Atonie de la croissance française : ce qu’il faut changer

Nous sommes revenus fréquemment, depuis 2010, sur l’erreur économique dramatique commise avec le « tournant de l’offre » ; notons cependant que ce que l’on a appelé « tournant » en novembre 2012 n’en était pas un, mais la continuité de la politique économique de Nicolas Sarkozy, alignée sur le consensus des droites européennes.

Nicolas Sarkozy a mené en 2008-2009 une des politiques de relance face à la crise financière les moins efficaces d’Europe. Refusant de remettre du pouvoir d’achat et de l’investissement directement, il a préféré mobiliser d’énormes moyens dans des baisses d’impôts, de TVA, pour relancer la consommation, sans cibler ni conditionnalités. Une bonne partie de cette relance a financé… l’industrie allemande.

En 2010, face à la dégradation des comptes et du commerce extérieur, Sarkozy a décidé de se rallier au plan d’Angela Merkel de faire de la consolidation budgétaire. L’économie européenne n’était pas encore repartie d’une manière harmonieuse. De nombreux pays avaient découvert des systèmes particulièrement nocifs et désastreux pour les finances publiques laissés par les gouvernements de droite précédents en Italie, en Grèce, en Irlande, au Portugal. La relance du système financier laissait aussi d’énormes liquidités en recherche d’investissements.

Couper les politiques de relance, c’était se priver de ces liquidités, c’était prendre le risque d’une récession en pleine croissance mondiale, c’était également rendre la dette publique européenne vulnérable à des attaques spéculatives. L’équivalent du ministre des finances d’Obama, Timothy Geithner, a raconté dans ses mémoires comment il a essayé, sans succès, de convaincre Sarkozy, Trichet, Barroso et Merkel de ne pas s’engager dans cette voie. A la sortie de son livre, un magazine a révélé qu’il avait qualifié en réalité cette politique de « stupide ».

Des excédents commerciaux allemands inutiles

Nous sommes dans la continuité de cette politique depuis. L’Allemagne stagne. Depuis 2019, l’Allemagne n’a pas connu de croissance ! Ah, les excédents commerciaux sont là, mais ils ne servent à rien, n’étant pas transmis aux Allemands mais confisqués par les plus riches du pays. L’extrême droite, inexistante en 2010, est dans les sondages le premier parti d’Allemagne en 2025.

La France stagne à son tour. Citons la dépêche AFP sur les chiffres de la croissance :
« Au premier trimestre, la croissance de la deuxième économie de la zone euro a souffert d’une consommation des ménages sans dynamisme, stable après une progression de 0,2% au cours des trois mois précédents. Les investissements ont continué à évoluer en territoire négatif (-0,2% après -0,1%): tant pour les entreprises que les ménages et les administrations publiques.
Contexte politique instable
La contribution du commerce extérieur est également négative (-0,4 point) en raison d’une nette diminution des exportations (-0,7%) alors que les importations ont augmenté de 0,4%.
»

Depuis 15 ans, ce sont les mêmes paradigmes qui sont employés, en France et en Europe, pour un échec complet. En France aussi, l’extrême droite est devenue le premier parti en voix. Le RN ne sait pas comment construire des alliances majoritaires, espérant devenir seule hégémonique, et cette médiocrité profonde est la seule bonne nouvelle de la période. Il s’est pourtant aligné sur les positions économiques sur les idées de Sarkozy, de Hollande et Moscovici, de Macron, Le Maire, Bayrou ou Retailleau.

Ne pas tirer toutes les conséquences de l’échec

Au départ, Mario Draghi est un banquier classiquement néolibéral. Mais il a eu au moins un mérite : éviter la catastrophe économique à la zone euro en faisant adopter à la BCE, contre l’Allemagne, une politique monétaire accommodante et moins austéritaire. En ce sens, il a forcé les tenants de la rigueur à s’éloigner d’une lecture stricte des traités. Et il en est même arrivé à la conclusion des Américains : il faut aussi actionner le levier budgétaire pour relancer l’économie, mais sans se départir, comme les Américains, de l’obsession de la dérégulation, c’est-à-dire d’une déformation durable du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital.

Au final, lui aussi reconnaît dans le rapport qu’il a remis un retard d’investissement de 5 points de PIB pendant dix ans en Europe. Mais, loin de constater que la politique menée depuis 15 ans n’a de vainqueur qu’une seule catégorie d’Européens, ceux gagnant plus de 10 000 euros net par mois, ou accumulant du capital pour ne plus vivre de leur travail, Draghi veut investir en continuant de favoriser le capital contre le travail.

C’est cela le changement de paradigme dont on a besoin : remettre la politique fiscale, budgétaire, publique, et l’investissement au service des forces vives du travail. Même la contribution dite de « nouveau socialisme » de Philippe Brun ne le dit pas dans le débat du PS. La gauche radicale refuse d’en parler, pensant que la lutte culturelle, partant des discriminés, se suffit à elle-même pour dénoncer les abus du capitalisme contemporain. Or, en se concentrant sur ces luttes, nécessaires par ailleurs, on manque la big picture.
La lutte au niveau des conséquences micro-économiques des politiques ne permet pas de révéler le tableau dans son ensemble, ni de proclamer la solidarité des intérêts de toutes les classes qui travaillent – les 99%.

Ce changement de paradigme doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur la nature des crises des 25 dernières années. Le néolibéralisme et le rêve d’une « globalisation heureuse » est une doctrine de navigation sur un lac par beau temps, et non un manuel pour survivre au Vendée Globe Challenge. L’équilibre des marchés est censé créer un monde où la crise est impossible. Dans ce modèle, le chômeur est forcément responsable de son chômage, le modèle en équilibre proclamant l’impossibilité du chômage.

Mais ce monde parfait n’existe pas.

Les théories manquent de prédire, de modéliser les crises. Ces modèles pensent l’homo economicus, le modèle du comportement rationnel de l’agent humain, immortel, et considère l’Etat, l’agent public, mortel. C’est ainsi que l’acteur humain est privé de considérations liées à sa nature, pendant que l’on exige de l’Etat de se gérer comme un ménage devant rembourser ses dettes. Ces modèles rejettent l’idée que l’homme, face à la mort, choisisse le réconfort de la solidarité. Ils veulent des individus isolés, égoïstes, jouisseurs. La réflexion morale est absente des modèles.

A partir de là, le refus des exigences du vivant prend des tours accablants. Le marché agro-alimentaire est traité comme s’il n’y avait ni saison, ni climat, ni maladies. La crise géopolitique n’existe pas dans les modèles. La rationalité économique exclut pour la Russie d’envahir l’Ukraine, alors on anticipe pas l’impact économique de ce choix géopolitique.
On peut dérouler longtemps.

Retrouver les fondements d’une alternative

Le penseur économique qui a donné des théories explicatives des crises s’est confronté aux trois événements dramatiques du demi-siècle où il a vécu. En 1914, il sauve le système financier britannique à la déclaration de guerre, qu’aucun économiste n’avait prévu, la guerre étant rationnellement une perte économique. C’est lui qui conseille le gouvernement dans la mise en place de l’économie de guerre qui permettra la victoire.
Il critique dès 1919 le traité de Versailles comme « stupide » et son livre prévoit les crises qui suivirent. Cela lui coûte en crédit, on le mets de côté. C’est ce qui lui permet de théoriser la pratique de gestion des crises qu’il vient de mener en pratique.

