Que faire quand Trump « inonde la zone » ?

Depuis sa prise de fonction officielle comme 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump multiplie les prises de parole provocatrices qui varient du clownesque au répugnant en passant par l’agressif. De l’annexion du Canada et du Groënland à l’explosion des droits de douane, de la remise en cause illégale du droit du sol aux USA aux attaques outrancières contre la Cour Pénale Internationale, de l’abolition de l’impôt sur le revenu à la déportation des Palestiniens pour faire de Gaza une nouvelle Riviera sous occupation américaine…

Il est inutile de répondre ou de chercher à répondre à chacune de ses provocations. Sans mésestimer sa volonté et sa capacité à vouloir mettre en œuvre concrètement certaines d’entre elles, Donald Trump sait parfaitement jouer de la Société du Spectacle dont il est un éminent produit et représentant.

Cette stratégie a été ouvertement assumée pour ce qu’elle est par Steve Bannon, ce « théoricien » de l’AltRight qui reste un de ses proches : il s’agit d' »inonder la zone », une stratégie de la submersion médiatique avec deux objectifs :

  • provoquer indignation et sidération pour incapaciter l’adversaire (enfin l’ennemi) ;
  • donner tellement d’os à ronger à la presse, considérée comme un adversaire politique, qu’elle ne sait plus trop lequel saisir pour tourner en boucle dessus…

Pendant ce temps, Trump, Musk et leurs amis avancent tranquillement dans la mise en œuvre de leur agenda impérialiste, oligarchique et capitaliste autoritaire.

Il ne sert donc à rien de réagir ou sur-réagir : la seule chose à faire est de nous-mêmes fixer une ligne directrice, des principes à rappeler (calmement, fermement et froidement) et un agenda à dérouler. C’est bien là une priorité que devrait se fixer la France – et ses alliés européens – plutôt que de donner le spectacle aujourd’hui de canards sans tête ou de lapins hypnotisés par les phares d’un SUV.

Nos priorités stratégiques et géopolitiques, notre politique commerciale, nos stratégies de défense et nos alliances sont à redéfinir face à l’émergence ou au renouvellement des impérialismes américain, chinois, russe ou turc.

Frédéric Faravel

Emmanuel Maurel : « Je ne voterai pas la motion de censure dans l’allégresse mais dans l’inquiétude »

Mardi 3 décembre 2024 à la veille de la motion de censure déposée par le Nouveau Front Populaire contre le gouvernement de Michel Barnier sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, Emmanuel Maurel était l’invité de #LaMidinale du magazine Regards pour examiner et expliquer en détail les enjeux politiques de cette motion de censure et leurs conséquences pour les Français et pour la gauche.

Comment sortir d’une situation où Emmanuel Macron a voulu que le gouvernement soit à la merci du Rassemblement National ? Comment renforcer le socle électoral et social de la gauche en consolidant notre programme et en reprenant langue avec les syndicats ? Comment proposer et apporter des réponses aux attentes des Français et à une société qui a été brutalisée ?

La purge Barnier n’a pas de majorité, mais il existe une alternative

Nommé début septembre, Michel Barnier était le premier ministre censé être capable de conduire un gouvernement assis sur un socle parlementaire suffisant pour faire passer un budget 2025 difficile et surtout ne pas être censuré.

La réalité est, comme on pouvait s’y attendre, bien différente. Le projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025) du nouveau premier ministre a été critiqué dans sa propre majorité, entre macronistes qui n’ont pas fait le deuil du pouvoir, élus de droite turbulents et des MoDem si silencieux qu’on se demande s’ils sont dans la « majorité ».

Alors que le gouvernement Barnier est indexé sur sa capacité à obtenir la neutralité bienveillante du Rassemblement National, le parti de Marine Le Pen, qui voit sa candidate empêtrée dans le procès des assistants parlementaires fantômes du Parlement européen, a décidé d’ouvrir un contre-feu en s’exprimant de plus en plus fortement contre le projet de budget et en le menaçant d’une motion de censure.

There is no alternative

Tout ceci explique le changement de stratégie du Premier Ministre : conscient, dès la présentation du PLF le 10 octobre dernier, qu’il ne pourrait le faire adopter que par le recours au 49.3, il a changé de pied et entend désormais invoquer l’article 47.1 : il s’agit de faire s’éterniser les débats pour empêcher tout vote à l’Assemblée nationale et repasser la patate chaude au Sénat. Retour à la case départ de la stratégie inavouée de conduite des affaires parlementaires empruntée par Emmanuel Macron depuis juin 2022.

