Les Jeudis de Corbera – La haine des fonctionnaires : quel avenir pour la fonction publique ? 5 décembre 2024

Les Jeudis de Corbera proposaient une nouvelle séance d’échanges au soir de la grève nationale de la fonction publique et des nombreuses manifestations de la journée.

Le débat était intitulé « Quel avenir pour les fonctionnaires ? » : au moment où les fonctionnaires sont l’objet d’un réel mépris de leur ministre de tutelle et du gouvernement, comment reconstruire la confiance des agents publics indispensables à l’exercice de leurs missions ? En s’attaquant ainsi à ceux qui servent l’intérêt général, l’objectif est bien de démanteler les services de l’Etat.

Carole Condat, référente du pôle thématique fonction publique et services publics de la GRS, et Damien Vandembroucq, membre du collectif de direction de la GRS, interrogeaient et dialoguaient avec Claire Lemercier, historienne, directrice de recherche au CNRS et co-autrice de La haine des fonctionnaires, que nous avions déjà reçu pour une séance de dédicaces sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre dernier.

Produire des richesses en France – UGR24 – samedi 12 octobre 2024

La Gauche Républicaine et Socialiste et la Fédération de la gauche républicaine sont convaincues que l’un des principaux défis de notre pays est celui de réorganiser la production dans notre pays, pour des raisons de souveraineté économique, de transformation écologique, d’emplois durables, de finances saines capables de soutenir notre modèle de république sociale et de productions de richesse indispensables pour qu’elles soient réparties… sans parler de la place des salariés dans l’organisation des entreprises et leur stratégie économique.

Pour en débattre :

  • Nicolas RAVAILHE
    Avocat – enseignant notamment à l’École de guerre économique
  • François HOMMERIL
    Président confédéral de la CFE-CGC
  • Fatima BELLAREDJ
    Directrice générale de la CG SCOP
  • Gautier CHAPUIS Adjoint au maire de Lyon (Les écologistes)
  • Présidence/Animation : Marie Noëlle LIENEMANN Membre du CESE – ancienne ministre – coordinatrice nationale de la GRS

La France et l’Europe face aux bouleversements mondiaux – UGR24 – samedi 12 octobre 2024

L’état du monde en 2025 : L’empire Américain sur le déclin – L’extension de la puissance chinoise – l’avènement d’un « sud global » ? – La désoccidentalisation du monde – l’impotence européenne – et la France ? et l’UE ? Comment éviter à la France et à ses partenaires européens d’être politiquement et économiquement marginalisés ?

pour en débattre :

  • Anne-Cécile ROBERT
    journaliste – enseignante à l’université Paris 2 et à l’IRIS – auteur de Le défi de la paix – Remodeler les organisations internationales (2024)
  • Max-Erwann GASTINEAU
    Directeur des relations institutionnelles dans le secteur de la transition énergétique – spécialiste de la Chine – chroniqueur pour différents médias (Le Figaro, Marianne) – auteur de L’ère de l’affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation (2024)
  • Danai KOLTSIDA
    Politologue grecque – ancienne Vice-Présidente de la fondation Transform! Europe.
  • Gaëtan GORCE
    Membre honoraire du parlement – ancien membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat
  • Laure PALLEZ co-fondatrice du think tank « La France et le Monde en commun » – ancienne élue des Français de l’étranger en Chine et aux Etats-Unis d’Amérique
  • Présidence/Animation : Samia JABER Conseillère départementale du territoire de Belfort

L’urgence d’une nouvelle politique du logement ? UGR24 – samedi 12 octobre 2024

Samedi 12 octobre 2024 vers 14h45, Renaud PAYRE, Vice-président de la Métropole de Lyon en charger de la politique de la ville et du logement et politologue, Marie-Noëlle LIENEMANN, ancienne ministre du logement, et Romain BIESSY, Secrétaire général de la Confédération Syndicale des Familles, intervenaient dans le cadre des universités de la gauche républicaine au Palais de la Mutualité de Lyon, dans une table ronde programmée par la Gauche Républicaine et Socialiste et animée par Frédéric Faravel.

En France, près de 15 millions de nos concitoyens sont menacés par la crise du logement et 4 millions en souffrent directement. Le logement est trop cher et plombe le pouvoir d’achat des Français. L’explosion des prix de l’immobilier, renforcée par un retour élevé de l’inflation, entretient une rente intolérable peu productive, anti-économique qui accroît considérablement les inégalités. Pourtant, la production de logement n’a pas été une réelle préoccupation de la politique conduite par les gouvernements d’Emmanuel Macron ; pire que cela, la stratégie de l’offre mise en avant par choix idéologique a provoqué un effondrement de la construction et les organismes HLM ont été volontairement mis en difficulté par des prélèvements excessifs qui ont attaqué leurs fonds propres. L’avant-dernier ministre du logement avait comme priorité de faciliter les expulsions, la nouvelle ministre n’aura sans doute pas le temps de mettre en place quoi que ce soit. La GRS a fait des propositions fortes pour conjuguer accès au logement et pouvoir d’achat ; le dialogue entre Marie-Noëlle Lienemann, Romain Biessy et Renaud Payre permettra de compléter nos réflexions et nos solutions politiques.

SNCF : « Sans contrôle ni investissement, l’ouverture à la concurrence n’aura aucun effet positif » – tribune de Chloé Petat

Alors que des grèves sont annoncées à la SNCF à partir du 11 décembre prochain, Chloé Petat, membre de la direction nationale de la GRS, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et auteure de La révolution ratée du transport ferroviaire (Éditions du Bord de l’Eau), met en lumière dans une tribune publiée dans Marianne le mercredi 27 novembre 2024 une cause qu’elle juge particulièrement préoccupante : l’ouverture à la concurrence des trains régionaux.

Les grèves SNCF annoncées à partir du 11 décembre remettent sur le devant de la scène la situation extrêmement critique que connaît le rail depuis maintenant plusieurs décennies. Le démantèlement du fret est la première raison explicative de cette grève. La deuxième, moins reprise par les médias, concerne l’ouverture à la concurrence des trains régionaux autrement appelés TER. Depuis les années 2000, l’Union européenne a adopté une stratégie d’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire en insistant sur les bénéfices attendus tels que la baisse des prix ou l’amélioration de la qualité de service et la régularité.

Qu’en est-il réellement ? Avant toute chose, il faut préciser que la mise en concurrence du ferroviaire peut prendre deux formes. Pour les offres commerciales comme les TGV, la concurrence est en « libre accès » : les nouveaux opérateurs peuvent concurrencer la SNCF en adressant une demande auprès du gestionnaire d’infrastructures, SNCF Réseau, pour bénéficier de sillons et faire circuler leurs trains.

La concurrence des trains régionaux, les trains du quotidien, repose sur une autre procédure. C’est la région, en tant qu’autorité organisatrice des transports, qui lance un appel d’offres en vue de déléguer l’exploitation de son réseau par une ou plusieurs compagnies ferroviaires. Si certaines régions ont décidé de contractualiser avec la SNCF, comme la Normandie ou l’Occitanie, d’autres, comme la région PACA, ont ouvert une partie du réseau régional à la concurrence.

Par exemple, les lignes intermétropoles Marseille-Toulon-Nice et Nancy-Vittel-Contrexéville seront exploitées par Transdev. Pour l’instant, peu de régions osent encore se passer entièrement des services de la SNCF. En effet, l’ouverture à la concurrence fait peur, ce qui explique qu’elle soit à ce stade toujours partielle. Toutefois, le processus de libéralisation est largement engagé, les régions devant obligatoirement ouvrir à la concurrence d’ici 2034, ce qui pourrait engendrer la réorganisation en profondeur des services de transport ferroviaire régionaux.

