FRET : VERS UNE MORT IMMINENTE

Alors que le fret est un outil stratégique pour la transition écologique, la France a annoncé un projet de refonte qui sonnera forcément la mort de fret SNCF. C’est que décrypte notre camarade Chloé Petat dans un article publié dans Le Temps des Ruptures le 3 mars 2024.

Depuis les années 1950, la part modale du fret ferroviaire dans le total des échanges de marchandises n’a fait que baisser en France et en Europe. L’ouverture à la concurrence, effective totalement depuis 2005/2006(1), a accentué ce déclin, contrairement aux tendres rêveries de nos dirigeants français et européens.

Je décrivais dans un précédent article, les impacts de l’ouverture à la concurrence dans certains pays européens, du transport ferroviaire de voyageurs. En France, l’ouverture étant plus récente que celle du fret, il est encore difficile de formuler un constat clair, même s’il est évident que la concurrence ne résoudra pas les problèmes sans investissements massifs dans le réseau. Pour le fret, le bilan est aujourd’hui sans appel : c’est un fiasco. La réforme potentielle annoncée par Clément Beaune en mai 2023 pour répondre à l’enquête en cours de la Commission européenne pour non-respect des principes de la concurrence, signerait la mort définitive du fret.

L’Union européenne porte des enjeux forts en matière de réduction des gaz à effet de serre : elle s’est engagée, dans le plan fit for 55, à une réduction de 55% de ces émissions d’ici 2030. Pour ce faire, elle souhaite de manière assez évidente s’attaquer au secteur des transports, responsable d’environ 30% % de ces émissions, en commençant par le transport de marchandises. Ainsi, l’Union souhaite réaliser un report modal de 30% du transport de marchandises, de la route vers le ferroviaire. Si nous partageons totalement cet objectif, il faut se rendre à l’évidence : aucune des réformes de ces vingt dernières années n’est allée dans ce sens. A commencer par l’ouverture à la concurrence du fret, bien que présentée comme une solution miracle par l’Union européenne.

Pour comprendre les enjeux à l’œuvre et la schizophrénie de l’Union européenne qui promeut la réduction des gaz à effet de serre, tout en punissant les secteurs qui pourraient amorcer un véritable changement (comme le fret), il faut revenir sur le fonctionnement du fret ferroviaire et sur les causes de son déclin.

LE FONCTIONNEMENT DU SECTEUR FERROVIAIRE ET LES ACTEURS EN PRÉSENCE

Comment fonctionne le transport ferroviaire de marchandises ? Le réseau est commun entre le transport de voyageurs et de marchandises : quelques liaisons sont propres à l’un ou à l’autre, et les infrastructures sont distinctes car ne répondant pas aux mêmes besoins (gares de triage / plateformes multimodales et installations terminales embranchées desservant des usines/entrepôts/entreprises), mais il n’existe pas deux réseaux distincts. Ce réseau et l’attribution de sillons (créneaux horaires durant lesquels les trains peuvent circuler sur une partie donnée du réseau) sont gérés par SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure.

Comme pour les trains de voyageurs, les trains de marchandises règlent à SNCF Réseau les prix des différents péages, qui varient en fonction des liaisons.

Il existe aujourd’hui plusieurs types de train fret (nous n’évoquerons pas ici le fonctionnement du transport combiné) : les trains massifs et les trains de lotissement. Contrairement aux premiers, ces derniers sont composés de wagons isolés, comprenant des marchandises différentes et appartenant à différents clients. Les différents wagons sont ensuite triés dans des gares de triage et iront potentiellement dans des sens différents en fonction de leurs destinations finales. Ce triage demande un certain travail, qui est plus coûteux par rapport aux trains massifs (à destination d’un seul et unique client).

Les types de marchandises peuvent varier dans le temps, aujourd’hui la majorité des produits proviennent des secteurs de la sidérurgie, de la chimie, de l’agroalimentaire, du bâtiment, du nucléaire : ce sont majoritairement des marchandises que l’on peut qualifier de « stratégiques ». A noter que la désindustrialisation française a également eu des effets sur l’attractivité du fret et les marchandises transportées.

QUEL BILAN DEPUIS L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE ?

L’ouverture à la concurrence est effective depuis 2005/2006 : un laps de temps suffisant pour nous permettre de réaliser un bilan de ses effets et de l’évolution du marché, qui n’est pas des plus glorieux.

D’abord, le marché du fret a énormément évolué à la suite de l’ouverture à la concurrence, en France et en Europe. En France, fret SNCF, l’opérateur historique, détient désormais environ 50% des parts de marché, alors qu’il en détenait 77% en 2010. Le marché français compte une vingtaine d’acteurs mais les plus importantes parts modales sont concentrées entre un nombre restreint d’entreprises (Fret SNCF, DB Cargo, Captrain notamment). La SNCF possède d’autres filiales qui réalisent également du transport de marchandises : CAPTRAIN France, VIIA, Naviland Cargo, Forwardis, 20% des parts de marchés(2). Elles forment avec Fret SNCF, Rail Logistics Europe. Dans un rapport publié en 2023(3), la CGT considère que la vision est trop silotée, et que cela ne permet pas une adaptation des activités ferroviaires. Le marché est aujourd’hui très divisé, alors que la part modale du transport ferroviaire n’a fait que baisser, oscillant désormais entre 10 et 9%(4).

Les entreprises de fret ne sont pas toujours rentables, ce qui favorise l’absorption des petits par les gros, comme a pu le faire l’entreprise allemande DB Cargo (filiale de la DB).

En France, la concurrence est la plus forte sur les sillons les plus rentables et connectés aux autres réseaux ferroviaires étrangers (au même titre que pour le transport de voyageurs). La plupart des trajets sont réalisés sur 6500 kilomètres de lignes, donc 24% du réseau ferré national. Le réseau étant le même pour le transport de voyageurs, une concurrence s’exerce entre ces deux activités pour l’attribution de sillons sur les lignes les plus fréquentées (le nombre de trains de voyageurs a augmenté significativement du fait d’une demande accrue), au détriment du fret ferroviaire qui est financièrement moins rentable.

Les parts modales ont également évolué : entre 2005 et 2015, la part modale du fret ferroviaire dans l’Union européenne est passée de 14% à 16,8%(5). En France, celle-ci est inférieure au niveau européen : le fret représente environ 10/9%% du transport de marchandises, et la route 80/85% et le fluvial 2 à 3%. Cette répartition est relativement stable depuis 2010. Alors que d’autres pays européens affichent des progressions intéressantes (entre 2019 et 2022, croissance de 22% en Italie, 10% en Allemagne, 2% en Suisse(6)), comment expliquer que la France reste à un niveau si bas ?

Le rapporteur d’un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les effets de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire publiée en décembre 2023(7), Hubert Wulfranc, estime qu’elle a été mal accompagnée en France et qu’elle a donc plombé la croissance du secteur. Une autre preuve de l’inefficacité de l’ouverture à la concurrence est la multiplication des plans de relance pour le fret depuis 2005, sans qu’on puisse observer de changements notoires(8). Le président de la commission d’enquête, David Valence, est plus nuancé, considérant que la désindustrialisation, la concurrence de la route, et la qualité de service (dégradée) du fret sont des explications plus probables. Ces divergences s’expliquent peut-être par l’appartenance politique de ces deux personnalités politiques. Toutes ces raisons sont valables, même si à géométrie variable, et ont mené le fret ferroviaire dans le ravin.   

La qualité de service (notamment la régularité) et également le manque de flexibilité, devaient être corrigés par la concurrence, mais restent pourtant deux problèmes majeurs. Dans un monde où l’offre et la demande s’ajustent constamment, le fret est un mode de transport lourd qui a du mal à s’adapter. Des solutions existent, notamment l’utilisation de technologies prédictives et d’anticipation, mais elles ne sont pas mises en œuvre.

Sur la régularité, un rapport d’information par le Sénat en 2008(9) indique qu’uniquement 70% des wagons isolés sont à l’heure, contre 80% pour les trains massifs. En 2022, près d’un train sur six (16%) a accusé un retard de plus de 30 minutes. La régularité des wagons isolés est encore plus dégradée, avec un train sur cinq en retard en moyenne d’une heure ou plus. En observant ses données, il est compréhensible que les acteurs se tournent vers le transport routier, plus adaptable, plus fiable. Comment ces retards peuvent-ils s’expliquer ? L’infrastructure détient une partie de la réponse. Le réseau est extrêmement dégradé : les lignes « capillaires », qui connectent les entrepôts / usines au réseau principal, ont en moyenne 73 ans. De nombreuses lignes ont été fermées ces dernières années, faute de travaux de remise en état. Comment pourrait-on penser que la régularité pourrait s’améliorer, sur un réseau de plus en plus vieux ?