D’autant que la réalité politique issue du dernier scrutin se rappelle au gouvernement. Bien qu’arrivé derrière le RN en termes de suffrages exprimés, le Nouveau Front Populaire reste la coalition parlementaire la plus puissante à l’Assemblée nationale et les rapports de force en Commission des finances en témoignent : le projet de budget y a été profondément transformé notamment dans sa partie recettes.

Et là encore, apparaissent les faux-semblants de l’alliance entre libéraux et conservateurs : la croissance française déjà faible serait amputée entre tiers et la moitié si le budget déposé par le gouvernement Barnier était adopté en l’état. L’objectif de déficit de 5 % en 2025 qu’il s’est fixé serait inatteignable : au mieux, on pourrait viser 5,3 %. Cette réduction de l’activité serait accompagnée d’une suppression de 130 000 emplois : la décision de couper les dépenses publiques – tout en augmentant les prélèvements – a donc un coût social important.

Mais les commentateurs des chaînes d’information le répètent à l’envi : nous n’avons pas le choix, notre pays est endetté jusqu’au cou, il faut en passer par là pour réduire le déficit, une forme de vertu punitive de la purge budgétaire … même quand il est établi que la dégradation budgétaire est en grande partie due à la baisse des prélèvements obligatoires depuis 2017 (et surtout en 2021 et 2022) ?

Oui, nous n’aurions pas le choix ! et il n’existe pas d’alternative moins douloureuse et plus crédible…

C’est pourtant ce qu’a affirmé le Nouveau front populaire (NFP), qui avait présenté sa propre stratégie budgétaire le 9 octobre 2024 et qui l’a partiellement mise en œuvre en commission des finances et en séance publique (où l’examen des recettes n’est pas encore terminé). Comme le gouvernement, le NFP compte lever de nouvelles recettes. Mais dans une plus grande mesure, puisqu’elles sont chiffrées à 49 milliards d’euros, contre 30 pour le PLF 2025. Au-delà des montants, leurs stratégies divergent.

Oui, on peut gouverner à gauche et c’est même plus crédible !

La dissemblance majeure tient à l’usage des recettes : le NFP consacre donc une partie des 49 milliards à réduire le déficit budgétaire et le reste à financer des dépenses publiques dites d’avenir. La philosophie est très différente de celle du gouvernement Barnier, qui est centrée sur la simple réduction du déficit, au prix d’effets récessifs significatifs (la moitié de la croissance). À l’inverse, le contre-budget du NFP prévoit une augmentation des dépenses publiques. Comment est-ce que cela peut réduire le déficit public ?

D’abord, on peut retenir trois grandes sources de recettes fiscales :

  • la suppression d’exonérations de cotisations sociales (pour les salaires au-dessus de deux fois le Smic) et d’une partie du crédit impôt recherche (CIR) pour 11 Md€/an ;
  • les différentes taxes sur le capital (ISF vert, suppression du prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), taxation de l’héritage et des superprofits) pour 29,5 Md€/an ;
  • la réforme de la taxe sur les transactions financières, de la taxe solidarité avion et de la fiscalité des collectivités locales pour 8,5 Md€/an.

Les nouvelles règles européennes exigent une réduction annuelle du déficit de 0,6 point de PIB, c’est-à-dire 18 Md€. Il resterait ainsi 31 Md€ (soit un point de PIB) pour les dépenses d’avenir. Les dépenses publiques proposées par le NFP pourraient générer 0,78 point de PIB d’activité supplémentaire en 2025 et 1,06 point de PIB en 2026, qui surmonteraient dès la première année les effets récessifs des augmentations d’impôts (0,66 point de PIB). On pourrait alors espérer une légère augmentation du PIB de 0,21 point, soit 6 Md€ de plus que les prévisions actuelles, avec quelques 3 Md€ de recettes supplémentaires. Au final, le déficit pourrait ainsi se réduire de 21 Md€ dès 2025. En 2026, sans autre impulsion budgétaire, le déficit se réduirait encore de 6 Md€ (0,21 point de PIB) imposant un nouvel effort de 12 Md€ pour atteindre l’objectif annuel : l’effort à réaliser en 2026 serait très inférieur à celui de 2025. Tout cela tout en restant dans le cadre budgétaire européen actuel (ce qui n’empêche pas d’exiger sa révision).

Nous n’avons ici parlé que des recettes ; la marge induite par un budget vertueux du NFP laisse la possibilité de débattre des efforts en matière de transition écologique, de services publics, de cohésion sociale : partout où le gouvernement Barnier propose d’attaquer l’os avec une scie.

