Retrouver le sens des priorités à gauche pour éviter le basculement à l’extrême droite de l’Europe


intervention de mathieu pouydesseau pour la Gauche Républicaine et Socialiste au bureau exécutif du Parti de la Gauche Européenne (PGE), Berlin, samedi 11 janvier 2025

Lors du Congrès de Vienne en décembre 2022, nous avions appelé le PGE à mener une campagne sur le travail et le pouvoir d’achat face à la crise inflationniste déjà visible.

Le Capitalisme européen et international a utilisé les outils anti travail habituels :

  • Hausse des taux d’intérêts, Christine Lagarde et Ursula von der Leyen posant comme stratégie que le passage par une courte récession était nécessaire pour maîtriser l’inflation ;
  • Guerres et tensions géopolitiques ;
  • Transfert des revenus des salariés aux actionnaires, de l’Etat aux monopoles privés ;
  • Division des classes salariés et populaires par race et genre, par boucs émissaires.

C’est la Weimarisation européenne et occidentale que nous avions théorisé dès 2017.

L’Autriche rejoue aujourd’hui le moment de janvier 1933.

La France est en juin 1932 : avec un parlement sans majorité. L’union des gauches initiée par François Ruffin et les écologistes s’est imposée aux deux forces contraires de la gauche, les Insoumis et les social-démocrates. L’extrême droite a cependant fait 1 million de voix de plus que la gauche unie.

Elle a perdu en sièges grâce à notre mode de scrutin et à une coalition de barrage entre la gauche et des partis bourgeois libéraux. L’extrême droite a progressé cependant de 7 points au second tour. Mais les partis bourgeois ont trahi ce front républicain pour garder le pouvoir, étant majoritaire avec l’extrême droite.

La droite française et les droites libérales et bourgeoises ailleurs en Europe sont aujourd’hui comme hier sont devant leur responsabilité de choisir entre une alliance (ou une complaisance) avec l’extrême droite ou des stratégies de défense irréductible de la démocratie (c’est une façon de rejouer le « moment Von Papen », du nom de ce Chancelier allemand, conservateur catholique, aux affaires lors du second semestre 1932, qui conseilla au Président de la république allemande, le Maréchal Hindenburg, de nommer Hitler Chancelier à la tête d’un gouvernement où les partis conservateurs resteraient cependant majoritaires). En France, Michel Barnier avait visiblement choisi de négocier avec le Rassemblement national pour tenter de faire adopter son projet de budget pour 2025 : il a été censuré ; on ne sait pas encore quelle sera la réalité des arbitrages de François Bayrou (la composition de son gouvernement, tournant le dos au message électoral, est peu encourageante, mais l’ouverture de discussions avec la gauche diffère au moins sur la forme de la voie choisie par Michel Barnier : on commencera à mesurer la « vérité des prix » le 14 janvier 2025 lors de sa déclaration de politique générale).

L’Allemagne est hésitante, mais là encore c’est bien la bourgeoisie libérale qui est prête à sacrifier la démocratie pour protéger ses privilèges fiscaux.

L’Italie et les Pays Bas ont déjà franchi les lignes vécu leur « moment Von Papen ». La Belgique, notre camarade du PTB l’a dit, est aussi en voie de von Papenisation.

Car le militarisme comme la question migratoire sont des instruments de diversions pour détourner notre attention de l’objectif principal des bourgeoisie libérale : le maintien des structures fiscales et économiques ayant transféré la richesse du travail au capital.

Notre incapacité à combattre ces évolutions explique le ralliement des classes populaires a l’extrême droite. Voilà notre défi : comment remettre la question du pouvoir d’achat et du partage des richesses au cœur de nos actions, au cœur du débat politique civique.

Regardez la victoire de Trump aux États-Unis : des États ont tout à la fois voté pour augmenter le salaire minimum, la protection médicale, le droit a l’avortement ET « en même temps » pour Trump.

L’inflation et la perte de pouvoir d’achat a tué les Démocrates. Les questions sociétales sont secondaires. Le capitalisme de Trump et Musk, c’est un darwinisme social, raciste, anti-démocratique. Il accepte jusqu’à 6 degrés de réchauffement climatique. Il compte en tirer de la richesse.

