Auto-entrepreneuriat et illusion technophile : faire entendre raison face aux chimères macronistes

Le mirage de l’auto-entreprenariat est-il en train de se dissiper ?

On sait l’année 2024 a connu une vague de défaillances d’entreprises, mais elle a été également une record en création d’entreprises. Ainsi selon les données de l’Insee, plus d’1,1 million d’entreprises créées, soit 5,7 % de plus que l’année précédente. Faut-il voir dans ces chiffres des créations un signe encourageant, alors que 64 % de ces nouvelles entreprises sont en fait créées par des « micro-entrepreneurs », ceux que l’on appelle plus communément les auto-entrepreneurs. D’un point de vue légal, depuis 2016, le terme c’est bien micro entrepreneur, un travailleur indépendant qui facture ses prestations.

Le statut a été mis en place en 2009. Il attire de nombreux « candidats », grâce à ces formalités allégées, un régime fiscal dédié avec un mode de calcul des cotisations et de l’impôt sur le revenu simplifiée. Depuis sa création, le nombre de personnes qui s’inscrivent comme micro-entrepreneur augmente quasiment chaque année, et plus que d’autres régimes d’entreprise. En 2024, ils étaient 716 000 à s’être lancé, 50 000 de plus qu’en 2023, mais avec des profils très divers : on distingue ceux qui adoptent ce statut par opportunité économique et ceux dans une situation subie dans un entrepreneuriat dit « de nécessité ». 40 % des gens qui prennent ce statut le font pour créer leur propre emploi, largement parce qu’au départ ils étaient au chômage, sans activité. Pour 60 % d’entre eux, c’est leur activité principale. Mais quand on regarde les chiffres, le revenu tourne sous les 700€/mois de chiffre d’affaires, très loin du smic.

La multiplication de ces micro-entrepreneurs est donc bien plus le symptôme d’une précarisation du marché de l’emploi que d’un dynamisme entrepreneurial français. C’est une forme, une zone grise de l’économie, qui positionnent ces travailleurs comme des sous-traitants. Cela se pratique dans les transports routiers, dans le service à domicile : des entreprises qui employaient, par exemple, des personnels d’entretien ont demandé qu’elles prennent un statut d’auto-entrepreneur. Une réalité qui représente une part importante, très loin de ce qu’on imagine être l’entrepreneur héroïque et de la start-up nation.

Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Ce statut de micro-entrepreneur n’est pourtant pas qu’une solution choisie faute de mieux, car depuis quinze ans, ce statut de micro-entrepreneur s’inscrit dans les habitudes des Français : ne pas avoir de supérieur hiérarchique ou pour gagner un revenu complémentaire en marge, par exemple, d’un temps partiel (mais là aussi on voit bien l’effet de la précarisation du marché du travail) ; c’est un statut qui peut aussi attirer des jeunes retraités. Il sert parfois d’étape transitoire pour tester une idée avant de la faire croître dans une entreprise plus grosse. Mais pour que cette fonction d’étape transitoire fonctionne, il faudrait renforcer à tout l’accompagnement des micro-entrepreneurs. En moyenne, 40 % des entrepreneurs sont accompagnés, 25 % seulement chez les micro-entrepreneurs ; or les études ont démontré que des entrepreneurs qui ne sont pas accompagnés par des structures ont beaucoup plus de risque d’échouer. Selon une étude publiée par le CREDOC, le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, ces structures sont moins pérennes que les entreprises classiques – un tiers seulement sont toujours actives 5 ans après leur création.

Malgré cela, leur nombre augmente. Fin 2023, l’URSSAF en recensait plus de 2,6 millions, soit 200 000 de plus que l’année précédente.

Retrouver le lien entre production et entreprenariat

Pendant ce temps, le sort des entreprises « classiques » n’est guère plus enviable que celui des autoentreprises. Aggravées par l’incertitude politique créée par la dissolution, les perspectives du secteur productif français, particulièrement son industrie manufacturière, n’en finissent plus d’être revues à la baisse. La productivité reste toujours en-deçà des années d’avant Covid, les investissements fléchissent dangereusement et les usines ferment (une étude conjointe de l’Usine Nouvelle et du réseau France Bleu a recensé 89 fermetures ou restructurations de sites contre seulement 65 ouvertures), tandis que le budget 2025 procède à des coupes massives dans les investissements d’avenir (recherche publique, transition écologique, industries innovantes, logement…).