Ainsi, le programme du NFP propose une stratégie budgétaire qui augmente les dépenses publiques, stimule l’activité économique et permet de dégager des recettes supplémentaires. Il y a bien une autre politique possible que celle proposée par le gouvernement Barnier. Et elle donnerait de meilleurs résultats pour la France.

Frédéric Faravel

« Ce qui m’affole, c’est l’absence totale d’imagination des élites politiques » – Emmanuel Maurel sur RFI

L’invité de l’Atelier politique de RFI diffusé le 2 novembre 2024 était Emmanuel Maurel, député GRS (Groupe de la gauche démocrate et républicaine) du Val d’Oise. Il répondait aux questions de Frédéric Rivière.

Il revient sur l’actualité politique et parlementaire, faisant part du spectacle peu glorieux des soutiens du gouvernement Barnier en plein débat budgétaire : « Les principaux adversaires du gouvernement de Michel Barnier sont ceux qui sont censés le soutenir. Il y a une forme d’immaturité politique, notamment de la part de gens qui ont été ministres sous Macron. »

Il appelle également les responsables politiques français et européens à faire preuve d’imagination politique et économique, y compris à gauche qui ne parle de rien d’autre que de redistribution sans jamais parler de production et de la nécessité de changer en profondeur notre système productif. Il met en garde contre le risque croissant de marginalisation de notre continent et des sociétés qui y vivent : « Nous Européens, qui imaginons que l’on a encore beaucoup de choses à dire au monde et beaucoup de règles que l’on peut imposer, et bien ça ne va pas être si simple. »

La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? / La « règle d’or » plombe l’Allemagne – #UGR24

Samedi 12 octobre 2024 vers 16h, David Cayla puis Mathieu Pouydesseau intervenaient dans le cadre des universités de la gauche républicaine qui se tenaient à la Maison de la Mutualité à Lyon.

David Cayla vient de sortir un nouveau livre dans la continuité des précédents intitulé « La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? », il a décrit devant les militant(e)s et les sympathisant(e)s de la GRS les doctrines et les mécanismes du néolibéralisme, son échec et pourtant la difficulté de la gauche à proposer une alternative en se perdant dans des impasses. A nous désormais d’inventer cette alternative et de la promouvoir.

Mathieu Pouydesseau observe depuis 25 ans les évolutions de la société allemande. Il nous prévient depuis plusieurs années des fourvoiements néolibéraux allemands qui se sont achevés par le mercantilisme merkellien et son échec : l’Allemagne est en récession depuis deux ans et les excédents commerciaux allemands ont nourri l’appauvrissement du tiers de la population allemande ce qui alimente le vote d’extrême droite. C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier l’émergence de l’Alliance Sahra-Wagenknecht et sa capacité à faire reculer l’AfD : une situation non transposable en France mais dont il faut discuter ouvertement pour penser notre stratégie et nos propositions.

David Cayla : « Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle et convaincre de sa faisabilité »

Dans son dernier ouvrage, La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éditions du Bord de l’eau), l’économiste David Cayla analyse les faiblesses de la gauche dans son combat face au néolibéralisme, tout en esquissant des pistes. Entretien réalisé par Kévin Boucaud-Victoire et publié le 18 septembre 2024 dans Marianne.

Le 15 mai 2012, François Hollande entre à l’Élysée, au terme d’une campagne qui l’a amené à affirmer que « [son] ennemi, c’est la finance » et à proposer de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million par an. Cinq ans plus tard, le bilan du président socialiste est tout autre, tant il a mené la même politique que ses prédécesseurs. Depuis, la gauche est cantonnée à l’opposition. Le camp qui entendait « changer la vie » est-il condamné à l’impuissance ?

Dans son dernier ouvrage1, l’économiste David Cayla analyse ce qu’est le néolibéralisme et met en lumière ses échecs. Pour lui, malheureusement, le « populisme de gauche », incarné par Jean-Luc Mélenchon est encore loin du compte et ne constitue pas une alternative crédible…

Marianne : Pouvez-vous revenir sur la définition du néolibéralisme ?

David Cayla : Le néolibéralisme est une doctrine visant à aider les gouvernants dans leurs choix politiques. Son idée centrale est que les prix de marché doivent guider les comportements économiques. Par exemple, pour savoir quoi acheter ou dans quel secteur investir il faut observer les prix et faire un calcul économique. Ainsi, si un État ou une entreprise se mettait à contrôler les prix, il serait capable d’influencer les comportements et les choix. Voilà pourquoi les néolibéraux insistent pour que les prix soient le résultat des dynamiques concurrentielles et ne soient en aucun cas sous l’influence des États.

