Emmanuel Maurel, fidèle au socialisme républicain – L’Humanité

article publié par Gaël de Santis dans L’Humanité le 4 août 2024

Le fondateur de la Gauche républicaine et socialiste, député de la 3ème circonscription du Val-d’Oise, siège avec les communistes. Le parlementaire est un véritable élu de terrain, qu’il ne cesse d’arpenter.

Emmanuel Maurel est un promeneur. « On ne maîtrise les territoires que lorsqu’on les parcourt à pied », théorise le tout nouveau député du groupe GDR, où siègent les communistes. Il a d’ailleurs déjà repéré pour les prochains jours une randonnée dans sa nouvelle circonscription, la 3ème du Val-d’Oise. Il ira seul, mais ce 26 juillet, c’est en groupe que l’élu arpente les rues de Pierrelaye, dernière ville communiste du département. « Je vous ai fait un cadeau », s’en amuse-t-il en accueillant l’Humanité.

Guidé par Fahed Hadji, adjoint qui lui a ouvert de nombreuses portes lors de la campagne des législatives, Emmanuel Maurel visite les installations et salue les personnels des services publics dédiés à la jeunesse. Depuis le jardin du centre de loisirs, le maire, Michel Vallade, désigne la plaine au-delà de la clôture. Une terre à dépolluer : « J’ai cherché à y installer des cultures de plantes qui ne se mangent pas. »

Mener la bataille pour l’exception culturelle au Parlement européen

L’édile évoque le lin. Cela fait tilt chez Emmanuel Maurel, qui lance : « Le premier producteur européen, c’est la France ! » Et voilà le député, intarissable, qui raconte la renaissance de cette filière. L’élu est un socialiste comme on n’en fait plus, attentif au maintien d’une activité productive sur le sol national.

« J’ai beau être un banlieusard, je dois être l’un des seuls députés à avoir visité les 95 départements métropolitains. »

Au terme de la visite, à côté du chantier du terrain de football, on le rappelle à des choses plus terre à terre : peut-il intervenir pour accélérer un dossier de subvention pour les courts de tennis ? Voilà le député de la nation – qui ces dix dernières années a mené la bataille pour l’exception culturelle au Parlement européen – rappelé au local, qu’il sillonnait quand il était conseiller régional, de 2004 à 2015.

En réalité, il n’a été à aucun moment loin de la France et plastronne : « J’ai beau être un banlieusard, je dois être l’un des seuls députés à avoir visité les 95 départements métropolitains. » Né en Seine-Saint-Denis en 1973, résident du Val-d’Oise, Emmanuel Maurel « est très attaché à la France profonde, ses territoires, la diversité des départements et du peuple français. Il n’a jamais été fasciné par l’establishment parisien », témoigne son amie et camarade, l’ex-sénatrice CRCE Marie-Noëlle Lienemann.

Il est tombé en politique à l’âge de 16 ans, en rejoignant le Parti socialiste et SOS Racisme. Puis c’est l’Unef, les Jeunes socialistes, les bancs de Sciences-Po. En 2004, il est élu conseiller régional. Féru de culture, les médias lui prêtent une érudition classique. À les suivre, il n’aurait d’oreille que pour l’opéra et lirait des auteurs vieux d’au moins un siècle :
Apollinaire, Voltaire, etc. « Ils aiment à me cataloguer ringard », soupire-t-il.

S’il concède écouter « beaucoup de musique classique », il lit aussi des auteurs contemporains, tel Nicolas Mathieu. C’est surtout la poésie qu’il dévore : il s’est récemment plongé dans celle de l’Américaine Louise Glück ou du Français François Cheng. Sa vocation contrariée aurait été de devenir vice-président de la région Île-de-France à la Culture. Le président de l’époque, Jean-Paul Huchon, lui confiera l’apprentissage, puis les affaires internationales.

Un homme de partis

L’élu participe aux débats intellectuels de la gauche. Il a dirigé le journal la Corrèze républicaine et socialiste. Il est l’auteur d’une biographie – la première – de Jean Poperen, républicain et laïc, ex-communiste passé à la SFIO après la répression de Budapest en 1956*. Il retient de cette figure qu’il a côtoyé la priorité accordée à la question sociale : « Le
socialisme, c’est d’abord le salaire
. » Et de Jaurès, sa principale source d’inspiration, d’avoir « mis le réformisme au service de l’espérance révolutionnaire » et que le « parti est un intellectuel collectif ».

Emmanuel Maurel est de fait un homme de partis. Au pluriel. Un militant du PS d’abord, tendance aile gauche. Quand Jean-Luc Mélenchon claque la porte en 2008 et que Martine Aubry prend la tête de Solferino, lui reste. « Je pensais encore qu’il fallait un grand parti socialiste », justifie-t-il. En 2018, le mandat Hollande a achevé ses espoirs et il quitte le PS à
son tour. L’élu fonde Gauche républicaine et socialiste, un temps partenaire de la France insoumise, avant de rallier les campagnes de Fabien Roussel et Léon Deffontaines.