Dans de telles conditions, les annonces tonitruantes d’Emmanuel Macron à l’occasion du sommet mondial sur l’Intelligence artificielle sont l’arbre qui cache la forêt, celle d’une industrie française qui va mal et que la politique budgétaire récessive du Gouvernement ne fera qu’affaiblir davantage. Vous pouvez d’ailleurs retrouver ci-dessous l’intervention d’Emmanuel Maurel, député GRS, lors des questions d’actualité au gouvernement du 12 février 2025 à ce propos.

Frédéric Faravel et Laurent Miermont

Mettons fin à la complaisance à l’égard d’Elon Musk

La France s’est vue confiée par l’assemblée générale des Nations Unies l’organisation du « Sommet pour l’Action dans l’Intelligence Artificielle (IA) », faisant suite à l’adoption à sa 79ème session du « pacte numérique mondial », et aux sommets pionniers ayant déjà eu lieu en Grande Bretagne en 2023 et en Corée du Sud en 2024. Ce sommet aura lieu à Paris, au Grand Palais, les 10 et 11 février 2025, organisé par le palais de l’Élysée.

La feuille de route de ce sommet est à la fois ambitieuse en définissant des objectifs universels, et pusillanime quant aux moyens à mettre en place. Voici les 5 axes de travail :

  • L’IA au service de l’intérêt général,
  • Avenir du travail,
  • Innovation et culture,
  • IA de confiance,
  • Gouvernance mondiale de l’IA.

Son agenda, et la starisation choisie de personnalité controversées du capitalisme technologique libertarien, interrogent tous les démocrates sincères.

En octobre 2024 la mission de préparation annonce souhaiter « lutter contre le mésusage de l’IA », en « s’appuyant sur un consensus scientifique robuste », notamment pour « lutter contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux. »

Elon Musk est pourtant annoncé comme l’une des stars de l’évènement qu’Emmanuel Macron souhaite utiliser pour redorer son blason, après ses échecs budgétaires, économiques et politiques, et ses deux défaites électorales consécutives.

Le loup est invité à cuisiner le chaperon rouge !

Nous devons, au nom de la décence et de la protection des libertés publiques, interpeller la présidence française, encore une fois.

Le nouveau ministre américain en charge de « la simplification administrative » a toujours été soigné par le président de la République Française, pensant ainsi attirer l’une des sociétés du magnat de la technologie, Tesla, dans notre pays.

Musk a choisi l’Allemagne, mais le président français Macron continue sa danse du paon.

Nous sommes persuadés que la France, par son histoire, son universalisme, les contributions essentielles de ses chercheurs et ses philosophes sur les concepts clés de l’IA, doit être le moteur en Europe des réflexions sur son déploiement, sa régulation : il s’agit d’un enjeu politique crucial, un enjeu de souveraineté, un enjeu vital pour garantir notre indépendance.

Ce que nous refusons avec force, c’est que soit à nouveau déroulé le tapis rouge pour Elon Musk et ses alliés libertariens ! Celui qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde n’est pas seulement le premier allié de Donald Trump : il est devenu un acteur politique toxique, ennemi de toutes les lois limitant son pouvoir absolu, et chantre d’un libertarianisme aussi débridé qu’irrationnel, soutenant les néofascismes européens.

Après avoir déboursé 270 millions de dollars et mis son réseau x et son logiciel d’intelligence artificielle Grok au service de Donald Trump pendant la campagne électorale américaine, il a submergé l’espace médiatique de fausses informations.

Depuis le scrutin de novembre 2024, Elon Musk a insulté publiquement le Chancelier allemand et fait ouvertement campagne pour l’AfD, un parti d’extrême-droite allemand, dont les dirigeants assument leurs inspirations néo-nazies.

Il s’attaque également au gouvernement travailliste britannique, soutenant l’extrême droite anglaise, propageant fausses polémiques et accusations diffamatoires.

Il insulte le chef du gouvernement canadien démissionnaire, soutenant la campagne impérialiste de Trump visant à annexer ce pays, une partie du Danemark, et le Panama.