Une privatisation qui ne fait pas baisser les prix

Cette réorganisation se fera-t-elle dans l’intérêt des usagers ? L’expérience des pays voisins permet de répondre en partie à cette question. En Allemagne ou au Royaume-Uni, cela fait des décennies que le réseau ferroviaire est ouvert à la concurrence. Mais cela ne s’est pas traduit par une baisse des prix, bien au contraire ! Au Royaume-Uni, la libéralisation a entraîné une hausse de 27 % des prix des billets entre 1990 et 2010, conséquence d’une absence totale de régulation étatique.

Le désordre entraîné par la privatisation du secteur a entraîné un retour en arrière avec la création en 2023 de la Great British Railways… une renationalisation du secteur. En Allemagne, l’évolution des prix est méconnue. En toute logique, si la baisse avait été drastique, elle aurait été mise en avant par l’Union européenne pour justifier de l’efficacité de la libéralisation.

Au niveau de la régularité, les résultats sont contrastés. La situation britannique est catastrophique, avec un taux important de trains supprimés et de retards. En Allemagne, 35 % des trains sont arrivés en retard en 2022. Bien que la fréquentation du réseau ferroviaire soit en hausse, le réseau national souffre encore d’un sous-investissement chronique causant des retards à répétition.

L’ouverture à la concurrence n’a pas été menée de la même façon dans les deux pays. Elle a été totale et dérégulée au Royaume-Uni, alors que l’Allemagne l’a davantage encadrée et complétée par des investissements au démarrage. Il faut ainsi souligner que la concurrence à elle seule ne produit aucun miracle et peut même s’avérer particulièrement nocive si elle n’est pas sérieusement encadrée.

En effet, les expériences de libéralisation ont montré l’importance du réseau et de sa gestion dans l’organisation de la concurrence. Le réseau apparaît en effet comme un bien commun que se partagent des compagnies ayant pour objectif la maximisation de leurs gains. Mais s’il est surexploité et mal entretenu, certaines lignes peuvent devenir de véritables goulots d’étranglement. On ne peut pas faire rouler un nombre de trains infini, surtout sur des infrastructures vieillissantes.

Un encadrement étatique indispensable

Cela pose de sérieuses limites à la gestion de la concurrence, à moins de multiplier les dessertes sur certaines lignes. Mais, recherchant la rentabilité, les transporteurs vont privilégier l’exploitation des lignes les plus rentables et aucun ne se positionnera pour exploiter et financer les petites lignes déficitaires. L’absence de candidats aux appels d’offres lancés par l’État sur les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon en est une preuve flagrante. Ainsi, pour que le réseau garde sa cohérence et pour qu’un service public puisse continuer d’exister pour les petites et moyennes villes, les régions sont contraintes de financer les lignes déficitaires.

Face à la difficulté d’organiser une véritable concurrence, il a été décidé de soutenir financièrement les concurrents de l’opérateur historique en accordant aux nouveaux entrants une réduction sur les péages ferroviaires, dont ne bénéficie pas la SNCF. Cette pratique, qui n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’Arenh (« Accès régulé à l’électricité nucléaire historique ») dans le marché de l’électricité, démontre à elle seule qu’il n’y a rien de spontané ni d’efficace dans l’ouverture à la concurrence, puisqu’il faut subventionner les concurrents afin qu’ils puissent rivaliser avec la SNCF.

En somme, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il ne faut attendre aucun miracle de l’ouverture à la concurrence. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, elle n’apportera aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service. Les résultats de la libéralisation dans les autres pays européens le prouvent. Ce qui fera fonctionner les TER, ce sont les investissements et l’engagement financiers des régions et de l’État. À condition toutefois qu’ils parviennent à élaborer une véritable vision stratégique en concevant une politique publique de la desserte des territoires par le train, ce qui est loin d’être le cas.

Chloé Petat

Fret SNCF : une mise à mort orchestrée par Bruxelles et Paris


Au lieu de défendre les intérêts du fret français, Paris courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne le secteur du Fret. Au 1er janvier 2025, l’entreprise sera dépossédée de ses activités les plus rentables, au profit des entreprises concurrentes et au détriment des salariés et de l’écologie.

FRET SNCF agonise depuis plusieurs années déjà. Sa part modale n’a cessé de baisser, jusqu’à descendre en dessous de 10%. Son déclin a été accentué par un certain nombre de facteurs :

  • D’abord, l’ouverture à la concurrence qui a contribué à morceler complètement le marché et qui n’a pas réussi contrairement aux promesses de l’Union européenne, à rendre ses lettres de noblesse au fret. Le nombre de marchandises en milliards de tonnes.km1 était déjà en déclin depuis les années 1980, il a été divisé par deux en 2010. On peut légitimement considérer que cette baisse drastique et soudaine, est corrélée à l’ouverture à la concurrence effective depuis 2005/2006.
  • Ensuite, la concurrence déloyale de la route face à laquelle l’Union européenne reste muette. Les investissements massifs dans le réseau routier ont contribué à créer un réseau correctement maillé, efficace et permettant d’effectuer des trajets de bout-en-bout ce qui n’est aujourd’hui pas le cas du réseau ferroviaire.

Les acteurs empruntant les réseaux routiers peuvent par ailleurs contourner la fiscalité en place. En effet, l’utilisation des réseaux routier et ferroviaire nécessite de s’acquitter d’un péage. Pourtant, les acteurs du réseau routier peuvent facilement éviter de payer péages et taxes, en utilisant le réseau routier gratuit et en ne réalisant pas le plein d’essence en France mais dans les pays voisins. Ainsi, ces acteurs ne payent pas la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE), qui est de 4 centimes par litre pour les transporteurs. Avec la déréglementation du transport routier les entreprises peuvent également faire appel à des travailleurs étrangers moins rémunérés, réduisant ainsi le coût du travail.

Enfin, l’état catastrophique des infrastructures induit une qualité de service insatisfaisante pour les entreprises. En 2022, près d’un train sur six (16%) a accusé un retard de plus de 30 minutes. Le réseau est extrêmement dégradé ce qui explique ces retards : les lignes capillaires qui connectent les entrepôts / usines au réseau principal ont en moyenne 73 ans. De nombreuses lignes ont également été fermés ces dernières années faute de travaux de remise en état.

Désinvestissement dans le réseau, évitement de la fiscalité par les transporteurs routiers, concurrence déloyale, ouverture à la concurrence, circulation des méga-camions favorisée en Union européenne… Voici une liste non-exhaustive des principaux facteurs qui sont en train de tuer le fret ferroviaire.

Pour répondre aux pressions et aux menaces de liquidation totale de la Commission européenne qui visait fret SNCF d’une enquête pour non-respect des règles de la concurrence, le gouvernement a donc décidé de mettre en œuvre en toute discrétion, la réforme présentée par Clément Beaune en mai 2023. La commission accuse notamment fret SNCF d’avoir bénéficié de subventions notamment pour la recapitalisation de l’entreprise, et l’annulation de la dette en 2019 pour un montant d’environ 5 milliards d’euros.

La réforme devient désormais réalité. Au 1er janvier 2025, fret SNCF va être divisé en 2 sociétés, Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour la maintenance.