Il siège avec les communistes au sein du groupe GDR. Le vice-président PCF du Sénat, Pierre Ouzoulias, reconnaît en lui quelqu’un de « discret, d’une grande loyauté par rapport à ses idées. Il dispute à la droite les thèmes qui étaient ceux de la gauche, la nation, la République, la laïcité, qu’il faut se réapproprier, réactualiser ». Le député promeneur refuse de dévier de son chemin, celui de la République sociale.

Gaël de Santis

* En réalité, Jean Poperen quittera progressivement le PCF à partir de 1956 fondant la revue Tribune du Communisme, qui accompagnera en 1958 la création du Parti socialiste autonome (scission de la SFIO compromise dans la Guerre d’Algérie et avec les gaullistes dans la création de la Vème République). Il sautera le pas en 1960 en participant à la création du PSU qui fusionne le PSA et plusieurs autres collectifs ; il rompra en 1967 devant le refus du PSU de rejoindre la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste (FGDS) avant de participer à la création du nouveau Parti Socialiste en 1969. [note de la GRS]

S’engager pour vraiment changer la vie !

La période politique intense des derniers mois, marquées par deux campagnes électorales, une dissolution par caprice présidentiel et la menace toujours forte de l’extrême droite (toujours aux portes du pouvoir), a conduite nombre de nos concitoyens à s’engager. Certains ont sauté le pas d’adhérer à un parti politique et c’est le cas de plusieurs dizaines de nouveaux adhérents pour la Gauche Républicaine et Socialiste. L’un d’entre eux – Julien Zanin – a tenu à exprimer les raisons qui motivent son engagement : c’est le texte que nous publions ci-dessous.

Les récentes élections européennes et législatives furent un choc pour beaucoup.

Nous avions beau savoir, l’ampleur sans précédent du vote Rassemblement National est un coup de massue pour la plupart des gens de gauche, et cela à plusieurs titres.

Tout d’abord en tant que marqueur de la crise démocratique que traverse la France, avec une défiance grandissante vis-à-vis de dirigeants qui n’auront eu de cesse de se couper du peuple français, que ce soit en trahissant des promesses, en méprisant la contestation, ou en poussant dans ses retranchements une 5ème république à bout de souffle.

La progression de l’extrême droite révèle aussi l’échec de la gauche à porter l’espérance d’une autre vie, meilleure, plus juste, plus égalitaire, plus fraternelle, plus écologique.

C’est dur à dire, dur à lire, mais nous devons faire ce constat pour avancer. Tout en restant conscients qu’il n’y aucune fatalité.

Le sursaut du second tour, grâce au barrage républicain face au RN, a redonné cet espoir qui nous manquait tant.

Il montre qu’aussi désenchantée soit toute une frange de la population, il reste des valeurs et des principes qui guident toujours l’action de la grande majorité des Français.

Dans le vote Rassemblement National s’expriment aussi une colère et une tentative de changer les choses, espérant que soit pour le mieux, et parfois aussi, faute de mieux.

C’est ainsi à nous, peuple de gauche, de démonter l’argumentaire populiste et démagogique de l’extrême droite, de lever le voile sur les intérêts qu’ils représentent qui sont à l’opposé de ceux des classes populaires.

C’est aussi à nous de reprendre la main sur des sujets trop souvent abandonnés à l’extrême droite, pour y apporter un autre discours, une autre grille de lecture, d’autres solutions.

Ce constat, beaucoup de monde le partage, mais constater ne suffit évidemment pas, il faut aussi agir.

Dans quelle cadre, avec qui, sur quelle base ?

Le choix qui a été fait par la GRS est celui du parti politique, de la définition d’une ligne claire, avec en son cœur les valeurs du socialisme, de la république laïque, de l’écologie et de l’universalisme.

Si le cap est clair et tranche parfois avec d’autres groupes à gauche, la recherche de l’unité est une autre des valeurs clés que nous portons.

Sans faire de compromis sur ce qui nous définit, sans mettre sous le tapis les différends, nous considérons que le succès de la gauche sur le temps long ne peut s’écrire que dans l’unité et le débat d’idée à la base.

Il s’agit aussi de sortir de l’hystérisation des débats politiques, de la culture du clash, du clivage, du buzz.

S’inscrivant dans une tradition politique qui prend ses racines dans l’universalisme et la raison des Lumières, nous considérons que avons besoin de sang froid, de débat apaisé pour aller au fond des choses et ne pas sombrer dans la superficialité qui caractérise notre époque de consommation effrénée, ni dans le différentialisme qui par nature rend stérile tout débat entre groupes différenciés.

