Émeutes : quelles leçons pour la gauche ? par Christophe Ramaux

Christophe Ramaux est Maître de conférences à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, membre des Économistes atterrés. Nos chemins se croisent régulièrement et, après la publication de son dernier essai Pour une économie républicaine : une alternative au néolibéralisme (février 2022, édition De Boeck), nous l’avions à nouveau invité à débattre à nos côtés sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre 2022. Lorsqu’il a publié sa réflexion ce mois-ci sur les émeutes (leurs causes, leurs conséquences, l’absence de réponses aux problèmes qu’elles soulèvent) qui ont frappé nos concitoyens fin juin, nous avons à nouveau constaté nos convergences avec ses analyses. Nous lui avons demandé aujourd’hui l’autorisation de publier celle-ci sur notre site et il a immédiatement donné son accord – qu’il en soit chaleureusement remercié. Vous trouverez donc la version longue de son propos ci-dessous et vous pourrez en consulter une version plus courte sur le site d’Alternatives Économiques publiée le 21 juillet dernier. Bonne lecture.

Nous y sommes, au cœur des congés payés, avec Charles Trenet et sa Nationale 7 dont le ciel d’été « chasse les aigreurs et les acidités / Qui font l’malheur des grand’s cités / Toutes excitées ». Des ados taquinant les institutions et donc la police pour s’affirmer n’est pas nouveau. La conduite sans permis et le refus d’obtempérer sont devenus un rite de passage dans nombre de bandes. On doit le déplorer, reconnaître que ce n’est pas simple à gérer. Rien n’autorise cependant à y répondre par la mort. Et celle de Nahel s’ajoute à une trop longue liste. Il y a décidément lieu de revoir certains règles d’intervention de la police. Bourdieu voyait dans le régalien la « main droite » de l’État. C’est offrir beaucoup à la droite. N’est-il pas essentiel que les lois et la Constitution même, les institutions les plus « systémiques » donc, posent pour le régalien la mission de faire respecter les droits de l’homme et du citoyen, dont la lutte contre le racisme ? N’est-ce pas une précondition du progrès social ?

Pour refonder la police encore faut-il reconnaître sa légitimité. On mesure la vacuité de ceux qui clament « tout le monde déteste la police ». Et leur infatuation : les forces de l’ordre comptant parmi les services publics les plus populaires, c’est bien une bonne part du peuple que ce « tout le monde » efface. Une émeute a toujours un sens politique. Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce sens. Tout ce qui bouge n’est pas rouge. Quand la république recule, les petits rois refont surface. C’est vrai de certains policiers et de certains de leurs syndicats, preuve au passage des dangers bien réels du corporatisme. C’est vrai aussi de ces jeunes qui s’autorisent à piller et à casser, des commerces proches, des mairies, des écoles et à l’occasion des cibles juives ou LGBT. L’extrême-droite pointe dans ces jeunes émeutiers des « sauvages ». Mais certains progressistes ne raisonnent-ils pas de même en les enfermant dans le statut de victimes irresponsables ? Respecter autrui, n’est-ce pas aussi lui dire qu’on désapprouve certains de ses actes ? Derrière le paternalisme compassionnel, c’est finalement le mépris à l’égard de ces jeunes eux-mêmes qui perce.

Un mépris qui s’étend aux « quartiers ». L’extrême-droite est dans son funeste rôle quand elle assimile tous les quartiers et leurs immigrés qui y sont concentrés aux « ensauvagés ». Mais n’est-ce pas lui emboîter le pas que de dire que ce sont les « quartiers » qui ont embrassé les émeutes ? Avec ce souci : si le nombre des jeunes émeutiers a été non négligeable, ils n’en forment pas moins qu’une infime minorité de la jeunesse et a fortiori de la population des « quartiers ». Et c’est d’abord dans ceux-ci, on le comprend au regard des dégâts subis, que les émeutes ont été condamnées. Ces autres voix ne méritent-elles pas d’être entendues et respectées ? Le bon côté de la barricade n’était-il pas du côté de ceux, ces mères notamment, qui ont veillé pour protéger « leurs » services publics ?

La régression d’une certaine gauche vient de loin

N’en déplaise aux libertariens et anarchistes, la société n’est pas un amas d’individus. Vivre ensemble, former société, suppose valeurs et règles partagées. Les appartenances communautaires (familiale, associative culturelle, religieuse…) sont multiples et respectables. La religion offre à sa façon un surmoi qui mérite d’être compris a fortiori si l’on souhaite la critiquer1. La république soutient toutefois que l’organisation politique de la cité relève du suffrage universel et des lois qui en procèdent et non de la religion, y compris pour permettre à chacun de croire ou non. Les replis communautaires et les régressions religieuses – avec l’islamisme intégriste mais aussi l’évangélisme ici et ailleurs – ont progressé ces dernières années. Certains refusent de le voir, pire battent le pavé contre l’« islamophobie », assimilant ainsi toute critique de la religion – on ne parle pas de la haine des musulmans – à du racisme, ce malgré Charlie, et les intégristes qui brodent sur cette corde victimaire. Mépris à nouveau : celui de l’essentialisme qui assigne, avec en premières victimes les immigrés ou issus de l’immigration agnostiques ou athées, ou qui croient en respectant la laïcité, sans parler des femmes iraniennes.

Loin des replis identitaires et de la lutte sans fin de tous contre tous, les républicains combattent pour l’égalité et la fraternité afin que tous les citoyens – quelles que soient leurs origines – se sentent membre à part entière de la communauté nationale. Un combat universel, embrassé sous tous les continents : c’est en le reprenant que la Société des amis des Noirs a engagé sa lutte contre la traite, que Saint-Domingue s’est soulevée, que l’esclavage a été aboli sous la Révolution et que les peuples aux quatre coins du monde ont mené combat contre le colonialisme et pour leur indépendance.

Une partie de la gauche n’a jamais saisi la portée révolutionnaire de la république. C’est par elle que Jaurès est venu au socialisme. La Révolution française, souligne-t-il en 18902, a été socialiste en politique, elle a «transféré à la nation toute entière la propriété politique […] qu’une famille entendait se réserver indéfiniment ». Elle l’a été dans « l’organisation de la famille » avec, la fin des privilèges et du droit d’aînesse, le partage égalitaire de l’héritage, y compris pour les filles. Dans « l’organisation de l’enseignement public » avec les écoles primaires gratuites. Dans « sa conception de la propriété », va- t-il jusqu’à soutenir, en ouvrant le droit de propriété à tous et en le bornant « par la loi », afin de ne pas « préjudicier […] ni à l’existence, ni à la propriété » des autres. Nul socialisme n’est concevable sans la république a-t-il soutenu inlassablement. On est aux antipodes de ceux qui, aujourd’hui encore – malgré les sphères de l’État social échappant au capital (protection sociale, services publics…) bien plus développées que du temps de Jaurès – soutiennent que l’État n’est au fond que bourgeois et la République de même. Un État néocolonial surenchérissent les mêmes ou d’autres, sans craindre le révisionnisme eu égard à ce qu’était réellement le colonialisme. La République : une expression de la

« domination blanche »3 ? L’extrême droite, à nouveau, est à son aise. De même que Renaud Camus l’est avec l’usage inconsidéré du terme « racisé » : « On critique l’extrême gauche, les BLM [Black Lives Matter], les islamogauchistes, mais ce sont tout de même eux qui nous auront sortis de cette ridicule parenthèse antiraciste et pseudoscientifique selon laquelle les races n’existaient pas »4.

La gauche pour transformer réellement la société doit porter un projet à vocation majoritaire. Le droit à la sécurité – la protection sociale a mobilisé son vocabulaire pour se légitimer – en fait évidemment partie. Il en va de même pour la maîtrise de l’immigration. Le contrôle des frontières ne sert à rien supputent les no border. Mépris pour la misère du monde cette fois : comme si les migrants ne s’orientaient pas aussi en fonction des conditions d’accueil offertes ou non ; comme si l’ouverture complète des frontières, des droits sociaux et le transport organisé et gratuit afin d’éviter les trafics et leurs naufrages, ne se traduiraient pas immédiatement par l’afflux de millions de migrants. Le patronat le plus rétrograde a toujours été favorable aux vastes flots d’immigration. Jaurès avait su fustiger aussi cela. Au nom de quoi d’ailleurs l’immigration devrait-elle échapper à l’idée qu’en tout domaine la maîtrise politique doit primer5 ?

La France a été et demeure un pays d’immigration. L’extrême-droite se repaît de la supposée faillite du « modèle républicain d’intégration ». Faut-il reprendre ce refrain alors même que les mariages mixtes, preuve de la résilience de ce modèle dont c’est une singularité, n’ont nullement disparu6 ? Et quel autre modèle lui opposer ? Celui, américain, du développement pendant longtemps légalement séparé, d’où la distinction de « races » dans le recensement depuis 1790 jusqu’à nos jours7 ? Même s’il est effectivement mis à mal, on peut au contraire soutenir qu’il y a lieu de défendre un modèle qui, sans écraser les différences – comme ce fut certes le cas pendant longtemps – se propose néanmoins de les subsumer autour de valeurs républicaines partagées. Accueillir dignement les immigrés suppose d’en maîtriser les flux : on s’excuse d’avoir à rappeler cette platitude. Le logement, pour ne citer que lui, n’est pas extensible à souhait. Face aux ghettos ethniques et face au racisme qui existe toujours – y compris au sein de la police ce qui est particulièrement inacceptable –, il y a bien une priorité à relancer l’intégration pour faire peuple commun.

Ségrégation spatiale et travail : quelles réponses ?

