Avec l’ouverture à la concurrence, le modèle ferroviaire français pourrait être remis en question. Promesses d’un service amélioré d’un côté, incertitudes sur l’avenir des lignes moins rentables de l’autre : comment garantir un accès au train partout en France ?
PODCAST à écouter ci-dessous
Débat animé par Quentin Lafay qui avait invité :
Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire et consultante auprès des collectivités pour le cabinet Trans-Missions ;
L’ouverture du secteur ferroviaire en France doit nécessairement être régulée et surveillée par la puissance publique pour éviter qu’elle pénalise les usagers et dégrade le service public.
Les nouveaux entrants se concentrent aujourd’hui sur l’exploitation des lignes les plus rentables, au détriment des moins rentables. Autrement, le système de péréquation et la situation de monopole de la SNCF lui permettait de compenser les pertes financières liées à l’exploitation des lignes non-rentables.
Avec la concurrence, se système prend fin. Ainsi, l’Etat doit œuvrer pour garantir :
Un juste équilibre entre les exploitants : entre exploitation de lignes non-rentables et lignes rentables en utilisant les outils législatifs à sa disposition pour cela ;
La desserte des territoires : l’ouverture à la concurrence ne doit pas engendrer la fermeture de lignes ou la réduction dans les dessertes des gares des villes petites et moyennes ;
Une coordination efficace pour les usagers : l’ouverture à la concurrence amène un risque de discontinuité dans l’offre de transport ferroviaire qu’il convient de surveiller.
L’ouverture à la concurrence ne peut être envisagée sans une réelle supervision de l’Etat, ni investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau ferroviaire.
Comment évolue la stratégie de Moscou après ses revers en Artsakh et en Syrie ? Jusqu’où pourra aller la coopération compétitive avec la Turquie ? Le chercheur et spécialiste de l’Asie centrale David Gaüzère (Président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)1. Il est également militant à la Gauche Républicaine et Socialiste) a accepté de partager ses analyses pour France Arménie. Nous diffusons aujourd’hui l’entretien accordé pour l’édition de mars 2025 par notre camarade avec son accord.
France Arménie : Avec le revers de la Russie en Syrie et ses percées sur le front ukrainien, comment évaluez-vous les priorités de la politique étrangère de la Russie en 2025 ?
David Gaüzère : La priorité de Moscou sera d’après moi un recentrage sur l’Afrique, car ce continent voit la présence russe se renforcer, contrairement au reste du monde où soit l’influence de la Russie est contestée (Ukraine, Caucase, Syrie), soit est bien présente, mais limitée à un soft power discret (Amérique du Sud). En Afrique, des instructeurs militaires et paramilitaires russes sont directement impliqués en Libye, auprès du maréchal Khalifa Haftar, ou, plus au Sud, en soutien aux trois régimes sahéliens putschistes (Mali, Burkina Faso et Niger) ou encore en République centrafricaine.
Les tensions augmentant avec la France à deux niveaux (contentieux franco-algérien et franco-russe), il est fort possible que d’ici peu de temps Alger fasse appel à Moscou pour installer une base navale et/ou aérienne en bordure de la mer Méditerranée en Algérie. Toujours est-il que la Marine russe, naguère stationnée à Tartous en Syrie, peut facilement trouver en Méditerranée d’autres ports d’attache, en premier lieu en Libye, sinon – en accord avec ces États alliés – en Égypte ou en Algérie. Ces ports « prêtés » rapprocheraient du reste la Marine russe des côtes de l’Union européenne (UE), notamment dans le cas algérien.
Cette priorité n’est-elle pas dictée par une question de sécurité nationale ? A savoir éliminer les ressortissants russes partis faire le djihad en Syrie sous la bannière des différentes factions rebelles ?
La Russie a subi ces dernières années deux revers majeurs en peu de temps dans deux régions proches l’une de l’autre, à savoir en Artsakh (2020 et 2023) et en Syrie (2024). Moscou est en mauvaise posture dans ces deux endroits, du fait de sa perte d’influence face à la montée en puissance de la Turquie.
Aujourd’hui, les relations entre Moscou et Ankara souffrent d’un véritable manque de lisibilité, qui nuit en principal lieu à Moscou. Officiellement, les deux hommes forts que sont Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan se toisent, s’impressionnent et se craignent dans une relation virile et équilibrée de joueurs d’échecs. Mais, le Turc, fin stratège, a toujours le dernier mot : soutien d’Ankara au gouvernement libyen de Fayez el-Sarraj face au maréchal Haftar l’homme de Moscou, protection des éléments djihadistes, notamment russophones, par Ankara dans le nord de la Syrie, appui discret d’Ankara aux Tatars de Crimée pour leur autonomie et leur renaissance culturelle contrecarrant à moyen terme l’action de Moscou dans la province annexée ; inaction totale de la Russie face à l’annexion azerbaïdjanaise de l’Artsakh chapeautée par Ankara et aux agressions quotidiennes de l’Azerbaïdjan dans le Siounik arménien et montée de l’Organisation des États turcophones avec une coopération interne très dynamique en matière de défense face à une CEI stagnante, sans encore évoquer l’ancrage turc également en Afrique. Partout, la Russie est contrariée par son soi-disant allié turc du moment. Aussi, cette alliance de façade sera condamnée à échouer d’ici peu de temps, sans doute une fois le conflit ukrainien gelé.
Que sait-on du nombre et de la situation des combattants rebelles de nationalité russe et de pays d’Asie centrale en Syrie ?
Ils seraient évalués autour de 700-800 hommes. Ils appartiennent essentiellement à al-Tawhid wal-Djihad, plus communément qualifié de Djannat Ochiklary. Cette katiba (unité djihadiste), toujours fidèle à al-Qaïda – même du temps de la puissance de l’Organisation État islamique (OEI) – était dirigée par Abou Saloh, un Ouzbek ressortissant du Kirghizstan provenant de la ville d’Och (sud du Kirghizstan), et comprenait quelques centaines de combattants issus de cette région multiethnique qu’est la vallée du Ferghana. En Syrie, cette katiba, qui a un temps tenu Alep jusqu’en 2016, s’est ensuite repliée dans le réduit d’Idlib, jusqu’à l’offensive éclair de décembre 2024, dont elle était l’un des principaux fers de lance. Parmi ses dirigeants, un certain nombre avaient combattu dans l’OEI au sein de la garde prétorienne d’al-Baghdadi dirigée par le colonel tadjik Goulmourod Khalimov. À la mort de ce dernier et à la chute de l’OEI, ces combattants d’élite étaient alors repartis en Afghanistan. Cependant, du fait de leur longue absence entre 2014 et 2019, les hiérarchies avaient été reconstituées dans la djihadosphère afghane, y compris russophone, et ces hommes n’avaient pas, pour la plupart, pu retrouver leur place ; ce qui les avait donc forcés à retourner en Syrie et reprendre la lutte djihadiste sur ce terrain, en plaçant leur tactique militaire héritée de l’ex-Armée rouge soviétique au service d’al-Qaïda, puis de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Parmi ces combattants revenus en Syrie, figure Saïfiddin Tadjibaev, devenu après l’installation du nouveau pouvoir à Damas, le chef d’état-major de la nouvelle armée syrienne, en signe de reconnaissance par HTC pour ses actes passés.
Héritière de la diplomatie soviétique, la diplomatie russe jouit d’une remarquable expertise sur les affaires du monde arabe, pensez-vous que Moscou avait anticipé le succès des rebelles islamistes syriens ?
Non, Moscou pensait que, comme à Alep en 2016, le régime pourrait de nouveau maintenir son emprise sur de larges pans de la Syrie, notamment Damas et le réduit alaouite de Lattaquié (une plaine étroite facilement défendable entre la Méditerranée et les monts Anti-Liban) et n’a pas du tout anticipé un effondrement aussi rapide. Moscou avait cependant plusieurs fois par le passé appelé le régime baasiste syrien à faire des « réformes », mais n’a pu l’y convaincre. Par lassitude d’une part et du fait du dégarnissement d’autres zones du monde où l’armée russe était présente pour renforcer ses troupes en Ukraine, Moscou a laissé tomber le régime d’Assad. Cet abandon aura malheureusement des conséquences dans le Caucase avec le retour du djihadisme dans les républiques musulmanes de la Fédération de Russie et en Asie centrale post-soviétique. Tadjibaev, qui a de nombreux soutiens au Tadjikistan, est par exemple qualifié par ses pairs de « président », car dans sa tête il a déjà détrôné Emomali Rakhmon, le chef d’État tadjik actuel, et gouverne à sa place un État devenu islamiste.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de la coopération russo-turque en Syrie ? Est-ce cela qui explique l’absence de confrontation directe entre les soldats russes présents en Syrie et les rebelles de HTC ?