L’Europe a décidé, lâchement, de faire semblant de ne pas entendre les déclarations pourtant répétées du nouvel exécutif nord-américain.

Les dirigeants politiques attaqués, dont deux social-démocrates, sont seuls face à des campagnes de haine multipliés par les algorithmes trafiqués.

Le patron de Meta Marc Zuckerberg (Facebook, Youtube, Instagram, WhatsApp, etc.) a annoncé se rallier lui aussi à l’alliance idéologique populiste pour inonder les réseaux de contenus manipulant les réseaux sociaux !

Comment inviter des patrons qui déclarent être opposés aux objectifs du sommet ? Ils ne serons là que pour les saboter.

Comme pourraient-ils être encore le bienvenu en France, alors qu’ils s’attaquent à nos intérêts et aux fondements de la démocratie républicaine ?

Elon Musk n’a jamais été un partenaire loyal mais une menace permanente. Aujourd’hui, il attaque ouvertement le principe même de l’égalité devant la loi, les fondements de notre démocratie. Sa prétendue défense de la liberté d’expression est d’une indécence absolue : quelle liberté d’expression reste-t-il quand des multimilliardaires disposent des outils médiatiques les plus puissants pour saturer le débat public de mensonges ?

Musk ne veut pas de liberté d’expression, il veut la liberté de mentir, de diffamer, de propager la haine, avec ses gigantesques moyens financiers comme seules limites.

Qui, une fois pris comme cible par ces hommes riches, opposés aux principes démocratiques, peut espérer faire corriger une accusation mensongère par sa propre voix, sans la protection des lois ?

Musk met toute sa puissance pour saper la démocratie issue de la philosophie des Lumières ; il est parmi nos ennemis.

Le président américain Donald Trump sera présent également. Il n’est pas possible de l’empêcher de participer vu le mandat de l’assemblée générale des Nations Unies. Mais sommes-nous obligés de dérouler le tapis rouge à ceux qui multiplient les déclarations hostiles à nos valeurs, notre démocratie, à l’Europe ?

La Gauche Républicaine et Socialiste demande à la présidence de la République et au gouvernement de tenir enfin un discours de fermeté en direction des principaux dirigeants des multinationales du numérique : les conditions d’exercice de la liberté d’expression ne sont pas marchandables, la protection des médias et de l’information et des citoyens français ne sont pas négociables. La GRS exige que l’Union Européenne consolide l’encadrement législatif des services numériques (DSA) pour protéger les citoyens et nos démocraties de l’incitation à la haine, à la violence et au terrorisme, des manipulation, des opérations de désinformation et des contrefaçons ; la GRS exige que les plateformes numériques soient enfin mises réellement et de manière concrète en face de leurs responsabilités et de leurs obligations en Europe et qu’elles soient sanctionnées quand elles ne les respectent pas.

Nous appelons les organisations démocratiques à faire des propositions communes en ce sens. Nous proposons à l’ensemble des organisations politiques et de défense des libertés à se joindre à elle dans cette exigence et à l’exprimer sur place lors du sommet.

Frédéric Faravel et Mathieu Pouydesseau

Intelligence artificielle : empêchons la dictature de la machine ! – tribune d’Emmanuel Maurel dans Euractiv

tribune publiée le 7 juin 2023 (pour la version anglo-saxonne ici)

Alors que Sam Altman, le PDG de l’IA générative ChatGPT, continue son tour du monde pour demander aux gouvernements de réguler l’intelligence artificielle (IA), le député européen Emmanuel Maurel met en garde contre tous les défis que l’UE aura à relever vis-à-vis de cette technologie de rupture.

L’intelligence artificielle révolutionne l’économie mais menace aussi la civilisation. Pour nous préserver de ce péril, il faudra aller bien plus loin que « l’IA Act » voté la semaine prochaine.

Pas un jour ne passe sans que nous soyons témoins de la progression fulgurante de l’intelligence artificielle.

L’IA est déjà utilisée dans la vie quotidienne : communications, traductions, jeux vidéo, bientôt voitures autonomes, mais aussi systèmes de surveillances de masse… et conflits armés. La possibilité de voir arriver des « robots tueurs » sur le champ de bataille est en effet tout sauf théorique.