Notre camarade grec a rappelé la crise du logement : c’est le fonds aussi du transfert des revenus du travail au capital. Salaire et logement ! Revenons aux bases pour combattre le néofascisme ! Ne reproduisons pas les erreurs des gauches allemandes en 1932.

Bayrou à Matignon : la dernière cartouche de Macron

Emmanuel Macron a décidé une nouvelle fois de rester dans le déni du résultat des élections législatives qu’il a lui-même provoquées.

En nommant François Bayrou au poste de Premier ministre, le Président a choisi la continuité, là où une majorité de Français aspiraient au changement.

Depuis sept ans, les députés du parti de Monsieur Bayrou ont soutenu, avec tous les autres macronistes, la retraite à 64 ans, les réformes cruelles de l’assurance-chômage, les « lois travail » et les privilèges fiscaux accordés aux plus riches.

Macron avait dit vouloir la « stabilité institutionnelle » : sous Bayrou comme sous Barnier, tous deux minoritaires, celle-ci risque de s’enliser dans la paralysie politique. L’aspiration à une vie meilleure des millions de Français qui ont soutenu le Nouveau Front Populaire restera sans doute ignorée. 

La discussion sur le budget sera un moment de vérité. Si la nouvelle équipe gouvernementale persiste à refuser des mesures élémentaires de justice fiscale et sociale, alors elle aura une durée de vie tout aussi éphémère que la précédente.

Il reste à espérer que le nouveau Premier ministre prendra au sérieux l’état de déliquescence démocratique qui caractérise notre pays après sept ans de macronisme.

Le respect du Parlement, qui passe au préalable par l’abandon de l’utilisation du 49.3, sera une condition sine qua non de sa longévité politique.

Chute du gouvernement Barnier : pour une nouvelle majorité de progrès social !

C’était écrit dès sa nomination. Dépourvu de majorité à l’Assemblée nationale, le Gouvernement de Michel Barnier était condamné d’avance, à plus forte raison lorsqu’il a décidé de poursuivre la politique de Macron, rejetée par les électeurs le 7 juillet dernier.

En dépit de ses marques de « respect » et d’une réputation de négociateur chevronné, Michel Barnier n’a jamais tenté de rechercher de compromis avec la gauche. Toutes nos propositions pour réduire le déficit sans faire peser le fardeau sur les classes populaires et moyennes ont été refusées. Toutes nos demandes pour corriger le budget de l’Etat et de la Sécurité sociale pour que les services publics et les Français les plus vulnérables soient protégés, ont reçu une fin de non-recevoir.

Pire : Barnier s’est lancé dans des négociations exclusives avec le Rassemblement national, qui l’a usé jusqu’à la corde avant de le laisser tomber, voyant de sa part trop peu de concessions à son programme d’extrême-droite.

Il est plus que temps pour le Président de la République de se conformer au verdict des urnes, en nommant un Premier ministre issu de la gauche. Soutenu par le Nouveau Front Populaire, il (ou elle) devra adopter une nouvelle méthode, dans une démarche de conviction des forces républicaines à l’Assemblée nationale, pour redresser la France et lui redonner espoir.

Emmanuel Maurel : « Je ne voterai pas la motion de censure dans l’allégresse mais dans l’inquiétude »

Mardi 3 décembre 2024 à la veille de la motion de censure déposée par le Nouveau Front Populaire contre le gouvernement de Michel Barnier sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, Emmanuel Maurel était l’invité de #LaMidinale du magazine Regards pour examiner et expliquer en détail les enjeux politiques de cette motion de censure et leurs conséquences pour les Français et pour la gauche.

Comment sortir d’une situation où Emmanuel Macron a voulu que le gouvernement soit à la merci du Rassemblement National ? Comment renforcer le socle électoral et social de la gauche en consolidant notre programme et en reprenant langue avec les syndicats ? Comment proposer et apporter des réponses aux attentes des Français et à une société qui a été brutalisée ?

Barnier doit abandonner une politique budgétaire qui punit les Français

Emmanuel Maurel, député du Val-d’Oise (groupe GDR) et animateur national de la GRS, était l’invité politique de France Info TV le vendredi 15 novembre 2024 à 7h45.

