance, dispose que ses dispositions « font l’objet d’une évaluation de leur application par le Parlement dans un délai maximal de cinq ans après son entrée en vigueur », c’est la raison pour laquelle le présent projet de loi est mobilisé.

Les services de renseignement disposeront de nouvelles possibilités : conserver des renseignements au-delà de la durée normalement applicable pour des travaux de recherche et de développement ; intercepter, des communications satellitaires grâce à un dispositif de captation de proximité. Les dispositifs existants sont aussi adaptés : possibilités élargies de concours des opérateurs de communications électroniques du fait notamment du déploiement de la 5G ; durée d’autorisation de la technique de recueil de données informatiques portée d’un à deux mois.

Le texte fluidifie, tout en les encadrant, les échanges de renseignements et d’informations entre services de renseignement et avec les autorités administratives.

Il autorise enfin le brouillage des drones, pour prévenir les menaces lors de grands événements ou à l’occasion de certains convois ou en cas de survol d’une zone interdite.

Une lettre rectificative au projet de loi a été présentée en Conseil des ministres afin de tenir compte de la décision « French Data Network » du Conseil d’État du 21 avril 2021 rendue par l’assemblée du contentieux – la formation la plus solennelle – du Conseil d’État, le 21 avril dernier. Le juge enjoint au gouvernement de revoir sa copie en matière de conservation généralisée des données de connexion par les services de renseignement.

Le gouvernement a donc dû tenir compte de ce camouflet du Conseil d’État en adjoignant une « lettre rectificative » au projet de loi présentée en conseil des ministres, le 12 mai dernier, ce qui a d’autant plus entamé les capacités des députés à examiner le texte avec un temps nécessaires. D’autant que les modifications sont substantielles.

Elle vise d’abord à pérenniser la technique de renseignement dite de « l’algorithme ». Cette technique voit en outre ses modalités de mise en œuvre modifiées pour intégrer aux données traitées par l’algorithme les adresses complètes de ressources utilisées sur internet (URL). Il en va de même pour les données susceptibles d’être recueillies par le biais d’une autre technique de renseignement, le recueil en temps réel, et qui ne peut être mise en œuvre, comme l’algorithme, que pour les besoins de la prévention du terrorisme.

La lettre rectificative tire également les conséquences législatives de la décision de l’assemblée du contentieux du Conseil d’État du 21 avril 2021 « French Data Network ».

En conséquence, elle prévoit d’abord des modalités de conservation spécifiques pour les données relatives à l’identité civile, aux adresses IP et aux informations autres que l’identité fournies lors de la souscription d’un contrat. Elle prévoit ensuite qu’en cas de menace grave sur la sécurité nationale, le Premier ministre peut enjoindre aux opérateurs de conserver les données de connexion des utilisateurs, pour une durée maximale d’un an. En outre, elle introduit, pour les besoins des autorités disposant en vertu de la loi d’un accès à ces données (autorité judiciaire, autorités administratives indépendantes ou non), un mécanisme de « conservation rapide » de ces données leur permettant, aux seules fins de prévention et de répression de la criminalité grave et des autres manquements graves dont elles ont la charge d’assurer le respect, d’y accéder. Enfin, la lettre rectificative prévoit, lorsque le Premier ministre autorise la mise en œuvre d’une technique de renseignement d’accès aux données de connexion après avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qu’elle soit subordonnée, sauf urgence dûment justifiée, à une décision de la formation spécialisée du Conseil d’État saisi de la légalité de cette autorisation.

Les dispositions de la lettre rectificative permettent au procureur de la République de Paris ou au juge d’instruction, comme c’est déjà le cas en matière terroriste, de transmettre aux services de renseignement des éléments figurant dans certaines procédures judiciaires en matière de criminalité organisée d’une très grande complexité et dans les procédures en matière de cybercriminalité, de même que, pour cette seule dernière possibilité, aux services de l’État compétents en matière cyber.

Enfin, la lettre rectificative prévoit la déclassification automatique des documents couverts par le secret de la défense nationale lorsqu’ils deviennent communicables en vertu du code du patrimoine, c’est-à-dire généralement à échéance d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou, pour certaines catégories spécifiques de documents, à compter de la fin de la sensibilité des informations qu’ils comprennent. Les documents non classifiés déjà communicables le resteront, quels que soient les nouveaux délais d’incommunicabilité.