Le social – est-ce à un économiste de le rappeler ? – ne se réduit pas aux conditions économiques, contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre, aujourd’hui comme en 2005, comme pour excuser les émeutiers. Il est aussi affaire de représentations, de valeurs, d’où d’ailleurs les attitudes différentes au sein des « quartiers » face aux émeutes. Pour faire peuple commun, il y a bien un combat de valeurs à engager. Celui contre la supposée « domination blanche » – comme si on ne pouvait pas être « non blanc » et exploiteur, « blanc » et dominé, a fortiori plus de soixante ans après les indépendances – éloigne évidemment du fraternel, ne peut qu’alimenter la bascule de nombre d’ouvriers et d’employés vers le Rassemblement National.

Tout n’est pas qu’économique et il importe d’instiller dans l’économie elle-même les principes républicains, de promouvoir une économie républicaine, expression dont on s’étonne qu’elle n’ait pas surgi plus tôt, comme si l’économie et de la république ne méritaient pas d’être rapprochés8. Jaurès, à nouveau, en a posé les jalons. La république est amputée, soulignait-il, si elle ne s’accompagne pas de son volet économique avec la république sociale.

L’économie républicaine doit prévaloir en tout domaine, et notamment sur deux volets en lien direct avec les émeutes.

Celui de la ségrégation spatiale tout d’abord. Fipaddict et Thierry Pech ont fait œuvre utile en invitant à se départir d’un catastrophisme englobant sur les « quartiers »9. Dans les Quartiers de la politique de la ville (QPV), le taux de pauvreté (à 43%) est trois fois plus élevé qu’ailleurs en France, le taux d’emploi y est inférieur de 22 points, la mixité sociale recule10. Les QPV ne sont pas pour autant des ghettos homogènes et « perdus ». Le taux de chômage et le nombre d’allocataires au RSA y ont plus baissé qu’ailleurs ces dernières années. La mobilité ascendante y existe. Ils sont pour une part comme des aéroports où on atterrit mais d’où aussi on décolle avec une rotation importante des habitants.

La concentration des immigrés et singulièrement des plus pauvres dans les QPV pose problème. Mais comment y remédier ? Le capitalisme libéral creuse les inégalités territoriales. Les communes riches attirent les plus riches, d’où la flambée des prix qui rend le logement inabordable aux moins aisés, etc. ; à l’opposé, ceux qui en ont les moyens quittent les communes pauvres dès qu’ils le peuvent, d’où l’appauvrissement cumulatif de ces communes. Si les ghettos de pauvres existent, ceux des riches existent aussi et sont bien plus fermés. Seule l’intervention publique peut contrer cette polarisation. Preuve qu’il est possible d’agir, la loi SRU de 2000 y a œuvré. Il est temps d’aller au-delà : en durcissant les pénalités financières à l’égard des communes récalcitrantes à la construction de logements sociaux, mais aussi en accroissant et facilitant la mobilisationfoncièreà la main des préfets pour la construction de ces logements – et en particulier des très sociaux – au sein des communes aisées. Cela permettrait de réduire les temps de transports – une sobriété heureuse – de ceux dont le métier est de travailler dans les quartiers aisés.

Le travail et les métiers justement : c’est le second grand enjeu. Le chômage et les emplois plus souvent à temps partiel et précaires minent les QPV. Les études abondent qui attestent du maintien de la reproduction sociale. Dénoncer celle-ci est évidemment essentiel, mais gare, ce faisant, à ne pas alimenter la disqualification des métiers d’ouvriers et d’employés, d’entretenir l’idée que les occuper est peu ou prou calamiteux. Nous aurons toujours besoin demain d’ouvriers, les vastes chantiers de la bifurcation écologique l’exigent, et d’employés, du fait notamment du vieillissement de la population et donc des besoins liés à la dépendance.

Instiller de la république en économie, c’est aussi soutenir que tous les métiers doivent être tenus pour strictement égaux dans le respect qui leur est dû. En Allemagne, on peut encore être fier lorsque son rejeton accède à un poste d’ouvrier. On en est loin en France, malgré la mise en évidence du rôle essentiel des « premiers de corvée » et autres « secondes lignes » avec le covid. Le magnifique Discours à la jeunesse de Jaurès se terminait, ce n’est pas anodin, par un éloge de la fierté du travail bien fait,«quel qu’ilsoit», et des travailleurs qui l’exercent. C’est un enjeu majeur trop souvent omis dans les travaux sur la mobilité sociale : redonner à tous les travailleurs leur fierté.

Les représentations importent : n’est-ce pas au nom de l’égale dignité des métiers qu’on peut d’autant mieux exiger de réduire les distances entre eux ? Les progressistes aux petits pieds se bornent à promouvoir l’égalité des chances. La priorité serait de permettre aux femmes, aux « minorités », voire aux fils d’ouvriers pour les plus hardis, de devenir patron du CAC 40. On peut retenir une autre priorité : un nouvel âge de l’égalité, avec une authentique revalorisation tant matérielle que symbolique des ouvriers et employés et la limitation des écarts pour « ceux d’en haut ». L’égalité des chances y gagnera puisque ce n’est pas en augmentant la hauteur d’une échelle qu’on facilite d’y grimper à son sommet.

Il est minuit moins le quart pour la gauche

En 1936, à la Libération et en 1981, c’est lorsqu’elle a porté la république en politique comme en économie que la gauche a pu accéder au pouvoir, déployer ses grandes réformes. Les promoteurs du néolibéralisme économique savent le bénéfice qu’ils peuvent tirer lorsque ceux qui s’opposent à ce néolibéralisme prennent leur distance avec la république, s’enlisant inexorablement dans des postures minoritaires. La droite, Macron avec, l’a parfaitement compris à l’occasion des émeutes : ils arguent de la défense de la République pour mieux ne rien changer dans la politique économique. La république mérite pourtant mieux qu’une défense hémiplégique. Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, pour ne citer qu’eux, s’en posent en gardiens, mais en négligeant son volet social. D’où la défense de la politique économique de Macron, dont la réforme des retraites, dans leur journal Franc- Tireur, avec en chroniqueur économique Olivier Babeau, encenseur des dividendes et des milliardaires.

On se désole de la montée du Rassemblement National. Encore faut-il en sonder les ressorts. Cette extrême-droite a tourné le dos à la dénonciation de la « gueuse ». Elle se présente, à sa façon, en défense de la république tant au niveau politique que social, d’où sa progression.

La gauche ne pourra offrir une alternative crédible si elle est dominée par deux pôles qui sont autant d’impasses : l’un, opposé au néolibéralisme économique, mais au message brouillé sur le volet républicain du politique, l’autre, dont Macron est un pur produit, qui prétend porter ce dernier volet, mais pour mieux justifier le néolibéralisme.

Il est minuit moins le quart pour la gauche. Puisse-t-elle, avec Jaurès, se reconstruire comme gauche authentiquement républicaine et sociale… pour que ne sonne pas son glas.


1 C’est devant El prendimiento de Cristo de Goya (le Christ y prend toutes les bassesses et offre tout) à Tolède que l’auteur de ses lignes, athée, a saisi il y a quelques années la puissance que porte – et porte encore pour certains – la religion. Et à choisir, les lignes de Marx sur la religion (dans Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel – 1844) ne comptent-elle pas parmi ses plus subtiles (« La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur »…) ?

2 « Le socialisme et la Révolution française », La Dépêche de Toulouse, 22 octobre 1890.

3 Sur toutes ces questions, voir la roborative mise au point de Stéphane Beaud, Gérard Noiriel (2021) dans Raceetsciences sociales.Essaisurlesusagespublicsd’unecatégorie, Agone. Voir aussi Florian Gulli (2022), L’antiracismetrahiDéfensede l’universalisme, PUF, ouvrage salué par Gérard Noiriel dans son précieux blog.

4 Cité dans l’article documenté de Gaston Crémieux sur le racisme de Renaud Camus, «LeGrandmâleblanc», Franc-Tireur, n°15, 23 février 2022.

5 Voir sur cette question la courageuse note de la Fondation Jean Jaurès de Renaud Large (2023), «Ambitieux sur les retraites, ferme sur l’immigration : le modèle social-démocrate danois (2016-2023) ».

6 Cf. les résultats de la deuxième enquête Trajectoireset originesde l’Insee (2022) : «La diversitédesoriginesetlamixité des unions progressent au fil des générations », Insee Première.

7 Du premier recensement en 1790 à 1850, seules deux races étaient reconnues : les « blancs » et les « noirs » (avec pour ces derniers les sous-catégories de « libres » et d’esclaves »). S’y sont ensuite progressivement ajoutés les « Amérindiens et autochtones d’Alaska », les « Asiatiques », les « Autres races » et (en 2000) les « Autochtones d’Hawaï et des îles du Pacifique ». S’y superposent l’enregistrement des « origines ethniques » (hispaniques, etc.), le tout avec moult conflits sur leurs contours à l’occasion des recensements tous les 10 ans.

8 Christophe Ramaux (2022), Pour une économie républicaine. Une alternative au néolibéralisme, De Boeck.

9 «Emeutes urbaines et quartiers prioritaires : comment ne pas se tromper de diagnostic », La Grande Conversation, 13 juillet 2023. Voir aussi Vincent Grimault (2023), « Non, les banlieues ne croulent pas sous l’argent public», Alternatives économiques, 07 Juillet.

10 Voir Mathilde Gerardin et Julien Pramil (2023), « En 15ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses, no79, 11 janvier.

LE CALME ET LA JUSTICE

Le meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier, qui a visiblement enfreint les règles d’utilisation de son arme, a mis le feu au pays ces derniers jours. L’exaspération dans les quartiers populaires face aux discriminations ressenties – et vécues ! – dans la relation de leurs habitants avec la police, n’épuise cependant pas l’analyse de ce déchaînement de violence. Cette intolérable bavure policière en est l’élément déclencheur mais pas la cause profonde.