Alors que le budget de l’État pour 2025 poursuit son parcours au Parlement, après le rejet de son volet recettes en première lecture par les députés macronistes, LR et RN, il a rappelé ce qui guide notre action : « Ce que j’aimerais surtout, c’est que Michel Barnier abandonne la politique budgétaire qu’il veut mettre en œuvre, qui risque d’avoir des effets très graves pour l’économie de ce pays ».

Emmanuel Maurel a déploré le fait que le Premier ministre « refuse obstinément d’aller chercher l’argent là où on peut le trouver, c’est-à-dire sur les bénéfices des grandes entreprises ou chez les très riches ». « La réalité du débat budgétaire pendant les trois semaines qui viennent de s’écouler, c’est que la gauche a fait des propositions qui, à mon avis, étaient constructives pour réduire le déficit, pour faire en sorte qu’il y ait un peu plus de justice fiscale. Et ce qu’on appelle le bloc central (qui n’est ni un socle, ni un bloc) s’est obstinément refusé à faire en sorte que les très grandes fortunes et les très grandes entreprises qui font des bénéfices participent à la vie économique de ce pays en payant un peu plus », a-t-il affirmé, y voyant « le principal problème du moment ».

La purge Barnier n’a pas de majorité, mais il existe une alternative

Nommé début septembre, Michel Barnier était le premier ministre censé être capable de conduire un gouvernement assis sur un socle parlementaire suffisant pour faire passer un budget 2025 difficile et surtout ne pas être censuré.

La réalité est, comme on pouvait s’y attendre, bien différente. Le projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025) du nouveau premier ministre a été critiqué dans sa propre majorité, entre macronistes qui n’ont pas fait le deuil du pouvoir, élus de droite turbulents et des MoDem si silencieux qu’on se demande s’ils sont dans la « majorité ».

Alors que le gouvernement Barnier est indexé sur sa capacité à obtenir la neutralité bienveillante du Rassemblement National, le parti de Marine Le Pen, qui voit sa candidate empêtrée dans le procès des assistants parlementaires fantômes du Parlement européen, a décidé d’ouvrir un contre-feu en s’exprimant de plus en plus fortement contre le projet de budget et en le menaçant d’une motion de censure.

There is no alternative

Tout ceci explique le changement de stratégie du Premier Ministre : conscient, dès la présentation du PLF le 10 octobre dernier, qu’il ne pourrait le faire adopter que par le recours au 49.3, il a changé de pied et entend désormais invoquer l’article 47.1 : il s’agit de faire s’éterniser les débats pour empêcher tout vote à l’Assemblée nationale et repasser la patate chaude au Sénat. Retour à la case départ de la stratégie inavouée de conduite des affaires parlementaires empruntée par Emmanuel Macron depuis juin 2022.

D’autant que la réalité politique issue du dernier scrutin se rappelle au gouvernement. Bien qu’arrivé derrière le RN en termes de suffrages exprimés, le Nouveau Front Populaire reste la coalition parlementaire la plus puissante à l’Assemblée nationale et les rapports de force en Commission des finances en témoignent : le projet de budget y a été profondément transformé notamment dans sa partie recettes.

Et là encore, apparaissent les faux-semblants de l’alliance entre libéraux et conservateurs : la croissance française déjà faible serait amputée entre tiers et la moitié si le budget déposé par le gouvernement Barnier était adopté en l’état. L’objectif de déficit de 5 % en 2025 qu’il s’est fixé serait inatteignable : au mieux, on pourrait viser 5,3 %. Cette réduction de l’activité serait accompagnée d’une suppression de 130 000 emplois : la décision de couper les dépenses publiques – tout en augmentant les prélèvements – a donc un coût social important.

Mais les commentateurs des chaînes d’information le répètent à l’envi : nous n’avons pas le choix, notre pays est endetté jusqu’au cou, il faut en passer par là pour réduire le déficit, une forme de vertu punitive de la purge budgétaire … même quand il est établi que la dégradation budgétaire est en grande partie due à la baisse des prélèvements obligatoires depuis 2017 (et surtout en 2021 et 2022) ?