La coopération russo-turque est en Syrie, comme auparavant en Artsakh, une coopération en chiens de faïence. Mais, il est clair que, du moins pour l’instant, c’est la Turquie qui sort gagnante de ce bras de fer. La Russie a besoin de soldats en Ukraine et doit pour ce faire dégarnir les autres fronts (Tadjikistan, Arménie, Syrie…). Mis en place en 2020, le centre de coopération technique russo-turc d’Aghdam n’a pas fonctionné depuis et la prise par l’Azerbaïdjan, aidé de la Turquie, du dernier réduit encore « libre » de l’Artsakh trois ans plus tard a mis fin à la vocation de ce centre, comme à celle de la Russie en tant que puissance d’interposition. La suite de la partie s’est jouée en Syrie, où la chute du régime Assad, soutenu par Moscou, et la panique au même moment des soldats russes sur les bases de Hmeimim et de Tartous ont sonné le glas de leur présence sur place, au même moment où les forces turques ont profité du chaos syrien ambiant pour reprendre des villes comme Manbij aux Kurdes d’YPG et envoyer leurs agents d’influence dans le sillage du ministre des Affaires étrangères (et ancien chef du MIT) Hakan Fidan auprès du nouveau régime à Damas. Moscou n’a, en revanche, à l’heure actuelle, toujours pas envoyé de signes positifs ou négatifs en direction du nouveau pouvoir de HTC à Damas.
Pensez-vous réaliste que la Russie rapatrie ses facilités militaires navales en Libye où dans les zones contrôlées par le maréchal Haftar se trouve le port en eaux profondes de Tobrouk ?
Oui, car c’est la dernière zone que Moscou tient encore en Méditerranée et, dans cette partie du monde, la Russie peut encore compter sur ses alliés égyptien et algérien.
Est-ce que ce repli russe dans le Moyen Orient aura pour conséquence une concentration de l’effort militaire et diplomatique russe dans le Caucase du Sud et en Asie centrale ? Pourquoi ?
Il est difficile ici de répondre pour le moment, tant les signes contradictoires sont forts, ne serait-ce par exemple que dans le Caucase du Sud : en Géorgie, la « victoire » du parti pro-russe, Rêve géorgien, dans les élections législatives trafiquées du 26 octobre 2024 et le départ de la présidente pro-UE Salomé Zourabichvili sont un point marqué par Moscou, mais qui d’un autre côté ne peut enrayer les ambitions azerbaïdjanaises soutenues par Ankara, dont le rêve est d’isoler – sinon occuper – l’Arménie en reliant la Turquie au vaste espace turcophone centrasiatique dans un projet néo-impérial panturquiste. L’Arménie est, comme la Moldavie, tiraillée entre de fortes velléités pro-UE et le besoin d’être défendue par la Russie. À Erevan, le pouvoir pro-occidental de Nikol Pachinian est contesté par une forte opposition pro-russe conduite par d’anciens hauts-gradés nostalgiques (Onik Gasparian) et appuyée par une grande part d’Artsakhiotes pour qui la perte de l’Artsakh, qui aurait pu être évitée, est la conséquence de la relation inamicale entre Poutine et Pachinian.
Chisinau, la présidente pro-UE Maia Sandu se trouve face à ses minorités gagaouze (turque orthodoxe) et transnistrienne (russe) au positionnement pro-Poutine.
En Asie centrale, le changement générationnel commence à se voir sur la relation entretenue avec la Russie, avec la montée de critiques internes au soutien de l’action de la Russie en Ukraine (le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ne reconnaissent pas par exemple les républiques sécessionnistes pro-russes d’Ukraine et les récentes annexions territoriales de Moscou dans ce pays).
Comment peuvent évoluer les relations russo-azerbaïdjanaises après le crash de l’avion d’Azerbaijan Airlines au-dessus de Grozny à Noël dernier ?
Dans l’immédiat, elles n’évolueront pas, car la Russie et l’Azerbaïdjan restent encore tous deux membres de la CEI et des intérêts économiques communs liés aux exportations de pétrole et de gaz naturel de la mer Caspienne lient encore ces deux États. Cependant, il est fort probable qu’à moyen terme la fin prochainement annoncée de l’alliance entre la Russie et la Turquie rebattra de nouveau les cartes dans le Sud-Caucase et ailleurs.
Par ailleurs, si Poutine conserve encore une « vision eurasiste » de son pouvoir, qui ne dit pas que son successeur n’aura pas une vision pan-slaviste mettant plutôt en avant les valeurs de la Russie éternelle ? Si cette éventualité se produisait, peut-être alors que la question de l’Artsakh pourrait revenir sur le devant de la scène régionale, notamment si une nouvelle majorité politique pro-russe venait au même moment à s’emparer du pouvoir par les urnes à Erevan. Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’évolution du régime politique en Iran. Si ses jours sont comptés, sa chute pourrait soit, si elle est bien orchestrée, entraîner une évolution politique maîtrisée sans changements territoriaux. En revanche, si elle devait mener au chaos, un risque de désintégration de l’Iran multi-ethnique ne serait alors pas à exclure et, auquel cas, les Azéris iraniens – plus nombreux qu’en Azerbaïdjan – pourraient alors s’unir dans les frontières d’un « Grand Azerbaïdjan » panturquiste.
À cela s’ajoute encore la question kurde. Il en résulterait des conséquences régionales incalculables et gravissimes dans le grand jeu des puissances riveraines qui se déroule du Caucase à l’Asie centrale, dans son acception géographique la plus large.
David Gaüzère est également co-auteur avec Yoann No-miné de l’ouvrage Le Chaudron vert de l’islam centrasiatique : vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale postsoviétique (L’Harmatan, 2020) et de nombreux chapitres d’ouvrages et articles portant sur l’observation des formes de radicalisation religieuse en Asie centrale et de leur incidence sur la situation sécuritaire de la région. Il a notamment publié un chapitre dans l’ouvrage Haut-Karabakh : le livre noir, intitulé « Haut-Karabakh : l’Etat profond turc contrarié par l’axe sino-russe » (Ellipses, 2022). ↩︎
Dans le cadre des « Jeudis de Corbera », nous recevions Étienne Colin, Avocat au barreau de Paris en droit du travail, membre de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès et Enseignant à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en Master 2 de Relations professionnelles.
Le thème exploré pour ce jeudi 27 février 2025 est « Redonner du pouvoir aux Travailleurs« . Cela s’inscrit dans un contexte social difficile, car les fermeture d’entreprises, les « plans sociaux » et licenciements reprennent. D’autre part, depuis plusieurs années est engagé un débat autour du travail : les Français n’aimeraient pas le travail et en contesteraient la valeur, alors qu’en réalité ce sont les conditions de travail et de rémunération qui sont mises en cause ainsi que l’absence de respect et de reconnaissance pour ce qu’apportent les travailleurs. Il ne faut pas non plus sous-estimer les changements d’organisation et de comportement qui favorisent l’individualisation, de pénibilité, de stress…
C’est sur ces questions que Marie-Noëlle Lienemann et Carole Condat ont interrogé et débattu avec Étienne Colin en lui demandant de s’intéresser également et tout particulièrement à l’état de la démocratie sociale ; au-delà des constats, le sujet est aussi de suggérer des pistes pour redonner de la force à cette démocratie sociale et de la valeur au travail et aux travailleurs.
Bonne écoute du podcast !
Vous trouverez plus bas le podcast organisé en deux parties pour une écoute thématique.
1. Repenser la démocratie sociale
– La démocratie n’est pas que politique, elle doit aussi être sociale et irriguée intermédiaires re-légitimés (A. Supiot)
– Pourquoi a-t-elle été considérablement affaiblie ces dernières années ? Rupture avec la conférence sociale en 2014 / Rejet de la négociation interprofessionnelle et mise à distance de la branche / Primauté du « tout entreprise » / Recul du rôle de l’Etat
– Impasse dans des sociétés dont le fonctionnement s’est horizontalisé et où les réponses ne peuvent plus être uniformes et tomber d’en haut / Nécessité de créer du dialogue à tous les niveaux, pour donner un débouché à la confrontation sociale, sans peur du nécessaire conflit
– Interroger le « fait syndical » : Particularités du syndicalisme français / Comparaisons internationales / Situation de la social-démocratie / Evolutions possible ou nécessaires
– Quelle démocratie sociale ? Rôle de l’Etat / Tripartisme / Hiérarchie des normes
2. Donner du pouvoir aux salariés dans l’entreprise
– Garantir un haut niveau de protection individuelle : Santé-sécurité / Conditions de travail / Durée du travail / Stabilité de l’emploi
– Renforcer la citoyenneté dans l’entreprise : Liberté d’expression / Libertés fondamentales (harcèlements/discriminations /égalité de traitement)
– Protéger contre les difficultés économiques : « plans de sauvegarde de l’emploi », autres licenciements économiques
– Participation des salariés via leurs représentants : Administrateurs salariés ? Nécessité mais limites
– Concilier revendication/représentation/participation = renforcer la négociation collective de travail
– Impossible sans une intervention résolue de l’Etat = tripartisme et non paritarisme béat (ex. édifiant de Bayrou avec les retraites)
Après la publication d’un podcast sur la Radio « Français dans le monde« , notre camarade franco-berlinois Mathieu Pouydesseau revient dans cet article avec une analyse détaillée des résultats des élections législatives fédérales du 23 février 2025, de leurs causes et de leurs potentielles conséquences. Il propose quelques pistes pour sortir de l’ornière.
Le peuple allemand, convoqué à des élections législatives anticipées le 23 février 2025, a répondu massivement. 83% des inscrits ont voté, soit le plus fort taux de participation de l’histoire de l’Allemagne réunifiée, supérieur au record enregistré sous la RFA en 1987 !
