En 2024, lançons la contre-offensive !

L’année 2023 s’achève comme elle avait commencé : dans le mépris de la démocratie et du parlement, dans l’angoisse sociale du lendemain pour des millions de foyers de notre pays.
L’année avait débuté avec des manifestations massives contre une réforme des retraites injuste, inutile et inefficace qui finit par être adoptée avec les forceps du 49.3… elle se termine dans l’attente de la sanction du Conseil Constitutionnel sur le projet de loi immigration, lui aussi injuste, inutile et inefficace qu’Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont, à tout prix, voulu faire adopter en sachant que des pans entiers du texte n’étaient pas constitutionnels, uniquement pour s’assurer les voix des députés LR et RN. Au-delà de son contenu, la méthode utilisée pour faire voter la loi immigration nous montre un régime de la Vème République à bout de souffle, avec un exécutif qui le gave de toxines institutionnelles sans se soucier de l’amener chaque jour un peu plus vers sa phase terminale.

Pendant ce temps, les Français continuent de subir les effets délétères de la hausse des prix. En ces lendemains de Noël, autrefois consacrés à vivre un peu de joie en famille (peu importe la classe sociale), le quart de nos compatriotes envisagent désormais de revendre les cadeaux déposés au pied du sapin pour payer une partie de leurs traites. Le ministre des finances ne voit pas de son côté « d’appauvrissement de la société française ». Pourtant tout le démontre et, face à l’échec de la politique économique macroniste (Bruno Le Maire voyant s’éloigner l’objectif d’un taux de chômage à 5% en 2027), le voilà qui envisage un nouveau tour de vis social qui précariserait un peu plus les chômeurs âgés. Avec une telle médecine, on ne pourra même pas dire que le patient est mort guéri…
Enfin, refusant de profiter de la fenêtre d’opportunité que lui offre les faiblesses du gouvernement allemand, Emmanuel Macron laisse filer les pires absurdités au niveau européen : retour au Pacte d’Austérité, accumulation des traités de libre échange, ouverture d’une nouvelle phase d’élargissement de l’Union Européenne…


Le sursaut est plus que jamais nécessaire et vital. Nous promouvons depuis longtemps un rassemblement de la gauche dans un nouveau front populaire, autour d’un programme commun où les priorités de nos concitoyens – travail, salaires, éducation, hôpital, accès aux services publics, etc. – seraient enfin prises en compte. Face à la déconfiture du néolibéralisme macroniste, il y a urgence à ce que la gauche propose enfin une alternative ambitieuse pour garantir la cohésion nationale et la justice sociale. On sait trop bien que le Rassemblement National n’est plus seulement à l’embuscade mais prépare la grande offensive. Nous défendrons notre projet dès les prochaines élections européennes et nous continuerons inlassablement à travailler à la contre-offensive.

Nous vous donnons RDV le 22 janvier pour les vœux de la GRS.

Monsieur le Président : renoncez !

L’Appel du 20 décembre 2023 de plusieurs associations, organisations politiques et syndicales demandant au Président de la République de renoncer à son texte sur l’immigration.

Monsieur le Président, Ce soir, à l’occasion de votre intervention télévisuelle, nous vous demandons solennellement de prendre la seule décision qui vaille : vous devez renoncer à une loi qui porte une atteinte fondamentale aux valeurs de notre République et qui, au-delà de fracturer votre propre majorité, va fracturer notre pays.

Vous avez été élu et réélu face à l’extrême droite. Vous vous étiez même posé en ultime barrage contre les idées du Rassemblement National. C’est la raison pour laquelle de très nombreux Français ont voté pour vous, non par adhésion à votre politique, mais pour éviter le pire.

Mais hier soir, une digue a lâché. Loin de régler quoi que soit aux désordres du monde, à l’exil face aux guerres et au changement climatique, à la crise de l’accueil et ses conséquences, la loi sur l’immigration adoptée hier, la plus régressive depuis des décennies, consacre la préférence nationale, remet en cause le droit du sol et les droits fondamentaux affirmés dans le préambule même de notre constitution, issu du Conseil national de la résistance. Le texte voté est un désastre moral, une trahison de notre Histoire, de ce qu’est notre pays et l’esprit des Lumières, et une reddition devant l’extrême droite qui peut légitimement évoquer une victoire idéologique.

Nous, forces politiques, syndicales, associatives, ne nous résignons pas. Nous sommes là pour résister à l’arbitraire et à l’inhumain. Nous appelons l’ensemble des organisations de la société civile, toutes les forces progressistes et républicaines à agir face à cette attaque majeure contre notre République et sa Constitution, et à construire ensemble des initiatives dans les jours et les semaines qui viennent.

Monsieur le Président : renoncez !

Signataires :

Associations et syndicats : ATTAC, ANVITA, Confédération paysanne, Confédération Générale du Travail, CRID, Droit Au Logement, EMMAUS France, Fédération Syndicale Unitaire, Jeune Garde, MRAP, Les Amis de la Terre, Ligue des Droits de l’Homme, SOS Racisme, Union étudiante, Union syndicale Lycéenne

Partis politiques : La France Insoumise, L’Engagement, Les Écologistes – EELV, Les Radicaux De Gauche, Génération·S, Gauche Républicaine et Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Radical de Gauche, Parti Socialiste, Place Publique, REV.

Réindustrialisation, emploi : non seulement l’État peut mais l’État doit !

« Réveillez-vous ! » C’est ce qu’aurait dit Emmanuel Macron au patronat pour tenter d’en finir avec le chômage de masse et diminuer le taux actuel de chômage qui semble stagner aujourd’hui autour de 7,4 % (si on ne tient pas compte de toutes celles et tous ceux qui sont sortis des statistiques). On sait que le président de la République s’est engagé sur le retour au plein emploi avec une cible à 5 % de la population active.

