Élections en Israël : plus qu’une crise politique, une crise identitaire

Le 23 mars dernier, les quatrièmes élections depuis deux ans se tenaient en Israël. Benjamin Netanyahou semble avoir manqué son pari d’une campagne conçue comme un référendum sur sa personne.

La multitude de partis communautaires réunissant entre 4 et 7% des suffrages nous contraint à une analyse par bloc électoral, même si ceux-ci sont mouvants et manquent parfois de cohérence.

Le premier bloc, celui de la droite religieuse, est celui de Benjamin Netanyahou. Le Likoud, sa principale composante, obtient 24% des suffrages et 30 députés (sur 120). S’il s’agit d’une performance en demi-teinte, il n’en reste pas moins que le Likoud a dix points d’avance sur le deuxième parti. Les alliés de Benjamin Netanyahou sont d’une part les ultra-orthodoxes de Shas (séfarade) et de Judaïsme Unifié de la Torah, qui obtiennent presque 13% des voix à eux deux et 16 sièges. D’autre part, le Likoud peut compter sur le soutien des partis néo-sionistes Yamina et du Parti sioniste religieux. Ces deux partis, populaires dans les colonies et auprès des jeunes soldats, représentent la branche religieuse du néo-sionisme. Ils obtiennent 11% des suffrages et 13 sièges. Cela porte la coalition de Benjamin Netanyahou à 59 sièges, deux de moins que la majorité.

Un deuxième bloc, celui de la droite laïque, est lui-même fracturé entre sionistes traditionnels et néo-sionistes. Les deux partis néo-sionistes de droite, Israël Beytenou, défendant les intérêts des juifs russophones, et Nouvel Espoir, scission récente du Likoud, tous deux issus de scissions du Likoud, obtiennent 10% des voix et 11 sièges. Le centre-droit laïque, qui avait concurrencé le Likoud aux dernières élections unis dernières le parti Bleu et Blanc de l’ancien général en chef de Tsahal Benny Gantz, était cette fois divisé. Benny Gantz et quelques députés avaient fini par se rallier à Benjamin Netanyahou, provoquant la rupture des puristes anti Likoud du parti Yesh Atid. Ce dernier parvient à 14% des suffrages et 17 sièges, tandis que Benny Gantz obtient 6.5% des voix et 8 sièges. La droite laïque obtient dans son ensemble 38 sièges, 21 de moins que celle de Netanyahou.

La gauche sioniste, unie aux dernières élections, est partie divisée en mars. Le mapaï, parti travailliste fondateur historique d’Israël à l’électorat vieillissant, obtient 6% des voix et 7 sièges. Le Meretz, parti des jeunes urbains progressistes et précaires de Tel-Aviv obtient 4.5% des voix et 6 sièges. La gauche progresse nettement, puisqu’en 2019 la coalition Mapaï-Meretz n’avait obtenu que 5.8% des voix et 7 sièges. Une partie de l’électorat de centre-gauche, séduit par Bleu et Blanc et l’opposition unifiée à Benjamin Netanyahou qu’elle promettait, est revenue au Mapaï. La gauche reste néanmoins dans un état moribond, alors que la crise du logement en Israël dure depuis quinze ans. Aucun mouvement social et populaire n’a pu être structuré par la gauche, qui focalise son discours sur le progressisme et la lutte contre les extrémistes religieux et néo-sionistes. Au total, la gauche obtient 13 sièges.

Enfin, les partis arabes sont eux aussi partis divisés alors qu’ils étaient unis aux dernières élections. La gauche nationaliste arabe obtient 4.8% des voix et 6 sièges, tandis que les islamistes obtiennent 3.8% des voix et 4 sièges. Au total, les partis arabes obtiennent donc 10 sièges.

Le Likoud, qui est devenu un parti à la limite du culte de la personnalité autour de Benjamin Netanyahou, a fait campagne en vantant les succès de politique diplomatique (normalisation des relations avec plusieurs pays arabes) et sanitaire (sortie anticipée de la crise du covid grâce à la vaccination massive). L’opposition a insisté sur les scandales de corruption qui l’entourent et sur l’obscurantisme religieux grandissant de son gouvernement.

La personnalisation extrême de cette élection et l’impression de plébiscite pro ou anti Netayahou ne doit pas cacher certaines tendances électorales lourdes.