Dans une lettre ouverte publiée en mars, un millier de chercheurs et professionnels du secteur demandaient un moratoire de six mois afin d’élaborer une régulation visant à empêcher l’IA d’être « dangereuse pour l’humanité ».

Moins apocalyptique, quoique fort inquiétant : la possibilité de propager de fausses informations à l’aide de photos et vidéos créées de toutes pièces par des IA, presque impossibles à distinguer des vraies.

Dans un contexte d’uniformisation des contenus sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming via les algorithmes, ce genre d’innovation nuira non seulement à la manifestation de la vérité, mais aussi à la culture et sa diversité – et donc à la civilisation.

Il est important de développer un projet éducatif autour de l’intelligence artificielle, ayant pour but d’informer les citoyens sur les risques associés à l’IA, mais aussi de les former à utiliser l’IA de manière responsable et éthique.

Des mesures fortes s’imposent pour encadrer l’IA, particulièrement sur les aspects liés aux droits humains. Est-il par exemple nécessaire de recourir aux technologies de reconnaissance faciale dans le cadre des prochains Jeux olympiques à Paris ?

L’Assemblée nationale, qui a voté en ce sens le mois dernier, aurait dû faire preuve de davantage de prudence au lieu de s’engager sur un terrain aussi glissant pour les libertés fondamentales.

Entretemps, l’Union européenne s’est emparée du sujet et met au point une législation se voulant protectrice et uniforme sur tout le continent, afin d’éviter toute tentation de « dumping numérique ». Les dispositions contenues dans son « IA Act », qui sera soumis au vote du Parlement européen en juin, offrent ainsi une perspective intéressante, insistant sur l’importance du rôle de l’humain dans la supervision de l’intelligence artificielle.

Mais organiser une telle supervision nécessitera que l’Europe se dote d’unités de contrôle fortement qualifiées, or les candidats manquent. De plus, il est nécessaire que l’humain soit en capacité de “débrancher la machine” manuellement, sans besoin de mécanismes informatisés et numérisés.

Qu’il s’agisse du contrôle ou du développement de l’IA, où nous sommes en retard par rapport aux États-Unis et à la Chine, nous n’aurons pas d’autre choix que mettre en place une stratégie extrêmement volontariste pour empêcher la « fuite de cerveaux », redoubler d’efforts pour la formation et pour la consolidation d’un écosystème favorable à l’émergence d’une IA spécifiquement européenne, centrée sur l’humain et sur les principes de liberté et de démocratie.

Un aspect important de cette stratégie est la collaboration entre les entreprises, les gouvernements, les experts en IA ainsi que la société civile, qui doivent travailler main dans la main pour amener une utilisation régulée des intelligences artificielles.

Dans l’immédiat, il nous faut contrer la voracité des géants du numérique, afin de prévenir toute utilisation abusive de l’IA, notamment en matière de protection des données personnelles, d’intrusion dans la vie privée, de désinformation, ou encore d’assurance-santé.

Tout reste à faire pour mettre sur pied une vision spécifiquement européenne de l’IA, à rebours du modèle chinois, mais aussi du modèle américain. Microsoft, qui a énormément investi dans OpenAI, et son « ChatGPT » vient de licencier la totalité de son équipe responsable de l’éthique de l’IA…

Enfin, l’IA risque d’entraîner une déstabilisation sociale massive. Des études récentes pronostiquent que 300 millions d’emplois pourraient être sous-traités par des IA !

Après avoir délocalisé la classe ouvrière en Asie, les multinationales s’apprêtent à remplacer la classe moyenne, y compris la plus diplômée, par des logiciels autonomes. Nos sociétés démocratiques n’y survivront pas. En l’espèce, agir dès maintenant sur le partage du temps de travail et de la valeur ajoutée, ainsi que sur les conditions de travail n’est pas une option, mais une obligation.

Tout doit être fait pour garantir une utilisation responsable et éthique de l’IA, dans l’intérêt des travailleurs et des citoyens européens. Nous ne pouvons pas laisser la machine décider de tout à la place de l’humain.