Cela ne signifie pas que l’État doit être passif. Les néolibéraux s’opposent au laissez-faire ; c’est ce qui les distingue des libéraux classiques. L’État doit favoriser les institutions qui permettent au marché de fonctionner correctement. Ainsi, ils recommandent d’organiser le libre-échange via des traités commerciaux, de mettre en place des autorités de régulation de la concurrence, une politique monétaire favorisant la stabilité des prix et insistent sur l’équilibre des comptes publics. Ce n’est pas qu’ils craignent la dette publique, mais ils veulent éviter que son financement ne détourne une partie de la sphère financière du secteur privé.

En quoi celui-ci est-il en train d’échouer ?

Il n’y a qu’à voir l’actualité ! Il échoue sur pratiquement tous les plans. D’abord, la régulation de la concurrence s’avère bien plus compliquée que prévu. De Microsoft à Google, en passant par Amazon, Apple, Uber… la révolution numérique a vu l’émergence d’une multitude de plateformes qui sont capables d’imposer leurs prix aux consommateurs et à leurs partenaires. Ces plateformes démontrent que, dans de nombreux secteurs, il est vain de chercher un prix de marché, surtout quand le marché lui-même est remplacé par des espaces privés détenus par les géants du numérique.

La neutralité de la politique monétaire n’existe plus depuis la crise financière de 2008. L’idée d’une banque centrale neutre et dépolitisée a vécu. En mettant en œuvre des politiques « non conventionnelles » elles sont devenues de véritables acteurs politiques qui n’hésitent pas à intervenir au sein des marchés financiers.

Enfin, il est devenu pratiquement impossible d’atteindre l’équilibre des comptes publics. Le problème ne se limite pas à la France. Aux États-Unis, la dette publique atteint des sommets et le déficit dépasse systématiquement les 5 % du PIB depuis 2020. Les économies développées ont en permanence besoin de stimulus budgétaires pour absorber l’excès d’épargne mondiale.

En quoi lutter contre l’inflation n’est pas en soi de gauche ?

Comme je l’ai souligné, la lutte contre l’inflation constitue l’un des piliers de la doctrine néolibérale. Les néolibéraux ont fini par convaincre les populations que lutter contre l’inflation, c’était défendre leur pouvoir d’achat. Mais il n’y a rien de plus faux ! L’inflation est neutre sur le pouvoir d’achat car les prix des uns sont les revenus des autres. Le problème ne vient pas de l’inflation mais des rapports déséquilibrés qui se jouent sur les marchés. Si l’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, c’est uniquement parce que ces derniers ne parviennent pas à négocier des hausses salariales.

Pour répondre aux problèmes de pouvoir d’achat, la gauche devrait mettre en avant, non pas la lutte contre l’inflation – ce qui légitime l’austérité salariale, la hausse des taux d’intérêt et avantage en fin de compte les détenteurs de capital financier – mais défendre la cause des services publics, de la gratuité et des logements accessibles. Le combat politique prioritaire ne devrait pas être le niveau d’inflation mais de limiter la sphère marchande et de mieux répondre aux besoins fondamentaux du plus grand nombre.

Selon vous, le « populisme de gauche » n’arrive pas à mettre en échec le néolibéralisme, parce qu’il s’appuie sur un agrégat de luttes et de colères et qu’il a substitué les affects à la raison. En quoi cela est-ce problématique ?

Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle de société et convaincre de sa faisabilité. Ce modèle doit avoir des éléments positifs, il doit tracer un chemin crédible vers une nouvelle société. Le danger avec la stratégie populiste telle qu’elle ait été définie par la philosophe Chantal Mouffe est qu’elle part du principe que toutes les revendications sont légitimes ; c’est la thèse de la « chaîne d’équivalence ». Mais si on veut bâtir un nouveau modèle il faut être capable de discriminer entre les revendications qui émanent du mouvement social. Par exemple, il faut savoir si on priorise l’émancipation des femmes ou si l’on tolère les pratiques religieuses qui tendent à les inférioriser.

Choisir ses luttes ne peut pas se faire en se reposant sur les affects, car toute lutte est, d’une certaine manière, légitime. S’opposer à la construction d’un barrage qui menace un écosystème peut sembler tout autant légitime que de le construire pour favoriser la production d’électricité renouvelable. Alors comment décider ? C’est là qu’intervient la rationalité politique. Puisqu’on ne peut pas contenter tout le monde il faut bâtir une doctrine qui permette de trancher. Le populisme de gauche ne dispose pas d’une telle doctrine du fait de son refus de prioriser les luttes. C’est une stratégie utile dans l’opposition pour rassembler les mécontents, mais elle ne peut permettre de gouverner.

