L’extrême droite n’arrive jamais au pouvoir par accident

On a trop souvent expliqué que la seule fois où l’extrême droite avait pris le pouvoir en France, ce fut à cause de la défaite et comme bagage accompagné de l’occupant nazi en 1940. Notre camarade Frédéric Faravel redessine en détail la perspective historique en rappelant que cette prise du pouvoir avait été en réalité longuement préparée. Prenez vous aussi le temps de lire.

Le 23 novembre 2024, à l’occasion des 80 ans de la libération de Strasbourg (le but ultime et symbolique de la chevauchée de la colonne Leclerc commencée en janvier 1941 au Tchad[1]), le Président de la République a annoncé sa décision de faire entrer au Panthéon l’historien Marc Bloch.

Cet événement à venir s’inscrit dans un contexte politique particulier et dans une histoire longue. Elle doit être l’occasion pour nous d’une réflexion renouvelée, fondée sur l’expérience historique qui peut raffermir nos convictions et nous inciter à réagir.

Pourquoi Marc Bloch ?

Marc Bloch

Ancien combattant de la Grande Guerre, Maître de conférences en 1919, puis Professeur d’histoire médiévale à la faculté de Strasbourg en 1927, il fonde avec Lucien Febvre en 1929 la revue des Annales d’histoire économique et sociale ; au-delà de cette revue, c’est bien une école historique que ces deux historiens monumentaux ont fondée, l’École des Annales, dont la renommée dépassa dès cette époque largement les limites de l’Europe. Ses deux ouvrages les plus connus sont Les rois thaumaturges et L’étrange défaite, ouvrage de référence sur la bataille de France et les racines de l’effondrement militaire et moral de notre pays en mai-juin 1940[2].

Ce livre poignant et lumineux a été rédigé de juillet à septembre 1940 ; caché pendant l’occupation, il sera publié pour la première fois en 1946, aux éditions Franc-Tireur.

Profondément républicain, il s’engage définitivement dans la clandestinité en novembre 1942, au sein du mouvement de résistance Franc-Tireur en zone sud (il en est le responsable pour la région lyonnaise), puis dans les Mouvements unis de la Résistance (MUR). Arrêté en mars 1944 par la Gestapo, torturé, il ne parlera jamais et sera exécuté dans le dos avec 27 autres résistants le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans dans l’Ain.

Évidemment, c’est à ce parcours résistant et républicain autant que pour la renommée de l’école historique française que Marc Bloch doit son entrée tardive au Panthéon. Il ne fait pas grand doute qu’Emmanuel Macron y voit une opération de communication politique qui, comme pour la panthéonisation de Missak Manouchian (de son épouse et de son réseau) ou celle de Joséphine Baker, vise à le situer du bon côté de l’histoire, celui de la lutte contre le fascisme, alors même que les conséquences de son action et de sa tactique politiques peuvent être largement interrogées au regard du bond électoral de l’extrême droite et de l’affaiblissement du « cordon sanitaire » vis-à-vis du Rassemblement National.

L’étrange défaite, donc, plutôt que Les Rois thaumaturges… cet ouvrage nous éclaire par la méthode systématique que l’historien mobilise pour faire une sorte d’histoire du temps présent et comprendre les causes profondes sociales, morales, militaires et politiques qui conduisirent non seulement à la défaite militaire, mais surtout à l’absence de volonté de rebond (en dehors de la rupture et du « sursaut désespéré » du Général De Gaulle) et à l’effondrement de la République. Alors qu’il est convenu de répéter que jamais l’extrême droite n’a pu s’emparer en France du pouvoir si ce n’est par le truchement de la défaite militaire, comme un bagage accompagné de l’occupant barbare. Marc Bloch écrivait déjà à l’été 1940 que ce n’était pas tout à fait le cas et, dès 1946, les Français et leurs dirigeants en le lisant n’avaient pas d’excuses pour se rassurer à peu de frais.

Pourquoi aujourd’hui ?

Il y a parfois des télescopages d’actualité bienvenus… Le 18 octobre 2024, à peine un peu plus d’un mois avant l’annonce de la panthéonisation prochaine de Marc Bloch, paraissait en librairie un ouvrage au titre évocateur : Une étrange victoire, co-écrit par le philosophe Michaël Foessel et le sociologue Étienne Ollion[3]. Ils y décryptent ce qui semble être l’(ir)résistible montée de l’extrême droite en France comme en Europe, chronique d’une victoire annoncée, résultant d’un brouillage des coordonnées politiques de la démocratie contemporaine, de l’affaiblissement du clivage entre la gauche et la droite, de l’abandon d’une mémoire commune ou de l’affaissement du débat public. Ils dévoilent la stratégie du RN, celle de rendre méconnaissable un courant qui, pour l’emporter, a besoin d’être méconnu ; ainsi ce ne seraient pas tant les idées de l’extrême droite qui auraient triomphé que son infra-politique, faite d’un prétendu bon sens et de valeurs nationales accommodées au goût du jour. Face à cette morale identitaire, les auteurs proposent de réinvestir une politique de l’égalité.

Le parallèle avec le livre de Bloch est volontaire : pour les auteurs, Marc Bloch évoque tous les petits déplacements, petits changement au sein des élites politiques, de l’armée, des intellectuels de l’université, des relations entre les classes pour conclure que la défaite de 1940 est autant la conséquence du rôle du IIIème Reich que du rôle de la France, alors que Bloch est un amoureux de la France. En parallèle, si on veut comprendre aujourd’hui comment le RN et, plus largement, l’extrême droite réussissent à s’imposer, sinon dans les idées, en tout cas en arrivant aux portes du pouvoir, il faut regarder tous les petits déplacements qui ont eu lieu, tous les renoncements qui se produisent encore. Il faut se dire que quand il y a normalisation[4] de l’extrême droite, ce n’est jamais de son seul fait.

Je ne proposerai pas dans les lignes qui vont suivre de décortiquer l’ensemble des mouvements qui ont progressivement servi la cause d’une extrême droite désormais aux portes du pouvoir. Il s’agit ici de faire œuvre pédagogique et d’expliquer pourquoi il faut en finir, au moment où l’extrême droite et même des néonazis retrouvent pignon sur rue dans tous les pays d’Europe que l’on pensait vaccinés par l’histoire, avec cette fausse idée selon laquelle l’accès de l’extrême droite au pouvoir serait un accident de l’histoire. Il s’agit de dire que nous devons l’éviter bien sûr, mais que nous pouvons l’éviter, à condition de réagir et de contrecarrer les glissements. Il me paraît donc utile, dans cette optique, de rappeler ce que le travail historique et politique a mis à jour sur la préparation de l’extrême droite à sa prise du pouvoir. En 1940, elle n’était pas arrivée par hasard ou par défaut.

Vichy et l’extrême droite au pouvoir, un simple rejeton de la « Cinquième colonne » ?

La « Cinquième colonne » est un mythe politique récurrent dans l’imaginaire complotiste français. L’expression désigne un traître embusqué à l’intérieur d’un pays ou d’une armée, prêt à se réveiller pour prendre à revers lors d’une attaque extérieure. Et pourtant cela n’a rien d’un bobard, si on veut bien lui donner la forme et la proportion qui convient. L’expression elle-même a été inventée par les franquistes, au moment de la guerre d’Espagne pour désigner ceux de leurs partisans qui demeuraient dans Madrid, tenue par les Républicains, aidaient en secret les quatre colonnes militaires de Franco assiégeant la capitale espagnole.

Pour beaucoup, la « Cinquième colonne », c’est d’abord cette célèbre affiche de Paul Colin où on lisait « Silence, l’ennemi guette vos confidences » : le gouvernement souhaitait alerter les Français que des agents ennemis étaient infiltrés dans la population et renseignaient les nazis en vue de la guerre prochaine.

La déstabilisation du moral des populations civiles est une stratégie éprouvée, on la voit à l’œuvre dans toutes les guerres modernes, aujourd’hui encore.

Ainsi dès l’offensive du 10 mai 1940, les opérations militaires allemandes ont été accompagnées de telles manœuvres de déstabilisation, ainsi de mystérieux coups de téléphone aux autorités locales (mairies, gendarmeries, préfectures, sous-préfectures…) censés venir de l’état-major demandant que la population civile évacue les villes et les villages frontières du nord. Et si ça n’allait pas assez vite, la Luftwaffe bombardaient un petit peu. Résultat : la panique. Une panique qui a précipité des milliers et des centaines de milliers de gens sur les routes. On cassait le moral de la population, mais surtout – c’était là l’essentiel – on gênait la progression des troupes françaises sur des routes totalement encombrées par ces colonnes de voitures, de charrettes surchargées de meubles, d’ustensiles, de cuisine. Enfin, tout ça circulait en sens inverse : le premier exode est donc le résultat concret de l’action de la « Cinquième colonne », où comment les propagateurs des fake news d’aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que ce soit les « usines à trolls » russes ou la sphère conspirationniste trumpiste, n’ont rien inventé.

Il suffisait d’un tout petit nombre d’agents pour organiser cette horrible confusion. La croyance dans cette cinquième colonne était aussi importante que son existence même ; il fallait que les Français soient persuadés que les agents ennemis étaient partout et qu’il était donc urgent de fuir toujours plus loin, puisque la catastrophe est inévitable. Les exemples sont divers… On peut parler de l’inconnu qui affirme avoir vu un parachutage de soldats allemands ; aussitôt la garnison locale se met en chasse et perd un temps précieux à chercher ces fameux parachutistes imaginaires, alors que le vrai danger lui vient d’ailleurs. La psychose amplifie le phénomène : dans un village normand ou picard, soudain, un coup de feu éclate « ce sont forcément les Allemands ! » Immédiatement, c’est la panique : les habitants empilent leurs biens sur des brouettes chariots, des tombereaux. On fuit comme on peut, on se lance sur les routes et ce flot de fuyards retard tout simplement une unité qui montait au front… Il y a quand même eu un coup de feu, mais il avait été tiré par une brave femme qui avait tout simplement tué son chien malade.

Prenons un article paru dans Le Figaro 15 juillet 1940, quelques semaines donc après la débâcle, un officier raconte, je le cite : « Tel individu, sur la route de Cambrai à Bapaume, criait à l’approche des Allemands, ce qui était inexact, mais l’ébranlement de tous sous quelques bombes et le passage de formations massives d’avions donnait à sa parole tout crédit. Ces récits de panique vidaient à la lettre le village, mobilisait la population pour l’exode. Avec elle, l’employé des postes, dont le départ privait l’armée de l’usage des liaisons téléphoniques, ou l’employé de gare, dont la présence au poste d’aiguillage est nécessaire à la montée des renforts. Une virulente contagion faisait son œuvre, tout cédait et se décomposait. La fausse nouvelle de l’approche de l’ennemi faisait refluer les camions de ravitaillement d’une compagnie du train et sur les routes embouteillées par la cohue, des services sanitaires et même des batteries d’artillerie, privées de liaison avec les états-majors, cédait à l’énorme courant des civils. Il cédait sous la parole d’un inconnu. À la crainte d’être fait prisonnier avec leur matériel, ils se repliaient. »

Bien… Des agents ennemis, en petit nombre, infiltrés en France. C’était « de bonne guerre » me direz-vous, pas de quoi nourrir une thèse sur une immense trahison qui aurait conduit le pays à sa perte.

La réalité, c’est que si la France a été écrasée en mai-juin 1940, c’est en toute connaissance de cause… et bien entendu, cela n’a rien à voir avec les arguments classiques de l’extrême droite et de Vichy qui ajoutèrent à l’incompétence (probable) de l’état-major l’odieuse fable du gouvernement de Front Populaire ayant volontairement sous-estimé la militarisation allemande pour ne pas donner les moyens nécessaires à notre industrie de l’armement.

Léon Blum a réduit en miette ces élucubrations lors du procès que Vichy lui intenta à Riom : son gouvernement avait lancé un plan quinquennal de réarmement en découvrant en juin 1936 l’état de délabrement et d’impréparation de l’armée française après 15 ans d’application des méthodes et théories des adulateurs de Philippe Pétain.

Je ne ferai offense à personne en évoquant les autres arguments des réactionnaires et des fascistes sur la valeur travail ou l’immoralité du Front Populaire. Or s’il est un service français qui n’a pas failli avant 1940, c’est celui du renseignement.

Les services de renseignements français étaient informés de tous les préparatifs allemands en vue de la guerre et leurs manigances à l’intérieur même de nos frontières, c’est-à-dire de l’action pernicieuse des agents d’influence pro-nazis : le chef d’orchestre en était le diplomate Otto Abetz, qui représente le IIIème Reich à Paris de 1938 à 1939 et y mettra à profit ses relations soigneusement tissées dès le début des années 1930 avec les milieux pacifistes français de tous bords. Il est le créateur, l’inspirateur du comité France Allemagne, qui regroupait des gens comme Jules Romains, Jacques Benoist-Méchin, Pierre Drieu La Rochelle, Bertrand de Jouvenel ou même Sacha Guitry.