Lors des dernières manifestations contre les retraites, certains d’entre nous avaient déjà redouté la survenue de drames similaires, pensant non sans raison que le gouvernement ait la volonté délibérée de créer les conditions d’un affrontement pour imposer par la peur et par la force sa politique de régression sociale. La police est instrumentalisée par les pouvoirs qui se succèdent depuis de nombreuses années pour mettre au pas tout mouvement social d’envergure. La police est sans cesse sollicitée, sans retenue et sans qu’on lui donne les moyens d’accomplir correctement sa tâche. Dès le mouvement des « gilets jaunes », les policiers étaient fatigués et usés, tout en étant encouragés par leur hiérarchie à accroître le niveau de violence en pratiquant les nassages systématiques, l’emploi des grenades de désencerclement et des LBD, sans parler des passages à tabac récurrents et autres humiliations comme celle subie par des lycéens mis à genoux la tête contre le mur. Bref un cocktail d’images insoutenables, qui documente un bilan accablant de violences policières, les pires depuis plus de 50 ans.

Peut-on dire pour autant que « la police tue » comme l’affirment des responsables de la France insoumise, dont leur leader ? Nous considérons que tenir de tels propos est une faute politique, car ils ne trient pas le bon grain de l’ivraie ! Ils jettent l’opprobre sur tout un service public et sur une institution – et font peser un risque moral et physique sur l’ensemble des gardiens de la paix, présumés tueurs en puissance. Les dérives dans la police sont réelles ; elles sont graves et concernent trop d’agents (on garde à l’esprit l’immonde forum de discussion sur lequel des milliers de policiers postaient des messages dont le racisme n’avait d’égal que la bêtise), mais ces phénomènes extrêmement inquiétants sont d’abord la conséquence de décisions politiques. La police est une institution régalienne. Sans elle, ni démocratie républicaine, ni cohésion nationale ne sont possibles. L’action des policiers contre les émeutiers et les bandes délinquantes, voire criminelles, durant la semaine qui vient de s’écouler, démontre s’il en était encore besoin qu’elle est indispensable pour éviter des drames, pour limiter autant que possible la dégradation des biens et les atteintes aux personnes, et cela, à ce jour, sans aucune victime malgré des situations où les policiers ont essuyé des coups de feu et constaté l’emploi d’armes létales par certains émeutiers.

Il n’en demeure pas moins que la doctrine d’emploi des “forces de l’ordre” doit être revue. Dans ce domaine les évolutions engagées depuis 20 ans sont contestables (cf. notre conférence des “Jeudis de Corbera” du 25 mai 2023). L’adoption sous l’impulsion de Bernard Cazeneuve et Bruno Le Roux de la loi dite de « sécurité publique » visait à assouplir les règles sur l’usage des armes à feu pour les policiers afin de les aligner sur celles des gendarmes. Ce texte, poussé par les circonstances d’un État encore traumatisé par les attentats de 2015 et la menace terroriste qui perdurait, nous l’avions déjà combattu ; il démontre aujourd’hui ses effets pervers et tragiques.

Il faut poser le bon diagnostic et en tirer les conséquences. Les services de police demeurent sous-dotés et leurs agents sont insuffisamment formés. Les décisions politiques prises en particulier depuis Nicolas Sarkozy, de la suppression désastreuse de la police de proximité à la révision générale des politiques publiques, ont fortement dégradé l’attractivité du métier de policier, dont les conditions de travail ne sont pas dignes d’un pays comme la France. L’administration s’est vue obligée de baisser son exigence de recrutement et cela a parfois conduit à l’embauche de policiers inaptes à cette fonction, violents, peu attachés aux valeurs républicaines, ayant surtout l’envie d’en découdre avec tous ceux ressemblant de près ou de loin à des étrangers. Alors que le racisme est un délit et une attitude antirépublicaine en soi, aucun fonctionnaire ne devrait prêter le flanc à une telle accusation dans l’exercice de sa mission. Sans une neutralité et une égalité de traitement strictes, l’autorité de l’État perd toute crédibilité. La pratique du contrôle au faciès maintient par ailleurs les fonctionnaires dans un état d’esprit délétère et les jeunes visés dans une défiance exacerbée contre l’institution et les pouvoirs publics.

Résultat, la violence d’État devient une réponse quasi automatique pour faire face aux mouvements populaires. Ce contexte déplorable est un terreau fertile pour la radicalisation d’une partie des policiers. La droite se contente depuis de trop longues années d’un soutien de façade à cette institution, en couvrant les exactions de ses éléments les plus violents et les comportements racistes croissants, pour faire oublier qu’ils ont affaibli ce service public.

Quant aux violences qui ont suivi le meurtre de Nahel Merzouki, elles sont l’illustration d’un contexte explosif : une population ouvrière, pauvre et précaire, méprisée par un pouvoir au service exclusif des riches et des possédants.

En Allemagne, il y a eu un mort en 10 ans pour refus d’obtempérer ; en France, on en est à 16 en 18 mois. Toute l’Europe observe cette dérive avec effarement et la France devient aux yeux de ses voisins un exemple à ne pas suivre.

La colère populaire déclenchée par la tragédie de Nanterre a aussi été exacerbée par certains médias, osant relayer des « informations », souvent mensongères, pour sous-entendre que ce jeune homme l’avait finalement bien cherché, faisant ainsi fi de toute compassion et même de toute honorabilité.

Ainsi, les violences de ces derniers jours ne sortent pas de nulle part mais il est hors de question de les excuser ou, pire, de les encourager. Car ce sont les quartiers populaires qui brûlent, des services publics déjà trop peu présents qui brûlent, ce sont les habitants de ces quartiers qui subissent les discriminations et les difficultés sociales endémiques qui en sont les premières victimes. Nous n’avons pas confiance dans le pouvoir actuel pour prendre enfin conscience de l’enjeu – les déclarations de diversion sur les jeux vidéos, les réseaux sociaux et l’irresponsabilité des parents préparent les esprits à l’inaction – et mettre des moyens pour reconstruire des quartiers abandonnés depuis bien longtemps.
À l’opposé, lorsqu’on refuse d’appeler au calme, soi-disant au nom de la justice, on commet une lourde erreur car on se rend complice des véritables responsables. De ce gouvernement d’abord, qui pourra ainsi en profiter pour accuser la gauche d’exploiter politiquement la mort de Nahel Merzouki pour semer le désordre et diluer sa lourde responsabilité.

Il faut arrêter de donner l’impression qu’on pourrait opposer le calme à la justice, il faut vouloir les deux ! Les explosions de colère et les révoltes sans autre but que la casse et le pillage n’amènent jamais la justice. D’un point de vue pénal, celle-ci suit son cours : le policier a été mis en examen pour « homicide volontaire », il est placé en détention provisoire et à l’isolement : à ce stade, la justice fonctionne. Nous devons être particulièrement vigilant sur la façon dont l’IGPN traitera ce dossier. Si elle fait, par esprit de corps, comme on l’a vu dans d’autres cas, obstruction à la vérité, cela pourrait aggraver la situation. Une réforme de cet organisme s’impose plus que jamais pour en garantir l’impartialité.

Enfin, les violences et déprédations font clairement le jeu de l’extrême droite, au point qu’on a vu dans certains quartiers des milices se constituer et des groupes fascistes proposer leurs « services » et parader dans les rues en hurlant leurs slogans racistes. En l’occurrence, l’appel à la sédition contre l’État de la part du pôle syndical majoritaire Alliance/UNSA chez les policiers est d’une exceptionnelle gravité, que la République française ne saurait tolérer.
Il en va du maintien de notre cohésion nationale de renforcer les services publics sur l’ensemble de notre territoire et bien entendu aussi de la police avec une véritable politique d’investissement et de formation.

Face aux discours hypocrites de la droite, la gauche devra agir !

Nos services publics ont besoin d’un véritable Plan Marshall pour que les principes d’égalité et de justice reprennent tout leur sens, qu’il s’agisse d’éducation, de santé, d’action sociale, mais aussi de police et de travail efficace de toute la chaîne judiciaire.

Daniel Large, Frédéric Faravel et Laurent Miermont

Seule la Justice pour tous peut réunir la Nation !

La Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) apporte son soutien sans réserve au Maire de l’Haÿ-les-Roses, dont la famille a été victime hier d’une tentative d’assassinat par une bande de criminels dans le contexte des déprédations, pillages et incendies commis en France à la suite du meurtre de Nahel Merzouk par un policier le 27 juin dernier.

Elle appelle tous les citoyens à se rassembler et à prendre part aux mobilisations proposées pour manifester notre refus que la France s’enfonce dans une spirale de violence. La République, ses principes, ses représentants et ses services publics appartiennent à tous les Français. Elle ne saurait donc tolérer aucun acte criminel sur son territoire et demande que soient punis ceux qui bafouent la loi et qui minent par leurs actes irresponsables la cohésion de la Nation.

Les agents des services publics qui luttent aujourd’hui de toutes leurs forces pour prévenir les drames et en réparer les dégâts, et qui dans cet exercice font face à des violences inadmissibles, sont l’honneur de notre pays.

La GRS estime enfin que l’apaisement et le retour au calme, que nous appelons tous de nos vœux, ne seront durablement atteints sans une réparation en profondeur des fractures sociales et territoriales de notre pays, car il n’y a pas d’ordre possible sans Justice.