Jamais le résultat de ces élections n’aura été aussi incontestable dans la légitimité accordée aux députés siégeant au Bundestag.
Le résultat en pourcentage voit la droite, constituée des deux partis CDU et CSU, l’emporter avec 28,6%. La CSU n’est présente qu’en Bavière, où la CDU ne présente pas de candidats. Le candidat conservateur à la chancellerie, Friedrich Merz, a reçu les félicitations des autres présidents de partis qui lui ont reconnu la légitimité de constituer une coalition.
La coalition sortante SPD-Verts-Libéraux (FDP) s’effondre, totalisant à peine 32,3% des suffrages. Le FDP disparaît du Bundestag en manquant le seuil des 5%. L’ancien ministre des finances Lindner a annoncé son retrait de la vie politique.
Les verts résistent mieux que leurs partenaires de coalition mais perdent au profit des Linke une partie de l’électorat féminin et de moins de 30 ans.
L’extrême droite double son score, tant à l‘Est qu’à l‘Ouest, où, avec 17,7% elle fait jeu égal avec le SPD et remporte certain de ses anciens bastions. Les classes ouvrières et salariées ont voté AfD plutôt que SPD.
Les Linke connaissent une renaissance inattendue, fondée sur une campagne politique sur le thème du pouvoir d’achat, et de la fin de la « règle d’or » pour permettre des investissements, ainsi qu’une identification forte à l’antifascisme.
La majorité est à 316 sièges. La droite et le SPD ont la majorité absolue ensemble. Les dirigeants conservateurs multiplient les appels du pied au SPD pour entrer en négociation de coalition. Ils ont exclus l’autre coalition majoritaire, avec l’extrême droite.
Le SPD est choqué par sa défaite. Le futur nouveau patron du groupe parlementaire, Lars Klingbeil, a déclaré que la participation du parti au gouvernement « n’était pas automatique. »
Analyse politique des résultats
La droite l’emporte avec un score décevant, son deuxième plus mauvais score depuis 1949, le pire ayant été en 2021. Friedrich Merz, un homme sorti des années 1980, rival malheureux de Merkel en 2005, néo-libéral à la pensée archaïque, va donc devenir chancelier. En janvier, il a fait voter ses troupes avec l’extrême droite sur des résolutions sur l’immigration, brisant le « mur républicain » autour de celle-ci pourtant établi depuis 1949. Il a annoncé un agenda de coupes drastiques dans le système social et les dépenses publiques, tout en reconnaissant le déficit d’investissements. Il fait partie des théologues croyant à la « règle d’or » comme à une règle divine.
Celle-ci empêche les États de mobiliser l’épargne accumulée par l’investissement, financé par l’emprunt. Or, les mêmes refusent aussi de mobiliser l’épargne des riches par l’impôt. Face à cette contradiction, il ne reste plus qu’à baisser les dépenses. On a vu en France l’échec de cette politique avec des déficits budgétaire et commercial abyssaux.
L’extrême droite AfD double son score et submerge l’Allemagne de l’Est. Ce serait une erreur de croire que l’AfD est un parti régionaliste : elle rassemble presque 18% des suffrages à l’Ouest et y fait jeu égal avec le SPD. Elle y gagne d’ailleurs deux circonscriptions. Elle a proposé une coalition à la droite ; Merz l’a refusé en nommant comme divergences insurmontables l’Ukraine, le soutien à Poutine, le rejet de l’Euro et de l’Union Européenne.
Carte des circonscriptions allemandes, partis arrivés en tête
Le SPD s’effondre à son pire score depuis … mars 1933. Le chancelier sortant Scholz a exclu participer aux négociations de coalition ou à un gouvernement. Son destin au sein du parti reste flou. Boris Pistorius, le ministre de la défense, beaucoup plus populaire, pourrait récupérer la présidence et le rôle de vice-chancelier en cas d’alliance avec la droite.
Les Verts font mieux que prévus mais reculent par rapport à 2021. Le ministre écologiste sortant de l’économie, Habeck, n’a pas cherché à mobiliser les troupes venues de Friday for Future1, fortement mobilisées contre l’AfD et la complaisance de Merz, pour ne pas abîmer la possibilité d’une participation au gouvernement. Le résultat cependant ouvre la voie à une majorité sans les Verts.
Les Linke sont littéralement réanimés par la tentation de Merz de rompre le mur républicain isolant l’AfD. Ils ont récupéré l’électorat jeune, activiste pour le climat, mobilisé cette fois-ci contre l’extrême droite et la tentation de Merz de s’allier avec elle. Les verts, en refusant d’exclure gouverner avec Merz, ont perdu surtout dans cet électorat. Les Linke ont su aussi apprendre du départ de Wagenknecht et mener leur campagne sur les sujets du pouvoir d’achat et des investissements.
Le parti de gauche conservatrice BSW manque l’entrée au Bundestag de peu, à 4,972% pour un seuil minimum à 5%. Cruauté des soirées électorales ! C’est un échec cuisant, suite à une stratégie inaudible depuis septembre, abandonnant les questions économiques pour suivre l’AfD sur le rejet de l’aide à l’Ukraine et sans d’ailleurs se distancer d’eux sur les questions migratoires. Ils n’ont pas bénéficié du rebond antifasciste de la jeunesse allemande.
Le FDP du libéral Lindner, qui a saboté le travail du gouvernement pendant trois ans et organisé sa chute en septembre, est lourdement sanctionné et disparaît du Bundestag.
L’AfD s’impose comme le parti des classes populaires inquiètes de l’avenir, mais aussi ébranlées par des années de stabilité salariale à la baisse, l’augmentation des prix et des loyers. Si la droite chrétienne démocrate conserve un volant populaire, le SPD a perdu cet électorat au profit de l’AfD.
Évolution du vote des classes salariées et ouvriers entre 2013 et 2025Sondage sortie des urnes par situation financièreSondage sortie des urnes : vote en fonction de la peur face à l’inflation « j’ai peur que les prix augmentant tant que je ne puisse plus payer mes factures »Sondage sortie des urnes : « comment considérez vous la situation économique du pays » schlecht = mauvaise, gut = bonne
Quel nouveau modèle allemand ?
Dimanche soir, lors de la traditionnelle émission politique où se retrouvent tous les patrons de partis représentés au Bundestag, M. Söder, le président du parti bavarois CSU, composante de la droite victorieuse, disait ceci : « Le vieux modèle économique allemand est terminé, le modèle de l’immigration économique est terminé ». Le constat est devenu consensuel en Allemagne : le « modèle allemand » est en échec. Les conséquences à en tirer divergent très fortement, le seul parti étant finalement incapable de formuler une réflexion cohérente, le SPD, subissant une défaite historique.
L’autre parti s’accrochant encore à la « règle d’or » et au « modèle » des exportations au prix de la baisse des salaires, le FDP, n’est même plus représenté au parlement.
La crise du modèle allemand a fait l’objet de plusieurs de mes analyses. Je rappellerai ici les articles suivants, récents :
La crise politique allemande, conséquence de la crise sociale, s’aggrave avec le résultat des législatives anticipées, et menace d’emporter l’Union Européenne.
Pourquoi l’Europe en crise voit la montée du populisme nationaliste ?
Le moteur économique de l’Union Européenne entre 2009 et 2019, l’Allemagne, n’a depuis plus connu de croissance. Ce sont six années de stagnation qui ne s’expliquent pas seulement par le Covid ou la guerre d’agression russe en Ukraine. Le PiB est en 2024 au niveau de 2019. L’industrie s’effondre. Un institut a prédit la troisième année de récession pour ce pays en 2025.
En janvier 2025, la droite allemande a poussé au Bundestag un texte sur l’immigration, comme si ce sujet était l’urgence économique de l’heure, pour le faire voter par l’extrême droite et les libéraux. C’est la première fois que le cordon républicain isolant l’extrême droite allemande depuis son retour au Bundestag en 2017 se fissure. L’ancien président du consistoire des juifs d’Allemagne a démissionné de ce parti, l’ancienne chancelière Merkel a critiqué le parti.
Madame von der Leyen ne s’est pas distanciée de son camarade de parti Merz. Elle a déjà mené des actions avec une partie de l’extrême droite européenne depuis sa nomination pour un second mandat à la commission, et a marginalisée les tenants d’un fédéralisme politique – les macronistes français – comme ceux tenants d’une Europe sociale.
Elle souhaite disposer des coudées franches pour une pratique autoritaire de son pouvoir, elle est animée d’un profond mépris pour la France, par une vision idéologique des problèmes, d’une absence totale de décence et de morale, et promeut plus que jamais la mise en place de réformes libérales néfastes et stupides pour l’économie.
Elle s’apprête à rentrer dans l’histoire au côté du chancelier Brüning, cet idéologue de l’équilibre budgétaire qui en pleine crise économique de 1929 décida de rompre avec le centre gauche, de diriger sans majorité parlementaire, de couper les crédits et les salaires, aggravant encore la crise et favorisant la montée du parti nazi, pourtant marginal jusqu’en 1929.
Sauf qu’en 2025, l’extrême droite est déjà présente dans sept gouvernements européens.