Otto Abetz

Ils n’étaient pas forcément pro-nazis, mais tous étaient germanophiles et ont tous contribué, parfois malgré eux d’ailleurs, la pénétration des idées des nazis. Rappelons que dans les milieux conservateurs, on se disait que faire les yeux doux à Hitler, c’était la meilleure façon de repousser Staline. Il y avait également des journaux ouvertement pro-hitlériens, comme Je suis partout, dont Ribbentrop disait « c’est ma trompette », sans compter ceux qui touchaient des enveloppes pour écrire des articles favorables à l’Allemagne nazie. Le contre-espionnage et les services de renseignements n’étaient pas inactifs : ils savaient qui travaillait pour Abetz, ils avaient mis à jour ses réseaux, ses agents. Le lieutenant-colonel Rivet (chef du Deuxième bureau[5]) et le capitaine Paillole (n°2 du contre-espionnage) réussirent en juin 1939 à accumuler suffisamment de preuves sur les menées d’Otto Abetz pour enfin le faire expulser de France. Mais c’était seulement une initiative du Deuxième bureau : ce fut le tollé Daladier, le président (radical) du conseil, mais aussi le général Maurice Gamelin, chef d’état-major de la défense nationale, et d’autres encore, tous protesté contre l’expulsion, menaçant de faire muter Rivet : comment pouvait-on oser expulser un diplomate allemand, notoirement francophile, marié à une française ? Ils ne se turent qu’à l’exposé accablant du dossier…

Aveuglement ou trahison ? Dans tous les cas, l’expulsion d’Otto Abetz[6] avait provoqué beaucoup d’émois en France et le gouvernement français d’alors aurait préféré que cette mesure d’expulsion rapportée ; pacifistes intégraux et partisans de l’Allemagne accusaient les fauteurs de guerre d’être à l’origine de cette expulsion. Pour en revenir à l’entreprise de propagande des Nazis en France, voici ce qu’écrit Henri Navarre[7] dans un livre dont il est l’un des co-auteurs Le service de renseignement[8] : « La cinquième colonne n’était pas, comme on l’a souvent cru, de nature militaire. Elle était politique, idéologique, intellectuelle, journalistique, mondaine. Elle avait ses représentants dans tous les milieux. Par l’anesthésie du moral de la nation et par l’affaiblissement de la volonté de défense qu’elle contribuait largement à provoquer, elle allait être l’une des causes de notre défaite. »

Hans-Thilo Schmidt

Autre preuve du travail des services de renseignement français et des informations dont disposaient le cœur du pouvoir plusieurs années avant la guerre sur les préparatifs nazis… il s’agit du cas de Hans-Thilo Schmidt, ancien combattant allemand de la première guerre mondiale, décoré de la Croix de Fer, victime des gaz dans les tranchées : le handicap physique qu’il en garda lui avait valu de rester assez longtemps au chômage ; il avait fini par trouver un emploi au service du chiffre au ministère allemand de la guerre, pas très glorieux mais surtout très mal payé.

Et malgré son adhésion au parti nazi, Schmidt végétait ; c’était un aigri qui comparait sa situation à celle de son frère Rudolf, qui faisait une carrière absolument prometteuse dans l’armée allemande, puisqu’après avoir enseigné à l’école de guerre, il deviendra même général et commandant de la première division blindée de la Wehrmacht. Ce déçu du NSDAP pour obtenir de l’argent prend fin 1931 contact avec les services français. Sa situation au bureau du chiffre en faisait pour le Deuxième bureau une recrue de choix. Il offre de communiquer aux services français le mode d’emploi des machines Enigma, ces pré-ordinateurs qui rendent indéchiffrables les transmissions militaires allemandes et sur lesquelles les services français, britanniques ou polonais se cassent les dents depuis longtemps. En collaboration avec les services polonais plus avancés sur le sujet, les services français cassent donc le code Enigma dès 1933, et les alliés pourront avec quelques adaptations accéder aux communications militaires allemandes durant toute la seconde guerre mondiale[9]. Schmidt ne se contente pas de fournir des renseignements sur Enigma. Grâce à son frère, qui ignore sa trahison, dès août 1932, il avertit ses contacts français du réarmement clandestin de l’Allemagne (formation de pilotes, construction d’avions, de sous-marins et de torpilles, recherches sur les armes chimiques…) ; en août 1933, il informe la France des intentions d’Hitler sur le corridor de Dantzig ; en janvier 1934, il signale l’ouverture de camps de concentration ; en janvier 1936, il avertit de l’intention d’Hitler de réoccuper la rive gauche du Rhin, ce qu’il fera 6 semaines plus tard (il précise également que Hitler joue là un coup de poker et qu’il se retirera immédiatement si la France résiste militairement) ; le 6 novembre 1937, il fait passer le compte rendu d’une réunion où Hitler a exposé son calendrier d’invasion de l’Europe (Autriche et Tchécoslovaquie en 1938, Pologne en 1939, France et Benelux en 1940), mais ces informations sont jugées peu fiables par les dirigeants civils et militaires français (Daladier, Pétain, Cot, Gamelin, Campinchi…). Pourtant, Schmidt annonce l’Anschluss 15 jours avant sa réalisation, l’invasion des Sudètes dès août 1938 (soit six semaines avant les accords de Munich), puis les plans de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Le 10 mars 1940, il révèle que Hitler attaquera par les Ardennes en direction de Sedan lors de la bataille de France. Encore une fois, ces informations seront ignorées.

Plutôt que la trahison, on peut supposer que l’incompétence, qualité la mieux partagée au sein des dirigeants de l’état-major français des années 1930 (ce que rappellera à longueur d’essais et de mémoires le général De Gaulle), est en cause. On prête à Michel Rocard la citation « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. » Soit… On peut pourtant supposer que la « Cinquième colonne » sévissait au sommet. Schmidt alerte en juin 1939 les services français qu’Hitler a programmé pour la fin août 1939 l’invasion de la Pologne, avec laquelle nous étions liés par un traité d’assistance. La note est transmise au gouvernement mais de manière édulcorée : on n’y parle pas d’attaques, mais de tensions possibles. Au sein de la hiérarchie militaire, on comptait des officiers, issus du sérail de Philippe Pétain, qui dédaignaient depuis une dizaine d’années les alliances orientales de la France (positions défendues dans des essais publiés avec la Préface du « héros de Verdun »). Malgré le renouvellement de pure forme en 1934 sous sa tutelle des engagements envers la Pologne pour empêcher la signature d’un « pacte de non-agression »[10] entre notre allié et le IIIème Reich, le Maréchal et ses émules ont fait le choix d’une stratégie purement défensive privilégiant la ligne Maginot, convaincus que l’Allemagne n’osera pas directement attaquer la France. Il faut donc minimiser les alertes pour ne pas risquer ses forces et son sang à sauver la Tchécoslovaquie ou la Pologne.

Hans-Thilo Schmidt finira par être découvert par l’exploitation des documents que les services de renseignement allemands avaient tranquillement récupéré le 14 juin 1940 en entrant dans Paris : ils ont trouvé intact tous les fichiers des ministères, y compris ceux de la Sûreté Rue des Saussaies ; quant aux archives du haut commandement français, elle se trouvait dans un wagon plombé une gare de région parisienne à portée de main des Allemands qui ont découvert qu’ils étaient espionnés depuis des années ; le reste n’aura été qu’une enquête policière classique. Plusieurs années plus tard, le colonel Paillole témoigna : « Je ne cherche nullement à dégager notre maison de toute responsabilité dans le maigre bilan tiré en haut lieu de son travail et de ses avertissements. Mais est-il sûr que la vérité, parvenue toute nue au sommet eut modifié le comportement des hommes ? »[11]

Par tous les moyens – trahison comprise – parvenir au pouvoir

La défaite de 1940, résultat conjugué de l’incompétence de l’état-major, de la propagande et de l’espionnage nazis et de la « Cinquième colonne ». Sans doute… Mais elle a été également été accueillie, si ce n’est applaudie par un courant politique qui n’a pas ménagé ses efforts pour accéder au pouvoir et y pousser ses soutiens et ses complices. Avant de profiter de « l’effet d’aubaine » de l’effondrement militaire et politique de la IIIème République en juin 1940, l’extrême droite a patiemment placé ses pions et parfois tenté de forcer le destin. Et c’est armé d’un projet que ce courant a, avec le Maréchal Pétain, mis en place (avec la complicité d’opportunistes et de pleutres) le régime de Vichy, sorte de synthèse à la française de fascisme, de réaction, d’antisémitisme, de traditionalisme et de nationalisme étroit.

Ce que d’aucuns appelleraient complot, on pourrait tout simplement le nommer projet et stratégie politique dans les profondeurs glauques de la politique et de la haute finance avec un but, un seul : en finir avec la République et donc installer un régime autoritaire et anti-démocratique comme en Italie, comme en Allemagne ou en Espagne, dont la place dans l’affaire n’est pas mince. Pourtant le mot de « complot » n’est pas non plus une vue obsessionnel de l’esprit : au sujet des événements de 1940, dans l’acte d’accusation du Maréchal Pétain figurait explicitement ce mot de « complot », mais il faut bien reconnaître qu’en 1945, les magistrats de la Haute Cour de Justice n’ont forcément voulu en établir la matérialité.

Sans doute parce que Philippe Pétain n’a pas été directement l’instigateur du projet, mais découvrant l’ambition politique sur le tard, il a chevauché par opportunisme et progressivement adopté l’idéologie de tous ceux qui ont vu en lui un moyen d’arriver. Au passage, notons qu’on n’a jamais trop su ce que pensait réellement cet officier devenu général le 31 août 1914 et qui aurait dû prendre sa retard au début du mois d’août. Il lui a suffi pour passer pour « républicain » de ne pas s’afficher royaliste ou antidreyfusard, d’être un homme à femmes, de s’être marié sur le tard à une femme divorcée et de ne pas aller à la messe

Philippe Pétain vers 1915

Ajoutez à cela la légende qu’il a construite, après avoir « vaincu » à Verdun en 1916, faisant croire qu’il était un chef militaire magnanime (alors qu’il envoya au peloton d’exécution des dizaines de soldats français) et économe du sang de ses troupes, pour passer pour un Maréchal humaniste. Instigateur non, mais bénéficiaire ravi oui assurément.

Le 9 juin 1940, la Wehrmacht a franchi l’Aisne la veille, Paris et menacé d’encerclement, partout sur le front, c’est la débâcle et nos propres forces sont paralysées par l’exode (dont nous avons parlé plus haut). Quant au gouvernement, qui est encore présidé par Paul Reynaud, il ne pense qu’à une chose : quitter Paris et rejoindre ensuite l’Afrique du Nord pour continuer la lutte comme le plaide auprès du Président du conseil le tout nouveau Sous-secrétaire d’État chargé de la défense nationale et de la guerre, Charles De Gaulle (général de brigade à titre temporaire pour accompagner son accession à ce poste ministériel le 6 juin), nommé pour circonscrire la pusillanimité d’Édouard Daladier, ministre radical de la défense nationale.

Ce 9 juin, un homme clé de la politique française disparaît, pendant six jours on ne sait pas où il est : il s’agit de Pierre Laval, ancien président du conseil, sénateur influent.

En présence de Benito Mussolini, Pierre Lava, ministre des affaires étrangères, l signe le 7 janvier 1935 à Rome l’accord entre la République française et l’Italie fasciste sur les frontières entre les colonies africaines des deux pays (entre le Tchad et la Libye notamment).

Laval a pris la direction de l’Italie. Or c’est le 10 juin que Mussolini déclare la guerre à la France. C’est donc en réalité chez l’ennemi, puisqu’il ne fait plus de doute qu’il est prévu que le Duce « vole au secours de la victoire » nazie que se rend Pierre Laval, un ennemi qu’il fréquente d’ailleurs de très longue date, puisqu’il a toujours été un des plus farouches partisans d’un rapprochement avec l’Italie fasciste.

Il doit rencontrer secrètement Mussolini près du col du Brenner où les rejoint Adolf Hitler et les trois hommes « signent » la mort de la République française. En effet, trois jours plus tard qu’en plein conseil des ministres, Philippe Pétain, vice-président du conseil, va assassiner le gouvernement en s’en désolidarisant. C’est ce qu’on appellera plus tard un « coup d’état en douceur », coup d’état qui a été mis au point en Italie entre Mussolini, Hitler et Laval. Cette rencontre a été clairement évoquée lors du procès de Laval devant la Haute Cour. D’après Fred Kupferman, biographe de Pierre Laval[12], un diplomate portugais a affirmé avoir vu le sénateur sur le quai d’une gare de Milan le 10 juin 1940 et peu après, dans la même gare, il y aurait croisé le Comte Ciano, gendre du dictateur italien, qui lui a confié que Laval venait de rencontrer secrètement Hitler et son beau-père.

Coïncidence troublante, au soir de ce même 9 juin, Pétain disparaît momentanément de la circulation ; il est le premier membre du gouvernement à quitter la capitale. Il ne reparaît que 4 jours plus tard le 13 juin lors de la réunion du conseil des ministres au Château de Cangé (Indre-et-Loire), pour y lire un texte qui réclame l’armistice et ébauche très explicitement le futur programme de la Révolution Nationale, un texte qu’il n’a manifestement pas écrit lui-même : tout le monde le savait à l’époque, Pétain n’écrivait pas, on écrivait pour lui. Mais il faut décrire la mise en scène, finalement très téléphonée. Le conseil des ministres s’ouvre dans une atmosphère de panique : Reynaud vient à nouveau de supplier Roosevelt d’entrer immédiatement dans la guerre et les Américains, à nouveau, se dérobent ; soudain, le généralissime Weygand avoir reçu de Paris un message, selon lequel Maurice Thorez va s’installer à l’Élysée. C’est absurde mais chacun est frappé de stupeur ! Georges Mandel, le ministre de l’intérieur, prend immédiatement les choses en main, il donne quelques coups de fil à Paris et dément avec vigueur les informations de Weygand. Mais chacun sent bien au conseil qu’il y a de la manipulation dans l’air ; on craint même un putsch militaire en préparation. C’est alors que le Maréchal Pétain prend la parole, il a un papier à la main ; comme la salle est mal éclairée, il va jusqu’à une fenêtre et lit son texte. Résumons : il n’y a plus qu’une extrémité, c’est l’armistice, et après avoir développé les grandes lignes d’un « programme de renaissance française », il se désolidarise à l’avance de tous les membres du gouvernement qui envisageraient de quitter la métropole pour poursuivre le combat.