Dans son discours, Emmanuel Macron affiche donc une forme de volontarisme puisque succéderait à l’adage mitterrandien de 1993 « contre le chômage, on a tout essayé » l’idée selon laquelle en 2023 il y aurait encore des choses à essayer malgré tout. Sauf qu’Emmanuel Macron déplace le problème et déplace l’action : quand il dit au patronat « réveillez-vous », il leur dit « moi j’ai fait mon job, j’ai précarisé les travailleurs, j’ai flexibilisé le marché du travail, j’ai pénalisé les chômeurs, c’est à vous de nous faire passer de 7,4 à 5 %. »

Sauf que dans tous les cas, la situation économique reste particulièrement instable. La Banque de France anticipe pour 2025 un taux de chômage à 7,8 %, avec un ralentissement économique lié notamment au durcissement de la politique monétaire mis en œuvre au prétexte de lutter contre l’inflation. Dans ces conditions, l’investissement est plus coûteux et si la politique de la BCE ne change pas, le Président se retrouvera vite impuissanté.

La faillite d’une politique inefficace

Mais le raisonnement d’Emmanuel Macron est fondé sur une erreur d’analyse et donc de mauvaises solutions. La facilitation des licenciements, l’indulgence accrue pour les écarts aux codes du travail, la flexilibisation du marché du travail, sont autant de stratégies entamées dans les années 1990 et qui ne fonctionnent pas. Elles ont en réalité donné peu de résultats et elles n’en donneront pas beaucoup plus.

L’essentiel des efforts ont été mis dans des réductions des allègements de cotisations sociales ; la France a voulu rendre compatible un modèle protecteur assorti d’un salaire minimum assez élevé avec le fait d’avoir un coût du travail « compétitif » : en d’autres termes, l’État a pris en charge une partie du salaire et des cotisations sociales des entreprises… une stratégie engagée dès le gouvernement Balladur en 1993 et qui a été poursuivie par tous les gouvernements qui lui ont succédé (le rapport Lescure/Strauss-Kahn dans les années 1980 avait acclimaté la majorité du PS à cette solution) : Juppé, Jospin, Fillon ont bel et bien poursuivi cette logique, portée aux nues par François Hollande de 2012 à 2017, pour qui il faut non seulement diminuer d’une manière ou d’une autre le coût du travail mais aussi diminuer les « frictions » à l’embauche.

Aujourd’hui l’État dépense environ 80 milliards d’euros par an pour réduire alléger les cotisations sociales, sans s’interroger réellement sur le fait que cela fonctionne vraiment ou pas. Le constat est pourtant limpide : après 30 ans de ce régime, qui a fortement pesé sur les ressources de la Sécurité sociale, le chômage reste toujours au-dessus de 5 %.

Pour les économistes qui promeuvent les allègements de cotisations sociales, il faudrait concentrer ces allégements sur les bas salaires, de 1 à 1,3 fois le SMIC, mais le spectre a été constamment élargi : seuls 30 milliards d’allègements sont sur les bas salaires, et le reste va vers des salaires jusqu’à 3,5 fois le SMIC : neuf salariés sur dix en France. Non seulement l’efficacité est douteuse mais cette politique s’avère extrêmement coûteuse, finançant des effets d’aubaine pour des entreprises qui n’en ont pas vraiment besoin.

L’une des justifications qui est donnée à ces politiques, c’est qu’il faut changer l’image de la France auprès des entreprises et attirer plus d’investissements étrangers. C’est d’ailleurs chaque année un des principaux axes de communication d’Emmanuel Macron avec son « Sommet Choose France », aux résultats peu probants1. La transformation de l’action publique a été radicale pour porter cette image « pro business ». Le contrat social français reposait sur un État stratège qui protège ses citoyens grâce au service public et à la Sécurité sociale. Depuis 30 ans, la protection sociale s’est réduite et la qualité des services publics s’est effondrée. Les promoteurs de cette transformation de l’action publique croient dans le ruissellement : le soutien indifférencié aux (grandes) entreprises permettrait de soutenir le reste de l’économie et de la société. Mais le financement de cette « grande transformation » a été surtout porté par les ménages : l’imposition sur le revenu équivalait en 1950 à 2 % du PIB ; en cumulant l’impôt sur le revenu et la CSG, elle atteint 10 % aujourd’hui (alors que le PIB a été multiplié par 7, en euros constants, depuis 1950). Les ménages ont donc été amenés à contribuer toujours davantage à un budget de plus en plus tourné vers les entreprises, sans en voir le retour économique, le tout en perdant en services publics et en protection sociale.

Les allègements de cotisations sociales ont non seulement réduit les recettes directes de la protection sociale, mais le coût de chaque emploi créé via ces dispositifs est lourd : Bruno Palier Clément Carbonnier et Mickaël Zemmour ont calculé ainsi que la puissance publique dépense en moyenne 62 000 euros par emploi créé – une partie des emplois créés monte même jusqu’à 150 000 euros par unité. La productivité de l’argent investi est donc médiocre, et à la source d’une bonne partie de l’explosion de la dette publique. Il est grand temps de questionner l’efficacité de cette politique « pro-business ».

Or la difficulté pour sortir de ces politiques libérales, c’est que derrière toute niche fiscale il y a un chien : une fois qu’un allègement a été mise en place il est très difficile de revenir en arrière… L’impasse est renforcée par le fait qu’une large partie de la haute administration est acquise à l’idéologie néolibérale, donc totalement incapable de remettre en question rationnellement des décisions qui ont pourtant échoué. Il y a une collusion politique et sociologique avec les groupes d’intérêts qui ont intérêt au maintien de ces politiques, qui défavorisent pourtant la collectivité.

1Choose France : Des annonces, rideau de fumée cachant un réalité industrielle préoccupante – https://www.mnlienemann.fr/2022/07/choose-france-des-annonces-rideau-de-fumee-cachant-un-realite-industrielle-preoccupante/

Emmanuel Macron préfère la communication à un examen lucide qui impose en fait un changement de cap ! – https://www.mnlienemann.fr/2023/05/reindustrialisation-emmanuel-macron-prefere-la-communication-a-un-examen-lucide-qui-impose-en-fait-un-changement-de-cap/

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronismehttp://www.fredericfaravel.fr/2023/05/reindustrialisation-sans-veritable-strategie-les-satisfecits-prematures-du-macronisme.html

Une évolution de la stratégie des pouvoirs publics ?

Il y a eu deux phases dans la politique industrielle d’Emmanuel Macron : celle qui court de 2017 à 2020, et le « tournant » opéré depuis le covid et la guerre en Ukraine. Alors que le constat était assez évident depuis des années, c’est seulement à partir de ce moment qu’un consensus politique relatif a émergé sur la nécessité de réindustrialiser pour sauvegarder l’emploi qualifié, la création de valeur sur le territoire et in fine, la souveraineté.

