La dette publique est le sang du néo-capitalisme

tribune de Jean-François Collin

François Bayrou, dans son discours du 15 juillet dernier, a présenté son explication de l’importance de l’endettement public de notre pays. Nous allons exposer pourquoi cette explication n’est qu’un (pieux, s’agissant de François Bayrou) mensonge.

François Bayrou a d’abord emprunté au registre religieux : « Être obligé d’emprunter tous les mois pour payer les retraites ou payer les salaires des fonctionnaires, c’est une malédiction qui n’a pas d’issue ». Le malheur qui nous accable, celui d’être durablement endettés, nous serait infligé par une divinité, pour nous punir de nos pêchés.

Après le registre du divin, vint celui de la médecine : « Nous avons considéré comme normal dans notre pays depuis des années, des décennies, que l’État, puissance publique et sécurité sociale, que l’État paie tout. Nous sommes devenus accros à la dépense publique. Il n’y a pas de difficulté du pays, il n’y a pas de changement nécessaire, il n’y a pas d’obstacle à surmonter, ni d’ordre sanitaire, ni d’ordre climatique, ni d’ordre énergétique ou familial devant lesquels les élus, les citoyens, les médias n’aient eu chaque fois qu’une seule réponse à la bouche, se tourner vers l’État ». Pêcheurs, nous serions aussi drogués à la dette publique ; les Français se plaignent du coût de la vie, de l’inflation, de la difficulté de se loger, de l’impossibilité de partir en vacances, de la baisse du niveau de vie de la majorité d’entre eux, par aveuglement. Comment ne se sont-ils pas aperçus que l’État payait tout ? S’ils ne l’ont pas vu, c’est en raison de cette addiction à la dette publique.

Et pour compléter le tableau, les Français sont fainéants : « … la seconde de ces raisons, de fuite vers la dette, c’est que nous avons peu à peu perdu de vue que pour distribuer, il fallait produire… J’ai la conviction qu’il faut réconcilier notre pays avec le travail, avec l’emploi, avec l’épanouissement au travail. Il faut que toute la nation travaille plus pour produire… Je propose donc que deux jours fériés soient supprimés pour tout le pays ». C’est un vieux refrain. Les chômeurs le sont par choix. La France a été frappée d’une épidémie de paresse à partir des années soixante-dix, qui l’a fait passer du plein emploi à l’existence structurelle de plusieurs millions de chômeurs. Cela n’a rien à voir avec la mondialisation, l’ouverture sans précautions des frontières, la délocalisation massive de l’activité à l’initiative des patrons français qui sont des champions mondiaux de cette discipline.

La vérité n’a rien à voir avec ce récit. La dette publique n’est pas une malédiction. Elle est un choix qui profite aux créanciers de l’État, pas à ceux qui paient les impôts et les cotisations qui permettent de la rembourser. Sa croissance a accompagné celle du capitalisme financier, de l’extension du domaine du marché, de ce qui a été nommé néocapitalisme, même si les racines de l’endettement publique sont plus anciennes encore.

I- Pour Karl Marx la dette publique est un moyen d’aliéner l’État et d’asservir les pauvres

Karl Marx ne nous a sans doute pas fourni les réponses aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais il a remarquablement analysé leur nature. Il y a un siècle et demi, il décrivait, dans « le capital », dans des termes qui restent d’une étonnante actualité, comment le capitalisme s’est développé grâce à la dette publique et comment il a, grâce à elle, « aliéné les États » quelle qu’en soit la forme politique.

« La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. Il n’y a donc pas à s’étonner de la doctrine moderne selon laquelle plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital… La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée.

Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal, métamorphosé en effets publics d’un transfert facile, continue à fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe de rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation – de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d’un capital tombé du ciel – la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne.