Il faut également mentionner que malgré le morcellement du marché, fret SNCF conservait encore près de 50% des parts de marché et restait donc un acteur clé. Ces parts de marché vont désormais être réparties entre les autres acteurs du marché. En effet, la réforme oblige fret SNCF à abandonner 23 flux de marchandises (représentant 20% de son chiffre d’affaires), évidemment les plus rentables pour l’entreprise. Ces flux vont être ouverts à la concurrence, sans que fret SNCF puisse y candidater pendant près de 10 ans. L’ouverture à la concurrence n’est donc pas la même pour tous : comment justifier cet écartement de fret SNCF des appels d’offres pendant 10 ans ?

Dernière étape de la réforme : ouvrir le capital de fret SNCF à des investisseurs privés, d’ici quelques années.

Dans « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle », j’écrivais déjà avant confirmation de la réforme que sa mise en œuvre serait la mort pure et simple de l’entreprise et qu’elle engendrerait le chaos sur le marché. Evidemment, la situation est d’autant plus catastrophique qu’elle impacte directement les cheminots, avec la suppression de 500 emplois.

Le gouvernement défend la réforme en indiquant qu’elle sera un nouveau souffle pour fret SNCF, et que l’Etat va aider le secteur à hauteur de 370 millions d’euros. Cette somme est très faible, au regard des demandes des acteurs du secteur. Selon la commission des finances du Sénat, près de 10 milliards d’euros devraient être investis pour la rénovation du réseau d’ici 2030.

Comment comprendre la schizophrénie de l’Union européenne ? Alors que cette dernière s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle condamne un secteur qui serait clé dans cette baisse. En effet, le secteur des transports représente 30% des émissions au niveau mondial et elle condamne aujourd’hui, avec l’accord de la France, un secteur clé pour amorcer la transition.

Au lieu de défendre ses intérêts, la France courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne ainsi le fret, qui serait pourtant clé à la fois pour accompagner la réindustrialisation du pays et également pour amorcer la transition écologique. Tout ceci est un non-sens écologique et stratégique.

Chloé Petat

Pour aller plus loin, vous pouvez dès à présent vous procurer le dernier livre de la collection coordonnée par Le Temps des Ruptures avec les Editions du bord de l’eau sur le sujet, « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle ». Sortie le 15/11/2024 : https://www.editionsbdl.com/produit/la-revolution-ratee-du-transport-ferroviaire-au-21e-siecle/

1 La tonne-kilomètre est une unité de mesure de quantité de transport correspondant au transport d’une tonne sur un kilomètre. La quantité de transport s’appelle le volume de transport.

Quelle stratégie pour lutter contre le narcotrafic ? entretien croisé avec Jérôme Durain et Hélène Franco – Les Jeudis de Corbera

Marie-Noëlle Lienemann invitait fin octobre 2024 pour « Les Jeudis de Corbera » Jérôme Durain, sénateur socialiste de Saône-et-Loire, et Hélène Franco, magistrate et ancienne secrétaire générale du syndicat de la magistrature, pour échanger sur la lutte contre les narcotrafics qui pourrissent le quotidien de nos concitoyens.

L’ensemble de l’entretien dure environ 1 heure et 10 minutes et nous l’avons découpé en trois parties : bonne écoute de vos podcasts.

Un état des lieux inquiétant

  • des organisations de narcotraficants qui se sont accaparées tous les vices du capitalisme ;
  • les chiffres de l’économie parallèle ;
  • des enfants esclaves…

Les failles du système de lutte contre le narcotrafic

  • l’absence d’une réelle stratégie pour lutter contre le narcotrafic ;
  • l’absence de réponse coordonnée au niveau national, européen et international ;
  • la dégradation de l’investigation policière et financière ;
  • une loi de 1970 totalement obsolète ;
  • les failles de la lutte contre le blanchiment…

Des préconisations d’urgence

  • consolider les outils juridiques ;
  • renforcer les services publics au service de la lutte contre le narcotrafic ;
  • repenser la protection de l’enfance…

Conclusion : la gauche doit réinvestir le sujet de la prévention et de la lutte contre l’insécurité.

La catastrophe de Valence fera-t-elle faire silence aux climato-sceptiques ?

Alors que le gouvernement français retient comme hypothèse « raisonnable » une hausse de 4°c à l’horizon 2050 (d’ici 25 ans) le dérèglement climatique bat son plein, la terre brûle et les eaux créent le tumulte avec la hausse du niveau des mers, des orages et tornades de plus en plus violents, des inondations de plus en plus meurtrières…

« Les zones sèchent s’assèchent, les zones humides s’humidifient, la Méditerranée est un hot spot du changement climatique. Sur l’arc méditerranéen, on constate déjà un réchauffement marqué avec un assèchement l’été » expliquait Hélène Corréa, climatologue à Météo France dans le quotidien La Provence. 1°c dans l’air c’est 7% d’humidité en plus.

Et, malheureusement les exemples foisonnent de mauvaises nouvelles : inondations dévastatrices de Nîmes 1989, Vaison-la-Romaine 1992, du Gard 2002, Arles 2003, tempêtes KLAUS 2009 pour la région Occitanie, Draguignan 2009, Var 2011, Cannes 2015, Givors et Rive de Giers octobre 2024, mais aussi des incendies massifs au Portugal, en Grèce et en Espagne, en France aussi notamment dans l’ancien Languedoc-Roussillon et la Corse, sans oublier l’actuel processus de désertification de la plaine du Roussillon… Cette longue liste n’oublie pas le reste du territoire national régulièrement frappé par des tempêtes et inondations ; mais ce qui peut être analysé et fait pour la sauvegarde des biens, des personnes et de la biodiversité sur l’arc méditerranéen pourra pour partie se transposer et ralentira ponctuellement le réchauffement climatique vers le nord.

Présenter le bassin méditerranéen comme un « spot » du dérèglement climatique, cela signifie que l’année 2022 la plus chaude enregistrée depuis 1947 y sera la norme en 2050. Toulouse, Montpellier, Nîmes, Aix, Marseille connaîtront durablement le climat andalou, climat se tempérant jusqu’à Lyon qui connaîtra, elle, le climat de Rome. Des étés de plus en plus secs (jusqu’à 2 mois de canicules au lieu de 20 jours en 2024), des automnes de plus en plus pluvieux sur les hauteurs méditerranéennes du système Ibérique ou des Pyrénées, des Cévennes ou des Alpes maritimes : goutte froide, épisode méditerranéen ou cévenol balayant les terres asséchées ou urbanisées entre monts et mer, mer au niveau plus élevé d’au moins 50 cm à la moitié du siècle faisant rétention des eaux pluviales.

Au-delà de l’incrédulité des climato-sceptiques partisans du laisser-faire et affirmant que la terre a déjà connu cela (Oui ! il y a 125 000 ans pour les niveaux de température et 3 millions d’année pour le même taux d’oxyde de carbone !), d’ élus sans imagination brossant leur électorat dans le sens du poil dont le Président LR de la Région Auvergne-Rhône-Alpes remettant en cause le dispositif ZAN (Zéro artificialisation nette) en 2023 avant de faire marche arrière sur des motifs purement administratifs, de responsables économiques de l’agriculture, du bâtiment et des travaux publics, il faudra afficher un volontarisme sans faille, soutenu par une planification de court moyen et long terme, pour inverser la cap, là où c’est encore possible. Et ce n’est pas le Plan d’adaptation au changement climatique, rustine gouvernementale publié cet automne, à peine visible sur la réalité, qui peut suffire.