LE FRET FERROVIAIRE SE RAPPROCHE DANGEREUSEMENT DU RAVIN, POUSSÉ PAR NOS AUTORITÉS PUBLIQUES

La Commission européenne a ouvert en janvier 2023 une procédure d’examen à l’encontre de Fret SNCF. L’entreprise est accusée d’avoir bénéficié d’aides financières de l’Etat français allant à l’encontre du principe de la libre-concurrence (non-respect de l’article 107 du TFUE) : on parle notamment de l’annulation de la dette de l’entreprises en 2019, d’un montant d’environ 5 milliards, ou encore de sommes versées en 2019 pour permettre la recapitalisation de l’entreprise. D’autres entreprises ferroviaires, comme la DB Cargo, filiale de la DB, sont aussi dans le viseur de la Commission. Le verdict n’a, en date de février 2024, pas encore été rendu.

Comment l’Union européenne peut être se donner de tels objectifs de réduction de gaz à effet de serre, dont le transport de marchandises (notamment la route) est responsable à plus de 30%, tout en lançant des enquêtes, dont les sanctions pourraient aboutir au démantèlement du fret et à un report modal énorme vers le routier ?

Pour se faire pardonner, l’Etat français, en la personne de Clément Beaune, a annoncé un grand plan de refonte de fret SNCF. Un plan qui est censé, encore une fois, rendre ses titres de noblesse à l’entreprise. Quand on analyse les propositions de ce plan, on se rend compte qu’elles vont plutôt contribuer à pousser fret SNCF du ravin, qui n’en ai d’ailleurs aujourd’hui pas très loin. Ce plan n’est rien d’autre qu’un coup de massue.

L’idée principale est de diviser Fret SNCF en deux entités, une en charge de la gestion du trafic, l’autre de la maintenance des matériels, rassemblées dans un groupe holding (Rail Logistics Europe), mais toujours rattaché à la maison-mère SNCF. Le capital de l’entreprise serait également ouvert à des acteurs privés, bien que la proportion ne soit pas indiquée.  Pour la gestion du trafic, encore faut-il que cette société puisse se coordonner avec SNCF Réseau, responsable de l’allocation des sillons. Le plan reste flou sur la répartition exacte des missions. Enfin, autre élément majeur du plan : il propose de déposséder Fret SNCF de ses activités les plus importantes et rentables financières. Au total, 23 lignes seraient ouvertes obligatoirement à la concurrence puisque la nouvelle entreprise « new fret » ne pourrait pas candidater aux appels d’offres pour ces lignes pendant 10 ans(10). Ces flux représentent plus de 100 millions d’euros. Cela pourrait engendrer une réduction d’emplois ou une réallocation des travailleurs vers les sociétés privées, avec tout ce que ça implique comme perte de droits sociaux, et une perte financière importante pour Fret SNCF. Si le privé n’est pas intéressé par ces lignes, elles fermeront et les marchandises se retrouveront sur la route(11).

Comment fret SNCF peut-il survivre à une telle réforme ? C’est tout à fait impensable, l’entreprise n’étant déjà pas viable financièrement.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat dénonce fortement ce plan, qui n’implique d’ailleurs pas l’absence de sanctions complémentaires de la Commission à la suite de son enquête.  

Le souhait du gouvernement de développer la part modale du transport ferroviaire d’ici 2030 de 9% à 18%, semble encore davantage un horizon inatteignable.

UNE CONCURRENCE QUI NE DIT PAS SON NOM : LA ROUTE

La Commission est vigilante au respect de la libre-concurrence. Pourtant, elle ne s’attaque nullement à la concurrence la plus déloyale qui touche le fret : celle du transport routier.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat évoquée précédemment indique qu’il y a un lien entre la baisse des parts modales du fret et le développement d’un réseau routier massif, permettant ainsi son accroissement.

Le réseau routier est donc plus dense (il permet notamment de desservir à une maille très fine les entreprises, ports, zones industrielles, villes, etc.) plus moderne, que le réseau ferroviaire. Contrairement aux trains, les camions peuvent facilement débarquer les marchandises n’importent où (disposant d’une porte de déchargement), ce qui n’est pas le cas des trains qui ont besoin d’infrastructures spécifiques pour accéder à certains points stratégiques (ports, entrepôts etc.). La route bénéficie également d’un certain nombre d’avantages(12). D’abord, les nuisances (pollution, dégradation du réseau, embouteillages, accidents) liées au transport routier ne sont nullement prises en compte : elles sont subies par la collectivité sans dédommagement financier. Ensuite, tout comme le fret, le transport routier de marchandises doit s’acquitter des péages en empruntant le réseau autoroutier. Il existe des alternatives gratuites au réseau autoroutier : on compte environ 9000 kilomètres de voies payantes, 12 000 kilomètres de routes nationales gratuites et 380 000 kilomètres de routes départementales. Ainsi, les transporteurs peuvent très facilement éviter de payer des péages. Cela est impossible pour les transporteurs ferroviaires.

Enfin, dernier avantage du transport routier, il est largement possible aujourd’hui de contourner la fiscalité en place. À la suite de l’abandon du projet d’écotaxe en 2014 (qui devait générer 900 millions par an), le gouvernement a majoré de deux centimes par litre la taxe sur l’achat de gazole en France pour les particuliers, et de quatre centimes pour les transporteurs (la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques, TICPE). Ainsi, lorsque les camions réalisent le plein en France, ils s’acquittent de manière indirecte d’une taxe liée à leur passage sur le réseau français. Mais cette taxe est un échec : en effet, les transporteurs s’arrangent pour réaliser le plein dans des pays limitrophes pour ne pas à avoir à le faire en France. Selon l’ADEME(13), les transporteurs étrangers achètent en France moins de 23% du carburant qu’ils y consomment. Ils passent en France en laissant le moins de trace possible. Cette taxe ne sert donc à rien, et pénalise les contribuables. De plus, avec la possibilité de faire appel à des transporteurs étrangers (moins chers), le nombre total de transporteurs français sur le total en Europe est passé de 50% en 1999 à 10% aujourd’hui(14). Nadia Hilal(15) pointe du doigt les effets pervers des dérèglementations du transport routier de marchandises en Europe. Au-delà du fait que les transporteurs routiers ne payent aucune taxe, cela impacte les emplois de ce secteur en France. Les transporteurs étrangers sont moins chers, interchangeables, ne bénéficient pas de la même protection sociale qu’en France. Tout ceci alimente un nivellement à la baisse des droits sociaux et des salaires en Europe alors que nous devrions justement militer pour le contraire.

Désinvestissement sur le réseau ferroviaire, investissement massif dans le réseau routier, mise en place de conditions d’évitement de la fiscalité pour les transporteurs routiers, concurrence déloyale, ouverture à la concurrence… voici une liste, même si non-exhaustive, des principaux facteurs qui sont en train de tuer le fret ferroviaire.

CHANGER DE PARADIGME POUR SAUVER UN SECTEUR

Le constat est affligeant et nous serions tenté de désespérer. Pourtant des solutions existent, il suffit de changer de direction.

  • Première rupture : rénover, moderniser, étendre le réseau et développer l’intermodalité

La première solution est très simple : rénover, moderniser le réseau. Un rapport sénatorial de 2022(16) estime qu’il faudrait investir à horizon 2030, 10 milliards d’euros.  

Au-delà des lignes, dont les lignes capillaires, il faut penser également aux diverses infrastructures du réseau (gares de triages, embranchements de ports, terminaux, installations terminales embranchées permettant de desservir les ports/entrepôts/usines, zones industrielles qui étaient au nombre de 12 000 en 1980, aujourd’hui nous n’en comptons plus que 1700) Si le fret veut toucher davantage de clients, il est fort probable que ces derniers privilégient le wagon isolé plutôt que les trains entiers, d’où la nécessaire attention à porter aux gares de triage. L’exemple de la gare de triage de Miramas est significatif : alors qu’y étaient triés environ 14 000 wagons par mois en 2009, ce n’est plus que 5200 en moyenne aujourd’hui(17). Les collectivités peinent à trouver et à obtenir des financements permettant de rénover cette gare de triage. Alliance 4F, collectif regroupant l’ensemble des acteurs du marché du fret français, pense qu’il est nécessaire d’investir 12 milliards d’euros sur la période 2025/2030 pour maintenir le réseau, les grands axes et les lignes capillaires (20% du réseau), augmenter les capacités de circulation et moderniser/créer de nouveaux terminaux et gares de triages.

Les sommes indiqués par l’Etat sont bien différentes. Dans les contrats plan Etat/Région, l’Etat s’engage à consacrer 500 millions d’euros au fret. En comptant d’éventuels projets annexes visant à financer le fret, sur la période 2023-2027, la somme totale investie serait de 900 millions. Le co-financement des collectivités permettrait d’atteindre 2 milliards. Il en manque plus de 8.  