Les Jeudis de Corbera – Quelle politique républicaine de maintien de l’ordre ? – 25 mai 2023

Après plus de 3 mois d’une contestation sociale historique, la politique de maintien de l’ordre ne cesse de poser question. Alors quelle politique républicaine de maintien de l’ordre et des droits ? D’autres pays font face à des problèmes similaires comment agissent-ils, quelle politique de désescalade ? Nous abordions cette question lors de la 3ème émission des Jeudis de Corbera, le 25 mai à partir de 19h, en présence de Fabien Jobard, chercheur sur les sujets police / justice, et Jean-Baptiste Soufron, avocat au barreau de Paris. Les débats étaient animés par Hélène Franco.

Adolescent tué à Nanterre : la Justice doit passer !

Naël, un adolescent a été tué mardi matin à Nanterre, après avoir reçu plusieurs balles au thorax à bout quasi portant, à la suite d’un contrôle routier.

Une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux a radicalement remis en cause la version et les éléments de langage des policiers pour justifier le tir. Ce document a balayé la version diffusée par la hiérarchie policière, qui évoquait un véhicule fonçant vers deux agents dans l’intention de les percuter. Les images montrent les deux motards de la police penchés à la portière d’une Mercedes AMG de couleur jaune, côté conducteur. Sur la bande-son, couverte par le brouhaha de la circulation, il est possible d’entendre des bribes d’une vive conversation : « Tu vas prendre un tir dans la tête », aurait crié notamment un policier, son arme de poing braquée à quelques centimètres du conducteur du véhicule. La voiture redémarre à peine, elle roule encore au pas lorsqu’un coup de feu retentit. Touchée dans la région du cœur, la victime perd le contrôle de son véhicule, qui percute un panneau de signalisation de la place Nelson-Mandela, une cinquantaine de mètres plus loin. Le jeune homme décède plusieurs dizaines de minutes plus tard, malgré une tentative de réanimation par le SAMU. Un passager, lui aussi mineur, est appréhendé, tandis qu’un troisième individu, en fuite, était toujours activement recherché dans la nuit de mardi.

Saisi des faits, le parquet de Nanterre a ouvert deux enquêtes : la première, pour refus d’obtempérer et tentative d’homicide contre les forces de l’ordre ; la seconde, pour homicide volontaire, vise le policier ayant fait usage de son arme.

La Gauche Républicaine et Socialiste présente ses condoléances à la famille et aux proches du jeune homme tué hier matin : quels que soient les torts qui pouvaient lui être reprochés, rien ne justifie que l’on meure à 17 ans des suites de plusieurs tirs dans la poitrine provenant de l’arme d’un policier, dont on voit mal comment il pourrait invoquer la légitime défense. Dans tous les cas, un refus d’obtempérer ne donne pas un permis de tuer.

La Gauche Républicaine et Socialiste déplore également les violences qui ont émaillé les rues de Nanterre hier soir : la colère d’une partie des habitants ne saurait justifier les dégradations qui ont été commises et la mise en danger d’autrui. Elles n’auront comme conséquences que d’engager un cycle de violence supplémentaire et de rendre plus difficile encore l’action des services publics, notamment communaux, auprès des habitants qui en seront les premières victimes.

La Gauche Républicaine et Socialiste demande enfin que le commissariat de Nanterre soit déchargé des deux enquêtes. La décision du parquet laisse en effet planer des suspicions sur l’impartialité de la conduite des investigations et nous avons besoin avant tout que la Justice républicaine fasse son chemin et permette de garantir ou de restaurer la confiance entre les habitants et les dépositaires de l’autorité de l’Etat. Nous sommes convaincus de la nécessité de renforcer la déontologie et l’indépendance de l’organisme chargé des enquêtes administratives…

Sécurité publique à Marseille : les pouvoirs publics doivent réagir vite et dans la durée

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa plus vive inquiétude face à l’augmentation des règlements de compte à Marseille. Au-delà des morts et des victimes, le malaise quotidien et le sentiment d’abandon des habitants ne peut que s’accroître et implique une résolution urgente par la mobilisation totale des pouvoirs publics.

Premièrement, la lutte contre les narcotrafiquants doit impérativement voir son efficacité renforcée. Cela implique bien sûr le renforcement des moyens de la police au quotidien, mais aussi celui de la police judiciaire pour qu’elle soit réellement capable de mener des enquêtes au long court. Plus généralement, c’est un accroissement des moyens des douanes, des services des impôts et tout particulièrement de la Justice qui est indispensable, pour créer une véritable task force sur Marseille, les Bouches-du-Rhône et même au-delà.

Deuxièmement, il est nécessaire d’agir pour restaurer un véritable maillage républicain de ces quartiers, en renforçant la présence réelle des services publics, des commerces, des activités mais aussi d’actions éducatives, sportives et culturelles. En effet, progressivement ce sont des pans entiers de la ville qui se retrouvent à l’écart de conditions de vie décentes et normales. C’est donc aussi sur ce terrain que l’État doit se mobiliser avec l’ensemble des institutions publiques pour que les habitants – et notamment la jeunesse – retrouvent confiance et espoir et puissent s’insérer pleinement dans la vie professionnelle et citoyenne.

Troisièmement, toutes ces mesures n’auront de sens qu’à la condition de stopper la progression de la pauvreté et d’améliorer les conditions de revenus des catégories populaires. Nous considérons que le retour de la tranquillité publique et de conditions de vie quotidienne décentes ne peuvent être séparés d’un effort réel et massif en faveur des salaires des travailleurs et de l’insertion professionnelle de l’ensemble de la population et un plan ambitieux de lutte contre la pauvreté.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime donc sa solidarité avec les habitants qui subissent une réalité quotidienne intenable découlant directement de l’abandon de l’État depuis plusieurs décennies. Elle appelle l’ensemble des pouvoirs publics à se mobiliser pour apporter une réponse républicaine à la hauteur des enjeux : nos concitoyens méritent qu’on passe des grands discours sans lendemain à des actions concrètes et vite !

Halte au feu !

« La garantie des droits de l’Homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

Ces deux articles à valeur constitutionnelle ne doivent pas être de simples proclamations : ils doivent être au cœur des préoccupations des fonctionnaires de la République, et en particulier des policiers.

Or, d’Amnesty International à Reporters sans frontières, les condamnations pleuvent aujourd’hui sur le comportement de certains policiers, mais aussi plus largement sur le mode d’organisation du maintien de l’ordre dans les manifestations non déclarées qui se sont multipliées en France depuis l’annonce du recours à l’article 49-3 pour faire adopter sans vote le projet de loi sur les retraites.

Plus rare encore, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, s’est alarmée vendredi 24 mars d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites, appelant la France à respecter le droit de manifester. « Les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État » a-t-elle précisé.

Au passage, Mme Mijatovic donne tort à Gérald Darmanin qui prétendait il y a une semaine que la participation à une « manifestation non déclarée » constitue un « délit » qui « mérite » une « interpellation ». « Le défaut de déclaration d’une manifestation n’est pas suffisant en soi pour justifier une atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique des manifestants, ni une sanction pénale infligée aux participants à une telle manifestation », affirme la Commissaire, ainsi que la Cour de cassation l’avait déjà jugé en 2022. Dunja Mijatovic s’est de ce fait inquiétée de l’interpellation et du placement en garde-à-vue de certains manifestants et de personnes se trouvant aux abords des manifestations, s’interrogeant sur « la nécessité et la proportionnalité des mesures dont elles ont fait l’objet ». Mme Mijatovic a rappelé que « la tâche première des membres des forces de l’ordre consiste à protéger les citoyens et les droits de l’homme ». Elle insiste aussi sur le fait qu’aucune impunité ne doit être admise en matière de violences policières.

Sur ce point, Gérald Darmanin a annoncé par ailleurs vendredi l’ouverture de 11 enquêtes judiciaires, confiées à l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), sur des violences policières présumées depuis une semaine dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Rappelons qu’en février 2019, Mme Mijatovic avait déjà adressé aux autorités françaises concernant le maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes ». Elle avait notamment exhorté le gouvernement français à « mieux respecter les droits de l’Homme », à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense ». Sur ce dernier point au moins, elle avait été entendue (jusqu’à la manifestation de samedi 25 mars à Sainte-Soline, où les forces de l’ordre ont de nouveau utilisé ce matériel).

La Commissaire aux droits de l’Homme avait alors également pointé des inquiétudes à propos des interpellations et placements en garde à vue de personnes souhaitant se rendre à une manifestation sans qu’aucune infraction ne soit finalement relevée, ni aucune poursuite engagée, à l’issue des gardes à vue. « Ces pratiques constituent de graves ingérences dans l’exercice des libertés d’aller et venir, de réunion et d’expression », avait-elle écrit, estimant qu’elles ne peuvent devenir des outils préventifs du maintien de l’ordre.

Certes, les recommandations du Conseil de l’Europe (qui regroupe aujourd’hui 46 États membres s’engageant à respecter la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) n’ont pas de valeur contraignante. Mais elles disent beaucoup sur les efforts à accomplir par notre pays pour réussir à renouer avec la finalité première de la force publique (police et gendarmerie) telle qu’énoncé par la Déclaration de 1789 : la garantie des droits de l’Homme.

La démocratie, c’est trouver un équilibre entre la détestation par Karl Marx du « lumpenproletariat » qui, par ses violences porteuses de désordre, est le meilleur allié de la bourgeoisie et la conviction de l’écrivain Romain Rolland : « Quand l’ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice ».

Forte des principes hérités notamment de la Révolution Française, la Gauche Républicaine et Socialiste souhaite que la formation et le recrutement des policiers soient repensés pour donner la priorité aux principes déontologiques. Le contrôle hiérarchique sur le terrain des actions policières de maintien de l’ordre doit être renforcé, avec la même logique.

La GRS propose également que le traitement des enquêtes concernant des violences policières soit confié à une instance indépendante, ce qui n’est pas le cas de l’IGPN.