Dès leur naissance les grandes banques, affublées de titres nationaux, n’étaient que des associations de spéculateurs privés s’établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu’ils en obtenaient, à même de leur prêter l’argent du public. Aussi l’accumulation de la dette publique n’a-t-elle pas de gradimètre plus infaillible que la hausse successive des actions de ces banques, dont le développement intégral date de la fondation de la Banque d’Angleterre, en 1694. Celle-ci commença par prêter tout son capital argent au gouvernement à un intérêt de 8%, en même temps elle était autorisée par le Parlement à battre monnaie du même capital en le prêtant de nouveau au public sous forme de billets qu’on lui permit de jeter en circulation, en escomptant avec eux des billets d’échange, en les avançant sur des marchandises et en les employant à l’achat de métaux précieux. Bientôt après, cette monnaie de crédit de sa propre fabrique devint l’argent avec lequel la Banque d’Angleterre effectua ses prêts à l’État… Elle donnait d’une main, non seulement pour recevoir davantage, mais, tout en recevant, elle restait créancière de la nation à perpétuité, jusqu’à concurrence du dernier liard donné. Peu à peu elle devint nécessairement le réceptacle des trésors métalliques du pays et le grand centre autour duquel gravita dès lors le crédit commercial…

Avec les dettes publiques naquit un système de crédit international qui cache souvent une des sources de l’accumulation primitive chez tel ou tel peuple. C’est ainsi, par exemple, que les rapines et les violences vénitiennes forment une des bases de la richesse en capital de la Hollande, à qui Venise en décadence prêtait des sommes considérables. À son tour, la Hollande, déchue vers la fin du XVIIème siècle de sa suprématie industrielle et commerciale, se vit contrainte à faire valoir des capitaux énormes en les prêtant à l’étranger et, de 1701 à 1776, spécialement à l’Angleterre, sa rivale victorieuse. Et il en est de même à présent de l’Angleterre et des États-Unis. Maint capital qui fait aujourd’hui son apparition aux États-Unis sans extrait de naissance n’est que du sang d’enfants de fabrique capitalisé hier en Angleterre.

Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui en doit payer les redevances annuelles, le système moderne des impôts était le corollaire obligé des emprunts nationaux. Les emprunts, qui permettent aux gouvernements de faire face aux dépenses extraordinaires sans que les contribuables s’en ressentent sur-le-champ, entraînent à leur suite un surcroît d’impôts ; de l’autre côté, la surcharge d’impôts causée par l’accumulation des dettes successivement contractées contraint les gouvernements, en cas de nouvelles dépenses extraordinaires, d’avoir recours à de nouveaux emprunts. La fiscalité moderne, dont les impôts sur les objets de première nécessité et, partant, l’enchérissement, de ceux-ci, formaient de prime abord le pivot, renferme donc en soi un germe de progression automatique. La surcharge des taxes n’en est pas un incident, mais le principe.1 »

On pourrait reprendre une grande partie de cette analyse pour exposer le rôle de la dette publique dans nos économies. Celui-ci allait être rendu encore plus explicite par les inventeurs du néocapitalisme qui ont redéfini après 1945, ce que devait être la relation entre l’État et l’économie.

II- La conférence du Mont-Pèlerin en 1945 et la redéfinition du rôle de l’État

La gauche a pris l’habitude de dénoncer l’affaiblissement de l’État, de demander que l’État se réinvestisse dans l’économie, agisse sur son fonctionnement, voire le planifie. Elle fait souvent du soutien ou du refus de l’intervention de l’État dans l’économie, la ligne de démarcation entre la droite et la gauche. C’est un positionnement devenu complètement anachronique. L’État intervient déjà très massivement dans l’économie, en France comme ailleurs, en utilisant à la fois les outils budgétaires et fiscaux dont il dispose, mais aussi les outils monétaires dont le contrôle a été confié un peu partout à des Banques centrales réputées indépendantes. Nous montrerons que si elles sont indépendantes des intérêts de la majorité des citoyens, elles ne le sont pas de ceux des entreprises.