Le « mythe de 14-18 » qui assène cela, c’est le dernier coup de hache sur un arbre à moitié déraciné. Pétain a attendu son heure et le fruit est mûr pour qu’on lui offre le pouvoir. Depuis 15 ans, tout le monde le veut avec soi, à gauche parfois, à droite et à l’extrême droite surtout… c’est une vedette, c’est une garantie de popularité. Mais le vieux, lui, se tait, il est matois, prudent, il se fait désirer. Il a deviné qu’un jour ou l’autre on va faire appel à lui. Et c’est bien connu depuis, ce jour-là il fera « don à la France de [sa] personne ». Et pour cela, Pétain laisse faire ses amis sans se mouiller en lui-même.

Pétain était-il manipulé ou manipulable ? Je ne le crois pas… même la thèse du vieillard sénile et sourd lors de son procès en 1945 ne tient pas : Pétain prétend ne pas entendre, fait mine d’être absent à lui-même lors des audiences, mais soudain le vieux chat surgit et s’exprime pour soutenir ou compléter les propos d’un témoin qu’il a cette fois-ci parfaitement entendu. C’est un acteur.

Philippe Pétain comparaît devant la Haute Cour de justice de Paris lors de son procès pour intelligence avec l’ennemi à l’issue duquel il sera condamné à mort, le 15 août, à l’âge de 89 ans. (23 juillet-14 août 1945) ©AFP

Écoutons le témoignage du général Maurice Gamelin, le grand vaincu de 1940. En 1947, il est entendu par la commission de l’Assemblée nationale chargée d’enquêter sur les événements : « J’ai entendu le Maréchal Foch dire ironiquement : “Envoyez Pétain ! S’il n’y a rien à faire, c’est son affaire !” Il l’a dit en une autre occasion, sous une autre forme : “Quand il n’y a rien à faire, c’est l’affaire de Pétain !” »

Maurice Gamelin. Source : SHD

Il ajoute que Joffre et Foch pensaient que « Pétain était un négatif, un esprit foncièrement défensif et qui, en toutes choses, était contraire à l’action, c’était sa forme d’esprit. »

Il faut évidemment tenir compte du ressentiment que devait éprouver le général Gamelin à l’égard de celui qui lui a collé la défaite sur le dos, qui l’a placé en forteresse et l’a fait comparaître au procès de Riom avec Léon Blum et Édouard Daladier… mais ça donne quand même un éclairage intéressant sur un personnage qui semble avoir très facilement accepté les doctrines de ses « conseillers politiques ».

Qui sont-ils ? D’abord un homme : Henry Lémery[13]. Avocat, sénateur et éphémère ministre de la justice grâce à Pétain, pendant deux semaines dans le cabinet Doumergue à l’automne 1934, au moment de l’affaire Stavisky, quand l’extrême droite claironnait vouloir nettoyer les « écuries d’Augias ». Car Lémery appartient à cette famille politique et est violemment anti-communiste… et c’est lui qui au début des années 1930 fera l’éducation politique de Pétain, qui sera un élève doué, sachant se taire quand il le faut et ne parler que lorsqu’il sait qu’il sera écouté. Et puis il y a Raphaël Alibert, futur Garde des Sceaux de Vichy et un des principaux rédacteurs du statut des juifs. C’est un monarchiste convaincu qui lui aussi conseille le Maréchal Pétain. Les deux mentors de Pétain sont de farouches ennemis de la République dans une ambiance glauque puisque les cloisons ne sont pas étanches, le cordon sanitaire n’existe pas : on trouve d’autres de leurs soutiens dans les Chambres, dans la haute administration ; et si, entre deux-guerres, Lémery n’a fait qu’un petit tour dans un gouvernement, c’était pourtant dans un cabinet d’union nationale (orienté à droite, certes) conduit par l’ancien président de la République Gaston Doumergue[14]. Enfin, notons qu’en 1935, l’ancien militant socialiste antimilitariste, devenu sympathisant fasciste, Gustave Hervé lance une grande campagne « C’est Pétain qu’il nous faut ! » avec son journal La Victoire, financé par de grands industriels ; l’objectif est explicite : abattre régime parlementaire et fonder une république autoritaire dont le maréchal Pétain assumerait la présidence. Au regard de l’ampleur de la campagne, il est impensable qu’il n’ait pas donné son accord.

L’extrême droite fréquente donc tranquillement les hautes sphères du pouvoir et entretient également ses liens avec des projets séditieux, là aussi au cœur de l’appareil militaire et d’État. Car dans les années 1930, existe une organisation redoutable, souterraine, qui va de peu d’ailleurs rater la prise du pouvoir ; c’est la Cagoule[15]. Cette organisation bénéficiait de l’appui financier de très grands industriels. Elle avait constitué des caches d’armes un peu partout en France et il s’en est vraiment fallu de très peu qu’elle ne fasse tomber le pouvoir à l’automne 1937. Tout cela est à peu près connu aujourd’hui, sauf que l’on a sous-estimé longtemps la puissance de nuisance de la Cagoule, à dessein d’ailleurs parce que trop de personnes importantes étaient compromises avec elle : au sein même d’une des plus hautes instances du pays, le conseil supérieur de le guerre, on comptait une majorité de « cagoulards ». Philippe Pétain en tant que commandant en chef des forces armées, il est vice-président de ce conseil supérieur jusqu’en 1931[16]. Il en restera membre de 1931 à 1934, date à laquelle il devient ministre de la guerre, renforçant au-delà de ce ministère son emprise sur l’institution.

Il y a ainsi toute raison de croire que Philippe Pétain lui-même était membre de l’organisation ; tout le monde autour de lui était cagoulard : Lémery et Alibert en étaient, évidemment. De même, Georges Loustaunau-Lacau[17], officier d’état-major, succède en 1934 à Charles de Gaulle comme écrivain d’état-major auprès de Pétain, qui entre à son cabinet lorsque ce dernier est ministre de la guerre du 9 février au 8 novembre 1934 ; il restera auprès de lui au conseil supérieur de la guerre où il fera, dès la fin 1936, la liaison entre la Cagoule et les réseaux Corvignolles, sorte de service de renseignement anticommuniste officieux au sein de l’armée, mais aussi avec le Parti Populaire Français de Jacques Doriot, le Parti Social Français du Lieutenant-Colonel de la Rocque et l’Action Française de Charles Maurras. Sur ordre du ministre de la défense nationale, Édouard Daladier, il est placé en position de non-activité le 15 février 1938 par sa hiérarchie. En 1948, dans ses mémoires, il indiquera avoir rencontré le Général Duseigneur (n°2 de la « Cagoule ») à la demande de Pétain « que l’agitation subversive ne laisse pas indifférent ». Enfin, l’officier d’ordonnance du Maréchal, le capitaine Léon Bonhomme était également membre de la Cagoule. Cela commence à faire beaucoup ! Personne ne peut considérer qu’en 1936-1937 le Maréchal Pétain était gâteux, il ne pouvait pas ne pas savoir et il est plus logique de penser qu’il a procédé comme à son habitude : envoyer les autres au charbon, rester à l’abri et ne pas être mis en cause lorsque Marx Dormoy, ministre de l’intérieur SFIO, annonce le 23 novembre 1937 la découverte de la conspiration et qu’Eugène Deloncle[18] et le général Duseigneur, dirigeant de « la Cagoule » sont arrêtés.

Cependant le projet des « Cagoulards » était limpide pour abattre la République et instaurer un régime nationaliste autoritaire, quoi de plus pratique que de mettre au pouvoir le seul homme capable de l’incarner : Philippe Pétain… on les retrouvera tous à Vichy à partir de juillet 1940. Dès le lendemain des élections législatives de 1936, Pierre Laval joue de ses contacts en Italie, en Allemagne et en Espagne pour favoriser cet objectif : pour faire aboutir un complot, il faut non seulement des appuis politiques, des armes, mais surtout de l’argent, beaucoup d’argent et c’est l’Italie fasciste qui sera, avec les grands industriels français, le principal pourvoyeur de fonds de « La Cagoule ». Que le Maréchal Pétain se soit méfié de cet aventurier de la politique qu’était Laval, c’est une chose, mais voulant arriver un jour ou l’autre au pouvoir il a fait les « concessions » nécessaires et, là-aussi, c’est Loustaunau-Lacau qui faisait le lien entre les deux hommes. Dans ses mémoires, le général Gamelin explique que Daladier lui avait demandé d’enquêter sur la présence des « cagoulards » dans le haut commandement de l’armée « mais il devait être entendu qu[’il ne pourrait] pas [s]’occuper de nos deux maréchaux de France, Pétain et Franchet d’Espèrey. Or, tout faisait supposer que leur responsabilité était la plus engagée. » En 1990, dans son ouvrage Les secrets de l’armistice, Philippe Simoneau évoque les mémoires (publiée en 1986) d’un certain Angelo Tasca, un fasciste italien qui s’est trouvé à Vichy, dans les services d’information : « l’une des révélations contenues dans les carnets de Tasca est que Lémery, en 1936, a lancé son journal, l’Indépendant, avec des fonds de La Cagoule pour soutenir à fond et sans réserve l’organisation secrète. […] Comment imaginer que Pétain n’en fut pas averti ? » C’est dans ce même journal que Lémery et Alibert lanceront en 1938 une nouvelle campagne « La France a besoin d’un chef. C’est Pétain qu’il nous faut ! »

C’est le 27 février 1939 que la République française reconnaît finalement le gouvernement du Général Franco en Espagne. Le 2 mars 1939, Pétain est nommé ambassadeur de France en Espagne. Hostile aux franquistes, la gauche française proteste au nom de la réputation « républicaine » du Maréchal.

Philippe Pétain et Francisco Franco à Montpellier le 13 février 1941

Officiellement, la nomination de Pétain — qui jouit d’un grand prestige en Espagne — vise à améliorer l’image de la République française en atténuant le souvenir du soutien limité aux républicains espagnols pendant la guerre civile : Franco et Pétain se sont rencontrés en 1925 pendant la guerre du Rif, le Français a noué dès cette époque d’excellentes relations avec différents officiers espagnols qui s’engageront dans la révolte de 1936 contre la République espagnole, et en privé le Maréchal français ne fait aucun mystère de ses sentiments favorables aux instigateurs de la rébellion ; les franquistes voient en Pétain un ami bienveillant. En réalité, le président du Conseil Édouard Daladier, qui n’a pourtant pas agi contre lui quand il en avait les moyens, y envoie le Maréchal Pétain parce qu’il le trouve trop encombrant à Paris ou plus certainement parce qu’il le soupçonne d’être de connivence avec les ennemis de la République.

En mai 1940, il est toujours ambassadeur en Espagne et alors que cela ne lui a pas été demandé, il rentre à Paris. Il est évidemment reçu par le président du conseil Paul Reynaud, mais surtout il y rencontre chez lui Anatole de Monzie[19], alors ministre mais qui entretient des liens avec des puissances étrangères – l’URSS au début des années 1930, l’Italie fasciste désormais – également ami intime d’Otto Abetz et de Darquier de Pellepoix. Le 10 mai 1940, l’Allemagne déclenche l’offensive ; le 18, Reynaud appelle Pétain au gouvernement comme Ministre d’État.

Maxime Weygand en 1940

La veille, Gamelin a été limogé et on le remplace par un autre vieillard Maxime Weygand, un général qui n’a qu’une envie, tout comme Pétain, c’est qu’on arrête de se battre : les deux hommes au cœur du dispositif n’ont qu’un seul but, en finir avec cette guerre désastreuse dont la responsabilité, selon eux, incombe totalement à la République. En finir parce qu’ils sont sûrs que dès que l’armistice ou la paix seront signés, le pouvoir tombera entre leurs mains comme une pomme bien trop mûre. Ils ont ouvertement parié sur la débâcle.

Fin mai, Laval déclare au sénat « c’est Pétain qu’il nous faut », le même jour Pétain dépose une note sur le bureau de Reynaud dans laquelle il prend la défense de l’armée et accuse le pays d’avoir péché par paresse et manque d’effort : c’est déjà Vichy, avant même qu’il ne préconise ouvertement l’armistice. Mis au courant, Churchill est effaré et n’y voit que du défaitisme. Vient enfin ce coup d’état en douceur du 13 juin, dont on a déjà parlé, et 3 jours plus tard, l’ultime coup de théâtre à Bordeaux, au cours d’un conseil des ministres particulièrement tendu, Reynaud annonce sa démission et Pétain, nommé séance tenante à sa place par le président Lebrun, comme un prestidigitateur, sort un papier de sa poche – c’est la liste de ses ministres – alors qu’il ignorait, en principe, qu’il serait nommé par le président Lebrun. Tout était prévu. Moins d’un mois plus tard, la République était assassinée par le vote des pleins pouvoirs, sous les menaces de Laval aux parlementaires.

Comment ne pas s’interroger durant la débandade militaire, sur toutes ces villes qui ont été mystérieusement déclarées ouvertes, comme pour mieux faciliter le passage de l’ennemi, ou encore du choix de l’Espagne franquiste comme intermédiaire avec le IIIème Reich alors qu’elle penchait ouvertement du côté des puissances de l’Axe ? Comment ne pas s’interroger sur ces chefs militaires qui plaident pour la défaite, mais demandent le repli, feignent de défendre l’armée mais lui interdisent de contre-attaquer, la faisant passer pour incapable et dépassée ? On a vu pourtant à deux reprises au moins les armes françaises contrecarrer l’offensive allemande, décidément résistible : lors contre-attaque de Montcornet, au nord-est de Laon, entre les 15 et 18 mai conduite par la 4e Division Cuirassée du Colonel De Gaulle, ou quand il fallut du 26 mai au 4 juin 1940 mener une résistance héroïque et désespérée, en particulier la 12e division d’infanterie motorisée à partir du fort des Dunes, destinée à gagner un laps de temps nécessaire à l’embarquement de l’essentiel des troupes britanniques et de plusieurs unités françaises et belges vers l’Angleterre depuis Dunkerque. En juin 1940, la France a capitulé parce que ceux qui travaillaient à abattre la République voulaient qu’elle capitule.

