Quelle ambition européenne pour la défense ?

Le mardi 18 mars 2025 était publié le très attendu livre blanc de la commission européenne sur la défense qui doit servir à alimenter les réflexions des 27 chefs d’État et de gouvernement. Parmi les principaux thèmes de ce rapport : l’émergence d’une véritable défense européenne, son financement, mais aussi une forme de « patriotisme économique », à savoir faire en sorte que l’argent européen mis sur la table serve à acheter des armes européennes, elles aussi.

Qui, parmi les Européens, achète européen ?

Le plus gros importateur d’armes aujourd’hui au sein de l’Union, c’est la Pologne : elle se fournit pour 87% de ses achats aux États-Unis et en Corée du Sud. Pour les Pays-Bas, deuxième importateur au sein de l’Union, ou pour l’Italie, c’est encore plus spectaculaire : les États-Unis représentent respectivement 97 et 94% de leurs achats d’armes.

D’autres pays sont au contraire plus équilibrés dans leurs sources d’approvisionnement, plus Européens aussi, comme la Grèce pour qui le plus gros fournisseur d’armes à hauteur des deux tiers de ses achats est la France, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne.

L’Union européenne peut-elle imposer aux États membres d’acheter européens ?

Non. Dans les traités européens, la défense n’est pas reconnue comme une compétence communautaire, ni exclusive (heureusement), ni même partagée avec les États membres. C’est donc à ces derniers de s’entendre politiquement, sur un périmètre qui ne sera ni toute l’Union Européenne (la Hongrie ou la Slovaquie se comportent aujourd’hui plutôt comme des alliés du Kremlin) ni la seule Union Européenne, car la Grande Bretagne et la Norvège ne sont pas des partenaires à négliger.

Mais la Commission peut mettre à leur disposition des outils, comme cela avait été fait après la crise sanitaire de 2020, lorsqu’il s’était agi d’acheter des vaccins en commun. L’idée d’une centrale d’achat européenne est revenue avec force ces dernières semaines. Il s’agirait d’un cadre commun dans lequel les États européens pourraient, à plusieurs, peser davantage dans les négociations avec les industriels de l’armement pour faire baisser les coûts, quitte à ce que la commission européenne abonde pour diminuer la charge budgétaire des États membres lorsqu’ils achètent européens. Les achats groupés figuraient bien dans les conclusions du dernier conseil, il y a deux semaines, mais sans préciser si ces achats devaient être prioritairement européens.

Enjeu industriel

Pour acheter européen, encore faut-il que le secteur européen de l’armement puisse suivre. Le tissu industriel de défense a des lacunes en Europe sur des équipements précis comme les drones, par exemple, ou les systèmes de défense anti-drones. C’est pour cela que certains pays comme la Pologne ou l’Allemagne plaident pour maintenir des achats hors Union européenne pour les équipements les plus urgents. Une première liste a été définie début mars incluant des systèmes d’artillerie de longue portée ou encore de défense aérienne. On pourrait pourtant penser que cet écueil puisse être rapidement dépassé pour certains matériels, mais nos voisins européens ont été habitués si longtemps à ne pas avoir d’effort à faire pour obtenir de la seconde main américaine, que le changement de dispositif n’a rien d’automatique.

On a vu à quel point il pouvait être compliqué de construire de véritables programmes d’armement européens. Dernier exemple en date, avec le SCAF, le système de combat aérien du futur porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, une alliance industrielle qui ne va pas de soi en matière de défense.

Structurés en 2017, les programmes SCAF et MGCS représentaient alors les deux principaux piliers d’une initiative franco-allemande voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour engager l’Europe sur une trajectoire plus autonome en matière de défense, avec en son cœur, les deux principales économies et puissances démographiques de l’Union Européenne. Depuis, l’enthousiasme initial a fait place à une défiance croissante, sinon des autorités, du moins d’une partie de l’opinion publique, des industriels et même des militaires, et ce, de part et d’autres du Rhin. Les difficultés se sont multipliées, amenant chacun de ces programmes au bord de l’implosion. Paris et Berlin s’étaient entendus en 2019 sur un partage des tâches à 50%-50% entre Dassault, désigné maître d’œuvre en raison de son expertise, et Airbus, qui représentait à l’époque la seule partie allemande. Mais les négociations ont été rouvertes après l’arrivée de Madrid et de nouvelles exigences de Berlin, les discussions portant notamment sur le partage du travail et les droits de propriété intellectuelle, alors que les trois pays doivent s’entendre sur le financement d’un démonstrateur de l’appareil destiné à remplacer le Rafale à l’horizon 2040. En dépit d’une trajectoire désormais plus sécurisée, sans être toutefois garantie, suite à une vigoureuse intervention des instances politiques des pays participants, de nombreuses interrogations subsistent dans le débat public autour de ces programmes. Un rapport de janvier 2024, émanant de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, va certainement venir encore accroître les inquiétudes les entourant.

Le volet des offres s’annonce au moins aussi compliqué que celui de la demande, pour lequel des financements et des aides européennes sont et seront encore débloqués dans les mois à venir.

Frédéric Faravel

Protéger l’Europe et soutenir l’Ukraine ne justifie pas d’accélérer son adhésion à l’UE !

communiqué de presse d’Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste – mercredi 12 mars 2025

Je me suis abstenu sur la résolution débattue ce jour à l’Assemblée nationale pour renforcer notre soutien à l’Ukraine. 

La guerre déclenchée il y a trois ans par les armées de Vladimir Poutine a semé la mort et la destruction dans un pays qui n’aspire qu’à la liberté, la démocratie et l’indépendance.

La France a raison d’entreprendre une action résolue en faveur d’une paix juste et durable en Ukraine, assortie de garanties de sécurité suffisantes pour dissuader la Russie de jamais reprendre les hostilités.

A cet égard, la proposition conjointe des États-Unis et de l’Ukraine pour un cessez-le-feu est un pas dans la bonne direction. A présent, la balle est dans le camp de la Russie.

Mais la sécurité collective du continent européen nécessitera des efforts au long cours de la part des pays européens et de la France, dans le strict respect de son pacte social.

Nos compatriotes rejettent l’impérialisme meurtrier du Kremlin et souhaitent que l’Union européenne, enfin émancipée de la tutelle américaine, soit forte contre cette menace.