Cette élection a marqué une forte progression du camp néo-sioniste, qu’il soit laïque et dans l’opposition ou religieux et pro-Netanyahou. Cette idéologie expansionniste diffère largement du sionisme originel. Elle repose sur la volonté d’annexer les territoires palestiniens et d’en expulser les Arabes. Les laïques ont lâché Benjamin Netanyahou il y a deux ans, provoquant une crise politique dont Israël n’est toujours pas sorti. La cause de cette rupture est l’influence politique et démographique grandissante des ultra-orthodoxes, qui refusent le service militaire et obtiennent des subventions publiques qui réduisent les capacités budgétaires de l’Etat. Ces partis, qui appartiennent certes à des coalitions politiques différentes, représentent plus d’un électeur sur cinq et 26 sièges, 14 de plus qu’aux dernières élections. Le parti religieux sioniste, le plus extrême des néo-sionistes, relève de l’idéologie kahaniste, une idéologie authentiquement raciste et suprémacistes. Les militants de ce parti, qui avait été interdit dans les années 90, mènent régulièrement des expéditions punitives dans les quartiers et villes arabes et jugent positivement l’assassinat d’Yitzak Rabin. Il n’avait même pas obtenu 0.5% des suffrages aux dernières élections. Comme dans les autres démocraties occidentales, Israël est donc confronté à la montée en puissance d’un parti raciste d’extrême-droite qui progresse de manière fulgurante d’une élection à l’autre.

 

Malgré tout, aucun bloc ne semble capable de gouverner. Certaines solutions semblent se dessiner, mais elles semblent toutes aussi bancales que précaires et irréalistes.

Dans le camp Netanyahou, on pousse pour une coalition religieuse face aux laïques. Le parti islamiste Ra’am, qui ne se positionne pas officiellement dans l’opposition, pourrait apporter les quatre sièges d’appoint pour une majorité. Aussi invraisemblable que cette alliance puisse paraître, elle est régulièrement évoquée et des négociations auraient lieu en ce moment-même pour obtenir cette majorité des partis religieux. Qu’importe qu’un des alliés de Netanyahou soit un parti ouvertement raciste contre les Arabes, qu’importe que le Likoud et Yamina amalgament régulièrement l’ensemble des Palestiniens à un peuple de terroristes islamistes, une solution d’alliance avec les islamistes est évoquée. Yamina, toutefois, a indiqué qu’elle refuserait d’être membre d’une quelconque coalition avec un parti arabe.

Du côté de l’opposition, tout semble être fait dans l’unique objectif de sortir Benjamin Netanyahou du pouvoir. Les partis néo-sionistes de droite sont prêts à s’allier aux nationalistes arabes, une perspective inimaginable et absurde il y a encore six mois. Toutefois, sans l’appoint des islamistes, cette coalition n’aurait pas le pouvoir.

La situation est figée, et le scénario le plus probable est finalement celui d’une nouvelle élection dans quelques mois, la cinquième en deux ans. Les thèmes de campagne – influence de la religion, annexion ou démantèlement des colonies, corruption, politique étrangère – sont à mille lieux de la crise sociale qui se joue aujourd’hui en Israël. La progression alarmante de partis politiques extrémistes et ouvertement violents, qui accompagne l’incapacité à trouver un consensus démocratique, est partie intégrante de la Weimarisation de la politique que nous décrivions récemment. La gauche économique, hébraïque ou arabe, n’obtient pas 15% des suffrages, et même si elle est en progression, il semble que ce soit plus conjoncturel que structurel. La question laïque est omniprésente, tant l’extrémisme religieux et l’obscurantisme progressent, mais les partis laïques n’ont pas la majorité. Les résultats locaux démontrent un éclatement total du pays : à Jérusalem, les ultra-orthodoxes obtiennent plus de 30% des voix, alors qu’à Tel-Aviv c’est la gauche qui obtient 30% des voix. Dans les colonies, un électeur sur quatre a voté pour les kahanistes, et presque un sur deux pour Yamina. Les banlieues de Tel-Aviv, villes champignons construites pour accueillir l’immigration russe des années 90, votent massivement pour les néo-sionistes laïques, et les zones arabes sont elles-mêmes divisées, entre villes qui votent pour la gauche nationaliste et bédouins qui votent pour les islamistes.

Israël est en proie à une crise politique qui ne fait que refléter la crise identitaire profonde qui la traverse. Le mode de scrutin proportionnel amène le blocage, mais un mode de scrutin majoritaire mènerait au pouvoir un camp qui ne serait que marginalement soutenu. Arabes ou hébreux, orthodoxes ou laïques, néo-sionistes ou pour la paix, les multiples fractures qui structurent la société israélienne se retrouvent en politique. Tant que cette crise identitaire ne sera pas résolue, Israël ne pourra pas sortir de la crise politique. Pendant ce temps, la crise sociale et la Weimarisation progressent.

Weimarisation de la République fédérale : concept et processus

L’année 2021 va voir l’achèvement d’un phénomène que nos camarades installés en Allemagne nous décrivent depuis dix ans … mais un phénomène qui a débuté voici près de 20 ans : la Weimarisation de la République fédérale d’Allemagne.