En 1929 il a des idées pour surmonter la crise mondiale, mais les théoriciens du marché et de la consolidation budgétaire n’en veulent pas. C’est Roosevelt, aux Etats-Unis, qui s’inspire de cet économiste pour la relance de l’économie. En 1940, il devient de nouveau une voix écoutée face à l’énorme défi de l’économie de guerre face à Hitler et au militarisme japonais. Il construira des esquisses de plan de reconstruction européenne mais meurt prématurément après la victoire.

Cet économiste, c’est Keynes.

Voilà les changements de paradigmes :

  1. Reconnaître la brutalité extrême, déséquilibrée, du capitalisme après 25 ans de consensus néolibéral, de foi dans le marché comme régulateur des sociétés humaines, et du commerce comme facteur de paix et de progrès.
  2. Reconnaître l’absence totale de fiabilité des modèles économiques dominants face aux crises, qu’elles soient externes au système économique (attentat de 2001, guerre de 2022), conséquences indirectes d’un système où le contrôle public est désavoué (pandémie COVID en 2020, pour les éleveurs les répétitions de pandémies animales), où internes (crise financière de 2008). La crise de 2025 est à la conjonction de toutes ses crises et enfonce le clou dans le cercueil néolibéral.
  3. Rallier les retours d’expériences et les théories de gestion de crise et de prévision de celles-ci ; c’est-à-dire, les théories écartées depuis 40 ans des chaires académiques. Le keynésianisme est un système de départ.
  4. Dénoncer le partage inouï en faveur du capital contre le travail, car c’est ce qui permet de retrouver les solidarités et les universalités des intérêts dans toutes les Nations. Oui, il s’agit d’empêcher une oligarchie mondiale de s’imposer. Oui, cela dépasse la somme de toutes les luttes car cela concerne même des classes, travaillant, qui pensent être elles-mêmes dominantes, alors qu’elles-aussi stagnent dans le partage des richesses.

Il nous faut repenser tout le système, toute la méthodologie quotidienne de l’action, et mettre à genoux les puissances d’argent.

Mathieu Pouydesseau et Laurent Miermont

Les Françaises votaient pour la première fois voici 80 ans

Le 29 avril 1945, voici 80 ans jour pour jour, les citoyennes françaises votaient pour la première fois, lors du premier tour des élections municipales. On dit que c’est l’ordonnance du 21 avril 1944, passée alors largement inaperçue dans la France occupée, signée par le Général De Gaulle qui leur avait préalablement accordé ce droit, mais cette ordonnance venait sanctionner un débat houleux au sein de l’Assemblée Consultative de la France Libre à Alger le 24 mars 1944.

Le droit de vote féminin arraché in extremis

Le chef de la France libre s’était engagé dès le 23 juin 1942 dans cette direction : « En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » Le vote des femmes fait en effet partie du programme de modernisation de la société française voulu par de Gaulle. La question du suffrage féminin n’est pas mentionnée dans le programme du Conseil national de la Résistance en mars 1944. Aussi le Général De Gaulle confirmait le 18 mars 1944 devant l’Assemblée consultative son orientation « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Un sujet sur lequel il semblait plus convaincu que nombre de ces contemporains des deux sexes et, concernant les opinions traditionalistes de certaines femmes, il s’en désolait selon son fils le futur Amiral Philippe De Gaulle : « comment ne comprennent-elles pas qu’elles doivent exprimer leur avis au plan politique et social et en particulier d’abord dans la vie locale ? N’ont- elles pas d’emprise sur la ville, sur le village ? »

Pourtant le 24 mars, les représentants des Radicaux au sein de l’Assemblée consultative s’opposent encore comme ils l’avaient fait face à la volonté des socialistes d’instaurer ce droit de vote universel lors du Front Populaire en 1936 (en juillet la Chambre des députés se prononça l’unanimité par 475 suffrages pour le suffrage féminin ; le Sénat dominé par le Parti radical n’inscrivit jamais ce texte à son ordre du jour). C’est le délégué communiste Fernand Grenier qui portera le flambeau pour que la « femme française » soit désormais électrice et éligible, « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ». Le Sénateur radical Paul Giacobbi mène les débats et tente de limiter toute avancée réelle : voudrait n’inscrire dans la loi que le principe de l’éligibilité des femmes, s’inquiétant du déséquilibre des sexes dans la France de l’après-guerre : beaucoup d’hommes étant encore prisonniers en Allemagne, accorder le droit de vote aux Françaises n’équivaudrait-il pas à « remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin » ? Sacré jésuitisme ! Et il faillit bien l’emporter. Mais Fernand Grenier finit par convaincre une majorité de délégués ; au soir du 24 mars 1944, l’amendement Grenier « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » est finalement ratifié par l’Assemblée consultative d’Alger par 51 voix contre 16.

Voter pour le droit de vote

C’est pour cela qu’il faut souligner l’importance du vote du 29 avril 1945. Alors même que les combats ne sont pas terminés en Europe, que les troupes soviétiques affrontent les derniers carrés des fanatiques nazis dans les rues de Berlin, la veille du suicide d’Adolf Hitler, les femmes françaises décident de voter massivement pour ces élections municipales. Elles ont elles-même tordu le cou à la fable selon laquelle la majorité d’entre elles auraient considéré que ce n’était pas leur affaire, que les hommes n’avaient qu’à s’en débrouiller, qu’elles avaient des responsabilités et d’autres influences et n’avaient pas à perdre leur temps sur des questions politiques. Les femmes ont donc voté ce jour-là pour le droit de vote des femmes. Le scrutin municipal de 1945 fut fortement médiatisé, l’attention des journalistes étant presque entièrement focalisée sur le comportement des femmes, entre condescendance contre celles qui n’en maîtriseraient pas les codes et admiration pour la patience des femmes qui firent parfois plusieurs heures de queue afin d’accomplir pour la première fois cet acte citoyen. Les élections du printemps 1945 se soldèrent par une forte percée du PCF ; le vote féminin ne semble pas avoir introduit une révolution majeure dans la pratique électorale, ni déclenché la vague cléricale que redoutaient les radicaux.

Un trop long chemin

Comment ne pas souligner cependant le retard français par rapport aux autres démocraties : la Nouvelle Zélande a établi ce droit dès 1893, l’Australie en 1902 ; entre les deux guerres mondiales, d’autres pays encore nous devancèrent : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États- Unis, mais aussi l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil. Qui se souvient de la candidature de Marie Denizard à l’élection présidentielle de 1913, de celle de Marguerite Durand aux élections législatives de 1910 ou encore de Louise Weiss qui aurait refusé d’intégrer le gouvernement Blum en répondant « j’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée » ? Combien de temps furent méprisées et humiliées les conseillères issues des élections municipales de mai 1925, Augustine Variot à Malakoff, Marie Chaix à Saint-Denis, Marthe Tesson à Bobigny et Marguerite Chapon à Villejuif ou Joséphine Pencalet représentante des Penn Sardines en lutte de Douarnenez : il y a souvent très peu d’écarts de voix avec leurs homologues masculins puisque leurs noms sont peu rayés, preuve que l’électorat est déjà prêt pour cette avancée. Pourtant, le conseil d’Etat annulera une à une ces élections dès janvier 1926, le préfet de la Seine n’hésitant pas à envoyer la police pour empêcher Augustine Viarot de siéger en avril 1926.