Que retenir ?

L’accession de l’extrême droite au pouvoir n’est pas seulement une affaire de défaite militaire en 1940. Pendant près d’une décennie, des acteurs au cœur des institutions ont travaillé à la chute de la République. L’Allemagne nazie a trouvé en juin et juillet 1940 un dispositif complet politique, administratif et militaire qui lui éviterait le coût d’une occupation militaire de l’ensemble du territoire français et lui fournirait des assistants obéissants et « efficaces » au nord de la Loire et sur la façade atlantique.

Quels sont, au-delà du diagnostic posé par Marc Bloch lors de l’écriture de L’étrange défaite à l’été 1940, les ingrédients qui ont favorisé cette prise du pouvoir ?

  • Un extrême droite politique structurée, relayée par diverses organisations, reliées entre elles, mobilisant d’importants pans de l’opinion publique, qui ne néglige ni l’action électorale et parlementaire, ni la tentation du coup de force…
  • Une pénétration jusqu’au plus haut niveau de la hiérarchie militaire par des éléments anti-républicains, ce qui implique que ni la normalisation qui suivit l’Affaire Dreyfus, ni l’épreuve de la Grande Guerre n’y avaient fait totalement reculer le péril.
  • Un écosystème médiatique puissant qui travaillait à mettre en cause idéologiquement le régime, subventionné par les puissances d’argent, utilisant la désinformation et ouvert largement à la propagande de puissances étrangères hostiles, qui trouvaient également des relais complaisants dans le microcosme intellectuel et politique.
  • La médiocrité d’une partie du personnel politique, une absence totale du sens des priorités politiques chez certains représentants du mouvement ouvrier et l’aveuglement (à des degrés et sur des divers) face aux dangers intérieurs de certains de ses éléments les plus capables…
  • Une indifférence relative ou une estimation erronée des questions de défense nationale, des alliances militaires et des intérêts géopolitiques de la nation, maquillées de fausses certitudes et d’une confiance naïve en des concepts stratégiques dépassés…

90 ans plus tard, il serait anachronique de vouloir calquer les perspectives des années 1930 sur notre pays.

Mais on peut considérer que notre corps social est plus « archipellisé » encore qu’il ne l’était alors. Une force politique d’extrême droite dispose du groupe parlementaire le plus nombreux de l’Assemblée nationale. Si les menaces terroristes de l’ultra-droite ne sont pas comparables, elles sont moins négligeables qu’il n’y paraît.

Pour le reste, la médiocrité et l’aveuglement d’une partie des dirigeants politiques ne fait pas débat, ni le poids d’un certain patronat réactionnaire dans les médias, ni la désinformation au service des intérêts d’une puissance étrangère nationaliste et réactionnaire, ni la pénétration de l’extrême droite dans une partie de la police et de l’armée…

J’ai pour ma part un doute poignant sur la réalité de la prise de conscience qu’ont nombre de nos responsables politiques sur les questions de défense nationale. Et j’aimerais voir les organisations politiques héritières du « mouvement ouvrier » retrouver collectivement le sens des priorités.

Frédéric Faravel


[1]     Face à l’histoire, une série de podcasts de Philippe Collin sur France Inter « La Cavale du général Leclerc » : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-la-cavale-du-general-leclerc

[2]     L’étrange défaite, Marc Bloch, éditions Gallimard : https://www.fnac.com/a1074917/Marc-Bloch-L-etrange-defaite

[3]     Une étrange victoire. L’extrême droite contre la politique, Michaël Foessel & Étienne Ollion, éditions Seuil, 2024 : https://www.fnac.com/a20706742/Michael-Fssel-Ripostes

[4]     Je m’abstiens volontairement d’utiliser le terme « dédiabolisation », car incidemment cela signifie que l’extrême droite aurait été « diabolisée » donc finalement dénoncée à tort.

[5]     Le 2e bureau de l’état-major est le service chargé de l’analyse du renseignement. L’expression désigne communément le service de renseignements de l’armée française entre 1871 et 1940.

[6]     Otto Abetz reviendra triomphalement en 1940 comme ambassadeur du IIIème Reich et sera le premier artisan de la politique de collaboration franco-allemande.

[7]     Henri Eugène Navarre. Élève de Saint-Cyr, il est envoyé au front en 1917. Après diverses affectations dans la partie occupée de l’Allemagne et pour des opérations de pacification dans les colonies et mandats français, il entre à l’école supérieure de guerre, en ressort capitaine. Il entre en 1936 au Service de Renseignements de l’État-Major de l’Armée dont il dirige la section « allemande » de 1938 à 1940. En 1939, avant l’entrée en guerre, il élabore un éphémère projet d’élimination d’Adolf Hitler auquel on ne donnera pas suite. Après l’Armistice de 1940, il poursuit ses activités dans l’Armée d’armistice et est nommé chef du 2e bureau du général Weygand à Alger chargé à la fois du renseignement et du contre-espionnage. Rappelé en 1942 pour ses actions anti-allemandes, il entre alors dans la clandestinité et devient chef du Service de Renseignement de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Il participe ensuite à la libération de la France et à la campagne d’Allemagne à la tête d’un régiment blindé. Il est promu général de brigade en 1945. Il devient en mai 1953 commandant en chef des forces françaises en Indochine pour trouver une « sortie honorable » à la guerre. Rendu responsable du désastre de Dien Bien Phu, il est remplacé le 3 juin 1954. En 1956, Navarre fait valoir ses droits à la retraite. La même année, il publie son livre Agonie de l’Indochine dans lequel il justifie son action en Indochine et rend la classe politique responsable de la défaite.

[8]     Le Service de Renseignements (1871-1944), édition Plon, 1978 (coécrit avec un groupe d’anciens membres du SR)

[9]     Les services et le gouvernement britanniques étaient informés du raid de la Luftwaffe des 14 et 15 novembre 1940 par le décryptage des messages d’Enigma. Pour ne pas donner d’indices de cet avantage à l’ennemi, Churchill et son cabinet de guerre choisirent de ne pas évacuer Coventry. Le raid causa par 568 morts et 723 blessés, civils.

[10]   Philippe Pétain est ministre de la guerre du 9 février au 8 novembre 1934 dans le deuxième cabinet Doumergue qui succède au cabinet Daladier, démissionnaire après les émeutes nationalistes du 6 février 1934 lors desquelles les ligues d’extrême droite ont tenté de prendre d’assaut le Palais Bourbon.

[11]   Cité dans Les secrets de l’espionnage français, Pascal Krop, novembre 1993, édition JC Lattès

[12]   Pierre Laval, Fred Kupferman, 1976, édition Masson

[13]   Henry Lémery, issu d’une riche famille béké de Martinique, il est élu député de l’île de 1914 à 1919. Sous-secrétaire d’État aux transports maritimes et à la marine marchande de fin 1917 à fin 1918, il est sénateur de l’île de 1920 à 1940. Éphémère Garde des Sceaux à la fin du 2e cabinet Doumergue. Il sera ministre des colonies de l’État français en 1940, rapidement écarté pour des inimitiés personnelles. Arrêté et emprisonné à Fresnes pour son soutien à Vichy, mais libéré peu de temps après, il est acquitté par la Haute Cour en 1947 pour « faits de résistance ». Il adhère à l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Il meurt à 97 ans à son domicile parisien en 1972.

[14]   D’origine protestante et Franc-Maçon, Gaston Doumergue est membre du parti radical, Avocat, juge de Paix un peu plus d’un an en Algérie, il est élu député de Nîmes en 1893 ; il sera plusieurs fois ministre de 1902 à 1910, président du conseil pendant 6 mois de décembre 1913 à juin 1914, ministre des colonies pendant la Grande Guerre. Élu président du Sénat en 1923, il succédera pour 7 ans en 1924 à l’éphémère Alexandre Millerand à la Présidence de la République. Il est rappelé à la présidence du conseil après les émeutes du 6 février 1934, son gouvernement d’union nationale sera un échec et il démissionnera le 8 novembre 1934. Le Président du conseil René Viviani (celui de l’entrée en guerre en 1914) disait de lui : « Dans une démocratie bien organisée, Doumergue serait juge de paix en province. » Il meurt en 1937.

[15]   La Cagoule, Philippe Bourdrel, 1992, éditions Albin-Michel

[16]   Le président du conseil supérieur de la guerre est le ministre de la guerre, puis de la défense nationale.

[17]   Georges Loustaunau-Lacau, fils d’officier béarnais, élève de Saint-Cyr, il est remarqué au combat lors de la première guerre mondiale et promu Capitaine dès 1916. Condisciple de Charles de Gaulle à l’École de Guerre, il sort major de sa promotion. Il est promu commandant en 1931. Dès les années 1930, il est un activiste d’extrême droite diffusant des idées antisémites. Figure des vichysto-résistants, il s’engage progressivement dans la Résistance, fondant avec d’autres officiers anti-allemands le réseau Alliance à la fin 1940. Arrêté par la police française, remis à la Gestapo, en mars 1943, il est déporté au camp de concentration de Mauthausen. Il rentre en France le 9 mai 1945, ne pesant plus que 38 kg. Après 1945, il sera cité à comparaître au procès du Maréchal Pétain qu’il cherchera à dédouaner de tout complot contre la République, afin de se défendre lui-même. En octobre 1946, il est inculpé pour complot contre la sécurité intérieure de l’État dans le cadre du procès de la Cagoule, organisation à laquelle il affirme n’avoir jamais appartenu. La destruction des archives des réseaux Corvignolles et de la Cagoule et son passé de résistant et de déporté expliquent sans doute qu’il bénéficie d’un non-lieu en février 1948. Le 28 juin 1947, il est à nouveau arrêté et inculpé dans l’affaire du complot de droite nationaliste dit du « Plan Bleu » ; innocenté, il sera libéré après 6 mois de prison. Après la Libération, il continuera à fréquenter les réseaux pétainistes, il s’affilie un temps au parti officiel de la droite le Parti Républicain de la Liberté, avant de mener lors des élections législatives de 1951 dans les Pyrénées-Atlantiques une liste de droite où figure en deuxième position l’épouse de Jean Ybarnégaray, ancien député d’extrême droite et ancien ministre de Pétain (auquel il est lié par un accord devant permettre à ce dernier de récupérer son siège à la fin de sa peine d’inéligibilité) apparentée avec la liste du MRP. Promu au grade de commandeur de la Légion d’honneur en 1952, il sera un adversaire déterminé des communistes à l’Assemblée nationale. Sa nomination comme général du cadre de réserve est publiée le jour même de sa mort le 11 février 1955.

[18]   Eugène Deloncle, issu d’une famille de militaires et d’hommes politiques, polytechnicien, il est officier d’artillerie pendant la première guerre mondiale. Adhérent de l’Action Française après la Grande Guerre, il la quitte et crée avec d’autres, l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN) en 1935, surnommée « La Cagoule ». Après l’armistice de juin 1940, Deloncle rejoint l’amiral François Darlan et reprend contact avec d’anciens cagoulards. Fin 1940, il crée le Mouvement social révolutionnaire pour la Révolution nationale (MSR), soutenant le maréchal Pétain, qui se rapprochera du Rassemblement National Populaire de Marcel Déat. Exclu du MSR en mai 1942, il reprend contact avec Darlan et tentera de faire le lien entre ce dernier et l’amiral Wilhelm Canaris, responsable du contre-espionnage militaire allemand. Il est arrêté puis relâché à la fin de l’été 1943 par les services de sécurité de la SS qui finiront par l’assassiner en janvier 1944 dans une ambiance de règlements de compte internes entre services nazis.

[19]   Anatole de Monzie, maire de Cahors, député puis sénateur du Lot, membre des groupes parlementaires de centre-gauche (républicains socialistes) proches de la droite du parti radical, il rejoint les petites formations issues de la scission des « néos » de la SFIO dans les années 1930. Il est ministre des travaux publics dans le gouvernement Daladier (1938-1940). Il votera les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940. Nommé en 1940 par l’État français président du Conservatoire national des Arts et Métiers, il occupera ce poste jusqu’en 1944. Il s’engage en 1941 dans la Revue de la pensée socialiste, Le Rouge et le Bleu de Charles Spinasse qui défend les idées de Marcel Déat pour une collaboration en vue d’un « fédéralisme européen » dominé par l’Allemagne nazie. Débarqué de la mairie de Cahors en août 1942, il s’éloigne de Vichy mais participera avec Laval à toutes les tentatives de négociation avec les Alliés pour empêcher le Comité français de Libération nationale puis le GRPF de prendre le pouvoir en organisant une transition avec le régime de Vichy et en instrumentalisant les anciens parlementaires. Poursuivi pour collaboration, il meurt chez lui à Paris en 1947.

Le racisme anti-musulman tue, la République punira sans trembler

Vendredi 25 avril 2025, un fidèle musulman Aboubakar a été assassiné dans la mosquée de La Grand Combe, poignardé de plusieurs dizaines de coups de couteau, par un homme qui a pris à la fuite après avoir proféré des insultes contre l’Islam.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa solidarité avec les proches de la victime et sa communauté.