C’est ainsi un vaste chantier qui se profile devant nous, avec deux directions principales : travailler à la reconstruction de la gauche, de son unité durable, et mener la bataille culturelle, politique et sociale face à l’extrême-droite pour réaffirmer haut et fort que la seule issue pour sortir des crises qui pèsent sur la France, sur l’Europe et sur le monde, c’est le socialisme.

La lutte sera longue et difficile, mais il n’y a pas d’autre chemin, pas de raccourci.

Alors dès maintenant engage toi, rejoins la GRS, mène le combat pour changer la vie, vraiment !

Julien Zanin

Mémoires militantes #1 – de quoi est fait l’engagement militant ?

La Gauche Républicaine et Socialiste ouvre aujourd’hui une série d’articles sur les mémoires militantes. Nous nous sommes entretenus avec Pierre Chambeux et Jean-Paul Cadeddu, militants de gauche et syndicalistes de Seine-et-Marne. Dans cet entretien, ces deux militants au parti communiste et syndicalistes à la CGT reviennent sur leur parcours.

propos par Gurvan Judas

Quand et comment est né votre engagement politique et syndicaliste ?

Jean-Paul : J’ai adhéré aux Jeunesses communistes italiennes en 1953, l’engagement était prêt, mon père était résistant et mon oncle viré de l’éducation nationale italienne car communiste. Il m’a formé politiquement. On était abonnés à l’Unita Italia, on écoutait Radio Moscou tous les soirs.

Donc j’ai évolué dans ce milieu communiste.

En 1953 j’ai mon certificat d’étude et je suis demandeur d’emploi. En Italie comme les dockers, nous étions des journaliers. Quand l’employeur voulait quelqu’un pour arroser les betteraves etc… on était désigné pour travailler pour telle personne. Le Secrétaire général était communiste et j’ai donc adhéré à ce moment. Je suis arrivé en France en 1960 dans le Nord, en tant que conducteur de machine agricole et en 1962 j’ai quitté le Nord. Ou plutôt j’ai été autorisé à quitter le Nord car à l’époque on ne pouvait pas quitter sa fédération de travail. En 1963 je suis allé en Lorraine où j’ai eu une carte de séjour chez un agriculteur.

Ensuite on demandait du monde comme mineur. Je suis donc devenu mineur dans le bureau des mines, puis il y a eu les grèves de 1963 et j’ai été gréviste. J’ai rejoint la CGT mais Pompidou nous a réquisitionné. J’ai rejoint le mouvement ouvrier en 1963 avec les grèves des mineurs. Puis j’ai quitté les mines car ma femme attendais un fils, je suis retourné dans le Nord dans le milieu agricole, puis en 1965 à Dunkerque où on a mis en place un syndicat CGT face à la CFDT, puis la section du Parti Communiste de Dunkerque. J’étais secrétaire général de cette section communiste.

Du côté flamand, il y avait peu de communistes, donc on a créé notre section avec 270 adhérents. Ensuite, j’ai été Secrétaire de la CGT dans les usines du Nord à Dunkerque, puis permanent aux métaux Paris en 1974 à 32 ans.

Pierre : À 14 ans j’étais au boulot, pâtissier, avec des horaires à n’en pas finir, un repos par semaine, je suis tombé sur un maître d’apprentissage et j’ai appris. Je suis né « révolutionnaire », en colère et à 16 ans, vues les horaires et le boulot qui était demandé pour 5 000 anciens francs, j’ai demandé une augmentation de 50 nouveaux francs. Et à cette époque, je sortais des pétrins de brioche. Mon patron avait viré le boulanger et je faisait tout. Il m’a dit « non » à l’augmentation et je lui ai mis sur la tête la brioche puis je suis parti… La colère a commencé là. Après, de patron en patron, j’ai appris plein de métiers, glacier, chocolatier, etc. Je ne voulais pas faire l’armée, je suis arrivé à Vincennes avec les crosses en l’air avec tous les journaux « révolutionnaires » : l’Humanité, Libération [NDLR : à l’époque Libération était un journal post-maoïste], Charlie Hebdo, etc. pour qu’ils me virent mais je suis parti en taule, j’ai été crapahuter et j’ai eu 6 mois de rab.

Je reviens de l’armée à 18 ans, je reprends le travail, j’ai envie de rien faire et, en même temps, je rentre à la MJC à Denfert-Rochereau.

Je fais connaissance de la CGT, du responsable, Guyeux, délégué dans le XIIème pour les éboueurs de Paris.