Mais ils ne souscrivent pas à l’idée que pour ce faire, l’Ukraine doive adhérer à l’UE, a fortiori de façon accélérée ! Une telle adhésion provoquerait des déséquilibres financiers et économiques insolubles, particulièrement pour nos agriculteurs.

Ces derniers ne sauraient être la variable d’ajustement d’un mouvement irréfléchi qui mettrait en danger notre souveraineté alimentaire et au-delà, l’idée même de la construction européenne.

Les Français soutiennent la volonté exprimée par la majorité des forces politiques pour soutenir l’Ukraine contre son agresseur. Mais toute volonté d’accélérer l’histoire sans les consulter serait vouée à l’échec.

intervention d’Emmanuel Maurel en séance le mercredi 12 mars 2025 à l’Assemblée nationale

Emmanuel Macron : la drôle de dramatisation

Dans son allocution du 5 mars 2025, le Président de la République a appelé les Français à faire face à la « menace russe ». « Les temps de l’insouciance sont terminés » et « la patrie a besoin de vous », a-t-il affirmé. 

Sans contester la gravité du moment, céder aux facilités de la surenchère guerrière serait contre-productif. Les Français soutiennent majoritairement le combat des Ukrainiens, mais ne s’en estiment pas proches au point d’approuver une escalade militaire. La vérité est que nous ne sommes pas en guerre et l’évocation permanente de l’Histoire (« faut-il mourir pour Dantzig ? ») n’y changera rien.

Le message que nos compatriotes sont prêts à entendre, c’est qu’il faut dimensionner correctement notre armée. Ils comprennent qu’un budget militaire à moins de 2% du PIB relève de l’exception historique. Sous les septennats de François Mitterrand, la France consacrait plus de 3% de son PIB à la défense, et sous de Gaulle, près de 5%. Face à une Russie plus agressive que jamais, en « économie de guerre » depuis trois ans et qui augmente ses capacités, mais aussi face aux menaces diverses dans un monde chaotique et violent, il est logique de poser la question des moyens alloués à notre défense.

Il ne serait ni prudent ni responsable de faire comme si le Kremlin allait s’arrêter à 20% du territoire ukrainien, puis redevenir subitement pacifique à la faveur d’un simple cessez-le-feu. En Russie, le bourrage de crâne contre « l’Occident collectif » fonctionne à plein régime et entretient la paranoïa de la base au sommet. Le révisionnisme historique n’y est pas non plus en reste, qui conteste aux anciennes républiques soviétiques leur droit à l’autodétermination et l’indépendance. La peur des Baltes, des Polonais et même des Finlandais, sujets du Tsar jusqu’en 1917, n’est pas imaginaire. Ils ont tous payé pour voir l’impérialisme russe à l’œuvre.

On ne compte plus les opérations russes de « guerre hybride » sur le territoire européen. Tentatives de déstabilisation politique, meurtres, attaques cyber, propagande téléguidée depuis Moscou sur les réseaux sociaux… tout y passe. Les services de renseignements européens alertent de longue date sur ce déploiement de grands moyens. Ils n’inventent rien et nous devons nous fier à leur expertise, mais en gardant la tête froide. Les services et officines russes seraient ravis que nous cédions à la panique ; ils en profiteraient même pour jeter encore plus d’huile sur le feu.

Ce qui a radicalement changé en revanche, c’est le revirement américain. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les Etats-Unis adoptent une position « pacifiste pro-russe » qui reprend quasi intégralement le narratif du Kremlin, osant même accuser l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre ! Le discours de Trump révèle une trahison assumée de ses alliés européens, qui sert plusieurs buts : affaiblir nos économies, rafler le Groenland et détacher la Russie de la Chine. Pour nous Européens, ce changement radical comporte un vrai risque, auquel nous sommes bien obligés de faire face.

Et pour nous Français, ce n’est pas faute d’avoir prévenu ! Tous ceux qui méprisaient nos propositions pour un approfondissement de la coordination européenne en matière de défense en sont pour leurs frais. L’Otan est vraiment « en état de mort cérébrale », nous sommes vraiment seuls, et il faut vraiment mettre en place des mécanismes pour rattraper notre retard. Il est assez piquant de voir les plus fervents atlantistes historiques se rallier en convertis fervents à « l’Europe de la défense ». 

Mais les affichages budgétaires ne suffiront pas. Pour être efficients, ils devront s’inscrire dans une politique de croissance et de relance, qui seule est en mesure de conforter l’autonomie stratégique européenne. Cela implique d’investir en commun et surtout d’acheter européen en commun. Cela implique aussi d’en finir avec l’austérité gravée dans le marbre des traités budgétaires.

La validation de la (vieille) proposition française de sortir les dépenses militaires du calcul des déficits n’est qu’un premier pas. La conjoncture comateuse de l’Union européenne exige que la politique macroéconomique dans son ensemble, budgétaire et monétaire, soit entièrement revue.

Macron a donc tort d’envisager la montée en puissance de notre effort militaire d’une manière étroitement libérale, où sa politique de l’offre devrait impérativement être préservée. Au nom de quel principe fondamental, ou d’efficacité, devrait-on exonérer les plus riches et les multinationales de cet effort collectif ? Ce n’est pas aux Français des classes populaires et moyennes, et encore moins aux plus vulnérables, de payer intégralement le prix de notre sécurité ! Aucune nécessité n’impose de compenser 30 milliards annuels de plus pour l’armée par 30 milliards annuels en moins pour la protection sociale. Il n’est pas de notre intérêt de procéder à de tels arbitrages, qu’il s’agisse du social ou de tous autres investissements publics utiles à la collectivité.

Quoiqu’il en soit, le Président de la République n’a pas la prérogative pour en décider seul, ni la majorité parlementaire pour trancher sans débat préalable ! 

Le Parlement vote le budget, les impôts, et il se prononce sur les grands choix économiques et sociaux. Il serait temps qu’Emmanuel Macron comprenne que tout le pouvoir n’est pas concentré à l’Elysée.

Il serait temps aussi qu’il comprenne que nous n’avons nul besoin de nous précipiter vers des solutions toutes faites de type « armée européenne », et autres détricotages des souverainetés nationales sur les questions régaliennes. Fidèles à eux-mêmes, les Français ne refusent pas d’approfondir la coopération européenne, y compris en matière de défense. Mais ils ne sont pas prêts à toutes les fuites en avant ; et exigent qu’en tout état de cause, la parole leur soit donnée sur tout choix structurant pour l’avenir de la nation.

pour la Gauche Républicaine et Socialiste
Emmanuel Maurel, député et animateur national

Que faire quand Trump « inonde la zone » ?