Oui, nous n’aurions pas le choix ! et il n’existe pas d’alternative moins douloureuse et plus crédible…

C’est pourtant ce qu’a affirmé le Nouveau front populaire (NFP), qui avait présenté sa propre stratégie budgétaire le 9 octobre 2024 et qui l’a partiellement mise en œuvre en commission des finances et en séance publique (où l’examen des recettes n’est pas encore terminé). Comme le gouvernement, le NFP compte lever de nouvelles recettes. Mais dans une plus grande mesure, puisqu’elles sont chiffrées à 49 milliards d’euros, contre 30 pour le PLF 2025. Au-delà des montants, leurs stratégies divergent.

Oui, on peut gouverner à gauche et c’est même plus crédible !

La dissemblance majeure tient à l’usage des recettes : le NFP consacre donc une partie des 49 milliards à réduire le déficit budgétaire et le reste à financer des dépenses publiques dites d’avenir. La philosophie est très différente de celle du gouvernement Barnier, qui est centrée sur la simple réduction du déficit, au prix d’effets récessifs significatifs (la moitié de la croissance). À l’inverse, le contre-budget du NFP prévoit une augmentation des dépenses publiques. Comment est-ce que cela peut réduire le déficit public ?

D’abord, on peut retenir trois grandes sources de recettes fiscales :

  • la suppression d’exonérations de cotisations sociales (pour les salaires au-dessus de deux fois le Smic) et d’une partie du crédit impôt recherche (CIR) pour 11 Md€/an ;
  • les différentes taxes sur le capital (ISF vert, suppression du prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), taxation de l’héritage et des superprofits) pour 29,5 Md€/an ;
  • la réforme de la taxe sur les transactions financières, de la taxe solidarité avion et de la fiscalité des collectivités locales pour 8,5 Md€/an.

Les nouvelles règles européennes exigent une réduction annuelle du déficit de 0,6 point de PIB, c’est-à-dire 18 Md€. Il resterait ainsi 31 Md€ (soit un point de PIB) pour les dépenses d’avenir. Les dépenses publiques proposées par le NFP pourraient générer 0,78 point de PIB d’activité supplémentaire en 2025 et 1,06 point de PIB en 2026, qui surmonteraient dès la première année les effets récessifs des augmentations d’impôts (0,66 point de PIB). On pourrait alors espérer une légère augmentation du PIB de 0,21 point, soit 6 Md€ de plus que les prévisions actuelles, avec quelques 3 Md€ de recettes supplémentaires. Au final, le déficit pourrait ainsi se réduire de 21 Md€ dès 2025. En 2026, sans autre impulsion budgétaire, le déficit se réduirait encore de 6 Md€ (0,21 point de PIB) imposant un nouvel effort de 12 Md€ pour atteindre l’objectif annuel : l’effort à réaliser en 2026 serait très inférieur à celui de 2025. Tout cela tout en restant dans le cadre budgétaire européen actuel (ce qui n’empêche pas d’exiger sa révision).

Nous n’avons ici parlé que des recettes ; la marge induite par un budget vertueux du NFP laisse la possibilité de débattre des efforts en matière de transition écologique, de services publics, de cohésion sociale : partout où le gouvernement Barnier propose d’attaquer l’os avec une scie.

Ainsi, le programme du NFP propose une stratégie budgétaire qui augmente les dépenses publiques, stimule l’activité économique et permet de dégager des recettes supplémentaires. Il y a bien une autre politique possible que celle proposée par le gouvernement Barnier. Et elle donnerait de meilleurs résultats pour la France.

Frédéric Faravel

« Ce qui m’affole, c’est l’absence totale d’imagination des élites politiques » – Emmanuel Maurel sur RFI

L’invité de l’Atelier politique de RFI diffusé le 2 novembre 2024 était Emmanuel Maurel, député GRS (Groupe de la gauche démocrate et républicaine) du Val d’Oise. Il répondait aux questions de Frédéric Rivière.