La République de Weimar est restée dans les mémoires pour le Traité de Versailles, l’hyperinflation, l’incapacité des deux partis de gauche de s’allier, la crise économique des années 1930, et finalement, une coalition du centre droit et de l’extrême droite achevant son agonie.

L’instabilité ministérielle de Weimar s’accompagnait de l’absence de majorités claires, avec un émiettement en dizaines de micro partis catégoriels ou régionalistes obtenant des élus. C’est ce qui mena à la répétition de « grandes coalitions » associant centre gauche et centre droit, puis, dès 1930, à des gouvernements minoritaires au parlement qui contournaient celui-ci en utilisant des ordonnances.

Cela accéléra la défiance populaire à l’égard du parlement, et finalement, de la démocratie en soi,. Cette situation favorisa l’ascension du parti promettant un pouvoir fort, mais aussi d’unir en son sein toutes les classes sociales, selon un agenda raciste et une définition racialiste de la société, avec l’antisémitisme comme ciment, et le militarisme comme outil d’avenir, la colonisation de l’Europe orientale comme projet, le parti nazi.

L’une des faiblesses institutionnelles de Weimar, d’après les « spécialistes » qui pensent que le cadre juridique détermine les réalités sociales, aurait été la proportionnelle intégrale, favorisant l’émiettement du vote, et dès lors, l’incapacité de grands partis à constituer des blocs permettant un fonctionnement sain de la democratie, avec une alternance entre majorité et opposition des deux blocs. Cette interprétation trop répandue écarte toute analyse sérieuse sur la culture politique, historique et sociale construite par la domination du militarisme ultra-nationaliste prussien et sa sublimation raciste après la défaite de 1918…

Selon les mêmes interprètes, le mode de scrutin devait en quelque sorte favoriser la réconciliation des droites et des gauches pour que la démocratie fonctionne – la thèse des gauches irréconciliables étant dès lors l’un des pires poisons à donner à une démocratie. Le mode de scrutin de la République fédérale est par conséquent hybride : la moitié des députés sont élus « à la britannique » – le candidat arrivé en tête dans une circonscription emporte le siège – et l’autre moitié à la proportionnelle, avec une correction du nombre de sièges in fine.

De plus, pour réduire l’émiettement parlementaire de Weimar, la loi électorale fédérale a fixé un seuil de 5%, l’idée etant que le citoyen informé n’allait pas voter pour un parti sans chance sérieuse d’entrer au Bundestag et s’engagerait dans l’un des deux blocs pour y défendre son intérêt particulier.

Cela a longtemps marché : les Allemands de l’Ouest se sont longtemps organisés autour de deux grands partis de masse, les Völkerparteien, à gauche le SPD, à droite l’Union de la CDU et la CSU, chacun de ces deux partis fédérant des ailes droites, centriste au SPD, nationaliste au sein de l’Union, et de gauche, marxiste au SPD, chrétienne sociale au sein de l’Union. Le FDP, le parti libéral, à la fois sur les libertés publiques et les questions économiques, subsista seul comme petit parti.

Premiers signes

L’apparition des Verts dans les années 1980 allait commencer un processus d’émiettements par cercles successifs de sujets spécifiques. Les Verts regroupent à la fois des gauchistes que le SPD ne voulait pas organiser en son sein, et des conservateurs soucieux de la nature, et refusant des centrales nucléaires dans leurs jardins. C’est l’ambivalence des Grünen, entre anciens « amis » de la Rote Armee Fraktion (RAF) et bourgeois souabes surpris d’être frappés par la police en refusant un chantier de centrale nucléaire.

La réunification a initié de fait un nouvel émiettement, car le parti issu des anciens communistes de l’Est (parti socialiste unifié d’Allemagne – SED), devenu Parti du socialisme démocratique (PDS), n’ayant aucun allié naturel ou espace d’intégration avec les partis de l’Ouest, et subsistant une quinzaine d’années en tant que parti régional voire régionaliste, car moins « communiste » que défenseur des intérêts des Ossis (Allemands de l’Est) face à une réunification vécue comme une sorte de colonisation. Une étude récente d’ailleurs démontrait que l’Ossi, encore aujourd’hui, est perçu par la société allemande comme une sorte de migrant de l’intérieur : mêmes stéréotypes et discriminations silencieuses que pour un descendant de migrant.