Depuis sa prise de fonction officielle comme 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump multiplie les prises de parole provocatrices qui varient du clownesque au répugnant en passant par l’agressif. De l’annexion du Canada et du Groënland à l’explosion des droits de douane, de la remise en cause illégale du droit du sol aux USA aux attaques outrancières contre la Cour Pénale Internationale, de l’abolition de l’impôt sur le revenu à la déportation des Palestiniens pour faire de Gaza une nouvelle Riviera sous occupation américaine…

Il est inutile de répondre ou de chercher à répondre à chacune de ses provocations. Sans mésestimer sa volonté et sa capacité à vouloir mettre en œuvre concrètement certaines d’entre elles, Donald Trump sait parfaitement jouer de la Société du Spectacle dont il est un éminent produit et représentant.

Cette stratégie a été ouvertement assumée pour ce qu’elle est par Steve Bannon, ce « théoricien » de l’AltRight qui reste un de ses proches : il s’agit d' »inonder la zone », une stratégie de la submersion médiatique avec deux objectifs :

  • provoquer indignation et sidération pour incapaciter l’adversaire (enfin l’ennemi) ;
  • donner tellement d’os à ronger à la presse, considérée comme un adversaire politique, qu’elle ne sait plus trop lequel saisir pour tourner en boucle dessus…

Pendant ce temps, Trump, Musk et leurs amis avancent tranquillement dans la mise en œuvre de leur agenda impérialiste, oligarchique et capitaliste autoritaire.

Il ne sert donc à rien de réagir ou sur-réagir : la seule chose à faire est de nous-mêmes fixer une ligne directrice, des principes à rappeler (calmement, fermement et froidement) et un agenda à dérouler. C’est bien là une priorité que devrait se fixer la France – et ses alliés européens – plutôt que de donner le spectacle aujourd’hui de canards sans tête ou de lapins hypnotisés par les phares d’un SUV.

Nos priorités stratégiques et géopolitiques, notre politique commerciale, nos stratégies de défense et nos alliances sont à redéfinir face à l’émergence ou au renouvellement des impérialismes américain, chinois, russe ou turc.

Frédéric Faravel

Le logement n’est pas un privilège, c’est un droit !

Toute l’Europe connaît aujourd’hui une grave crise du logement de l’Irlande à la Grèce, en passant par la France, l’Espagne ou l’Allemagne : elle prend des formes variées selon les pays mais dans chacun d’entre eux, la spéculation foncière et immobilière au profit des intérêts financiers jouent ouvertement contre la nécessité de répondre aux besoins fondamentaux de nos concitoyens.

C’est la raison pour laquelle la Gauche Républicaine et Socialiste s’associe à la campagne du Parti de la Gauche Européenne (PGE, European Left) sur logement.
Les différents Etats membres de l’Union Européenne n’ont pas forcément la même définition du logement social et de ses objectifs. En dehors de France, il s’agit avant tout de répondre à une problématique de « mal logement », alors que le logement social en France développe une vision large allant jusqu’aux couches moyennes afin d’agir sur la question de la cohésion et de la mixité sociales dans les différents quartiers et agglomérations. Le « mal logement » et l’habitat insalubre sont évidemment un fléau, ils reçoivent cependant en France une réponse intégrée avec ce que l’on appelle le « logement très social » et l’hébergement d’urgence, ce qui ne signifie pas que les efforts déployés soient suffisants : bien au contraire, on a pu voir ces dernières années un ralentissement de la construction et une difficulté croissante à favoriser l’insertion par le logement et les relogements. Quand les prix de sortie sont trop élevés, alors les propriétaires (y compris les bailleurs sociaux) cherchent avant tout à privilégier les locataires les plus solvables possibles.

Attention également à la vision restrictive qu’induit la définition européenne des Services d’Intérêt Économique Général, qui ne recouvre pas la notion de services publics en France, ni celle de « droit au logement ». Soyons conscients que les « marchés » du logement (y compris leur régulation par une part variable du logement social) sont avant tout nationaux et le resteront vraisemblablement.

Nous sommes radicalement opposés au marché des capitaux européens qui va rendre impossible d’avoir des livrets nationaux dédiés et réservés aux productions locales comme le livret A.

Pour notre part, à l’échelle européenne, il est urgent d’améliorer les critères pour avoir accès au FEDER sur des opérations constructions logements sociaux ou réhabilitation notamment thermique (déjà possible en principe).

Nous exigeons l’inscription du droit à un logement décent et abordable pour tous dans la charte des droits fondamentaux et pas seulement le droit d’aider les plus vulnérables à se loger ; au-delà de l’urgence et de la décence, il faut agir sur la cohésion sociale. Il y a sans doute des équilibres nouveaux à défendre dans les constitutions nationales entre droit à la propriété et droit au logement : en France, alors que le droit au logement est considéré comme constitutionnel, il subit systématiquement un arbitrage constitutionnel défavorable dès qu’entre en jeu le droit à la propriété (également constitutionnel), ce qui ne veut pas dire qu’il faut nier les droits des petits propriétaires. Il faut enfin coordonner les législations européennes pour autoriser les maires à interdire et ou limiter et réguler les plateformes type AirBnB qui détourne l’habitat vers le tourisme de masse au lieu de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens européens.

Mettons fin à la complaisance à l’égard d’Elon Musk

La France s’est vue confiée par l’assemblée générale des Nations Unies l’organisation du « Sommet pour l’Action dans l’Intelligence Artificielle (IA) », faisant suite à l’adoption à sa 79ème session du « pacte numérique mondial », et aux sommets pionniers ayant déjà eu lieu en Grande Bretagne en 2023 et en Corée du Sud en 2024. Ce sommet aura lieu à Paris, au Grand Palais, les 10 et 11 février 2025, organisé par le palais de l’Élysée.

La feuille de route de ce sommet est à la fois ambitieuse en définissant des objectifs universels, et pusillanime quant aux moyens à mettre en place. Voici les 5 axes de travail :

  • L’IA au service de l’intérêt général,
  • Avenir du travail,
  • Innovation et culture,
  • IA de confiance,
  • Gouvernance mondiale de l’IA.