Enfin, la GRS, dans la logique de l’article de la Déclaration de 1789, est disponible pour participer, avec d’autres forces politiques ou associations, à des opérations d’observation au cours des manifestations revendicatives.

« La société », c’est nous tous !

Loi Terrorisme et Renseignement : pérennisation de mesures contestables

Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a été examiné mardi 1er juin et mercredi 2 juin 2021 en séance publique à l’Assemblée nationale. Il avait été présenté lors du Conseil des ministres du 28 avril 2021 par Gérald Darmanin et par Éric Dupond-Moretti quelques jours après le meurtre d’une fonctionnaire de police à Rambouillet. Malgré la concomitance des faits, le texte n’est toutefois pas une réponse à ce drame : le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs indiqué que le texte n’aurait en rien permis de l’empêcher.

Ce projet, sur lequel les ministères de l’Intérieur et de la Justice “travaillent depuis plusieurs mois”, était programmé de longue date, car deux lois votées en juillet 2015 sur le renseignement et en octobre 2017 sur le terrorisme étaient frappées d’une forme d’obsolescence programmée, car il était prévu d’évaluer les mesures « expérimentales » qu’elles avaient instaurées et qui, sans ce projet de loi, seraient tombées. Le gouvernement en profite donc pour pérenniser des mesures contestées dès l’origine et qui pour certaines n’ont pas même démontré leur efficacité (si l’on se réfère à ce qu’en attendaient leurs promoteurs) et même les amplifier. Le renforcement du contrôle parlementaire reste par ailleurs à un niveau très décevant.

Que propose le projet de loi ?

Les mesures de lutte antiterroriste

Quatre mesures de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT, qui a pris le relais de l’état d’urgence instauré à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis de novembre 2015, sont pérennisées.

Leur expérimentation avait été prolongée par une loi du 24 décembre 2020 jusqu’au 31 juillet 2021. Le ministre de l’Intérieur jugeait alors leur pérennisation “prématurée”. Il est donc étonnant que 5 mois plus tard ces mesures soient devenues subitement pérennisables.

Ces mesures de police administrative concernent les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires.

Elles sont complétées par :

  • la possibilité de fermer des lieux dépendant d’un lieu de culte ;
  • l’interdiction, pour une personne sous surveillance et assignée dans un périmètre de résidence, d’être présente lors d’un évènement exposé à un risque terroriste particulier ;
  • la possibilité d’allonger jusqu’à deux ans cumulés les mesures de surveillance pour les sortants de prison condamnés à des peines de prison lourdes pour terrorisme ;
  • la création, pour ces mêmes sortants de prison, d’une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste. Elle concernera des individus particulièrement dangereux. Elle pourra être décidée en l’absence de mesure de suivi judiciaire et sera cumulable avec les mesures de surveillance. Sa durée sera d’un an maximum, renouvelable dans la limite de cinq ans. Cette nouvelle mesure judiciaire, qui sera prononcée par le tribunal de l’application des peines, doit remplacer les mesures de sûreté voulues par la loi du 10 août 2020, dite Braun-Pivet, que le Conseil constitutionnel a censurées.
  • Toujours au titre de l’arsenal antiterroriste, les préfets et les services de renseignement seront désormais destinataires des informations sur la prise en charge psychiatrique d’une personne radicalisée.

Les mesures sur le renseignement

La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement est révisée afin de tenir compte de l’évolution des technologies et des modes de communication utilisés par les terroristes, selon le gouvernement.

L’article 27 de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, dite Rance, dispose que ses dispositions « font l’objet d’une évaluation de leur application par le Parlement dans un délai maximal de cinq ans après son entrée en vigueur », c’est la raison pour laquelle le présent projet de loi est mobilisé.

Les services de renseignement disposeront de nouvelles possibilités : conserver des renseignements au-delà de la durée normalement applicable pour des travaux de recherche et de développement ; intercepter, des communications satellitaires grâce à un dispositif de captation de proximité. Les dispositifs existants sont aussi adaptés : possibilités élargies de concours des opérateurs de communications électroniques du fait notamment du déploiement de la 5G ; durée d’autorisation de la technique de recueil de données informatiques portée d’un à deux mois.

Le texte fluidifie, tout en les encadrant, les échanges de renseignements et d’informations entre services de renseignement et avec les autorités administratives.

Il autorise enfin le brouillage des drones, pour prévenir les menaces lors de grands événements ou à l’occasion de certains convois ou en cas de survol d’une zone interdite.

Une lettre rectificative au projet de loi a été présentée en Conseil des ministres afin de tenir compte de la décision “French Data Network” du Conseil d’État du 21 avril 2021 rendue par l’assemblée du contentieux – la formation la plus solennelle – du Conseil d’État, le 21 avril dernier. Le juge enjoint au gouvernement de revoir sa copie en matière de conservation généralisée des données de connexion par les services de renseignement.

Le gouvernement a donc dû tenir compte de ce camouflet du Conseil d’État en adjoignant une « lettre rectificative » au projet de loi présentée en conseil des ministres, le 12 mai dernier, ce qui a d’autant plus entamé les capacités des députés à examiner le texte avec un temps nécessaires. D’autant que les modifications sont substantielles.

Elle vise d’abord à pérenniser la technique de renseignement dite de « l’algorithme ». Cette technique voit en outre ses modalités de mise en œuvre modifiées pour intégrer aux données traitées par l’algorithme les adresses complètes de ressources utilisées sur internet (URL). Il en va de même pour les données susceptibles d’être recueillies par le biais d’une autre technique de renseignement, le recueil en temps réel, et qui ne peut être mise en œuvre, comme l’algorithme, que pour les besoins de la prévention du terrorisme.

La lettre rectificative tire également les conséquences législatives de la décision de l’assemblée du contentieux du Conseil d’État du 21 avril 2021 « French Data Network ».

En conséquence, elle prévoit d’abord des modalités de conservation spécifiques pour les données relatives à l’identité civile, aux adresses IP et aux informations autres que l’identité fournies lors de la souscription d’un contrat. Elle prévoit ensuite qu’en cas de menace grave sur la sécurité nationale, le Premier ministre peut enjoindre aux opérateurs de conserver les données de connexion des utilisateurs, pour une durée maximale d’un an. En outre, elle introduit, pour les besoins des autorités disposant en vertu de la loi d’un accès à ces données (autorité judiciaire, autorités administratives indépendantes ou non), un mécanisme de « conservation rapide » de ces données leur permettant, aux seules fins de prévention et de répression de la criminalité grave et des autres manquements graves dont elles ont la charge d’assurer le respect, d’y accéder. Enfin, la lettre rectificative prévoit, lorsque le Premier ministre autorise la mise en œuvre d’une technique de renseignement d’accès aux données de connexion après avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qu’elle soit subordonnée, sauf urgence dûment justifiée, à une décision de la formation spécialisée du Conseil d’État saisi de la légalité de cette autorisation.

Les dispositions de la lettre rectificative permettent au procureur de la République de Paris ou au juge d’instruction, comme c’est déjà le cas en matière terroriste, de transmettre aux services de renseignement des éléments figurant dans certaines procédures judiciaires en matière de criminalité organisée d’une très grande complexité et dans les procédures en matière de cybercriminalité, de même que, pour cette seule dernière possibilité, aux services de l’État compétents en matière cyber.

Enfin, la lettre rectificative prévoit la déclassification automatique des documents couverts par le secret de la défense nationale lorsqu’ils deviennent communicables en vertu du code du patrimoine, c’est-à-dire généralement à échéance d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou, pour certaines catégories spécifiques de documents, à compter de la fin de la sensibilité des informations qu’ils comprennent. Les documents non classifiés déjà communicables le resteront, quels que soient les nouveaux délais d’incommunicabilité.

Pourquoi ce projet de loi est-il contesté et contestable ?

Notons qu’une fois de plus le débat parlementaire est tronqué à plusieurs titres.

D’une part, l’abus permanent de la procédure accéléré de la part des différents gouvernements Macron est à nouveau reproduit ; sur un sujet aussi grave est complexe, on aurait pourtant pu imaginer que les parlementaires disposent d’un temps important pour aborder avec sérieux et sérénité les dispositifs proposés. S’il n’est en rien une réponse aux actes de violences, meurtres et tentatives de meurtres qui ont émaillé douloureusement l’actualité des dernières semaines, on ne peut cependant s’empêcher de remarquer que le Président de la République et son ministre de l’intérieur ont « intérêt » à afficher le vote d’une nouvelle loi sécuritaire dans un tableau de chasse à présenter à l’opinion à moins d’un an de l’élection présidentielle, ce qui s’intègre totalement dans leur stratégie de duettiste avec l’extrême droite.

D’autre part, le dépôt d’une lettre rectificative au projet de loi, déposée le 12 mai, a entravé également le travail des députés : les rapporteurs de la commission des lois avaient été nommés 4 mai ; leur rapport a été rendu le 20. La Commission des lois de l’Assemblée nationale a donc été confrontée à une modification majeure du projet de loi en plein milieu de son travail. Sérénité et sérieux, là aussi, ont donc totalement disparu. Enfin, ce texte a été examiné en commission concomitamment à l’examen de la réforme de la justice, en séance publique. Ce chevauchement de deux textes importants et dépendant de la même commission des lois n’a pu que nuire à la qualité du travail des députés.