Pourquoi ce projet de loi est-il contesté et contestable ?

Notons qu’une fois de plus le débat parlementaire est tronqué à plusieurs titres.

D’une part, l’abus permanent de la procédure accéléré de la part des différents gouvernements Macron est à nouveau reproduit ; sur un sujet aussi grave est complexe, on aurait pourtant pu imaginer que les parlementaires disposent d’un temps important pour aborder avec sérieux et sérénité les dispositifs proposés. S’il n’est en rien une réponse aux actes de violences, meurtres et tentatives de meurtres qui ont émaillé douloureusement l’actualité des dernières semaines, on ne peut cependant s’empêcher de remarquer que le Président de la République et son ministre de l’intérieur ont « intérêt » à afficher le vote d’une nouvelle loi sécuritaire dans un tableau de chasse à présenter à l’opinion à moins d’un an de l’élection présidentielle, ce qui s’intègre totalement dans leur stratégie de duettiste avec l’extrême droite.

D’autre part, le dépôt d’une lettre rectificative au projet de loi, déposée le 12 mai, a entravé également le travail des députés : les rapporteurs de la commission des lois avaient été nommés 4 mai ; leur rapport a été rendu le 20. La Commission des lois de l’Assemblée nationale a donc été confrontée à une modification majeure du projet de loi en plein milieu de son travail. Sérénité et sérieux, là aussi, ont donc totalement disparu. Enfin, ce texte a été examiné en commission concomitamment à l’examen de la réforme de la justice, en séance publique. Ce chevauchement de deux textes importants et dépendant de la même commission des lois n’a pu que nuire à la qualité du travail des députés.

Ce texte s’inscrit à la suite d’une multiplication de lois sécuritaires, dérogatoires au droit commun, votées sans véritable évaluation préalable des dispositifs existants, de leur nécessité et de leur efficacité. La cohérence entre les mesures existantes et la coordination entre les différents acteurs sont pourtant des éléments essentiels à évaluer et à améliorer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Les dispositifs de prévention du terrorisme de la loi SILT qu’il s’agit aujourd’hui de pérenniser sont des instruments de police administrative : les périmètres de protection ; la fermeture temporaire des lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) ; les visites domiciliaires et saisies. Ces dispositifs ont ancré dans le droit commun les pouvoirs spéciaux de l’état d’urgence. Nos parlementaires avaient dès 2017 dénoncé cette loi de normalisation de l’état d’urgence.

Nous avions également refusé la prolongation de l’expérimentation de la technique de recueil de renseignement dite de l’« algorithme » destinée à détecter d’éventuelles menaces terroristes dans les données de connexion.

L’utilité de ces mesures de durcissements de l’arsenal répressif et administratif en matière de lutte contre le terrorisme interroge alors même que notre législation en la matière est déjà importante et que ces renforcements n’ont pas fait la démonstration de leur efficacité !

Ainsi dans son rapport de 2020, la délégation parlementaire au renseignement avait fait une évaluation clairement mitigée s’agissant de l’efficacité ou de la pertinence de l’utilisation de ces algorithmes en matière terroriste. Personne n’est capable d’affirmer que ce dispositif a permis d’empêcher un ou plusieurs attentats. Mais on se rend compte que, malgré ces doutes, tous les dispositifs de surveillance acceptés par le législateur de manière expérimentale finissent par être pérennisés. Cette une accoutumance dangereuse à court, moyen et long termes pour nos concitoyens et leurs représentants à des atteintes de plus en plus fortes aux libertés individuelles et droits fondamentaux et à la mise en cause de la séparation des pouvoirs.

En pérennisant les mesures de la loi SILT, il ne s’agit pas de rétablir le fonctionnement régulier des institutions mais d’ancrer dans le droit commun des dispositifs de renforcement du pouvoir exécutif avec l’extension des pouvoirs de police administrative et une anticipation de la répression de comportements considérés comme potentiellement, possiblement dangereux.