Nous rappelons que les lois de la République garantissent au premier chef la liberté de conscience, la liberté de croyance et la liberté de culte : personne ne doit être inquiété ou menacé pour sa pratique religieuse (réelle ou supposée) quand le respect des règles collectives est assuré.

Il est donc du devoir des autorités publiques de prendre toutes les mesures pour renforcer la sécurité devant les lieux de culte et de tout mettre en œuvre pour arrêter le meurtrier : la justice devra ensuite faire son office avec toute la fermeté que requiert l’horreur de cet acte avec la circonstance aggravante d’un crime haineux et terroriste.

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite a trouvé une nouvelle manière d’habiller l’expression de son racisme, dimension essentielle de son idéologie. Pour rendre plus acceptable sa haine, elle a cherché à la maquiller en critique de l’Islam et de la place que cette confession occupe en France. Ce racisme anti-musulman n’est rien d’autre que la poursuite du racisme anti-maghrébin et anti-africain qui encourageait les « ratonnades » et les passages à tabac. Le changement de vocabulaire de l’extrême droite ne change pas le résultat final : il encourage comme avant le passage à l’acte et à la violence. Le meurtre d’Aboubacar ce vendredi nous rappelle à tous que le racisme … qu’il stigmatise les personnes à raison de leur origine, de leur aspect, de leur religion, de leur appartenance réelle ou supposée à tel ou tel groupe ethno-culturel … le racisme tue !

La République française est une république fondée sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Pour mettre en œuvre ces principes, elle est depuis 1905 laïque ce qui implique que toutes les confessions sont respectées de la même manière du moment qu’elles acceptent les lois de la République. Depuis cette date, c’est le cas de l’Islam comme toutes les autres ! Les autorités républicaines sauront le démontrer dans cette affaire en arrêtant et en punissant l’assassin de manière exemplaire.

C’est un enjeu de cohésion nationale.

États-Unis : Donald Trump et Elon Musk passent la science à la tronçonneuse

communique de presse d’emmanuel maurel – mercredi 5 mars 2025

Nous pensions savoir à quoi nous en tenir avec Donald Trump, mais le début de son second mandat montre que nous n’avons encore rien vu.

Le Président des États-Unis, qui préconisait de s’injecter de l’eau de javel par intraveineuse pour soigner le COVID, pour qui le réchauffement climatique est un canular inventé par la Chine, qui pense que les sans-papiers sont des criminels et des violeurs qui mangent les chiens et les chats, se livre à une attaque sans précédent contre l’université, la science et la recherche.

Un collectif de chercheurs américains de toutes universités et toutes disciplines, « Stand Up For Science », s’est constitué en réaction aux assauts de la nouvelle administration, et particulièrement de son bras armé d’une tronçonneuse, Elon Musk.

Ce collectif répertorie une incroyable série de suppressions de crédits budgétaires, menées tambour battant par le département de la soi-disant « efficacité gouvernementale ». Désormais, seule la bande de fanatiques obscurantistes au pouvoir à Washington s’estime qualifiée pour dicter ce qui vaut d’être lu, étudié et appris. Voilà le sort que les défenseurs autoproclamés de la « liberté d’expression » réservent aux voix discordantes.

Les sciences humaines font l’objet, dans toute leur diversité, de mises à l’index allant jusqu’à retirer des milliers d’ouvrages des rayons des bibliothèques universitaires. Mais ce n’est qu’un prélude à une attaque en règle contre toutes les sciences.

Nous apprenons avec sidération que le Gouvernement américain a supprimé 20% des financements destinés au télescope spatial James-Webb, fruit d’une coopération associant la Nasa et l’Agence spatiale européenne, et qui a remplacé le célèbre télescope Hubble en 2021.

Nous assistons, médusés, à une foire d’empoigne des trumpistes visant à décourager toute vaccination, au point de mettre même dans l’embarras le ministre de la santé, Robert Kennedy Jr, pourtant considéré comme un vaccino-sceptique de choc.

Nous apprenons enfin qu’il n’y aura plus de mesures satellitaires des gaz à effet de serre et du changement climatique. Cela s’ajoute aux milliards de dollars subitement retirés à d’innombrables laboratoires de recherche, jusqu’aux sciences de la santé et aux neurosciences, et qui laissent sur le carreau des milliers de scientifiques.

J’apporte tout mon soutien au collectif « Stand Up For Science » et aux initiatives des universitaires et chercheurs français pour venir en aide à leurs collègues outre-Atlantique. La journée de mobilisation du 7 mars, à laquelle je prendrai part, marquera la première étape de la résistance contre le bâillonnement de la science par la nouvelle internationale réactionnaire.

Élections du 23 février 2025 : la fin du modèle allemand

Après la publication d’un podcast sur la Radio « Français dans le monde« , notre camarade franco-berlinois Mathieu Pouydesseau revient dans cet article avec une analyse détaillée des résultats des élections législatives fédérales du 23 février 2025, de leurs causes et de leurs potentielles conséquences. Il propose quelques pistes pour sortir de l’ornière.

Le peuple allemand, convoqué à des élections législatives anticipées le 23 février 2025, a répondu massivement. 83% des inscrits ont voté, soit le plus fort taux de participation de l’histoire de l’Allemagne réunifiée, supérieur au record enregistré sous la RFA en 1987 !

Jamais le résultat de ces élections n’aura été aussi incontestable dans la légitimité accordée aux députés siégeant au Bundestag.

Le résultat en pourcentage voit la droite, constituée des deux partis CDU et CSU, l’emporter avec 28,6%. La CSU n’est présente qu’en Bavière, où la CDU ne présente pas de candidats. Le candidat conservateur à la chancellerie, Friedrich Merz, a reçu les félicitations des autres présidents de partis qui lui ont reconnu la légitimité de constituer une coalition.

La coalition sortante SPD-Verts-Libéraux (FDP) s’effondre, totalisant à peine 32,3% des suffrages. Le FDP disparaît du Bundestag en manquant le seuil des 5%. L’ancien ministre des finances Lindner a annoncé son retrait de la vie politique.

Les verts résistent mieux que leurs partenaires de coalition mais perdent au profit des Linke une partie de l’électorat féminin et de moins de 30 ans.

L’extrême droite double son score, tant à l‘Est qu’à l‘Ouest, où, avec 17,7% elle fait jeu égal avec le SPD et remporte certain de ses anciens bastions. Les classes ouvrières et salariées ont voté AfD plutôt que SPD.

Les Linke connaissent une renaissance inattendue, fondée sur une campagne politique sur le thème du pouvoir d’achat, et de la fin de la « règle d’or » pour permettre des investissements, ainsi qu’une identification forte à l’antifascisme.

La majorité est à 316 sièges. La droite et le SPD ont la majorité absolue ensemble. Les dirigeants conservateurs multiplient les appels du pied au SPD pour entrer en négociation de coalition. Ils ont exclus l’autre coalition majoritaire, avec l’extrême droite.

Le SPD est choqué par sa défaite. Le futur nouveau patron du groupe parlementaire, Lars Klingbeil, a déclaré que la participation du parti au gouvernement « n’était pas automatique. »

Analyse politique des résultats

La droite l’emporte avec un score décevant, son deuxième plus mauvais score depuis 1949, le pire ayant été en 2021. Friedrich Merz, un homme sorti des années 1980, rival malheureux de Merkel en 2005, néo-libéral à la pensée archaïque, va donc devenir chancelier. En janvier, il a fait voter ses troupes avec l’extrême droite sur des résolutions sur l’immigration, brisant le « mur républicain » autour de celle-ci pourtant établi depuis 1949. Il a annoncé un agenda de coupes drastiques dans le système social et les dépenses publiques, tout en reconnaissant le déficit d’investissements. Il fait partie des théologues croyant à la « règle d’or » comme à une règle divine.

Celle-ci empêche les États de mobiliser l’épargne accumulée par l’investissement, financé par l’emprunt. Or, les mêmes refusent aussi de mobiliser l’épargne des riches par l’impôt. Face à cette contradiction, il ne reste plus qu’à baisser les dépenses. On a vu en France l’échec de cette politique avec des déficits budgétaire et commercial abyssaux.

L’extrême droite AfD double son score et submerge l’Allemagne de l’Est. Ce serait une erreur de croire que l’AfD est un parti régionaliste : elle rassemble presque 18% des suffrages à l’Ouest et y fait jeu égal avec le SPD. Elle y gagne d’ailleurs deux circonscriptions. Elle a proposé une coalition à la droite ; Merz l’a refusé en nommant comme divergences insurmontables l’Ukraine, le soutien à Poutine, le rejet de l’Euro et de l’Union Européenne.


Carte des circonscriptions allemandes, partis arrivés en tête

Le SPD s’effondre à son pire score depuis … mars 1933. Le chancelier sortant Scholz a exclu participer aux négociations de coalition ou à un gouvernement. Son destin au sein du parti reste flou. Boris Pistorius, le ministre de la défense, beaucoup plus populaire, pourrait récupérer la présidence et le rôle de vice-chancelier en cas d’alliance avec la droite.

Les Verts font mieux que prévus mais reculent par rapport à 2021. Le ministre écologiste sortant de l’économie, Habeck, n’a pas cherché à mobiliser les troupes venues de Friday for Future1, fortement mobilisées contre l’AfD et la complaisance de Merz, pour ne pas abîmer la possibilité d’une participation au gouvernement. Le résultat cependant ouvre la voie à une majorité sans les Verts.

Les Linke sont littéralement réanimés par la tentation de Merz de rompre le mur républicain isolant l’AfD. Ils ont récupéré l’électorat jeune, activiste pour le climat, mobilisé cette fois-ci contre l’extrême droite et la tentation de Merz de s’allier avec elle. Les verts, en refusant d’exclure gouverner avec Merz, ont perdu surtout dans cet électorat. Les Linke ont su aussi apprendre du départ de Wagenknecht et mener leur campagne sur les sujets du pouvoir d’achat et des investissements.

Le parti de gauche conservatrice BSW manque l’entrée au Bundestag de peu, à 4,972% pour un seuil minimum à 5%. Cruauté des soirées électorales ! C’est un échec cuisant, suite à une stratégie inaudible depuis septembre, abandonnant les questions économiques pour suivre l’AfD sur le rejet de l’aide à l’Ukraine et sans d’ailleurs se distancer d’eux sur les questions migratoires. Ils n’ont pas bénéficié du rebond antifasciste de la jeunesse allemande.

Le FDP du libéral Lindner, qui a saboté le travail du gouvernement pendant trois ans et organisé sa chute en septembre, est lourdement sanctionné et disparaît du Bundestag.

https://www.bundeswahlleiterin.de/bundestagswahlen/2025/ergebnisse/bund-99.html

L’AfD s’impose comme le parti des classes populaires inquiètes de l’avenir, mais aussi ébranlées par des années de stabilité salariale à la baisse, l’augmentation des prix et des loyers. Si la droite chrétienne démocrate conserve un volant populaire, le SPD a perdu cet électorat au profit de l’AfD.

Évolution du vote des classes salariées et ouvriers entre 2013 et 2025
Sondage sortie des urnes par situation financière
Sondage sortie des urnes : vote en fonction de la peur face à l’inflation « j’ai peur que les prix augmentant tant que je ne puisse plus payer mes factures »
Sondage sortie des urnes : « comment considérez vous la situation économique du pays » schlecht = mauvaise, gut = bonne

Quel nouveau modèle allemand ?

Dimanche soir, lors de la traditionnelle émission politique où se retrouvent tous les patrons de partis représentés au Bundestag, M. Söder, le président du parti bavarois CSU, composante de la droite victorieuse, disait ceci : « Le vieux modèle économique allemand est terminé, le modèle de l’immigration économique est terminé ». Le constat est devenu consensuel en Allemagne : le « modèle allemand » est en échec. Les conséquences à en tirer divergent très fortement, le seul parti étant finalement incapable de formuler une réflexion cohérente, le SPD, subissant une défaite historique.

L’autre parti s’accrochant encore à la « règle d’or » et au « modèle » des exportations au prix de la baisse des salaires, le FDP, n’est même plus représenté au parlement.

La crise du modèle allemand a fait l’objet de plusieurs de mes analyses. Je rappellerai ici les articles suivants, récents :

La crise politique allemande, conséquence de la crise sociale, s’aggrave avec le résultat des législatives anticipées, et menace d’emporter l’Union Européenne.

Pourquoi l’Europe en crise voit la montée du populisme nationaliste ?

Le moteur économique de l’Union Européenne entre 2009 et 2019, l’Allemagne, n’a depuis plus connu de croissance. Ce sont six années de stagnation qui ne s’expliquent pas seulement par le Covid ou la guerre d’agression russe en Ukraine. Le PiB est en 2024 au niveau de 2019. L’industrie s’effondre. Un institut a prédit la troisième année de récession pour ce pays en 2025.

En janvier 2025, la droite allemande a poussé au Bundestag un texte sur l’immigration, comme si ce sujet était l’urgence économique de l’heure, pour le faire voter par l’extrême droite et les libéraux. C’est la première fois que le cordon républicain isolant l’extrême droite allemande depuis son retour au Bundestag en 2017 se fissure. L’ancien président du consistoire des juifs d’Allemagne a démissionné de ce parti, l’ancienne chancelière Merkel a critiqué le parti.

Madame von der Leyen ne s’est pas distanciée de son camarade de parti Merz. Elle a déjà mené des actions avec une partie de l’extrême droite européenne depuis sa nomination pour un second mandat à la commission, et a marginalisée les tenants d’un fédéralisme politique – les macronistes français – comme ceux tenants d’une Europe sociale.

Elle souhaite disposer des coudées franches pour une pratique autoritaire de son pouvoir, elle est animée d’un profond mépris pour la France, par une vision idéologique des problèmes, d’une absence totale de décence et de morale, et promeut plus que jamais la mise en place de réformes libérales néfastes et stupides pour l’économie.