Au-delà du réseau actuel et de sa modernisation, il faut également pouvoir l’enrichir. Alliance 4F propose de développer de nouvelles infrastructures et axes pour contourner les métropoles. Il faut également s’atteler au développement de plateformes multimodales entre les différents modes de transport, et également dans les grands ports. On peut prendre comme exemple la plateforme du Havre qui rencontre un certain succès, et dont le président du port souhaite l’extension.

Il faut sortir d’une logique en silo, et penser la connexion entre les modes de transports, à la fois pour le transport de voyageurs, mais aussi pour la logistique et l’acheminement des marchandises. Le fret doit faire partie intégrante de toute la chaîne : pour cela, le développement de plateformes multimodales, à l’échelle française mais aussi européenne, est nécessaire.

De tels projets sont coûteux, et souvent dénoncés pour leur empreinte écologique. On peut prendre l’exemple du Lyon-Turin, projet estimé à un montant de 18 milliards selon le Comité pour la Transalpine (les opposants au projet évoquent plutôt un montant de 26 milliards). Pourtant, ce projet permettrait d’augmenter de manière pharamineuse le nombre de marchandises transportées, de 6 à 40 millions de tonnes. Les arguments des opposants sont entendables. Toutefois, nous ne pouvons nous soustraire à de tels projets si nous voulons augmenter la part modale du ferroviaire et son importante. Pour le transport de marchandises, mais aussi pour permettre aux voyageurs d’envisager différemment leurs trajets, en utilisant des modes de transport plus verts. Il faut davantage questionner l’utilité des projets routiers et leur potentielle substitution par des lignes ferroviaires.

  • Deuxième rupture : mettre fin à la concurrence déloyale de la route

Outre les améliorations et la modernisation du réseau, il faut que le gouvernement mette en place des actions pour contrer la concurrence déloyale de la route. Le rapport d’information du Sénat de 2010(18) et le rapport de la commission d’enquête publié fin 2023 esquissent un certain nombre de propositions intéressantes.

D’abord, il faut sortir de la logique de taxation du carburant, qui ne produit pas suffisamment d’effet. Les rapports soutiennent la mise en place d’une taxe kilométrique (qui concernerait uniquement les poids lourds), permettant notamment de faire payer au transport routier les externalités qu’il engendre et de durcir la réglementation sur les circulations. L’Autriche et la Suisse ont eux-mêmes adopté une réglementation stricte : les jours et horaires de circulation sont par exemple restreints. Aucun camion de plus de 3,5 tonnes ne peut circuler le dimanche, et l’ensemble des camions ne peuvent pas circuler la nuit même en semaine. Il suffirait que la France prenne exemple sur ces restrictions.

  • Troisième rupture : améliorer la régularité et la qualité de service

La modernisation du réseau aura déjà des conséquences non-négligeables sur la régularité. Son extension, rendra l’utilisation du fret plus attractive. Pour perfectionner l’ensemble, l’Union européenne souhaite le développement de systèmes de transports intelligents. Ces systèmes, permettraient de mieux planifier, cadencer les trajets, de disposer de données plus fiables sur le transport et en temps réel (position en direct, vitesse, travaux routiers, etc.) de la marchandise. Cela permettrait évidemment de rassurer les clients du fret et également de mieux planifier et suivre une activité très complexe dans son organisation et chronométré au millimètre près.

  • Quatrième rupture : redonner son aspect stratégique au fret

Le fret pourrait être au cœur des enjeux de demain : notamment des enjeux autour de la réindustrialisation. Le fret doit faire partir de la chaîne et être exploité dans le cadre des politiques décidées par le gouvernement.

Au-delà de ces enjeux, le fret pourrait être rendu obligatoire pour le transport de produits et matériaux stratégiques, dangereux, nécessitant d’être maîtrisés par l’Etat : cette proposition émane de la CGT(19).

Le fret ferroviaire perd chaque année davantage de vitesse, et s’approche du ravin. Cet effondrement peut s’expliquer par de multiples facteurs. D’abord la libéralisation, qui a aggravé la situation et qui n’a pas été suivi d’effets, notamment d’investissements massifs dans le réseau. Ce sous-investissement chronique engendre un vieillissement des axes et des infrastructures, ne permettant pas de répondre aux critères de qualité de service, ni d’améliorer la régularité. Ce sous-investissement engendre également un report modal important vers la route : le transport de marchandises est plus pratique, le fret ne disposant pas et plus de suffisamment de plateformes multimodales, connectées aux grandes zones industrielles, aux entrepôts, aux entreprises, aux ports. Enfin, par la concurrence déloyale de la route.

Les potentielles sanctions de l’Union européenne et ou la mise en œuvre de la réforme présentée par l’exécutif en 2023 ne va pas arranger les choses. Tout ceci est symptomatique de la schizophrénie de l’Union européenne : nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais nous ne devons pas soutenir le fret, essentiel pour la transition écologique.

Des solutions existent, mais il est urgent de ne plus tarder et d’opérer un réel revirement. L’Alliance 4F proposer de doubler la part modale du fret français de 9 à 18% en 2030 en mettant en œuvre un certain nombre de réformes, dont certaines ont été évoquées ici. L’Union européenne et la France doivent entendre ces propositions, au risque de condamner, définitivement, un secteur aux enjeux majeurs pour la transition écologique.

Références

(1)Les premiers trains fret ont circulé en 2005 (transport international) et en 2006 (transport national).  

(2) Pour en savoir plus sur les filiales : https://www.sncf.com/fr/logistique-transport/rail-logistics-europe /

(3) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

(4) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(5) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(6) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(7) Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(8) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, qui détaille l’ensemble des différentes réformes, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

(9) Rapport accessible ici : https://www.senat.fr/rap/r08-220/r08-2207.html

(10) https://www.vie-publique.fr/discours/291200-clement-beaune-13092023-liberalisation-du-fret-ferroviaire

(11) A lire en complément : https://reporterre.net/Privatisation-du-fret-SNCF-On-fait-tout-pour-couler-le-ferroviaire

(12) Rapport accessible ici : https://www.senat.fr/rap/r08-220/r08-2207.html

(13) ADEME, 2021

(14) Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(15) Selon Nadia Hilal dans le numéro 48 de sociologie du travail, publié en 2006

(16) Rapport d’information du Sénat accessible ici : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Rapports_provisoires/Rapport_SNCF_-_Version_provisoire.pdf

(17) Liquider fret SNCF, nuit gravement au climat : rapport du comité central du groupe public ferroviaire

(18) Rapport d’information sénatorial « Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse » du 20 octobre 2010 et commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(19) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, qui détaille l’ensemble des différentes réformes, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

Panneaux solaires et voitures électriques : catastrophe en vue sur l’industrie européenne – tribune d’Emmanuel Maurel dans l’Humanité

tribune publiée le jeudi 22 février 2024 dans L’Humanité

Après avoir failli mourir une première fois dans les années 2010 sous les coups de boutoir de la Chine, l’industrie européenne des panneaux solaires s’est reprise après le Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine. Les ménages ont réagi à l’explosion des prix de l’énergie en s’équipant massivement (56 gigawatts supplémentaires l’année dernière : un record) et les États ont accru leurs aides à la transition.

Ce mouvement a ouvert de nouvelles perspectives au secteur. L’Europe en a tiré profit pour investir et restaurer des capacités de production. En août, la société française Carbon annonçait l’ouverture pour 2025 de la plus grande usine de panneaux photovoltaïques du continent : son objectif est de produire 12 millions de panneaux solaires par an (soit une capacité installée de 5 gigawatts). C’était la dernière bonne nouvelle avant le coup de massue de la rentrée. Fin 2023, la Chine nous expédiait 150 millions de panneaux solaires avec une ristourne de… 70 %.

Depuis lors, la filière n’annonce plus qu’arrêt des investissements et des chaînes de production. Début février, les grands industriels allemands, autrichiens et néerlandais prévenaient la Commission européenne qu’ils n’auront bientôt plus d’autre choix que « faire faillite ou délocaliser ». À ce jour, leur appel au secours n’a pas reçu de réponse. La Commission continue de privilégier le déploiement du photovoltaïque – 80 % sont des panneaux chinois – plutôt que la préservation de notre souveraineté énergétique et industrielle.

En parallèle, l’Inde et surtout les États-Unis ont mis en place des mesures protectionnistes pour favoriser leur production nationale contre les importations chinoises. Voté par le Congrès en 2021, l’Inflation Reduction Act accorde des subventions et des crédits d’impôts aux panneaux solaires, aux éoliennes ou aux batteries électriques, mais à condition qu’ils comportent un pourcentage minimal d’éléments fabriqués sur place. Cette politique très agressive, que les Américains eux-mêmes nous recommandent de copier, a précipité la décision du plus grand fabricant d’Allemagne, Meyer Burger, de délocaliser ses usines outre-Atlantique.