L’échec économique et social, l’échec culturel, l’échec politique
L’Union Européenne connaît en 2025 des perspectives de croissance médiocres. Les instituts les plus optimistes prévoient une stagnation. Les causes de cette crise sont connues : les prix de l’énergie sont trop hauts, la demande intérieure des ménages et des entreprises trop basse.
Les Européens n’ont pas assez d’argent pour consommer. Ceux qui ont de l’argent l’épargnent au lieu de consommer. Leur épargne n’est pas investie en Europe, elle est investie à l’étranger, ne créant aucune demande en Europe.
Les Européens qui n’ont pas d’argent pour consommer ont vu l’envolée des prix de leurs logements, et de leur transport et la dégradation de leurs services publics. Leur qualité de vie se dégrade depuis que l’Europe est en excédent commercial.
La banque centrale européenne a, d’après tous les analystes, monté les taux d’intérêts trop haut, les y a maintenu trop haut trop longtemps, et les baisse trop peu, trop lentement. Il y a six mois, l’ancien patron de la banque centrale européenne Mario Draghi a présenté un rapport sur la perte de productivité européenne et le décrochage économique de l’Europe depuis 2010. Il y conclut que l’Europe manque d’investissements. Il y fait aussi, prisonnier de son idéologie, des recommandations de dérégulation sauvage et de privatisation de services publics, sans s’attaquer aux déséquilibres réels de l’économie européenne.
Madame von der Leyen, avec le soutien de l’extrême droite, pousse uniquement le chapitre des dérégulations. Elle conclut seule, sans demander aux chefs de gouvernement ni au parlement, des accords de libre échange prolongeant le mercantilisme européen.
L’erreur est humaine, la répéter diabolique
Les États Unis ont mené au sortir de la crise de 2020 une politique très différente de l’européenne. Voilà une économie qui a depuis 2010 laissé l’Europe loin derrière et qui génère d’énormes capacités d’investissement et d’innovations. Pourtant, le déficit public américain, c’est 6,3% du produit intérieur brut. Pourtant, la dette publique US, c’est 123% du PIB. Pourtant, le déficit commercial américain, c’est l’équivalent de 3% du PIB. D’après les doctrines économiques européennes, les États-Unis devraient être mis sous “troïka” et mener une politique de réduction drastique des salaires pour « rétablir ses comptes ».
Les États Unis ont financé leur différence de croissance avec l’investissement public, laissant loin derrière la vertueuse Europe. Il y a une corrélation, positive, entre dette et croissance.
La Chine fait la même politique que les États Unis pour rattraper et dépasser l’Union Européenne, bien trop restrictive même en accumulant des excédents commerciaux.
La crise américaine est une crise des inégalités économiques, et non sociales ou culturelles. La prospérité non partagée amène l’orage, toujours.
L’arrivée au pouvoir des démocrates s’accompagne de politiques déflationnistes contre l’inflation, touchant en premier lieu les salaires des classes populaires. Les inégalités sociales s’y aggravent et la prise de pouvoir médiatique et politique des oligarques s’accompagne d’une dégradation du débat public, sur des agendas de boucs émissaires. La bourgeoisie démocrate, incapable de s’unir aux syndicalistes et aux classes populaires – car cela signifierait augmenter leurs impôts et réduire leurs privilèges économiques – sera incapable de défendre la démocratie.
Les démocrates ont été incapables, en 2023 et en 2024, de prendre des mesures concrètes de soutien du pouvoir d’achat des américains. La politique de la banque centrale, la “Fed”, a joué un grand rôle en privant de l’accès au crédit à la consommation et au crédit immobilier des millions d’Américains. Or, l’accès au crédit est aux États-Unis le principal stabilisateur social et il est en crise. Joe Biden, qui conservait des éléments de keynésianisme, a été remplacé par Kamala Harris pour mener une campagne sur des sujets culturels principalement.
Trump est en train de mettre en place une politique de « mise au pas », de “Gleichschaltung”, de l’ensemble de l’État et de la société. C’est un coup d’État aux apparences de légalité. Ceux qui pensent pouvoir corriger ces effets en 2026 se trompent : les élections américaines de 2026, au mieux, ressembleront sans doute à celles de mars 1933 en Allemagne : un climat de violence, d’intimidation, et de réduction de la liberté de la presse.
Différentiel de vote entre scrutin sur l’avortement et score de Trump/Harris
L’électeur américain a ainsi voté dans de nombreux États à la fois pour l’augmentation des salaires minimums, des aides sociales et pour le droit à l’avortement, et en même temps, pour Trump, dont la principale promesse est de garantir le retour de la prospérité pour tous les Américains – “les vrais Américains”.
Les pertes de voix de Harris dans des électorats populaires s’accompagnent du maintien de la mobilisation des bases sociologiques trumpistes. La guerre culturelle approfondit les clivages et empêche de reconquérir l’électorat populaire passé à Trump en 2016.
Malgré ces énormes défis politiques, et les conséquences pour l’Europe, l’économie américaine était en bien meilleure position en faisant l’inverse de l’Union Européenne : soutien de la demande par la dette publique et l’investissement, transferts des gains économiques en investissements privés, innovation par la recherche publique monétisée par le privé.
Cependant, le libertarisme idéologique des oligarques américains est en train de détruire un à un ces ressorts de la prospérité américaine. Dans ces conditions, les oligarques auront besoin d’une autre manifestation indissociable des régimes ultra-capitalistes : la guerre, civile ou extérieure.
L’urgence en Europe, c’est reprendre le contrôle de notre économie
Le problème européen, ce n’est pas le recours à une immigration du travail, qui n’est qu’un symptôme d’une erreur plus large. Le problème européen, c’est d’avoir tout subordonné à l’idéologie de la compétitivité.
Car celle-ci a un autre nom : la déflation. Nous avons dévalué depuis plus de 20 ans nos salaires, nos services publics, nos investissements. La valeur du capital financier, comme celui du capital immobilier, a augmenté considérablement. Le but était d’être compétitif pour vendre plus de biens et de services au reste du monde que ce que nous voulions lui acheter. Cela s’est fait en réduisant nos capacités d’acheter, le prix du travail devant baisser.
Or, le monde a appris à produire ce que nous produisions et à détester les philosophies morales et politiques inventées en Europe. Nous ne sommes plus ni un partenaire commercial à la même hauteur, ni une puissance militaire respectée, ni un modèle intellectuel et culturel, nous devenons la nouvelle proie.
Au cœur de la sécurité européenne future se trouve d’abord un énorme effort d’investissement public.
Mais les classes politiques dominant les grands pays d’Europe n’en veulent pas. Myopes, soumises aux théories qui nous conduisent à un échec depuis 20 ans, incapables de se remettre en cause même face aux faits les plus brutaux, elles veulent continuer à servir une accumulation de capital stérile et vaine.
Tous les peuples européens ont les mêmes intérêts. Chaque Nation en Europe est solidaire par sa situation géographique, son histoire, son héritage issu des Lumières. Les Européens ont mené leur émancipation de religions obscurantistes, meurtrières en millions de victimes, de systèmes de féodalité les asservissant, de régimes autoritaires et héréditaires méprisant le droit et l’utilisant pour imposer les inégalités de naissance et de condition. L’Europe a créé un système pour ne plus asservir : la démocratie sociale, avec un État providence, acceptant la décolonisation, renforçant le système des organisations internationales.
Depuis les années 1970, des forces employant à tort le mot de « libéralisme » ont cherché à détruire tout ce qui a été construit en 1945 pour empêcher le retour des fascismes, au nom des « énergies libres du capitalisme », de la compétitivité, de la productivité, de l’efficacité. C’est ce mouvement qui est à sa fin décadente.
Il est temps de revenir à une période de solidarité, de réconciliation entre Européens, de reconstruction sur la base des philosophies de la raison. Les États-Unis sont perdus. Ils vont devenir le siège d’une pieuvre fasciste cherchant à détruire l’idée même de solidarité. Mais les droites européennes sont tentées d’abandonner toute morale, tout sentiment chrétien, toute compassion, pour quelques billets verts et quelques jouissances du pouvoir.
L’Europe n’a pas besoin de dérégulation et d’abandon supplémentaire à des lois du marché conçues pour un être humain amoral, égoïste, et immortel, c’est-à-dire, diabolique.
L’Europe a besoin d’un projet d’investissement commun, de l’abandon des bureaucraties myopes des ordolibéraux qui croient que l’état doit contrôler l’efficacité du marché à coup de normes, d’une mobilisation de l’épargne par emprunt, et la mobilisation des gains injustifiés des profiteurs de la guerre en Ukraine et de l’inflation par l’impôt confiscatoire sur les milliardaires.
Cette campagne de mobilisation doit reconstruire notre demande intérieure. Pour que les machines allemandes alimentent les industries françaises et non chinoises. Pour que les Allemands puissent consommer de la haute qualité en vêtements et en nourriture française et non du low cost Bengalais ou chilien.
En France, le budget adopté est le plus stupide de notre histoire depuis 1788. l’effondrement des recettes en 2023 s’est accéléré en 2024 et ne s’arrêtera pas en 2025. Car les recettes dépendent directement de la croissance.
Or, depuis 2023, d’après la plus récente note de l‘Insee, l’épargne ne s’investit pas, ni ne se consomme, et le pouvoir d’achat s’effondre. Seule les dépenses de l’État alimentent encore un peu la croissance. Et, le pays cessant de produire pour lui-même, les importations continuent d’augmenter, obligeant le pays à s’endetter.