« Transferts de nos données personnelles aux États-Unis : pourquoi la Commission est-elle si laxiste ? »

Sans sourciller, comme ça, presque entre deux portes, la Commission de Bruxelles vient d’autoriser le transfert des données personnelles des Européens vers les États-Unis. Qui a bien négocié ? Et qui a fermé les yeux ? Et, surtout, est-il trop tard pour faire machine arrière ? Marianne fait le point sur le dossier, alors que la Commission européenne a lancé en décembre dernier un processus d’adoption de la décision d’adéquation* concernant le cadre de protection des données entre l’Europe et les USA. Emmanuel Maurel y revient longuement sur ce dossier.

Qu’est-ce qui a poussé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à passer un accord avec Joe Biden, en septembre, pour que les données personnelles de tous les Européens soient transférées aux États-Unis ? « Cela fait partie des choses que l’on ne s’explique pas, assure Emmanuel Maurel, député européen rattaché au groupe de gauche. Cet accord ne respecte pas le RGPD [Règlement général sur la protection des données] et nous pensions que les Allemands, qui sont très tatillons en matière de droit, s’y opposeraient. Ne mentionnons pas la France, qui parlait d' »autonomie stratégique », d' »indépendance industrielle » et de “cloud européen”. »

Côté américain, l’appropriation de ces données, de tous les éléments se rapportant à notre vie publique comme privée, fait sens. Les Gafam comme les sociétés d’Elon Musk réclament – pour bâtir le nouveau monde de l’intelligence artificielle, qui doit prédire les besoins des individus et, parfois même, les inventer – de disposer des données personnelles d’un maximum d’individus. « C’est l’or noir de ces sociétés : sans lui, Musk ne peut pas construire son rêve poursuit notre eurodéputé. Joe Biden a considéré – c’est tout à fait certain – que les intérêts économiques des Gafam prévalaient sur tout le reste. Il y a forcément un lien entre cet accord et le lancement de cette “intelligence artificielle”. »

Côté européen, l’abandon de cette souveraineté numérique ne répond à aucune logique, au regard des engagements pris, sauf si l’on applique la nouvelle clé de compréhension issue de la guerre russo-ukrainienne. « La Commission européenne, dans sa très grande majorité, considère que l’on a besoin du soutien des États-Unis non seulement pour aider les Ukrainiens, mais aussi pour nous protéger, estime Emmanuel Maurel. Il convient, dès lors, d’être solidaire de leur politique dans tous les domaines. Quitte à prendre des dispositions irréversibles en remettant les questions de fond à plus tard ! » Les pays scandinaves, les pays de l’Est, proches géographiquement de la Russie, sont sur cette ligne, comme l’Italie de Giorgia Meloni, qui se fait d’autant plus atlantiste qu’elle veut légitimer son gouvernement, dominé par l’extrême droite. « N’oublions pas non plus que ce pays – comme l’Allemagne – compte sur les États-Unis pour suppléer ses besoins en gaz » renchérit Philippe Latombe, député MoDem.

ADIEU LE CLOUD EUROPÉEN

Les entreprises européennes participent également de ce soutien à la politique économique américaine. La SAP SE, société allemande en pointe dans le domaine du progiciel, veut développer ses relations avec les sociétés américaines dont elle est le fournisseur. « Elle pèse d’autant plus fort sur son gouvernement que l’Allemagne fonctionne en écosystème ouvert avec ses entreprises, à la différence du système français, où tout cela est plus feutré » considère Philippe Latombe. Et le français Thales, qui vient de racheter OneWelcome, un logiciel de gestion des identités et des accès clients, outil essentiel dans le monde de la cybersécurité, serait aussi favorable à l’accord Biden-von der Leyen. Une société de cyber­sécurité doit théoriquement exploiter le plus de données personnelles possible pour être efficace. Si l’on sait que 42 % des entreprises françaises sont dotées aujourd’hui d’un système de protection cyber et que 72 % le seront dans dix ans, la position de Thales s’explique mieux. « N’oublions pas non plus que Thales a passé un partenariat avec Google pour créer un cloud de confiance, ce qui condamne la naissance d’un cloud européen pourtant appelé de ses vœux par Emmanuel Macron. Le mal était déjà fait » tranche Emmanuel Maurel. Cap Gemini et Orange, qui ont également passé un accord avec Microsoft en vue de créer un cloud de confiance, ne sont pas non plus hostiles à cet arran­gement. Pour leur défense, ces sociétés françaises assurent qu’elles conserveront la maîtrise de la clé d’accès à nos données.