Confrontées à une baisse de la demande intérieure et à ces nouvelles barrières commerciales, les entreprises chinoises se sont retrouvées avec d’immenses stocks d’invendus. Elles ont décidé de les écouler en Europe, toujours ouverte, contrairement à ses concurrents, aux quatre vents de la mondialisation. La surproduction chinoise a trouvé son débouché, donnant à la fragile industrie européenne un quasi-coup de grâce.

Cet épisode n’est que le dernier d’une interminable série de renoncements. En 2013, l’Union européenne (UE) n’avait monté ses droits de douane qu’à 48 %, alors que la Chine dopait ses panneaux solaires à 90 % ! Et aujourd’hui, l’UE refuse de réserver aux seuls produits « made in Europe » les aides (payées par nos impôts) pour la transition écologique. Elle a certes aménagé sa législation pour autoriser les États membres à subventionner les ouvertures d’usine, mais à quoi bon ouvrir une usine si les panneaux solaires chinois coûtent en moyenne 50 % moins cher et qu’ils bénéficient du même traitement de faveur ?

Cette impéritie ne touche pas que le secteur photovoltaïque. Le dumping chinois s’apprête à frapper de plein fouet le pilier industriel de l’UE : l’automobile et ses 12 millions d’emplois. Pékin, qui a anticipé les enjeux, a racheté des entreprises spécialisées dans les matières premières et la fabrication de batteries.

Aujourd’hui, les deux géants de ce secteur sont Contemporary Amperex Technology et BYD, qui cumulent 51 % du marché mondial. Et comme pour les panneaux solaires, le gouvernement chinois a arrosé ses fabricants de voitures électriques de dizaines de milliards de subventions. En riposte, la Commission a… ouvert une enquête. La Chine maîtrise ainsi l’ensemble de la « chaîne de valeur » et ses véhicules électriques vont affluer par millions sur le marché européen à des prix défiant toute concurrence.

Les dirigeants européens laissent la Chine faire de l’Europe un gigantesque « espace utile » où ses produits non seulement circulent librement, mais touchent aussi le bonus écologique. L’UE va-t-elle laisser faire ou va-t-elle enfin se ressaisir ? Faute de prendre les décisions qui s’imposent (droits de douane au niveau suffisant et aides d’État massives réservées à la production locale), l’Europe n’aura aucune chance de s’en sortir.

Les salariés, l’enseignement et la transition écologique paieront pour les « économies » gouvernementales

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé dimanche soir au JT de TF1 devoir trouver 10 milliards d’euros d’économies dès les prochaines semaines pour faire face à la baisse des prévisions de croissance. Le passage d’une prévision de croissance de 1,4 à 1% (au-delà de l’imprudence de l’hypothèse initiale) devrait entraîner une baisse de recettes de 6 milliards d’euros au moins. Il faut ajouter à cela les annonces récentes de dépenses supplémentaires : 400 millions d’euros pour les agriculteurs le 1er février par Gabriel Attal, une « aide exceptionnelle » de 500 millions d’euros pour soutenir les établissements de santé publics et privés et 3 milliards d’euros d’aide militaire supplémentaire pour l’Ukraine annoncés le vendredi 16 février. Voilà pour les 10 milliards à trouver, en évitant au gouvernement d’avoir recours dès le mois de février à un projet de loi de finances rectificatif (le budget a été promulgué fin décembre 2023).

On ne reviendra pas sur l’irrationalité néolibérale des gouvernements Macron qui refusent par principe d’augmenter les impôts – notre ami David Cayla l’a parfaitement expliqué dans l’entretien qu’il a accordé à La Croix. Mais il convient ici de pointer avant toute chose la fragilité dans laquelle l’État s’est trouvé du fait du choix du gouvernement de poursuivre la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) : la nouvelle étape coûtera 1 milliard d’euros en 20241… Ces recettes fiscales qui nourrissaient les budgets des collectivités territoriales doivent donc être compensées à ces dernières ; comme à chaque fois qu’il y a transfert de charges, la compensation de l’État aux collectivités est plus qu’imparfaite : cette baisse des « impôts de production » coûte donc cher à l’État, aux collectivités et aux Français, dont les impôts directs ou indirects2 financent ses nouvelles facilités offertes aux entreprises.

Or, pour respecter son engagement à redresser des finances publiques dégradées tout en refusant d’augmenter les impôts et en continuant à les baisser pour les entreprises, le gouvernement français va devoir opérer des coupes claires dans les dépenses publiques en 2024, sur fond de crainte d’une dégradation de sa notation financière. Ce nouveau serrage de vis s’ajoute aux 16 milliards d’économies pour 2024 avec la suppression du bouclier énergétique.

Quels axes d’économies ? Abaisser le budget de fonctionnement des ministères : 700 millions sur les dépenses de personnel, 742 millions sur l’aide publique au développement, 750 millions sur une baisse des achats de l’État… et transformer en annulation les gels de crédits à hauteur de 4% envisagés en loi de finances pour 2024 au titre de la réserve de précaution, dans les conditions que nous connaissons depuis juin 2022. Néanmoins, il est intéressant de voir où ces crédits initialement gelés par précaution vont ouvertement être rabotés. On en perçoit immédiatement le coût pour les salariés, les fonctionnaires (coupes sombres du côté de l’enseignement et de la recherche) et aussi très fortement une coloration anti-écologique.

Faire payer les travailleurs et l’éducation

Dans le cadre du compte personnel de formation (CPF), une participation forfaitaire équivalant à 10% du prix des formations va être demandée dès cette année aux salariés, soit 200 millions d’euros sur une dépense de 2 milliards d’euros. Thomas Cazenave, ministre délégué au budget, a aussi évoqué la une baisse de 200 millions d’euros des montants de prise en charge pour les contrats d’apprentissage. De manière concrète, le décret acte que l’accès et le retour à l’emploi perdent près de 228 millions d’euros, plus de 863 millions d’euros pour l’accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi…

Sur la fonction publique, Le Maire a esquivé toute réponse sur la revalorisation du point d’indice pour les agents de la fonction publique territoriale, mais s’est montré ferme dans sa volonté « de ne laisser aucune marge aux ministères dans le champ de la politique salariale et des dépenses de personnel [de l’État] ». Cela conduira certains ministères à ne pas mettre en place de mesures catégorielles ou bien même à devoir décaler certains recrutements. L’État central ou déconcentré étant déjà à l’os depuis près de vingt ans, l’efficacité administrative va sans aucun doute en faire à nouveau les frais.

Mais c’est surtout dans l’enseignement scolaire que les dégâts sont importants : sur 691 millions de crédits annulés sur cette ligne, c’est plus de 478 millions d’euros qui proviennent des frais de personnels. Sacrifices aussi pour la recherche et l’enseignement supérieur, avec plus de 904 millions de crédits annulés (dont 383 millions pour les Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, près de 193 millions pour la recherche spatiale et 125 millions pour la vie étudiante). Et au moment où Gabriel Attal multiplie les annonces dilatoires pour calmer le monde agricole, son gouvernement supprime près de 4 millions d’euros de frais de personnel pour l’enseignement supérieur et la recherche agricole (on n’est pas près de trouver des alternatives françaises aux pesticides).

Faire payer la transition écologique … et les pauvres

Bruno Le Maire prétendait dimanche soir avoir fait des choix de politique publique pour éviter une solution de facilité qui aurait consisté à passer le rabot sur l’ensemble des dispositifs ; en réalité, certaines politiques publiques vont faire les frais de ce coup de rabot. Là encore, les collectivités locales et la qualité de vie vont souffrir : ainsi plusieurs opérateurs travaillant directement avec les collectivités, comme l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ou l’Ademe, justement celles qui les accompagnent dans l’amélioration des conditions de vie urbaine et dans la transition écologique. La cohésion des territoires se voit amputée de plus de 736 millions d’euros, dont 300 millions sur l’aide à l’accès au logement et près de 360 millions sur l’urbanisme, les territoires et l’amélioration de l’habitat…

Le décret annule concrètement plus de 2,2 milliards d’euros prévus initialement pour l’Écologie, le développement et les mobilité durables, dont 1,3 milliard sur la ligne énergie-climat et plus de 340 millions d’euros sur les infrastructures et services de transports (les investissements dans le ferroviaire ralentiront donc).