La philosophie de l’intervention de l’État dans une économie néo-libérale a été redéfinie lors de la célèbre réunion du Mont-Pèlerin en 1947, en Suisse, sur les rives du lac Léman. Cette réunion d’économistes, dans laquelle Friedrich Hayek et Milton Friedman jouèrent un rôle important, fut l’occasion pour eux de définir les règles qui devraient désormais présider au rapport entre l’État et l’économie. Ils avaient constaté l’échec du libéralisme classique et partageaient l’idée selon laquelle l’intervention de l’État était nécessaire pour éviter les crises auxquelles conduisait l’absence de contrôle sur les marchés et la concurrence.

À la différence de beaucoup de bêtises répétées à l’envi aujourd’hui par les penseurs de droite, les participants à cette réunion, instruits par la catastrophe dont ils sortaient, considéraient que le marché, livré à lui-même, n’était pas capable de garantir un équilibre économique durable, et que ses dysfonctionnements étaient une menace pour la stabilité politique. Ils considéraient certes le marché comme le moins mauvais mécanisme de régulation de l’économie, mais ils pensaient aussi qu’une intervention de l’État au service des entreprises était nécessaire pour assurer la prospérité du monde. Pour ces économistes néolibéraux, la bureaucratie d’État n’était pas une charge indue, mais un acteur nécessaires au bon fonctionnement de l’économie de marché et la prospérité du capitalisme.

Apôtres du marché et de son contrôle, ils se sont trouvé face à une contradiction difficile à résoudre : comment donner le pouvoir à une bureaucratie étatique d’imposer des règles à l’économie sans qu’elle en vienne à s’autonomiser et à conduire sa propre politique. Comment disposer d’un État qui soit à la fois fort et faible,  capable d’imposer des règles aux acteurs économiques en étant soumis à leur volonté ?

C’est pourquoi la droite se présente souvent comme défenseure d’un État fort, tout en dénonçant les règles qui entravent la « liberté des entreprises ».

Les conditions politiques de l’après-guerre n’ont pas permis aux idées de ce petit groupe de prospérer immédiatement.

Au lieu du règne du libre-marché, c’est un interventionnisme massif des États qui s’est développé à l’échelle mondiale, pas seulement dans les pays dits socialistes à cette époque. Les rapports de force politiques et syndicaux ont également permis le développement de ce que l’on a appelé l’État providence.

Ce n’est qu’avec le développement de la crise du capitalisme mondial, au début des années 1960, que les théoriciens du néolibéralisme allaient connaître leur heure de gloire ; elle se poursuit jusqu’à maintenant.

III- Les deux piliers du néocapitalisme : la financiarisation de l’économie et la dette publique à partir des années 1970

Les modes de financement de l’action publique qui échappaient largement au marché financier ont été remis en cause à partir des années 1960.

En France, depuis le front populaire et jusque dans les années 1960, l’État s’est financé grâce à ce qui a été baptisé « le circuit du Trésor ». Concrètement, l’État imposait aux institutions publiques le dépôt de leurs fonds sur le compte du Trésor ouvert à la Banque de France. Il imposait également aux banques le dépôt de fonds à la banque de France et l’achat obligatoire de titres de la dette publique. De cette façon, l’essentiel des besoins de financement de l’État pouvaient être satisfaits sans recourir aux marchés financiers.

Après 1945, la politique de crédit des banques fut orientée par un Conseil national du crédit qui définissait les secteurs auxquels le crédit devait être alloué en priorité. La Banque de France, sous tutelle du gouvernement et contrôlée par le parlement, faisait partie d’un système organisé, incluant les banques publiques, les banques coopératives et les banques privées, pour financer une économie encadrée par le plan.

Ce système qui ferait frémir aujourd’hui une grande partie de l’intelligentsia, des médias et bien sûr le patronat, est celui qui a permis la reconstruction du pays.