Isolée sur la question, la France reste donc bien silencieuse sur ce dossier crucial. Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, que l’on a vu plus bavard sur le sujet, n’a pas fait connaître sa position. On sait seulement qu’il ne veut pas participer aux négociations informelles menées par Valdis Dombrovskis, commissaire en charge de l’Économie et du Commerce, et par la vice-présidente chargée du Numérique, Margrethe Vestager, avec les Américains Antony Blinken, secrétaire d’État, et Gina Raimondo, secrétaire au Commerce. Breton ne cautionnerait pas ces rencontres, qui se déroulent en dehors de tout mandat délivré par les États membres. Un peu de courage politique ne nuirait pas. Il est tout de même question de commerce mondial, de normes technologiques et d’administration des données. Rien ne semble donc contrarier l’adoption, au début de 2023, d’un accord dit « d’adéquation » sur le transfert des données. Celui-ci sera d’autant plus facile à mettre en œuvre qu’il ne répond pas, contrairement à un accord commercial, à la règle de l’unanimité.

Le terme « adéquation » prête d’ailleurs à sourire, car il suggère qu’il puisse y avoir convergence entre le droit américain et le droit européen. Ce qui n’est pas le cas. Cela provoque donc des réactions. Ainsi, Maximilian Schrems, l’avocat autrichien qui a fait invalider par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) deux accords précédents ­passés avec les États-Unis sur le même thème, le « Safe Harbor », en 2015, et le « Privacy Shield », en 2020, déclare : « On a vraiment l’impression que la Commission européenne prend sans cesse des décisions identiques sur la question, en violation de nos droits fondamentaux s’emporte le défenseur européen de la vie privée, fondateur de l’association None of Your Business (« Ce n’est pas votre affaire »). Je ne vois pas comment tout cela pourrait survivre à l’examen de la Cour de Justice. C’est un peu comme si les banques suisses vous disaient : “Donnez-nous votre or”, et que, une fois que vous leur auriez transféré, elles vous informeraient que vous n’avez plus aucun droit dessus car vous êtes étranger. » Me Schrems précise en guise d’explication : « Nous avons un conflit de juridictions : l’une, européenne, qui demande la protection de la vie privée ; et l’autre, américaine, qui prône la surveillance. Les sociétés qui gèrent les centres de données sont broyées entre les deux systèmes. » Et le député européen Emmanuel Maurel de renchérir : « Depuis l’adoption du Patriot Act, nous ne sommes plus certains que nos droits fondamentaux soient respectés par les États-Unis. Nous n’avons pas, avec les Américains, la même notion de ce que l’on appelle la sécurité. Nous n’avons pas, en conséquence, assez de garanties sur les protections et les droits de recours. Aux États-Unis, quand vous saisissez la justice sur ces problèmes de protection de données, vous devez saisir au préalable un médiateur, qui est un fonctionnaire des services des renseignements. » Me Schrems prédit : « La surveillance de masse va continuer, mais, à la fin, l’opinion de la CJUE l’emportera et tuera une nouvelle fois cet accord. »

LE PIÈGE PARFAIT

Le temps de la justice n’étant pas, et de très loin, aligné sur celui des technologies, 90 % des données personnelles des Européens auront été transférées aux États-Unis quand la Cour rendra son verdict. C’est le piège parfait, celui qui ne laisse aucune échappatoire, mais donne l’impression qu’on nous a donnés, à nous, les Européens, notre chance. Il sera alors certain que les entreprises du Vieux Continent ne voudront plus changer leurs modes de fonctionnement, leurs codes sources, investir du temps et de l’argent pour rapatrier et gérer les données personnelles. « C’est pourquoi je demande que des préconisations soient prises au moment où nous saisirons la Cour afin d’empêcher que le transfert des données soit irréversible, souhaite Emmanuel Maurel. À écouter les députés, aussi longtemps que le conflit russo-ukrainien perdurera, cela ne pourra pas être le cas. »