Le dispositif MaPrimeRénov’ qui aide les particuliers à réaliser leurs travaux de rénovation énergétique ne bénéficiera plus que d’une enveloppe supplémentaire de 600 millions d’euros entre 2023 et 2024, au lieu des 1,6 milliard d’euros supplémentaires annoncés initialement. Cumulé avec la révision des règles d’élaboration du diagnostic de performance énergétique (un nombre impressionnant de « passoires thermiques » vont ainsi pouvoir rester à la location et éviter des travaux pourtant indispensables), il y aura « moins de rénovations », a asséné Cazenave dans les « 4 vérités » lundi matin sur France2.

Une autre décision aura des conséquences directes sur les projets des collectivités : celle de ramener le fonds vert de 2,5 milliards à 2,1 milliards d’euros dès 2024. Le fameux fonds créé en 2023 pour accompagner communes et intercommunalités dans la mise en œuvre de leurs projets de transition écologique sera don baissé de 430 millions d’euros, là aussi avec moins de projets à la clef.

La décision de réduire le fonds vert en 2024 semble avoir été prise très récemment, car, le 12 février encore, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, annonçait, dans un communiqué, que le fonds vert « a été renforcé à hauteur de 2,5 milliards d’euros en 2024 » (contre 2 milliards d’euros en 2023). « À partir de 2024, le fonds vert s’inscrit dans la trajectoire pluriannuelle à hauteur de 2,5 milliards d’euros par an jusqu’en 2027 », avait par ailleurs indiqué une circulaire du 28 décembre dernier.

La stratégie de gel des crédits à hauteur de 4% laissait déjà planer un doute sur la sincérité de certaines annonces en matière de politique publique, or le fonds vert est amputé de 16% (donc 4 fois plus que les gels initialement prévus pour tout le monde) : une belle illustration de la considération réelle du gouvernement pour cette politique nécessaire.

L’État met ainsi directement en péril la capacité d’investissement local, pourtant l’un des leviers les plus efficaces pour la transition écologique. Alors que la planification écologique a entamé sa déclinaison territoriale, il fallait au contraire garantir aux collectivités des ressources pérennes pour investir et porter des projets de transition structurants. Leur retirer des ressources pourtant annoncées en 2024 est un signal déstabilisateur pour les investissements pour l’adaptation climatique.

Les premiers à en payer les conséquences seront sans doute les plus modestes : que ce soit dans la nouvelle série de contrats de ville pour 2024-2027 (qui perdent au passage 49 millions d’euros) ou pour le Pacte des solidarités (nouveau nom du plan de lutte contre la pauvreté), il était prévu que, sous le label de la « transition juste », les actions de transition écologique dans les quartiers prioritaires de la ville et en direction des ménages pauvres (sur tout type de territoires) soient enfin initiées : elles devraient logiquement en frais les frais les premières. Les classes populaires et les plus pauvres peuvent faire une croix sur toute perspective d’amélioration de leur confort et d’allègement de leur facture d’énergie.

On n’est pas au bout de nos peines

Le décret d’annulation de ces 10 milliards d’euros de crédit est paru dans la nuit du 21 au 22 février3, et un projet de loi de finances rectificative pourrait suivre éventuellement cet été. Mais Bruno Le Maire a d’ores et déjà prévenu : les efforts devront se poursuivre en 2025, avec une revue des dépenses qui devra aboutir à « au moins 12 milliards d’euros » d’économies.

Oui il faudra continuer de payer pour le confort du capital… Ne changeons rien surtout !

1 qui s’ajoutent aux 7 milliards d’euros perdus par an depuis 2021 au titre des premières coupes dans la CVAE.

2 n’oublions pas que la TVA représente 37,5 % des recettes fiscales brutes de l’État et qu’elle pèse particulièrement lourd dans le budget de nos compatriotes les plus modestes, dits « non imposables ».

3 Vous trouverez tout en détail ici : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049180270

COP 28 : Assez d’hypocrisie et de débat sur les mots, il faut des solutions !

La majorité des participants à la COP 28 de Dubaï et les médias internationaux saluent, ce 13 décembre 2023, ce qu’ils présentent comme un “accord historique”.

En effet, le texte de compromis encourage les participants à une “transition hors des énergies fossiles“. On peut considérer que c’est une avancée puisque la COP de Glasgow en 2021 avait échoué à l’intégrer et n’appelait qu’à la sortie du seul charbon.

Cependant, la Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa forte réserve sur ce type d’événements, qui s’apparentent de plus en plus à des foires mondiales où se négocient autant de contrats commerciaux que d’avancées pour la planète. Le tout dans un cadre où règnent les lobbies et où les lieux de réunions sur-climatisés sont distants de 20 km et reliés par des autoroutes à 8 voix…

Mais surtout, les conclusions des COP ne sont jamais contraignantes. Le monde doit compter sur la “bonne volonté” des États. Cette absence de caractère contraignant des engagements pris par les États lors des COP est illustrée de la pire des manières par la stagnation du du fonds pour les États victimes du réchauffement climatique créé par la COP 27… Alors qu’il s’agit des populations entières, les annonces se font rares : on ne peut plus se contenter des bonnes volontés.

L’hypocrisie est d’autant plus forte que les parties s’engagent à la “transition hors des énergies fossiles” tout en misant sur le recours au méthane (un gaz 30 fois plus réchauffant que le CO2) et la « captation du carbone », précisément pour compenser… l’augmentation de la consommation des énergies fossiles (+2 % par an).

Il faut être clair : la lutte contre le changement climatique et pour la survie de nos sociétés ne peut pas se contenter de ces « solutions ». Nous ne pourrons pas limiter le réchauffement climatique à +1,5c° sans diminuer la consommation des énergies fossiles. Pas « limiter », ni « stabiliser » : diminuer ! Pour atteindre les objectifs que les COP se sont fixées pour 2030, cette diminution devrait dès à présent dépasser les 7% par an !

Nous appelons les dirigeants des États à sortir de l’hypocrisie. Nous appelons en particulier les dirigeants européens et américains, et au-delà tous les chefs d’État des pays développés, à cesser de chercher des compromis sur les mots, qui ne font que ménager les intérêts des multinationales. Nous appelons ces États à sortir de toute urgence de la religion du libre échange qui alimente plus que jamais la catastrophe climatique à venir.

Nous ne pouvons plus nous payer de mots ; nous avons besoin de SOLUTIONS.

La sortie des énergies fossiles est une nécessité vitale. Elle implique une révolution de notre appareil productif et une transition énergétique radicale. Il va nous falloir adapter nos sociétés dans leur ensemble, c’est-à-dire toutes nos entreprises pour qu’elles puissent se passer d’ici 15 ans du charbon, du pétrole et du gaz. Les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire font partie de la solution.

Le temps fuit devant nous : il faut s’y mettre dès maintenant.

Une COP climatisée, pour quoi faire ?

Après une année de records de températures et de catastrophes climatiques dans le monde entier, la COP28 rassemble à Dubaï (Emirats Arabes Unis) les signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, soit 197 Etats et l’Union européenne.

5 objectifs ont été retenus pour cette édition :

  1. Établir un premier bilan de l’accord de Paris. Les émissions mondiales ne suivent pas les trajectoires d’atténuation compatibles avec l’objectif de température qui avait été fixé (+1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle ). Or les engagements actuels pays par pays ne mènent qu’à 2% de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des… 43% préconisé ! Si ces ambitions ne sont pas revues, le réchauffement global sera d’au moins +2,9°C d’ici 2100. Quel message politique la COP28 va-t-elle réussir à envoyer afin que tout le monde, en 2024, prépare sérieusement de nouveaux engagements ? pour limiter le réchauffement climatique et alors que “Chaque fraction de seconde compte. Un monde à +2°C est très, très différent d’un monde à +1,5°C”, nous dit le GIEC.
  2. Afficher des objectifs clairs sur l’énergie : triplement des énergies renouvelables, doublement de l’amélioration de l’efficacité énergétique (c’est-à-dire le rendement lors de la consommation finale) et sortie de notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz), responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre. Progresser sur ce 3ème point à Dubaï semble d’autant plus illusoire que le président de la COP, ministre des Etats Arabe Unis, projette des accords bilatéraux sur le développement des énergies fossiles avec nombre d’États participants… Les ONG résument ainsi la problématique : choisir un tel président pour la COP est “une dissonance cognitive énorme, comme si on mettait un cigarettier à la tête de l’OMS”
  3. Impliquer le secteur pétrolier dans la transition pour organiser la nécessaire sortie des énergies fossiles et développer des solutions de captage et stockage de carbone, qui ne doivent pas cependant justifier l’extension de la production de combustibles fossiles au lieu de privilégier les alternatives (GIEC). Le captage de carbone ressemble par ailleurs à l’exemple même de la diversion : le site de Fujeirah mis en avant par les Emirats Arabes Unis, alimenté par l’énergie solaire et présenté comme le dispositif le plus puissant de la planète en la matière, arrive tout juste à traiter 1% des émissions de carbone de l’exploitation, il ne permet donc en rien de compenser la volonté des Emirats d’accroître leurs capacités de production d’énergie fossile.
  4. Organiser le fonds pour les pertes et dommages des pays victimes de désastres climatiques, dont la mise n place se fait attendre. Qui doit payer : les pays développés, responsables historiques du réchauffement, ou bien aussi la Chine et les pays du Golfe ? Qui seront les bénéficiaires : les pays en développement, Chine comprise (elle conserve en effet ce statut dans les instances mondiales), ou seulement les “plus vulnérables” ? Où installer ce fonds ? Au sein de la Banque mondiale, accusée d’être aux mains des Occidentaux, ou dans une structure indépendante mais dont la mise en place prendra du temps ?
  5. Débloquer les financements promis, sachant que les 100 milliards de dollars d’aide annuelle promis en 2009 par les pays riches ne sont pas atteints (83 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de 2020 fournis par l’OCDE). il va falloir se décider sur la suite. Combien ? Pour englober quoi ? La finance privée devra elle aussi prendre toute sa part. Autre enveloppe défaillante : la promesse de la COP de Glasgow en 2021 d’atteindre 40 milliards d’euros par an pour l’adaptation au changement climatique.