Je ne voulais pas reprendre le travail et il me prend en éboueur. Dans ma trajectoire de vie, j’ai toujours voulu connaître d’autres gens et métiers. À la retraite, au moment de faire le dossier, j’avais fait 53 métiers : on n’y croyait pas. C’était le plein emploi, j’ai fait des métiers par mes relations et grâce au bouche à oreille.

Je rentre aux éboueurs de Paris avec les grèves. Je me syndique à 19 ans à la CGT. Je n’était pas au PCF, mais j’allais à la MJC.

À 4 heures, je fais les poubelles. Je me suis impliqué, je deviens permanent mutualiste travailleur immigré à la Bourse du travail. J’y reste 4 ans puis j’ai continué et enchaîné les métiers. Je me suis encarté PCF puis je n’ai rien fait ensuite. Puis j’ai ouvert un restaurant. Je n’était plus syndiqué alors. J’ai déchiré ma carte du PCF devant le Maire d’Elbeuf par colère pour un désaccord. J’ai toujours été syndiqué mais il y a eu des trous. J’ai fais 53 métiers sans rien connaître.

Quand j’ai ouvert mon restaurant, des camarades de la CGT y venaient manger puis me disent ce que je vais faire et m’accompagnent. Ils m’emmènent chez Renault Créon et 3-4 mois après un mouvement de contestation, usines bloquées, boulons sur les CRS, j’ai été mis à la chaîne. Mais ça n’a pas duré longtemps, les chefs d’équipes me gavaient donc je suis resté 6 mois après le mouvement. Je ne suis pas resté et je suis parti. J’ai fait de nouvelles connaissances. Je n’ai vécu que par relations.

On m’emmène à Lyon, dans la zone industrielle pour y créer un comité d’ entreprise. On vendait des tablettes et des livres pour Noël et je fais ça. Je suis parti là-bas, je me suis refait une santé financière, 50 francs pour 3 livres, des livres de cuisine, de jardinage et des livres pour enfants en nouveau francs. J’avais Grenoble, Marseille et Lyon en secteur. J’ai fais ça 1 an, le temps d’avoir de l’argent. Puis j’ai fait de nouvelles connaissances et ainsi de suite.

Puis j’en avais marre, je vais à Paris au Sainte-Louise, je fais des soirées, je reste un an et demi, je fais connaissance d’un futur ami.

Je suis resté 9 ans et demi comme commercial aussi, je travaillais avec les marchés de la Seine-Saint-Denis. Un frère revend ses parts.

Puis je vais à Saint-Helle, je suis responsable de service technique et achat pendant 6 ans.

Je suis revenu ensuite. J’ai été syndiqué CGT ici à Coulommiers à l’Union Locale et l’Union Départementale et je travaille pendant 9 ans à la presse à Montreuil. Il ne me reste que quelques années avant la retraite.

J’ai travaillé dans la presse donc, par relation, je prends la permanence au Syndicat du livre à Auguste-Blanqui (XIIIème arrondissement de Paris) pendant 4 ans et demi, puis je suis parti en pré-retraite à 58 ans.

Votre engagement au Parti communiste allait-il nécessairement avec l’engagement syndical à la CGT, est-ce naturel ? Et quelles différences entre les deux engagements ?

Jean-Paul : Le mouvement est inverse, tu es ouvrier, exploité tu te syndicalise car l’injustice n’est pas normale, c’est contre-nature l’injustice. On veut vivre normalement. Dans l’entreprise, la réponse est le syndicalisme qui est la première marche et permet de te faire une culture et de te faire voir les choses possibles. Et chemin faisant, tu deviens militant politique quand tu comprends que l’exploitation n’est pas obligatoire, tu te révoltes contre ça. Tu protestes et te dis que le syndicalisme a une barrière. Le syndicat ne sera jamais dirigeant du pays et cela limite la démarche pour le bien être des salariés. Et tu comprends que pour faire aboutir ses revendications, il y a besoin du vote pour les représentants du pays. Donc on devient politiquement un sympathisant et on choisi un parti car dans le mouvement ouvrier, il y a plein de partis et de traditions, des socialistes, des communistes, etc.

J’ai choisi le parti qui veut changer le monde pour ne pas juste accompagner la conquête sociale comme syndicaliste. Le PC porte ta revendication et la fait aboutir par des lois. Le parti fait aboutir et conquiert des droits nouveaux et là tu décides. Le syndicalisme ne choisit pas, le politique oui.