Ce texte s’inscrit à la suite d’une multiplication de lois sécuritaires, dérogatoires au droit commun, votées sans véritable évaluation préalable des dispositifs existants, de leur nécessité et de leur efficacité. La cohérence entre les mesures existantes et la coordination entre les différents acteurs sont pourtant des éléments essentiels à évaluer et à améliorer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Les dispositifs de prévention du terrorisme de la loi SILT qu’il s’agit aujourd’hui de pérenniser sont des instruments de police administrative : les périmètres de protection ; la fermeture temporaire des lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) ; les visites domiciliaires et saisies. Ces dispositifs ont ancré dans le droit commun les pouvoirs spéciaux de l’état d’urgence. Nos parlementaires avaient dès 2017 dénoncé cette loi de normalisation de l’état d’urgence.

Nous avions également refusé la prolongation de l’expérimentation de la technique de recueil de renseignement dite de l’« algorithme » destinée à détecter d’éventuelles menaces terroristes dans les données de connexion.

L’utilité de ces mesures de durcissements de l’arsenal répressif et administratif en matière de lutte contre le terrorisme interroge alors même que notre législation en la matière est déjà importante et que ces renforcements n’ont pas fait la démonstration de leur efficacité !

Ainsi dans son rapport de 2020, la délégation parlementaire au renseignement avait fait une évaluation clairement mitigée s’agissant de l’efficacité ou de la pertinence de l’utilisation de ces algorithmes en matière terroriste. Personne n’est capable d’affirmer que ce dispositif a permis d’empêcher un ou plusieurs attentats. Mais on se rend compte que, malgré ces doutes, tous les dispositifs de surveillance acceptés par le législateur de manière expérimentale finissent par être pérennisés. Cette une accoutumance dangereuse à court, moyen et long termes pour nos concitoyens et leurs représentants à des atteintes de plus en plus fortes aux libertés individuelles et droits fondamentaux et à la mise en cause de la séparation des pouvoirs.

En pérennisant les mesures de la loi SILT, il ne s’agit pas de rétablir le fonctionnement régulier des institutions mais d’ancrer dans le droit commun des dispositifs de renforcement du pouvoir exécutif avec l’extension des pouvoirs de police administrative et une anticipation de la répression de comportements considérés comme potentiellement, possiblement dangereux.

A contrario, il conviendrait de se donner les moyens humains et matériels d’agir par l’amélioration et le renforcement des services de renseignement, par le renforcement de la coopération entre services, avec nos partenaires européens et internationaux, par le travail de terrain avec une police de proximité au plus près de la population et des observateurs du quotidien présents en nombres au plus près des publics les plus fragilisés (éducateurs spécialisés, animateurs, intervenants sociaux, responsables associatifs…).

Trois algorithmes sont déjà en fonction : ils scannent les données de connexions des Français à la recherche de certains comportements suspects prédéfinis. Le texte prévoit d’étendre la surveillance algorithmique sera aux URL. Or l’URL sécurisé (https) est de plus en plus fréquent chez les usagers. Pour exemple, en France 95% des pages vues par Chrome sont en https et donc plus difficilement déchiffrables par les boîtes noires. Sur 59 attentats déjoués en France, 58 l’ont été par le biais du renseignement humain. On peut donc légitimement s’interroger sur l’efficacité réelle de ces boîtes noires.

Le texte prévoit aussi l’extension des relations avec les opérateurs de télécommunications électroniques, qu’il s’agisse de l’usage des IMSI-catchers à la faveur du déploiement de la 5G puisque les identifiants des terminaux mobiles deviennent temporaires, tout comme l’interception des données satellitaires de proximité étant donné la difficile réquisition des opérateurs étrangers.  

Les services de renseignement bénéficieront aussi d’un régime dérogatoire de conservation des données afin d’améliorer les outils d’intelligence artificiels dont ils disposent. Il s’agit de pouvoir tester les outils de big data et les algorithmes. Un alignement de la durée de conservation des données informatiques recueillies (30 jours) sur celle des données captées (2 mois) est proposé.

Le texte prévoit également l’échange de renseignement entre les différents services, y compris s’ils relèvent d’une finalité différente de celle qui a justifié son recueil. Ainsi, une personne pourra être surveillée pour prévention du terrorisme et d’éventuels renseignements transmis à un autre service si l’information relève des intérêts économiques majeurs de la France. Il s’agit d’une atteinte au principe de l’individualisation de la surveillance, qui était l’un des fondements de la loi de 2015, « une personne n’est surveillée par un service que pour une finalité ». Par ailleurs, les services de renseignement pourront se faire communiquer, par une autre administration, toute information, même si elle est couverte par un secret protégé par la loi. Le texte autorise également une nouvelle technique de renseignement : l’interception de correspondances émises ou reçues par la voie satellitaire.

Enfin, l’article 18 permettra le brouillage des drones. Une disposition initialement prévue dans la loi Sécurité globale mais qui avait été refusée car jugée hors champ du texte. Il s’agit d’une mesure complémentaire à la stratégie « offensive » des drones (avec usage par la police municipale sur autorisation du préfet) prise dans le projet de loi sur la sécurité globale  (disposition censurée par le Conseil constitutionnel).

Le contrôle parlementaire progresse faiblement

Symbole de la faiblesse du Parlement sur ces sujets, on ne trouvait à l’origine rien dans le projet sur l’extension des pouvoirs, aujourd’hui très limités, de la délégation parlementaire au renseignement (DPR). Le gouvernement avait choisi une stratégie sournoise disant préférer que la DPR agisse d’elle-même par voie d’amendement lors du débat, en s’assurant qu’elle bride toute ambition émancipatrice. C’est ce qui s’est produit.

La Commission des Lois a ainsi ajouté par amendement un article 17 bis sur la DPR, qui précise sa mission, étend les modalités de son droit à l’information et renforce son pouvoir d’audition. Il élargirait le champ d’action de la DPR en lui reconnaissant explicitement la possibilité de traiter des enjeux d’actualité liés au renseignement. Il est également prévu l’obligation faite au Gouvernement de transmettre à la DPR, chaque semestre, la liste des rapports de l’Inspection des Services de Renseignement (ISR) et de ceux des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence. En effet, pour pouvoir en demander la communication, encore faut-il que la DPR ait connaissance de leur existence. Il ouvre également à la DPR la faculté de demander la communication de tout document, information et élément d’appréciation utiles à l’accomplissement de sa mission (possibilité encadrée par le besoin d’en connaître de la délégation. Cette limite vaut également pour les rapports de l’ISR et ceux des services d’inspection générale des ministères).

S’agissant du Plan National d’Orientation du Renseignement (PNOR), si la délégation ne reste destinataire que « d’éléments d’informations », il est dorénavant prévu que le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme puisse effectuer chaque année devant la délégation une présentation du PNOR et de ses évolutions. S’agissant enfin des personnalités susceptibles d’être auditionnées par la DPR, l’article élargit ce pouvoir d’audition à toute personne exerçant des fonctions de direction au sein des services, au-delà des seules personnes occupant un emploi pourvu en conseil des ministres. Les auditions de ces personnes devront se tenir en présence de leur hiérarchie sauf si celle-ci y renonce : c’est une limitation assez sérieuse de la portée de la mesure envisagée.

Les avancées existent donc mais elles restent limitées. Le groupe parlementaire LFI a donc déposé un amendement pour muscler encore la DPR dans sa composition, ses moyens et son fonctionnement. Commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, elle est toutefois seulement composée de quatre députés et de quatre sénateurs… De par ce faible nombre de membres ainsi que le fait que les présidents des commissions permanentes chargées des affaires de sécurité intérieure et de défense en sont membres de droit, l’opposition et les groupes minoritaires ne sont dans les faits pas représentés : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le nouvel article intégré en commission était aussi timide. Sauf à considérer qu’en soi les oppositions parlementaires seraient irresponsables ou suspectes de faire fuiter les informations confidentielles auxquelles la DPR a accès, l’ouverture de la DPI aux parlementaires d’opposition renforcerait le caractère démocratique de cet organe et raffermirait l’effectivité de son contrôle, voire le consensus nécessaire dans la lutte contre les actes de terrorisme. L’amendement LFI propose également de doter la DPR d’un pouvoir d’injonction pour donner des instructions générales aux services de renseignements et d’une capacité à auditionner directement un agent des services de renseignement. D’une manière générale, ces capacités sont souvent absentes de nombreux domaines de l’action publique et témoignent de la marginalité du parlement français comparativement à ses homologues européens.

Un sujet ne peut enfin être traité dans l’examen du projet de loi, du fait des limites imposées par l’article 40 de la constitution sur l’aggravation des charges financières : celles des moyens donnés à la DPR. Elle ne dispose aujourd’hui en tout et pour tout que d’un demi-poste de fonctionnaire pour l’assister. Lui affecter des postes supplémentaires serait jugé irrecevable… Pour mesurer l’absurdité de cette situation, nous rappellerons que la commission similaire du congrès américain dispose d’un staff de 50 personnes aguerries.

Macron en campagne : la sécurité vaut mieux qu’un plan comm’

Le plan comm’ se veut parfait. Un entretien « exclusif » dans Le Figaro, pour séduire un lectorat supposé ancré à droite, publié le dimanche 18 avril, un déplacement de terrain à Montpellier le lendemain pour faire de belles images du Président en maraude avec la BAC, quelques phrases chocs et définitives…

Emmanuel Macron a lancé sa campagne électorale et a décidé de placer la sécurité comme point d’entrée,. Il considère que ce thème est idéal pour consolider sa position dans l’électorat de droite et mettre en scène son duel souhaité avec Marine Le Pen. Pourtant, la sécurité qui a toujours été une préoccupation importante de nos concitoyens vaut mieux qu’une mise en scène d’opérette.