Mais à partir du milieu des années 1960, Michel Debré, alors premier ministre de Charles de Gaulle (qui n’était donc pas l’ennemi de la finance que l’on présente trop souvent aujourd’hui, en citant la phrase qui lui est prêtée : « la politique ne se décide pas à la corbeille (de la bourse) ), aidé par Jean-Yves Haberer, ont entrepris de liquider ce mode de financement de l’État, en commençant par supprimer les obligations de dépôts des banques et d’achat d’obligations de l’État.

Il n’est pas inutile de rappeler qui est Jean-Yves Haberer. Il fut conseiller économique au cabinet de Michel Debré, et devint directeur du Trésor, puis PDG de la banque Paribas sous la présidence de François Mitterrand avant d’être nommée PDG du Crédit Lyonnais par Pierre Bérégovoy..

Jean-Yves Haberer conduira le Crédit Lyonnais à la faillite. Il ne sera condamné pour cela qu’à 18 mois de prison avec sursis et 59 000€ d’amende, en dépit de manquements aux règles les plus élémentaires de gestion d’une banque.

Après le premier assaut donné par Michel Debré, les banques furent autorisées à s’organiser entre elles pour gérer leurs liquidités sur un marché créé, par les autorités publiques, pour cela. Les banques ayant un surplus de liquidités pouvaient désormais prêter à celles qui n’en ont pas assez, sans passer par la Banque de France. Cette dernière se limitant à piloter le coût de la ressource pour les banques et à contrôler l’inflation.

Le contrôle du crédit a disparu en 1984 et les opérations de liquidités sont devenues l’outil principal de la politique monétaire.

Le 4 août 1993, la Banque de France est devenue officiellement indépendante, dans la perspective de l’instauration de l’euro. Ce changement de statut a entraîné la disparition du contrôle parlementaire qui s’exerçait sur elle. Le seul contrôle qui vaudra, désormais, sera celui du marché… sauf lorsque les autorités publiques devront intervenir massivement pour payer les factures des crises financières.

Les transformations intervenues en France s’inscrivaient dans un contexte international : arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux États-Unis et Margareth Thatcher en Grande-Bretagne ; suppression des contrôles sur le secteur financier en même temps que des marges de manœuvre de plus en plus importantes lui étaient accordées.

La place donnée aux marchés financiers dans le financement des États et plus largement dans l’économie était justifiée par leur efficacité supérieure à celle de l’administration, selon le consensus majoritaire au sein des économistes et des dirigeants à cette époque.

La possibilité donnée à l’État de financer son action grâce au contrôle qu’il exerçait sur les banques et sur la Banque centrale était condamnée parce qu’elle encourageait le laxisme budgétaire, l’augmentation de la dette publique et l’inflation. La sagesse des gestionnaires de banques et de fonds de pension, renforcée par celle des banques centrales indépendantes, devait mettre fin à tout cela.

On a vu ce qu’il en fut.

La crise financière qui ravagea la planète à partir de 2006 fut une secousse majeure. Son origine immédiate fut la crise du marché immobilier américain, provoquée par la politique de hausse continue des taux d’intérêts de la FED, la banque centrale américaine, à partir de 2004, qui a mis des millions d’Américains dans l’impossibilité de rembourser leurs prêts immobiliers, pendant que les banques inventaient des produits dérivés sur cette dette (subprimes notamment) pour la recycler dans les marchés financiers. La multiplication des prêts impayés finit par mettre en difficulté des établissements financiers américains, d’abord, puis ailleurs dans le monde. Des faillites retentissantes intervinrent, comme celle de Lehman Brothers. À la suite de quoi, le gouvernement américain investit des milliards d’argent public pour refinancer les établissements de crédits en difficultés, tandis que le Royaume-Uni nationalisait des banques et que l’Union européenne organisait le rachat par la Banque centrale européenne de milliards d’actifs privés pourris pour éviter la faillite en cascade des entreprises financières.

Mario Draghi, le président de la BCE à l’époque, avait indiqué qui alimenterait le marché financier en liquidités « quoi qu’il en coûte » pour éviter son effondrement.