Comment ne pas souligner également qu’il aura fallu que Charles De Gaulle constate, avec une forme de paternalisme, leur courage à travers deux conflits mondiaux pour qu’il soit convaincu de leur accorder des droits civiques ; finalement, cela n’allait pas de soi par le simple argument de l’égalité humaine.

Continuer le combat

Aujourd’hui, ce droit semble acquis et la parité a installé dans les assemblées soumises au scrutin de liste la place de de l’élue comme incontournable. On connaît cependant les tactiques pour contourner la parité dans les partis conservateurs (avec une forme d’expertise des LR au Sénat en la matière) et on constate de scrutins en scrutins combien de partis sont prêts à accepter de payer des amendes importantes pour ne pas respecter l’obligation de parité dans les candidatures et dans les équilibres entre les sexes dans leurs groupes parlementaires ? La proportionnelle est sans doute un combat à mener sur ce chemin inachevé. Sans parler même de la vigilance face aux offensives réactionnaires toujours vivaces.

Frédéric Faravel

Le racisme anti-musulman tue, la République punira sans trembler

Vendredi 25 avril 2025, un fidèle musulman Aboubakar a été assassiné dans la mosquée de La Grand Combe, poignardé de plusieurs dizaines de coups de couteau, par un homme qui a pris à la fuite après avoir proféré des insultes contre l’Islam.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa solidarité avec les proches de la victime et sa communauté.

Nous rappelons que les lois de la République garantissent au premier chef la liberté de conscience, la liberté de croyance et la liberté de culte : personne ne doit être inquiété ou menacé pour sa pratique religieuse (réelle ou supposée) quand le respect des règles collectives est assuré.

Il est donc du devoir des autorités publiques de prendre toutes les mesures pour renforcer la sécurité devant les lieux de culte et de tout mettre en œuvre pour arrêter le meurtrier : la justice devra ensuite faire son office avec toute la fermeté que requiert l’horreur de cet acte avec la circonstance aggravante d’un crime haineux et terroriste.

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite a trouvé une nouvelle manière d’habiller l’expression de son racisme, dimension essentielle de son idéologie. Pour rendre plus acceptable sa haine, elle a cherché à la maquiller en critique de l’Islam et de la place que cette confession occupe en France. Ce racisme anti-musulman n’est rien d’autre que la poursuite du racisme anti-maghrébin et anti-africain qui encourageait les « ratonnades » et les passages à tabac. Le changement de vocabulaire de l’extrême droite ne change pas le résultat final : il encourage comme avant le passage à l’acte et à la violence. Le meurtre d’Aboubacar ce vendredi nous rappelle à tous que le racisme … qu’il stigmatise les personnes à raison de leur origine, de leur aspect, de leur religion, de leur appartenance réelle ou supposée à tel ou tel groupe ethno-culturel … le racisme tue !

La République française est une république fondée sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Pour mettre en œuvre ces principes, elle est depuis 1905 laïque ce qui implique que toutes les confessions sont respectées de la même manière du moment qu’elles acceptent les lois de la République. Depuis cette date, c’est le cas de l’Islam comme toutes les autres ! Les autorités républicaines sauront le démontrer dans cette affaire en arrêtant et en punissant l’assassin de manière exemplaire.

C’est un enjeu de cohésion nationale.

La dette a remplacé l’impôt au profit des plus riches

Voici la représentation la plus saisissante sur combien la politique de l’offre, en appauvrissent l’Etat, enrichit les riches.

L’épargne des ménages a progressé du montant des recettes fiscales manquant à l’Etat.

Les ménages riches n’ont pas consommé ni investi l’épargne dans l’économie privée.

Ils ont acheté des bons du trésor (Le mécanisme est beaucoup plus complexe, mais en fin de compte ça revient à ça) : au lieu de lever l’impôt, l’État a redonné l’argent de l’impôt aux riches qui prêtent cet argent à l’État contre des taux d’intérêts. Ce serait plus simple et moins coûteux de revenir à l’imposition

Par ailleurs, la théorie selon quoi l’épargne finance l’investissement des entreprises est ici contredite (une nouvelle fois) de manière éclatante. L’État aurait investi ces fonds, l’impact sur l’économie privée aurait été plus bénéfique que ce que prévoyait la « politique de l’offre ».

La politique de l’offre n’a pas « libéré les énergies productives » ni « redonné de la compétitivité » et encore moins « rétabli les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir ». Elle a alimenté la reconstitution du grand facteur de consolidation bourgeoise du XIXème siècle : la rente.

Notons par ailleurs que les politiques « pro business » ont créé des dizaines de mécanismes d’évitement de l’impôt sur les sociétés des multinationales.

C’est ce qui permet aux entreprises du CAC40 d’être 3 fois moins imposées que la PME artisanale, le restaurateur, ou la boulangerie.

Pour la France seulement, dans un papier écrit par le ministre des finances danois, le banquier central et l’économiste Gabriel Zucmann, le manque à gagner est de 23 milliards d’euros. C’est plus de la moitié de ce que le gouvernement français, en avril 2025, dit chercher comme économies pour boucler son prochain budget.

Créer des mécanismes d’évitement de l’impôt n’a pas suscité des investissements dans l’économie privée. En augmentant la rémunération du capital par le dividende et l’augmentation des valeurs boursières, la politique de l’offre a transformé la recette fiscale en réserves de liquidités accumulées par les plus riches, qui l’utilisent pour … prêter à l’État contre des intérêts.

C’était avant la première guerre mondiale un des arguments des bourgeois rentiers refusant l’impôt sur le revenu : ils participaient déjà au financement de l’État en achetant des bons du trésor. Les imposer leur ferait fuiter les capitaux et l’État perdrait en financement.

La réalité fut bien sûr toute autre. D’ailleurs, la période la plus longue de prospérité équitablement partagée entre travail et capital dans le monde démocratique a lieu lorsque les taux d’impôts sur le revenu sont confiscatoires pour les plus riches, les obligeant à investir plutôt qu’à accumuler de l’épargne : les trente glorieuses 1945-1975.

Il fallut plusieurs crises financières, dont celle de 1905 et celle, moins connue, de 1914, pour qu’un économiste bourgeois se rende compte du caractère suicidaire du système et propose une nouvelle manière d’agir et de penser : la politique de la demande.

Appliquée dès 1914, ses recommandations permirent à la Grande Bretagne de financer l’effort de guerre des alliés.