La première phase de ce renouvellement s’est traduite par le plan France Relance1, dont le rapport remis récemment par la Cour des Comptes démontre que le nombre de relocalisations a été très faible par rapport à ce qui pouvait être attendu, en raison de dispositifs mal ciblés.

Quand on parle de réindustrialisation, nous l’avons dit, l’exécutif met avant tout en avant les grands plans d’investissements directs étrangers et qui donnent lieu à de grandes annonces d’ouverture – récemment encore avec les 2 milliards annoncés par le géant pharmaceutique Novo Nordisk près de Chartres. Nous faisons face à une compétition mondiale des États pour attirer ces activités sur leur territoire, avec de nombreuses aides publiques qui sont nécessaires dans certains cas, mais également grevées effets d’aubaines, du fait de l’absence de conditionnalité. Imaginons par exemple que les prix de l’énergie continuent de flamber pendant des années : cela pourrait déboucher sur des réveils difficiles, certains acteurs décidant de repartir ou de ne pas tenir leurs engagements… et jusqu’ici les gouvernements n’ont pas brillé par un volontarisme particulier pour réclamer et obtenir le remboursement des aides octroyées lorsque les rares conditions imposées n’étaient pas respectées.

Même si l’Union Européenne a commencé à évoluer, notamment sur les aides d’État, la doctrine de la Commission reste largement dominée par les mantras de la « concurrence libre et non faussée » et du libre-échange. Prenons l’exemple du bonus écologique pour les véhicules électriques : il est versé à tout acheteur, peu importe le lieu de production, dans l’Union Européenne ou hors d’Europe – en Chine par exemple, alors que les bilans respectifs en termes de création d’emplois et de recettes fiscales, mais aussi sur le plan environnemental, n’ont évidemment rien à voir.

Les États de l’OCDE ont adopté pendant plus de 20 ans une stratégie de concurrence fiscale débridée au point qu’il devient difficile d’aller plus loin… Mais sans remettre en cause la phase précédente, on ajoute aujourd’hui un nouvel instrument : les aides publiques. C’est très clairement la politique conduite aux États-Unis par Joe Biden avec l’Inflation Reduction Act (IRA) qui prévoit près de 400 milliards de dollars de subventions aux entreprises des « clean techs », sous condition que leur production soit « Made in USA ». La France et surtout l’Allemagne, championnes européennes des aides publiques ne peuvent pas se mettre au même niveau.

Si l’on veut réussir la réindustrialisation, ses objectifs doivent être clairs : recréer de l’emploi durable (aujourd’hui l’emploi industriel ne représente plus que 10 % de l’emploi total en France) ; décarboner l’appareil productif (l’industrie est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre en France, derrière l’agriculture :19%), sachant que les résultats assez bons de la France en matière d’émissions s’expliquent en partie par la désindustrialisation massive. En second lieu, il faut assurer la sécurité et la souveraineté nationales (santé, transports, défense…). Nous devons donc définir politiquement ce que l’on veut produire sur le territoire et au nom de quel projet de société. Évidemment, la question de notre autonomie sanitaire est primordiale, mais au moment où l’exécutif se réjouit de l’arrivée d’un grand groupe danois dans le bassin parisien, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles ce n’est pas Sanofi, le leader pharmaceutique français, qui investit 2 milliards d’euros.

1Où est le plan ? Où est la relance ?
https://g-r-s.fr/ou-est-le-plan-ou-est-la-relance/

Changer la culture des dirigeants, changer nos choix collectifs

Durant les 20 dernières années, les multinationales françaises ont plus délocalisé que les multinationales allemandes, mais aussi plus que les multinationales étrangères implantées sur le territoire national. Il y a donc une culture des dirigeants français à modifier en profondeur, d’autant que les arguments invoqués en matière de coût du travail ne sont plus valables. Depuis la fin des années 2010, le coût du travail français et le coût du travail allemand sont au même niveau et pourtant les multinationales françaises n’ont pas relocalisé. Les Allemands ont délocalisé les composants mais ont gardé l’assemblage en Allemagne ; les entreprises françaises n’ont même pas gardé l’assemblage en France. Bien sûr, l’Allemagne s’est appuyée sur son « hinterland », en délocalisant une partie de sa production automobile en Pologne, République Tchèque, Slovaquie Hongrie. Nos grands groupes français sont eux aussi allés là-bas, mais… en demandant à leurs sous-traitants de les suivre.

Non seulement les grands groupes ont délocalisé, mais ils ont aussi intensifié des pratiques désastreuses comme le non-respect des délais de paiement, qui a nuit terriblement au tissu productif français, avec des situations de dépendance qui n’ont pas permis à certains sous-traitants de se diversifier et de s’adapter au changement. On peut le vérifier dans le retard de la conversion du moteur thermique vers le moteur électrique : de nombreuses fonderies n’ont pas été en mesure d’anticiper leur mutation.

Enfin, dans la société de consommation, la stagnation des salaires conduit les dirigeants économiques et politiques français à encourager l’augmentation du pouvoir par… l’importation de marchandises à bas coût. On a délibérément choisi d’acheter des produits très peu chers en Asie pour faire du volume, au détriment de l’emploi et de l’environnement en France. À chaque fois qu’on n’achète pas un produit français, on joue contre nos propres capacités productives. Défendre le « Made in France » et le « Made in Europe », c’est aussi avoir conscience de nos choix et des conséquences qu’ils ont.

Paradoxalement, le fait que les États-Unis eux-mêmes aient également pris conscience de la nécessité de ce grand retournement économique nous aide, car ils vont contraindre l’Europe à réagir. La motivation de Joe Biden est double : il y a à la fois un objectif de décarbonation mais également un objectif politique. Le nouveau patriotisme économique des États-Unis est également fondé sur la motivation de Biden et des Démocrates de reconquérir la classe moyenne industrielle et la classe ouvrière de la « rust belt », où les scores de Donald Trump sont très importants.