A contrario, il conviendrait de se donner les moyens humains et matériels d’agir par l’amélioration et le renforcement des services de renseignement, par le renforcement de la coopération entre services, avec nos partenaires européens et internationaux, par le travail de terrain avec une police de proximité au plus près de la population et des observateurs du quotidien présents en nombres au plus près des publics les plus fragilisés (éducateurs spécialisés, animateurs, intervenants sociaux, responsables associatifs…).

Trois algorithmes sont déjà en fonction : ils scannent les données de connexions des Français à la recherche de certains comportements suspects prédéfinis. Le texte prévoit d’étendre la surveillance algorithmique sera aux URL. Or l’URL sécurisé (https) est de plus en plus fréquent chez les usagers. Pour exemple, en France 95% des pages vues par Chrome sont en https et donc plus difficilement déchiffrables par les boîtes noires. Sur 59 attentats déjoués en France, 58 l’ont été par le biais du renseignement humain. On peut donc légitimement s’interroger sur l’efficacité réelle de ces boîtes noires.

Le texte prévoit aussi l’extension des relations avec les opérateurs de télécommunications électroniques, qu’il s’agisse de l’usage des IMSI-catchers à la faveur du déploiement de la 5G puisque les identifiants des terminaux mobiles deviennent temporaires, tout comme l’interception des données satellitaires de proximité étant donné la difficile réquisition des opérateurs étrangers.  

Les services de renseignement bénéficieront aussi d’un régime dérogatoire de conservation des données afin d’améliorer les outils d’intelligence artificiels dont ils disposent. Il s’agit de pouvoir tester les outils de big data et les algorithmes. Un alignement de la durée de conservation des données informatiques recueillies (30 jours) sur celle des données captées (2 mois) est proposé.

Le texte prévoit également l’échange de renseignement entre les différents services, y compris s’ils relèvent d’une finalité différente de celle qui a justifié son recueil. Ainsi, une personne pourra être surveillée pour prévention du terrorisme et d’éventuels renseignements transmis à un autre service si l’information relève des intérêts économiques majeurs de la France. Il s’agit d’une atteinte au principe de l’individualisation de la surveillance, qui était l’un des fondements de la loi de 2015, « une personne n’est surveillée par un service que pour une finalité ». Par ailleurs, les services de renseignement pourront se faire communiquer, par une autre administration, toute information, même si elle est couverte par un secret protégé par la loi. Le texte autorise également une nouvelle technique de renseignement : l’interception de correspondances émises ou reçues par la voie satellitaire.

Enfin, l’article 18 permettra le brouillage des drones. Une disposition initialement prévue dans la loi Sécurité globale mais qui avait été refusée car jugée hors champ du texte. Il s’agit d’une mesure complémentaire à la stratégie « offensive » des drones (avec usage par la police municipale sur autorisation du préfet) prise dans le projet de loi sur la sécurité globale  (disposition censurée par le Conseil constitutionnel).

Le contrôle parlementaire progresse faiblement

Symbole de la faiblesse du Parlement sur ces sujets, on ne trouvait à l’origine rien dans le projet sur l’extension des pouvoirs, aujourd’hui très limités, de la délégation parlementaire au renseignement (DPR). Le gouvernement avait choisi une stratégie sournoise disant préférer que la DPR agisse d’elle-même par voie d’amendement lors du débat, en s’assurant qu’elle bride toute ambition émancipatrice. C’est ce qui s’est produit.

La Commission des Lois a ainsi ajouté par amendement un article 17 bis sur la DPR, qui précise sa mission, étend les modalités de son droit à l’information et renforce son pouvoir d’audition. Il élargirait le champ d’action de la DPR en lui reconnaissant explicitement la possibilité de traiter des enjeux d’actualité liés au renseignement. Il est également prévu l’obligation faite au Gouvernement de transmettre à la DPR, chaque semestre, la liste des rapports de l’Inspection des Services de Renseignement (ISR) et de ceux des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence. En effet, pour pouvoir en demander la communication, encore faut-il que la DPR ait connaissance de leur existence. Il ouvre également à la DPR la faculté de demander la communication de tout document, information et élément d’appréciation utiles à l’accomplissement de sa mission (possibilité encadrée par le besoin d’en connaître de la délégation. Cette limite vaut également pour les rapports de l’ISR et ceux des services d’inspection générale des ministères).

