Le 14 octobre 2024, Sami Benfers, conseiller municipal délégué à l’économie sociale et solidaire et les taxis GRS de Marseille (élu des 13e et 14e arrondissements), répondait aux questions de BFMTV. Il demande qu’au-delà de la nécessité de remettre à la justice les criminels, il est vital pour la métropole méditerranéenne que l’on se préoccupe réellement de réduire les causes de la violence et des trafics dans la cité phocéenne. Les opérations « coups de poing » peuvent être parfois nécessaires, mais elles resteront sans lendemain pour la vie quotidienne des habitants si un travail de fond n’est pas engagé.
Etat de droit : Emmanuel Macron doit se ressaisir
Les propos confus d’Emmanuel Macron, à la mi-journée lors de son entretien télévisé depuis la Nouvelle Calédonie, sont inquiétants. S’il n’a évidemment pas à commenter une décision de justice, comme garant des institutions il ne peut par contre éluder l’expression du Directeur Général de la Police Nationale (DGPN), qui a mis de fait en cause l’égalité de tous devant la loi.
Le Président de la République aurait dû rappeler les principes fondamentaux de l’Etat de droit, que tout agent public se doit de respecter. La contestation de la procédure légale affaiblit gravement nos institutions et l’autorité de l’Etat. Les hauts fonctionnaires qui apportent de l’eau au moulin corporatiste causent en réalité plus de dégâts qu’ils n’en réparent. Cela vaut pour toutes les missions régaliennes de l’Etat : police, justice, finances publiques, etc.
Le rôle du gouvernement et du Président de la République est tout à la fois de donner aux services publics les moyens d’agir, ce que manifestement il ne fait pas, et de rappeler au DGPN et au Préfet de police de Paris les limites fixée à leur expression, ce qu’il oublie de faire.
Rappelons enfin que l’incarcération préventive d’un policier marseillais par le juge des libertés peut faire l’objet d’un appel par l’intéressé. S’il estime cette décision infondée, il a tout loisir d’user de ce moyen à sa disposition : force doit rester à l’ordre de la loi !
LE CALME ET LA JUSTICE
Le meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier, qui a visiblement enfreint les règles d’utilisation de son arme, a mis le feu au pays ces derniers jours. L’exaspération dans les quartiers populaires face aux discriminations ressenties – et vécues ! – dans la relation de leurs habitants avec la police, n’épuise cependant pas l’analyse de ce déchaînement de violence. Cette intolérable bavure policière en est l’élément déclencheur mais pas la cause profonde.
Lors des dernières manifestations contre les retraites, certains d’entre nous avaient déjà redouté la survenue de drames similaires, pensant non sans raison que le gouvernement ait la volonté délibérée de créer les conditions d’un affrontement pour imposer par la peur et par la force sa politique de régression sociale. La police est instrumentalisée par les pouvoirs qui se succèdent depuis de nombreuses années pour mettre au pas tout mouvement social d’envergure. La police est sans cesse sollicitée, sans retenue et sans qu’on lui donne les moyens d’accomplir correctement sa tâche. Dès le mouvement des « gilets jaunes », les policiers étaient fatigués et usés, tout en étant encouragés par leur hiérarchie à accroître le niveau de violence en pratiquant les nassages systématiques, l’emploi des grenades de désencerclement et des LBD, sans parler des passages à tabac récurrents et autres humiliations comme celle subie par des lycéens mis à genoux la tête contre le mur. Bref un cocktail d’images insoutenables, qui documente un bilan accablant de violences policières, les pires depuis plus de 50 ans.
Peut-on dire pour autant que « la police tue » comme l’affirment des responsables de la France insoumise, dont leur leader ? Nous considérons que tenir de tels propos est une faute politique, car ils ne trient pas le bon grain de l’ivraie ! Ils jettent l’opprobre sur tout un service public et sur une institution – et font peser un risque moral et physique sur l’ensemble des gardiens de la paix, présumés tueurs en puissance. Les dérives dans la police sont réelles ; elles sont graves et concernent trop d’agents (on garde à l’esprit l’immonde forum de discussion sur lequel des milliers de policiers postaient des messages dont le racisme n’avait d’égal que la bêtise), mais ces phénomènes extrêmement inquiétants sont d’abord la conséquence de décisions politiques. La police est une institution régalienne. Sans elle, ni démocratie républicaine, ni cohésion nationale ne sont possibles. L’action des policiers contre les émeutiers et les bandes délinquantes, voire criminelles, durant la semaine qui vient de s’écouler, démontre s’il en était encore besoin qu’elle est indispensable pour éviter des drames, pour limiter autant que possible la dégradation des biens et les atteintes aux personnes, et cela, à ce jour, sans aucune victime malgré des situations où les policiers ont essuyé des coups de feu et constaté l’emploi d’armes létales par certains émeutiers.