Il revient sur l’actualité politique et parlementaire, faisant part du spectacle peu glorieux des soutiens du gouvernement Barnier en plein débat budgétaire : « Les principaux adversaires du gouvernement de Michel Barnier sont ceux qui sont censés le soutenir. Il y a une forme d’immaturité politique, notamment de la part de gens qui ont été ministres sous Macron. »

Il appelle également les responsables politiques français et européens à faire preuve d’imagination politique et économique, y compris à gauche qui ne parle de rien d’autre que de redistribution sans jamais parler de production et de la nécessité de changer en profondeur notre système productif. Il met en garde contre le risque croissant de marginalisation de notre continent et des sociétés qui y vivent : « Nous Européens, qui imaginons que l’on a encore beaucoup de choses à dire au monde et beaucoup de règles que l’on peut imposer, et bien ça ne va pas être si simple. »

La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? / La « règle d’or » plombe l’Allemagne – #UGR24

Samedi 12 octobre 2024 vers 16h, David Cayla puis Mathieu Pouydesseau intervenaient dans le cadre des universités de la gauche républicaine qui se tenaient à la Maison de la Mutualité à Lyon.

David Cayla vient de sortir un nouveau livre dans la continuité des précédents intitulé « La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? », il a décrit devant les militant(e)s et les sympathisant(e)s de la GRS les doctrines et les mécanismes du néolibéralisme, son échec et pourtant la difficulté de la gauche à proposer une alternative en se perdant dans des impasses. A nous désormais d’inventer cette alternative et de la promouvoir.

Mathieu Pouydesseau observe depuis 25 ans les évolutions de la société allemande. Il nous prévient depuis plusieurs années des fourvoiements néolibéraux allemands qui se sont achevés par le mercantilisme merkellien et son échec : l’Allemagne est en récession depuis deux ans et les excédents commerciaux allemands ont nourri l’appauvrissement du tiers de la population allemande ce qui alimente le vote d’extrême droite. C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier l’émergence de l’Alliance Sahra-Wagenknecht et sa capacité à faire reculer l’AfD : une situation non transposable en France mais dont il faut discuter ouvertement pour penser notre stratégie et nos propositions.

Discours de clôture des #UGR24 d’Emmanuel Maurel : offrir une alternative au syndicat de faillite du macronisme et au RN

Le dimanche 13 octobre 2024 à midi, Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, prononçait l’intervention de clôture des Universités de la Gauche Républicaine qui s’étaient déroulées pendant 2 jours à Lyon.

Après avoir rappelé l’importance de notre engagement pour la Paix, il a fixé une feuille de route, une mission à la Gauche Républicaine. Alors que la droite et l’extrême droite s’accordent pour faire vivre un gouvernement Barnier, l’un des plus conservateurs des dernières décennies, comme syndic de faillite du macronisme crépusculaire, nous devons offrir une alternative de gauche aux Françaises et aux Français.

Le Nouveau Front Populaire doit enfin se donner comme objectif d’avoir une vocation majoritaire et pour cela il faut élargir sa base sociologique, parler à toutes les classes populaires et les rassembler. Il faut donc ancrer dans nos programmes les attentes de nos concitoyens modestes pour retrouver la voie de l’amélioration des conditions de vie matérielle et morale des Français, allant de pair avec la transition écologique. Rétablir une politique industrielle, des emplois durables, garantir la souveraineté alimentaire et sanitaire, cesser d’être les dindons de la farce d’une économie mondialisée où tous nos concurrents se protègent, restaurer enfin l’égalité territoriale : tout cela doit être intégrer dans un programme pour la République sociale et écologique.

Voilà notre notre feuille de route pour les mois à venir face à un gouvernement sous tutelle du Rassemblement national, qui peut le faire tomber à chaque instant, pour faire oublier sa compromission actuelle.

David Cayla : « Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle et convaincre de sa faisabilité »

Dans son dernier ouvrage, La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éditions du Bord de l’eau), l’économiste David Cayla analyse les faiblesses de la gauche dans son combat face au néolibéralisme, tout en esquissant des pistes. Entretien réalisé par Kévin Boucaud-Victoire et publié le 18 septembre 2024 dans Marianne.

Le 15 mai 2012, François Hollande entre à l’Élysée, au terme d’une campagne qui l’a amené à affirmer que « [son] ennemi, c’est la finance » et à proposer de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million par an. Cinq ans plus tard, le bilan du président socialiste est tout autre, tant il a mené la même politique que ses prédécesseurs. Depuis, la gauche est cantonnée à l’opposition. Le camp qui entendait « changer la vie » est-il condamné à l’impuissance ?