Pierre : Quand tu étais à la CGT, ça tombait sous le sens d’être au PC car le CNR (Conseil National de la Résistance) a tout créé, il y avait des cégétistes, le PCF, ils ont tout créé : la sécurité sociale, la retraite, les colonies de vacances, etc. Il y avait des gaullistes aussi [NDLR : et des socialistes, dont notamment Daniel Mayer, responsable du parti socialiste recréé dans la clandestinité, qui ont été les principaux inspirateurs du programme du CNR quoi qu’on en dise]. La CGT a des revendications toujours reprises par le Parti communiste. Les socialistes n’ont rien créé [NDLR : les mémoires militantes sont souvent partiales, ce propos en est une démonstration]. Ça me paraît donc naturel quand on est à la CGT d’être au PC, ça tombe sous le sens par rapport à l’histoire et ce qui a été créé et détruit ensuite depuis Valérie Giscard d’Estaing.

Vous vivez dans un territoire rural avec des pertes emplois, une forte désindustrialisation dans la Vallée du Grand Morin. Des fermetures d’usines comme Villeroy-&-Boch à la Ferté-Gaucher et ArjoWiggins à Jouy-sur-Morin. Comment faire vivre votre engagement sur ce territoire rural et agricole ? Quel engagement particulier ici, quelles différences avec un militantisme à Paris par exemple ? Comment s’articule votre engagement sur le territoire ?

Jean-Paul : Quand je suis devenu permanent, j’ai quitté l’usine, je suis arrivé en région parisienne, j’ai construit une maison car mon rêve c’était une maison, pas un appartement à Champigny. Donc j’ai vendu la maison à Dunkerque et j’ai acheté un terrain à Guérard avec la même société. J’avais des rapports avec le directeur, député gaulliste, et j’ai pris contact avec lui. Je suis arrivé a Guérard et j’allais travailler tous les jours à la Fédération de Paris des Métaux à Montreuil. J’ai milité ici, j’ai adhéré à la CGT Pommeuse/Faremoutier, la cellule Ambroise-Croizat, en plus un ancien ouvrier des métaux et ministre communiste, créateur de la sécurité sociale ! Donc j’ai connu ici des communistes, j’ai cherché à m’inscrire dans la bataille du coin. J’ai connu un communiste ici. Un professeur d’histoire au lycée Jules Ferry à Coulommiers. Il y avait la Jeunesse Communiste qui faisait des fêtes aux Templiers et je me suis inscrit dans l’environnement politique du coin.

Ma responsabilité était l’industrie lourde. Je me suis inscrit de cette manière et j’ai côtoyé des personnes du coin qui militaient. J’étais CGT et PC ici, on devait rester syndiqué à notre usine d’origine mais l’usine origine était à Dunkerque… compliqué pour aller en réunion…

Donc après, avec le système ou tu pouvais adhérer où tu voulais, j’ai pu adhérer à Guérard à Cité Usine.

L’histoire est venue avec l’accession de Mitterrand au pouvoir avec les années des ministres communistes que je connaissais personnellement. J’ai été déçu par eux… Avec les histoires de l’URSS. Car il y avait dans le parti le débat sur le socialisme à la française. Le siège était à Prague pour les métaux et certains exigeaient que le siège soit à Moscou, je suis allée à Moscou pour les réunions, et ce n’était pas vraiment l’idéal communiste de faire le bonheur des gens.

Le système soviétique ça ne m’allait pas. Je l’ai déclaré publiquement et on est rentré en désaccord avec des personnes importantes. J’ai milité à la commission de la main-d’œuvre immigrée dans les années 1972-73. J’étais responsable avec d’autres copains dans le Nord et le Dunkerquois.

En 1989, on a eu un débat violent dans la Fédération des Métaux. J’ai fait l’école centrale du Parti Communiste. Parmi les gens qui, dans la Fédération des Métaux fréquentaient cette école, il y avait un débat entre être ferme et loin des masses ou ne pas être ferme et proche des masses, et je me disais comme Duclos « il faut être devant les masses mais pas trop loin devant, car les masses font l’histoire » donc j’ai démissionné de la Fédération des Métaux. J’avais 50 ans. J’avais refusé le plan social de la métallurgie, donc je pouvais partir en pré-retraite avec un salaire et je me suis dit que je n’étais pas un profiteur donc que je ne voulais pas du plan.

Avec les amis avec qui ont a eu cette réflexion, il y en a un qui est devenu eurodéputé.

On construisait des dossiers cadres industrialisation de l’Europe de l’Est. Ils ont vécu comme ça ???

Je ne pouvais pas écrire 150 pages de documents politiques. J’étais juste militant. Eux sont sortis des grandes écoles et étaient militants politiques. Moi j’étais un militant venu du milieu ouvrier.

C’était l’époque ou les pizzeria marchaient bien, donc j’en ai ouvert une. Donc je rentre dans un restaurant et le patron est sarde comme moi, de la même province. Je cherchais du boulot. Il m’a fait travailler, j’ai appris le métier puis j’ai ouvert mon restaurant que j’ai fermé en 2003. Les réunions du parti se faisaient là. Voilà comment je me suis inscrit dans le territoire.