Elles ont ensuite accompagné le plan de reconstruction de l’Europe dès 1945. Cet économiste bourgeois et libéral, c’était John Maynard Keynes.

Mathieu Pouydesseau

« Ferroviaire : a-t-on abandonné le centre de la France ? » – France Culture, la question du jour, avec Chloé Petat [podcast et vidéo]

Mardi 15 avril, 400 usagers des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) se sont rendus à Paris pour alerter sur l’état du service proposé par la SNCF dans leur région. Retards et vétusté des rames, comment expliquer une telle situation sur ce territoire ?

Le mercredi 16 avril 2025 à 7h15 Chloé Petat était l’invitée de Guillaume Erner et de Marguerite Catton dans la « question du jour » des Matins de France Culture pour faire le point sur le dossier.

En podcast :

À bord des « trains de la colère », des centaines d’habitants du centre de la France ont débarqué à Paris hier, pour manifester leur mécontentement face aux multiples retards et dysfonctionnements des trains Intercités qui maillent leur territoire. Si le réseau ferroviaire paraît particulièrement vétuste sur l’ensemble du territoire, quelle est la spécificité de cette région et de ces lignes ? Pourquoi parle-t-on d' »enclave ferroviaire » et comment la SNCF a-t-elle prévu de remédier à cette situation face à la demande croissante en mobilité ferroviaire ?

en vidéo :

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

Formation des enseignants : on marche sur la tête

La co-construction avec l’enseignement supérieur annoncée initialement par Élisabeth Borne a cédé la place à une reprise en main de la formation par le ministère de l’Éducation nationale. La ministre a décidé d’un schéma sans concertation avec les formateurs, sans prise en compte réelle des impératifs du métier et sans moyens supplémentaires pour les universités.

La réforme de la formation initiale des enseignants et des conseillers principaux d’éducation, enterrée par le ministère de l’Économie l’an dernier, ressort des cartons, remaniée vite fait et mal fait. L’ensemble du processus est totalement lunaire : cette réforme est prévue pour se faire au pas de charge et à moyens constants.

De nouveau, le schéma global de formation est déstabilisé. Les équipes dans les IUFM/ESPÉ/INSPÉ sont épuisées.

Sous le vernis communicationnel de la rémunération des étudiants du Master lauréats d’un concours de recrutement, seul élément qui pourrait sembler intéressant dans cette énième réforme, se cache un mépris pour la formation dans laquelle l’université va être mise à l’écart, et donc avec elle la dimension disciplinaire et de recherche, et pour les formateurs absolument pas consultés, superbement ignorés. Le calendrier est de surcroît intenable : les nouvelles maquettes de Master sont à préparer entre avril et juin 2025 sans qu’aucun cadre pour comprendre comment et par qui elles doivent être élaborées n’ait été fixé. De qui se moque-t-on ?

Ce n’est pas avec cette réforme que se réglera le problème sérieux de l’attractivité des métiers de l’Éducation nationale !

pour le pôle éducation de la GRS
Céline Piot

Les droites contre l’égalité territoriale


Au parlement, certains députés et sénateurs issus des bancs de la droite allant du « bloc central » au RN ont décidé d’opérer une « commission de la hache » sauvage, en prenant prétexte de l’état des finances publiques. Animés par une foi anti-étatiste viscérale, ils développent des arguments démagogiques et malthusiens qui pourraient s’ils parvenaient à leurs fins avoir des conséquences graves pour la cohésion nationale. Mais le risque déborde du débat parlementaire en lui-même.

Le 30 janvier 2025, la sénatrice Union Centriste Nathalie Goulet avait l’honneur de l’examen en séance publique de sa proposition de loi « tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l’utilité ne semble pas avérée » ; le simple intitulé du texte suffisait cependant à se faire une idée sur sa nature parfaitement démagogique et ridicule.

On connaît bien le pedigree démagogue de cette élue de l’Orne, qui avait déjà créée une polémique en montant en épingle « les milliards qui seraient engloutis dans la fraude à la carte vitale », avant que les démonstrations sérieuses rappellent que ces fraudes, si elles existent bel et bien, ne concernent que quelques millions d’euros et sont sévèrement combattues, l’argent recouvré un jour ou l’autre ; chacun sait qu’en matière de fraude sociale, c’est surtout les fraudes aux cotisations des entreprises qui coûtent cher à la puissance publique, ajouté au scandale de la masse du non recours aux aides sociales totalement intégré dans les projections budgétaires (l’État et les collectivités ne prévoient jamais les crédits à hauteur du nombre de personnes éligibles mais au niveau de ce qu’ils anticipent comme citoyens qui y feront réellement appel).

Le texte avait été sérieusement toiletté en commission des lois au Sénat pour éviter les suppressions ubuesques, la commission en appelant à la « sagesse » de l’examen en séance pour faire un sort à l’article proposant la suppression de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). Opportunément, les commissaires aux lois savaient que le groupe socialiste, écologiste & républicain avait déposé un amendement pour supprimer cet article, ce qui fut fait. Le texte transmis à l’Assemblée nationale le 31 janvier préservait donc l’ONPV et la proposition de loi Goulet était promise à se noyer dans les méandres de la navette parlementaire.


Après le Sénat, la récidive des députés macronistes

En quoi la suppression de l’ONPV comporte-t-elle un risque ? L’ONPV a succédé en 2015 à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles qui avait été créé en 2003 ; la loi Lamy de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 lui confiait l’« analyse de la situation et des trajectoires des résidents des quartiers [prioritaires], la mesure de l’évolution des inégalités et des écarts de développement au sein des unités urbaines, à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques en faveur des quartiers prioritaires et des progrès en matière de participation des habitants aux instances décisionnelles de la politique de la ville, [… et enfin] l’analyse spécifique des discriminations et des inégalités entre les femmes et les hommes. »

Le Décret n° 2015-77 du 27 janvier 2015 relatif aux instances en charge de la politique de la ville établissait surtout que « l’État et ses établissements publics sont tenus de [lui] communiquer les éléments nécessaires à la poursuite de ses travaux, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » En d’autres termes plus concrets, cela signifie que l’INSEE – entre autres – est tenu de lui communiquer des éléments d’analyse statistique socio-démographique et socio-économique à l’échelle des Quartiers prioritaires politique de la ville (QPV). Supprimer l’ONPV purement et simplement implique de supprimer également la partie du décret de janvier 2015 qui le concerne, donc de supprimer l’obligation pour l’INSEE et les autres établissements publics de produire des données à l’échelle des QPV et de les transmettre gratuitement. Cela revient tout simplement à casser le thermomètre indispensable à la connaissance de ces quartiers et donc à l’élaboration, la mise en œuvre et l’adaptation de politiques publiques capables de faire revenir les habitants de ces territoires vers l’égalité républicaine.