On constate donc à quel point la COP 28 organisée par les Emirats Arabes Unis est pétrie d’injonctions contradictoires… Rien d’étonnant à cela puisque le cadre capitaliste et financiarisé de la globalisation n’est jamais interrogé. Rappelons que l’extension des échanges commerciaux compte pour 25% des augmentations d’émissions de gaz à effet de serre. Au-delà des actions immédiates pour réduire l’empreinte carbone de la production énergétique ou des transports, nous ne réussirons pas sans changer de modèle de développement, de commerce et de consommation.

Alain Fabre, Marie-Noëlle Lienemann, Laurent Miermont et Frédéric Faravel

La question fondamentale, c’est “Où on produit ? Qu’est-ce qu’on produit et que veut-on produire ?”

Vendredi 25 août, Emmanuel Maurel participait au débat organisé à Blois pour les universités d’été du Parti Socialiste « Climat, fins de mois, mêmes combats ? ».

L’occasion de rappeler que, pour agir de pair pour la Justice sociale et la transition écologique, il était indispensable de travailler à son acceptabilité sociale pour faire reculer les forces du « grand refus » qui marquent aujourd’hui des points…

Et surtout la nécessité d’agir sur nos modes de production, nos conditions de production contre le libre-échange morbide du capitalisme et le choix de ce que l’on veut produire. Une source de combats communs essentiels pour la gauche française, si elle le veut.

Les autres participants au débat étaient Sébastien Vincini, Sophie Taillé-Polian, Elsa Faucillon, Benoît Hamon, Marie Toussaint et Aurélie Trouvé ; il était animé par Chloé Ridel.

« Tant d’autres choses encore » là tu me surprends un peu quand même. Bon, c’est « vendredi confessions », c’est comme les alcooliques anonymes : « oui j’ai longtemps été militant socialiste », comme Benoît [Hamon] « ça fait longtemps que je n’ai pas parlé devant les socialistes, je suis très ému » et en plus c’est vrai.

C’est un sujet qui est absolument passionnant et qui devrait faire la Une de l’actualité aujourd’hui.

On peut regretter d’ailleurs, puisqu’on parlait du rapport de la gauche et des classes populaires, on peut regretter que parfois la gauche ait un peu trop tendance à se regarder le nombril et à s’interroger sur des sujets un peu secondaires voire picrocholins, plutôt que parler de ce qui aujourd’hui interpelle et inquiète les Français, c’est-à-dire l’inflation, la rentrée scolaire qui s’annonce mal et bien sûr la guerre, les questions écologiques auxquelles ce débat est consacré.

Moi je pense qu’on est tous – et je crois que ça a été dit par Aurélie [Trouvé, députée LFI] –, on est tous aujourd’hui à peu près d’accord sur le « logiciel écosocialiste ». On pense qu’il ne faut pas séparer le combat social du combat écologique, on pense qu’en effet les pauvres sont les plus concernés par la pollution, et donc nécessairement la transition écologique s’accompagne de mesures sociales.

J’ai même envie de dire qu’on est tous d’accord, les socialistes compris – surtout quand ils sont dans l’opposition – pour dire qu’on se mobilise contre l’extension de la société de marché qui a une logique de prédation, une logique d’exploitation, une logique d’hyper consommation qui révèlent la nature profondément morbide du capitalisme. ça on est tous d’accord.

Et donc on est tous d’accord forcément sur le fait que si on fait la transition écologique ça ne peut pas aller à l’encontre de la justice sociale.

Est-ce que majoritairement dans le pays on est d’accord là-dessus ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr pour plein de raisons.

D’abord il y a – Benoît y a fait allusion dès le début – il y a les forces du « grand refus ». C’est-à-dire les gens qui, contre le réel, continuent à affirmer que ça peut continuer comme aujourd’hui et qu’on peut continuer à vivre comme aujourd’hui – tu parlais de Trump mais Trump c’est la version exacerbée de ce phénomène – mais c’est George Bush, dès la conférence de Rio, qui avait dit cette phrase qui a été reprise après par les différents présidents républicains, “notre mode de vie n’est pas négociable”. Si tout le monde vivait comme les États-Unis ça ferait 5 planètes, mais « ce n’est pas négociable ». Et donc on a en face de nous des gens qui sont dans un déni de réalité assez stupéfiant. Et pourtant, ils marquent des points !

Je ne vous parle même pas du délire climato-sceptique qui a envahi les réseaux sociaux depuis quelques mois maintenant, mais ils marquent des points avec leurs épigones européens. Regardez le programme de l’AFD en Allemagne, l’extrême-droite allemande, elle reprend exactement le programme de Trump, avec la négation totale de la question écologique et le refus des politiques européennes en la matière.

Mais c’est le cas aussi du FN. On n’a pas parlé du RN depuis tout à l’heure mais ils ont, il y a trois jours, fait une conférence de presse sur ce qu’ils appellent « l’écologie du bon sens ». Il n’y avait pas beaucoup d’écologie et encore moins de bon sens. Mais, n’empêche, eux, ils ont bien vu qu’il y avait un sillon à marquer et ils ne vont pas nous lâcher là-dessus et c’est pour ça que l’adversité elle est quand même forte.

Et elle est forte d’autant plus qu’il y a parfois, y compris dans les classes populaires, même si ce qu’a dit Elsa Faucillon [députée PCF] à l’instant est très important. D’ailleurs ça me faisait penser à une ministre macroniste qui avait dit « les pauvres, ils sont dans la sobriété subie ». C’est nier complètement la conscience politique des pauvres et toute façon c’est bien ils étaient déjà dans un mode de vie écolo parce que de toute façon ils n’avaient pas le choix. Non évidemment ce n’est pas le cas.

Mais je reviens sur ce qu’a dit très fortement Sébastien [Vincini, président PS du Conseil départemental de Haute-Garonne] parce que c’est important. Il y a eu des moments, on va dire, de perception un peu décalée. Par exemple au moment de la taxe carbone on a eu beaucoup de gens – et c’est la naissance du mouvement des « Gilets Jaunes » – qui étaient en désaccord avec la façon dont c’était fait et la façon dont c’était présenté.

De la même façon, sur les ZFE [Zones à Faibles Émissions] c’est un sujet qu’on devra affronter et que les élus affrontent dès maintenant.

Je vois par exemple en Île-de-France, il y a une perception, un ressentiment de certains habitants de Grande banlieue, qui n’ont pas d’autre choix que prendre leur voiture au diesel et qui ont l’impression qu’ils vont être sanctionnés pour ça.

Et ça il faut le prendre en compte, parce que dans le livre de Bruno Latour, auquel vous faites allusion qui est en effet un livre passionnant, il parle quand même de ça. Il dit qu’il faut prendre en compte ce ressentiment, ces appréhensions, parce que l’acceptabilité sociale des politiques écologiques c’est fondamental. C’est très important.

Il y a une deuxième chose – Elsa faisait référence à « l’imaginaire » – et en effet, lors de sa campagne présidentielle, Benoît Hamon avait dit « on élabore ensemble un imaginaire puissant pour un futur désirable. » Je sais pas si tu te souviens, Benoît … tu t’en souviens sûrement ! Mais c’était très juste ! Sauf qu’on a en face de nous aussi un imaginaire très puissant, ce n’est pas seulement l’imaginaire droitier auquel il était fait allusion, c’est l’imaginaire de la société de consommation, les grosses bagnoles, la « fast fashion », la mode pas chère, les posts sur Instagram – je rappelle que tous ceux qui postent sur Instagram des photos de bouffe, ça consomme l’équivalent de deux centrales nucléaires par an !