Elle s’apprête à rentrer dans l’histoire au côté du chancelier Brüning, cet idéologue de l’équilibre budgétaire qui en pleine crise économique de 1929 décida de rompre avec le centre gauche, de diriger sans majorité parlementaire, de couper les crédits et les salaires, aggravant encore la crise et favorisant la montée du parti nazi, pourtant marginal jusqu’en 1929.

Sauf qu’en 2025, l’extrême droite est déjà présente dans sept gouvernements européens.

L’échec économique et social, l’échec culturel, l’échec politique

L’Union Européenne connaît en 2025 des perspectives de croissance médiocres. Les instituts les plus optimistes prévoient une stagnation. Les causes de cette crise sont connues : les prix de l’énergie sont trop hauts, la demande intérieure des ménages et des entreprises trop basse.

Les Européens n’ont pas assez d’argent pour consommer. Ceux qui ont de l’argent l’épargnent au lieu de consommer. Leur épargne n’est pas investie en Europe, elle est investie à l’étranger, ne créant aucune demande en Europe.

Les Européens qui n’ont pas d’argent pour consommer ont vu l’envolée des prix de leurs logements, et de leur transport et la dégradation de leurs services publics. Leur qualité de vie se dégrade depuis que l’Europe est en excédent commercial.

La banque centrale européenne a, d’après tous les analystes, monté les taux d’intérêts trop haut, les y a maintenu trop haut trop longtemps, et les baisse trop peu, trop lentement. Il y a six mois, l’ancien patron de la banque centrale européenne Mario Draghi a présenté un rapport sur la perte de productivité européenne et le décrochage économique de l’Europe depuis 2010. Il y conclut que l’Europe manque d’investissements. Il y fait aussi, prisonnier de son idéologie, des recommandations de dérégulation sauvage et de privatisation de services publics, sans s’attaquer aux déséquilibres réels de l’économie européenne.

Madame von der Leyen, avec le soutien de l’extrême droite, pousse uniquement le chapitre des dérégulations. Elle conclut seule, sans demander aux chefs de gouvernement ni au parlement, des accords de libre échange prolongeant le mercantilisme européen.

L’erreur est humaine, la répéter diabolique


Les États Unis ont mené au sortir de la crise de 2020 une politique très différente de l’européenne. Voilà une économie qui a depuis 2010 laissé l’Europe loin derrière et qui génère d’énormes capacités d’investissement et d’innovations. Pourtant, le déficit public américain, c’est 6,3% du produit intérieur brut. Pourtant, la dette publique US, c’est 123% du PIB. Pourtant, le déficit commercial américain, c’est l’équivalent de 3% du PIB. D’après les doctrines économiques européennes, les États-Unis devraient être mis sous “troïka” et mener une politique de réduction drastique des salaires pour « rétablir ses comptes ».


Les États Unis ont financé leur différence de croissance avec l’investissement public, laissant loin derrière la vertueuse Europe. Il y a une corrélation, positive, entre dette et croissance.

La Chine fait la même politique que les États Unis pour rattraper et dépasser l’Union Européenne, bien trop restrictive même en accumulant des excédents commerciaux.

La crise américaine est une crise des inégalités économiques, et non sociales ou culturelles. La prospérité non partagée amène l’orage, toujours.

L’arrivée au pouvoir des démocrates s’accompagne de politiques déflationnistes contre l’inflation, touchant en premier lieu les salaires des classes populaires. Les inégalités sociales s’y aggravent et la prise de pouvoir médiatique et politique des oligarques s’accompagne d’une dégradation du débat public, sur des agendas de boucs émissaires. La bourgeoisie démocrate, incapable de s’unir aux syndicalistes et aux classes populaires – car cela signifierait augmenter leurs impôts et réduire leurs privilèges économiques – sera incapable de défendre la démocratie.

Les démocrates ont été incapables, en 2023 et en 2024, de prendre des mesures concrètes de soutien du pouvoir d’achat des américains. La politique de la banque centrale, la “Fed”, a joué un grand rôle en privant de l’accès au crédit à la consommation et au crédit immobilier des millions d’Américains. Or, l’accès au crédit est aux États-Unis le principal stabilisateur social et il est en crise. Joe Biden, qui conservait des éléments de keynésianisme, a été remplacé par Kamala Harris pour mener une campagne sur des sujets culturels principalement.

Trump est en train de mettre en place une politique de « mise au pas », de “Gleichschaltung”, de l’ensemble de l’État et de la société. C’est un coup d’État aux apparences de légalité. Ceux qui pensent pouvoir corriger ces effets en 2026 se trompent : les élections américaines de 2026, au mieux, ressembleront sans doute à celles de mars 1933 en Allemagne : un climat de violence, d’intimidation, et de réduction de la liberté de la presse.

Différentiel de vote entre scrutin sur l’avortement et score de Trump/Harris

L’électeur américain a ainsi voté dans de nombreux États à la fois pour l’augmentation des salaires minimums, des aides sociales et pour le droit à l’avortement, et en même temps, pour Trump, dont la principale promesse est de garantir le retour de la prospérité pour tous les Américains – “les vrais Américains”.

Les pertes de voix de Harris dans des électorats populaires s’accompagnent du maintien de la mobilisation des bases sociologiques trumpistes. La guerre culturelle approfondit les clivages et empêche de reconquérir l’électorat populaire passé à Trump en 2016.

Malgré ces énormes défis politiques, et les conséquences pour l’Europe, l’économie américaine était en bien meilleure position en faisant l’inverse de l’Union Européenne : soutien de la demande par la dette publique et l’investissement, transferts des gains économiques en investissements privés, innovation par la recherche publique monétisée par le privé.

Cependant, le libertarisme idéologique des oligarques américains est en train de détruire un à un ces ressorts de la prospérité américaine. Dans ces conditions, les oligarques auront besoin d’une autre manifestation indissociable des régimes ultra-capitalistes : la guerre, civile ou extérieure.

L’urgence en Europe, c’est reprendre le contrôle de notre économie

Le problème européen, ce n’est pas le recours à une immigration du travail, qui n’est qu’un symptôme d’une erreur plus large. Le problème européen, c’est d’avoir tout subordonné à l’idéologie de la compétitivité.

Car celle-ci a un autre nom : la déflation. Nous avons dévalué depuis plus de 20 ans nos salaires, nos services publics, nos investissements. La valeur du capital financier, comme celui du capital immobilier, a augmenté considérablement. Le but était d’être compétitif pour vendre plus de biens et de services au reste du monde que ce que nous voulions lui acheter. Cela s’est fait en réduisant nos capacités d’acheter, le prix du travail devant baisser.

Or, le monde a appris à produire ce que nous produisions et à détester les philosophies morales et politiques inventées en Europe. Nous ne sommes plus ni un partenaire commercial à la même hauteur, ni une puissance militaire respectée, ni un modèle intellectuel et culturel, nous devenons la nouvelle proie.

Au cœur de la sécurité européenne future se trouve d’abord un énorme effort d’investissement public.

Mais les classes politiques dominant les grands pays d’Europe n’en veulent pas. Myopes, soumises aux théories qui nous conduisent à un échec depuis 20 ans, incapables de se remettre en cause même face aux faits les plus brutaux, elles veulent continuer à servir une accumulation de capital stérile et vaine.

Tous les peuples européens ont les mêmes intérêts. Chaque Nation en Europe est solidaire par sa situation géographique, son histoire, son héritage issu des Lumières. Les Européens ont mené leur émancipation de religions obscurantistes, meurtrières en millions de victimes, de systèmes de féodalité les asservissant, de régimes autoritaires et héréditaires méprisant le droit et l’utilisant pour imposer les inégalités de naissance et de condition. L’Europe a créé un système pour ne plus asservir : la démocratie sociale, avec un État providence, acceptant la décolonisation, renforçant le système des organisations internationales.

Depuis les années 1970, des forces employant à tort le mot de « libéralisme » ont cherché à détruire tout ce qui a été construit en 1945 pour empêcher le retour des fascismes, au nom des « énergies libres du capitalisme », de la compétitivité, de la productivité, de l’efficacité. C’est ce mouvement qui est à sa fin décadente.

Il est temps de revenir à une période de solidarité, de réconciliation entre Européens, de reconstruction sur la base des philosophies de la raison. Les États-Unis sont perdus. Ils vont devenir le siège d’une pieuvre fasciste cherchant à détruire l’idée même de solidarité. Mais les droites européennes sont tentées d’abandonner toute morale, tout sentiment chrétien, toute compassion, pour quelques billets verts et quelques jouissances du pouvoir.

L’Europe n’a pas besoin de dérégulation et d’abandon supplémentaire à des lois du marché conçues pour un être humain amoral, égoïste, et immortel, c’est-à-dire, diabolique.

L’Europe a besoin d’un projet d’investissement commun, de l’abandon des bureaucraties myopes des ordolibéraux qui croient que l’état doit contrôler l’efficacité du marché à coup de normes, d’une mobilisation de l’épargne par emprunt, et la mobilisation des gains injustifiés des profiteurs de la guerre en Ukraine et de l’inflation par l’impôt confiscatoire sur les milliardaires.

Cette campagne de mobilisation doit reconstruire notre demande intérieure. Pour que les machines allemandes alimentent les industries françaises et non chinoises. Pour que les Allemands puissent consommer de la haute qualité en vêtements et en nourriture française et non du low cost Bengalais ou chilien.

En France, le budget adopté est le plus stupide de notre histoire depuis 1788. l’effondrement des recettes en 2023 s’est accéléré en 2024 et ne s’arrêtera pas en 2025. Car les recettes dépendent directement de la croissance.

Or, depuis 2023, d’après la plus récente note de l‘Insee, l’épargne ne s’investit pas, ni ne se consomme, et le pouvoir d’achat s’effondre. Seule les dépenses de l’État alimentent encore un peu la croissance. Et, le pays cessant de produire pour lui-même, les importations continuent d’augmenter, obligeant le pays à s’endetter.

Et que va faire ce budget ? Casser le seul moteur de la faible croissance, stopper les investissements, et ne rien faire pour la sécurité géopolitique du pays.

Voilà où j’attends la gauche, et non dans les disputes sur le « sexe des anges » au sein de la coalition électorale actuelle. Je constate que celles et ceux qui partagent mes constats et mes solutions sont systématiquement « silencés », tant dans les médias que par ces gauches médiocres.

Le triomphe de la folie n’est cependant pas inéluctable. Nous avons, dans notre histoire européenne, vaincu plusieurs fois la folie. J’ai espoir.

Rappels et perspectives pour notre avenir

Qui se souvient de 2013 ?

J’avais alors mis en garde sur la montée de l’extrême droite allemande au moment du scrutin législatif. J’avais posé l’idée que sans renversement des logiques budgétaires et économiques, les extrêmes droites européennes prospéreraient. J’avais notamment regretté que les logiques de « compétitivité » et de concurrence entre les économies nationales au sein du marché unique entraînaient de force un appauvrissement des classes populaires. J’avais enfin écrit que la culture démocratique était en danger.

2013 était une fenêtre de tir historique. Elle fut manquée. L’histoire ne repasse pas les plats. Les conséquences de nos myopies doivent être assumées.

En 2025, l’Europe fait face à l’abandon de l’allié américain. Celui-ci veut partager le monde directement avec la Chine et la Russie. Les alliés idéologiques argentins ou indiens seront sans doute associés. L’Europe, vue comme le maillon faible, est la proie.

Dimanche soir, au débat télévisé entre présidents de partis allemands, l’atlantisme allemand, qui justifiait de mépriser la France tout au long des années Merkel et Scholz, a commencé à se fissurer. Le patron des écologistes, Habeck, a constaté que les États-Unis de Trump se plaçaient du côté des adversaires des valeurs de l’universalisme européen. Merz, le futur chancelier chrétien-démocrate, a aussi fait le constat que l’alliance américaine était finie, à la surprise de nombreux observateurs.

https://www.swissinfo.ch/fre/face-%C3%A0-trump,-merz-pr%C3%AAt-%C3%A0-abandonner-l’atlantisme-allemand/88915577

Seul Scholz, le chancelier sortant du SPD, s’accrochait encore à l’Otan comme un outil pertinent de sécurité.

Merz est un homme des années 1980. Âgé de 69 ans, passé par un fonds d’investissement américain où il a fait fortune, il n’a pas de réflexion profonde sur la crise actuelle, reprenant le prêt à penser mainstream qui unit l’extrême droite, la droite et le centre : « il faut baisser les dépenses publiques, réduire les impôts des riches, baisser les cotisations et les prestations des pauvres, réduire les salaires pour rester compétitif. Il faut fermer les frontières. Il faut expulser. Et par miracle, la demande déprimée, l’investissement partant aux États-Unis plutôt qu’en Europe, la croissance repartira ». C’est de la pensée magique. Mais la crise américaine pourrait entraîner des révisions drastiques des dogmes mainstream.

Sinon, on connaît le scénario : la crise économique et sociale s’aggrave, la vulnérabilité géopolitique augmente, la droite prend panique et s’allie à l’extrême droite.

Les gauches européennes ont encore une fenêtre de tir.

Il faut réfléchir ensemble à trois sujets :

1. Quelle transformation du modèle économique européen est elle nécessaire, pour que notre demande absorbe notre production et réduire notre dépendance à la demande internationale. En créant une demande européenne interne, nous soutiendrons notre production, des emplois à haute valeur ajoutée, une progression du pouvoir d’achat. Cela passe par l’investissement public, la fin des règles d’or.

2. Quelle transformation de notre système de défense et d’alliance est nécessaire pour garantir notre sécurité géopolitique et intérieure ? L’OTAN ne joue pas ce rôle. L’allié américain n’est pas fiable, et trahit l’alliance. La dépendance aux technologies américaines est un poison.