Aux États-Unis comme en Europe et en France, nous devrons faire face à la tentation du greenwashing, à savoir verser des aides publiques sans avoir de réelles stratégie de transition énergétique et écologique, sans planification. Les pouvoirs publics français distribuent entre 160 et 200 milliards d’euros d’aides aux entreprises par an (2019, Institut de recherches économiques et sociales (Ires) de Lille), soit 6,5 % du PIB. Pour mémoire, l’effort pour l’éducation ne représente que 5 % du PIB. Or sur les 20 dernières années, 10 % seulement des aides publiques sont allées aux secteurs les plus intensifs en recherche et développement, sur lesquels pèse par nature un fort risque économique. Le reste a garni le compte de résultat (et le dividende) d’entreprises déjà profitables, et sans exigence sociale ou environnementale.

Si on veut faire émerger des filières d’acier bas carbone, d’hydrogène bas-carbone, si on veut accompagner les industries lourdes dans leur décarbonation (les 50 sites industriels les plus émetteurs sont majoritairement l’industrie lourde), il faut non seulement conditionner les aides, qui sont nécessaires, mais définir quelle est la meilleure manière de soutenir l’industrie française. Nous n’aurons pas de demande pour des produits mieux-disants sur le plan environnemental si la société ne s’est pas préalablement entendue sur le prix de nos choix de société. Sans la transformation de notre culture sociale, la réindustrialisation restera un vœu pieux.

Loi immigration : le macronisme en débandade

La Gauche Républicaine et Socialiste fait part de sa sidération concernant le débat sur la loi immigration.

Les mesures convenues entre Renaissance et LR en CMP et intégrées au texte final démontrent l’impasse politique dans laquelle est engoncée la majorité présidentielle. Prisonnière de la droite, elle en est réduite à accepter des mesures qui confinent à l’inhumanité (« délai de carence » sur l’accès à l’aide et la protection sociales) et au danger sanitaire (promesse faite à LR de supprimer l’Aide Médicale d’Etat).

Pire : la loi votée ne prévoit rien sur l’intégration républicaine et restreint le droit du sol sans apporter aucune réponse crédible aux OQTF non exécutées. Les problèmes qu’elle entend régler seront donc inchangés. Ce texte se présente comme un catalogue de mesures mesquines, vexatoires et accessoires contre les étrangers en situation régulière.

La crise démocratique que nous vivons démontre que les institutions de la Vème République, malmenées par le macronisme, sont dépassées. Certains députés et ministres de la majorité présidentielle, qui n’ont jamais rien fait pour défendre les retraites, l’hôpital public, les fonctionnaires, les salaires, ont vaguement mis en scène une fronde de pacotille. Et l’extrême droite, par calcul, a donné le baiser de Judas au gouvernement.

La Gauche Républicaine et Socialiste appelle le Conseil Constitutionnel à censurer le texte et ses mesures contraires aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Elle appelle à l’ouverture d’une politique sérieuse et ambitieuse d’intégration.

Entrer en Résistance

Nous ne faisons pas face à un gouvernement qui voudrait faire de son mieux dans un contexte difficile mais se tromperait sur le diagnostic et les solutions.

Nous faisons face à un président de la République au service des puissants de ce monde, idéologiquement convaincu que la richesse ruisselle sans qu’il n’y ait besoin que la loi instaure la solidarité et qui, délibérément, ne prend pas les mesures pour sauver, soutenir ou améliorer tout ce qui fait l’originalité et la pertinence de notre modèle social français ou même européen.

Au contraire, par tous les moyens, et dans tous les domaines, il affaiblit, casse ou laisse dépérir à dessein. Il n’est pas le seul en Europe. D’autres ont tapé plus fort et plus tôt. Mais les objectifs sont les mêmes.

Ces attaques semblent partir tous azimuts mais sont malheureusement très cohérentes. Ainsi de la réforme des retraites, inutile et injuste ; ainsi de l’Hôpital, de la Recherche ou de l’École où, faute de moyens et d’ambition, on désespère les personnels et on laisse filer les compétences ; ainsi de la Laïcité quand « l’on » fait semblant de ne pas voir que la participation du Président à des cérémonies religieuses est anticonstitutionnelle et rend inaudible le juste discours sur les signes ostentatoires ; ainsi du droit du travail contre lequel on ne compte plus les coups de boutoirs, dont le dernier en date est la proposition de faire reculer d’un an à deux mois le délai de prescription pour la saisine des prudhommes en cas de licenciement abusif… Et la liste est longue.

Entrer en résistance, c’est multiplier les combats ponctuels sans perdre de vue la vision d’ensemble. Entrer en résistance, c’est avoir conscience qu’à ce régime la République est en danger. Mais entrer en résistance c’est aussi gagner : ainsi de la victoire d’Emmanuel Maurel et de ses alliés sur le géoblocage des œuvres culturelles. Entrer en résistance c’est gagner partout où nous sommes car il n’y a pas de petites victoires. Entrer en résistance, c’est ainsi préparer la contre-offensive et la gauche républicaine de demain qui, en France comme en Europe, pourra proposer une alternative attractive aux chemins mortifères.

COP 28 : Assez d’hypocrisie et de débat sur les mots, il faut des solutions !

La majorité des participants à la COP 28 de Dubaï et les médias internationaux saluent, ce 13 décembre 2023, ce qu’ils présentent comme un « accord historique ».

En effet, le texte de compromis encourage les participants à une « transition hors des énergies fossiles« . On peut considérer que c’est une avancée puisque la COP de Glasgow en 2021 avait échoué à l’intégrer et n’appelait qu’à la sortie du seul charbon.

Cependant, la Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa forte réserve sur ce type d’événements, qui s’apparentent de plus en plus à des foires mondiales où se négocient autant de contrats commerciaux que d’avancées pour la planète. Le tout dans un cadre où règnent les lobbies et où les lieux de réunions sur-climatisés sont distants de 20 km et reliés par des autoroutes à 8 voix…

Mais surtout, les conclusions des COP ne sont jamais contraignantes. Le monde doit compter sur la « bonne volonté » des États. Cette absence de caractère contraignant des engagements pris par les États lors des COP est illustrée de la pire des manières par la stagnation du du fonds pour les États victimes du réchauffement climatique créé par la COP 27… Alors qu’il s’agit des populations entières, les annonces se font rares : on ne peut plus se contenter des bonnes volontés.

L’hypocrisie est d’autant plus forte que les parties s’engagent à la « transition hors des énergies fossiles » tout en misant sur le recours au méthane (un gaz 30 fois plus réchauffant que le CO2) et la « captation du carbone », précisément pour compenser… l’augmentation de la consommation des énergies fossiles (+2 % par an).