En parallèle, la troisième voie social-démocrate a théorisé en Europe une rupture interne, tout à la fois concernant les classes sociales qu’elle représentait, que dans la synthèse des familles politiques constituant la gauche. Avant même l’apparition du clintonisme et du blairisme, le Labour britannique s’était divisé selon cette grille de lecture, les ailes droites et gauches devenant irréconciliables. L’évolution a suivi un long processus, avec des rythmes différents selon les spécificités nationales, dans la plupart des pays d’Europe occidentale. La social-démocratie n’a pas compris son incapacité à prendre réellemnt pied dans l’ancienne Europe de l’Est ; elle a cessé dans la même période d’être un espace d’engagement réellement militant, de formation, mais aussi d’encadrement. Sur ses décombres, dans les géographies de ses pertes électorales, ont émergé des partis d’extrême droite.

En Allemagne, ce mouvement s’engage surtout à partir de 2002.

On aurait pu penser que le système institutionnel l’emporterait sur les tensions sociales et économiques pour déterminer le paysage politique, selon l’interprétation de ceux qui considèrent que le cadre domine la dynamique sociale.

En 2002, on a encore deux grands blocs, un SPD encore populaire à 35%, une gauche majoritaire, une droite en un seul bloc à 35% et Les libéraux. Les anciens communistes disparaissent quasiment du parlement, à moins de 5% des voix, et seulement deux élues, qui emportent par leur implantation régionale leur circonscription. La démocratie semble solide, la loi constitutionnelle joue son rôle, il y a alternance entre deux blocs, mais aussi, modération du fait majoritaire par l’obligation de coaliser avec deux petits partis, qui servent d’amortisseurs, Verts ou FDP.

Schröder, le dynamiteur

Le deuxième mandat de Schröder va tout faire exploser.

L’agenda 2010 de réformes de l’assurance chômage et du droit du travail – les réformes Hartz 4 – n’était pas à l’agenda de la campagne de 2002. Il est annoncé en mars 2003, un peu à la surprise générale, et, grâce au soutien des Verts, s’impose aux oppositions de l’aile gauche du SPD et du syndicalisme allemand.

Dès 2004 naissent des scissions à l’aile gauche du SPD, qui s’organisent en 2005 avec les restes d’un parti agonisant, le PDS des ex communistes est-allemands. De cette alliance de bric et de broc naîtra les Linke ; elle est la conséquence directe de la volonté de l’aile droite du SPD de gouverner sans l’aile gauche, même au prix de ne plus être le parti matrice des synthèses à gauche. Rejeté par son électorat du fait de ces réformes, le SPD perdra en 2004 et 2005 Land après Land. Schröder a tenté de chercher son salut dans une élection anticipée, pour prendre de court à la fois la droite, où Merkel était encore considérée comme une présidente de transition, et sa gauche.

Son pari échoua de 8 000 voix. Mais le Bundestag en sortira bloqué.

Le parlement est privé de majorité de gauche ; la gauche est pourtant majoritaire, avec 327 sièges sur 614, mais le PDS et ses alliés (ils ne sont pas encore devenus Linke mais sont remontés à 8,7% des suffrages et 54 députés) et le SPD sont « irréconciliables », et les Verts est-allemands, issus des mouvements civiques dissidents comme Bündnis ’90, reconnaissent encore au sein des élus du PDS des anciens membres de la Stasi.

C’est donc le retour de la coalition maudite de Weimar : la « Grande Coalition ». Merkel devient chancelière, et n’aura plus qu’un programme politique : le rester.

L’explosion du parti de masse à gauche va progressivement renforcer l’émiettement politique et parlementaire.

La première GroKo (abréviation populaire de grande coalition) va voir une première résurgence de l’extrême-droite avec le parti néonazi NPD, mais aussi le « parti pirate », libertarien et laïc (il réclame la séparation des Eglises et de l’Etat).

L’émiettement weimarien s’accompagne de l’impossibilité de faire des majorités de droite ou de gauche. Il apparaît d’abord dans les votes communaux, régionaux. On commence à parler de coalitions bizarres, utilisant parfois les couleurs des drapeaux de nations lointaines pour désigner les associations de couleur des partis : Jamaïque, Kenya, Feu rouge, etc.

L’élection fédérale de 2009 sanctionna l’explosion de la gauche avec un SPD effondré à 23% – il était à 42% en 1998. Mais la droite aussi ne retrouve pas pour autant ses grands scores, et ce sont les Libéraux du FDP qui apparaissent comme le sas de sortie d’une partie de l’électorat ; ils remplacent le SPD comme partenaires de coalition de l’Union. Au total, les deux anciens grands partis de masse ne regroupent plus que 60% de l’électorat, contre 85% en moyenne de long terme. Les 3 « petits partis » font chacun plus de 10%. Le vote pour des partis non représentés au parlement a également progressé : cela représente 8% des suffrages démontrant ainsi qu’une part croissante de l’électorat veut voter pour son parti de cause unique coûte que coûte.