Donc tout ça, c’est l’imaginaire de la société d’hyper consommation capitaliste, c’est pas toujours facile à affronter.

Donc moi je pense, parce que le futur désirable c’est une société sobre et décente, on a un gros boulot de bataille culturelle. C’est assez facile de s’attaquer au mode de vie des riches, parce que ça, évidemment, c’est tellement caricatural, arrogant, mais pour d’autres choses à mon avis c’est plus dur.

Consommer autrement, mais aussi produire autrement !

Moi, c’est ça dont je voulais parler aujourd’hui, parce que la question pour moi qui est fondamentale : c’est où on produit et qu’est-ce qu’on produit, qu’est-ce qu’on veut produire !

Et là, j’en viens à l’Europe parce que c’est un bon exemple…

En Europe, on vote – dans l’allégresse et dans l’enthousiasme – plein de textes pour « écologiser » les politiques européennes : le Green New Deal, le Net Zero Industry… Sylvie Guillaume [eurodéputée PS] est là … il y en a plein d’autres, tu pourrais m’aider toi [Marie Toussaint, eurodéputée EELV] parce que tu les connais tous… On vote tout ça et on se félicite parce qu’il y a une diminution des gaz à effet de serre depuis quelques années. Et on dit « l’objectif c’est moins 55%, c’est formidable on va y arriver ».

Sauf que pourquoi il y a une baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe ? C’est parce qu’on les a totalement délocalisées ! Le symbole de la mondialisation c’est le porte-containers ou le camion. C’est-à-dire qu’en fait on a exporté notre pollution, et ça continue !

Parce que c’est ça le problème, cette hypocrisie que je veux dénoncer : ça continue !

Je vais donner 3 exemples.

Premier exemple du « ça continue », on vote le Green New Deal. On dit « l’Europe va être un continent vertueux au niveau écologique », on s’adresse aux classes populaires « vous allez voir ce que vous allez voir en termes de production et de consommation », et en même temps on est en train de négocier, voire de voter – et j’attends de voir, là pour le coup ça peut être un combat commun pour la gauche française, là c’en est un –, en même temps on va voter un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ! On a un pays qui est à près de 20 000 bornes de l’Europe mais on veut importer toujours davantage – quoi ? – de l’agneau et du lait ! Je m’excuse mais, ça, c’est le symbole de l’absurdité libre-échangiste du système capitaliste.

Ça c’est la première chose.

Je veux donner un deuxième exemple : on est super content parce qu’en Europe on a de plus en plus de photovoltaïque… sauf qu’on a pris du retard et 90% des panneaux photovoltaïques ce sont des panneaux chinois. Pourquoi ? parce qu’au nom de la « concurrence libre et non faussée », on n’avait pas mis de barrières douanières à l’entrée ! Résultat : l’industrie européenne du photovoltaïque s’est cassée la gueule et maintenant il n’y a que du photovoltaïque chinois. Et c’est quoi le photovoltaïque chinois ? C’est construit avec des centrales électriques à charbon, avec une empreinte carbone 50% de plus qu’un produit européen ! Là aussi on marche sur la tête.

Voilà un combat européen : on veut du photovoltaïque européen ! On veut des batteries européennes, parce que là c’est pareil, je vous l’annonce, les voitures électriques c’est super on a voté dans 10 ans on passe tous aux voitures électriques. Mais s’il n’y a pas de barrières douanières et si on ne met pas de subventions publiques puissantes pour aider les entreprises européennes, alors ça sera 100% chinois ! et pour les classes populaires, ça sera plus de chômage et ça sera des produits fabriqués dans des conditions déplorables et dégueulasses.

Voilà encore un combat commun qu’on peut mener tous, à gauche, pour justement allier combat social et combat écologique.

Dernier point et je finis là-dessus, parce que ça c’est l’actualité.

L’inflation des prix alimentaires et de l’énergie, ça vient d’un truc tellement fou, qui s’appelle le marché de l’électricité européen. Le marché de l’électricité européen quand il a été fait, il y a plusieurs décennies, on a dit « on a une super idée » – enfin ce sont surtout les Allemands qui avait la super idée – on va indexer le prix de l’électricité … sur quoi ? Sur le gaz !

Il se trouve que vous connaissez la situation : le prix du gaz explose et l’Europe n’est toujours pas capable de dire « on s’est peut-être trompé ». D’abord, l’électricité ce n’est pas forcément un marché : au nom de l’ouverture à la concurrence, on a pété EDF et on a créé des concurrents totalement fantoches qui ne produisent rien ! Mais, par contre, qui achètent de l’électricité à prix coûtant à EDF et donc ça pose des problèmes à la boîte !

Et puis surtout, la situation c’est qu’aujourd’hui on achète du gaz américain et du gaz qatari, qui coûtent 4 fois plus cher que ce que coûtait le gaz auparavant et qui, en plus, ont une empreinte carbone 2 fois plus importante.

Alors si on veut des combats à mener en Europe, au niveau de la gauche, moi je suis d’accord : Made in Europe, Made in France, sortie du marché européen de l’électricité !… Bref il y a plein de choses à faire pour concilier la justice sociale et les questions écologiques, mais il faut qu’on se bouge !

L’impasse écologique de l’extrême droite

Le mois de juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre ; le lundi 21 août a été le jour le plus chaud enregistré en France après le 15 août et les jours qui suivent battent de nouveaux records.

Et pour l’avenir, le dérèglement climatique étant à l’œuvre, rien de bon n’est attendu si nous ne changeons rien.

Salima Benhamou et Jean Flamand, économistes à France Stratégie, ont écrit ces jours-ci, parmi tant d’autres plumes, « Les vagues de chaleur seront encore plus intenses et plus longues, le niveau marin va augmenter, les conditions propices aux feux de forêt vont s’étendre et la sécheresse des sols concernera la quasi-totalité du territoire ».

C’est dans le creux de cette chaude torpeur estivale que l’extrême droite avance des propositions assassines en fidèle valet du capitalisme financier mondialisé qu’elle est. La négation des données scientifiques du GIEC, pourtant largement confirmées par toutes les analyses scientifiques, ou leur relativisation « ils ont tendance parfois à exagérer », histoire de faire accepter le climato-scepticisme du RN, révèle un confusionnisme volontaire et grave, car il fait le nid de l’irrationnel qui se développe, hélas, en période de crise. C’est au contraire la pensée rationnelle qui devraient être mise en avant pour élaborer et mettre en débat des choix politiques démocratiques et éclairés.

« L’écologie du bon sens » devient dans sa bouche la version vulgaire du précepte du Prince de Salina dans Le Guépard : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ». Aussi, le RN prétend-il s’appuyer sur deux leviers pour lutter contre l’évidence.

1- Faire croire que seule la technologie suffira

Alors même que le récent rapport de l’Académie de Technologie souligne que cette voie ne suffira pas – que ce soit par le déploiement des éoliennes, des panneaux solaires, des nouveaux réacteurs nucléaires ou encore des systèmes de captage de CO2, voire de la production d’hydrogène vert, le RN se singularise par son refus de la plupart des solutions, comme le développement de la voiture électrique ou l’implantation d’éoliennes. Il faudra pour répondre au défi du changement climatique mener d’autres politiques, même si à l’évidence, une profonde décarbonation de notre mix énergétique est essentielle.

À la fin des mises à l’écart du RN, il ne reste que de la poudre de perlimpinpin avec de vagues espoirs formulés sans solutions pratiques réelles sur la réglementation de l’usage de l’eau et des énergies, la maîtrise des catastrophes naturelles ou un nucléaire sobre en eau (quelles que soient les recherches effectivement en cours dans ce domaine) qui de toute façon n’ont absolument rien d’opérationnel actuellement.

2- L’agrarisme

C’est une vision fantasmée de la ruralité française héritée du XIXème siècle, largement reprise lors de la « Révolution nationale » du régime de Vichy et sa « Terre qui ne ment pas ». Ce fantasme vise à caresser les colères et frustrations du monde rural et périurbain, qu’il ne faut évidemment pas négliger. Le RN insiste sur une fracture européenne espérant ainsi encore élargir sa base électorale tout comme la dernière forme de l’extrême droite agrarienne néerlandaise (BBB) ou le parti espagnol (Vox).

Rêvant de paysages ruraux immuables, le RN oublie le vide de la disparition progressive et silencieuse de la biodiversité ainsi que celle des bois et des haies changeant la gestion de l’eau agricole, l’impact des pesticides dont ils soutiennent la plupart du temps l’usage, l’extrême pauvreté de la majorité des agriculteurs, l’urbanisation mal maîtrisée réduisant les terres agricoles qu’ils disent paradoxalement défendre allant même jusqu’à voter, au Parlement européen, contre un texte dit du « retour à la nature ».