Son agenda, et la starisation choisie de personnalité controversées du capitalisme technologique libertarien, interrogent tous les démocrates sincères.

En octobre 2024 la mission de préparation annonce souhaiter « lutter contre le mésusage de l’IA », en « s’appuyant sur un consensus scientifique robuste », notamment pour « lutter contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux. »

Elon Musk est pourtant annoncé comme l’une des stars de l’évènement qu’Emmanuel Macron souhaite utiliser pour redorer son blason, après ses échecs budgétaires, économiques et politiques, et ses deux défaites électorales consécutives.

Le loup est invité à cuisiner le chaperon rouge !

Nous devons, au nom de la décence et de la protection des libertés publiques, interpeller la présidence française, encore une fois.

Le nouveau ministre américain en charge de « la simplification administrative » a toujours été soigné par le président de la République Française, pensant ainsi attirer l’une des sociétés du magnat de la technologie, Tesla, dans notre pays.

Musk a choisi l’Allemagne, mais le président français Macron continue sa danse du paon.

Nous sommes persuadés que la France, par son histoire, son universalisme, les contributions essentielles de ses chercheurs et ses philosophes sur les concepts clés de l’IA, doit être le moteur en Europe des réflexions sur son déploiement, sa régulation : il s’agit d’un enjeu politique crucial, un enjeu de souveraineté, un enjeu vital pour garantir notre indépendance.

Ce que nous refusons avec force, c’est que soit à nouveau déroulé le tapis rouge pour Elon Musk et ses alliés libertariens ! Celui qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde n’est pas seulement le premier allié de Donald Trump : il est devenu un acteur politique toxique, ennemi de toutes les lois limitant son pouvoir absolu, et chantre d’un libertarianisme aussi débridé qu’irrationnel, soutenant les néofascismes européens.

Après avoir déboursé 270 millions de dollars et mis son réseau x et son logiciel d’intelligence artificielle Grok au service de Donald Trump pendant la campagne électorale américaine, il a submergé l’espace médiatique de fausses informations.

Depuis le scrutin de novembre 2024, Elon Musk a insulté publiquement le Chancelier allemand et fait ouvertement campagne pour l’AfD, un parti d’extrême-droite allemand, dont les dirigeants assument leurs inspirations néo-nazies.

Il s’attaque également au gouvernement travailliste britannique, soutenant l’extrême droite anglaise, propageant fausses polémiques et accusations diffamatoires.

Il insulte le chef du gouvernement canadien démissionnaire, soutenant la campagne impérialiste de Trump visant à annexer ce pays, une partie du Danemark, et le Panama.

L’Europe a décidé, lâchement, de faire semblant de ne pas entendre les déclarations pourtant répétées du nouvel exécutif nord-américain.

Les dirigeants politiques attaqués, dont deux social-démocrates, sont seuls face à des campagnes de haine multipliés par les algorithmes trafiqués.

Le patron de Meta Marc Zuckerberg (Facebook, Youtube, Instagram, WhatsApp, etc.) a annoncé se rallier lui aussi à l’alliance idéologique populiste pour inonder les réseaux de contenus manipulant les réseaux sociaux !

Comment inviter des patrons qui déclarent être opposés aux objectifs du sommet ? Ils ne serons là que pour les saboter.

Comme pourraient-ils être encore le bienvenu en France, alors qu’ils s’attaquent à nos intérêts et aux fondements de la démocratie républicaine ?

Elon Musk n’a jamais été un partenaire loyal mais une menace permanente. Aujourd’hui, il attaque ouvertement le principe même de l’égalité devant la loi, les fondements de notre démocratie. Sa prétendue défense de la liberté d’expression est d’une indécence absolue : quelle liberté d’expression reste-t-il quand des multimilliardaires disposent des outils médiatiques les plus puissants pour saturer le débat public de mensonges ?

Musk ne veut pas de liberté d’expression, il veut la liberté de mentir, de diffamer, de propager la haine, avec ses gigantesques moyens financiers comme seules limites.

Qui, une fois pris comme cible par ces hommes riches, opposés aux principes démocratiques, peut espérer faire corriger une accusation mensongère par sa propre voix, sans la protection des lois ?

Musk met toute sa puissance pour saper la démocratie issue de la philosophie des Lumières ; il est parmi nos ennemis.

Le président américain Donald Trump sera présent également. Il n’est pas possible de l’empêcher de participer vu le mandat de l’assemblée générale des Nations Unies. Mais sommes-nous obligés de dérouler le tapis rouge à ceux qui multiplient les déclarations hostiles à nos valeurs, notre démocratie, à l’Europe ?

La Gauche Républicaine et Socialiste demande à la présidence de la République et au gouvernement de tenir enfin un discours de fermeté en direction des principaux dirigeants des multinationales du numérique : les conditions d’exercice de la liberté d’expression ne sont pas marchandables, la protection des médias et de l’information et des citoyens français ne sont pas négociables. La GRS exige que l’Union Européenne consolide l’encadrement législatif des services numériques (DSA) pour protéger les citoyens et nos démocraties de l’incitation à la haine, à la violence et au terrorisme, des manipulation, des opérations de désinformation et des contrefaçons ; la GRS exige que les plateformes numériques soient enfin mises réellement et de manière concrète en face de leurs responsabilités et de leurs obligations en Europe et qu’elles soient sanctionnées quand elles ne les respectent pas.

Nous appelons les organisations démocratiques à faire des propositions communes en ce sens. Nous proposons à l’ensemble des organisations politiques et de défense des libertés à se joindre à elle dans cette exigence et à l’exprimer sur place lors du sommet.