Il n’en demeure pas moins que la doctrine d’emploi des “forces de l’ordre” doit être revue. Dans ce domaine les évolutions engagées depuis 20 ans sont contestables (cf. notre conférence des “Jeudis de Corbera” du 25 mai 2023). L’adoption sous l’impulsion de Bernard Cazeneuve et Bruno Le Roux de la loi dite de « sécurité publique » visait à assouplir les règles sur l’usage des armes à feu pour les policiers afin de les aligner sur celles des gendarmes. Ce texte, poussé par les circonstances d’un État encore traumatisé par les attentats de 2015 et la menace terroriste qui perdurait, nous l’avions déjà combattu ; il démontre aujourd’hui ses effets pervers et tragiques.
Il faut poser le bon diagnostic et en tirer les conséquences. Les services de police demeurent sous-dotés et leurs agents sont insuffisamment formés. Les décisions politiques prises en particulier depuis Nicolas Sarkozy, de la suppression désastreuse de la police de proximité à la révision générale des politiques publiques, ont fortement dégradé l’attractivité du métier de policier, dont les conditions de travail ne sont pas dignes d’un pays comme la France. L’administration s’est vue obligée de baisser son exigence de recrutement et cela a parfois conduit à l’embauche de policiers inaptes à cette fonction, violents, peu attachés aux valeurs républicaines, ayant surtout l’envie d’en découdre avec tous ceux ressemblant de près ou de loin à des étrangers. Alors que le racisme est un délit et une attitude antirépublicaine en soi, aucun fonctionnaire ne devrait prêter le flanc à une telle accusation dans l’exercice de sa mission. Sans une neutralité et une égalité de traitement strictes, l’autorité de l’État perd toute crédibilité. La pratique du contrôle au faciès maintient par ailleurs les fonctionnaires dans un état d’esprit délétère et les jeunes visés dans une défiance exacerbée contre l’institution et les pouvoirs publics.
Résultat, la violence d’État devient une réponse quasi automatique pour faire face aux mouvements populaires. Ce contexte déplorable est un terreau fertile pour la radicalisation d’une partie des policiers. La droite se contente depuis de trop longues années d’un soutien de façade à cette institution, en couvrant les exactions de ses éléments les plus violents et les comportements racistes croissants, pour faire oublier qu’ils ont affaibli ce service public.
Quant aux violences qui ont suivi le meurtre de Nahel Merzouki, elles sont l’illustration d’un contexte explosif : une population ouvrière, pauvre et précaire, méprisée par un pouvoir au service exclusif des riches et des possédants.
En Allemagne, il y a eu un mort en 10 ans pour refus d’obtempérer ; en France, on en est à 16 en 18 mois. Toute l’Europe observe cette dérive avec effarement et la France devient aux yeux de ses voisins un exemple à ne pas suivre.
La colère populaire déclenchée par la tragédie de Nanterre a aussi été exacerbée par certains médias, osant relayer des « informations », souvent mensongères, pour sous-entendre que ce jeune homme l’avait finalement bien cherché, faisant ainsi fi de toute compassion et même de toute honorabilité.
Ainsi, les violences de ces derniers jours ne sortent pas de nulle part mais il est hors de question de les excuser ou, pire, de les encourager. Car ce sont les quartiers populaires qui brûlent, des services publics déjà trop peu présents qui brûlent, ce sont les habitants de ces quartiers qui subissent les discriminations et les difficultés sociales endémiques qui en sont les premières victimes. Nous n’avons pas confiance dans le pouvoir actuel pour prendre enfin conscience de l’enjeu – les déclarations de diversion sur les jeux vidéos, les réseaux sociaux et l’irresponsabilité des parents préparent les esprits à l’inaction – et mettre des moyens pour reconstruire des quartiers abandonnés depuis bien longtemps.