2009 marquait ainsi la fin de l’équilibre institutionnel instauré par la loi fondamentale en RFA, mais sur le chemin de la Weimarisation il manquait encore un composant essentiel.

Les sociaux-libéraux choisissent la soumission et la marginalisation de la gauche

L’élection fédérale de 2013 représenta l’accélération de cette Weimarisation, masquée sur un scrutin par la popularite d‘Angela Merkel. Son parti connaît un rebond, que l’on sait avoir été ultime, à 42%. Mais sa politique est rejetée, et c’est le FDP qui en fait les frais ; son allié de coalition n’arrive pas à rester au Bundestag en passant de 14,7% à moins de 5%.

Cette année là, l’AfD manque de peu son entrée au Bundestag. Sa progression suivra aux européennes, aux régionales, et son apparition détraque un peu plus le jeu institutionnel prévu par la loi fondamentale.

Seulement 85% des suffrages exprimés sont représentés au Bundestag – 15% des électeurs (+7 points!) ont choisi des partis en connaissant le risque de ne pas être représentés.

Ce n’est que grâce à cela que la gauche en 2013 est à nouveau majoritaire sur le papier. Ainsi, tout au long de ce mandat, de 2013 à 2017, la gauche aurait pu, aurait dû, surmonter ses désaccords « irréconciliables » et aurait pu, aurait dû, renverser Merkel. Celle-ci, obsédée par le possible rassemblement des gauches, fera tout pour l’empêcher, y compris s’asseoir sur les traités internationaux pour ouvrir les frontières.

On ne reviendra pas en détail sur la responsabilité des gauches ici. Dans un contexte de Weimarisation, reconnaissons seulement que 2013-2017 était la fenêtre d’opportunité pour retrouver l’équilibre institutionnel prévu par la loi fondamentale, et reconstruire un bloc de masse. Les classes bourgeoises sociales-libérales refuseront la reconstitution de la synthèse social-democrate structurante et choisiront la marginalisation.

L’émiettement final … ?

Les élections de 2017 voient le retour des faiblesses de Weimar : l’extrême droite est de retour, avec 12% des suffrages et 94 députés.

On compte pas moins de 6 partis représentés au Bundestag. Aucun bloc n’est majoritaire.

L‘Union fait l’un de ses pires scores historiques à 33%, le SPD son pire score historique, à 20%, retrouvant un niveau …. d’avant la première guerre mondiale.

Pendant les 6 mois qui suivront l’élection, l’Allemagne n’aura qu’un gouvernement démissionnaire, expédiant les affaires courantes.

La GroKo se réforme sans enthousiasme, secouée pendant deux ans de crises internes. La droite se fissure, entre aile droite tentée par l’alliance avec l’AfD, et une aile centriste n’excluant pas des alliances régionales avec les … anciens communistes devenus Linke.

La crise pandémique a provoqué un rassemblement national des partis associés aux exécutifs régionaux. L’AfD en a été exclue, elle a perud en visibilité, en vote (lors des récentes élections régionales dans le sud-ouest de l’Allemagne – https://g-r-s.fr/enseignement-des-elections-locales-en-allemagne/) et en intention de vote, du moins en apparence.

Mais l’émiettement se poursuit et s’achève.

En 2021, Merkel ne se représentera pas.

La GroKo bancale de 2018-2021 aura été une mauvaise affaire tant pour le SPD, passé définitivement sous les 20%, que pour l’Union, qui s’effondre dans un dernier sondage à 26%, et pour la démocratie.

8% des électeurs refusent le jeu institutionnel et s’entêtent sur des partis sans aucune chance de représentation parlementaire : NPD, Pirates, mais aussi partis communautaristes, animalistes, ultragauchistes ou satiriques. Ce sont les Sonstige, les « divers ».

Les Verts occupent l’espace du Nouveau Centre, du Zentrum de 1928.

Théoriquement, si le sondage Forsa du 24 mars 2021 était le résultat des prochaines élections fédérales de septembre 2021, la gauche de l’ancien temps serait majoritaire en sièges. Incapable de parler ensemble en 2005, seulement capables entre 2013 et 2017 de s’allier en fin de mandat, pour passer contre Merkel le mariage pour tous, il est cependant peu probable qu’ils se coalisent en 2021.

La compréhension historique et sociologique des Verts ne les conduisent pas à « éviter de refaire Weimar ». Leur ambition structurante s’est affranchie peu à peu des réflexions issues du gauchisme allemand qui les a un temps caractérisés. Ce sont pourtant eux qui devraient avoir les cartes en main, tout au long de la campagne, et, sauf accident dramatique pendant la campagne, après.