Et que va faire ce budget ? Casser le seul moteur de la faible croissance, stopper les investissements, et ne rien faire pour la sécurité géopolitique du pays.
Voilà où j’attends la gauche, et non dans les disputes sur le « sexe des anges » au sein de la coalition électorale actuelle. Je constate que celles et ceux qui partagent mes constats et mes solutions sont systématiquement « silencés », tant dans les médias que par ces gauches médiocres.
Le triomphe de la folie n’est cependant pas inéluctable. Nous avons, dans notre histoire européenne, vaincu plusieurs fois la folie. J’ai espoir.
Rappels et perspectives pour notre avenir
Qui se souvient de 2013 ?
J’avais alors mis en garde sur la montée de l’extrême droite allemande au moment du scrutin législatif. J’avais posé l’idée que sans renversement des logiques budgétaires et économiques, les extrêmes droites européennes prospéreraient. J’avais notamment regretté que les logiques de « compétitivité » et de concurrence entre les économies nationales au sein du marché unique entraînaient de force un appauvrissement des classes populaires. J’avais enfin écrit que la culture démocratique était en danger.
2013 était une fenêtre de tir historique. Elle fut manquée. L’histoire ne repasse pas les plats. Les conséquences de nos myopies doivent être assumées.
En 2025, l’Europe fait face à l’abandon de l’allié américain. Celui-ci veut partager le monde directement avec la Chine et la Russie. Les alliés idéologiques argentins ou indiens seront sans doute associés. L’Europe, vue comme le maillon faible, est la proie.
Dimanche soir, au débat télévisé entre présidents de partis allemands, l’atlantisme allemand, qui justifiait de mépriser la France tout au long des années Merkel et Scholz, a commencé à se fissurer. Le patron des écologistes, Habeck, a constaté que les États-Unis de Trump se plaçaient du côté des adversaires des valeurs de l’universalisme européen. Merz, le futur chancelier chrétien-démocrate, a aussi fait le constat que l’alliance américaine était finie, à la surprise de nombreux observateurs.
Seul Scholz, le chancelier sortant du SPD, s’accrochait encore à l’Otan comme un outil pertinent de sécurité.
Merz est un homme des années 1980. Âgé de 69 ans, passé par un fonds d’investissement américain où il a fait fortune, il n’a pas de réflexion profonde sur la crise actuelle, reprenant le prêt à penser mainstream qui unit l’extrême droite, la droite et le centre : « il faut baisser les dépenses publiques, réduire les impôts des riches, baisser les cotisations et les prestations des pauvres, réduire les salaires pour rester compétitif. Il faut fermer les frontières. Il faut expulser. Et par miracle, la demande déprimée, l’investissement partant aux États-Unis plutôt qu’en Europe, la croissance repartira ». C’est de la pensée magique. Mais la crise américaine pourrait entraîner des révisions drastiques des dogmes mainstream.
Sinon, on connaît le scénario : la crise économique et sociale s’aggrave, la vulnérabilité géopolitique augmente, la droite prend panique et s’allie à l’extrême droite.
Les gauches européennes ont encore une fenêtre de tir.
Il faut réfléchir ensemble à trois sujets :
1. Quelle transformation du modèle économique européen est elle nécessaire, pour que notre demande absorbe notre production et réduire notre dépendance à la demande internationale. En créant une demande européenne interne, nous soutiendrons notre production, des emplois à haute valeur ajoutée, une progression du pouvoir d’achat. Cela passe par l’investissement public, la fin des règles d’or.
2. Quelle transformation de notre système de défense et d’alliance est nécessaire pour garantir notre sécurité géopolitique et intérieure ? L’OTAN ne joue pas ce rôle. L’allié américain n’est pas fiable, et trahit l’alliance. La dépendance aux technologies américaines est un poison.
3. Quelle transformation de notre rôle culturel et médiatique souhaite t-on ? Cela implique retrouver une souveraineté sur nos espaces publics, médiatiques, technologiques et investir massivement dans la science et la raison, alors que Trump est en train de tuer la recherche scientifique aux États-Unis.
C’est ce à quoi je souhaite m’employer.
Mathieu Pouydesseau
Friday for future : mouvement lancé par des mouvements activistes sur le climat ayant eu beaucoup de succès dans les lycées et les universités d’Allemagne avec des manifestations tous les vendredis. Friday for future a eu l’impact en Allemagne de sos racisme dans les années 1980 en France. Que les Verts aient perdu la main sur ce mouvement au profit des Linke par une transformation d’un mouvement pro-climat en un mouvement antifasciste pose fortement questions aux écologistes. ↩︎
Là où certains voient un drame, d’autres ne peuvent s’empêcher d’y percevoir une sordide opportunité. Il y a quelques jours, le corps d’une jeune fille de onze ans, Louise, était découvert en Essonne. On imagine toujours la profonde douleur des parents confrontés à la perte brutale d’un enfant — notre humanité nous commande de nous y associer.
En dépit du souhait de la famille d’éviter toute récupération politique, l’identité complète d’un des suspects fut presque immédiatement divulguée par certains médias. Cette fuite donna lieu à un véritable lynchage numérique, orchestré et amplifié par certaines figures de l’extrême droite, ravies de relayer cette « information ». Car voilà, un des deux suspects avait un nom qui semblait être « extra-européen ».
En parallèle, un journaliste du média Frontières entreprit de s’attarder sur le profil Twitter de la sœur de la victime, qui avait initialement relayé l’avis de disparition. Constatant qu’elle affichait parfois des positions plutôt marquées à gauche, il l’exposa publiquement dans une publication désormais supprimée. S’en est suivie une vague de harcèlement profondément abjecte, où certains l’accusaient — sans même connaître le mobile du meurtre — d’être « responsable de la mort de sa sœur ». Face à l’ignoble, la jeune femme a été contrainte de clôturer son compte.
Le soir même, le parquet annonçait finalement mettre hors de cause les premiers suspects. Ceux qui jappaient pourtant si fort se sont alors subitement tus, et même si une bonne partie d’entre eux ont supprimé leurs messages qui bafouaient allègrement la présomption d’innocence, la honte ne semble pas les étouffer pour autant.
L’avocate du premier suspect — désormais tout à fait hors de cause — a effectivement annoncé porter plainte pour violation du secret de l’enquête et de l’instruction. Mais l’origine de la fuite sera-t-elle identifiée ? Cette propension qu’ont certains médias à trouver si rapidement parmi les personnes concourant à la procédure des relais prêts à divulguer des informations confidentielles devrait nous inquiéter.
S’il est normal qu’un drame puisse susciter l’émoi et déclencher des débats de société, ceux-ci doivent avant tout rester rationnels, et toujours respecter les valeurs de la dignité humaine.
Malheureusement, tous ces gens attendront patiemment la prochaine occasion de faire déferler la haine. Pendant ce temps, ils ignoreront qu’un enfant est victime de viol ou d’inceste toutes les trois minutes en France. Ils ignoreront que dans notre pays, le comptage des infanticides reste entaché d’une part d’ombre importante, particulièrement s’agissant des décès des très jeunes enfants1. Au fond, la souffrance des victimes les intéresse-t-elle vraiment ?
Ils feront le tri dans les faits divers, bavant d’avance d’y trouver un nom n’ayant pas une consonance européenne. Puis, par un mécanisme ayant moins de rapport avec les subtilités de l’intelligence humaine qu’avec les salivations du chien de Pavlov, ils se remettront à aboyer, pensant encore avoir trouvé la source du mal là où elle n’est pas.
Il y a quelques semaines, le média Frontière avait déjà défrayé la chronique en publiant une liste d’avocats qu’il considérait comme « coupables » de la « submersion migratoire » – un véritable « palmarès des avocats de clandestins ». La méthode de dénonciation et de mise au pilori demeure inchangée, et les réactions ordurières subséquentes se sont empressées d’apparaître.
Ne leur en déplaise, le droit de la défense est universel : toutes les femmes et tous les hommes naissent et demeurent d’ailleurs libres et égaux en droits. Porter atteinte à ce principe fondamental de notre justice républicaine, tout en ciblant les avocats, constitue une attaque grave contre notre démocratie.
L’insécurité est une préoccupation majeure et légitime des Françaises et des Français. Mais tandis que nous sommes déterminés à apporter des solutions rationnelles à cette problématique, nous répéterons inlassablement que ni la propagation de la haine, ni les instrumentalisations racistes ne contribueront à résoudre la situation. Bien au contraire, exacerber des divisions déjà profondes ne ferait que l’envenimer.
Derrière les coups médiatiques se dessine une certaine conception de nos institutions, qui ne manquera pas d’être transposée en actes si la droite extrême obtient le pouvoir. Il nous appartient de la dénoncer sans relâche, et d’y opposer notre idée d’une justice ne transigeant jamais, mais restant toujours digne de la grande patrie des droits de l’Homme.
Est-il encore temps de faire reculer le RN ? La Gauche est aujourd’hui au pied du mur : Construire un projet qui réponde aux grands enjeux d’aujourd’hui et de demain comme aux problèmes quotidiens des Français et des Françaises – unir ses forces dans la durée renouer avec le monde du travail et rassembler tous les Français.