S’agissant du Plan National d’Orientation du Renseignement (PNOR), si la délégation ne reste destinataire que « d’éléments d’informations », il est dorénavant prévu que le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme puisse effectuer chaque année devant la délégation une présentation du PNOR et de ses évolutions. S’agissant enfin des personnalités susceptibles d’être auditionnées par la DPR, l’article élargit ce pouvoir d’audition à toute personne exerçant des fonctions de direction au sein des services, au-delà des seules personnes occupant un emploi pourvu en conseil des ministres. Les auditions de ces personnes devront se tenir en présence de leur hiérarchie sauf si celle-ci y renonce : c’est une limitation assez sérieuse de la portée de la mesure envisagée.

Les avancées existent donc mais elles restent limitées. Le groupe parlementaire LFI a donc déposé un amendement pour muscler encore la DPR dans sa composition, ses moyens et son fonctionnement. Commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, elle est toutefois seulement composée de quatre députés et de quatre sénateurs… De par ce faible nombre de membres ainsi que le fait que les présidents des commissions permanentes chargées des affaires de sécurité intérieure et de défense en sont membres de droit, l’opposition et les groupes minoritaires ne sont dans les faits pas représentés : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le nouvel article intégré en commission était aussi timide. Sauf à considérer qu’en soi les oppositions parlementaires seraient irresponsables ou suspectes de faire fuiter les informations confidentielles auxquelles la DPR a accès, l’ouverture de la DPI aux parlementaires d’opposition renforcerait le caractère démocratique de cet organe et raffermirait l’effectivité de son contrôle, voire le consensus nécessaire dans la lutte contre les actes de terrorisme. L’amendement LFI propose également de doter la DPR d’un pouvoir d’injonction pour donner des instructions générales aux services de renseignements et d’une capacité à auditionner directement un agent des services de renseignement. D’une manière générale, ces capacités sont souvent absentes de nombreux domaines de l’action publique et témoignent de la marginalité du parlement français comparativement à ses homologues européens.

Un sujet ne peut enfin être traité dans l’examen du projet de loi, du fait des limites imposées par l’article 40 de la constitution sur l’aggravation des charges financières : celles des moyens donnés à la DPR. Elle ne dispose aujourd’hui en tout et pour tout que d’un demi-poste de fonctionnaire pour l’assister. Lui affecter des postes supplémentaires serait jugé irrecevable… Pour mesurer l’absurdité de cette situation, nous rappellerons que la commission similaire du congrès américain dispose d’un staff de 50 personnes aguerries.

AESH : la précarité ne peut permettre l’insertion

Ce jeudi 3 juin l’intersyndicale appelle à une grève nationale des Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH) pour obtenir satisfaction aux légitimes revendications telles que l’amélioration des salaires, un véritable statut de fonctionnaire, une formation professionnalisante et continue, ou encore la remise en cause de la fin des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).

Cette profession à 90% féminine subit une très grande précarité, car soumise à des temps partiels forcés qui créent une fragilité, et un isolement des professionnels sur plusieurs plans – notamment financier mais aussi moralement par la dureté du métier et le manque de reconnaissance.

Maillon essentiel de l’inclusion scolaire et, de fait, sociale, les AESH ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Ce manque de stabilité et de reconnaissance se répercute aussi sur les enfants qui ont besoin de personnes formées et de repères pour une scolarité de qualité dans les classes. Atteindre ces objectifs, nécessaires à la dignité des enfants en situation de handicap, n’est possible qu’à la seule condition que les personnels qui les accompagnent soient enfin respectés et correctement payés, ce qui assurerait par ailleurs la qualité des recrutements. C’est d’ailleurs un principe que l’on pourrait appliquer à l’ensemble du secteur médico-social.

Le droit de tout élève à la scolarisation est un principe essentiel de l’école républicaine, le gouvernement se doit donc répondre positivement aux revendications des AESH revendications, ce qui bénéficierait aussi aux élèves accompagnés.

La GRS soutient la grève du 3 juin et les revendications légitimes des AESH qui doivent être satisfaites au plus vite. Plus largement, il est temps de prendre les dispositions nécessaires pour mettre fin à la précarité au sein de la fonction publique et des services publics qui touche malheureusement bien d’autres professions.

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