Frédéric Faravel et Mathieu Pouydesseau

La France et l’Europe face aux bouleversements mondiaux – UGR24 – samedi 12 octobre 2024

L’état du monde en 2025 : L’empire Américain sur le déclin – L’extension de la puissance chinoise – l’avènement d’un « sud global » ? – La désoccidentalisation du monde – l’impotence européenne – et la France ? et l’UE ? Comment éviter à la France et à ses partenaires européens d’être politiquement et économiquement marginalisés ?

pour en débattre :

  • Anne-Cécile ROBERT
    journaliste – enseignante à l’université Paris 2 et à l’IRIS – auteur de Le défi de la paix – Remodeler les organisations internationales (2024)
  • Max-Erwann GASTINEAU
    Directeur des relations institutionnelles dans le secteur de la transition énergétique – spécialiste de la Chine – chroniqueur pour différents médias (Le Figaro, Marianne) – auteur de L’ère de l’affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation (2024)
  • Danai KOLTSIDA
    Politologue grecque – ancienne Vice-Présidente de la fondation Transform! Europe.
  • Gaëtan GORCE
    Membre honoraire du parlement – ancien membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat
  • Laure PALLEZ co-fondatrice du think tank « La France et le Monde en commun » – ancienne élue des Français de l’étranger en Chine et aux Etats-Unis d’Amérique
  • Présidence/Animation : Samia JABER Conseillère départementale du territoire de Belfort

Les droites de l’amer

C’est bien connu : À Bruxelles, personne ne t’entend crier.

C’est donc dans une indifférence quasi générale que la nouvelle Commission Européenne se met en place, sous la houlette d’une présidente pourtant largement discréditée. Il y aurait pourtant fort à dire sur les nouvelles orientations de l’exécutif communautaire, et sur la disparition des préoccupations écologiques et sociales de sa feuille de route : le poste de commissaire à l’emploi et aux affaires sociales a d’ailleurs….disparu.

Mais Madame Von Der Leyen ne se contente pas de supprimer les intitulés. Elle se réserve aussi le droit de choisir les titulaires des postes subsistants. Ainsi a-t-elle refusé, purement et simplement, la reconduction du commissaire français, Thierry Breton. Il s’agit là d’une affaire bien plus grave qu’il n’y paraît, et cela quoiqu’on pense du bilan de Monsieur Breton.

C’est la première fois que la France se voit ainsi retoquer un candidat avant même de passer devant des eurodéputés (on se souvient  que Madame Sylvie Goulard, après une audition catastrophique, avait été justement rejetée par la majorité des parlementaires). Et c’est surtout la première fois qu’un chef de l’État français s’exécute !

Au point de remplacer immédiatement l’impétrant par un de ses plus proches en échange d’une promesse (l’élargissement du portefeuille) finalement non tenue. 

On pourra toujours gloser sur les raisons (personnelles, mais aussi politiques) qui ont conduit Von der Leyen à ce coup d’éclat. On pourra toujours rappeler que l’atlantisme échevelé de l’ancienne ministre allemande était peu compatible avec le volontarisme (souvent de façade pourtant) du Français, il n’en reste pas moins que Macron n’a même pas résisté ! Et c’est cela qui est grave. 

Au fond, cet épisode traduit une forme de « macronisation » de la présidente de la Commission, qui implique de s’entourer des plus dociles, des plus malléables, et des plus conformes à l’idéologie néo-libérale mainstream.

L’interminable feuilleton de la nomination du gouvernement français l’illustre parfaitement.   Non seulement Macron prend sept semaines (!) pour nommer un Premier ministre issu d’un parti de droite très minoritaire à l’Assemblée Nationale, non seulement il le fait après avoir obtenu l’assentiment du RN, mais il met un point d’honneur à valider une équipe pléthorique, droitière et politiquement faible, à l’instar de l’exécutif européen. 

Cette coalition des perdants fleure bon le gouvernement RPR-UDF de fin de règne, à la merci du RN.  Les millions d’électeurs qui se sont mobilisés entre les deux tours pour contrer l’extrême droite ne doivent pas désespérer. Nous porterons leurs voix et leurs aspirations au Parlement et dans la rue.

Un budget français « cadenassé » par les traités européens ?

L’arrivée à Matignon de l’ancien commissaire européen Michel Barnier coïncide avec une surveillance accrue du budget français par la Commission européenne, qui a initié en juillet une procédure concernant le déficit public excessif de la France. Afin de comprendre l’influence de l’Union européenne (UE) sur le budget de notre pays, nous avons interviewé l’économiste David Cayla, qui vient de publier La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? Propos recueillis par Fabien Rives et publiés dans Off Investigation le jeudi 19 septembre 2024

Annoncé par la Commission européenne au début de l’été, le retour de la France dans une procédure pour déficit excessif rappelle que la gestion du budget fait partie des domaines où, de droite comme de gauche, le pouvoir français s’est, depuis des décennies, volontairement engagé à rendre des comptes à Bruxelles. Imprégnée d’une constante néolibérale, cette complicité entre notre gouvernement et l’exécutif européen est à l’origine d’orientations politiques massivement rejetées par la population.

Michel Barnier, c’est la garantie du respect scrupuleux des règles européennes par la France

Dans ce contexte, comment interpréter l’arrivée à Matignon de Michel Barnier, notamment connu pour avoir exprimé sa volonté de contourner la souveraineté populaire après le référendum de 2005, lors duquel les Français s’étaient majoritairement opposés à la ratification d’un traité constitutionnel européen ? Alors que le Premier ministre tarde à communiquer au Parlement des documents cruciaux concernant les futures dépenses du gouvernement, quelle est aujourd’hui la véritable marge de manœuvre de la France en matière budgétaire ? A quelles politiques économiques peuvent s’attendre les Français qui ont récemment été appelés aux urnes après la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, par Emmanuel Macron ?

Autant de questions autour desquelles Off-investigation a souhaité s’entretenir avec l’économiste David Cayla, auteur d’un récent ouvrage aux éditions Le Bord de l’eau : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ?

Dans le contexte politique actuel, comment interprétez vous l’arrivée à Matignon de Michel Barnier, qui a servi pendant plus d’une décennie et demie l’exécutif européen ?

David Cayla : Clairement, Emmanuel Macron entend donner des gages. Il a choisi un Premier ministre qui ne risquait pas de remettre en cause ses réformes, notamment la réforme des retraites, mais il a aussi désigné un Européen convaincu qui a été membre de la Commission et a conduit les négociations du Brexit. Michel Barnier, c’est la garantie du respect scrupuleux des règles européennes par la France, notamment des règles budgétaires. Comme, en même temps, le RN menace de censurer le gouvernement en cas de hausse d’impôt, le Premier ministre sera contraint d’engager une politique d’austérité dans la droite ligne de ce qu’a fait Macron depuis 2017. La précarité de l’assise parlementaire du gouvernement est la garantie que ce dernier s’inscrira davantage dans la continuité que dans la rupture.