Dans sa logique libertarienne (refus de toute mesure contraignante et relativisme contre « l’alarmisme » du GIEC), le RN se refuse à toute redistribution des richesses et à la taxation de plus riches et des plus gros pollueurs pour dégager les moyens qui permettraient de financer la transition écologique et son accompagnement. Or cette adaptation de nos société pour être efficace et lutter contre l’aggravation du changement climatique nécessitera évidemment des investissements publics massifs. Et sans financement conséquent, il n’y aura pas non plus de compensation pour les plus modestes de nos concitoyens qui pourraient être affectés par des changements nécessaires. Se faisant, avec son discours prétendument protecteur, le RN tourne en réalité le dos à la protection des biens et des personnes.

En opposition frontale au discours résigné de l’extrême droite, nous, républicains de gauche, affirmons que c’est maintenant qu’il faut agir, développer des plans massifs d’investissements publics et reconstruire un mode de développement qui permettent tout à la fois l’épanouissement des sociétés humaines, la justice sociale et la préservation de l’environnement. Il est temps de construire un nouveau pacte républicain assurant une transition écologique progressiste.

Alain Fabre-Pujol, Marie-Noëlle Lienemann et Frédéric Faravel

Un plan “sobriété raisonnable” – “Votre instant politique” sur France Info, mardi 20 juin 2023

David Cayla, maître de conférences en économie à l’université d’Angers et membre des Economistes atterrés, participait mardi 20 juin 2023 à 19h à l’émission “Votre Instant politique” sur le plateau de France Info TV, animée par Gilles Bornstein.

Aux côté de Bruno Millienne (député MoDem des Yvelines), Catherine Tricot (directrice de Regards), Arnaud Stéphan (communicant, ancien conseiller de Marine Le Pen lors de la présidentielle), il débattu du concept macronien de “sobriété raisonnable” et des limites de la stratégie climat du gouvernement.

Nous partageons son point de vue : “Ça ne veut absolument rien dire. La sobriété, par définition, c’est raisonnable.”

En réalité, cette nouvelle petite phrase élyséenne illustre l’impuissance d’Emmanuel Macron : “raisonnable” traduit dans les faits l’idée d’atténuer, donc de ne proposer qu’une forme de sobriété faible, essentiellement exigée des citoyens et non du capital ou des institutions … bref, pas de sobriété du tout et une logique toujours plus inégalitaire.

« La transition écologique impose des choix cohérents au service d’un projet d’émancipation »

L’écologie n’a de sens que si elle s’inscrit dans une perspective philosophique et politique récusant aussi bien l’idéologie de la compétition que le conservatisme xénophobe, souligne, dans une tribune au « Monde », Gaëtan Gorce, membre de la Gauche républicaine et socialiste.

De tribunes en appels variés, il n’est plus question, comme issue à la crise que nous traversons, que de transition et d’investissement écologiques !

Mais si tout le monde semble s’accorder sur l’objectif, c’est qu’il repose sur une ambiguïté qu’il serait sage de lever. L’écologie n’est pas un programme en soi. Elle impose de faire des choix cohérents en matière sociale, économique, fiscale et ne peut donc avoir de sens qu’inscrite dans une perspective plus large, politique et anthropologique.

Face aux dérives toujours possibles, y compris autoritaires, d’une nouvelle « morale écologiste », c’est d’abord une conception philosophique de l’homme qu’il convient de remettre en avant : une conception qui fait de l’individu un être social, certes autonome mais constitué des relations qu’il entretient avec le monde dans lequel il vit ;

une philosophie, celle de l’émancipation collective qui considère l’humanité comme un écosystème, caractérisé par des liens d’interdépendance qui, de contraints, doivent devenir librement consentis. Et dans laquelle l’exigence écologique trouve « naturellement » sa place. Se fixer cette exigence permet de refonder à la base le combat à mener : à la fois contre une idéologie néolibérale revendiquant pour l’individu une liberté d’action totale et contre un conservatisme xénophobe qui partage cette vision compétitive, mais la transpose à l’échelle de groupes humains fermés sur leur identité.

Un pacte social

Elle conduit à renouer avec les deux grandes sources d’inspiration que furent pour la gauche les théories de la liberté sociale et du solidarisme, qui restent d’une formidable actualité. La première va au-delà d’une conception matérielle et jugée égoïste de la liberté. Aussi refuse-t-elle d’en séparer la définition de celle de la fraternité. La liberté n’est pas la juxtaposition d’intérêts et d’initiatives individuels dont la confrontation finit par détruire la société. Elle est la possibilité de s’accomplir par le plein exercice de ses facultés, qui ne peut s’obtenir par la concurrence qui mutile mais se réalise au contraire par la coopération qui enrichit la ressource commune dans laquelle chacun peut alors puiser plus largement.

Ce qui suppose que l’autre ne soit pas vu simplement comme un partenaire de l’échange marchand, mais comme un égal.

Le philosophe, homme politique et éditeur Pierre Leroux (1797-1871) s’est, parmi d’autres, fait le porte-parole de cette idée d’une véritable communauté sociale, condition et moyen de la liberté individuelle.

Le « solidarisme », formalisé par le Prix Nobel de la paix Léon Bourgeois (1851-1925), la complète : prenant acte que l’individu n’existe pas sans la société, il fonde positivement la morale et le droit sur ce fait social incontestable qu’est la solidarité, c’est-à-dire l’imbrication des fonctions. Il en déduit la dette dont chaque membre de la société serait redevable. De ce qu’il ne peut rien accomplir sans les autres, l’homme doit s’acquitter par son engagement à leur service, au prorata des avantages reçus. Le développement de sa liberté, son épanouissement, liés à ses qualités propres, se réaliseront d’autant mieux que la société sera plus solidaire, c’est-à-dire plus riche de la conjonction des efforts de tous.

C’est la perspective d’une égalité fondatrice et croissante qui doit guider l’action politique, poussant au progrès continu de la solidarité

Ces deux cadres théoriques, qui ont servi de fondement tant à l’impôt progressif qu’aux premières assurances sociales, amènent à une conclusion commune : il n’y a pas lieu d’opposer l’individu à la société, l’une étant créée par l’autre, pas plus que la liberté à la solidarité, chacune contribuant à l’affirmation de l’autre. Leur développement ne peut être que concomitant. On voit bien alors en quoi cette approche nous aide à préciser le projet de la gauche et à y intégrer l’écologie.

Le « solidarisme » repose sur une conception du pacte social susceptible de servir de support à un réformisme offensif. Il imagine en effet ce pacte comme un contrat de fait, dont les clauses devraient être proches de celles que les hommes auraient consenties s’ils avaient pu en délibérer à l’origine. Le principe d’égalité ne les aurait en effet conduits à donner leur accord qu’en contrepartie d’avantages jugés équivalents par et pour tous. C’est cette perspective d’une égalité fondatrice et croissante qui doit donc guider l’action politique, poussant au progrès continu de la solidarité.

« Un fonds commun » inaliénable

Le solidarisme invite ensuite à considérer que la dette dont l’homme est débiteur vaut aussi bien pour l’avenir que pour le passé. La seule façon qu’il ait de remercier ses donateurs est d’agir de la même façon à l’égard de ses descendants, tous étant ses semblables dotés par conséquent des mêmes droits. Il lui incombe donc d’entretenir mais aussi d’enrichir le legs qui lui est fait et dans lequel il est aisé – et logique – d’introduire « la nature ».

Le patrimoine dont il jouit et qu’il lui revient de transmettre est en effet aussi bien matériel qu’immatériel, naturel que social. Il constitue « un trésor ou un fonds commun » inaliénable, non privatisable, universellement accessible, anticipant les notions de patrimoine commun de l’humanité ou de biens publics mondiaux. Il en découle une règle pour l’action : préserver, réparer ou enrichir ce patrimoine par des politiques appropriées.

Cette analyse, séculaire, est aujourd’hui confortée par l’évolution des sciences, notamment la biologie qui fait de tout être vivant non une substance mais une symbiose, non un état mais un devenir. Toutes nous confirment que nous sommes physiquement et psychologiquement le produit d’interactions : notre mode d’existence est donc foncièrement écologique. L’économie ne peut prétendre en fournir la finalité profonde qu’il appartient à la communauté humaine de définir en élargissant sa responsabilité à toutes les dimensions de vie sur terre. Dès lors, l’enjeu est bien de construire sur ces bases la société comme une société de coopération qui pense l’humain en relation avec ce qui le fait vivre. Au rebours d’une vision réactionnaire subordonnant la vie sociale au respect des lois naturelles, il s’agit bien là d’articuler le politique, l’économique, le social et l’environnemental au service d’un projet d’émancipation.

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