L’ONPV est une instance au travail et la seule à travailler sur le périmètre des QPV. La politique de la ville, comme toute politique publique, a besoin de données statistiques fiables et d’études à la méthodologie scientifiquement éprouvée. Supprimer l’ONPV, c’est supprimer l’attention portée par la puissance publique aux QPV et à leurs 6 millions d’habitants, qui subissent les conséquences de quelques 60 ans d’erreurs et d’abandons. Car, dans les QPV, il n’y a pas que les revenus par habitants qui sont moins élevés que dans l’aire urbaine qui les entoure (ce qui veut dire que la population y est plus pauvre) : les QPV sont aussi ceux où sont concentrés les problèmes de qualité du logement, où les services publics (et les services tout court) sont les moins présents ou insuffisants par rapport aux difficultés rencontrées, où il y a moins d’emploi et, enfin, ce sont ceux qui sont les moins bien desservis en transport.

Comment bâtir des politiques publiques efficaces pour réduire les écarts de développement et les écarts sociaux entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines sans un diagnostic territorial socio-démographique et socio-économique partagé et régulièrement mis à jour ? Comment mobiliser efficacement les moins de 600 millions d’euros par an des crédits politique de la ville du programme 147, qui ne servent qu’à soutenir les projets associatifs et les expérimentations ? Et surtout et avant tout, comment réellement mobiliser efficacement les autres politiques publiques dites de « droit commun » (éducation, emploi, transports, logement, justice, culture, sport, police, etc.) pour rattraper le retard accumulé ?

Lors de l’examen en commission spéciale à l’Assemblée Nationale du projet de loi de simplification de la vie économique (le texte avait été déposé par le gouvernement voici un an et transmis par le Sénat à l’Assemblée nationale en octobre dernier !?!) pourtant, les députés du « bloc central » s’en sont de nouveau pris à l’ONPV. Mais à la démagogie initiale de Nathalie Goulet, ils ont ajouté la tromperie : voulant mettre en scène leur zèle en faveur de coupes budgétaires tout azimut, ils ont fait adopter en commission le 24 mars 2025 un amendement de suppression de l’Observatoire porté par le rapporteur du texte le député LIOT de la 3e circonscription des Vosges, Christophe Naegelen. Mais, pour rendre cohérent le reste des textes, ils ont corrigé l’article 10 de la loi Lamy de 2014 pour remplacer l’ONPV par l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), qui si cette démarche allait au bout serait donc désormais rédigé comme suit : « Les collectivités territoriales et leurs établissements publics communiquent à l’ANCT les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » Façon de dire « regardez, nous ne sommes pas des irresponsables, les données continueront d’être récoltées par l’ANCT »… Ce sont des Tartuffe ! Car en supprimant l’ONPV, ils suppriment le titre III du décret n° 2015-77 qui obligeait « l’État et ses établissements publics [à] communiquer les éléments nécessaires » à l’accomplissement des missions confiées en 2014 à l’ONPV : donc, à nouveau, il s’agit de casser le thermomètre et de rendre dans les faits impossible la récolte de données sur les politiques publiques à l’échelle des QPV.

Regardons où ont été élus les députés qui ont porté le fer : Marie Lebec, députée renaissance de la 4e circonscription des Yvelines (l’une des plus bourgeoise du département) ; Sébastien Huyghe, député LR de la 5e circonscription du Nord (qui croit ainsi donner des gages à l’électorat RN auquel il a arraché la circonscription) ; Sylvain Maillard, député Renaissance de la 1ère circonscription de Paris (la plus bourgeoise de la capitale) ; Jean-René Cazeneuve, député Renaissance de la 1ère circonscription du Gers (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Auch, préfecture du département, qui vote PS et un peu moins LFI aux législatives) ; Danielle Brulebois, députée Renaissance de la 1ère circonscription du Jura (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Lons-le-Saunier, ville PS) ; Françoise Buffet, députée renaissance de la 4e circonscription du Bas-Rhin (circonscription rurale et conservatrice) ; Nicole Le Peih, députée renaissance de la 3e circonscription du Morbihan (circonscription rurale) ; Anne-Sophie Ronceret, députée renaissance de la 10e circonscription des Yvelines (circonscription rurale et bourgeoise de Rambouillet) ; et enfin Annaïg Le Meur, députée renaissance de la 1ère circonscription du Finistère (circonscription rurale, dont le seul QPV est situé à Quimper, ville PS qui vote à gauche aux législatives).

Si on ajoute à cette liste, le profil de la circonscription du rapporteur (territoire rural, un QPV situé à Remiremont, ville de droite qui se détourne profondément de ce quartier), on perçoit dans la démarche de ces députés une ignorance volontaire de la politique de la ville, un mépris social évident, une logique d’opposition des territoires en difficulté entre eux et un esprit de revanche politique.

Avec cet amendement démagogique, les députés sabreurs peuvent-ils au moins prétendre avoir fait des économies ? Même pas ! L’ONPV est avant tout une instance de travail et de concertation entre différents acteurs publics et parapublics avec un comité d’orientation qui adopte le programme de travail annuel de l’ONPV, valide les publications de l’observatoire et approuve le rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement. Le travail en lui-même est accompli par le pôle Analyse et Diagnostics Territoriaux de la direction générale déléguée Appui Opérationnel et Stratégique au sein de l’ANCT, évidemment en lien avec la direction générale déléguée à la Politique de la Ville au sein de l’ANCT. L’ONPV en réalité ne coûte rien d’autre que les frais de secrétariat de son comité d’orientation, soit moins de 40 000 euros par an. Par contre, la suppression de l’ONPV privera tous les acteurs de la politique de la ville, qui expriment depuis quelques jours à quel point cet observatoire est utile, de données essentielles à une action publique efficace et à son adaptation dans le temps1. C’est à terme une perte d’efficacité publique donc une perte d’argent public considérable qui sera provoqué si l’amendement adopté en commission spéciale est conservé à l’issue de l’examen en séance publique. Il est plus qu’étonnant que sa présidente, la haute fonctionnaire Laëtitia Hélouet, n’est jamais pris la parole dans le débat public pour déconstruire ces absurdités ; il faut croire qu’elle a une définition extensive du « devoir de réserve ». D’autres heureusement ont pris la parole, tant parmi les cadres de l’État qu’au sein des associations d’élus locaux comme Ville et Banlieue et ses partenaires, France Urbaine, APVF, Intercommunalités de France ou Villes de France.

On ne peut que remercier Emmanuel Maurel et quelques autres députés de gauche (et du Modem) pour avoir déposé des amendements de rétablissement de l’ONPV2, mais le risque que l’irréparable soit commis est important : l’addition des voix des groupes RN, UDR, « droite républicaine » (hostiles par principe à la politique de la ville3) avec celles du « bloc central » – si ce dernier ne revenait pas rapidement à la raison (l’examen du texte est prévu dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 avril 2025) – est largement majoritaire.


L’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires dans le collimateur ?

L’ANCT est un établissement public créé en 2019 et en fonctionnement depuis le 1er janvier 2020. Son action cible prioritairement les territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d’accès aux services publics. La création de l’ANCT avait été souhaitée par Emmanuel Macron dès son discours à la conférence nationale des territoires le 18 juillet 2017, avec l’ambition de créer un « guichet unique » d’échelon national dans la relation de l’État aux élus et porteurs de projets locaux, en particulier les collectivités territoriales.