À l’opposé, lorsqu’on refuse d’appeler au calme, soi-disant au nom de la justice, on commet une lourde erreur car on se rend complice des véritables responsables. De ce gouvernement d’abord, qui pourra ainsi en profiter pour accuser la gauche d’exploiter politiquement la mort de Nahel Merzouki pour semer le désordre et diluer sa lourde responsabilité.
Il faut arrêter de donner l’impression qu’on pourrait opposer le calme à la justice, il faut vouloir les deux ! Les explosions de colère et les révoltes sans autre but que la casse et le pillage n’amènent jamais la justice. D’un point de vue pénal, celle-ci suit son cours : le policier a été mis en examen pour « homicide volontaire », il est placé en détention provisoire et à l’isolement : à ce stade, la justice fonctionne. Nous devons être particulièrement vigilant sur la façon dont l’IGPN traitera ce dossier. Si elle fait, par esprit de corps, comme on l’a vu dans d’autres cas, obstruction à la vérité, cela pourrait aggraver la situation. Une réforme de cet organisme s’impose plus que jamais pour en garantir l’impartialité.
Enfin, les violences et déprédations font clairement le jeu de l’extrême droite, au point qu’on a vu dans certains quartiers des milices se constituer et des groupes fascistes proposer leurs « services » et parader dans les rues en hurlant leurs slogans racistes. En l’occurrence, l’appel à la sédition contre l’État de la part du pôle syndical majoritaire Alliance/UNSA chez les policiers est d’une exceptionnelle gravité, que la République française ne saurait tolérer.
Il en va du maintien de notre cohésion nationale de renforcer les services publics sur l’ensemble de notre territoire et bien entendu aussi de la police avec une véritable politique d’investissement et de formation.
Face aux discours hypocrites de la droite, la gauche devra agir !
Nos services publics ont besoin d’un véritable Plan Marshall pour que les principes d’égalité et de justice reprennent tout leur sens, qu’il s’agisse d’éducation, de santé, d’action sociale, mais aussi de police et de travail efficace de toute la chaîne judiciaire.
Daniel Large, Frédéric Faravel et Laurent Miermont
Les Jeudis de Corbera – Quelle politique républicaine de maintien de l’ordre ? – 25 mai 2023
Après plus de 3 mois d’une contestation sociale historique, la politique de maintien de l’ordre ne cesse de poser question. Alors quelle politique républicaine de maintien de l’ordre et des droits ? D’autres pays font face à des problèmes similaires comment agissent-ils, quelle politique de désescalade ? Nous abordions cette question lors de la 3ème émission des Jeudis de Corbera, le 25 mai à partir de 19h, en présence de Fabien Jobard, chercheur sur les sujets police / justice, et Jean-Baptiste Soufron, avocat au barreau de Paris. Les débats étaient animés par Hélène Franco.
Halte au feu !
« La garantie des droits de l’Homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Ces deux articles à valeur constitutionnelle ne doivent pas être de simples proclamations : ils doivent être au cœur des préoccupations des fonctionnaires de la République, et en particulier des policiers.
Or, d’Amnesty International à Reporters sans frontières, les condamnations pleuvent aujourd’hui sur le comportement de certains policiers, mais aussi plus largement sur le mode d’organisation du maintien de l’ordre dans les manifestations non déclarées qui se sont multipliées en France depuis l’annonce du recours à l’article 49-3 pour faire adopter sans vote le projet de loi sur les retraites.
Plus rare encore, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, s’est alarmée vendredi 24 mars d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites, appelant la France à respecter le droit de manifester. « Les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État » a-t-elle précisé.
Au passage, Mme Mijatovic donne tort à Gérald Darmanin qui prétendait il y a une semaine que la participation à une « manifestation non déclarée » constitue un « délit » qui « mérite » une « interpellation ». « Le défaut de déclaration d’une manifestation n’est pas suffisant en soi pour justifier une atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique des manifestants, ni une sanction pénale infligée aux participants à une telle manifestation », affirme la Commissaire, ainsi que la Cour de cassation l’avait déjà jugé en 2022. Dunja Mijatovic s’est de ce fait inquiétée de l’interpellation et du placement en garde-à-vue de certains manifestants et de personnes se trouvant aux abords des manifestations, s’interrogeant sur « la nécessité et la proportionnalité des mesures dont elles ont fait l’objet ». Mme Mijatovic a rappelé que « la tâche première des membres des forces de l’ordre consiste à protéger les citoyens et les droits de l’homme ». Elle insiste aussi sur le fait qu’aucune impunité ne doit être admise en matière de violences policières.