Les banques s’en tirèrent finalement assez bien. Le commun des mortels beaucoup moins, car cette crise financière entraîna une ponction massive sur le pouvoir d’achat des couches populaires des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, l’argent public investi pour sauver du désastre le secteur financier a scandalisé la majorité des Américains et contribué à l’ascension de Donald Trump.

En Europe, Christine Lagarde, alors ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy, se distingua en déclarant qu’elle préférait des propositions d’amélioration du fonctionnement des marchés financiers proposées par les professionnels plutôt que de nouvelles lois, car la crise venait de l’insuffisance de marché et non de l’excès de marché. C’est peut-être cette clairvoyance qui lui valut sa brillante carrière au FMI puis à la Banque Centrale Européenne.

Ainsi, alors que l’indépendance des banques centrales était sacralisée depuis le début du vingt-et-unième siècle et que les marchés financiers devraient assurer le financement harmonieux de l’économie, il n’a pas fallu attendre plus de quelques années pour que la réalité ne lève le voile sur ce mensonge. Ce sont les pouvoirs publics, l’État et les banques centrales, qui ont assuré le financement du secteur financier en faillite en faisant payer les contribuables, d’un côté, et en faisant marcher la planche à billets, de l’autre.

En 2020, l’épidémie de COVID fut une nouvelle séquence avec les mêmes acteurs dans le même rôle. Le confinement et l’arrêt d’une partie de l’activité mondiale entraîna une contraction du PIB mondial. Un peu partout furent mis en œuvre des programmes publics de centaines de milliards pour amortir le choc récessif, puis relancer l’activité.

En France, les mesures prises pour amortir les effets de la pandémie coûtèrent très chère. Les dépenses publiques supplémentaires, directement liées à la crise du Covid, furent de 69,7 milliards d’euros en 2020 et 63,8 milliards d’euros en 2021. Si l’on ajoute le plan de relance de 38,3 milliards d’euros en 2021 et 30 milliards d’euros en 2022, on arrive à 201,8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en deux ans (les dépenses de l’État et de ses opérateurs sont prévues à 660 milliards d’euros en 2025). La dette publique a augmenté de 1 000 milliards d’euros depuis qu’Emmanuel Macron est président.

IV- Qui a profité des milliards de dette publique ?

D’abord les entreprises.

En 2020 elles ont reçu 21,8 milliards d’euros, soit le tiers des dépenses exceptionnelles liées au Covid et presque la moitié en 2021 avec 26,6 milliards d’euros. Cela correspond à une augmentation de près de 12% des aides publiques distribuées aux entreprises par rapport à l’année précédant le COVID. Elles ont permis notamment de reporter et d’exempter de paiement de cotisations sociales les entreprises. L’argent distribué aux entreprises l’a été sans conditions. D’après une étude citée par Anne-Laure Delatte, dans son livre « L’État droit dans le mur », 1€ dépensé a permis 0,18€ d’activité supplémentaire. Ce résultat ne permet pas de considérer que cet argent a été judicieusement employé. Les mêmes chercheurs estiment que plus de 2% du PIB ont été versés à des entreprises qui auraient survécu de toute façon.

Les dépenses consacrées au système de santé n’occupent que la 3ème place en 2020 et la 2nde en 2021 (avec 14 et 14,8 milliards d’euros ce qui représente une augmentation de 5% des dépenses annuelles courantes de santé).

Les ménages n’arrivent qu’au 4ème rang des bénéficiaires (prolongation des indemnités chômage, aide ciblée aux faibles revenus).

V- Dette publique et dette privée : le rôle de la Banque Centrale

  1. La banque de France détient le quart de la dette publique

On a beaucoup parlé de l’effort budgétaire de l’État, du « quoi qu’il en coûte », repris par Emmanuel Macron à Mario Draghi, pendant la crise du COVID, et l’on continue d’en parler pour justifier l’importance de la dette publique et la nécessité de la réduire.