3. Quelle transformation de notre rôle culturel et médiatique souhaite t-on ? Cela implique retrouver une souveraineté sur nos espaces publics, médiatiques, technologiques et investir massivement dans la science et la raison, alors que Trump est en train de tuer la recherche scientifique aux États-Unis.

C’est ce à quoi je souhaite m’employer.

Mathieu Pouydesseau

  1. Friday for future : mouvement lancé par des mouvements activistes sur le climat ayant eu beaucoup de succès dans les lycées et les universités d’Allemagne avec des manifestations tous les vendredis. Friday for future a eu l’impact en Allemagne de sos racisme dans les années 1980 en France. Que les Verts aient perdu la main sur ce mouvement au profit des Linke par une transformation d’un mouvement pro-climat en un mouvement antifasciste pose fortement questions aux écologistes. ↩︎

Élections Allemandes : Mathieu Pouydesseau analyse les résultats [PODCAST]

Quel est l’impact des élections législatives allemandes sur l’Europe et ses voisins ?
Dans cet épisode du podcast « 10 minutes, le podcast des Français dans le Monde », Gauthier Seys interrogeait lundi 24 février 2025 Mathieu Pouydesseau sur les répercussions potentielles des récentes élections législatives allemandes.

Alors que l’Allemagne, pilier central de l’Union européenne, traverse une période de bouleversements politiques, quelle influence cela pourrait-il avoir sur ses voisins, notamment la France ? Ce questionnement introduit une discussion captivante qui explore les dynamiques politiques actuelles en Allemagne et leurs implications plus larges.

L’extrême droite s’attaque à la justice !

Là où certains voient un drame, d’autres ne peuvent s’empêcher d’y percevoir une sordide opportunité. Il y a quelques jours, le corps d’une jeune fille de onze ans, Louise, était découvert en Essonne. On imagine toujours la profonde douleur des parents confrontés à la perte brutale d’un enfant — notre humanité nous commande de nous y associer.

En dépit du souhait de la famille d’éviter toute récupération politique, l’identité complète d’un des suspects fut presque immédiatement divulguée par certains médias. Cette fuite donna lieu à un véritable lynchage numérique, orchestré et amplifié par certaines figures de l’extrême droite, ravies de relayer cette « information ». Car voilà, un des deux suspects avait un nom qui semblait être « extra-européen ».

En parallèle, un journaliste du média Frontières entreprit de s’attarder sur le profil Twitter de la sœur de la victime, qui avait initialement relayé l’avis de disparition. Constatant qu’elle affichait parfois des positions plutôt marquées à gauche, il l’exposa publiquement dans une publication désormais supprimée. S’en est suivie une vague de harcèlement profondément abjecte, où certains l’accusaient — sans même connaître le mobile du meurtre — d’être « responsable de la mort de sa sœur ». Face à l’ignoble, la jeune femme a été contrainte de clôturer son compte.

Le soir même, le parquet annonçait finalement mettre hors de cause les premiers suspects. Ceux qui jappaient pourtant si fort se sont alors subitement tus, et même si une bonne partie d’entre eux ont supprimé leurs messages qui bafouaient allègrement la présomption d’innocence, la honte ne semble pas les étouffer pour autant.

L’avocate du premier suspect — désormais tout à fait hors de cause — a effectivement annoncé porter plainte pour violation du secret de l’enquête et de l’instruction. Mais l’origine de la fuite sera-t-elle identifiée ? Cette propension qu’ont certains médias à trouver si rapidement parmi les personnes concourant à la procédure des relais prêts à divulguer des informations confidentielles devrait nous inquiéter.

S’il est normal qu’un drame puisse susciter l’émoi et déclencher des débats de société, ceux-ci doivent avant tout rester rationnels, et toujours respecter les valeurs de la dignité humaine.

Malheureusement, tous ces gens attendront patiemment la prochaine occasion de faire déferler la haine. Pendant ce temps, ils ignoreront qu’un enfant est victime de viol ou d’inceste toutes les trois minutes en France. Ils ignoreront que dans notre pays, le comptage des infanticides reste entaché d’une part d’ombre importante, particulièrement s’agissant des décès des très jeunes enfants1. Au fond, la souffrance des victimes les intéresse-t-elle vraiment ?

Ils feront le tri dans les faits divers, bavant d’avance d’y trouver un nom n’ayant pas une consonance européenne. Puis, par un mécanisme ayant moins de rapport avec les subtilités de l’intelligence humaine qu’avec les salivations du chien de Pavlov, ils se remettront à aboyer, pensant encore avoir trouvé la source du mal là où elle n’est pas.

Il y a quelques semaines, le média Frontière avait déjà défrayé la chronique en publiant une liste d’avocats qu’il considérait comme « coupables » de la « submersion migratoire » – un véritable « palmarès des avocats de clandestins ». La méthode de dénonciation et de mise au pilori demeure inchangée, et les réactions ordurières subséquentes se sont empressées d’apparaître.

Ne leur en déplaise, le droit de la défense est universel : toutes les femmes et tous les hommes naissent et demeurent d’ailleurs libres et égaux en droits. Porter atteinte à ce principe fondamental de notre justice républicaine, tout en ciblant les avocats, constitue une attaque grave contre notre démocratie.

L’insécurité est une préoccupation majeure et légitime des Françaises et des Français. Mais tandis que nous sommes déterminés à apporter des solutions rationnelles à cette problématique, nous répéterons inlassablement que ni la propagation de la haine, ni les instrumentalisations racistes ne contribueront à résoudre la situation. Bien au contraire, exacerber des divisions déjà profondes ne ferait que l’envenimer.

Derrière les coups médiatiques se dessine une certaine conception de nos institutions, qui ne manquera pas d’être transposée en actes si la droite extrême obtient le pouvoir. Il nous appartient de la dénoncer sans relâche, et d’y opposer notre idée d’une justice ne transigeant jamais, mais restant toujours digne de la grande patrie des droits de l’Homme.

Maxence Guillaud

  1. Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/020225/un-d-infanticides-les-ressorts-d-une-violence-immuable
    Libération : https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/15/combien-y-a-t-il-d-infanticides-par-an_1659098/ (études contestés)
    Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/06/les-infanticides-des-meurtres-a-l-ampleur-meconnue_6069003_3224.html ↩︎

Que faire quand Trump « inonde la zone » ?

Depuis sa prise de fonction officielle comme 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump multiplie les prises de parole provocatrices qui varient du clownesque au répugnant en passant par l’agressif. De l’annexion du Canada et du Groënland à l’explosion des droits de douane, de la remise en cause illégale du droit du sol aux USA aux attaques outrancières contre la Cour Pénale Internationale, de l’abolition de l’impôt sur le revenu à la déportation des Palestiniens pour faire de Gaza une nouvelle Riviera sous occupation américaine…

Il est inutile de répondre ou de chercher à répondre à chacune de ses provocations. Sans mésestimer sa volonté et sa capacité à vouloir mettre en œuvre concrètement certaines d’entre elles, Donald Trump sait parfaitement jouer de la Société du Spectacle dont il est un éminent produit et représentant.

Cette stratégie a été ouvertement assumée pour ce qu’elle est par Steve Bannon, ce « théoricien » de l’AltRight qui reste un de ses proches : il s’agit d' »inonder la zone », une stratégie de la submersion médiatique avec deux objectifs :

  • provoquer indignation et sidération pour incapaciter l’adversaire (enfin l’ennemi) ;
  • donner tellement d’os à ronger à la presse, considérée comme un adversaire politique, qu’elle ne sait plus trop lequel saisir pour tourner en boucle dessus…

Pendant ce temps, Trump, Musk et leurs amis avancent tranquillement dans la mise en œuvre de leur agenda impérialiste, oligarchique et capitaliste autoritaire.

Il ne sert donc à rien de réagir ou sur-réagir : la seule chose à faire est de nous-mêmes fixer une ligne directrice, des principes à rappeler (calmement, fermement et froidement) et un agenda à dérouler. C’est bien là une priorité que devrait se fixer la France – et ses alliés européens – plutôt que de donner le spectacle aujourd’hui de canards sans tête ou de lapins hypnotisés par les phares d’un SUV.

Nos priorités stratégiques et géopolitiques, notre politique commerciale, nos stratégies de défense et nos alliances sont à redéfinir face à l’émergence ou au renouvellement des impérialismes américain, chinois, russe ou turc.

Frédéric Faravel

80 ans après, notre responsabilité face à l’avenir

Le 27 janvier 1945, voici 80 ans jour pour jour, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau était découvert. La réalité de l’univers concentrationnaire et exterminateur nazi ne faisait plus de doute depuis longtemps ; le 22 juillet 1944, déjà des unités soviétiques avaient découvert le camp de concentration et d’extermination de Majdanek, situé à l’ouest de la ville de Lublin. À l’ouest de septembre 1944 à jusqu’au printemps suivant, les Anglo-américains et les Français découvrirent également l’horreur des camps de concentration : les renseignements britanniques avaient acquis dès 1942 la certitude de l’organisation de la mise à mort des Juifs d’Europe par le IIIème Reich à l’est du continent.

Le 27 janvier 1945, des unités de l’Armée rouge atteignirent Auschwitz-Birkenau, situé au sud de la ville de Cracovie. Elles secoururent les quelques 7 000 malades et mourants qui y avaient été abandonnés. Nombre d’entre eux succombèrent, à bout de forces, quelques heures ou jours plus tard. Dans son récit sur les derniers jours à Auschwitz, l’écrivain italien Primo Levi décrit la situation qui régnait à l’arrivée des libérateurs en ces termes : « Nous nous trouvions dans un monde de morts et de larves. Autour de nous et en nous, toute trace de civilisation, si minime soit-elle, avait disparu. L’œuvre de transformation des humains en simples animaux initiée par les Allemands triomphants avait été accomplie par les Allemands vaincus ». Une dizaine de jours auparavant, dès le 17 janvier 1945, les quelque 60 000 détenus encore aptes à marcher furent emmenés vers l’Ouest.

Rappeler les faits : une industrie de la mort

À l’occasion des cérémonies qui auront lieu, il faut sans cesse rappeler les chiffres : Le Museum Holocaust de Washington indique que les victimes juives furent plus de 5 860 000. Quoiqu’il en soit, le chiffre d’environ 6 millions de personnes est avancé et accepté par la plupart des autorités compétentes sur la question. Bien plus que les victimes elles-mêmes, c’est une part de l’histoire et de l’identité culturelle de l’Europe qui a été ainsi irrémédiablement détruite. Il faut y ajouter plus de 200 000 à 500 000 Tsiganes voués également à l’extinction par les Nazis, plusieurs milliers d’homosexuels, 30 à 40 000 prisonniers de guerre non soviétiques, Environ 3,3 millions prisonniers de guerre soviétiques, 1,8 million de Polonais (non juifs), plus de 310 000 Serbes, 300 000 personnes handicapées dont au moins 10 000 enfants, plusieurs dizaines de milliers d’opposants politiques et dissidents allemands et plusieurs milliers de déportés politiques ou résistants issus d’autres pays d’Europe occupée.

Le caractère insoutenable, inimaginable et insupportable de ces chiffres démontre à lui-seul l’énormité du crime, le niveau de préméditation, de conception, d’organisation d’un effort industriel pour mettre à mort des millions d’êtres humains et d’en promettre plusieurs millions d’autres à la mort sur la base de la pensée raciste, complotiste et paranoïaque qu’était le national-socialisme conçu par Hitler et ses milliers de complices immédiats. Cela dit aussi la mobilisation des centaines de milliers de complicité dans tous les rouages de la société allemande nazifiée, mais bien au-delà dans toutes les sociétés des pays européens alliés du IIIème Reich ou occupés par les puissances de l’Axe.

Négationnisme

80 ans plus tard, nous n’osons pas concevoir qu’une telle chose puisse à nouveau se reproduire. Pourtant pendant des décennies, la parole des déportés survivants a été peu entendue ; elle dérangeait. Il a fallu attendre les années 1970 pour que le devoir de mémoire prenne l’ampleur qui était nécessaire et qu’on ne limite pas l’univers concentrationnaire au but de répression des opposants politiques et des actions de résistance nationale. On ne niait pas la réalité du génocide des Juifs d’Europe et des Tsiganes, mais elle ne faisait pas le cœur du message.

Pourtant, là-aussi, dès les années 1980, le négationnisme trouva des porte-voix et des supports pour répandre le message de haine qu’il colporte intrinsèquement. Si des Faurisson et des Garaudy n’auraient jamais dû sortir du caniveau de marginalité que leurs idées méritaient, la montée électorale de l’extrême droite a permis d’apporter une résonance médiatique supplémentaire : les provocations ignobles de Jean-Marie Le Pen sur le « point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale » ou sur « Monsieur Durafour crématoire » n’avaient pas d’autres buts ; que le fondateur du FN devenu RN ait été condamné pour ces incitations évidentes à la haine raciale et la négation de crimes contre l’humanité n’y change rien, le mal était fait.