Dans son dernier ouvrage1, l’économiste David Cayla analyse ce qu’est le néolibéralisme et met en lumière ses échecs. Pour lui, malheureusement, le « populisme de gauche », incarné par Jean-Luc Mélenchon est encore loin du compte et ne constitue pas une alternative crédible…

Marianne : Pouvez-vous revenir sur la définition du néolibéralisme ?

David Cayla : Le néolibéralisme est une doctrine visant à aider les gouvernants dans leurs choix politiques. Son idée centrale est que les prix de marché doivent guider les comportements économiques. Par exemple, pour savoir quoi acheter ou dans quel secteur investir il faut observer les prix et faire un calcul économique. Ainsi, si un État ou une entreprise se mettait à contrôler les prix, il serait capable d’influencer les comportements et les choix. Voilà pourquoi les néolibéraux insistent pour que les prix soient le résultat des dynamiques concurrentielles et ne soient en aucun cas sous l’influence des États.

Cela ne signifie pas que l’État doit être passif. Les néolibéraux s’opposent au laissez-faire ; c’est ce qui les distingue des libéraux classiques. L’État doit favoriser les institutions qui permettent au marché de fonctionner correctement. Ainsi, ils recommandent d’organiser le libre-échange via des traités commerciaux, de mettre en place des autorités de régulation de la concurrence, une politique monétaire favorisant la stabilité des prix et insistent sur l’équilibre des comptes publics. Ce n’est pas qu’ils craignent la dette publique, mais ils veulent éviter que son financement ne détourne une partie de la sphère financière du secteur privé.

En quoi celui-ci est-il en train d’échouer ?

Il n’y a qu’à voir l’actualité ! Il échoue sur pratiquement tous les plans. D’abord, la régulation de la concurrence s’avère bien plus compliquée que prévu. De Microsoft à Google, en passant par Amazon, Apple, Uber… la révolution numérique a vu l’émergence d’une multitude de plateformes qui sont capables d’imposer leurs prix aux consommateurs et à leurs partenaires. Ces plateformes démontrent que, dans de nombreux secteurs, il est vain de chercher un prix de marché, surtout quand le marché lui-même est remplacé par des espaces privés détenus par les géants du numérique.

La neutralité de la politique monétaire n’existe plus depuis la crise financière de 2008. L’idée d’une banque centrale neutre et dépolitisée a vécu. En mettant en œuvre des politiques « non conventionnelles » elles sont devenues de véritables acteurs politiques qui n’hésitent pas à intervenir au sein des marchés financiers.

Enfin, il est devenu pratiquement impossible d’atteindre l’équilibre des comptes publics. Le problème ne se limite pas à la France. Aux États-Unis, la dette publique atteint des sommets et le déficit dépasse systématiquement les 5 % du PIB depuis 2020. Les économies développées ont en permanence besoin de stimulus budgétaires pour absorber l’excès d’épargne mondiale.

En quoi lutter contre l’inflation n’est pas en soi de gauche ?

Comme je l’ai souligné, la lutte contre l’inflation constitue l’un des piliers de la doctrine néolibérale. Les néolibéraux ont fini par convaincre les populations que lutter contre l’inflation, c’était défendre leur pouvoir d’achat. Mais il n’y a rien de plus faux ! L’inflation est neutre sur le pouvoir d’achat car les prix des uns sont les revenus des autres. Le problème ne vient pas de l’inflation mais des rapports déséquilibrés qui se jouent sur les marchés. Si l’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, c’est uniquement parce que ces derniers ne parviennent pas à négocier des hausses salariales.

Pour répondre aux problèmes de pouvoir d’achat, la gauche devrait mettre en avant, non pas la lutte contre l’inflation – ce qui légitime l’austérité salariale, la hausse des taux d’intérêt et avantage en fin de compte les détenteurs de capital financier – mais défendre la cause des services publics, de la gratuité et des logements accessibles. Le combat politique prioritaire ne devrait pas être le niveau d’inflation mais de limiter la sphère marchande et de mieux répondre aux besoins fondamentaux du plus grand nombre.