Il faut être clair : la lutte contre le changement climatique et pour la survie de nos sociétés ne peut pas se contenter de ces « solutions ». Nous ne pourrons pas limiter le réchauffement climatique à +1,5c° sans diminuer la consommation des énergies fossiles. Pas « limiter », ni « stabiliser » : diminuer ! Pour atteindre les objectifs que les COP se sont fixées pour 2030, cette diminution devrait dès à présent dépasser les 7% par an !

Nous appelons les dirigeants des États à sortir de l’hypocrisie. Nous appelons en particulier les dirigeants européens et américains, et au-delà tous les chefs d’État des pays développés, à cesser de chercher des compromis sur les mots, qui ne font que ménager les intérêts des multinationales. Nous appelons ces États à sortir de toute urgence de la religion du libre échange qui alimente plus que jamais la catastrophe climatique à venir.

Nous ne pouvons plus nous payer de mots ; nous avons besoin de SOLUTIONS.

La sortie des énergies fossiles est une nécessité vitale. Elle implique une révolution de notre appareil productif et une transition énergétique radicale. Il va nous falloir adapter nos sociétés dans leur ensemble, c’est-à-dire toutes nos entreprises pour qu’elles puissent se passer d’ici 15 ans du charbon, du pétrole et du gaz. Les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire font partie de la solution.

Le temps fuit devant nous : il faut s’y mettre dès maintenant.

Assumer le bras-de-fer avec le gouvernement allemand

Déjà absurde à l’origine et inefficace – la dette des États européens s’est maintenue à un niveau élevé et la croissance a été poussive durant les années 2010 –, le Pacte de stabilité et de croissance s’est fracassé sur le mur du Covid en 2020 et 2021. L’éclatement de la guerre en Ukraine, les besoins de la transition écologique et numérique ainsi que la réindustrialisation (notamment l’effort de défense) auraient dû signer sa fin, mais c’est le contraire qui va se passer : les règles du traité budgétaire de 2011 seront rétablies le 1er janvier 2024.

À côté de l’irréalisme des objectifs (3% de déficit, 60% de dette publique, obligation de dégager un excédent primaire, « réformes structurelles »), la quasi impossibilité politique d’infliger des amendes aux États déficitaires commandait pourtant de mettre à jour les lignes directrices de la politique budgétaire.

Timide proposition de la Commission

En avril dernier, la Commission semblait avoir pris (un peu) conscience de la nouvelle donne en proposant une (timide) modification du Pacte : les totems des 3% et 60% demeuraient, mais en privilégiant une approche « au cas par cas » censée tenir compte des spécificités nationales.

À chaque État hors les clous d’un ou plusieurs critères de Maastricht, la Commission souhaitait proposer une « trajectoire budgétaire de référence » sur quatre ans (renouvelable trois ans) si des « réformes structurelles » ou, nouveauté, des investissements de nature à alimenter la croissance, étaient engagés. Le mécanisme du Semestre européen (aux termes duquel les États soumettent leurs orientations budgétaires à la Commission, qui leur répond par des « recommandations ») et les injonctions à conduire des réformes néolibérales étaient maintenues. La Commission pouvait toujours ouvrir une procédure pour déficit excessif, mais avec des amendes moins lourdes.

Nouveau refus germanique

Ces aménagements, pourtant très modérés (pour ne pas dire cosmétiques), n’ont pas fait varier Berlin d’un iota : Scholz, sous la contrainte de Lindner, son très libéral et austéritaire ministre FDP des finances, n’avalise pas cette idée « d’individualisation des parcours » budgétaires, car cela nuirait à la « discipline » et donnerait à la Commission un pouvoir de négociation – et de décision – trop discrétionnaire à leurs yeux. Le gouvernement de la coalition des « feux tricolores » (rouge pour le SPD, jaune pour le FDP et vert pour les Grünen) demande le maintien des règles actuelles, sans changement.

Élisabeth Borne et Bruno Le Maire, qui trouvaient le projet de la Commission à leur goût, ont d’abord répondu « inenvisageable ». Mais comme d’habitude (à l’exception notable de l’inclusion du nucléaire dans la catégorie des énergies soutenues au titre de la transition écologique), Paris a fini par reculer.

Et comme d’habitude, l’Allemagne veut une Europe à son image, sans se soucier des besoins d’investissement massifs auxquels se sont engagés les autres États membres. Pour notre chère moitié du « couple », la seule chose qui compte c’est respecter le verdict de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 15 novembre dernier, qui a censuré l’utilisation de 60 milliards d’un fonds spécial hors budget, initialement destiné à la relance post-Covid, pour financer d’autres politiques publiques (l’existence de tels véhicules, qu’en finance privée on appellerait du « shadow banking », n’est pas sans poser question sur le sérieux de la « rigueur » allemande…). Sans doute un peu honteux d’avoir été pris la main dans le sac, Christian Lindner a décidé que pour faire bonne figure et rentrer en grâce en son pays, mieux valait faire payer les autres.

Le gouvernement règle ses problèmes intérieurs sur le dos des Européens

Toujours est-il qu’à ce jour, l’Allemagne n’a toujours pas bouclé son budget 2024. Et la raideur de sa position sur le Pacte budgétaire ne l’aidera pas plus que les autres à trouver les dizaines de milliards d’euros nécessaires à la transition énergétique et à endiguer les délocalisations industrielles provoquées par l’explosion des prix de l’énergie.

Emprunter des dizaines de milliards d’euros sur les marchés financiers est un réflexe politique tout sauf naturel pour les Allemands, qui depuis 15 ans se sont imposés une règle ultra-stricte, qu’ils avaient même inscrite dans leur Constitution : quasi-interdiction de tout déficit public, sauf situation d’urgence. La crise sanitaire avait été considérée comme telle, mais pas la crise climatique. Le SPD et les Verts voudraient bien sortir de cette tenaille, mais ont besoin pour ce faire d’un vote des deux tiers du Bundestag, ce qui est arithmétiquement impossible. Et pour le FDP de Christian Lindner, sans lequel il n’y a plus de majorité, il n’en est pas question.