Mais on a beaucoup moins parlé des aides monétaires, apportées par les banques centrales pendant toute cette période de 2020 à 2023. Christine Lagarde était réticente à une intervention de la Banque centrale dans un premier temps, puis elle s’est laissée convaincre, en toute indépendance naturellement, et a lancé un programme pandémique d’achat d’urgence, le PEPP, auquel 750 milliards d’euros ont été consacrés, pendant la seule année 2020. En fait d’urgence, il s’agissait surtout de soutenir les banques et d’éviter la crise de liquidités sur les marchés financiers et sur la dette souveraine.

Le bras armée de la Banque centrale européenne en France est la Banque de France. Elle consacre 80% de ses opérations de financement à la dette publique. On est donc à cent lieues de ce qui était annoncé en 1993, lorsqu’a été instituée l’indépendance de la Banque centrale pour que cesse, nous disait-on, le financement par la Banque centrale de la dette publique, lequel devait être assuré désormais par les seuls marchés financiers.

En réalité, en 2020, la Banque de France détenait 23% de la dette publique nationale soit à peu près le niveau qu’elle détenait en 1949 (24,8%). L’État doit 1 euro sur 4 empruntés pour financer le budget, à la Banque de France. Par ailleurs, la Banque de France ne se contente pas de financer la dette publique, elle finance aussi largement l’économie. Les opérations de financement monétaire du circuit économique ont atteint 60% du PIB pendant la pandémie du COVID. Autrement dit, son intervention dans le financement de l’économie est très supérieure à ce qu’elle était pendant la période des trente glorieuses.

La Banque de France est redevenue un créancier aussi important pour le gouvernement français en 2019 qu’elle l’était en 1949. Mais aujourd’hui, l’action de la Banque de France vise à assurer les conditions de financement les moins coûteuses possibles aux investisseurs privés, et non à permettre à l’État de financer les politiques publiques.

  1. La dette publique est indispensable au fonctionnement des marchés financiers.

La dette privée est beaucoup plus importante que la dette publique, mais on n’en parle jamais. Selon la banque des règlements internationaux, en 2022, la dette des entreprises françaises représentaient 162% du PIB. Il faut y ajouter la dette des ménages.

Or la dette privée présente des caractéristiques bien différentes de la dette publique.

Les États ne meurent pas ; ils peuvent emprunter pour rembourser leur dette précédente. Si les taux d’intérêt sont inférieurs aux taux de croissance de l’économie, le coût de leur dette rapporté au produit intérieur brut diminue même si son volume augmente, dans certaines proportions. C’est ce qui s’est passé en France depuis le début des années 2000. Les débiteurs privés, eux, sont mortels, qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’entreprises. Les personnes physiques ne connaissent pas de croissance significative de leur activité et de leur pouvoir d’achat, susceptible de diminuer le poids relatif de leurs dettes et ils sont à la merci de tous les accidents de la vie que nous connaissons.

La dette privée est donc beaucoup plus risquée que la dette publique. Pour en financer l’augmentation les banques et les institutions financières de toute nature ont besoin de disposer d’actifs sans risques, leur permettant de garantir en partie leur capacité de prêteurs à des débiteurs aux capacités de remboursement incertaines.

Les meilleurs actifs sans risques existant sont les titres de dette publique, particulièrement lorsqu’il s’agit d’États ayant pour tradition de rembourser leur dette, ce qui fut généralement le cas de la plupart des pays économiquement développés. C’est pourquoi l’existence d’une dette publique importante dans tous ces pays est une condition indispensable à l’existence et au développement des systèmes financiers, sur lesquels ils ont choisi de faire reposer de manière croissante le financement de l’économie.

La véritable raison de l’existence des dettes publiques, leur persistance et de leur croissance très rapide, depuis une trentaine d’années, réside dans cette vérité et non dans le développement de la dépense publique en faveur des populations.