AVEC
Pierre JOUVET Député européen – secrétaire général du PS – conseiller départemental Christian PICQUET Membre de la direction nationale du PCF Jean Marie CADOR Parti des travailleurs hongrois 2006 Gilles NOËL Maire de Varzy (58) – Vice-président national de l’Association des Maires Ruraux de France Sophie CAMARD Maire GRS du 1er secteur de Marseille Dominique CHARNASSÉ Ancien cadre du Secrétariat Général aux Affaires Européennes – responsable national de l’Engagement Présidence/Animation Catherine COUTARD Vice-présidente du MRC
Le 29 novembre dernier, se tenaient les élections générales en République d’Irlande. Déclenchées quelques mois avant le terme du précédent Dáil Éireann1, par les partis de la coalition de droite au pouvoir, elles ont abouti à un paysage politique plus éclaté qu’auparavant.
Dans la foulée des élections de février 2020, le parti républicain Sinn Féin a longtemps caracolé en tête des sondages (entre 30 et 35 % des intentions de vote entre 2021 et 2023). Ce même parti a accédé le 3 février2024 à la fonction de premier ministre du gouvernement provincial autonome en Irlande du Nord. Les partenaires de la coalition de centre-droit Fianna Fáil, Fine Gael et Green Party se sont accordés au début du mois d’octobre 2024 pour anticiper de quelques mois le scrutin. pensant profiter d’un passage à vide du parti républicain, favorable à l’unité de l’île, qui est repassé à ce moment sous les intentions de vote promises aux deux grands partis de droite.
Au final, ce pari purement opportuniste a été relativement perdant. Sinn Féin a rattrapé son retard dans les intentions de vote, sans renouveler pour autant son exploit de 2020 ; les partis de droite on légèrement reculé sans réussir à concrétiser le score que les sondages leur promettaient en octobre et les écologistes ont violemment payé leur position de junior partner d’une coalition de droite dans laquelle leurs électeurs n’avaient vraisemblablement pas anticipé qu’ils y participent.
La situation semble donc à peu de choses près la même qu’en février 2020 : les deux partis de droite historiques de l’Irlande continuent. à s’accorder contre la participation de Sinn Féin à un quelconque gouvernement. Ils réunissent cependant à eux deux désormais presque la majorité du Dáil et devront à nouveau choisir un troisième membre pour asseoir une coalition gouvernementale, sans que celui-ci soit aussi fort que ne l’étaient précédemment les écologistes.
Il convient cependant de resituer ces élections dans les évolutions politiques de la dernière décennie pour comprendre ses enjeux et mesurer ce qu’il reste à parcourir pour installer un jour un véritable gouvernement d’alternance en Irlande, potentiellement capable de soutenir un processus d’unification de l’île sous l’égide de la République.
Les élections de 2024 confirment l’évolution politique de l’Irlande depuis 15 ans
Depuis 1932, Fianna Fáil et Fine Gael, deux partis « frères ennemis » de la guerre civile de 1922-1923, alternent au pouvoir. Le premier, représentant alors le nationalisme irlandais censé être le plus intransigeant, s’étant débarrassé de ses derniers éléments progressistes dans les années 1930, a incarné jusqu’à aujourd’hui la droite conservatrice ; le second, issu des soutiens de Michael Collins qui avait conclu le traité de large autonomie avec le Royaume Uni en décembre 1921, après s’être débarrassé dans les années 1930 de son aile pro-fasciste, a représenté la centre-droit libéral voire progressiste.
Dans ce paysage politique, traumatisé par la guerre civile des années 1920 et focalisé sur la construction de son identité étatique et nationale, nulle possibilité pour ces deux partis de s’accorder ; dans un pays essentiellement rural, la gauche (le parti travailliste ou des petits partis républicains) et les agrariens servaient d’arbitres mineurs pour faire basculer la majorité d’un côté ou de l’autre quand le Fianna Fáil n’arrivait pas seul à la majorité (soit pour compléter sa majorité, soit pour l’empêcher de garder le pouvoir.
Depuis le début du XXIème siècle, la République d’Irlande a vu les données politiques du pays profondément évoluer. Évolution sociologique d’abord avec une part toujours plus grande des populations urbaines et une diminution progressive du poids de l’église catholique impliquant la légalisation du divorce en 1995, celle de l’avortement en 2013 (et une mise au niveau du reste de l’Europe occidentale en 2019) et du mariage homosexuel (plus facilement qu’en France) en 2015. En 20 ans, la République d’Irlande est sortie du conservatisme catholique dans lequel l’avait confite Éamon de Valera2, « père de la Nation » et père du Fianna Fáil, pour faire oublier sa trahison des idéaux d’unité républicaine. Évolution géopolitique ensuite avec la conclusion des « Accords du Vendredi-Saint » entre la plus grande partie des organisations politiques nord-irlandaises et les gouvernements britanniques et irlandais, qui mettaient fin à la guerre civile en Irlande du Nord : politiquement, cet accord a eu pour conséquence de permettre au Sinn Féin, le parti républicain irlandais présent dans le nord rescapé des multiples scissions et affrontements dans l’histoire politique irlandaise, d’investir le débat public dans le sud une fois que l’Irish Republican Army, sa branche armée, avait renoncé à la violence. Évolution partisane enfin : si le Fianna Fáil voyait son hégémonie politique de plus en plus souvent contestée par le Fine Gael, il restait le principal parti irlandais ; Or en 2008, il va être directement frappé à la fois par une affaire de corruption politique en la personne de son chef et premier ministre Bertie Ahern et par les conséquences croissantes de la crise financière et bancaire importée des États-Unis d’Amérique
Après le sauvetage des banques irlandaises en 2008 et la détérioration du niveau de la dette publique qui a conduit à la crise financière irlandaise, le gouvernement irlandais a accepté un renflouement de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, par crainte d’une crise plus large de la zone euro. Le Fonds européen de stabilité financière a alors proposé au gouvernement irlandais un accord de plusieurs milliards d’euros pour sa nouvelle dette. L’idée d’une telle démarche a littéralement révulsé l’opinion publique qui a accusé le Fianna Fáil d’attenter « au statut de l’Irlande en tant qu’État souverain… les idéaux du Parti républicain sont désormais en lambeaux »3.
Aussi des élections anticipées seront convoquées en janvier 2011, après que la coalition Fianna Fáil/Green Party a explosé en novembre 2010. C’est la coalition conduite par le Fine Gael avec le soutien du Parti travailliste qui emporte très largement le scrutin4 ; pour la première fois de l’histoire, le parti de centre-droit devient le parti le plus important du Dáil Éireann, alors que le Fianna Fáil s’effondre (il passe de 41,7 % à 17,5 %, perdant les 3/4 de ses sièges) et que le parti travailliste frôle les 20 % (dépassant son record de 1997 où il avait atteint 19,2%) alors qu’il est plutôt habitué à des score entre 8 et 13 % depuis les années 1920. Le programme de la coalition était plutôt orientée au centre-gauche, mais il ne résista pas à la réalité de la tutelle économique du FMI et de l’Union Européenne sur l’Irlande qui ne prit fin qu’en 2013. C’est ce même gouvernement dirigé par Enda Kenny qui fit des pieds et des mains pour refuser l’amende de 13 milliards d’euros due selon la Commission Européenne par Apple à l’Irlande alors que le taux de chômage dans le pays retrouvait des niveaux importants (entre 14 % et 15 % de 2010 à 2013) et que le gouvernement était « contraint » de tailler à la serpe dans les dépenses et les services publics. C’est également ce gouvernement qui, en 2014, mit en application une loi de 2009 rendant payante l’eau domestique. De nombreuses campagnes dénonçant les water charges (la gratuité de l’eau n’a pas que des avantages, mais sa fin s’ajoutait aux nombreuses mesures qui alourdissaient les charges des classes populaires et moyennes irlandaises et également des pertes de revenus) ont alors émaillé les villes et campagnes du pays, alimentés par Sinn Féin qui y trouvera une forme de légitimation sociale. Cette implication sociale est d’autant plus poussée que Gerry Adams, président du Sinn Féin, a été élu au Dáil Éireann en février 2011.
Les élections de février 2016 marquèrent donc une nouvelle étape du processus de transformation du paysage politique irlandais. La traversée du désert du Fianna Fáil était relativement terminé, ou tout du moins sa disgrâce était désormais équivalente à celle de son ennemi historique du Fine Gael. C’est le parti travailliste qui paya électoralement les plus violemment la trahison des engagements électoraux de 2011 ; il ne s’en est toujours pas remis. Une coalition entre les deux partis de droite semblaient ouvertement encore impossible, mais à partir du moment où ni les conservateurs ni les libéraux n’acceptaient un accord faisant entrer au gouvernement Sinn Féin, aucune combinaison majoritaire n’était possible. Les deux « frères ennemis » ont donc innové : ils ont trouvé un accord en mai 2016 pour permettre un gouvernement minoritaire du Fine Gael, soutenu par le Fianna Fáil, avec Enda Kenny comme Taoiseach5, auquel Leo Varadkar6 succéda en juin 2017. La politique conduite par ce gouvernement minoritaire resta dans la ligne des précédents gouvernements qui s’étaient succédé depuis 2007 : les élections de 2020 en furent donc la sanction.