La planification attendue doit évoquer la souveraineté de la France sur ce sujet (comme sur d’autres). Quand on songe que la loi de restauration de la nature1 adoptée au niveau européen est le texte pour la biodiversité le plus important depuis 30 ans, notre pays doit se montrer offensif pour préserver les intérêts de la France et des Français.

Transformer l’agriculture

Deux grands chantiers doivent servir de fil conducteur aux décideurs pour les deux décennies à venir : l’agriculture et la préservation des risques naturels et techniques.

Pour ce qui est de l’agriculture, l’agro-climatologue serge Zaka nous prévient une nouvelle fois « Les printemps et les hivers seront très pluvieux, de plus en plus. En contrepartie, les étés, les fins de printemps et les débuts d’automne seront plus secs. Ce n’est pas le climat qui nous dira si l’agriculture s’en remettra. C’est notre réaction. Si on ne change rien à nos cultures, à nos pratiques, on ne va pas s’en sortir. Il faut anticiper ». Pour cela, la mobilisation coordonnée des syndicats agricoles, des assemblées consulaires, des collectivités locales et de l’État est nécessaire, dans le cadre d’une solidarité nationale mobilisant la redistribution fiscale où les plus fortunés contribuent significativement plus.

Il y a quelques années nous riions à l’évocation de boire un vin de Bordeaux vendangé en Bretagne ou un « Costières de Nîmes » délocalisé dans les pays de Loire2, voire un rosé de Provence en Alsace. Aujourd’hui chaque grand viticulteur cherche des terrains en Bretagne, dans le Nord, en Cornouailles anglaise, voire en Belgique … pour y implanter des exploitations viables pour la deuxième partie du siècle. Ceci vaut pour le maraîchage et l’arboriculture. Cette évolution doit être accompagnée pour veiller à ne pas assécher les sols de ces futurs terrains (labourage intense et produits phytosanitaires), à conserver haies et arbres qui apportent de l’ombrage en été, limitent le vent qui dessèche, captent de l’eau en hiver, pour apprendre de l’agroforesterie des pays du sud, pour préserver la diversité des productions…

La puissance publique doit accompagner les agriculteurs en transition sur la question des revenus, le soutien du système bancaire, la formation, l’aide à la conversion, par filière, permettant de transformer l’agriculture méditerranéenne traditionnelle (vigne, maraîchage et arboriculture) pour de nouvelles exploitations (oliviers, amandiers, grenadiers, agrumes, eucalyptus…) tout en conservant ce qui pourra s’adapter à une hausse majeure de température, tel l’élevage ovin et caprin, où les vignes aux cépages andalous ou marocains… Ceci doit tenir compte de la ressource en eau qui va en s’étiolant avec la réutilisation des eaux usées, l’optimisation du réseau d’approvisionnement et la création de petites retenues collinaires. Dans ce cadre, le projet AquaDomitia 2 devra évaluer l’évolution de l’agriculture dans une zone en cours de désertification (dans les Pyrénées Orientales notamment) à l’aune de la raréfaction de l’eau du Rhône dans les décennies à venir pour ne pas rater son but en pénalisant les dessertes d’eau du Gard et de l’Hérault sans satisfaire les agriculteurs catalans.

Adapter nos sociétés aux risques

L’autre axe d’importance est la préservation des risques naturels et techniques des zones habitées.

La France doit prendre sa part de la lutte contre le dérèglement climatique en limitant l’émission de gaz à effet de serre mais aussi en prenant des mesures immédiates sur son territoire de protection des biens et des personnes.

L’urbanisation est un facteur aggravant des inondations. Forêts, broussailles, garrigues, exploitations agricoles ont trop souvent laissé place aux ZAC, voies diverses, zones urbaines plus ou moins denses… Et l’eau, sans tampon, dévale, ravageant tout sur son passage comme dans la région de Valence cette semaine, après Nice, Cannes, Nîmes, Vaison…

Nous devons repenser notre conception actuelle du cycle de l’eau et sortir du modèle de gestion des eaux pluviales hérité de la politique du « tout tuyau », inadapté au contrôle des inondations et ayant tendance à saturer les réseaux d’assainissement. Chaque catastrophe pousse les pouvoirs publics à entreprendre de nouveaux travaux gigantesques : bassins de rétention, détournement de cours d’eau, tunnels souterrains traversant les villes… Mais il faut également modifier nos PLU, amorcer un verdissement général de l’activité humaine, et nous tourner vers l’application des grands principes de la GIEP (Gestion Intégrée des Eaux Pluviales), notamment en ce qui concerne la perméabilisation des surfaces urbaines. Remplacer nos revêtements imperméables par des surfaces absorbantes et intégrer davantage de végétation permet non seulement de réduire les risques d’inondation, mais également de générer d’autres externalités positives sur la vivabilité de nos environnements. Le modèle de la « ville éponge » peut constituer un exemple vers lequel nous devrions tendre pour limiter les ravages de nouvelles catastrophes. Autres axes de travail indispensables : lutter contre le réchauffement dû aux transports, appliquer drastiquement un dispositif ZAN rénové (la méthode actuellement choisie est pleine d’incohérences, répartit mal l’effort et empêche à bien des égards les processus de réindustrialisation), élargir à l’ensemble des départements méditerranéens la procédure initiée par le préfet des Alpes-Maritimes en juillet 2024 qui a publié un DIRE3 conditionnant son feu vert à la fourniture d’éléments prouvant que les communes disposent de la ressource en eau nécessaire à leur extension. Ce DIRE doit être élargi à l’ensemble des questions liées à l’eau.

Et, dans le bassin méditerranéen, la question de la hausse du niveau des mers s’impose car elle promet d’impacter durement nos côtes exposées à la submersion marine. Il est ainsi de la Camargue, de l’étang de Berre, et d’une grande partie des cotes sablonneuses de Marseille ou du Languedoc directement menacées pour une hausse supérieure à 50cm. Quelle protection assurer pour les activités industrielles entre Arles et Marseille, les activités économiques, dont le tourisme avec le premier port de plaisance d’Europe à Port-Camargue et l’ensemble des activités balnéaires, les activités agricoles avec la production du riz de Camargue, les salines d’Aigues-Mortes et de Saint-Louis-du-Rhône ainsi que les élevages de taureaux et chevaux. Doit-on envisager la construction, ici ou là de polders ?

Enfin, la nécessité d’une planification peut s’entendre aussi dans le modèle économique des catastrophes qui s’enchaînent avec des factures qui flambent pour les assureurs, les collectivités territoriales et les habitants : la France, les Français peuvent-ils continuer à s’assurer quand « France-Assureurs » estime à 6,5 milliards d’euros en 2023 le coût annuel des catastrophes et sinistres climatiques ? Et combien d’emplois pourront être maintenus et créés, combien de richesses anciennes conservées et de nouvelles créées en évitant le traumatisme né du déchaînement de la nature ?

Alain Fabre-Pujol, Sophie Camard
et le pôle « écologie républicaine » de la GRS

1 Le texte vise à préserver la biodiversité de 20% des terres et des mers et à restaurer au moins 30% des habitats (zones humides, forêts, etc.) en mauvais état. Il doit permettre à l’Union Européenne de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord Kunming-Montréal en 2022.

2 Des vins de même facture sont dès aujourd’hui en train d’être expérimentés sur les terrils du Nord-Pas-de-Calais…

3 Document qui précise les obligations des collectivités locales souhaitant ouvrir de nouveaux secteurs à l’urbanisation

En Outre-Mer, ce sont les trusts locaux qui créent la vie chère

La Martinique vit depuis début septembre au rythme des blocages, barrages, manifestations et échauffourées. Et ce n’est pas la première fois. Une grogne qui s’est étendue depuis à la Guadeloupe où des phénomènes comparables en termes de coût de la vie créent les mêmes effets. On se souvient d’ailleurs que voici 15 ans le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP ou « Collectif contre l’exploitation outrancière » en français)1 avait animé un des plus longs mouvements sociaux de Guadeloupe contre la vie chère.