Sur ce point, Gérald Darmanin a annoncé par ailleurs vendredi l’ouverture de 11 enquêtes judiciaires, confiées à l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), sur des violences policières présumées depuis une semaine dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Rappelons qu’en février 2019, Mme Mijatovic avait déjà adressé aux autorités françaises concernant le maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes ». Elle avait notamment exhorté le gouvernement français à « mieux respecter les droits de l’Homme », à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense ». Sur ce dernier point au moins, elle avait été entendue (jusqu’à la manifestation de samedi 25 mars à Sainte-Soline, où les forces de l’ordre ont de nouveau utilisé ce matériel).
La Commissaire aux droits de l’Homme avait alors également pointé des inquiétudes à propos des interpellations et placements en garde à vue de personnes souhaitant se rendre à une manifestation sans qu’aucune infraction ne soit finalement relevée, ni aucune poursuite engagée, à l’issue des gardes à vue. « Ces pratiques constituent de graves ingérences dans l’exercice des libertés d’aller et venir, de réunion et d’expression », avait-elle écrit, estimant qu’elles ne peuvent devenir des outils préventifs du maintien de l’ordre.
Certes, les recommandations du Conseil de l’Europe (qui regroupe aujourd’hui 46 États membres s’engageant à respecter la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) n’ont pas de valeur contraignante. Mais elles disent beaucoup sur les efforts à accomplir par notre pays pour réussir à renouer avec la finalité première de la force publique (police et gendarmerie) telle qu’énoncé par la Déclaration de 1789 : la garantie des droits de l’Homme.
La démocratie, c’est trouver un équilibre entre la détestation par Karl Marx du « lumpenproletariat » qui, par ses violences porteuses de désordre, est le meilleur allié de la bourgeoisie et la conviction de l’écrivain Romain Rolland : « Quand l’ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice ».
Forte des principes hérités notamment de la Révolution Française, la Gauche Républicaine et Socialiste souhaite que la formation et le recrutement des policiers soient repensés pour donner la priorité aux principes déontologiques. Le contrôle hiérarchique sur le terrain des actions policières de maintien de l’ordre doit être renforcé, avec la même logique.
La GRS propose également que le traitement des enquêtes concernant des violences policières soit confié à une instance indépendante, ce qui n’est pas le cas de l’IGPN.
Enfin, la GRS, dans la logique de l’article de la Déclaration de 1789, est disponible pour participer, avec d’autres forces politiques ou associations, à des opérations d’observation au cours des manifestations revendicatives.
« La société », c’est nous tous !
Restaurer une police républicaine
Face à la violence et au racisme, redonner force à la République !
Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale
ordonnance prise sur le fondement des b, c, d et e du 2° du I de l’article 11 de la loi d’urgence
Afin de s’adapter aux enjeux sanitaires et d’éviter les contacts physiques, mais aussi aux contraintes du confinement et des plans de continuation d’activité réduite des services, cette ordonnance suspend les délais de prescription de l’action publique et d’exécution des peines à compter du 12 mars 2020.
Elle assouplit les conditions de saisine des juridictions et allège leur fonctionnement, en autorisant plus largement des audiences dématérialisées et en élargissant les formations à juge unique.
Par ailleurs, l’ordonnance assouplit les règles de procédure pénale applicables aux personnes gardées à vue détenues à titre provisoire ou assignées à résidence. Elle permet à un avocat, avec son accord ou à sa demande, d’assister à distance une personne gardée à vue grâce à un moyen de télécommunication. Elle prolonge les délais maximums de placement en détention provisoire et d’assignation à résidence durant l’instruction et pour l’audiencement. Elle allonge les délais de traitement des demandes de mise en liberté des personnes détenues à titre provisoire.
Enfin, l’ordonnance assouplit les conditions de fin de peine, en prévoyant notamment des réductions de peine de deux mois liées aux circonstances exceptionnelles.
Gardes à vue :
Il convient de s’assurer que l’intervention à distance de l’avocat prévu par l’article 5 de l’ordonnance ne puisse être envisagée qu’à titre subsidiaire et qu’à la condition expresse que l’avocat y ait explicitement consenti. Aussi, il faut que des moyens de protection soient garantis à tous dans les commissariats et gendarmeries.