À l’issue des élections de février 2020, c’est un véritable coup de tonnerre : le Sinn Féin contemporain, issu de la scission nationaliste de gauche de 1969 en Irlande du Nord, inexistant dans le sud jusqu’en 1992 et avec des suffrages inférieurs à 5 % jusqu’en 20028, arrive en tête des suffrages en nombre de sièges sous la conduite de sa nouvelle présidente Mary Lou McDonald. Les deux partis de droite vont refuser à nouveau tout accord gouvernemental avec son parti, Mary Lou McDonald essuie les refus de l’un comme de l’autre et ne peut rassembler que 73 députés dans une coalition de gauche alors 80 sont nécessaires pour la majorité. Les deux « frères ennemis » de la politique irlandaise décident donc définitivement de sauter le pas et d’officialiser leur union en avril 2020 ; il leur manque 8 sièges pour la majorité, ils trouveront le soutien des 12 députés écologistes comme junior partner de la coalition. L’accord de coalition prévoit la rotation du poste de Taoiseach entre les deux grands partis : en juin 2020, Leo Varadkar cède la place au conservateur Micheál Martin, avant de redevenir Taoiseach en décembre 2022 et de passer les rênes du pouvoir son camarade de parti Simon Harris en avril 2024.
C’est ce dernier qui géra donc les derniers mois et les élections générales anticipées. Sinn Féin était donné très bas entre 15 et 17 % en début de campagne électorale, sans doute à cause de la difficulté à entrevoir comment il pourrait concrétiser une alternative gouvernementale. Mais en insistant sur ses thèmes traditionnels, réunification, justice sociale, égalité des droits (logement, santé, éducation), le parti s’est remis à flot – l’insuffisance de logements et le coût du logement pour les familles sont devenus des enjeux majeurs de la société irlandaise. Les verts se sont effondrés, le centre gauche retrouve du poids mais sur la base d’une division entre travaillistes et social-démocrates. Apparaît cependant une offre à droite des partis gouvernementaux avec Independant Ireland9 et Aontú10. Le plus probable est une reconduction de la coalition des « frères ennemis » avec un junior partner à trouver (il manque deux sièges), ce que le parti travailliste a refusé. La candidature de Mary Lou MacDonald comme Taoiseach a été rejetée le 18 décembre dernier. La question de sa capacité à présenter une alternative concrète est posée, même si la coalition de droite va avoir du mal à se constituer et restera fragile.
Et maintenant ? Quelles perspectives pour l’Irlande ?
Trois résultats importants ont commencé à se cristalliser au lendemain des dernières élections générales irlandaises. Premièrement, le Sinn Féin semble s’être définitivement installé comme la troisième force politique majeure de l’État du sud de l’Irlande. Deuxièmement, pour la première fois depuis la partition, la politique dans les 26 comtés du sud est potentiellement passée de la domination binaire des deux partis conservateurs, le Fianna Fáil et le Fine Gael, à un clivage politique entre des blocs progressistes et conservateurs : dans une déclaration publiée après les élections, le Parti travailliste a déclaré qu’il n’entrerait au gouvernement qu’avec un « bloc progressiste de centre-gauche avec des partis partageant les mêmes idées », et a également exposé les grandes lignes de sa plate-forme de négociation alors que Sinn Féin engageait des discussions avec le Labour et les Social-democrats (ce qui était impensable en 2016 et en 2020 pour les travaillistes) ; le 19 décembre, le Parti travailliste a déclaré qu’il ne rejoindrait pas une coalition avec le Fianna Fáil et le Fine Gael. Troisièmement, le réalignement soulève la nécessité de réfléchir à la manière dont les partis de gauche, les partis républicains et les représentants progressistes coopéreront dans les temps à venir. La nécessité du changement et la résistance à ce changement ont résonné tout au long de la campagne électorale.
Malgré l’urgence de la question du logement et des sans-abris, du coût de la vie et des crises sanitaires, il semble probable qu’une coalition gouvernementale du Fianna Fáil et du Fine Gael se reformera une fois qu’un partenaire junior aura été trouvé. Après le dernier accord de coalition et l’accord de confiance et d’approvisionnement précédent entre ces deux partis, il n’y a aucune chance qu’ils abordent ou abordent sérieusement ces questions. Mais ces priorités continueront de dominer l’agenda politique car elles concernent directement la qualité de vie des citoyens irlandais ; ils deviendront rapidement l’aune à laquelle sera mesurée la prochaine coalition au sein du nouveau Dáil.
Même si la part du vote populaire pour le Sinn Féin a diminué par rapport à 2020, le résultat du 29 novembre 2024 démontre que l’augmentation du soutien au parti républicain n’est pas une chimère. Le Sinn Féin a consolidé sa position électorale et est désormais le deuxième parti du Dáil Éireann. Le chemin vers le pouvoir politique est un marathon, pas un sprint.
C’est la leçon politique de la croissance systématique du parti dans le nord de l’Irlande pour devenir le plus grand parti de la province britannique et, en 2024, diriger la coalition de partage du pouvoir.
Une approche similaire peut être adoptée dans le sud. Il n’y a pas d’alternative au travail constant de construction de ce parti, de campagne sur et de représentation des questions clés qui comptent dans la vie des gens, et de définition d’une vision d’espoir et de changement positif.
La dernière campagne électorale a exprimé une volonté palpable de changement, car la plupart des travailleurs et des familles, notamment ceux de moins de 45 ans, ont été laissés pour compte par les gouvernements successifs de Dublin. Ils ne peuvent pas acheter de maison ni se permettre de louer un logement, et leurs revenus ne suivent pas le rythme de la hausse vertigineuse du coût de la vie. Ceux qui ont été laissés pour compte veulent des solutions, et le Fianna Fáil et le Fine Gael n’ont pas réussi à répondre à leurs besoins et on se demande bien si c’est tout simplement leur préoccupation. Malgré la perpétuation du pouvoir partagé par les « frères ennemis » les attentes des Irlandais resteront les mêmes : un logement abordable, un travail décent, un salaire équitable et un accès à des services publics de bonne qualité. L’émigration est redevenue la réponse politique efficace par défaut pour de nombreux Irlandais face à cette véritable tempête de défis que la droite ne relève pas.
Garder l’espoir vivant et prouver que de véritables solutions peuvent être apportées doivent être la priorité de tous ceux qui formeront l’opposition parlementaire au nouveau gouvernement. Sinn Féin, Labour Party et Social-democrats rassemblent aujourd’hui 60 députés à eux trois. Parmi les Teachtaí Dála11, on peut encore compter d’autres représentants progressistes (People before profit, écologistes, indépendants). Il s’agira sans doute de la plus grande cohorte parlementaire de gauche jamais élue, réunie dans l’opposition parlementaire. Le défi de Sinn Féin sera de traduire cette force politique en une opposition cohésive qui défend les intérêts des travailleurs et des familles : un axe politique représentant le plus grand nombre, et non quelques-uns – the many, not the few comme le répétait en Grande Bretagne Jeremy Corbyn.
Un débat est désormais nécessaire au sein de la gauche irlandaise, qui doit inclure le Congrès irlandais des syndicats, les ONG militantes et d’autres sections progressistes de la société civique irlandaise. Des interventions publiques importantes ont déjà été faites ces derniers jours par de hauts dirigeants syndicaux. Sinn Féin propose donc aujourd’hui un manifeste d’opposition dans le prochain Dáil. Cela nécessitera une volonté de s’engager dans une réflexion nouvelle, de la fraternité et une ouverture pour explorer les domaines d’accord. Une réelle opportunité a émergé de cette élection pour envisager le développement d’un bloc républicain de gauche progressiste qui respecte l’indépendance et l’autonomie des partis politiques qui en seraient partie prenante et des autres TD.
Les questions qui ont dominé les élections générales peuvent constituer la base de la coopération future de la gauche :
• Logement et sans-abri ;
• Listes d’attente des hôpitaux ;
• La directive européenne sur le salaire minimum et son intégration dans la législation irlandaise, ainsi que d’autres droits des travailleurs ;
• Le gaspillage des dépenses publiques ;
• Pressions liées au coût de la vie sur les familles qui travaillent ;
• Maintenir la neutralité irlandaise.
Dans le même temps, le prochain gouvernement devra mettre en œuvre le consensus politique existant pour planifier et préparer l’unité irlandaise. Tous les partis du dernier Dáil ont soutenu cette position politique. Cela devrait désormais être stipulé dans le prochain programme de gouvernement en tant qu’objectif politique ; les partis de droite sont donc attendus au tournant sur cette question. La coopération républicaine de gauche constituera une dynamique parlementaire importante pour garantir que les décisions nécessaires soient prises pendant la législature du prochain Dáil afin d’assurer un référendum d’unité. Cinq années supplémentaires de même nature de la part d’une coalition attachée au statu quo ne pourront pas être tolérées.
En parallèle, l’opposition de gauche avec Sinn Féin devra découvrir sa force politique collective pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il adopte et mette en œuvre des positions qui servent les intérêts démocratiques, économiques et sociaux nationaux. C’est ainsi que les fondations politiques d’un futur gouvernement de changement pour le plus grand nombre pourront être construites. La coopération politique républicaine de gauche est le chemin obligé de Sinn Féin et de la gauche irlandaise.