L’ANCT a fusionné en son sein plusieurs organismes publics et administrations centrales :

  • le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET ; à l’exception des agents assurant les fonctions relatives à l’élaboration et au suivi de la politique de l’État en matière de cohésion des territoires4), dont l’essentiel des missions a été repris par la direction générale déléguée à la politique de la ville dont nous parlions plus haut ;
  • l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) ;
  • l’Agence du numérique (à l’exception des agents employés à la mission French Tech).

D’autres opérateurs de l’État en direction des territoires n’ont finalement pas été intégrés à l’ANCT : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Toutefois, l’ANCT a établi des conventions avec chacun de ces opérateurs.

L’idée de base de la création de l’ANCT est intéressante : avoir un acteur uniquement permettant de coordonner l’ensemble des politiques publiques qui doivent servir à atteindre un objectif d’égalité territoriale. Quartiers urbains défavorisés, bassins désindustrialisés, territoires ruraux ou péri-urbains excentrés ou isolés, zones blanches, bourgs et villages ruraux en déprise (citons en dehors de la politique de la ville, Action Cœur de Ville – programme né du rapport sénatorial piloté en 2017-2018 le sénateur socialiste Martial Bourquin – Petite Ville de Demain, Village d’Avenir, Territoires d’Industrie, Maisons France Services, Tiers-Lieux, Territoires d’engagement, France Très Haut Débit, etc.)… Tous sont l’objet de l’attention de l’ANCT et doivent pouvoir bénéficier de ses dispositifs et de ses programmes. Le passage en Agence était censé lui donner la souplesse, la flexibilité et la réactivité que ne pouvait avoir, selon les Libéraux, une administration centrale ; c’était aussi s’ancrer dans la posture de « l’État animateur » et non plus prescripteur ou acteur.

Cependant, la création de l’ANCT s’inscrit dans la continuité d’une logique qui a retiré à nombre de territoires leurs administrations publiques. Ainsi pour faire face au démantèlement des Directions Départementales de l’Équipement entre 2006 et 2009, dont les équipes et les missions n’ont pas été entièrement reprises par les Directions départementales des territoires (on a « dégraissé le Mammouth » !), l’ANCT propose d’accompagner les collectivités qui s’adressent à elle avec des délégations de crédits d’ingénierie, charge aux collectivités bénéficiaires de solliciter des prestataires pour accompagner leurs projets. On marche sur la tête selon nous, mais c’est une conséquence directe du désengagement de l’État dans les territoires, pas de l’existence l’ANCT elle-même.

Sur les territoires, l’ANCT dispose de délégués territoriaux qui sont … les préfets. Donc il n’y a pas plus de présence de terrain hors quelques chargés de mission qu’elle finance pour les comités de massif ou autres chefs de projet sur ses différents programmes. Elle réalise exactement ce pour quoi elle a été créée en 2019, à savoir son rôle de guichet unique au service des collectivités. Cependant, le revers de la médaille d’un tel positionnement, c’est que l’ANCT répond essentiellement aux collectivités (ou à leurs EPCI) qui disposent déjà d’assez d’ingénierie ou de structuration pour faire appel à elle. Une commune en perdition dans un territoire en déprise ne pourra le faire qu’à la condition qu’elle soit accompagnée en amont, par les services préfectoraux et les services déconcentrés des administrations centrales qui sont déjà « à l’os » depuis plusieurs années.

Autre difficulté rencontrée par l’ANCT (et ses directions), c’est qu’elle a perdu la capacité de contrôle direct de l’essentiel de ses crédits qu’avait par exemple conservé le CGET. D’un côté, l’ordonnateur des crédits est la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) qui dépend du ministère de l’intérieur (quand l’ANCT dépend à la fois du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du ministère de la transition écologique) qui n’a pas d’expertise sur le fond des dossiers et des politiques publiques pilotés par l’ANCT, mais dispose d’une prépondérance dans la rédaction des décrets et circulaires relatives aux politiques publiques concernées et contrôle la libération des crédits du programme 147 (politique de la ville) et du programme 112 (impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire) de la mission « cohésion des territoires » des lois de finances : le rapport de force politico-administratif est très largement inégal ; de l’autre côté, depuis 2018, ce sont les préfets de région en tant que Responsable de Budget Opérationnel de Programme (RBOP) qui ont la haute main sur l’exécution des crédits de ces deux programmes et la mise en œuvre des actions qui y sont rattachés : les recommandations de l’ANCT et de ses directions ne sont qu’un élément parmi d’autres pris en compte par les RBOP dont l’autonomie d’action, tant qu’ils respectent les cadres généraux, est extrêmement large. Comment l’ANCT pourrait-elle dans ces conditions avoir les coudées franches, disposer des moyens opérationnels concrets pour garantir une cohérence de la mise en œuvre des politiques publiques pour atteindre l’objectif de cohésion territoriale ? Dans un contexte de disette budgétaire, alors qu’on a coupé dru dans le fonds vert, que le programme 112 a perdu 20 % de ses crédits contre 5 % pour le 147, il y a fort à parier qu’une telle délégation de crédits risquent de se faire sur le terrain au détriment de la politique de la ville.

Elle est donc, dans ce contexte, contrainte d’avoir une politique marketing qui, l’espère-t-elle, lui donnera une légitimité auprès du public le plus large possible auquel elle s’adresse : les collectivités territoriales. Dès l’origine, en pleine crise sanitaire, elle s’est ainsi dotée d’un slogan qui ne recouvre que très partiellement l’intérêt de ses missions « L’agence au services des collectivités territoriales ». C’est sans doute aussi pour cette raison que ces différents outils de communication (comme son événement annuel phare l’ANCTour ou son site internet) privilégient largement les programmes et dispositifs s’adressant à la ruralité et à la revitalisation de la « France périphérique » : les maires et présidents d’EPCI sont plus nombreux dans cette catégorie et la politique de la ville, les difficultés sociales et humaines qu’elles tentent de contenir (si ce n’est de résoudre), est visiblement beaucoup moins « glamour » politiquement. Son président, Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Association des Petites Villes de France, est le symptôme de ce « silencement » de la politique de la ville : il n’en parle tout simplement jamais ou presque et doit être systématiquement complété sur ce dossier par son Directeur général, Stanislas Bourron, haut fonctionnaire et ancien patron de la DGCL.

On se souvient de la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier 2025 ; le nouveau Premier ministre avait, dans un discours par ailleurs plutôt plat et ennuyeux, mené la charge en faveur de la « débureaucratisation » et contre les « plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique […] sans contrôle démocratique réel ». On tente encore de trouver la référence du Béarnais pour avancer un tel chiffre, mais on avait compris que, parmi les cibles de cette diatribe populiste, se trouvait l’ANCT. Pourtant, c’est bien une agence dont le contrôle par le gouvernement est complet, doublé d’un conseil d’administration5 qui offre des garanties de contrôle démocratique assez exemplaires.