Vous pointez la critique virulente des institutions… Mais cela n’est-il pas consubstantiel à la gauche, à l’instar de Karl Marx qui qualifie l’État d’« avorton surnaturel de la société » et de « parasite »« qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement » (dans La guerre civile en France?

Le néolibéralisme s’incarne dans nos institutions. Les règles budgétaires ou la libéralisation des services publics sont inscrites dans les traités européens et le droit français. Pour sortir du néolibéralisme, il faut donc repenser en profondeur nos institutions et les critiquer. Marx avait parfaitement compris que le capitalisme s’appuie sur l’État. D’ailleurs, l’État moderne est né avec l’avènement du capitalisme.

Néanmoins, je crois qu’on ne peut limiter l’État au capitalisme. D’ailleurs, tous les régimes socialistes qui se sont historiquement développés au XXe siècle l’ont fait à partir de l’État et de son renforcement. Inversement, le régime nazi a lui organisé un dépérissement de l’État tout en préservant une forme de capitalisme. Donc on ne peut pas tirer un trait d’égalité entre État et capitalisme.

Quoi qu’il en soit, ni Marx ni les marxistes ne rejettent le principe des institutions sociales (qu’elles soient légales ou non). Les seuls théoriciens qui s’en méfient par principe sont les libertariens, lesquels ne croient qu’aux individus et aux marchés. Aussi, la gauche ne peut se contenter de critiquer les institutions, car cela risque de nourrir la défiance et de renforcer l’extrême droite.

Vous relevez néanmoins qu’il y a de bonnes choses dans le programme économique du NFP. Lesquelles ?

Le programme du NFP a été conçu en quelques jours en réponse à la dissolution surprise du Président. Dans ces conditions, il ne pouvait être parfait. Pour autant, j’ai noté de nombreuses avancées par rapport au programme de la NUPES. D’abord, il est beaucoup plus court et n’a pas hésité à hiérarchiser ses priorités, au contraire du programme de 2022 qui était un indigeste catalogue de mesures.

Ensuite, il ne se contente pas d’en appeler à davantage de redistribution sociale. Certaines propositions impliquent de véritables ruptures, comme celle consistant à engager un bras de fer avec les autorités européennes pour sortir du marché européen de l’électricité et rétablir un monopole public. Enfin, il affiche sa volonté de mettre fin aux traités de libre-échange et de modifier le droit de la concurrence. Il conteste donc des éléments importants de la doctrine néolibérale.

  1. La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ?, David Cayla, Bord de l’eau, 168 p., 15 € ↩︎

Emmanuel Maurel : « La coalition de gauche est bien plus solide que le croient Macron et les siens » – Marianne

Propos recueillis par Isabelle Vogtensperger et publié dans Marianne le 15 août 2024 à 18h00

Lundi dernier, le Premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, lançait l’idée d’un « Pacte d’Action pour les Français » destiné à opérer une large coalition parlementaire, dont seraient exclus le Rassemblement national et La France insoumise. Pour Emmanuel Maurel, fondateur de la Gauche républicaine et socialiste et député, membre du Nouveau Front populaire, il s’agit avant tout d’une tractation politicienne et d’un déni de la situation politique.
Emmanuel Maurel estime que le « Pacte d’Action » proposé par Gabriel Attal cache en réalité un désir de maintenir une gestion austéritaire des finances publiques sans réelle remise en cause de la politique menée jusqu’alors par la majorité présidentielle. Celle-là même qui a pourtant été largement désavouée par les Français aux dernières élections législatives.
La meilleure stratégie que la gauche puisse tenir est dès lors, selon lui, de défendre son programme. Et il considère que les socialistes ne s’abstiendront pas de combattre la politique de Renaissance-LR, contre laquelle ils ont lutté durant sept ans.

Marianne : Le parti présidentiel tente une large coalition (dont sont exceptés le RN et LFI) avec ce « Pacte d’action » proposé par Gabriel Attal pour réunir gauche et droite. Qu’en pensez-vous ?

Emmanuel Maurel : Je suis surpris par cette initiative du Premier ministre démissionnaire. Il aime à rappeler, comme le président, que « personne n’a gagné » les élections législatives. Mais il y a bien une coalition parlementaire qui a été battue les 30 juin et 7 juillet derniers : c’est celle qu’il dirigeait ! On dit que les relations entre les deux têtes de l’exécutif se sont distendues. Je trouve néanmoins qu’il y a une communauté de pensée qui perdure : leurs tentatives maladroites procèdent du même déni de la situation politique.