Tu as fait beaucoup de choses !

Pierre : À l’époque, on pouvait faire plein de choses, ce n’est plus possible aujourd’hui. Ca fait 25 ans qu’on habite ici (Saint-Siméon). J’étais à Champigny, à l’amicale des locataires. J’ai crée le syndicat CGT, j’ai rencontré mes camarades, j’ai fait plein d’actions, mon implication a été a 100% ! Ce n’était plus cyclique comme avant. Ici j’ai connu Jean-Paul à l’Union Locale de Coulommiers et je me suis impliqué ici.

On a fait énormément d’actions sur le territoire !

Quelles actions avez-vous menées sur le territoire, des échecs, des réussites ?

Pierre : Des réussites mais aussi des échecs, les luttes entamées avec des camarades comme Villeroy-&-Boch, un échec. Syndicalement on a fait beaucoup.

À Bruxelles, on a soutenu l’aéronautique, dans le Nord on a eu des réussites. Mais plus d’échecs… Il y a eu des luttes grandes et importantes, des revendicatives, salariales, etc. Toutes les luttes sont enrichissantes même quand on perd, on sait qui nous a trahi comme pour Villeroy-&-Boch ou ArjoWiggins. Les élus qui ne voulaient pas que cela ferme et finalement on laissé les sites fermés. Il n’y a pas eu d’échec de notre part, ils ont voulu que tout ferme, nous on a monté des dossiers, et ils nous ont planté un coup de couteau dans le dos.

Jean-Paul : C’est la division le problème. Territorialement parlant, il y a eu 3 évidences : Les usines comme Brodart, la lutte anarchique parfois, certains voulaient faire sauter l’usine avec du gaz…

Mais s’il y a un acquis, c’est d’avoir permis aux salariés d’occuper leur poste le plus longtemps possible alors que les patrons voulaient fermer le site. Les salariés démissionnaient et on est resté pauvres dans la lutte, assez peu nombreux ; notre parti est intervenu à ArjoWiggins avec Alain Janvier, nous avons monté un dossier. À Brodart on a présenté un dossier aussi mais ils voulaient transférer l’usine à Malesherbes, donc on a retardé la fermeture de 2 ans. Mais l’objectif de l’employeur a abouti, même avec parfois 7 semaines de grèves.

Au fur et à mesure, avec les primes de départ des patrons, les employés les prenaient et on a dû mener une bataille sans soldats comme sur les piquets de grève à Villeroy-&-Boch. Il y a eu une trahison des Ministères des Finances et de l’Industrie. Villeroy-&-Boch n’aurai jamais dans la fédération des métaux !????

Dans notre démarche, en tant que syndicat de changement, on n’était pas dans l’accompagnement. Nous voulions aider les gens à avoir le maximum. On a réussi avec la création d’un centre de recherche sur l’aluminium. Ils voulaient fermer l’usine mais on a réussi à y faire travailler 50 ingénieurs. C’était une réussite mais le site est depuis parti au États-unis et a fermé…

Donc pas de victoire, mais sur la situation territorialement parlant nous sommes les seuls, le PC et la CGT, qui réclamons la réindustrialisation de la Vallée du Grand Morin : 7-8 années à mener cette bataille seuls.

Pierre : On est venu avec des projet montés !

Jean-Paul : Il voulaient diviser les salariés, on a dû fermer l’usine d’ArjoWiggins qui n’aurait jamais du être fermée. On s’est disputé avec le syndicat de l’usine. Il parlait de faire un musée, je lui dit « Tu aurais du faire un piquet de grève au lieu d’un musée, la France des musées et des cimetières industriels on en a marre ! » On a besoin d’emplois pas d’un lieu pour se souvenir.

On jette ce territoire dans les mains du RN. Comme à Jouy-sur-Morin ou la Ferté-Gaucher ou il n’y a plus d’emploi, plus de gare. Marine Le Pen à fait 60% au second tour. On parle de communes de 2 000 et 5 000 habitants où on a détruit des centaines d’emplois : 280 emplois détruits à Jouy-sur-Morin sur une population de 2 000 habitants… On détruit un territoire. À Jouy-sur-Morin, le site du Marais, l’ancienne papeterie est un bel exemple de friche industrielle. À Boissy-le-Châtel, on a fait de l’ancienne usine une galerie d’art contemporain. On aurait préféré garder les emplois. Comment après toutes ces années, ces décennies, ces échecs, faites-vous pour rester infatigables. Comment garder espoir et continuer à se battre et à retourner sur les piquets de grève ?