Or, deux semaines plus tard, le Premier ministre a demandé à l’IGA, l’IGF, l’IGEDD et l’IGAS de procéder à une revue des dépenses d’interventions de plusieurs opérateurs de l’État au profit des collectivités locales en matière d’ingénierie territoriale. Pour la mener à bien, les inspecteurs concernés, en complément des échanges avec lesdits opérateurs (ADEME, ANCT, CEREMA) et les ministères, ont reçu consigne d’aller interroger « les acteurs territoriaux susceptibles de mobiliser des ressources d’ingénierie, en propre ou porté (sic) par les opérateurs nationaux, pour mener à bien leurs projets d’aménagement ». On voit ici que l’intention est d’aller trouver des éléments pouvant permettre d’accuser son chien d’avoir la rage. Or, si l’ANCT est sans doute loin d’être parfaite – nous venons d’établir un constat balancé sur ses missions et son action –, elle souffre avant de ne pas disposer des moyens suffisants pour mettre en œuvre la tâche qu’on lui a confié : elle a besoin d’avoir des relais administratifs et d’ingénierie plus fort sur le terrain, elle a besoin de contrôler directement les crédits des politiques publiques dont on lui a confié l’expertise et le pilotage, elle a besoin d’avoir réellement la main sur les outils de mobilisation des agents publics (décrets, instructions, circulaires) et d’avoir en matière d’aménagement et d’égalité territoriale un dialogue d’organisation direct avec les préfets et leurs services.

On peut légitimement douter que l’intention actuelle du gouvernement de droite conduit par François Bayrou soit de redéployer des moyens humains dans les administrations déconcentrées de l’État, qu’elles soient rattachées ou non à l’ANCT. La disparition de cette agence ou sa fusion avec d’autres n’aboutirait alors qu’à un nouveau recul de la capacité de l’État à agir dans les territoires (alors même que les collectivités n’ont pas les moyens de prendre le relais, et d’une certaine manière ne doivent pas l’avoir, car cela signerait la fin de l’État républicain et de l’égalité des citoyens devant l’action publique).

Nous sommes le 6 avril 2025, l’ANCT n’a toujours pas reçu notification de sa subvention pour charge de service public pourtant inscrite dans la loi de finances pour 2025. Depuis le 1er janvier de cette année, elle fonctionne sur ses fonds propres, ayant toujours eu une gestion interne particulièrement austère, alors que d’autres agences ou opérateurs de l’État n’ont jamais eu cette précaution (et se retrouvent au bord du gouffre depuis quelques semaines). Mais entre les menaces de cette « mission de rationalisation » initiée par François Bayrou et la baisse des crédits du programme 112 (qui financent les postes des agents – fonctionnaires ou contractuels – de l’ANCT), on sent bien que l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires risque de prendre un boulet fatal.

Mais ce n’est pas tant une agence parmi d’autres qui serait blessée à mort, c’est l’égalité des territoires au sein de la République française.

Jean-Samuel Castéran

  1. Au-delà site de l’ONPV que vous pourrez trouver tout seul, nous vous recommandons la consultation du site SIG.ville qui est une mine d’information sur les QPV, pour les agents de l’Etat, des collectivités, des acteurs professionnels, les associations, les entreprises, les habitants, et qui ne pourrait pas exister si le projet de loi sorti de la commission spéciale était promulgué tel quel : https://sig.ville.gouv.fr/ ↩︎
  2. Vous trouverez après cet article la liasse d’amendements de rétablissement au format PDF. ↩︎
  3. Les conseils régionaux d’Auvergne/Rhône-Alpes, Grand Est, Île-de-France, où LR règne sans partage (on peut ajouter PACA et Pays-de-la-Loire, proches d’Horizons), ont supprimé depuis plusieurs années tout soutien financier à la Politique de la Ville ↩︎
  4. La conception des contrats de plan État-Région, qui relevait encore du CGET pour l’exercice 2015-2020, n’est plus assumée par l’ANCT qui gère en revanche un nouveau type de contractualisation entre État et collectivités, les Contrats de relance et de transition écologique. ↩︎
  5. https://anct-site-prod.s3.fr-par.scw.cloud/ressources/2025-02/organigramme_ca_dec_2024.pdf ↩︎

Quelle ambition européenne pour la défense ?

Le mardi 18 mars 2025 était publié le très attendu livre blanc de la commission européenne sur la défense qui doit servir à alimenter les réflexions des 27 chefs d’État et de gouvernement. Parmi les principaux thèmes de ce rapport : l’émergence d’une véritable défense européenne, son financement, mais aussi une forme de « patriotisme économique », à savoir faire en sorte que l’argent européen mis sur la table serve à acheter des armes européennes, elles aussi.

Qui, parmi les Européens, achète européen ?

Le plus gros importateur d’armes aujourd’hui au sein de l’Union, c’est la Pologne : elle se fournit pour 87% de ses achats aux États-Unis et en Corée du Sud. Pour les Pays-Bas, deuxième importateur au sein de l’Union, ou pour l’Italie, c’est encore plus spectaculaire : les États-Unis représentent respectivement 97 et 94% de leurs achats d’armes.

D’autres pays sont au contraire plus équilibrés dans leurs sources d’approvisionnement, plus Européens aussi, comme la Grèce pour qui le plus gros fournisseur d’armes à hauteur des deux tiers de ses achats est la France, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne.

L’Union européenne peut-elle imposer aux États membres d’acheter européens ?

Non. Dans les traités européens, la défense n’est pas reconnue comme une compétence communautaire, ni exclusive (heureusement), ni même partagée avec les États membres. C’est donc à ces derniers de s’entendre politiquement, sur un périmètre qui ne sera ni toute l’Union Européenne (la Hongrie ou la Slovaquie se comportent aujourd’hui plutôt comme des alliés du Kremlin) ni la seule Union Européenne, car la Grande Bretagne et la Norvège ne sont pas des partenaires à négliger.

Mais la Commission peut mettre à leur disposition des outils, comme cela avait été fait après la crise sanitaire de 2020, lorsqu’il s’était agi d’acheter des vaccins en commun. L’idée d’une centrale d’achat européenne est revenue avec force ces dernières semaines. Il s’agirait d’un cadre commun dans lequel les États européens pourraient, à plusieurs, peser davantage dans les négociations avec les industriels de l’armement pour faire baisser les coûts, quitte à ce que la commission européenne abonde pour diminuer la charge budgétaire des États membres lorsqu’ils achètent européens. Les achats groupés figuraient bien dans les conclusions du dernier conseil, il y a deux semaines, mais sans préciser si ces achats devaient être prioritairement européens.

Enjeu industriel

Pour acheter européen, encore faut-il que le secteur européen de l’armement puisse suivre. Le tissu industriel de défense a des lacunes en Europe sur des équipements précis comme les drones, par exemple, ou les systèmes de défense anti-drones. C’est pour cela que certains pays comme la Pologne ou l’Allemagne plaident pour maintenir des achats hors Union européenne pour les équipements les plus urgents. Une première liste a été définie début mars incluant des systèmes d’artillerie de longue portée ou encore de défense aérienne. On pourrait pourtant penser que cet écueil puisse être rapidement dépassé pour certains matériels, mais nos voisins européens ont été habitués si longtemps à ne pas avoir d’effort à faire pour obtenir de la seconde main américaine, que le changement de dispositif n’a rien d’automatique.