Pourtant, le 16 octobre, l’État, la collectivité territoriale, le transporteur CMA-CGM, le grand port maritime de Martinique et les distributeurs locaux ont trouvé un accord pour baisser de 20% les prix de 6 000 produits. Mais dans une île où les prix de l’alimentation sont 40% plus élevés que dans l’hexagone, cela ne suffit pas à apaiser la colère et, le 28 octobre encore, le couvre-feu a dû être prolongé.

Plusieurs rapports pour l’observatoire de la formation des prix, des marges et des revenus sur le coût de la vie dans ces territoires indiquent ainsi que ni le coût du transport, ni celui de la logistique, ni même l’octroi de mer ne justifie le niveau des prix aux Antilles ; ils n’auraient qu’un impact secondaire. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’insularité ou les frais d’approche ne contribuent pas à la vie chère, mais ces rapports montrent que tout ce qui s’attache au transport participe entre seulement entre 5 et 10%: on est loin des 40%. Il est donc faux d’affirmer que, comme le dit le préambule de l’accord signé par l’État et la collectivité de Martinique, 67% de la cause de ce différentiel serait liée aux frais d’approche et à l’insularité. Même l’octroi de mer est marginal dans la formation des prix : la fondation pour les études et la recherche sur le développement international l’a démontré, sa suppression théorique ne permettrait de baisser les prix que de 4,6%. En effet, pour contrebalancer l’octroi de mer, la TVA est plus faible dans les Outre-Mer que dans l’hexagone (le taux de TVA dans l’alimentaire varie de 5 à 20% dans l’hexagone, alors qu’en Martinique, il varie de 2,1 à 8,5%).

Aveuglement volontaire face à l’hyper-concentration du marché

Le constat posé en préambule à l’accord du 16 octobre n’est donc pas le bon.

Cet accord porte essentiellement sur les frais d’approche, frais de logistique, frais de transport ; il n’y a pas forcément que des choses inutiles, mais il se focalise sur ces frais d’approche, sur les transporteurs, sur la critique territoriale de l’État, de l’octroi de mer et le différentiel de TVA.

L’accord pose un certain nombre d’engagements de la part des distributeurs, mais ces engagements ne sont pas assortis de contraintes et d’éléments de contrôle. Ainsi il prévoit que les distributeurs vont faire des efforts pour baisser leurs marges ; ce n’est évidemment pas suffisant, car on est là au cœur du problème : l’organisation de la grande distribution. Et c’est l’une des raisons pour laquelle le collectif qui anime aujourd’hui le mouvement social martiniquais – le rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens – n’a pas signé l’accord et continue à organiser différents barrages, manifestations, avec des débordements violents incontrôlés assez fréquents.

La grande distribution aux Antilles françaises est organisée dans un marché hyper concentré, qui permet à ses acteurs d’imposer leurs prix. D’une certaine manière, les Outre-Mer en général, et la Martinique en particulier, ne sont pas réellement d’une logique d’économie de comptoir, c’est-à-dire la possession par un acteur ou trop peu d’acteurs de l’ensemble des richesses ou de tout ce qui arrive dans un territoire insulaire. En Martinique, le principal distributeur est le groupe Bernard-Hayot, un groupe présent dans la distribution, avec des parts de marché à hauteur de 25 à 40% ; mais le groupe Hayot et ses comparses sont également organisés en structure conglomérale : ils possèdent les magasins, mais aussi une partie de la production, y compris la production locale, et sont présents sur plein d’autres marchés. Le groupe Hayot est ainsi présent dans la distribution, dans la vente de voitures, dans la réparation de voiture, la vente de camions, les équipements de sport, le bricolage : donc l’ensemble des courses et des activités de nos compatriotes martiniquais se passent au sein de quelques entreprises très restreintes.

L’enjeu de la fabrication du taux de marge des distributeurs

Leur taux de marge, du fait du caractère oligopolistique et congloméral du marché ultra-marin, est donc quasiment impossible à chiffrer ; ces groupes multiplient les sociétés qui brouillent les pistes et créent une totale opacité. Or, au-delà de la concentration du marché, c’est bien la fabrication du taux de marge de ces groupes qui est en elle-même inflationniste et exacerbe le phénomène de vie chère en Outre-Mer.

On comprend la formation du taux de marge avant : c’est la différence entre le prix auquel on achète un produit et le prix auquel on va le revendre, cela semble normal. Mais le problème porte sur les « marges arrières » : c’est le fait pour un distributeur de faire payer la « coopération commerciale » (une forme polie pour habiller ce qu’on pourrait appeler plus crûment du racket économique). Les hypermarchés deviennent des médias qui favorisent la mise en valeur de tel ou tel produit : l’industriel devra payer pour avoir une « tête de gondole » qui met en valeur ses produits. Mais en plus, les distributeurs vont exiger du producteur des remises de fin d’année ou des bonifications de fin d’années. : profitant de sa position dominante, le distributeur facture en fin d’année, voire en cours d’année, connaissant le chiffre d’affaires atteint par l’écoulement des produits d’un industriel, un coût supplémentaire pour le producteur, qui doit lui reverser ainsi une partie significative, de 5 à 20% des gains.

Et ces marges arrières ne sont pas restituées sur le ticket de caisse : le modèle inflationniste est amplifié puisque le producteur qui sait qu’il va devoir payer en plus le distributeur anticipe ce surcoût dans le prix de son produit. Évidemment, si on ajoute à ce tableau l’importance des Békés dans le système de distribution, et le ressentiment historique qui est derrière, on mesure le cocktail explosif d’une situation sociale particulière tendue, tendue en permanence, avec des éruptions de violence comme celles auxquelles nous assistons aujourd’hui.

Il est donc temps de poser le principal problème qui génère la vie chère en Outre-Mer : le système économique oligopolistique de distribution. Faut-il interdire des grandes surfaces, aujourd’hui, aux Antilles et plus largement ? Selon Christophe Girardier, président de la société de conseil Bolonyocté, auteur de plusieurs rapports sur le marché de l’alimentation en Outre-mer, auditionné à de multiples reprises à l’Assemblée Nationale et au CESE, il ne faudrait plus accepter la moindre ouverture dans les Outre-Mer d’une surface commerciale de plus de 1000/1500 m² ; celles qui existent, il faudrait les taxer au profit d’une redistribution des parts de marché au profit de l’économie locale. La GRS propose de réfléchir à une action directe sur le contrôle et la réduction de ces trusts privés, c’est-à-dire agir sur la structure du marché elle-même sans mettre à mal les entreprises locales : la situation est effectivement délicate car ces groupes aujourd’hui peuvent facilement arguer qu’ils créent de l’emploi local. Enfin, il faudra aborder la question de l’importation de biens depuis l’Union Européenne au détriment de produits issus du bassin géographique de ces territoires, du fait des normes européennes comme le marquage CE.

Frédéric Faravel

1Le LKP est un collectif guadeloupéen qui regroupe une cinquantaine d’organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles de la Guadeloupe. Ce collectif est à l’origine de la grève générale de 2009 qui a touché l’île entre le 20 janvier et le 4 mars

Opella devient américaine, mais était-elle française ?