Au cœur du programme du FDP on trouve en effet le refus catégorique de toute hausse des impôts, particulièrement sur les riches. Comme pour ce parti, plus de dette = plus d’impôts et que tout investissement public (en friche complète depuis Merkel, notamment dans les infrastructures : routes, ponts et canaux sont dans un état lamentable) doit être gagé sur des économies, l’obstacle semble infranchissable. La rentrée en récession de l’Allemagne, dont le secteur privé n’investit plus et réduit ses dépenses de R&D, finit de noircir le tableau, sans que cela émeuve les libéraux. On en vient à se demander si une partie de la classe politique d’outre Rhin n’espère pas secrètement que la Russie gagne la guerre et que le business avec cet ex fournisseur d’énergie reprenne comme au bon vieux temps.

Pour sa part, l’opinion publique allemande n’apprécie guère ces tergiversations et encore moins l’absolutisme du FDP. Les sondages lui donnent moins de 5% en cas d’élections anticipées et la paralysie politique éclabousse aussi le SPD et les Grünen. En revanche, au sein de la CDU, des voix se font entendre pour plaider moins de contraintes, voire la remise en cause de la règle d’or budgétaire. Il se murmure qu’un expédient pourrait être trouvé en prolongeant « l’état d’urgence financier » en 2024. Mais rien de bien consistant à ce stade, alors que le temps presse.

Avoir le cran de l’affrontement

S’il venait à l’idée d’Emmanuel Macron d’essayer de réussir (pour une fois) une opération diplomatique, la « cible Lindner » est tentante. Après tout, celui-ci a toujours dit « non » à toutes les propositions européennes du Président français, et ce depuis 2017. L’Élysée, qui ne manque pas de relais dans la presse, pourrait échafauder un plan qui pour le coup, serait bien utile à la France, l’Allemagne et l’Europe. Lindner et le FDP forment le noyau dur de la coalition des « égoïstes », ils ont failli faire capoter le plan de relance de 2020, ce qui aurait proprement démoli nos économies, et se débarrasser d’un tel « ennemi de l’intérieur » n’attristerait sans doute pas grand monde (et pas davantage Scholz, ni le patron des Grünen, Robert Habeck). Mais Macron aura-t-il le cran d’aller à l’affrontement direct avec l’Allemagne en visant Lindner ? Il est permis d’en douter.

Or le temps ne presse pas seulement pour le budget allemand ; il presse aussi et surtout pour la cohésion de l’Europe. Les élections européennes approchent et la vague d’extrême-droite se profile à l’horizon. Il ne reste, au mieux, que quelques semaines pour trouver un compromis sur le nouveau cadre budgétaire si les Vingt-Sept veulent qu’il soit adopté avant la fin de la législature. Dans cette hypothèse, le nouveau Pacte de stabilité rentrerait en vigueur dès 2025. D’ici là, les règles existantes pourraient être aménagées de manière flexible voire constructive. Mais pour l’instant, tout cela relève de la politique fiction.

Il ne nous reste plus qu’à défendre notre programme de gauche et de souveraineté populaire et à le porter dans la campagne pour forcer un gouvernement français quel qu’il soit à assumer enfin la confrontation européenne nécessaire.

Mathias Weidenberg et Frédéric Faravel

Licenciements abusifs : Bruno Le Maire, ministre voyou des patrons voyous

Bruno Le Maire a indiqué dans Le Parisien dimanche 3 décembre que le gouvernement veut s’attaquer à nouveau aux droits des salariés au pas de charge, en vue du vote de la loi Pacte II prévue début 2024. « Un recours contre l’entreprise reste possible pendant 12 mois. Il est important que les salariés puissent être protégés, mais ce délai est trop long ». L’objectif du ministre de l’économie est de réduire ce délai de recours à 2 mois…

Depuis la fin des années 2000, la prescription en matière de contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement a déjà été drastiquement réduite. En 2008, une loi l’avait divisée par six, de 30 ans à 5 ans. Puis en 2013, une autre loi avait entériné son passage à 2 ans. Aussitôt après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, l’ouvrage a été remis sur le métier. Une baisse à six mois avait été initialement envisagée mais devant la levée de boucliers des syndicats, c’est le passage à un an qui avait été finalement retenu dans la réforme du Code du travail.

La proposition de Bruno Le Maire ne suscite aucun enthousiasme du côté des employeurs. Pourtant enclines à dénoncer les risques de contentieux, aucune des trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) n’est demandeuse d’une telle réduction des délais. Il faut dire que la succession des réformes du code du travail depuis Nicolas Sarkozy (quinquennat Hollande inclus évidemment avec les lois Macron et El Khomri) ont sérieusement déséquilibré le rapport de force en faveur du patronat. Après la création des ruptures conventionnelles en 2008, les ordonnances Macron de 2017 ont sérieusement desserré la pression judiciaire sur les employeurs, avec le plafonnement du montant des dommages et intérêts : le nombre de nouvelles affaires aux prud’hommes a baissé de 44% entre 2015 et 2022, car les salariés n’ont en réalité plus grand chose à attendre de ces instances. Procéder à un licenciement abusif – c’est-à-dire illégal ! – ne coûte plus grand chose…

L’ensemble des organisations syndicales de salariés ont dénoncé cette nouvelle sortie du gouvernement par la voix de son ministre de l’économie et nous partageons leur colère. En effet, ne pas laisser aux salariés le temps de constituer un dossier recours – deux mois, c’est trop court pour sortir de la sidération, se renseigner sur ses droits et pouvoir contester à temps – ne peut que favoriser les patrons voyous ; les cas de licenciement abusif risquent donc de se multiplier … encore.

En réalité, la remontée des chiffres du chômage inquiète le gouvernement qui voit s’éloigner l’objectif des 5% en 2027. Emmanuel Macron et ses gouvernements ont toujours été acquis à une vision idéologique du marché du travail et de l’activité économique… Récemment encore le Chef de l’État déclarait au patronat « Réveillez-vous ! » son raisonnement est à la fois transparent et parfaitement irrationnel… Emmanuel Macron et le centre libéral-autoritaire qui le soutient sont convaincus d’avoir « fait le job », « j’ai précarisé les travailleurs, j’ai flexibilisé le marché du travail, j’ai pénalisé les chômeurs, c’est à vous de nous faire passer de 7,4 à 5%. » Or la facilitation des licenciements, l’indulgence accrue pour les écarts aux codes du travail, la flexilibisation du marché du travail, tout cela ce sont des stratégies qui ont été entamées dans les années 1990 et qui ne fonctionnent pas. Elles ont en réalité donné peu de résultats et une nouvelle étape n’en donnera pas plus. La maltraitance à l’égard des salariés, la casse du droit du travail et la précarisation des travailleurs vont assurément encore dégrader le climat social, mais cela ne créera pas d’emplois, pas plus que cela n’en a créé auparavant d’ailleurs. Et cela ne peut tenir lieu d’une véritable politique industrielle qui manque toujours à la France.