Frédéric Faravel
1Dáil Éireann : Chambre basse du parlement irlandais, qui trouve son origine dans la réunion des députés républicains élus en décembre 1918 refusant de siéger à Westminster et qui se proclamèrent parlement d’Irlande.
2Éamon de Valera (1882-1975), homme d’État américano-irlandais, un des dirigeants de l’insurrection de Pâques 1916, élu député Sinn Féin en 1918, président du Dáil Éireann de 1919 à 1922, chef du Sinn Féin anti-Traité de 1922 à 1926, fondateur du Fianna Fáil en 1927, chef du conseil exécutif de l’État libre d’Irlande de 1932 à 1937, premier ministre d’Irlande de 1938 à 1948, premier ministre de la République d’Irlande de 1951 à 1954 et de 1957 à 1959, président de la République d’Irlande de 1959 à 1973.
4Depuis la loi électorale du 5 novembre 1922, le mode de scrutin dans le sud de l’Irlande est le scrutin proportionnel à vote unique transférable. Chaque électeur reçoit un bulletin de vote sur lequel figurent les noms de tous les candidats de sa circonscription. Il/elle vote pour un seul d’entre eux en marquant, au regard du nom de celui-ci, le chiffre 1; l’électeur peut ensuite indiquer son ordre de préférence entre les autres candidats en inscrivant, en face de leurs noms, les chiffres 2, 3, 4… Au début du dépouillement, les bulletins de vote sont bien mélangés et classés selon les premières préférences exprimées. Le total des suffrages valables est ensuite établi et le quotient électoral calculé en divisant ce total par le nombre de sièges à pourvoir et en ajoutant un au résultat. Les candidats ayant obtenu dès le premier tour un nombre de votes de première préférence égal ou supérieur au quotient sont déclarés élus. Si aucun candidat n’a atteint le quotient, le candidat ayant recueilli le plus petit nombre de voix est éliminé et ses suffrages transférés aux candidats pour lesquels une deuxième préférence a été enregistrée. Si un candidat recueille un nombre de suffrages supérieur au quotient requis pour être élu, les suffrages obtenus en sus du quotient sont transférés proportionnellement aux candidats restant en lice, en fonction des deuxièmes préférences exprimées par les électeurs. Lorsque le nombre des candidats qui n’ont été ni éliminés ni élus est égal à celui des sièges à pourvoir, ces candidats sont déclarés élus même s’ils n’ont pas atteint le quotient. En cas de vacance en cours de législature, il est procédé à une élection partielle. Depuis 2014, ce mode de scrutin est également utilisé pour désigner les membres du parlement d’Irlande du Nord qui n’avait connu jusqu’ici que le scrutin majoritaire à un tour typiquement britannique (et toujours en cours pour pour désigner les députés irlandais lors des élections au parlement britannique).
5Taoiseach : titre donné au Premier ministre en irlandais.
6Leo Varadkar a pour particularité d’être le premier chef de gouvernement irlandais à assumer publiquement son homosexualité. Ayant profité de la loi de 2015 sur le mariage homosexuel (adopté par référendum), il était accompagné par son mari aux réceptions officielles, une véritable révolution dans l’Irlande catholique.
7Le nombre de sièges augmente car le Dáil Éireann est passé de 160 à 174 membres, suite à la prise en compte de l’augmentation de la population mise en lumière par le recensement de 2022. En vertu de l’article 16.6.2° de la Constitution irlandaise, il doit y avoir un député élu pour au moins 20 000 habitants et 30 000 au plus.
8Gerry Adams, président du parti, a fait du développement du parti républicain dans le sud dès que le processus de paix issu des Accords du Vendredi-Saint (dont il était signataire) dans le nord a été sécurisé.
9Le parti Irlande Indépendante a été fondé en 2023 par deux députés indépendants (les indépendants sont une spécificité de la politique irlandaise, il y en a pour tous les goûts). Il reprend la place qui était celle des partis agrariens des années 1950 et 1960, économiquement libéraux, affilié au parti démocrate européen et à Renew Europe, mais opposé à l’avortement.
10Aontú (« être d’accord ») est une scission de Sinn Féin, en janvier 2019, fondé essentiellement sur une rupture avec le soutien du parti républicain à la libéralisation de l’avortement. C’est un parti eurosceptique, transphobe, défavorable à l’éducation sexuelle à l’école, anti-immigration mais qui défend des options sociales et économiques proches de son parti d’origine.
11Un Teachta Dála (abrégé TD, au pluriel : Teachtaí Dála), est un membre du Dáil Éireann, la chambre basse du Oireachtas, le parlement de l’Irlande.
Le transport ferroviaire français est dans la tourmente.
Depuis plusieurs années, la puissance publique s’est progressivement désengagée, entraînant la fermeture des petites lignes, abandonnant les trains de nuit, décentralisant la compétence aux conseils régionaux pour favoriser aujourd’hui l’ouverture à la concurrence. Ces dernières semaines des signaux contradictoires ont été envoyés : la SNCF a choisi une voie qui conduit à la mort de son système de fret ferroviaire, déclenchant une grève reconductible des cheminots, mais les grandes lignes européennes – comme le trajet Paris-Berlin – rouvrent progressivement de jour et de nuit. Mais quel que soit l’angle sous lequel on prend le dossier, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il n’y a aucun miracle à attendre de l’ouverture à la concurrence au moment où les Britanniques renationalisent leurs chemins de fer. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, nous ne verrons aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service.
C’est pour parler de tous ces sujets que Carole Condat interrogeait jeudi dernier Chloé Petat, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et membre de la direction nationale de notre parti, qui vient de publier La révolution ratée du transport ferroviaire aux éditions du Bord de l’Eau. Vous pouvez écouter ci-dessous le podcast.
Considérant qu’il est nécessaire de s’interroger, de sortir de l’impuissance, d’explorer les possibles et faire vivre le débat public, la Gauche Républicaine et Socialiste a mis en place, dans les Landes, une initiative dénommée « Éclairages », faisant ainsi par la même occasion un clin d’œil aux Lumières. Il s’agit d’une sorte d’université populaire ouverte à toutes et tous ayant pour objectif que tout un chacun s’informe et échange en réfléchissant collectivement. Les modalités seront variées (conférences, tables rondes, ateliers de travail…) et les sessions organisées dans différentes communes du département (urbaines/rurales, littorales/forestières…).
Éclairages a ouvert son premier cycle de rencontres publiques en décembre 2024 sur le thème : « Être de Gauche : c’est quoi ? ». La première session de ce premier cycle a réuni une quarantaine de personnes vendredi 6 décembre 2024 Saint-Paul-lès-Dax avec la conférence-débat animée par l’économiste David Cayla (enseignant-chercheur à l’Université d’Angers, spécialiste en économie politique, membre des économistes atterrés) : « La Gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? »
Ces dernières années, la Gauche a semblé impuissante à répondre à la régression sociale. Quel projet la Gauche peut-elle proposer afin d’agir concrètement en faveur des classes populaires et de reconstruire un État social ?
Après avoir brossé le tableau de la situation politique des 30 dernières années relevant que la gauche ne progresse plus électoralement depuis 2012, David Cayla a d’abord défini le néolibéralisme en soulignant bien ses différences d’avec le libéralisme et en pointant les conséquences (économiques, sociales et politiques) négatives de cette doctrine tout à la fois économique et anthropologique.
Il a ensuite rappelé qu’une partie de la Gauche ne l’a pas combattue ; au contraire, c’est même elle, avec Jacques Delors et à partir de l’Acte unique en 1986, qui l’a accompagnée et accentuée (libéralisation et privatisations ont augmenté sous le mandat de Lionel Jospin). David Cayla précise que, si une gauche plus radicale a pu avoir un discours souverainiste et anti-néolibéral, ce discours est aujourd’hui plus atténué, car elle met en avant aujourd’hui prioritairement des combats relevant plus du sociétal et de la mobilisation des affects.
David Cayla a ensuite présenté les propositions qu’il préconise pour sortir du néolibéralisme, notamment une véritable stratégie de réindustrialisation, mettre en place un nouveau modèle agricole, développer les services publics, réguler davantage. Plus généralement, il faut encastrer le marché dans la société, et non le contraire comme actuellement.
Les Jeudis de Corbera proposaient une nouvelle séance d’échanges au soir de la grève nationale de la fonction publique et des nombreuses manifestations de la journée.
Le débat était intitulé « Quel avenir pour les fonctionnaires ? » : au moment où les fonctionnaires sont l’objet d’un réel mépris de leur ministre de tutelle et du gouvernement, comment reconstruire la confiance des agents publics indispensables à l’exercice de leurs missions ? En s’attaquant ainsi à ceux qui servent l’intérêt général, l’objectif est bien de démanteler les services de l’Etat.
Carole Condat, référente du pôle thématique fonction publique et services publics de la GRS, et Damien Vandembroucq, membre du collectif de direction de la GRS, interrogeaient et dialoguaient avec Claire Lemercier, historienne, directrice de recherche au CNRS et co-autrice de La haine des fonctionnaires, que nous avions déjà reçu pour une séance de dédicaces sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre dernier.
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