La cession d’un peu plus de 50% du capital d’Opella, filiale du groupe Sanofi à un fonds d’investissement américain a soulevé une tempête politique de plus en France. Elle risque de se perdre comme les autres dans le brouillard des indignations successives.

Alors faut-il s’indigner de cette vente d’un actif industriel français, après bien d’autres dont nous avons pu mesurer les conséquences désastreuses, ou y a-t-il d’autres motifs d’indignation plus sérieux que la vente elle-même dans cette affaire ?

La cession d’Opella au fonds américain CD&R représente l’aboutissement de la stratégie des dirigeants du groupe Sanofi, arrêtée depuis plusieurs années, qui s’est traduite d’abord par la constitution d’une filiale au sein de laquelle ils ont logé tous les produits grand public, délivrés sans ordonnance, afin, assuraient-ils, d’en permettre le développement… avant de décider de la vendre.

Un des produits phares de cette filiale de Sanofi est le Doliprane, l’antalgique le plus consommé par les Français (538 millions de boîtes délivrées en pharmacie l’an dernier) qui domine largement le marché français du paracétamol, mais il y en a bien d’autres (Mucosolvan, Dulcolax, Maalox…), des vitamines, des anti-allergiques…

Opella a réalisé un chiffre d’affaires mondial de 5,2 milliards d’euros en 2023. Elle a été valorisée 16 milliards d’euros pour son rachat par le fonds américain CD&R, soit environ 14 fois son EBITDA (acronyme anglais qui en français signifie : bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements) estimé pour 2024. C’est un ratio élevé pour un rachat d’entreprise, mais pas forcément dans le secteur de la santé/ pharmacie pour lequel la valorisation moyenne retenue pour l’acquisition d’une entreprise est de 13,7 fois l’EBITDA. Ce chiffre traduit surtout la forte rentabilité des capitaux investis dans les secteur de la santé (cela aurait-il un lien avec le déficit de la sécurité sociale ?). Mais la rentabilité des investissements dans les nouveaux médicaments de lutte contre le cancer ou dans les nouveaux vaccins est infiniment supérieure à celle d’un médicament comme le Doliprane dont la commercialisation a commencé en 1964. En résumé, le doliprane ça rapporte, mais pas assez, alors Sanofi s’en débarrasse.

SANOFI, un groupe français : vraiment ?

C’est la première question que l’on doit se poser pour mesurer la perte éventuelle de souveraineté économique liée à une telle opération, puisque le capital d’Opella est détenu jusqu’à maintenant par sa maison mère, SANOFI. Cette dernière est la lointaine héritière d’une société créée par le groupe Elf Aquitaine (racheté par Total) pour diversifier ses activités.

SANOFI est un groupe pharmaceutique dont le siège social est à Paris, mais c’est avant tout un groupe multinational dont les attaches avec la France sont de plus en plus ténues.

Le capital de Sanofi, valorisé à environ 125 milliards d’euros, est détenu à hauteur de 67% par des « institutionnels étrangers », 10,8% par des « institutionnels français », 9,4% par L’Oréal, 5,3% par des actionnaires individuels, 2,6% par les employés, 4,9% par divers actionnaires.

Les « institutionnels étrangers » qui détiennent plus de 2/3 du capital de Sanofi, sont des banques, des fonds de pensions, des fonds d’investissement publics ou privés, tous en quête d’actifs financiers rentables. Ils ont pris une place croissante dans la détention des grandes entreprises françaises et dans le fonctionnement du capitalisme qui se trouve de ce fait de moins en moins national.

Parmi les actionnaires institutionnels étrangers, les actionnaires américains occupent une place prépondérante avec 44,1% du capital de Sanofi, suivi par les Britanniques avec 16%. Les actionnaires américains pèsent donc d’un poids déterminant dans les décisions du groupe Sanofi, bien avant la cession d’Opella.

Le directeur général du groupe est un britannique, Paul Hudson, c’est lui qui dirige l’entreprise et non le président du conseil d’administration, Frédéric Oudéa qui a trouvé là un moyen rémunérateur de passer sa retraite après son départ de la direction de la société générale.

Dans les entreprises comme ailleurs, celui qui possède commande.

On rappellera, de ce point de vue, que Paul Hudson expliqua en 2020 qu’il était normal que son groupe serve prioritairement les États-Unis en vaccins contre le Covid, avant la France. Il dut se rétracter après le tollé provoqué par ses déclarations.

Dépendant de l’étranger par les détenteurs de son capital, Sanofi l’est également par son activité puisqu’il réalise plus des trois quarts de son chiffre d’affaires hors de France

Les États-Unis représentent par exemple près de 25% du chiffre d’affaires d’Opella tandis que la France n’en représente qu’environ 10%.

Un fait montre plus que tout autre combien le cœur des intérêts du groupe Sanofi ne se trouve plus en France, ni même en Europe, mais ailleurs. Selon le « Center for Responsive Politics » (organisme à but non lucratif basé à Washington, fondé en 1983 par un démocrate et un républicain, dont un des objectifs est d’évaluer l’impact du lobbying sur les décisions politiques), les dépenses de lobbying de Sanofi en 2019 se sont élevées à plus de 5 millions de dollars (5 117 000 $) aux États-Unis ; dans le même temps, selon la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), elles n’ont guère dépassé 10 000€ en France. Cela témoigne soit de l’incorruptibilité des élus français, soit de l’indifférence de Sanofi quant aux décisions prises par les autorités publiques dans notre pays en matière de santé publique.

Qu’en est-il de sa filiale Opella ?

Opella ne produit pas le principe actif du doliprane, ce qui est quand même le plus important. Celui-ci est importé, essentiellement de Chine, comme il l’était avant la crise du COVID. Les usines françaises d’Opella ne font que pratiquer l’opération d’enrobage de ce principe actif et la mise en boîte du médicament avant sa distribution.

Il est donc difficile, dans ces conditions, de présenter l’acquisition de la société Opella par un fonds d’investissement américain, comme la perte d’un élément essentiel de notre souveraineté économique et sanitaire. Dans l’état actuel des choses, même si l’acquisition de la filiale de Sanofi était bloquée par le gouvernement, nous pourrions tout aussi bien nous retrouver privés de Doliprane faute de principe actif permettant de le fabriquer, si les Chinois ou les Américains qui en produisent également, décidaient d’arrêter de nous en vendre.

C’est donc plutôt de ce côté-là que se trouve le problème essentiel que les Français et les Européens doivent résoudre rapidement, celui de reconstruire une industrie chimique permettant de produire chez nous les principes actifs des principaux médicaments.

C’est là que le bât blesse.

La difficile relocalisation de la production en France et en Europe de principes actifs…

Sanofi, n’en est pas à sa première cession d’actifs. En février 2020, les activités commerciales et de développement de principes actifs de six de ses sites de fabrication (Brindisi, Francfort Chimie, Haverhill, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Újpest et Vertolaye, soit 3 450 salariés, ont été regroupés dans une entité dont Sanofi ne restait actionnaire qu’à hauteur de 30% du capital.