Des affirmations contredites par le terrain

Emmanuel Macron affirme « se battre pour le droit à une vie paisible ». Il a donc d’abord tenu à défendre son bilan au moment où la France doit faire face, selon lui, « à une forte augmentation des violences sur les personnes, qui visent tout particulièrement les détenteurs de l’autorité ». Il promet de « faire reculer la délinquance partout ». Voilà qui est bel et bon. Il promet de tenir son objectif de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires avant la fin du quinquennat ; ainsi « chaque circonscription de police aura plus de policiers à la fin du quinquennat qu’au début, sans exception ». Il insiste : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants ».

Pourtant la réalité vécue par les élus locaux et nos concitoyens dément chaque jour cette affirmation : nombre d’entre eux pourraient démontrer aisément que les effectifs de policiers nationaux ou de gendarmes ne sont pas au rendez-vous, malgré les recrutements engagés dès le précédent quinquennat. De même, le dispositif “Police de sécurité au quotidien” (appellation technocratique pour ne plus dire “police de proximité”) n’est déployé qu’avec parcimonie… y compris dans des communes populaires pour lesquelles tout justifierait son implantation. Dans les faits, les habitants voient chaque jour les distances croître entre eux et leurs commissariats, alors que pour ces derniers les collectivités locales sont souvent appelées à fournir ramettes de papier et encre pour les imprimantes tant il manque du strict nécessaire administratif quand ce n’est pas tout simplement de matériel d’intervention. Doter les agents de police des moyens de faire leur métier, d’être présents sur le terrain en nombre au quotidien, plutôt que de devoir mettre en œuvre une politique du chiffre qui les éloigne de la population : voilà qui permettrait de prévenir voire d’empêcher les agressions dont ils sont aujourd’hui victimes et d’avoir le soutien et la confiance des habitants, nécessaires pour lutter contre les gangs, trafiquants et ennemis de la République. On en est loin… nous le verrons plus loin, la stratégie impulsée par le gouvernement et la hiérarchie détourne en réalité la police de sa mission essentielle sans lui apporter les effectifs là où ce serait nécessaire.

Expliquant qu’il fallait prendre le temps de former, le chef de l’État veut convaincre « qu’aujourd’hui 4 508 policiers et 1 706 gendarmes ont déjà été recrutés, soit 6 214 membres des forces de l’ordre », auquel il faudrait ajouter 2 000 fonctionnaires supplémentaires en 2021. On voit difficilement en refaisant tous les calculs comment on pourrait atteindre l’objectif des 10 000 postes supplémentaires d’ici la fin de son quinquennat. D’autant plus que lorsque l’on consulte les rapports « performances » des ministères à Bercy, c’est une toute autre réalité qui apparaît : en effet, si les effectifs de police et gendarmerie ont bien progressé de 9 789 postes équivalents temps plein (ETP) entre 2013 et 2017 (avec une légère baisse pour la police nationale sous l’effet du dernier budget Sarkozy), ceux-ci baissent clairement – et de manière plus prononcée pour la police nationale – entre le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2020 pour atteindre un déficit global de 1 109 ETP (voir notre infographie ci-dessous). La communication élyséenne est donc une fois de plus prise en flagrant délit de mensonge. S’appuyant sur le vote de la loi « sécurité globale », dont le cœur vise avant tout à restreindre les libertés publiques plutôt qu’à renforcer la sécurité, il annonce enfin la création d’une réserve de 30 000 hommes dans la police. Emmanuel Macron réitère également sa promesse de renouveler 50% du parc automobile de la police. Promesses, promesses de campagne… On verra si, à ces annonces, il faut appliquer le même ratio que pour les postes claironnés par l’Élysée et ceux qui sont réellement détruits : si c’est le cas, ça pourrait faire mal…

Cécité volontaire et entêtement dans l’erreur

Après avoir reconnu l’existence de violences policières, il revient à l’affirmation que celles-ci n’existeraient pas : « Il n’y a pas de violence systémique de la police, c’est faux ». Cette déclaration est tout autant électoraliste que les précédentes : elle vise uniquement à s’attirer les bonnes grâces d’un syndicat de police radicalisé, Alliance, qui défend l’impunité a priori des fonctionnaires de police. Là encore, il s’agit d’asseoir une connivence politique et non d’assurer l’efficacité de la police française en garantissant sa respectabilité chez nos concitoyens.

Disposer d’une police républicaine c’est disposer de fonctionnaires de police respectant les principes et la loi républicaine : le racisme n’y a pas plus sa place que la violence. C’est parce qu’elle est républicaine que son action doit être publique. Cela passe par dénoncer la responsabilité de la hiérarchie et du gouvernement inspirant la dérive malsaine, parce que si peu républicaine, dans une partie de la police. Lorsque le préfet de police de Paris, Didier Lallement, affirme devant des caméras de télévision qu’il existe dans la société deux « camps », n’inspire-t-il pas là une culture de guerre civile, incitant les policiers à regarder leurs concitoyens comme de possibles ennemis ? Lorsque le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « s’étouffe » au mot violence policière, n’entretenait-il pas ainsi une culture de l’impunité mettant la police au-dessus des lois, le contraire même de la République ? La police républicaine doit former ses fonctionnaires, les contrôler, les accompagner et garantir leur conformité aux principes républicains. La GRS a toujours affirmé son attachement à une police républicaine. Nous avons rappelé la nécessité de doter la police des moyens humains, des formations, et des contrôles nécessaires. Nous appelons également à un changement de doctrine, refusant la militarisation à l’américaine initiée par la droite il y a 15 ans, mais amplifiée depuis 2015 par les gouvernements successifs de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Durant des décennies, la police française a été considérée comme un modèle d’efficacité et de pondération, formant à l’étranger des centaines de forces de l’ordre à l’encadrement des manifestations et de certains des débordements qui peuvent malheureusement s’y produire. Depuis six ans, aucune manifestation n’a pu se tenir calmement ; la faute à des éléments radicalisés et agressifs qui visent à chaque fois à détourner les mobilisations syndicales et populaires de leur objet ; mais également à une doctrine d’engagement des forces de l’ordre dont l’objet n’est plus la sécurité des manifestations et des manifestants (en lien avec les organisateurs), mais l’affrontement « viril » avec les casseurs et l’amalgame de ces derniers avec les manifestants pacifiques. Loi Travail XXL, 1er mai, « Gilets Jaunes » … la liste est longue où, sous prétexte d’affronter les black blocs et autres casseurs, ce sont des citoyens pacifiques qui ont été « nassés » et visés par les forces de l’ordre, noyés sous les gaz lacrymogènes et gravement blessés, comme nous ne l’avions plus vu depuis les années 1970 ! Il y a une disjonction totale entre les besoins quotidiens de sécurité et tranquillité publiques réclamées par nos concitoyens qui ne sont pas au rendez-vous et la violence exercée avec des moyens disproportionnés contre l’expression démocratique et constitutionnelle des Français. Le choix électoraliste d’Emmanuel Macron est de poursuivre dans l’erreur en faisant de notre police un outil de « maintien de l’ordre » et non un service public de « gardiens de la paix ».

Sémantiquement et juridiquement, si l’on assemble les éléments de discours de ces derniers mois, couronnés par l’adoption de la proposition de loi « Sécurité Globale », « nous sommes en guerre » avec les mesures prises récemment, « couvre feu » « état d’urgence » « confinement », « Drone », « caméra autorisée sans contrôle », « interdictions de filmer la police », les ingrédients sont réunis pour faire basculer la France dans un régime de contrôle et de contrainte et non de liberté, sans garantir la sécurité ! Au-delà des craintes pour les libertés publiques, l’alourdissement de l’arsenal juridique n’a jamais renforcé l’efficacité de la police. La Gauche Républicaine et Socialiste rappelle son opposition farouche à la loi « Sécurité Globale » (nos deux parlementaires – Marie-Noëlle Lienemann et Caroline Fiat ont d’ailleurs signé la saisine du Conseil Constitutionnel sur ce texte). Nous demandons la tenue d’états généraux de la sécurité où seront redéfinis la doctrine d’encadrement des manifestations et de l’ordre public, les moyens nécessaires accordés à la police et son intégration à un projet de société en lien avec la population. Ces états généraux devront déboucher sur une loi de programmation pluriannuelle pour la sécurité intérieure quiprévoira la montée en puissance des moyens humains, matériels, techniques des forces de l’ordre, de renseignement intérieur et de la justice ainsi que leurs missions prioritaires et le déploiement territorial.

Dans cette opération de communication commencée dimanche dernier, le locataire de l’Élysée n’a pas eu un mot pour la Justice et les moyens dont elle manque cruellement et que l’agitation du Garde des Sceaux ne peut (pas plus que du temps de ses prédécesseurs) masquer. Là encore, le gouvernement Macron-Castex reprend les recettes éculées des conservateurs en annonçant la création mardi 20 avril de 15 000 places supplémentaires de prison… sans se soucier le moins du monde des raisons pour lesquelles celles-ci sont combles, sans rien changer à l’indignité des conditions de vie dans les maisons d’arrêts et sans aucune réflexion sur un système qui, plutôt que réhabiliter les détenus, fabrique des récidivistes souvent plus dangereux à l’issue de leur peine qu’ils ne l’étaient avant…

Stupéfiant contre-sens !