On a vu à quel point il pouvait être compliqué de construire de véritables programmes d’armement européens. Dernier exemple en date, avec le SCAF, le système de combat aérien du futur porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, une alliance industrielle qui ne va pas de soi en matière de défense.

Structurés en 2017, les programmes SCAF et MGCS représentaient alors les deux principaux piliers d’une initiative franco-allemande voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour engager l’Europe sur une trajectoire plus autonome en matière de défense, avec en son cœur, les deux principales économies et puissances démographiques de l’Union Européenne. Depuis, l’enthousiasme initial a fait place à une défiance croissante, sinon des autorités, du moins d’une partie de l’opinion publique, des industriels et même des militaires, et ce, de part et d’autres du Rhin. Les difficultés se sont multipliées, amenant chacun de ces programmes au bord de l’implosion. Paris et Berlin s’étaient entendus en 2019 sur un partage des tâches à 50%-50% entre Dassault, désigné maître d’œuvre en raison de son expertise, et Airbus, qui représentait à l’époque la seule partie allemande. Mais les négociations ont été rouvertes après l’arrivée de Madrid et de nouvelles exigences de Berlin, les discussions portant notamment sur le partage du travail et les droits de propriété intellectuelle, alors que les trois pays doivent s’entendre sur le financement d’un démonstrateur de l’appareil destiné à remplacer le Rafale à l’horizon 2040. En dépit d’une trajectoire désormais plus sécurisée, sans être toutefois garantie, suite à une vigoureuse intervention des instances politiques des pays participants, de nombreuses interrogations subsistent dans le débat public autour de ces programmes. Un rapport de janvier 2024, émanant de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, va certainement venir encore accroître les inquiétudes les entourant.

Le volet des offres s’annonce au moins aussi compliqué que celui de la demande, pour lequel des financements et des aides européennes sont et seront encore débloqués dans les mois à venir.

Frédéric Faravel

Trump fait taire la « Voix de l’Amérique »

Voice of America a été la grande radio, qui a agi pour que le bloc soviétique se fissure : cette radio va être débranchée. L’administration Trump a décidé des centaines de licenciements dans ce média public ; la Russie et la Chine se félicitent évidemment de ces licenciements.

Plusieurs employés de VOA qui ne pouvaient pas entrer dans leurs locaux ce samedi se sont entretenus avec des médias, en demandant l’anonymat pour se prémunir de toutes représailles : « On a fait taire la voix de l’Amérique, du moins pour l’instant », disait un reporter chevronné à CNN. « Ce n’est pas que notre salaire qui est en jeu », disait un employé de Radio Free Asia interrogé par France 24. « Nous avons des employés et des pigistes qui craignent pour leur sécurité. Nous avons des journalistes qui travaillent dans des pays autoritaires en Asie, nous avons des journalistes aux États-Unis qui craignent l’expulsion si leurs visas ne sont pas renouvelés. » « On nous a effacés d’un coup de stylo, poursuivait cet employé, c’est tout simplement atroce ».

VoA, un combat pour les libertés parfois à géométrie variable

« Les autocrates du monde entier font des sauts de joie. Hindenburg [sic], Hitler n’avaient pas réussi à faire taire la voix de l’Amérique, Staline, Vladimir Poutine, Mao non plus, les Ayatollahs en iran n’ont pas réussi à le faire, mais Donald Trump vient de réduire au silence la voix de la liberté. Pour la première fois depuis 1942, VoA a été retirée de l’antenne », écrit un éditorialiste du Washington Post.

La chaîne Voice of America avait été souvent critiquée pour son manque d’indépendance et son tropisme pro-américain dans sa couverture des faits dans les années 1950 à 1980. Accusée d’être « négligente » face au communisme par McCarthy, elle a été détachée du Département d’État américain en 1953 par Eisenhower ; cela ne l’avait pas empêché d’être un vecteur pour préparer les opinions latino-américaines avant divers coups d’État au Guatemala et en République Dominicaine ou avant l’opération de la Baie des Cochons à Cuba. Sa petite sœur Radio Free Asia, fondée en 1951 par la CIA pour contrer la nouvelle Chine communiste, a quant à elle servi de porte-voix à la propagande américaine durant toute la guerre du Viet Nâm.

Pourtant, elle jouait également un rôle crucial dans des pays où s’exerce un contrôle drastique des médias comme l’Iran, la Chine populaire ou la Corée du Nord ; elle a joué un rôle important dans la mise au jour de l’univers concentrationnaire au Xinjiang et de l’oppression des Ouïghours. VoA y avait également dénoncé les tentatives d’ingérence du gouvernement chinois dans les élections aux États-Unis, contré les efforts du régime de pékin pour dissimuler les origines de la pandémie de Covid.

Agence de presse, radio, télévision, VoA et ses réseaux avaient progressivement gagné leurs galons d’indépendance, résistant aux pressions de l’administration Bush après le 11-Septembre.

La joie des dictateurs et des usines à fakenews

L’administration a mis en congé, donc, la quasi-totalité de ses 1300 employés et l’administration a fermé les stations sœurs de VoA, Radio Free Europe, Radio Liberty et Radio Free Asia. « La voix de l’Amérique, le soi-disant symbole de la liberté, a été jeté par son propre gouvernement comme un vieux chiffon » s’est réjoui en Chine, le Global Times, l’organe de presse international du parti communiste chinois, qui qualifie également VoA d’usine à mensonge. La Russie se réjouit également de la disparition de ce média indépendant, qu’elle avait qualifié l’an dernier d’organisation indésirable.

« Trump a annoncé la fermeture soudaine de radio liberty et de VoA. C’est une bonne décision », selon la rédactrice en chef du média d’État russe, RT, Margarita Simonian, sur le plateau de Rossia Adin. Dans la foulée, le présentateur Vladimir Solofief s’est amusé de la fermeture de tous les médias indépendants américains avec la fin de leur financement. « C’est génial », renchérit la rédactrice en chef de RT, comme le montre le magazine newsweek.

L’audience de VoA était estimée à plus de 400 millions d’auditeurs, de téléspectateurs, d’internautes, pour une diffusion en 63 langues, selon le magazine conservateur Washington Examiner.

Le monde des « faits alternatifs »

« Les propagandistes chinois ont tout à gagner à faire taire les voix de la vérité et de la liberté », a dénoncé le Washington Post. Apparemment, l’administration Trump a le même intérêt.

Entre 2015 et 2021, Donald Trump avait publié plus de 2490 messages négatifs sur le média national, selon la base de données U.S. Press Freedom Tracker. Et cela ne prend en compte que ses messages sur les réseaux sociaux, dans lesquels il a régulièrement qualifié des chaînes, des journaux de « propagateurs de fake news » et d’« ennemis du peuple ».

Depuis son retour à la Maison-Blanche, l’administration Trump a retiré leur agrément et leur bureau au Pentagone à quatre médias : le New York Times, NBC News, NPR, et Politico.

Frédéric Faravel

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