Ensuite, je ne vois pas comment on pourrait avoir une discussion féconde, de nature à déboucher sur une cohérence d’action, en s’adressant aussi bien à la gauche qu’à LR ou même à Horizons. En réalité, cette démarche est avant tout politicienne : Gabriel Attal mobilise son talent pour tenter d’accréditer l’idée que ce n’est qu’autour de son parti, pour ne pas dire de lui, qu’un équilibre pourra être trouvé.

« La maxime du Guépard est désormais dépassée : il faudrait que rien ne change pour que rien ne change ! »

Or non seulement Renaissance n’a plus les forces qui lui permettraient de prétendre à ce rôle, mais surtout, les électeurs ont clairement signifié qu’ils exigeaient un changement de cap.

Le « Pacte d’Action » qui repose avant tout sur le maintien d’une gestion austéritaire des finances publiques, ne propose rien de nouveau par rapport à la politique que les Français ont désavouée. La maxime du Guépard est désormais dépassée : il faudrait que rien ne change pour que rien ne change! En ce sens, plus qu’un « pacte d’action », on nous propose un pacte d’immobilisme. 

Quelle serait la meilleure stratégie pour la gauche : se rallier à cette large coalition ou au contraire, maintenir l’union avec La France Insoumise ?

La meilleure stratégie pour la gauche est de défendre son programme. Nos concitoyens en connaissent les grandes lignes : soutien au pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes ; redistribution des richesses en faisant davantage contribuer les plus fortunés ; sauvetage et extension des services publics, notamment l’école et l’hôpital ; planification écologique et restauration de notre base industrielle, laquelle, quoiqu’en dise Macron, continue de s’affaisser. À mon sens, c’est sur ces bases qu’il faut travailler et le Nouveau Front Populaire a des propositions solides pour relever ces défis.

Le Président de la République et ses troupes affaiblies au Parlement continuent de mépriser ces orientations. Et ils essaient de nous diviser pour tenter de les escamoter, mais ça ne marchera pas. La coalition de gauche est bien plus solide qu’ils semblent le croire. Le président avait fait une grosse erreur d’appréciation en nous pensant incapables de nous mettre d’accord sur un programme et des candidats en quelques jours après sa dissolution surprise. Il persévère dans l’erreur aujourd’hui.

Il ne m’a certes pas échappé que le NFP n’avait pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et je ne verse pas dans le maximalisme du « tout ou rien » et du « nous tous seuls ». Mais la logique politique et démocratique commande de confier à la coalition arrivée en tête l’exercice du pouvoir : à charge ensuite pour nous de bâtir les majorités nécessaires au vote des réformes.

Pour Alain Minc dans Le Figaro, obtenir l’abstention des socialistes serait une stratégie habile de la part du Président – ce que ce pacte pourrait permettre d’obtenir. Qu’en pensez-vous ?

Ce que propose Alain Minc, c’est une sorte de soutien sans participation des socialistes à un gouvernement minoritaire Renaissance-LR et tout ça pour faire quoi ? Peu ou prou la même chose que depuis 2017 et a fortiori depuis 2022, c’est-à-dire une politique profondément inégalitaire et austéritaire.

Je n’imagine pas une seconde que les socialistes s’abstiennent de combattre une politique qu’ils dénoncent depuis sept ans et qu’ils ont contribué à faire battre dans les urnes cette année. Le PS est un grand parti de gouvernement, ancré territorialement, qui a bénéficié du NFP autant qu’il l’a fait progresser. Je ne le vois pas changer subitement d’orientation.

Les macronistes ont vraiment un drôle de rapport au réel. Ils essaient de résoudre la quadrature du cercle en se disant « notre politique a été battue, mais on va quand même la poursuivre, malgré – et contre – le vote des Français ». Et comme ils n’y arrivent pas, ils repoussent à nouveau les échéances : certaines éminences préconisent de repousser la nomination d’un Premier ministre non pas après les JO – c’est-à-dire maintenant – mais « fin août ou début septembre », voire après.

Le grand gagnant de ce pacte serait finalement le parti d’Emmanuel Macron. N’est-ce pas un sacrifice trop important pour les socialistes ? Un « déni de démocratie » comme dirait Mélenchon ?

Nous devons faire en sorte que les seuls « gagnants » de la période soient les Français, et singulièrement les plus vulnérables d’entre eux, qui attendent de leurs représentants qu’ils s’attaquent immédiatement aux problèmes auxquels ils sont confrontés, à commencer par le pouvoir d’achat. Ce que veulent nos compatriotes c’est que la politique soit à leur service et au service du pays. C’est à mon avis un enseignement qu’on peut tirer du scrutin des 30 juin et 7 juillet, qui a d’abord été un refus de mettre l’extrême droite au pouvoir, mais qui a aussi été un appel lancé aux responsables politiques pour qu’ils répondent enfin aux urgences économiques, sociales, écologiques, régaliennes de la France.