Selon vous, le « populisme de gauche » n’arrive pas à mettre en échec le néolibéralisme, parce qu’il s’appuie sur un agrégat de luttes et de colères et qu’il a substitué les affects à la raison. En quoi cela est-ce problématique ?

Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle de société et convaincre de sa faisabilité. Ce modèle doit avoir des éléments positifs, il doit tracer un chemin crédible vers une nouvelle société. Le danger avec la stratégie populiste telle qu’elle ait été définie par la philosophe Chantal Mouffe est qu’elle part du principe que toutes les revendications sont légitimes ; c’est la thèse de la « chaîne d’équivalence ». Mais si on veut bâtir un nouveau modèle il faut être capable de discriminer entre les revendications qui émanent du mouvement social. Par exemple, il faut savoir si on priorise l’émancipation des femmes ou si l’on tolère les pratiques religieuses qui tendent à les inférioriser.

Choisir ses luttes ne peut pas se faire en se reposant sur les affects, car toute lutte est, d’une certaine manière, légitime. S’opposer à la construction d’un barrage qui menace un écosystème peut sembler tout autant légitime que de le construire pour favoriser la production d’électricité renouvelable. Alors comment décider ? C’est là qu’intervient la rationalité politique. Puisqu’on ne peut pas contenter tout le monde il faut bâtir une doctrine qui permette de trancher. Le populisme de gauche ne dispose pas d’une telle doctrine du fait de son refus de prioriser les luttes. C’est une stratégie utile dans l’opposition pour rassembler les mécontents, mais elle ne peut permettre de gouverner.

Vous pointez la critique virulente des institutions… Mais cela n’est-il pas consubstantiel à la gauche, à l’instar de Karl Marx qui qualifie l’État d’« avorton surnaturel de la société » et de « parasite »« qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement » (dans La guerre civile en France?

Le néolibéralisme s’incarne dans nos institutions. Les règles budgétaires ou la libéralisation des services publics sont inscrites dans les traités européens et le droit français. Pour sortir du néolibéralisme, il faut donc repenser en profondeur nos institutions et les critiquer. Marx avait parfaitement compris que le capitalisme s’appuie sur l’État. D’ailleurs, l’État moderne est né avec l’avènement du capitalisme.

Néanmoins, je crois qu’on ne peut limiter l’État au capitalisme. D’ailleurs, tous les régimes socialistes qui se sont historiquement développés au XXe siècle l’ont fait à partir de l’État et de son renforcement. Inversement, le régime nazi a lui organisé un dépérissement de l’État tout en préservant une forme de capitalisme. Donc on ne peut pas tirer un trait d’égalité entre État et capitalisme.

Quoi qu’il en soit, ni Marx ni les marxistes ne rejettent le principe des institutions sociales (qu’elles soient légales ou non). Les seuls théoriciens qui s’en méfient par principe sont les libertariens, lesquels ne croient qu’aux individus et aux marchés. Aussi, la gauche ne peut se contenter de critiquer les institutions, car cela risque de nourrir la défiance et de renforcer l’extrême droite.

Vous relevez néanmoins qu’il y a de bonnes choses dans le programme économique du NFP. Lesquelles ?

Le programme du NFP a été conçu en quelques jours en réponse à la dissolution surprise du Président. Dans ces conditions, il ne pouvait être parfait. Pour autant, j’ai noté de nombreuses avancées par rapport au programme de la NUPES. D’abord, il est beaucoup plus court et n’a pas hésité à hiérarchiser ses priorités, au contraire du programme de 2022 qui était un indigeste catalogue de mesures.

Ensuite, il ne se contente pas d’en appeler à davantage de redistribution sociale. Certaines propositions impliquent de véritables ruptures, comme celle consistant à engager un bras de fer avec les autorités européennes pour sortir du marché européen de l’électricité et rétablir un monopole public. Enfin, il affiche sa volonté de mettre fin aux traités de libre-échange et de modifier le droit de la concurrence. Il conteste donc des éléments importants de la doctrine néolibérale.

  1. La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ?, David Cayla, Bord de l’eau, 168 p., 15 € ↩︎

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