ON NE BADINE PAS AVEC LE CONSENTEMENT

Accepter de partager ses données personnelles, c’est permettre à des entreprises de connaître l’intégralité de sa vie. Famille, réseau d’amis, déplacements, loisirs, situation médicale, maritale, tout peut être connu à partir de la géolocalisation, de l’historique de recherche, de la lecture des courriels comme des messages postés sur les réseaux sociaux. Sur le marché mondial des données personnelles, ces informations ont un prix. Les sociétés qui les achètent les utilisent pour vendre de la publicité, des produits ou pour influencer des choix culturels et politiques. En acceptant l’installation de cookies, c’est-à-dire de fichiers espions, l’internaute autorise que sa personnalité, sa vie dans toutes ses composantes, soit vendue aux enchères à des sociétés qui vont la monnayer. L’obtention du consentement exigé par le Règlement européen sur la protection des données est la seule garantie dont l’internaute dispose. Google avait installé sur les 310 millions de téléphones Android un identifiant unique facilitant l’envoi de publicités ciblées sans que les internautes puissent s’y opposer, mais la firme de Mountain View a dû renoncer à l’exploiter pour respecter le droit européen, suffisamment exigeant en la matière. En janvier 2022, la Commission de la protection de la vie privée, autorité belge de protection des données, dont la décision s’impose à toutes les Cnil en vertu du principe du « guichet unique », a exigé que le consentement de l’internaute ne soit pas obtenu par défaut, sans que celui-ci soit clairement informé. Si tel est le cas, toutes les données recueillies à son insu doivent être supprimées.

Oui, Madame Lagarde, les cryptomonnaies sont dangereuses : il était temps que vous ouvriez les yeux !

communiqué de presse – mercredi 23 mars 2022 – 20h50

Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) ce mercredi 23 mars a déclaré à l’occasion d’un forum sur l’innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI), que, parmi toutes les catégories d’actifs numériques, « les crypto-actifs me préoccupent le plus dans le contexte russe ». Selon elle, les cryptomonnaies, qui échappent au système bancaire traditionnel, sont « certainement utilisées comme moyen pour essayer de contourner les sanctions qui ont été décidées par de nombreux pays à travers le monde contre la Russie et des acteurs spécifiques ». Particuliers ou entreprises russes « essaient évidemment de convertir leurs roubles dans les crypto-actifs », a relevé Christine Lagarde, notant que les volumes de roubles convertis atteignaient un niveau particulièrement élevé depuis les sanctions imposés par les Occidentaux. La présidente de la BCE a d’ailleurs demandé aux entreprises du secteur de ne pas devenir « complices » de ces opérations.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette prise de conscience soudaine de la nocivité des crypto-monnaies :

  • elles sont un outil hautement spéculatif, largement, si ce n’est totalement, déconnecté de l’économie réelle et elles accroissent les risques de bulles financières qui déstabilisent potentiellement les activités utiles ;
  • en l’absence d’une quelconque régulation, elles ouvrent la voie à de nombreuses activités illégales voire maffieuses ;
  • elles s’appuient sur un modèle écologique insoutenable, la dépense d’énergie nécessaire pour faire tourner le système étant largement disproportionné ;
  • enfin la fable d’une potentielle disruption des secteurs bancaire et financier, chère aux illuminés libertariens, ne tient pas ; les cryptomonnaies posent de graves problèmes de déflation, en raison de la rigidité de son processus de création monétaire et d’une création monétaire qui ne s’ajuste pas aux besoins en liquidités.

Pour résumer, les crypto-monnaies sont souvent fantasmées comme les nouveaux outils d’un monde libertaire cyber-numérique, alors qu’elles ne sont en réalité qu’un nouvel avatar du capitalisme dans tout ce qu’il a d’égoïste et de prédateur.

La Gauche Républicaine et Socialiste s’étonne qu’il ait fallu attendre un contexte de tension intense avec la Russie, résultant de l’invasion illégale de l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine, pour que les plus grand(e)s responsables financiers de la planète commencent à ouvrir les yeux sur ce dossier.

Elle rappelle qu’elle défend un programme radical mais nécessaire qui s’appuie sur trois mesures principales :

  • Taxe sur les transactions financières et sur le numérique ;
  • Interdiction du minage du Bitcoin et de toute cryptomonnaie privée ;
  • Interdiction de tout paiement au moyen de ces cryptomonnaies.

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