Cette nouvelle entreprise, dénommée EUROAPI, a été retenue en juin 2024 parmi les 13 sélectionnées pour bénéficier des aides publiques au titre des Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) consacrés au secteur pharmaceutique. Cependant, depuis son lancement en fanfare en 2020, elle accumule les déboires. En 2023, ses pertes se sont aggravées pour atteindre 190 millions d’euros. Le titre a perdu 60% de sa valeur en une seule journée le 10 octobre 2023, à l’annonce de ses perspectives financières revues nettement à la baisse. Les difficultés s’accumulent malgré le soutien public. Euroapi a commencé à développer ses activités alors que les coûts de l’énergie et les coûts de production en général explosaient en Europe, compromettant sa rentabilité déjà mal assurée. Un plan de restructuration est en cours. Treize principes actifs seront abandonnés, deux des six usines du groupe (Haverhill et Brindisi) pourraient être vendues. L’État, qui détient, à travers Bpifrance, 12 % du capital d’Euroapi, assure, quant à lui, suivre « de très près » le dossier… comme toujours, mais n’a pas été très efficace pour éviter d’en arriver là.

Des observateurs et les syndicalistes du groupe considèrent que ces difficultés étaient prévisibles, au-delà des aspects conjoncturels qui les ont aggravées. Sanofi avait regroupé dans l’ensemble Euroapi des sociétés dont certaines étaient déjà faiblement rentables ou déficitaires, en utilisant le discours sur la relocalisation de la production de principes actifs en France et en Europe pour nettoyer ses comptes et se débarrasser d’activités peu rentables, avec le soutien des fonds publics, après avoir sous-investi pendant les années précédant cette réorganisation.

et du paracétamol

Les Français se sont aperçus en 2020 que les médicaments qu’ils consommaient, y compris les plus banals comme le paracétamol, n’étaient plus produits ni en France ni en Europe et que l’interruption des courants commerciaux (soit en raison d’une catastrophe sanitaire comme ce fut le cas, mais ce pourrais l’être également pour d’autres raisons : catastrophes naturelles, guerre, etc.) ne nous permettait plus de trouver dans nos pharmacies notre Doliprane, ou tout autre médicament contenant du paracétamol.

Emmanuel Macron et son gouvernement, qui semblent avoir découvert cette réalité en même temps que l’ensemble des Français, on alors engagé des négociations avec les groupes pharmaceutiques. En 2020, l’État accepta d’arrêter de baisser le prix du paracétamol en échange d’engagements des groupes pharmaceutiques de relocaliser la fabrication du principe actif de ce médicament.

Le groupe Seqens, spécialiste français de la fabrication de principes actifs est devenu l’acteur majeur de cette relocalisation de la production du paracétamol. Il a entrepris la construction d’une usine de production de 10 000 tonnes /an de paracétamol, dont le coût devrait être de 100 millions d’euros, à Roussillon dans l’Isère. La livraison du médicament devrait commencer en 2026.

Mais Seqens n’est pas une PME française qui invente tout à partir de rien. C’est un groupe mondial très présent aux USA, en Inde et en Chine et qui occupe une position importante sur le marché des principes actifs, notamment celui du paracétamol. Son président, Robert Monti, explique les conditions de la reprise de production du paracétamol en France (interview sur le site internet de l’entreprise) : « Nous allons investir environ 100 millions d’euros, dont 30 à 40 % d’aide publique sous forme de subventions et d’avances remboursables, pour la construction d’une nouvelle unité haute performance de production de paracétamol sur le site de Roussillon, en Isère. Cette unité va nous permettre d’enrichir notre dispositif de production avec 10 000 t/an de capacités à Roussillon qui viendront s’ajouter à nos 8 000 t/an de capacités à Wuxi, en Chine.

Nous partirons du para-aminophénol ou PAP pour la production de paracétamol. C’est un intermédiaire que nous produisons déjà à Tanxing, en Chine, pour lequel nous sommes leader mondial. Cette capacité de PAP sera largement suffisante pour alimenter, en toute sécurité et en nous appuyant sur les meilleures techniques disponibles, nos deux usines de Wuxi et de Roussillon. Nous sommes donc très engagés dans ce domaine et nous allons continuer d’investir. Nos clients UPSA et Sanofi ont pris des engagements très importants sur le long terme pour que le nouvel atelier soit nourri durablement en termes de volume. La production de Roussillon sera réservée pour les Français et les Européens. Et nous nous positionnerons aussi sur le marché américain depuis Roussillon. Les autres territoires seront desservis depuis Wuxi. Les deux usines disposeront donc d’une complémentarité géographique mais également technologique, puisque les deux sites seront équipés de technologies de granulation différente. »

C’est donc la combinaison des forces d’un groupe international, s’étant développé en Chine d’abord, du soutien de l’État français à l’investissement et de l’engagement d’un volume d’achat des groupes pharmaceutiques français que résulte la possibilité de relancer la production en France. Au passage, Robert Monti indique que si l’usine de Roussillon travaillait avec les mêmes procédés de fabrication que ceux de ses usines chinoises, les coûts de production seraient de 20% supérieurs à ce qu’ils seront dans l’usine de Roussillon, pour laquelle Seqens a développé de nouvelles technologies différentes de celles utilisées en Chine et permettant de faire des économies. Cela fait réfléchir sur ce qui constitue la compétitivité de l’industrie chinoise et sur la difficulté à soutenir la compétition.

Seqens n’est pas le seul à relancer le paracétamol made in France. A Toulouse, une start-up, Ipsophène, s’engage dans la construction d’une usine pour démarrer « la production en 2025, en montant progressivement en puissance, pour atteindre une capacité de 4 000 tonnes à partir de 2027 », selon Jean Boher, son président. Le succès dépendra du soutien de l’État et des acheteurs potentiels, car le produit sera plus cher que les produits concurrents bien que moins polluants.

On peut sérieusement se demander s’il ne serait pas plus utile que BPI France dépense son argent (c’est-à-dire le nôtre) à soutenir les entreprises qui investissent pour relocaliser la production de principes actifs en France, plutôt qu’en prenant une part de capital dérisoire dans Opella, devenue propriété d’un fonds d’investissement américain.

La cession d’Opella est-elle grave ?

Bien qu’Opella ne puisse pas être considérée comme une entreprise stratégique pour les raisons indiquées plus haut, sa cession à un fonds américain n’est pas une bonne nouvelle.

L’activité d’encapsulage et de mise en boîte du doliprane est complémentaire de la production de principe actif qui pourrait se développer en France dans les prochaines années. Elle pourrait faire défaut le moment venu si cette activité est démantelée par les nouveaux propriétaires des installations industrielles françaises d’Opella.

Le développement de la production de principe actif en France dépend d’engagements à long terme d’achat pris par Opella et son actionnaire majoritaire, Sanofi, dont rien ne peut garantir qu’ils seront tenus dès lors que le groupe passera sous contrôle américain.

Le fonds américains CD&R n’est pas une institutions philanthropique. Son objectif est d’acheter des sociétés, de les rendre plus rentables en jouant sur tous les leviers qui peuvent le permettre, avant de les revendre avec profit. La réduction des effectifs est un des leviers et aucun ne sera négligé. Les inquiétudes pour l’emploi des salariés français d’Opella sont donc légitimes. Que deviendront les 1 700 emplois en France, notamment à Lisieux et Compiègne ?

Les exemples passés de rachats de sociétés françaises par des sociétés américaines ont laissé un goût amère. Personne n’a oublié le rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric, les promesses qui l’ont accompagné, notamment en termes d’emplois et la suite, c’est-à-dire les fermetures de sites, le transfert de ce qui intéressait GE et la perte du reste, notamment d’une partie du savoir-faire, l’organisation d’un coûteux rachat imposé à EDF par Emmanuel Macron devenu président après qu’il avait permis le dépeçage d’Alstom comme ministre de l’économie.