Il est inadmissible qu’un justiciable voit sa privation de liberté prolongée sans qu’elle puisse être présentée devant le magistrat compétent pour en apprécier l’opportunité, faute de quoi le principe constitutionnel selon lequel « l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle » serait profondément atteint. Il faut que cette mesure soit appliquée pour des situations exceptionnelles et ne doit pas être appliquée à la garde à vue d’un mineur de 18 ans.
Principe de la collégialité en matière pénale :
Si le Code de procédure pénale a récemment ouvert les cas dans lesquels un justiciable peut voir son affaire examinée par un seul juge, la crise sanitaire ne devrait justifier le renversement du principe de collégialité. Aussi, les audiences pénales devraient se tenir dans les conditions prescrites par le Code de procédure pénale ou, à défaut de magistrats disponibles, être renvoyées à une date ultérieure.
Visio-conférences :
La loi d’habilitation ouvre dangereusement la porte à la généralisation de la visio-conférence en matière pénale. Il faut être vigilant par rapport à une éventuelle utilisation abusive qui pourrait altérer l’action de juger et d’être jugé.
Principe du contradictoire :
Le texte adopté évoque sans précision l’aménagement des modalités d’organisation du contradictoire devant les juridictions pénales. Une décision de justice est avant toute chose le résultat d’un échange d’arguments entre parties. Le débat oral et contradictoire constitue une étape essentielle à l’élaboration d’un jugement pénal ; il appartient aux autorités de préserver, en toutes circonstances, cette idée et de prendre les mesures sanitaires appropriées pour la rendre durablement possible.
Détentions provisoires et délais d’audiencement :
L’article 16 autorise d’inédites prolongations de détention provisoire : « sont prolongés plein droit de 2 mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à 5 ans et de 3 mois dans les autres cas […] Ce délai est porté à 6 mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel. Les prolongations prévues à l’alinéa précédent sont applicables aux mineurs âgés de plus de 16 ans, en matière criminelle ou s’ils encourent une peine d’au moins 7 ans d’emprisonnement. ».
Cette mesure pose un grave problème. Rien ne justifie que l’on puisse prolonger au-delà des délais actuels, déjà suffisamment longs, le placement en détention provisoire de personnes incarcérées bénéficiant de la présomption d’innocence. L’incarcération est inscrite dans le Code de procédure pénale comme étant une mesure exceptionnelle et pourtant nos prisons sont pleines de personnes en détention provisoire. Cette mesure apparaît d’autant plus problématique qu’en raison de la promiscuité bien connue dans nos établissements pénitentiaires du fait du manque de places, les règles de confinement sont absolument intenables et la situation sanitaire pourrait ainsi se dégrader rapidement.
Juge des Libertés :
L’article 18 aggrave encore la situation. « Les délais impartis à la chambre de l’instruction ou à une juridiction de jugement par les dispositions du code de procédure pénale pour statuer sur une demande de mise en liberté sur l’appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté, ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire et d’assignation à résidence avec surveillance électronique ou de contrôle judiciaire, sont augmentés d’un mois. Les délais impartis au juge des libertés et de la détention pour statuer sur une demande de mise en liberté sont portés à six jours ouvrés. »
Si les audiences devant le juge des libertés et de la détention ou les juridictions de jugement ne peuvent se tenir dans les délais prévus par les textes, il appartient à l’institution judiciaire d’en tirer les conséquences légales et d’ordonner la mise en liberté des personnes détenues. Cette position s’impose avec d’autant plus de force que les établissements pénitentiaires connaissent aujourd’hui des taux de saturation élevés, exposant les personnes détenues à des risques de contamination inégalés à l’extérieur.
Exécution des peines :
La rédaction de l’ordonnance concernant la situation des personnes détenues (articles 21 à 29) est particulièrement floue. Or, le droit positif offre un certain nombre de possibilités aux juridictions pour favoriser la limitation de la propagation du virus en détention et la protection des droits des personnes détenues.
Peut-être peut-il être envisagé le prononcé de grâces individuelles pour les personnes exécutant des courtes peines ou ayant un faible reliquat de peine ? Une loi d’amnistie pourrait également être envisagée.