Ce que Merkel avait retardé en 2011 en décidant à la surprise générale l’arrêt du nucléaire, alors que les Verts étaient déjà à 20% des intentions de vote, pourrait se produire dix ans après.

La question pour l’Allemagne, est de savoir si elle retourne aux vieux démons enfantés par Weimar, ou si elle inventera d’une nouvelle synthèse post-unification…

Les classes populaires y seront-elles associées, ou le séparatisme satisfait d’une bourgeoisie prospère va-t-il accentuer encore les fractures de la société allemande ?

C’est l’enjeu tant de la gestion de la crise pandémique que de l’élection fédérale dans six mois.

Le Projet de Loi Climat et Résilience : les bons, les brutes et les truands.

Comme nous l’avions évoqué dans une précédente analyse (https://g-r-s.fr/climat-et-resilience%e2%80%af-lobbies-vessies-et-lanternes/), le Projet de Loi surnommé « Climat et Résilience »1 devait reprendre les propositions des 150 citoyens qui composaient la Convention Citoyenne pour le Climat. Cependant loin de cet objectif, c’est dans une logique de détricotage, de rafistolage et de ripolinage, devenue plus qu’habituelle, que le Gouvernement et sa majorité ont examiné ce texte.

Tout s’est passé pendant la Commission spéciale de l’Assemblée Nationale, mise en place pour l’occasion. Ce texte de près de 70 articles, qui devaient réguler des activités de la vie quotidienne (se nourrir, se déplacer, consommer, produire, etc.) et des aspects plus spécifiques, comme la mobilité, l’artificialisation des sols ou encore certains types de publicités accouchera finalement comme nous l’avions démontré de mesures peu ambitieuses. Pour compléter le tableau, il ne traite nullement de certains sujets essentiels comme l’impact de l’utilisation des pesticides sur le changement climatique, l’économie et les industries vertes ou très peu de sujets comme l’eau et la forêt. Pourtant, selon l’exécutif, le projet de Loi devait « ancrer l’écologie au sein de notre société ».

Sauf que, face au changement climatique, nombre de scientifiques, d’associations de citoyens et d’experts s’accordent à dire que toutes les activités humaines, qu’elles soient économiques ou sociales, ont une influence à différents degrés sur notre planète. L’ensemble des questions auraient donc du être traités.

L’examen de ce projet de Loi est une démonstration exemplaire de la lourde implication de ce que l’on appelle « l’Etat profond » dans les travaux du Parlement. Rien de neuf sous le soleil diront certains. Les travaux de l’Assemblée Nationale, aussi bien que ceux du Sénat, voient souvent des amendements passer sous les fourches caudines d’une haute administration consanguine des lobbies dont elle devrait nous prémunir. Pourtant, cet épisode peut être qualifié d’« historique » dans cette législature car jamais avant il n’y avait eu autant d’amendements rejetés sous cette pression.

Au premier jour des travaux, 5 518 amendements qui ont été déposés devant la Commission spéciale : 1 112 amendements ont été déclarés « irrecevables », donc non examinés, dont un millier dénoncés abusivement comme « cavalier législatifs ». Cette pratique a enlevé l’un des derniers outils dont disposaient encore les députés : le temps de parole. En empêchant les députés de s’exprimer, la majorité macroniste s’est assurée que rien ne pourrait freiner la marche du gouvernement qui veut aller très vite sur ce texte décevant après avoir été annoncé en fanfare … et cela quitte à aller dans le mur.

Evidemment, dans le cadre d’un débat « de bonne foi », le fait d’écarter les « cavaliers législatifs » permet généralement d’éviter que des députés ne déposent des propositions sans liens avec le texte. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et il est « curieux », voire supsect, de constater la systématisation de ce procédé pour traiter des amendements des oppositions parlementaires.

Cet épisode est en réalité révélateur de certaines pratiques qui se sont généralisées depuis le début du quinquennat et ont atteint sur ce texte leur apogée. Plusieurs cas illustrent ce phénomène malsain pour la démocratie. Ainsi ont été considérés comme irrecevables :

  • des amendements déposés par des députés de l’opposition alors que des amendements similaires de la majorité sont discutés ;
  • des demandes de rapports en lien avec la philosophie du texte et qui auraient permis aux parlementaires d’obtenir des informations importantes sur les phénomènes climatiques. Or, ils sont systématiquement placés à l’article 40 de la Constitution (ne pas alourdir les charges), comme si la rédaction de rapports, un travail coutumier pour les députés, allait « plomber » les finances de la Nation ;

Dans le même état d’esprit, l’irrecevabilité des amendements de l’opposition a été complétée par d’autres méthodes de détournement de la démocratie parlementaire :

  • des amendements de l’opposition « rejetés » pour de faibles raisons et mais qui seront adoptés par la Commission lorsque les « mêmes » ont été déposés par des députés macronistes. Il est important de préciser que curieusement certains amendements déposés à la dernière minute par la majorité ressemblaient étrangement, à deux virgules près, à ceux déposés plus tôt par des députés de l’opposition ;
  • des amendements de la majorité adoptés au pas de course sans réelle discussion alors qu’ils dégradaient le texte ou en enlevaient des notions importantes dans la lutte contre le changement climatique.

Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer cette méthode délétère déjà constatée lors de l’examen de précédents textes :

  • des amendements de l’opposition ont été transmis par l’administration parlementaire aux députés de la majorité, avant le délai final de dépôt des amendements en commission ;
  • la mauvaise foi qui sous-tend ce traitement masque la mise en place de « tarifs préférentiels » pour les parlementaires de la majorité. Ainsi, in fine, seuls 8% des amendements ont été adoptés sachant que 78% d’entre eux proviennent du groupe LREM qui n’avait déposé que 1 800 amendements. Bien évidemment, une petite proportion des amendements de la majorité ont connu un sort néfaste afin de sauver les apparences.

En réalité, tout amendement qui pouvait améliorer et enrichir le texte du gouvernement a été balayé avant le début des travaux de la Commission spéciale. Pour le reste, les quelques amendements de l’opposition qui ont été adoptés en commission étaient trop anodins pour mettre en danger les desseins du Gouvernement.

Cette séquence parlementaire démontre à l’envie, comme pour tous les autres sujets de fonds, le Gouvernement n’a que faire du climat. Seul compte l’affiche que nous prépare le Président de la République à un an de l’élection présidentielle. Tout cela à une époque où la communauté scientifique ne cesse de nous mettre en garde contre l’aggravation des désastres environnementaux. Le Macronisme, comme on pouvait s’y attendre, handicape la lutte contre le dérèglement climatique tout en abaissant un peu plus un Parlement qu’il méprise.

La Gauche Républicaine et Socialiste s’indigne de ce déni aggravé de démocratie et exige que le Gouvernement retrouve sagesse et écoute lors des discussions de ce texte en séance (nous ne nous faisons que peu d’illusions). Il en va de la nécessité d’agir pour notre planète et de sécuriser l’avenir des générations futures faces aux désastres qui pourraient rapidement survenir si nous ne faisons rien.

1 – De son vrai nom : Projet de Loi « de lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face ses effets »

Les dépistages dans les écoles doivent être réalisés par des professionnels

Le Gouvernement a lancé le recrutement de « Médiateurs de lutte anti-Covid ». Il s’agit d’agents contractuels recrutés au niveau bac et payés au SMIC horaire qui seront chargés entre autres de la réalisation des tests de dépistage anti-covid. Alors que la pandémie frappe notre pays depuis plus d’un an, c’est un nouvel exemple du fait que le gouvernement continue de traiter la situation sanitaire avec légèreté.

Emmanuel Macron, Jean Castex et Bruno Le Maire parlent toujours, comme il y a un an, de soutenir l’économie « quoi qu’il en coûte ». Cet argent public n’est visiblement pas suffisamment disponible pour faire progresser la sécurité sanitaire. Ainsi, le gouvernement souhaite que les dépistages dans les écoles soient réalisés par des personnels contractuels sans qualification médicale préalable. Cet incroyable mépris illustre le mensonge d’un gouvernement qui a osé prétendre avoir pour priorité la jeunesse.

La Gauche Républicaine et Socialiste demande le retrait de ces offres de recrutement et la réalisation des tests de dépistages par des personnels ayant des qualifications médicales.

Emmanuel Macron déclarait en avril 2018 qu’il n’y a pas d’argent magique. La crise exceptionnelle que traverse notre pays l’a amené à revoir sa position. Maintenant que le Gouvernement a retrouvé son chéquier, il doit prendre au sérieux la santé des Français, la santé et l’avenir de nos enfants.