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire a expliqué avoir observé sur les recettes de 2023 un décalage de 20 milliards d’euros qu’il résume comme un « accident ». Que pensez-vous de cette formule dans la bouche de celui qui vient de quitter ses fonctions ? Et comment résumeriez-vous son mandat au regard de la procédure dont la France fait désormais l’objet ?

L’effondrement des recettes publiques qu’on a constaté dans les derniers budgets est un phénomène inédit et inquiétant. C’est inédit parce que, même si les budgets votés à l’automne sont rarement exécutés comme prévu, les écarts sont dû en général à des différences entre la croissance économique anticipée et la croissance réelle. Ainsi, on peut avoir des écarts dans les deux sens en fonction de la conjoncture économique. Là, c’est différent.

Le Parlement a, intentionnellement ou non, été trompé. Il a voté un budget en trompe-l’œil

La croissance française était en ligne avec les prévisions et si les recettes se sont effondrées c’est clairement parce que les rendements de certains prélèvements ont été très mal évalués par les services de Bercy. Cela pose deux questions inquiétantes. La première est démocratique. Le Parlement a, intentionnellement ou non, été trompé. Il a voté un budget en trompe-l’œil en comptant sur des ressources fiscales qui ne se sont jamais réalisées. L’exemple de la taxe sur les énergéticiens est symptomatique.

Comment peut-on se tromper à ce point sur les recettes attendues ? Est-ce de l’incompétence ou de la malhonnêteté ? La seconde question est liée à la source de ces pertes. Ce n’est pas l’impôt sur le revenu ou la TVA qui ne rentrent pas, ce sont les recettes fiscales des entreprises qui s’effondrent. Il y a donc sans doute derrière ce phénomène des stratégies d’optimisation ou de fraude. Comment savoir ce qu’il en est réellement ? Il faudrait une enquête des services du ministère des finances, mais ces derniers la mènent-elle ? On n’en a aucune idée.

Et ce ne sont pas les paroles lénifiantes de l’ancien ministre de l’Économie qui peuvent nous rassurent. Evoquer un « accident » comme il le fait est proprement irresponsable.

Votre livre pose la question de la capacité de la gauche à s’opposer au néolibéralisme inscrit dans les traités européens. Vous rappelez qu’au pouvoir, elle s’est volontairement soumise aux injonctions du marché et de la finance. Pourriez-vous résumer en quoi la « gauche de pouvoir » a contribué à façonner le néolibéralisme au sein de l’UE, et quelle en a été la conséquence pour la France ?

Dans les années 1980, le Parti socialiste a dû choisir entre son projet de transformation économique et son appartenance à la CEE et au respect de ses traités. Comme on le sait, il a fait le choix de l’Europe.

Pour éviter toute dévaluation et réduire l’inflation, le gouvernement arrime le franc au mark. Cette politique du franc fort coûte très cher à l’industrie française et au budget de l’État. Les taux d’intérêt explosent et les usines ferment, notamment la sidérurgie. Face à cette catastrophe, les socialistes font un pari : celui de réorganiser l’économie européenne et mondiale autour de nouvelles règles collectives pour rendre ce tournant néolibéral irréversible. Ils vont alors investir des organismes internationaux influents : la Commission européenne, le FMI et l’OCDE, et engager le monde dans un processus de mondialisation financière et commerciale.

Les mouvements de capitaux sont libéralisés, ce qui accentue la concurrence entre les économies et alimente les paradis fiscaux. En Europe, la Commission Delors engage la création du marché unique, acté en 1986, dont l’objectif est de créer et d’organiser les marchés européens du travail, du capital et des services publics. Quelques années plus tard, c’est encore un socialiste Pascal Lamy, ancien directeur de cabinet de Jacques Delors, qui prend la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et accompagne la grande vague de libéralisation commerciale des années 1990-2000.

Vous évoquez dans votre ouvrage « l’impuissance économique d’Emmanuel Macron, prisonnier d’un carcan idéologique dans lequel il a enfermé la France ». Pour illustrer ce propos, quelles postures et/ou décisions de notre actuel président vous viennent à l’esprit ?

Toute la stratégie d’Emmanuel Macron est fondée sur le principe de l’attractivité territoriale. En économie ouverte, si l’on n’agit pas de manière interventionniste et si l’on ne mène pas de politique industrielle et commerciale, on en est réduit à attirer les investissements productifs privés pour se développer. Mais on est alors confronté à la concurrence des autres économies.

Pour gagner ce genre de concours de beauté il faut apparaître « attractif », c’est-à-dire promettre des avantages fiscaux et autres en assurant aux industriels un taux de profit supérieur à celui qu’ils pourraient obtenir dans un pays voisin. C’est la raison pour laquelle Macron a diminué la fiscalité des entreprises, réformé le code du travail et allégé les cotisations sociales.

Emmanuel Macron essaie, sans succès, de faire de la France la meilleure élève de la mondialisation

On retrouve cette même philosophie lorsqu’il organise chaque année le forum « Choose France » qui s’adresse aux capitalistes internationaux pour les convaincre d’investir en France. Il a ainsi dressé le tapis rouge à Elon Musk en 2023 et a accordé la nationalité française au fondateur russe de la messagerie Telegram. Sans succès dans les deux cas. L’usine géante de Tesla a été construite en Allemagne, près de Berlin, et Pavel Durov n’a jamais rapatrié ses locaux opérationnels de Dubaï.

En créant le marché unique, on a dû transférer à Bruxelles des pans entiers de la souveraineté nationale

Le Président essaie, sans succès, de faire de la France la meilleure élève de la mondialisation au lieu d’user de son influence politique pour la transformer ou en contourner la logique. Il mène finalement la même politique que ses prédécesseurs ; une politique dogmatique qui a plombé les ressources fiscales du pays et qui explique en grande partie les problèmes budgétaires actuels. Quant à la réindustrialisation promise, elle n’arrive jamais. Les nouvelles usines s’installent en Pologne, en Espagne ou au Vietnam, mais très peu en France. Et celles qui le font sont gavées de subventions publiques.

Vous notez dans votre livre qu’au sein de l’Union européenne, « les gouvernements nationaux perdent les capacités d’orienter leurs économies nationales ». Vous utilisez le terme d’« impuissantisation des politiques économiques ». Vous estimez encore que « les traités européens cadenassent toute politique économique ambitieuse ». Pourriez-vous synthétiser ce processus qui, comme vous le décrivez dans votre livre, éloigne les citoyens de décisions qui les concernent directement ?