Un des membres du Conseil d’administration de Sanofi au moins sait tout des conditions de vente aux Américains d’une grande entreprise française et de ses conséquences ; il s’agit de Patrick Kron, qui a organisé le bradage de la branche énergie d’Alstom dans le dos du gouvernement français, sans oublier de se faire grassement rémunérer au passage pour ce haut fait d’armes (6 609 912 € de rémunérations en tant que PDG d’Alstom en 2016 – deuxième position des patrons français les mieux payés à l’époque, 4 millions de bonus quand il quitte Alstom en janvier 2016 et une retraite chapeau de 10 millions). C’est sans doute en raison des compétences acquises à cette occasion qu’il fait partie du Conseil d’administration de Sanofi.

Le rachat d’Alcatel Lucent par Nokia, auparavant, avait obéi au même scénario.

L’accord tripartie protège-t-il Opella et ses salariés ?

D’après le journal Le Monde du 21 octobre 2024, l’accord passé entre Sanofi, CD&R et le gouvernement français prévoit les garanties suivantes :

  • La pérennité des usines de Lisieux et Compiègne et le maintien « d’un niveau minimum de valeur ajoutée produit sur ces sites pendant cinq ans »(On appréciera le flou de la formulation). Une sanction financière, pouvant s’élever jusqu’à 40 millions d’euros, s’appliquerait en cas d’arrêt de production sur ces deux sites ;
  • Une assurance sur le maintien de l’emploi en France, prévoyant « une pénalité de 100 000 euros par emploi supprimé par licenciement économique contraint » ;
  • Un objectif d’investissement à hauteur de 70 millions d’euros sur cinq ans ;
  • « Un maintien des volumes de production pour les produits sensibles d’Opella : Doliprane, Lanzor, Aspégic » ;
  • Le maintien des engagements pour l’achat du principe actif du Doliprane (le paracétamol) auprès de l’entreprise Seqens, qui est en train d’en relocaliser la production en France, sous peine, en cas de non-respect de cette clause, d’une sanction de 100 millions d’euros ;
  • Pour compléter le tout, l’entrée de BPI France au capital d’Opella, à hauteur de 2% du capital.

L’expérience montre que ce type d’accord ne représente jamais un engagement réel du groupe étranger acheteur de l’entreprise française. Les promesses faites ne résistent jamais à l’évolution de la situation économique et aux plans de restructuration conduits pour améliorer la rentabilité de la société acquise, dans des délais rapides, ceux des affaires dans lesquelles interviennent des fonds d’investissement, créés pour générer des plus-value rapides sur les acquisitions et non pour financer une stratégie de développement à long terme.

Enfin, les sanctions financières prévues sont dérisoires pour un fonds d’investissement qui gère 57 milliards de dollars d’actifs financiers en 2023.

Le gouvernement aurait-il dû interdire la cession d’Opella au fonds américain ?

Les moyens législatifs et réglementaires permettant au gouvernement de s’opposer à une telle acquisition existent (article L 151-3 et R 151-3 du code monétaire et financier). Ils lui donnent la possibilité de refuser une autorisation d’investissement étranger si celui-ci peut avoir pour effet de menacer la protection de la santé publique (entre autres cas de figure). Ce point de vue aurait pu être défendu dans le cas d’espèce, même s’il pouvait être contesté compte tenu de ce que nous avons indiqué plus haut.

L’offre alternative au fonds américain, présentée par un fonds d’investissement français PAI Partners, n’était en réalité pas tellement plus nationale que l’autre puisque le fonds français présentait son offre d’achat en consortium avec le fonds souverain d’Abou Dhabi ADIA, le fonds de pension canadien BCI et le fonds souverain singapourien GIC.

On notera au passage la place croissante prise par les fonds souverains contrôlés par des États dans le fonctionnement du capitalisme mondial. Nous sommes décidément de plus en plus loin de la libre concurrence entre agents économiques faisant valoir sur la marché libre leurs propositions pour répondre à la demande de consommateurs atomisés. Jamais les États par l’intermédiaire de leurs fonds souverains n’ont joué un rôle aussi important dans l’économie, en même temps qu’ils semblent impuissants face au pouvoir croissant des entreprises multinationales.

La seule solution véritablement française aurait donc été un rachat par l’État de l’entreprise mise en vente par Sanofi, Mais on voit mal ce qui aurait pu justifier la prise en charge par le contribuable français, pour plus de 8 milliards d’euros, d’une entreprise dont le contrôle ne représente pas un intérêt vital pour le pays. C’est d’ailleurs une solution que je n’ai guère vue proposée par tous ceux qui se sont indignés de cette vente.

Et la responsabilité de Sanofi dans tout ça ?

Ce qui mériterait sans doute d’être passé au peigne fin à l’occasion de la crise créé par cette nouvelle session, c’est le management du groupe Sanofi et la responsabilité de sa direction dans le déclassement progressif de ce groupe au niveau mondial. En quelques années, Sanofi est passé du 3e rang au 7e rang mondial des groupes pharmaceutiques.

Sanofi a arrêté ses recherches sur l’ARN messager deux ans avant la crise du COVID, ce qui montre la grande prescience de ses dirigeants. Il s’est fait doubler par les vaccins lancés par le duo Pfizer-BioNTech et par Moderna. Dans le cancer du sein, son candidat-médicament, l’Amcenestrant, sur lequel le laboratoire fondait une partie de ses espoirs, a été abandonné en 2022, faute de résultats probants.

Paul Hudson justifie la vente d’Opella par la nécessité de recentrer l’activité de son groupe sur des médicaments nouveaux à forte valeur ajoutée et ce qu’il appelle « le retour à la science ». Il n’est lui-même pas un scientifique, mais on espère que les équipes de Sanofi ne se sont pas trop éloignées de la science au cours de ces dernières années, malgré l’orientation de leurs dirigeants qui ont multiplié les plans de restructuration du groupe et réduit continûment le nombre de chercheurs.

En attendant de trouver de nouvelles sources de profits grâce aux molécules qui permettront de faire progresser l’immunothérapie et la lutte contre le cancer, Sanofi vend des actifs. Il préparerait maintenant la session de ses centres de distribution à l’allemand DHL. Et il programme une nouvelle réduction des coûts de 2 milliards d’euros en 2024.

Mais rassurons-nous, les actionnaires ne souffriront pas trop. Paul Hudson indique dans une interview au journal Le Monde du 23 octobre, qu’une partie des revenus tirés de la vente d’Opella leur sera destinée et le groupe a consacré 600 M€ au rachat de ses actions pour en faire monter le cours et mieux rémunérer ses actionnaires, plutôt qu’à financer la recherche.

Plus fondamentalement encore, cette affaire montre la difficulté qu’il y a à construire ce que l’on appelle couramment « des champions nationaux », qui ne peuvent être que des compagnies multinationales, tout en s’assurant que ces entreprises gardent un lien fort avec leur pays d’origine, lorsqu’il s’agit d’un pays ayant une population de 68 millions d’habitants, un PIB de 3 000 milliards d’euros, et en conséquence un marché de consommation et une puissance financière forcément limités. Leur expansion généralement saluée à son commencement et soutenue par les pouvoirs publics, finit par les couper de leur base nationale française et les décisions stratégiques ne coïncident plus nécessairement avec l’intérêt national du pays.

C’est à cette question de l’insertion d’une économie de taille limitée, comme celle de notre pays, dans l’économie mondiale, sans aliéner totalement notre souveraineté, qu’il faut répondre, au lieu de se focaliser sur la vente d’une entreprise, aussi importante soit-elle.

Elle devrait occuper une place importante dans tout projet politique.

Jean-François Collin

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