Des mesures exceptionnelles contestées :
De vives réactions se sont manifestées, notamment du côté du Syndicat de la magistrature qui a annoncé dans un communiqué publié le 26 mars contester les ordonnances au regard de leurs conséquences sur les droits des personnes.
Il alerte sur le fait que de longs mois d’application de ces dispositions risquent d’avoir un effet de contamination sur le droit commun, et refuse que ces textes soient le prétexte à de nouveaux errements de la chancellerie, au travers d’une invitation plus ou moins appuyée ou subliminale que l’on peut résumer ainsi : « nous avons vidé les tribunaux des parties, vous pouvez revenir travailler ! »
Pour le Syndicat des avocats de France (SAF), la vigilance est le maître-mot : « Parce que nous savons que les lois d’exception servent d’expérimentation pour les gouvernements, nous serons particulièrement vigilants quant à l’inscription de l’ensemble de ces mesures dans la durée » écrivait-il dans une lettre ouverte à la Garde des Sceaux.
Une coincidence surprenante
Les craintes du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France, sur le fait que tout ceci ne serve de prétexte pour « sortir » avocats et juges du palais, me paraissent d’autant plus justifiées qu’il faut mettre en regard le fait que cette ordonnance arrive au même moment où le dispositif DATAJUST entre en application : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041763205&categorieLien=id&fbclid=IwAR1PARs4QGnubLBZFFilJZo7iHHEsSoKFJaEsOtOtW53nTG9-H2BN5Qslxg
Ce dispositif a pour objet de recueillir un grand nombre de décisions de justice afin de développer un algorithme permettant d’élaborer un référentiel d’indemnisation des préjudices corporels. Les dispositions analysées vont donc conduire à la création d’un référentiel d’indemnisation pour les victimes de dommages corporels : assurément la matière pour laquelle la mise en œuvre de la justice prédictive s’annonce la plus aisée.
A l’heure actuelle, il n’existe pas un, mais des référentiels : celui de l’ONIAM, le référentiel MORNET, le référentiel « indicatif » des cours d’appel édité par l’ENM. Offrir une visibilité sur le sens des décisions intervenues présente alors certains avantages. L’harmonisation des pratiques entre le juge judiciaire et le juge administratif – souvent moins généreux pour indemniser les victimes avec des deniers publics – peut également s’avérer salutaire.
Reste que l’élaboration automatisée de ce référentiel, et, surtout les utilisations qui en seront faites prêtent le flanc à la critique.
En premier lieu, la transparence induite doit permettre de « favoriser le règlement amiable » des contentieux et ainsi éviter des procès. Le Conseil Constitutionnel rappelant qu’il est parfois nécessaire d’écarter les justiciables des prétoires. Ainsi, selon lui « réduire le nombre des litiges soumis au juge » poursuit « l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ». (CC, 21 mars 2019, n°2019-778 DC).
L’objectif affiché de « raisonner» les parties en leur fournissant des informations objectives peut-il se traduire par une baisse des demandes extravagantes ? La grande diffusion des informations juridiques – par le biais d’internet notamment – ne décourage que rarement les justiciables à agir au motif qu’ils auraient constaté que l’action envisagée était infondée…
En deuxième lieu, les risques inhérents à la mise en œuvre du dispositif évoqué seraient que les juridictions s’y réfèrent hors éléments de contextes et au détriment de la subjectivité nécessaire au jugement de chaque affaire. Quelle attention portera le juge à la spécificité du dossier dès lors qu’un barème « objectif» sera mis à sa disposition ?
La tendance à l’adoption de solutions déconnectées des situations réelles sera d’autant plus présente dans un contexte général peu propice à l’étude des dossiers au cas par cas : Raréfaction de l’oralité dans les débats judiciaires, surcharge de travail des magistrats, allongements des délais entre la plaidoirie et le délibéré… Voilà autant d’éléments qui incitent les magistrats à se référer à une solution « clé en main ». On mesure ici comme dans la santé les conséquences néfastes des choix budgétaires austéritaires des 15 dernières années.
En troisième lieu, se pose la question du contrôle des décision qui « nourrissent » cet algorithme. Comment s’assurer que la base de données créée est neutre comment corriger les « biais » de l’algorithme ? L’absence de « neutralité technicienne » pose nécessairement problème. Elle s’avère d’autant plus dangereuse lorsqu’elle concerne la justice.