Emmanuel Macron semble avoir bénéficié sur la question des drogues d’une illumination soudaine : « La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères ». On espère que le Président ne découvre pas la situation !? « Ceux qui prennent de la drogue doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et, à la fin, on alimente la plus importante des sources d’insécurité… ». Il ajoute que « 70 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre. […] Ça veut dire quelque chose de clair : si vous vous faites prendre comme consommateur, vous savez que vous allez devoir payer et que vous n’allez pas y échapper. Ça change le rapport de force. » Il affirme également se fixer comme objectif d’éradiquer le trafic « par tous les moyens, [c’est] devenu la mère des batailles, puisque la drogue innerve certains réseaux séparatistes mais aussi la délinquance du quotidien, y compris dans les petites villes épargnées jusqu’ici. Ne laisser aucun répit aux trafiquants de drogue, c’est faire reculer la délinquance partout ». On n’est pas loin de l’unité de pensée entre un Didier Lallement, qui accusait une partie des Français d’être responsables des morts du COVID, et un Emmanuel Macron qui dénonce une autre partie comme des complices objectifs des terroristes. On imagine l’efficacité de ce type de déclarations…

Cette façon de présenter les choses est en réalité parfaitement inefficace et contre-productif. La lutte contre le trafic de cannabis mobilise des effectifs importants de policiers et de gendarmes pour des résultats contestables. Elle est selon les études la raison principale des contrôles au faciès (ce qui rappelle au demeurant que les préjugés existent malgré les dénégations du président de la République). En effet, les contrôles inopinés d’identité sont justifiés par la hiérarchie policière essentiellement pour détecter des détenteurs de haschisch. Non seulement ce type de contrôles ne débouche que sur l’écume du trafic réel mais provoque rancœur et frustration chez ceux de nos concitoyens qui subissent ce qu’ils vivent souvent à juste titre comme une forme de harcèlement. Les forces de l’ordre se trouvent mobilisées pour des opérations à l’efficacité douteuse et qui ternissent leur image auprès d’une partie de la population, dont ils ont déjà du mal à obtenir une confiance pourtant indispensable. Ainsi il serait légitime d’examiner de manière plus appuyée les arguments qui ont poussé de nombreux parlementaires – et notamment Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur – à défendre la dépénalisation de la consommation du cannabis et la réglementation de son commerce : outre qu’il libérerait des effectifs de policiers qui pourraient être affectés à des tâches bien plus utiles pour nos concitoyens et à leur contact quotidien (tout en supprimant une source de friction et des zones grises dans les contrôles d’identité au regard de nos principes républicains), la vente réglementée de cannabis telle qu’elle a été mise en place dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord (sans qu’il y ait d’explosion de la consommation) pourrait sous contrôle de l’État devenir une source de recettes pour les pouvoirs publics (comme le tabac) et tarir les recettes de nombreux réseaux criminels et terroristes, contribuant ainsi à la tranquillité publique. Ainsi en affichant un raidissement intransigeant sur le cannabis, Emmanuel Macron énonce un contresens stupéfiant !

Enfin pour Emmanuel Macron, « dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge » : « Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissement vers des drogues plus dures. » Cette toute dernière affirmation n’a aucun fondement scientifique, mais on peut s’attendre à ce que le candidat Macron la répète ad nauseam pour garantir à son propos de l’efficacité. Les effets de la consommation de cannabis n’ont jamais élevé la raison, personne ne dira le le contraire. Ce serait par contre une erreur dramatique de considérer sa consommation excessive – à tous les âges – comme un objet de sécurité et de répression plutôt que comme une priorité de santé publique. Que dire des effets de l’alcool et du tabac qui en vente libre provoquent lorsqu’ils sont consommés à l’excès des dégâts psychologiques, sanitaires et morbides massifs ! Pourtant ici la morale ne se mêle pas du commerce. Les expériences de prohibition ont toujours été des échecs funestes. La vente du tabac est réglementée bien que le produit soit mortel, elle rapporte des recettes importantes à l’État ; la vente d’alcool non seulement continue de faire l’objet de campagnes publicitaires mais le produit en lui-même sous ces diverses formes est présenté comme un élément constitutif de notre mode de vie. Chacun examinera en conscience la contradiction. En réalité, le fait de considérer les consommateurs de drogue, les toxicomanes, comme des délinquants handicape concrètement les opérations de prévention mise en œuvre par tous les organes de santé publique et les associations. Il est nécessaire et urgent de renverser le point de vue des pouvoirs publics sur ce dossier.

Personne ne niera que la violence a progressé dans la société française et que celle qui vise les dépositaires de l’autorité publique, les agents publics en général, a connu une augmentation plus inquiétante encore. Mais sans retomber dans l’excuse sociale de la violence – les faits d’agression contre des policiers ou les attaques de commissariats ne sont pas excusables, leurs auteurs doivent être appréhendés et condamnés –, cette évolution est également corrélée à la progression des inégalités sociales et dans l’accès aux services publics. C’est une situation qui n’est d’ailleurs pas réservée aux seuls quartiers populaires. Ainsi considérer que la restauration d’une plus grande tranquillité publique ne passera que par une logique répressive est une erreur. Nous sommes favorables à ce que l’État fasse un effort de recrutement pour la police nationale et la gendarmerie, encore convient-il comme nous l’avons dit plus haut de veiller à leur formation, à une répartition territoriale répondant aux besoins réels du pays et aux missions précises qu’on assigne à nos forces de l’ordre : nos concitoyens ont besoin de policiers et de gendarmes de proximité qui connaissent les habitants, pas de CRS ou de gendarmes mobiles supplémentaires. D’autre part, comme nous l’avons indiqué plus haut, il serait illusoire d’en rester là… évidemment la question de la justice et de la réponse carcérale (et des alternatives à la prison) ont été trop longtemps négligées et traitées par des opérations « coups de mentons », mais nos concitoyens ont besoin de retrouver confiance dans la promesse sociale et émancipatrice de la République ce qui passe obligatoirement par un New Deal des services publics sur l’école, le logement et la mixité sociale, l’accès au services publics en général, sur la formation, les transports et par une politique volontariste de l’emploi et sur les salaires afin de résorber ghettos sociaux et poches de pauvreté.

Vers un régime de surveillance et de privation de libertés

Le 20 octobre, le groupe LREM à l’Assemblée Nationale, à l’initiative de son président Christophe Castaner, a déposé une proposition de loi dite de « sécurité globale »

Même si plusieurs mesures prétendent répondre à des situations problématiques, ce texte de 31 articles propose d’inscrire dans la loi de profondes restrictions de liberté et l’entrée dans un régime de surveillance généralisé que nous ne pouvons accepter.

Ainsi l’article 21 propose de supprimer la garantie de traitement a posteriori des images provenant des caméras embarquées par les policiers et les gendarmes. Si cette disposition était supprimée, la porte serait alors ouverte pour un traitement automatisé des images et donc l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale.

Qu’est ce que ça change vraiment ?

Aujourd’hui, le fait de traiter les images a posteriori permet de documenter une enquête sur des événements délictueux commis. Par contre, si on supprimait cette garantie, les forces de l’ordre pourraient rentrer dans une logique de ciblage en temps réel, à l’occasion d’une manifestation par exemple et, via un PC opérationnel, renseigner en direct les agents de terrain sur l’identité des nombreux militants et militantes qu’ils croiseraient, déjà fichés à tort ou à raison dans le TAJ (traitement des des antécédents judiciaires), fichier que la police gère seule sans contrôle indépendant effectif. Ce nouvel outil permettrait à la police de multiplier des abus ciblés contre des personnes déjà identifiées : gardes à vue « préventives », accès au cortège empêché, interpellations non-suivies de poursuite, fouilles au corps, confiscation de matériel, comportement injurieux…

Dans son article 22, la loi prévoit l’autorisation de drones pour surveiller les manifestations.

Ainsi, le gouvernement, par la voix de sa majorité parlementaire, souhaite déshumaniser la gestion des manifestations en appliquant un filtre robotisé, qui – par l’utilisation des mêmes logiciels de reconnaissance faciale – permettrait de suivre et d’identifier n’importe quel individu considéré comme suspect ou dérangeant, sur la seule base d’une altération dans le flux des manifestants.

Cette vision de la manifestation, géométrique, conduit à une déconnexion entre les manifestants qui agissent au nom d’un droit constitutionnel et les forces de l’ordre qui n’auraient plus aucune mission de sécurisation de la manifestation mais au contraire une vision purement tactique, les enfermant exclusivement dans une logique confrontationnelle.

Enfin l’article 24 propose d’interdire au public de diffuser « l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ».

On se souvient des longs mois de manifestations des gilets jaunes, et des scènes de violence qui, sans les images prises par des journalistes ou des manifestants, n’auraient donné qu’une facette de l’histoire à voir. Auraient ainsi été passés sous silence les nombreuses exactions commises au nom de la « violence légitime », alors défendue par un Ministre de l’Intérieur nommé Christophe Castaner. En supprimant légalement cette possibilité, le gouvernement ou sa majorité nous donne un signal très clair :

« Nous n’avons plus la possibilité d’opposer à la police une autre vérité que la sienne. »

D’une certaine manière, le gouvernement apprend de ses erreurs ; il ne veut plus subir de
mouvement social incontrôlable comme celui des Gilets jaunes, il veut mettre le pays sous contrôle. C’est ce que lui permettrait ce nouvel arsenal législatif proposé par la majorité parlementaire LREM, dans un contexte d’état d’urgence permanent, sur le plan sanitaire, sur le plan sécuritaire.

Sémantiquement, si l’on assemble les éléments de discours de ces derniers mois «  nous sommes en guerre » avec les mesures prises récemment, « couvre feu » « état d’urgence » « confinement », et les éléments contenus dans ce projet de loi «  Drone » « camera autorisée sans contrôle » « interdictions de filmer la police », les ingrédients sont réunis, si ils devaient tomber entre de mauvaises mains pour faire basculer la France des Lumières vers un régime autoritaire.

La Gauche Républicaine et Socialiste s’oppose donc à ce projet de loi liberticide et demande la tenue d’états généraux de la sécurité où nous pourrons redéfinir la doctrine d’encadrement des manifestations, de l’ordre public, des moyens à la police et de son intégration à un projet de société en lien avec la population.

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