« Nous devons faire en sorte que les seuls « gagnants » de la période soient les Français, et singulièrement
les plus vulnérables d’entre eux »

Ce qui constituerait un « déni de démocratie » serait qu’on s’enlise dans des voies sans issues. Vouloir impulser des réformes avec seulement 193 députés en est une. Mais vouloir faire passer en douce un agenda repoussé par les électeurs en est une autre. Il faut donc essayer d’avancer en respectant la démocratie, c’est-à-dire en confiant au Nouveau Front Populaire la tâche de former un gouvernement.

Quelle gauche peut encore espérer tirer profit des tractations en cours ?

La gauche, dans sa grande diversité, est majoritairement représentée dans le Nouveau Front populaire. Chacun sait qu’elle a mis déjà beaucoup de temps (trop) à s’entendre sur un nom pour Matignon, prenant le risque de décevoir nos concitoyens qui avaient mis en elle de réels espoirs. Mais tout reste encore possible ! Macron pense que la « parenthèse enchantée » des JO lui permettra de reprendre la main, en usant justement de vaines tractations.

Je crois au contraire que les deux semaines qui viennent de s’écouler constituent pour nous un formidable point d’appui : l’esprit de concorde, l’ouverture aux autres, le patriotisme joyeux, le goût du collectif, dessinent les contours d’une France généreuse, entreprenante, solidaire que nous pouvons incarner et défendre.

Je reste convaincu que des réformes portées par la gauche – sur le SMIC, les retraites, les services publics, la politique industrielle – renforceront notre économie et notre modèle social et républicain. La France aurait tout à gagner d’une politique en faveur de la majorité des gens, qui réduit les inégalités, apaise les tensions et redonne espoir. Historiquement, elle s’est d’ailleurs toujours construite comme ça.

S’engager pour vraiment changer la vie !

La période politique intense des derniers mois, marquées par deux campagnes électorales, une dissolution par caprice présidentiel et la menace toujours forte de l’extrême droite (toujours aux portes du pouvoir), a conduite nombre de nos concitoyens à s’engager. Certains ont sauté le pas d’adhérer à un parti politique et c’est le cas de plusieurs dizaines de nouveaux adhérents pour la Gauche Républicaine et Socialiste. L’un d’entre eux – Julien Zanin – a tenu à exprimer les raisons qui motivent son engagement : c’est le texte que nous publions ci-dessous.

Les récentes élections européennes et législatives furent un choc pour beaucoup.

Nous avions beau savoir, l’ampleur sans précédent du vote Rassemblement National est un coup de massue pour la plupart des gens de gauche, et cela à plusieurs titres.

Tout d’abord en tant que marqueur de la crise démocratique que traverse la France, avec une défiance grandissante vis-à-vis de dirigeants qui n’auront eu de cesse de se couper du peuple français, que ce soit en trahissant des promesses, en méprisant la contestation, ou en poussant dans ses retranchements une 5ème république à bout de souffle.

La progression de l’extrême droite révèle aussi l’échec de la gauche à porter l’espérance d’une autre vie, meilleure, plus juste, plus égalitaire, plus fraternelle, plus écologique.

C’est dur à dire, dur à lire, mais nous devons faire ce constat pour avancer. Tout en restant conscients qu’il n’y aucune fatalité.

Le sursaut du second tour, grâce au barrage républicain face au RN, a redonné cet espoir qui nous manquait tant.

Il montre qu’aussi désenchantée soit toute une frange de la population, il reste des valeurs et des principes qui guident toujours l’action de la grande majorité des Français.

Dans le vote Rassemblement National s’expriment aussi une colère et une tentative de changer les choses, espérant que soit pour le mieux, et parfois aussi, faute de mieux.

C’est ainsi à nous, peuple de gauche, de démonter l’argumentaire populiste et démagogique de l’extrême droite, de lever le voile sur les intérêts qu’ils représentent qui sont à l’opposé de ceux des classes populaires.

C’est aussi à nous de reprendre la main sur des sujets trop souvent abandonnés à l’extrême droite, pour y apporter un autre discours, une autre grille de lecture, d’autres solutions.

Ce constat, beaucoup de monde le partage, mais constater ne suffit évidemment pas, il faut aussi agir.

Dans quelle cadre, avec qui, sur quelle base ?

Le choix qui a été fait par la GRS est celui du parti politique, de la définition d’une ligne claire, avec en son cœur les valeurs du socialisme, de la république laïque, de l’écologie et de l’universalisme.