Construire le plein-emploi de demain ne se fera pas en renforçant l’exploitation : non ! Nous voulons une société de citoyennes et de citoyens émancipés, fiers de ce qu’ils apportent à la société, fiers du fruit de leur travail.

Cela passe par des salaires justes, par des protections sociales et juridiques fortes, par la participation des travailleurs aux décisions économiques et par un État qui s’engage aux côtés des entreprises dans la reconquête de nos capacités productives.

Frédéric Faravel

« L’accord UE-Mercosur serait perdant-perdant des deux côtés de l’Atlantique » – tribune d’Emmanuel Maurel dans Marianne

tribune publiée dans Marianne le vendredi 8 décembre 2023

Après le constat d’échec acté lors du sommet du Mercosur le 8 décembre, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le bloc sud-américain semble très mal parti.

L’activisme de la Commission, fortement appuyé par l’Espagne, qui préside le Conseil de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre, et par l’Allemagne, qui a tenté d’arracher un compromis de dernière minute, n’a pas abouti et il faut s’en féliciter. Car s’il était finalement avalisé, cet accord serait perdant-perdant des deux côtés de l’Atlantique.

UNE MAUVAISE IDÉE

En termes géographique, démographique et économique, la relation entre l’Europe et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay – le Venezuela en est suspendu depuis 2017) est tout sauf anecdotique. Nous parlons là d’un ensemble de 15 millions de km², 780 millions d’habitants et 90 milliards d’euros annuels d’échanges bilatéraux.

« Le monde n’a pas besoin qu’on intensifie les échanges entre grands blocs « géopolitiques ». »

La Commission européenne, très friande du terme « géopolitique », n’a pas tort de souligner à quel point l’enjeu est important. Mais faire de la politique dans le « grand jeu » ne se distingue pas fondamentalement de la politique à plus petite échelle : c’est un art de contenu et d’exécution. Et si l’on exécutait le contenu de ce traité commercial, ce ne serait bon ni pour l’Europe, ni pour le Mercosur, ni pour le monde.

Le monde n’a pas besoin qu’on intensifie les échanges entre grands blocs « géopolitiques ». Au contraire : d’après une étude de la Banque de France publiée en 2020, l’accroissement de la circulation des flux de marchandises dans la mondialisation est responsable du quart des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre. S’agissant du Mercosur, la donne s’aggrave des produits-phare inscrits dans le texte : il est prévu d’importer d’Amérique du Sud 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille et 650 000 tonnes d’éthanol par an.

COÛT ENVIRONNEMENTAL ET ÉCONOMIQUE

Or selon différentes ONG, cet accroissement inédit des importations agricoles (pour le bœuf, +63 % d’ici 2035) provoquera entre +5 % et +25 % de déforestation supplémentaire. Mais ce n’est pas tout. L’accord favoriserait également les exportations vers le Mercosur de substances actives fabriquées en Europe et… rentrant dans la composition de pesticides interdits sur notre territoire ! Cela accroîtra en retour l’importation de millions de tonnes de produits agricoles traités avec ces pesticides dangereux pour la santé et pour l’environnement. On mesure au passage la contradiction, pour ne pas dire l’hypocrisie de certains discours écologiquement corrects.

« L’arrivée sur le marché européen de produits agricoles à bas prix en provenance du Mercosur exercera une pression concurrentielle. »

Bruxelles et Berlin ne jurent que par le « green deal » et la décarbonation de l’économie, mais quand on passe aux travaux pratiques, les millions de tonnes de CO2 des voitures allemandes et les millions de tonnes de méthane des bovins argentins ne posent plus problème – à tel point que le Chancelier allemand et le Commissaire européen au commerce étaient prêts à retirer du texte toute clause contraignante sur le respect de l’accord de Paris et sur la lutte contre la déforestation…

Au coût environnemental s’ajoute le coût économique, particulièrement pour l’agriculture européenne et française. L’arrivée sur le marché européen de produits agricoles à bas prix en provenance du Mercosur exercera une pression concurrentielle d’autant plus irrésistible que nos agriculteurs doivent respecter les normes les plus strictes du monde.

DES AGRICULTEURS QUI SOUFFRENT

Les partisans de l’accord rétorquent que ces contingents d’importation ne représentent qu’une faible part de la production et de la consommation de viande en Europe. C’est exact, mais comme l’agriculture est la variable d’ajustement quasi systématique des accords commerciaux négociés par la Commission, à force d’empiler les « faibles parts » les unes sur les autres, ça finit par faire beaucoup.

« Même dans la société civile sud-américaine, nombreux sont ceux qui redoutent la passation d’un accord. »

Beaucoup trop pour des millions d’agriculteurs qui souffrent déjà des conditions actuelles du marché, comme l’a rappelé l’épisode rocambolesque du poulet ukrainien, bloqué à la frontière par les Polonais, les Slovaques et les Hongrois – et comme le rappellent les tendances de fond qui affectent la France. Historiquement grande puissance agricole, elle est passée en 20 ans du 2e au 5e rang des exportateurs mondiaux et ses importations alimentaires ont explosé. En 2022, nous avons importé 63 milliards d’euros de denrées alimentaires : deux fois plus qu’en 2000.

Même dans la société civile sud-américaine, nombreux sont ceux qui redoutent la passation d’un accord qui ferait disparaître les droits de douane sur 90 % des marchandises. Syndicalistes et économistes y voient à juste titre un deal « viande et minerais contre voitures et marchés publics » et s’inquiètent des retombées prévisibles.

DANGER SUR LE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT

Dans un texte commun des syndicats du Mercosur et de l’UE publié en juin, les représentants des travailleurs dénoncent « les dommages causés à la classe ouvrière » et « l’aggravation des inégalités sociales et du chômage », en raison notamment de la « mise en péril de l’industrialisation [du Mercosur] ».