Il est d’ailleurs frappant de constater que la croissance de la dette publique a été particulièrement forte sous les présidents de droite depuis 1995. Elle a augmenté de 9% pendant les 12 année de mandat de Jacques Chirac, de 21% pendant les 5 ans de mandat de Nicolas Sarkozy, de 9% « seulement » pendant le mandat de François Hollande, puis de 21% à nouveau sous la présidence d’Emmanuel Macron. Les présidents de droite ne craignent donc pas la dette publique, ils creusent même le trou à la pelleteuse.

* * * *

Nous sommes donc très loin des explications de l’endettement public présentées par François Bayrou qui veut rendre les Français responsables d’une dette à laquelle ils n’ont d’autre part que son remboursement, avant de les punir.

Le dette est le produit du capitalisme financier. En faire peser le poids sur les ménages les plus modestes, comme le propose le premier ministre, est profondément injuste et justifie le rejet de ce plan, en plus de l’injustice des mesures qui le constituent.

Jean-François Collin

27 juillet 2025

1 Extrait de Karl MARX, Le Capital – Livre premier
Le développement de la production capitaliste, VIII° section : L’accumulation primitive
Chapitre XXXI : Genèse du capitaliste industriel

Gallimard, La Pléiade, 1963, p.1216 à 1219

Le mur de la dette publique n’existe pas !

Depuis le début de la crise du covid-19 , les discours alarmistes sur le gonflement de la dette publique française prolifèrent et ce sans raison apparente.

Oui, déficits et dette publics gonfleront demain : le second projet de loi de finance rectificative annonce un déficit à 7,6 % du PIB et une dette équivalente à 112 % du PIB à la fin de l’année 2020.

Non, une telle situation n’a rien de catastrophique. Contrairement à nombre d’idées reçues la dette publique n’est pas un mal en soi, et encore moins un mal français.

Dans leur volonté d’autoflagellation, les libéraux et autres partisans des politiques austéritaires oublient que l’augmentation des déficits et de la dette publique n’est pas une situation qui s’arrête aux frontières de l’Hexagone. C’est la norme dans la quasi-totalité des pays développés.

Depuis 1974 les Etats-Unis n’ont connu que trois années d’excédents budgétaires, la Grande-Bretagne quatre et le Japon cinq. Avoir un budget équilibré tient donc de l’exception et non de la règle. Bien souvent les discours sur la dette ne sont que des prétextes pour attaquer des dépenses publiques jugées à tord excessives.

Dans le lot des arguments nous intimant l’ordre de nous inquiéter du niveau de la dette publique française on retrouve aussi l’idée que les générations futures devront payer nos excès.

« La dette serait à l’origine d’une rupture d’équité entre générations. » Rien n’est plus faux.

la dette publique est inférieure à la production de richesses par les administrations publiques et ce sont ces mêmes richesses, et non nos excès, que nous léguerons aux générations futures à travers les dépenses publiques d’éducation ou encore de santé. Ce qui pose problème ce n’est pas la valeur du lègue, le patrimoine privé comme le patrimoine public sont positifs, c’est sa répartition.

A la faveur de la crise, le gouvernement semble découvrir une vérité pourtant établie depuis longtemps : la dette publique est un outil indispensable de l’interventionnisme étatique et il ne faut pas hésiter à l’utiliser quand la situation l’exige.

Lorsque la conjoncture est basse, lorsque l’activité se rétracte, il est du devoir de l’Etat de faire jouer les déficits publics et la dette afin de relancer l’économie. La majorité des pays de l’OCDE a d’ores et déjà mis en place une politique budgétaire expansionniste et renvoyé aux calendes grecques leurs objectifs d’équilibre budgétaire.

C’est la voie à emprunter. La dette publique est nécessaire, elle ne devient excessive que lorsque les taux d’intérêts et d’inflation sont trop élevés. Ce n’est pas le cas présentement. Loin d’être un problème, l’endettement public est actuellement la solution à la crise économique que nous traversons. Mais cette vérité triviale ne semble pas sauter aux yeux de tout le monde.

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