En créant le marché unique on a dû transférer à Bruxelles des pans entiers de la souveraineté nationale. Un marché unique signifie des règles uniques et uniformément appliquées. Cette uniformisation aurait dû faciliter le commerce et libéraliser les flux pour rendre l’économie européenne plus productive. Mais ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Le rapport Draghi publié récemment montre le décrochage économique de l’UE par rapport aux États-Unis.

Les politiques monétaires et de concurrence sont décidées à l’échelle de l’UE et non pas par les États

En pratique, le marché unique conduit à une concentration des pouvoirs à l’échelle communautaire. C’est au niveau de l’Union que sont négociés et ratifiés les traités commerciaux ; c’est à cette échelle que se décident les normes sur les moteurs thermiques, par exemple, ou le cadre réglementaire de l’industrie numérique. De même, les politiques monétaires et de concurrence sont décidées à l’échelle de l’UE et non pas par les États. Il ne reste en fin de compte aux États que les politiques budgétaires et fiscales. Mais, comme on l’a vu plus haut, en économie ouverte la politique fiscale peut difficilement se départir de la stratégie d’attractivité qui consiste à déplacer la charge fiscale des entreprises (qui peuvent investir partout dans le monde) vers les ménages (qui eux sont attachés à leur territoire). Quant à la politique budgétaire, elle est elle-même très contrôlée par les autorités européennes qui surveillent de près tout déficit.

Un gouvernement élu n’a plus la main sur presque rien

En fin de compte, le citoyen a du mal à se faire entendre. Il peut s’amuser à voter à gauche ou à l’extrême droite en espérant « envoyer un message », mais le fait est qu’un gouvernement élu n’a plus la main sur presque rien et est condamné à réinventer sous une forme ou une autre des politiques de pure gestion incapables de répondre aux attentes populaires et d’inverser le cours des choses.

Vous évoquez à la page 118 le fait que « la France insoumise a proposé en 2022 un blocage des prix sans compensation ». Vous interrogez l’applicabilité d’une telle mesure puisque vous expliquez qu’elle serait sanctionnée à la fois par le Conseil constitutionnel, mais aussi par les autorités européennes. De façon générale, quelles sont les principaux moyens de pression de l’exécutif européen pour influencer les politiques nationales d’un Etat membre ? Avez-vous un exemple qui permette d’illustrer cette influence ?

La principale limite qui encadre les politiques économiques nationales est le droit. Les traités s’appliquent en France et la loi française leur est subordonnée. La France ne peut donc pas revenir sur la libéralisation du marché de l’électricité, par exemple ; ce serait renoncer à ses engagements européens. La justice administrative et le Conseil d’Etat rendraient une telle loi inapplicable dans le cas improbable où elle échapperait à la censure du Conseil constitutionnel. De même la France ne peut imposer qu’une partie de la commande publique soit réservée à ses entreprises nationales, comme cela existe aux États-Unis par exemple. Ce serait contraire aux règles du marché unique et une telle loi serait immédiatement considérée comme nulle, non pas par la justice européenne, mais par les tribunaux français.

A l’automne 2018, le projet de budget du gouvernement italien a été retoqué par la Commission européenne car il prévoyait un avancement de l’âge de départ en retraite. [L’Italie] à dû se soumettre alors même que le déficit prévu par son budget était inférieur à la barre des 3%.

En somme, la Commission européenne n’a pas besoin d’intervenir pour que les règles européennes les plus fondamentales soient respectées par les États. Elle doit juste vérifier que les principes d’indépendance de la justice soient garantis. Dans certains domaines néanmoins, les États gardent leurs prérogatives. C’est le cas de la politique budgétaire ou de la politique sociale, par exemple. Les gouvernements nationaux peuvent alors plus ou moins coopérer avec Bruxelles. Dans ces domaines, la Commission peut intervenir pour imposer la coopération des gouvernements récalcitrants. Si un pays est soumis à une procédure de déficit excessif, il peut être sanctionné financièrement. S’il ne respecte pas les principes de l’État de droit, ses aides peuvent être bloquées.

C’est ainsi que la Hongrie n’a pu bénéficier dans l’immédiat des fonds européens qu’elle était censée recevoir dans le cadre du Grand emprunt. De même, à l’automne 2018, le projet de budget du gouvernement italien, soutenu par des partis dits populistes, a été retoqué par la Commission européenne car il prévoyait un avancement de l’âge de départ en retraite. Le gouvernement de Giuseppe Conte à dû se soumettre alors même que le déficit prévu par son budget était inférieur à la barre des 3%.

Page 158, vous expliquez : « Les traités garantissent à la BCE une totale indépendance dans l’application d’un mandat dont l’élément principal est la stabilité des prix. Aucun pouvoir politique ne peut la contraindre à agir contre sa volonté. » Pourriez-vous expliciter ce que cela peut induire pour la France ?

Cela signifie que la France ne peut imposer quoi que ce soit à la Banque centrale européenne. Au cours de la crise Covid, la BCE a mis en place une politique monétaire qui a permis aux États d’emprunter sans coût ou presque. Cela a sauvé l’économie européenne en permettant aux gouvernements nationaux de compenser les pertes liées aux mesures sanitaires.

En vertu de son indépendance garantie par les traités européens, personne en Europe ne peut imposer quoi que ce soit à Christine Lagarde

Aujourd’hui, alors que tous les économistes insistent pour que l’Europe engage une politique d’investissement massive afin de rattraper son retard sur les États-Unis et d’accélérer la transition écologique, la BCE maintient des taux d’intérêt élevés et renonce à aider les États à investir. Or, en vertu de son indépendance garantie par les traités, personne en Europe ne peut imposer quoi que ce soit à Christine Lagarde, même pas la Commission. De fait, la BCE est limitée dans son action par un mandat très restrictif centré sur la stabilité des prix. Ainsi, tant que l’inflation reste supérieure à 2% elle ne peut rien faire d’autre que d’appuyer sur le frein pour espérer limiter la hausse des prix. Pendant ce temps, l’économie européenne prend du retard et n’investit plus, notamment dans la construction immobilière, car le coût de l’argent est trop élevé.