Même son de cloche sous la plume de Paulo Nogueira Batista Jr, économiste et ancien membre du directoire du FMI qui estime, dans une tribune parue le 3 décembre dernier, que signer l’accord serait une « capitulation totale ». À ses yeux les droits de douane actuels sur les importations sont une « compensation partielle d’un ensemble de facteurs défavorables pour les entreprises brésiliennes » et l’« intérêt stratégique » des pays du Mercosur commande de les maintenir.

La sévérité – et la vérité – de ces analyses n’ont d’égales que la légèreté et la désinvolture des institutions européennes. Aux contradictions sur l’écologie s’ajoutent celles, tout aussi graves, sur le modèle de développement. La Commission a renié sa promesse d’une « nouvelle génération d’accords », censés mettre un terme à l’échange inégal entre le Sud et le Nord, où le premier est obligé d’exporter ses matières premières et des biens à faible valeur ajoutée pour pouvoir accéder aux produits sophistiqués du second.

CHANGEMENT DE CAP

À l’été dernier, les eurodéputés membres de la commission du commerce international votaient un texte appelant à partager la valeur entre les pays moins avancés ou émergents et les entreprises européennes, à mettre un terme au pillage de facto de leurs ressources et à promouvoir les plus hauts standards sociaux et environnementaux.

Quelques mois plus tard, la plupart ne trouvent rien à redire au très archaïque accord UE-Mercosur, qui contient exactement le contraire, et approuvent la liste interminable d’accords dans les tuyaux de la Commission : Chili, Philippines, Mexique, Indonésie, Inde…

Nouvelle illustration du « double langage occidental » qui nous est de plus en plus ouvertement reproché par le « Sud Global » ? Incapacité à s’extraire des exigences des grandes multinationales qui auraient, elles, certainement profité d’un tel accord ? L’Europe manque singulièrement de cohérence dans son approche de la nouvelle donne économique, sociale et environnementale.

Pour que sa voix porte à nouveau, elle devra faire son aggiornamento de la mondialisation et ne plus céder aux injonctions néolibérales de sa technostructure et de ses élites économiques et financières.

Une COP climatisée, pour quoi faire ?

Après une année de records de températures et de catastrophes climatiques dans le monde entier, la COP28 rassemble à Dubaï (Emirats Arabes Unis) les signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, soit 197 Etats et l’Union européenne.

5 objectifs ont été retenus pour cette édition :

  1. Établir un premier bilan de l’accord de Paris. Les émissions mondiales ne suivent pas les trajectoires d’atténuation compatibles avec l’objectif de température qui avait été fixé (+1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle ). Or les engagements actuels pays par pays ne mènent qu’à 2% de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des… 43% préconisé ! Si ces ambitions ne sont pas revues, le réchauffement global sera d’au moins +2,9°C d’ici 2100. Quel message politique la COP28 va-t-elle réussir à envoyer afin que tout le monde, en 2024, prépare sérieusement de nouveaux engagements ? pour limiter le réchauffement climatique et alors que « Chaque fraction de seconde compte. Un monde à +2°C est très, très différent d’un monde à +1,5°C », nous dit le GIEC.
  2. Afficher des objectifs clairs sur l’énergie : triplement des énergies renouvelables, doublement de l’amélioration de l’efficacité énergétique (c’est-à-dire le rendement lors de la consommation finale) et sortie de notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz), responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre. Progresser sur ce 3ème point à Dubaï semble d’autant plus illusoire que le président de la COP, ministre des Etats Arabe Unis, projette des accords bilatéraux sur le développement des énergies fossiles avec nombre d’États participants… Les ONG résument ainsi la problématique : choisir un tel président pour la COP est « une dissonance cognitive énorme, comme si on mettait un cigarettier à la tête de l’OMS »
  3. Impliquer le secteur pétrolier dans la transition pour organiser la nécessaire sortie des énergies fossiles et développer des solutions de captage et stockage de carbone, qui ne doivent pas cependant justifier l’extension de la production de combustibles fossiles au lieu de privilégier les alternatives (GIEC). Le captage de carbone ressemble par ailleurs à l’exemple même de la diversion : le site de Fujeirah mis en avant par les Emirats Arabes Unis, alimenté par l’énergie solaire et présenté comme le dispositif le plus puissant de la planète en la matière, arrive tout juste à traiter 1% des émissions de carbone de l’exploitation, il ne permet donc en rien de compenser la volonté des Emirats d’accroître leurs capacités de production d’énergie fossile.
  4. Organiser le fonds pour les pertes et dommages des pays victimes de désastres climatiques, dont la mise n place se fait attendre. Qui doit payer : les pays développés, responsables historiques du réchauffement, ou bien aussi la Chine et les pays du Golfe ? Qui seront les bénéficiaires : les pays en développement, Chine comprise (elle conserve en effet ce statut dans les instances mondiales), ou seulement les « plus vulnérables » ? Où installer ce fonds ? Au sein de la Banque mondiale, accusée d’être aux mains des Occidentaux, ou dans une structure indépendante mais dont la mise en place prendra du temps ?
  5. Débloquer les financements promis, sachant que les 100 milliards de dollars d’aide annuelle promis en 2009 par les pays riches ne sont pas atteints (83 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de 2020 fournis par l’OCDE). il va falloir se décider sur la suite. Combien ? Pour englober quoi ? La finance privée devra elle aussi prendre toute sa part. Autre enveloppe défaillante : la promesse de la COP de Glasgow en 2021 d’atteindre 40 milliards d’euros par an pour l’adaptation au changement climatique.

On constate donc à quel point la COP 28 organisée par les Emirats Arabes Unis est pétrie d’injonctions contradictoires… Rien d’étonnant à cela puisque le cadre capitaliste et financiarisé de la globalisation n’est jamais interrogé. Rappelons que l’extension des échanges commerciaux compte pour 25% des augmentations d’émissions de gaz à effet de serre. Au-delà des actions immédiates pour réduire l’empreinte carbone de la production énergétique ou des transports, nous ne réussirons pas sans changer de modèle de développement, de commerce et de consommation.

Alain Fabre, Marie-Noëlle Lienemann, Laurent Miermont et Frédéric Faravel

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