« Il est encore fécond le ventre de la bête immonde« 

Aujourd’hui encore, on a vu nombre de candidats du RN lors des campagnes des législatives de 2022 et 2024 tenir des propos qui montrent que ce parti, fer de lance de l’extrême droite en France, n’a pas besoin de « Reconquête ! » et d’Éric Zemmour pour colporter un antisémitisme radical. En ce moment même en Allemagne, le principal parti d’opposition en plein campagne électorale, Alternative für Deutschland (AfD), développe ouvertement parmi ses cadres une nostalgie du régime nazi et de ses solutions : ses propositions et ses messages visuels codés ne peuvent laisser de doutes. Invités par deux fois à s’exprimer devant les militants et les sympathisants de l’AfD, Elon Musk (qui s’est illustré entre autre chose par un salut nazi à la foule MAGA pour fêter l’investiture de Donald Trump comme président des États-Unis d’Amérique) a clairement relativisé ce 25 janvier la portée des crimes du IIIème Reich pour autoriser ses héritiers politiques à promouvoir leurs solutions : « Il est bon d’être fier de la culture allemande, des valeurs allemandes et de ne pas les perdre dans une sorte de multiculturalisme qui dilue tout » avant de poursuivre en disant que « les enfants ne devraient pas être coupables des péchés de leurs parents, et encore moins de leurs arrière-grands-parents. […] L’accent est trop mis sur la culpabilité du passé, et nous devons aller au-delà de cela. »

Disons un mot des deux principales propositions liées de l’AfD : combattre le « grand remplacement » par un projet de « remigration »… l’un et l’autre résonnent avec l’antisémitisme et une violence de masse. Pour les promoteurs de la thèse du « grand remplacement » (Renaud Camus arrivant même à inspirer avec ce thème des tueurs de masse jusqu’en Nouvelle Zélande), il y a un opérateur à ce projet fantasmé de mixité démographique et de remplacement des ethnies européennes par des immigrants arabo-musulmans ou africains : les Juifs… encore et toujours la même obsession délirante et morbide ! Quant à la « remigration », c’est le terme poli pour présenter un programme de déportation de masse de personnes dont les attaches et les racines sont en Europe depuis plusieurs générations. Interrogé sur Radio Courtoisie, un des leaders de Génération identitaire expliquait par ailleurs que « d’un point de vue identitaire, la remigration ça veut dire pour les Juifs également ».

Notre tâche

Que faire alors que les témoins disparaissent les uns après les autres ? La presse insiste à raison sur l’engagement exemplaire de Mme Ginette Kolinka (99 ans), rescapée d’Auschwitz-Birkenau, qui continue (avec d’autres) malgré son grand âge à faire le tour des établissements scolaires. Faire reculer le négationnisme, l’antisémitisme, le racisme et la haine qui conduisent toujours à la mort ne pourra pas se faire (en tout cas pas uniquement) avec de grandes déclarations médiatiques moralisatrices ; il faut faire œuvre d’éducation auprès de nos enfants, auprès des élèves, dans toutes les couches de la société, dans tous les territoires, en France comme partout ailleurs en Europe. Il faut faire œuvre d’éducation populaire en prenant le temps de parler et d’expliquer à tous les publics. C’est à nous aujourd’hui de prendre le relais, de porter le flambeau.

Nous avons une autre responsabilité : mettre un terme à la surenchère identitaire qui domine le débat public, proposer un horizon à nos concitoyens qui remettent au cœur de nos sociétés ce qui nous fait vivre ensemble, proposer un avenir de mieux être quand tous parlent de déclin.

Frédéric Faravel

Mettons fin à la complaisance à l’égard d’Elon Musk

La France s’est vue confiée par l’assemblée générale des Nations Unies l’organisation du « Sommet pour l’Action dans l’Intelligence Artificielle (IA) », faisant suite à l’adoption à sa 79ème session du « pacte numérique mondial », et aux sommets pionniers ayant déjà eu lieu en Grande Bretagne en 2023 et en Corée du Sud en 2024. Ce sommet aura lieu à Paris, au Grand Palais, les 10 et 11 février 2025, organisé par le palais de l’Élysée.

La feuille de route de ce sommet est à la fois ambitieuse en définissant des objectifs universels, et pusillanime quant aux moyens à mettre en place. Voici les 5 axes de travail :

  • L’IA au service de l’intérêt général,
  • Avenir du travail,
  • Innovation et culture,
  • IA de confiance,
  • Gouvernance mondiale de l’IA.

Son agenda, et la starisation choisie de personnalité controversées du capitalisme technologique libertarien, interrogent tous les démocrates sincères.

En octobre 2024 la mission de préparation annonce souhaiter « lutter contre le mésusage de l’IA », en « s’appuyant sur un consensus scientifique robuste », notamment pour « lutter contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux. »

Elon Musk est pourtant annoncé comme l’une des stars de l’évènement qu’Emmanuel Macron souhaite utiliser pour redorer son blason, après ses échecs budgétaires, économiques et politiques, et ses deux défaites électorales consécutives.

Le loup est invité à cuisiner le chaperon rouge !

Nous devons, au nom de la décence et de la protection des libertés publiques, interpeller la présidence française, encore une fois.

Le nouveau ministre américain en charge de « la simplification administrative » a toujours été soigné par le président de la République Française, pensant ainsi attirer l’une des sociétés du magnat de la technologie, Tesla, dans notre pays.

Musk a choisi l’Allemagne, mais le président français Macron continue sa danse du paon.

Nous sommes persuadés que la France, par son histoire, son universalisme, les contributions essentielles de ses chercheurs et ses philosophes sur les concepts clés de l’IA, doit être le moteur en Europe des réflexions sur son déploiement, sa régulation : il s’agit d’un enjeu politique crucial, un enjeu de souveraineté, un enjeu vital pour garantir notre indépendance.

Ce que nous refusons avec force, c’est que soit à nouveau déroulé le tapis rouge pour Elon Musk et ses alliés libertariens ! Celui qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde n’est pas seulement le premier allié de Donald Trump : il est devenu un acteur politique toxique, ennemi de toutes les lois limitant son pouvoir absolu, et chantre d’un libertarianisme aussi débridé qu’irrationnel, soutenant les néofascismes européens.

Après avoir déboursé 270 millions de dollars et mis son réseau x et son logiciel d’intelligence artificielle Grok au service de Donald Trump pendant la campagne électorale américaine, il a submergé l’espace médiatique de fausses informations.

Depuis le scrutin de novembre 2024, Elon Musk a insulté publiquement le Chancelier allemand et fait ouvertement campagne pour l’AfD, un parti d’extrême-droite allemand, dont les dirigeants assument leurs inspirations néo-nazies.

Il s’attaque également au gouvernement travailliste britannique, soutenant l’extrême droite anglaise, propageant fausses polémiques et accusations diffamatoires.

Il insulte le chef du gouvernement canadien démissionnaire, soutenant la campagne impérialiste de Trump visant à annexer ce pays, une partie du Danemark, et le Panama.

L’Europe a décidé, lâchement, de faire semblant de ne pas entendre les déclarations pourtant répétées du nouvel exécutif nord-américain.

Les dirigeants politiques attaqués, dont deux social-démocrates, sont seuls face à des campagnes de haine multipliés par les algorithmes trafiqués.

Le patron de Meta Marc Zuckerberg (Facebook, Youtube, Instagram, WhatsApp, etc.) a annoncé se rallier lui aussi à l’alliance idéologique populiste pour inonder les réseaux de contenus manipulant les réseaux sociaux !

Comment inviter des patrons qui déclarent être opposés aux objectifs du sommet ? Ils ne serons là que pour les saboter.

Comme pourraient-ils être encore le bienvenu en France, alors qu’ils s’attaquent à nos intérêts et aux fondements de la démocratie républicaine ?

Elon Musk n’a jamais été un partenaire loyal mais une menace permanente. Aujourd’hui, il attaque ouvertement le principe même de l’égalité devant la loi, les fondements de notre démocratie. Sa prétendue défense de la liberté d’expression est d’une indécence absolue : quelle liberté d’expression reste-t-il quand des multimilliardaires disposent des outils médiatiques les plus puissants pour saturer le débat public de mensonges ?

Musk ne veut pas de liberté d’expression, il veut la liberté de mentir, de diffamer, de propager la haine, avec ses gigantesques moyens financiers comme seules limites.

Qui, une fois pris comme cible par ces hommes riches, opposés aux principes démocratiques, peut espérer faire corriger une accusation mensongère par sa propre voix, sans la protection des lois ?

Musk met toute sa puissance pour saper la démocratie issue de la philosophie des Lumières ; il est parmi nos ennemis.

Le président américain Donald Trump sera présent également. Il n’est pas possible de l’empêcher de participer vu le mandat de l’assemblée générale des Nations Unies. Mais sommes-nous obligés de dérouler le tapis rouge à ceux qui multiplient les déclarations hostiles à nos valeurs, notre démocratie, à l’Europe ?

La Gauche Républicaine et Socialiste demande à la présidence de la République et au gouvernement de tenir enfin un discours de fermeté en direction des principaux dirigeants des multinationales du numérique : les conditions d’exercice de la liberté d’expression ne sont pas marchandables, la protection des médias et de l’information et des citoyens français ne sont pas négociables. La GRS exige que l’Union Européenne consolide l’encadrement législatif des services numériques (DSA) pour protéger les citoyens et nos démocraties de l’incitation à la haine, à la violence et au terrorisme, des manipulation, des opérations de désinformation et des contrefaçons ; la GRS exige que les plateformes numériques soient enfin mises réellement et de manière concrète en face de leurs responsabilités et de leurs obligations en Europe et qu’elles soient sanctionnées quand elles ne les respectent pas.

Nous appelons les organisations démocratiques à faire des propositions communes en ce sens. Nous proposons à l’ensemble des organisations politiques et de défense des libertés à se joindre à elle dans cette exigence et à l’exprimer sur place lors du sommet.

Frédéric Faravel et Mathieu Pouydesseau

Retrouver le sens des priorités à gauche pour éviter le basculement à l’extrême droite de l’Europe


intervention de mathieu pouydesseau pour la Gauche Républicaine et Socialiste au bureau exécutif du Parti de la Gauche Européenne (PGE), Berlin, samedi 11 janvier 2025

Lors du Congrès de Vienne en décembre 2022, nous avions appelé le PGE à mener une campagne sur le travail et le pouvoir d’achat face à la crise inflationniste déjà visible.

Le Capitalisme européen et international a utilisé les outils anti travail habituels :

  • Hausse des taux d’intérêts, Christine Lagarde et Ursula von der Leyen posant comme stratégie que le passage par une courte récession était nécessaire pour maîtriser l’inflation ;
  • Guerres et tensions géopolitiques ;
  • Transfert des revenus des salariés aux actionnaires, de l’Etat aux monopoles privés ;
  • Division des classes salariés et populaires par race et genre, par boucs émissaires.

C’est la Weimarisation européenne et occidentale que nous avions théorisé dès 2017.

L’Autriche rejoue aujourd’hui le moment de janvier 1933.

La France est en juin 1932 : avec un parlement sans majorité. L’union des gauches initiée par François Ruffin et les écologistes s’est imposée aux deux forces contraires de la gauche, les Insoumis et les social-démocrates. L’extrême droite a cependant fait 1 million de voix de plus que la gauche unie.

Elle a perdu en sièges grâce à notre mode de scrutin et à une coalition de barrage entre la gauche et des partis bourgeois libéraux. L’extrême droite a progressé cependant de 7 points au second tour. Mais les partis bourgeois ont trahi ce front républicain pour garder le pouvoir, étant majoritaire avec l’extrême droite.

La droite française et les droites libérales et bourgeoises ailleurs en Europe sont aujourd’hui comme hier sont devant leur responsabilité de choisir entre une alliance (ou une complaisance) avec l’extrême droite ou des stratégies de défense irréductible de la démocratie (c’est une façon de rejouer le « moment Von Papen », du nom de ce Chancelier allemand, conservateur catholique, aux affaires lors du second semestre 1932, qui conseilla au Président de la république allemande, le Maréchal Hindenburg, de nommer Hitler Chancelier à la tête d’un gouvernement où les partis conservateurs resteraient cependant majoritaires). En France, Michel Barnier avait visiblement choisi de négocier avec le Rassemblement national pour tenter de faire adopter son projet de budget pour 2025 : il a été censuré ; on ne sait pas encore quelle sera la réalité des arbitrages de François Bayrou (la composition de son gouvernement, tournant le dos au message électoral, est peu encourageante, mais l’ouverture de discussions avec la gauche diffère au moins sur la forme de la voie choisie par Michel Barnier : on commencera à mesurer la « vérité des prix » le 14 janvier 2025 lors de sa déclaration de politique générale).

L’Allemagne est hésitante, mais là encore c’est bien la bourgeoisie libérale qui est prête à sacrifier la démocratie pour protéger ses privilèges fiscaux.

L’Italie et les Pays Bas ont déjà franchi les lignes vécu leur « moment Von Papen ». La Belgique, notre camarade du PTB l’a dit, est aussi en voie de von Papenisation.

Car le militarisme comme la question migratoire sont des instruments de diversions pour détourner notre attention de l’objectif principal des bourgeoisie libérale : le maintien des structures fiscales et économiques ayant transféré la richesse du travail au capital.

Notre incapacité à combattre ces évolutions explique le ralliement des classes populaires a l’extrême droite. Voilà notre défi : comment remettre la question du pouvoir d’achat et du partage des richesses au cœur de nos actions, au cœur du débat politique civique.

Regardez la victoire de Trump aux États-Unis : des États ont tout à la fois voté pour augmenter le salaire minimum, la protection médicale, le droit a l’avortement ET « en même temps » pour Trump.

L’inflation et la perte de pouvoir d’achat a tué les Démocrates. Les questions sociétales sont secondaires. Le capitalisme de Trump et Musk, c’est un darwinisme social, raciste, anti-démocratique. Il accepte jusqu’à 6 degrés de réchauffement climatique. Il compte en tirer de la richesse.

Notre camarade grec a rappelé la crise du logement : c’est le fonds aussi du transfert des revenus du travail au capital. Salaire et logement ! Revenons aux bases pour combattre le néofascisme ! Ne reproduisons pas les erreurs des gauches allemandes en 1932.

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