« L’élargissement de l’Europe sonnerait le glas du renforcement de son projet » – tribune dans Le Monde

tribune publiée par Emmanuel Maurel dans Le Monde, le jeudi 11 avril 2024

L’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et des pays des Balkans occidentaux encouragera le dumping social intra-européen, regrette, dans une tribune au Monde, Emmanuel Maurel, député européen GRS de la Gauche unie. Si ce « grand basculement » était engagé, les Français devraient être consultés par référendum.

L’Europe est confrontée à des défis sans précédent. Une guerre est à ses portes depuis deux ans et une autre, dans son voisinage proche, depuis octobre 2023. Elle subit une concurrence féroce et déloyale de toutes parts. Elle paie la sortie de l’inflation d’une probable récession. Elle a un très gros problème énergétique et elle accumule les retards technologiques. Dans le même temps les écarts de richesse explosent et la cohésion sociale se délite.

C’est dans ce contexte que les dirigeants européens ont accéléré le processus d’adhésion de l’Ukraine, en ajoutant au passage la Moldavie et la Géorgie. Avec les pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie), la liste des impétrants compte désormais huit pays, soit plus de… 60 millions d’habitants. « Nous allons parachever l’unité du continent », clament-ils en chœur – et c’est vrai que ça sonne bien.

Référons-nous à la devise européenne – « Unie dans la diversité ». Davantage d’unité sortira-t-elle de cette nouvelle couche de diversité ? Tout porte à croire que cet élargissement-là n’apportera que le contraire. Souvenons-nous que le précédent élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale avait profondément modifié la structure d’un édifice pensé au départ pour la seule Europe de l’Ouest.

Démographie des pays de l’Est

Le centre de gravité de l’Union s’était déplacé vers l’est, au profit de l’Allemagne et au détriment de la France et de l’Europe du Sud. Menée en parallèle d’un euro dévalué pour l’Allemagne et surévalué pour la France et l’Italie, l’entrée de onze pays avait provoqué une vague de délocalisations sans précédent, dont nous avons, nous, Français, fait les frais. Notre voisin germanique avait littéralement raflé l’économie des nouveaux venus pour en faire des sous-traitants de son puissant appareil industriel.

Dans les pays de l’Est eux-mêmes, les résultats sont contrastés. Economiquement, la réussite est incontestable – leur PIB a grimpé au rythme des exportations allemandes –, mais les salaires et les conditions sociales restent médiocres. On y vit évidemment mieux que dans les années 1990, mais le salaire minimum hongrois ou tchèque dépasse péniblement les 600 euros, celui de la Bulgarie s’élève à 400 euros. En Roumanie, le revenu moyen est inférieur de 67% au revenu moyen français. Le dumping social fonctionne toujours à plein régime en Europe.

La démographie des pays de l’Est est le gros point noir de l’élargissement, qui n’a pas enrayé leur tendance à la dépopulation depuis la chute du Mur. Les raisons en sont multiples, mais parmi elles, on ne peut ignorer l’émigration massive vers les pays riches que l’élargissement a facilitée voire encouragée. Rappelons enfin que les élargissements se sont appuyés sur de vastes transferts budgétaires.

Dumping social intra-européen

La France est contributrice nette de 10 milliards par an, alors que la Pologne reçoit 13 milliards de plus que sa cotisation au budget européen, la Roumanie et la Hongrie 5 milliards… Les fonds de cohésion étant limités, ils favorisent les régions pauvres de l’Est au détriment des régions pauvres de l’Ouest. Quant à leur bonne utilisation, de récentes affaires de corruption ont jeté une ombre sur la Hongrie, la Slovaquie ou la Croatie.

On imagine ce qui pourrait arriver si l’Ukraine (tout juste moins corrompue que la Russie, c’est dire…), la Moldavie (où des oligarques ont volé l’équivalent de 15% du PIB en 2018) ou la Géorgie (dont les dirigeants sont à peu près tous éclaboussés par des scandales retentissants) accédaient aux financements européens.

Refaire un élargissement, cette fois dans un contexte de déclin de l’Occident en général et de l’Union européenne en particulier, c’est s’exposer à des résultats bien pires. Les niveaux économiques et sociaux de l’Ukraine, de la Moldavie ou de l’Albanie sont encore plus éloignés de l’Europe de l’Ouest que ceux de la Pologne ou de la République tchèque au début du siècle. Le dumping social intra-européen n’en sera que plus massif et les coûts de transferts seront vertigineux.

Coup de grâce pour notre ruralité

Quant à la politique agricole commune (PAC), ses aides seront aspirées par l’Ukraine, l’autre géant agricole du continent, mais qui n’a aucune capacité contributive au budget européen. Nos agriculteurs subiraient ainsi une double peine. En 2022 et 2023, les importations d’Ukraine ont déstabilisé des filières entières (volaille, sucre, céréales…).

Même ses plus proches alliés, au premier rang desquels la Pologne, n’ont pas supporté la pression. Si l’Ukraine bénéficiait de la PAC telle qu’elle est organisée et financée aujourd’hui, ce serait le coup de grâce pour notre ruralité.

Faire fonctionner une Europe à vingt-sept avec les règles actuelles, c’est très compliqué. A trente-six, ce serait impossible. Certains ont déjà trouvé la solution : une centralisation des décisions à Bruxelles, c’est-à-dire la suppression de la souveraineté des Etats membres et le passage au vote à la majorité sur tous les sujets, y compris la politique étrangère et la défense.

Au bénéfice des États-Unis

Or qui domine la politique étrangère et de défense de la majorité des États membres ? Les États-Unis. L’Europe hyper-élargie voulue par Ursula von der Leyen ne sera ni plus unie ni plus puissante : elle sera lestée par encore plus d’alliés de Washington. Il n’est guère étonnant que les citoyens européens soient dubitatifs à l’idée d’accueillir si vite tant de nouveaux pays et d’habitants.

Rétablir un semblant d’équilibre économique, social et politique entre pays membres devrait être une priorité pour redonner force au projet européen. Non seulement ce n’est pas dans l’agenda de la Commission, mais l’élargissement sonnerait le glas de cette perspective.

Il ne faut pas engager de faux procès : il n’est pas question de remettre en cause notre soutien massif à l’Ukraine – plus de 150 milliards à ce jour – face à l’agression russe. Mais cela n’emporte aucune automaticité de l’adhésion – sinon nous aurions intégré la Bosnie depuis bien longtemps. En tout état de cause, les Français devront être consultés par référendum sur ce grand basculement.

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