Emmanuel Macron et Gérald Darmanin ont annoncé hier leur projet d’accorder à la Corse un statut d’autonomie spéciale, suite aux récentes émeutes entraînées par l’agression d’Yvan Colonna par un détenu islamiste.
Pendant plus de 8 minutes, sans que personne n’intervienne, un islamiste radicalisé a en effet pu agresser Yvan Colonna, détenu particulièrement sensible ; ce dernier est aujourd’hui entre la vie et la mort. Ce très grave incident est symptomatique du délabrement et de la dangerosité dans nos prisons, en plus de conditions de détention indignes. Il démontre une grave défaillance de l’État qui aurait dû s’assurer qu’un détenu signalé ne soit pas atteignable ; on savait qu’un incident avec Yvan Colonna serait inflammable avec des conséquences immédiates dans le climat politique corse. Le silence du gouvernement dans les heures et les jours qui ont suivi l’agression a été contre-productif ; les ministres de la Justice et de l’intérieur auraient dû immédiatement réagir pour reconnaître le dysfonctionnement évident et annoncer une enquête… Ce silence a nourri les pires considérations complotistes et précédé les débordements des manifestations massives en Corse.
« La République une et indivisible », premiers mots de notre constitution, sont sur le point d’être enterrés par le gouvernement. Il s’agit de l’aboutissement ultime du néolibéralisme dont l’objectif avoué est la destruction de l’État providence et de la République sociale, au profit d’une « Europe des régions » où chacun serait autonome, « individué », mais appauvri.
La Corse, c’est la France. Il s’agit de deux départements parmi les plus pauvres de France métropolitaine, et souvent les plus ignorés de la puissance publique concernant les investissements publics. Les récentes émeutes n’émanent donc pas de nulle part. Mais céder ainsi à la violence politique pour aujourd’hui sous le coup de la panique faire une promesse aussi ambiguë que possible et tend à faire croire aux nationalistes corses que la République pourrait accorder une autonomie fiscale et législative. Car dans les faits, au regard du statut institutionnel actuel de l’île, la Corse bénéficie déjà d’une très large autonomie ; l’étape suivante ne pourrait donc être que cette autonomie fiscale et législative qui mettrait fin de fait à la République française en Corse. De la part de la macronie, c’est à nouveau jouer avec une ligne rouge car soit la promesse du ministre de l’intérieur transformé en porte parole du président candidat ne sera pas tenue (pour différentes raisons, y compris constitutionnelles) et le procès en trahison politique et en défiance sera plus lourd que jamais et pourrira durablement les relations avec la Corse, soit elle est mise en œuvre et ce sera le premier domino à tomber dans une logique de fragilisation de la République.
Quelle serait la suite de l’autonomie corse ? L’autonomie de toutes les régions dont l’identité culturelle locale est restée puissante ? La désagrégation à marche forcée de l’universalité de la loi et la transformation de la France en une obscure fédération de grandes régions ? C’était déjà ce que laissait entendre une proposition de résolution du groupe socialiste en juin 2020 en faveur d’une modification de la constitution visant à énoncer de façon limitative les compétences de l’État, celles des collectivités locales devenant la règle pour tous les autres sujets. Cette revendication d’une autonomie fiscale et législative de la Corse pourrait d’ailleurs aboutir à une situation complexe qui déborderait les dirigeants autonomistes : il y a fort à parier que la Corse soit alors en difficulté pour résister aux appétits « économiques » de certains intérêts peu recommandables. La République reste aujourd’hui le meilleur rempart des Corses et de la Corse contre des visées agressives. C’est un risque bien trop grand avec des conséquences bien trop graves.
Nous n’avons rien en soi contre le président de l’exécutif corse. Nous ne partageons évidemment pas ses convictions autonomistes, mais nous n’avons aucune raison de penser qu’il n’est pas sincère quand il dit vouloir défendre la démocratie, la probité et la transparence, la justice sociale et la paix civile. L’exécutif territorial corse doit être considéré comme un véritable et légitime interlocuteur avec qui l’État doit discuter de manière approfondie des solutions à apporter aux difficultés spécifiques auxquelles est confrontée la société corse. Le temps des faux semblants est terminé !
Ainsi considérer Gilles Simeoni comme un véritable interlocuteur et le respecter, c’est aussi lui dire notre conviction que l’autonomie de la Corse ne réglerait rien des problèmes que traverse l’île. La puissance publique n’investira pas plus dans des infrastructures dignes, dans la lutte contre la pauvreté ou contre la corruption. La pauvreté ne reculera pas si la loi de la République ne s’applique plus en Corse. Elle ne reculera que si le gouvernement et les représentants légitimes et élus de cette région discutent des moyens financiers et humains à consacrer à la lutte contre l’isolement, l’inflation, la vie chère, qui rongent la Corse et ses habitants. Négocier un véritable contrat de plan renforcé État/Corse qui vise à résoudre les problèmes sociaux, économiques et d’accès aux services publics des habitants est une priorité absolue : le fait que le président de l’exécutif territorial soit autonomiste ne doit en rien constituer un frein à ce travail urgent et nécessaire.
Sauf que ce processus est tellement aux antipodes de ce qu’Emmanuel Macron a l’habitude de faire qu’il préfère brader l’unité de la République, et ce en pleine campagne pour l’élection présidentielle. Pour notre part, nous continuerons à défendre l’indivisibilité de la République et l’égalité des citoyens en son sein.