Pierre : Pour sauvegarder quelque chose pour notre jeunesse. Préserver le marché du travail, préserver le peu qui nous reste pour la jeunesse, qu’il y ait quelque chose et qu’ils ne finissent pas leur études et direction Pôle Emploi. C’est dans nos gènes aussi d’aider le monde du travail. Nous sommes retraités, mais il faut préserver les emplois, les salaires nous ne sommes pas là pour philosopher. C’est juste ça.

Il y aurait tellement à dire, mais pour faire court, qu’est-ce qu’un jeune peut avoir à part un emploi précaire dans la grande distribution, ou dans la logistique, payé au lance-pierre et cela même parfois avec un bac +5, 7 ou 8 ? On vous avait dit à 16 ans qu’il le fallait mais c’est fini aujourd’hui. Maintenant, c’est la logistique, les bas salaires. On se bat pour l’avenir de la jeunesse. Préserver les emplois, les salaires, le monde du travail car si on baisse les bras ça ne va pas être beau.

Jean-Paul : Je pense que l’affrontement capital/travail n’est pas éteint, et j’ai espoir. Pourquoi lutter ? Car c’est le moteur de la société, le travail va l’emporter sur le capital, c’est mon guide. Le travail deviendra majoritaire dans l’esprit de la société.

Je ne suis pas pour une société dictatoriale, une majorité de gens vont se dire un jour qu’ils sont effectivement des serviteurs du capital et ils vont vouloir être maître des affaires. Il y a des Cycles. Le RN n’est pas nouveau, Poujade avait 80 députés déjà. Mais on a connu des années où les luttes rapportaient. Aujourd’hui elles ne rapportent plus.

Pierre : En mai 68, on a eu 35% d’augmentation de salaire et cela tous milieux professionnels confondus. On n’a ruiné aucune entreprise et fermé aucune entreprise dans la fédération des métaux.

Jean-Paul : Une augmentation du Smic de 36 % !

J’ai des enfants, ils travaillent. Ma petite fille ne peut pas payer son entrée à l’École des Beaux-Arts à Paris car c’est 8 000 euros. Et les parents ont un loyer à payer de 1 200 euros… J’explique la réalité d’une société dépassée. Quand on discute avec eux de ça, ils ne viennent pas manifester ! Il devraient !

Moi je suis âgé. J’ai peur de la police, des coups de matraques. Mais ce qui me fait continuer, c’est que je suis sûr que le marxisme un jour l’emportera ! Pas comme l’URSS, et je considère le marxisme à part de la révolution armée, le vrai marxisme interviendra dans des pays formés et avancés, car les gens pauvres ont une idée de la Révolution mais ce n’est pas le marxisme. Le communisme soviétique n’est pas à l’ordre du jour, l’URSS croyait avoir réussi et regarde aujourd’hui les milliardaires en Russie, etc.

Pierre : Je suis convaincu que ce sont les jeunes qui voient la réalité des injustices dans le monde du travail. Je ne crois plus au monde d’aujourd’hui, je crois en la jeune génération c’est eux qui vont changer les choses. J’ai 3 voitures, je vis à la campagne, j’ai un loyer à payer, je ne vais pas faire grève je vais perdre de l’argent…

Mais dans les manifestations qui arrivent on va voir qui va être dans la rue, le RN n’est jamais en manifestation.

Jean-Paul : Les crises du capitalisme sont de plus en plus courtes, ça va éveiller la conscience des gens et les jeunes vont être confrontés de plus en plus aux crises du capitalisme qui veut se maintenir et va de plus en plus exploiter les gens. La jeunesse et les salariés de toute la classe des travailleurs. La classe ouvrière et tous les travailleurs qui vont au boulot, peu importe leur travail, même les ingénieurs, c’est la classe ouvrière !

Mon espoir c’est de dire que j’ai connu des crises, la crise du pétrole, etc. Mais les durées de repos du capitalisme sont de plus en plus courtes. On va demander des réformes, des mouvements vont se créer comme les « Gilets Jaunes » ou des émeutes ouvrières.

Mais l’histoire ne se répète jamais, on n’est pas en 1789. Le capitalisme est une pieuvre maléfique dont les tentacules vont continuer à nous faire mal.

En France, aujourd’hui, sans le parti communiste et la CGT, nous n’aurions pas été un pays latin, mais un pays nordique politiquement ????

Qu’est ce qui a changé dans la situation actuelle dans le militantisme et l’époque ou vous êtes engagés ?

Jean-Paul : À l’époque où je me suis engagé on partait de rien, on voulait aller vers tout, on avait un environnement qui le permettait. On a eu cette capacité d’élever au bien être des gens. Déja, on avait des emplois donc pas le besoin de beaucoup revendiquer mais si nous n’avions pas tout on continuait de revendiquer. Aujourd’hui, les gens se contentent de peu et ne revendiquent pas non plus. Le changement est là. Quand on parlait de la grève avant d’y aller, on avait des mouvements aux portes de l’usine, des centaines de personnes, on était soutenus, les gens avaient espoir. Aujourd’hui la démarche fondamentale qui amène au changement n’est plus là. Heureusement il y a le PC, car beaucoup tombent dans la collaboration sociale, comme la CFDT, etc.