Si le cap est clair et tranche parfois avec d’autres groupes à gauche, la recherche de l’unité est une autre des valeurs clés que nous portons.

Sans faire de compromis sur ce qui nous définit, sans mettre sous le tapis les différends, nous considérons que le succès de la gauche sur le temps long ne peut s’écrire que dans l’unité et le débat d’idée à la base.

Il s’agit aussi de sortir de l’hystérisation des débats politiques, de la culture du clash, du clivage, du buzz.

S’inscrivant dans une tradition politique qui prend ses racines dans l’universalisme et la raison des Lumières, nous considérons que avons besoin de sang froid, de débat apaisé pour aller au fond des choses et ne pas sombrer dans la superficialité qui caractérise notre époque de consommation effrénée, ni dans le différentialisme qui par nature rend stérile tout débat entre groupes différenciés.

C’est ainsi un vaste chantier qui se profile devant nous, avec deux directions principales : travailler à la reconstruction de la gauche, de son unité durable, et mener la bataille culturelle, politique et sociale face à l’extrême-droite pour réaffirmer haut et fort que la seule issue pour sortir des crises qui pèsent sur la France, sur l’Europe et sur le monde, c’est le socialisme.

La lutte sera longue et difficile, mais il n’y a pas d’autre chemin, pas de raccourci.

Alors dès maintenant engage toi, rejoins la GRS, mène le combat pour changer la vie, vraiment !

Julien Zanin

Après le sursaut du Nouveau Front Populaire, renforcer la Gauche Républicaine

La Gauche a su faire face à « l’étrange »* et brutale dissolution du 9 juin 2024 pour permettre aux Françaises et aux Français de sanctionner la désastreuse politique macroniste et empêcher la victoire du RN. Elle a été d’une clarté absolue pour faire barrage partout à l’extrême droite. Le 7 juillet dernier, non seulement le pire a été évité, mais le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête en nombre de députés.

Mais cela n’a pas suffi à lui donner les moyens de gouverner seul pour appliquer pleinement son programme ; la situation politique est confuse, la décomposition du macronisme produit sans cesse de nouveaux effets, sans qu’il semble possible aujourd’hui de constituer une majorité parlementaire stable, comme cela pourrait être le cas dans n’importe quelle démocratie européenne. La réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée Nationale démontre une volonté de ne pas tenir compte de la sanction électorale et de s’opposer à quoi qu’il en coûte à une nouvelle expérience gouvernementale de gauche.

La faute à des acteurs politiques, au premier rang desquels se trouve le président de la République, qui n’ont tendu à l’extrême le débat public sans jamais apporter de réponse aux attentes de nos concitoyens dont la colère monte. Le pays a besoin d’apaisement, le pays a besoin d’une alternative durable à l’extrême droite, le pays a besoin d’une gauche qui fait vivre la promesse du Nouveau Front Populaire , d’une gauche qui privilégie la dynamique unitaire . même quand une partie de ses membres ne sont pas à la hauteur, d’une gauche qui rassemble toutes les classes populaires et tous les travailleurs, d’une gauche qui soit capable de prendre ses responsabilités.

Pour renforcer et faire vivre cette gauche, rejoignez-nous : adhérez à la Gauche Républicaine et Socialiste !

* cf. L’étrange défaite

Une page de l’Histoire de France s’écrit avec le nouveau Front populaire !

vous trouverez ci-dessous le communiqué de presse d’officialisation du nouveau Front Populaire le jeudi 13 juin 2024 et son programme présenté le vendredi 14 juin 2024 à midi…

Avec un programme de gouvernement et des candidatures uniques dans les circonscriptions de France, les forces politiques qui ont constitué le nouveau Front populaire donnent rendez-vous aux Françaises et aux Français les 30 juin et 7 juillet prochains.

Une immense attente d’union s’est exprimée.

Elle est scellée !

À partir d’aujourd’hui, partout en France nous œuvrerons à élargir ce rassemblement avec toutes celles et ceux, Françaises, Français, associations, syndicats, partis politiques, personnalités engagées dans le débat public, qui partagent nos idées et nos orientations.

Nous aurons des candidates et des candidats communs capables de représenter la société française.

Nous avons œuvré à un programme politique de rupture avec une déclinaison pour les 100 premiers jours du mandat, des propositions concrètes et réalistes, pour que la vie des Françaises et des Français change, vraiment !

Désormais, l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir n’est plus une fatalité !

Levez-vous et rejoignez le nouveau Front populaire. L’espoir est là !

communiqué de presse Front Populaire du jeudi 13 juin 2024
Le Programme du nouveau Front Populaire

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.