entretien publié dans l’Humanité le 1er février 2024 – propos recueillis par Gabriel de Santis
Député européen sortant du groupe La Gauche (ex-GUE/NGL), fondateur de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), Emmanuel Maurel est candidat aux élections européennes sur la liste conduite par le communiste Léon Deffontaines. Il décrit des accords de libre-échange nuisibles aux paysans, à l’environnement et à la souveraineté des pays du continent.
Le Parlement européen a-t-il la main sur les accords de libre-échange ?
Pour négocier un tel accord, la Commission est mandatée par les États membres – donc avec l’appui du gouvernement français. Le Parlement est informé, mais n’a son mot à dire, en votant, qu’une fois la négociation terminée. Ces deals consistent à faire sauter les droits de douane pour exporter des biens industriels ou d’autres services. En échange, on accepte d’autres marchandises, d’autres services, mais surtout des contingents supplémentaires d’importations agricoles.
Depuis l’entrée en vigueur de 2009 du traité de Lisbonne qui fait de la politique commerciale une compétence exclusive de l’Union européenne, les traités de libre-échange ne sont soumis qu’au Parlement européen. Avant, ils l’étaient également aux parlements nationaux. C’est préoccupant d’un point de vue démocratique.
Emmanuel Macron fait mine de s’opposer à l’accord avec le Mercosur…
À l’approche d’une période électorale, le gouvernement fait toujours mine de s’opposer. Celle-ci passée, il trouvera un moyen de trouver un compromis plus tard. J’ai voté en commission contre l’accord avec la Nouvelle-Zélande, contrairement aux députés macronistes.
La Commission a accepté d’ouvrir des contingents d’importation pour plus de 10 000 tonnes de bœuf, presque 40 000 tonnes d’ovins, 15 000 tonnes de lait, 21 000 tonnes de beurre et on achète tout cela à 20 000 kilomètres d’ici. Voilà la réalité de la mondialisation et du libre-échange à la sauce Ursula von der Leyen et consorts. Un accord avec le Chili est en train d’être adopté, avec des contingents d’importation à droits de douane zéro pour des dizaines de milliers de tonnes de bœuf, de porc, de volaille.
Un traité est en cours de finalisation avec le Mexique. Sont prévues l’importation de 35 000 tonnes de miel, 50 000 tonnes de lait. L’entente en discussion avec le Mercosur porte sur 100 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille et 650 000 tonnes d’éthanol… Dans le cadre de la transition écologique, on impose toujours plus de normes à nos agriculteurs sur l’utilisation des intrants, des phytosanitaires, des engrais. Mais les importations, elles, ne sont pas tenues aux mêmes règles.
D’un côté on a une baisse de la production agricole européenne. La France est passée du 2e au 5e rang des exportateurs mondiaux. Mais on achète toujours plus : aujourd’hui on importe 63 milliards d’euros de denrées alimentaires, deux fois plus qu’en 2000. Sauf à changer rapidement de cap, on condamne l’agriculture française et européenne à mourir.
En quoi ces accords menacent-ils notre souveraineté ?
Il existe des théoriciens libéraux qui acceptent l’idée de notre dépendance agricole par rapport au reste du monde. Le problème est qu’on n’est pas à l’abri d’une pénurie. On l’a vu avec la crise du Covid. La pénurie de médicaments continue. Il peut très bien y avoir un manque de produits alimentaires.
Il y a quarante ans, la France était autosuffisante d’un point de vue alimentaire. Cela reste pour moi un objectif ; un objectif réalisable, si on en finit avec cette politique mortifère. Pour cela, il faut des prix garantis et une politique commerciale équitable.
Sur quelle force politique compter pour faire avancer ce combat ?
La gauche a un rôle à jouer. S’il y avait plus de députés du groupe La Gauche (ex-GUE) au Parlement européen, il serait plus difficile de faire passer ce type d’accord. Mais je compte beaucoup sur la mobilisation des opinions, des consommateurs et du mouvement social. La mise en échec de l’accord UE-États-Unis a eu lieu car il y a eu une grande manifestation à Berlin, des rassemblements à Paris, dans différents pays d’Europe.
D’un point de vue environnemental, exporte-t-on nos capacités de production les plus polluantes ?
La mondialisation est non seulement inégalitaire mais aussi fondée, d’un point de vue environnemental, sur un raisonnement vicieux. On délocalise l’industrie la plus polluante plutôt que de chercher des solutions pour la verdir. Cela conduit à une désindustrialisation. De plus, il y a une sorte de relents un peu colonialiste. On exporte la pollution ailleurs.
Dans le projet d’accord avec le Mercosur, on autorise l’importation de denrées agricoles qui sont obtenues avec des pesticides interdits en Europe. De la même façon, on estime que s’il était signé, avec ses 650 000 tonnes d’éthanol, on aurait entre 5 et 25 % de déforestation supplémentaire. On marche vraiment sur la tête. Pendant ce temps-là, on envoie des circulaires de 15 pages à nos agriculteurs qui veulent tailler une haie. C’est un non-sens écologique.