Pierre : Le monde du capital et du patronat on été plus forts que nous, ils ont tout compris, il sont plus forts car à l’époque des grandes usines avec 2 500 salariés c’était plus facile de se syndiquer et d’avoir des revendications.

Le chef de l’usine et ses cadres savaient que 2 500 personnes pouvaient bloquer l’usine mais le monde du patronat et du CAC40 a tout cassé. Les usines ont été détruites, maintenant il y a plein de pôles, plus d’usines avec 2 500 personnes, maintenant c’est réparti. On a cassé les syndicats et dans toutes ces usines tu avais des partis politiques, des gens vendaient l’Humanité à la sortie.

Il y avait des cellules du PC dans les usines, des cégétistes, donc le monde du capital a tout cassé. Ils ont été plus fort, ils ont décentralisé.

On a crée l’entreprise sans ouvriers et usines…

Pierre : Ça n’allait pas encore, à l’époque par exemple la fabrication des billets de banque était un secret d’État dans un coffre fort. Aujourd’hui, ce secret a été donné aux Indiens. Ils ont détruit notre savoir-faire, ils ont été plus fort que nous, ils ont tout compris ; ils ont détruit à la CGT la cellule politique dans les usines. Aujourd’hui les centrales d’achats sont partout robotisées, avant il y avait dix personnes, maintenant trois.

La nano-technologie dans les années à venir va générer des millions de gens à la rue sans emplois et personne n’en parle. Des centaines de millions de chômeurs.

Les jeunes qui se politisent c’est très important car ils voient la réalité des choses, cette réalité.

Comment donner envie à des jeunes de continuer ce que vous avait fait toutes ces années ? Le parcours syndical, politique, ça se perd, il y a de moins en moins de gens syndiqués et encartés, surtout les jeunes Quels mots avez-vous pour donner envie aux gens, dans cette période difficile, de continuer le combat ?

Jean-Paul : Avec les camarades, on a été devant les lycées, Cormier à Coulommiers ou le lycée agricole de la Bretonnière à Chailly-en-Brie.

Il faut être près des gens, pas trop loin, leur dire que c’est possible de faire et leur démontrer que ça a été possible, trouver le moyens d’être avec eux le plus souvent possible et montrer que c’est possible car autrement il n’y a pas d’autres voie.

Dans les manifestations, on le voit actuellement entre les croyances et le passage à l’acte, ce n’est pas facile et la jeunesse à d’autres formes de préoccupation que nous avons eues. Leur faire croire que vivre heureux c’est possible, être des êtres humains dans le respect de la société, et pour soi, nous guide.

Le fait est qu’aujourd’hui, le plus grand cadeau qui peut être fait au capitalisme français, le plus mauvais cadeau qui peut être fait aux jeunes serait que le Parti Communiste disparaisse. Car demain, l’environnement sera dur, et sans perspective de se battre ça sera très difficile. Mais nous sommes faits pour vivre ensemble c’est la paix qui fait avancer. Il faut des moyens, des hommes, des militants. Personne ne naît avec la carte de la CGT et du PC dans la poche.

Pierre : Il faut s’intéresser aux choses pour l’avenir de l’emploi, le monde du travail.

Avons-nous fait assez vis-à-vis de notre jeunesse ? Les lycéens, les universitaires, les avons-nous assez impliqués, avons nous fait le job ? On a fait plusieurs actions ici au lycée Cormier, etc. Ils ne sont jamais revenus vers nous.

Ont-ils des moyens ou avons-nous fait le travail par rapport à la jeunesse du lycée ou du milieu universitaire par rapport au niveau vie, sur le plan syndical ou de la vie politique, etc. J’aurai pu, une fois que ma situation était normale avec un travail et de quoi manger, etc. ne pas manifester, ne pas me mobiliser et ne m’intéresser à rien d’autre.

S’intéresser à la politique c’est s’intéresser aux autres… c’est l’individualisme qui domine aujourd’hui, quand tout va bien on ne s’intéresse pas.

Pierre : Nous devons intéresser et mobiliser notre jeunesse à la vie sociale. Là nous aurons réussi.

C’est la vie publique, en commun et en communauté…

Pierre : On a peut-être loupé le train par rapport à ça…

Jean-Paul : Que le travail devienne un moteur de la société. On s’est battu pendant la campagne pour Fabien Roussel, mais est-ce que ça intéresse les gens ?

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