L’affaire de Strasbourg démontre l’absurdité des statuts locaux d’exception

Nous déplorons que la majorité municipale de Strasbourg ait voté une subvention de plus de 2,5 millions d’euros pour le projet de mosquée portée par le Comité Islamique du Milli Gorus (CIMG).
Si le droit local d’Alsace-Moselle autorise ce genre de subvention, elle n’a aucun caractère obligatoire. Cette affaire témoigne qu’il est temps enfin que l’Alsace et la Moselle entrent dans le régime commun de notre République une et indivisible. Les spécificités de type concordat et droit local ne peuvent qu’encourager le flou là où notre époque exige de la clarté dans le rapport des pouvoirs publics aux cultes. A contrario, certaines dispositions sociales du droit local (héritées de la législation Bismarck…) mériteraient d’être étendues à l’ensemble du territoire de la République. Il faut donc retrouver un cadre commun à tous.
Il n’est en aucun cas acceptable que de l’argent public participe au financement d’une opération portée par un organe de l’islamisme politique. Le CIMG, et son volet politique le Parti Égalité et Justice (PEJ), sont les proues avancées d’Erdogan en France. En prônant un « moratoire sur la laïcité » et l’adaptation de la loi de 1905, mais aussi l’abrogation de la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l’école et celle de la loi de 2010 sur le port de la burqa, le CIMG et le PEJ sont des adversaires dangereux de notre République. Ils doivent donc être traités comme tel. A ce titre, le réveil tardif et opportuniste du ministre de l’intérieur ne peut que nous interroger ; en effet alors que le caractère politique et sectaire (notamment le fait de prôner le port du voile chez les très jeunes filles) de cette organisation est connu depuis de nombreuses années, elle n’a jamais fait l’objet d’un signalement particulier du ministère de l’intérieur. Le gouvernement et Gérald Darmanin sont donc tout autant responsables de la situation que le municipalité dont le choix a été dénoncé par un simple tweet.
Il est temps que le gouvernement prenne ses responsabilités pour que les fonds publics ne servent plus au financement des lieux de culte.
Il est des principes avec lesquels on ne peut pas transiger.

L’Etat de droit vacille en Turquie à grands coups contre la laïcité

Le 17 mars dernier, le parlement turc a destitué un député de l’opposition HDP, un avocat connu pour sa défense des libertés publiques et son engagement contre les abus de pouvoirs du parti d’Erdogan. Cette invalidation apparaît comme le prélude à une offensive en règle contre l’HDP, la troisième formation politique du pays qui fait l’objet d’une répression implacable depuis 2016 – à la suite de la tentative du coup d’Etat manqué de juillet 2016, initié selon Erdogan par son ancien allié Fethullah Gülen (tentative de coup d’Etat tellement mal ficelée qu’on peut se demander si ce n’était pas un « coup monté »). L’AKP, parti au pouvoir, avec son allié ultranationaliste turc, réclame tout à la fois l’interdiction du HDP, la criminalisation de 600 de ses cadres et élus, et l’inéligibilité de ses militants. Ainsi un procureur a envoyé, quelques heures après cette desitution, un acte d’accusation à la Cour constitutionnelle demandant l’ouverture d’un procès pour interdire le HDP.

Le HDP est souvent décrit comme un parti « de la gauche pro-kurde », laïque, très critique des lois du capitalisme. En réalité, il rassemble des suffrages dans de nombreuses couches de la société turque, recueillant quelques 11,6% des voix aux dernières élections de juin 2018 (13,1% en juin 2015 et 10,7 en novembre 2015). Souvent pris pour cible en raison de sa base électorale très forte au Kurdistan, le HDP subit ici une campagne par amalgame.

Un tweet, une présence fortuite au même endroit, et cela suffit pour assimiler tout un parti à un mouvement considéré comme terroriste. Le pouvoir islamiste d’Istanbul accuse le HDP ses relations avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation inscrite sur la liste des organisations terroristes en Europe et aux Etats Unis. Posture à tout le moins hypocrite, car le FDS de Syrie – auquel participent les communistes kurdes de Syrie, liés au PKK – a été l’allié des Américains et des Européens, fournissant l’essentiel de l’effort militaire sur le terrain pour faire reculer Daesh puis le battre militairement. Bien que le FDS ait tout fait pour se distinguer nominalement du PKK, il était pour ces liens dénoncés par Erdogan la principale cible de l’invastion turque du nord de la Syrie en octobre 2019 … pendant laquelle les forces kurdes de Syrie ont été totalement lâchées par leurs alliés occidentaux.

L’annonce des projets de l’AKP et de la justice tuque, « normalisées » depuis 2016 avec des milliers de mises à pieds de juges indépendants, remplacés grâce à des nominations par le parti au pouvoir, ont déjà déclenché les condamnations de l’Union Européenne et de l’Allemagne.

La France ne s’est pas exprimée, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian refusant toute collusion apparente avec les forces communistes kurdes qui ont pourtant fait le travail contre les commanditaires des attentats de Paris en novembre 2015. D’une certaine manière, si à Paris le gouvernement français a décidé de mener un combat d’opérette contre les islamogauchistes, il semble bien qu’il ne veuille surtout pas froisser un gouvernement islamiste qui réprime des « gauchistes »… Pour Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, l’ennemi semble moins être l’islamisme que le « gauchisme ».

Pourtant au-delà de l’ironie, il nous faut dire les choses : l’AKP et Erdogan construisent leur pouvoir en s’attaquant et en affaiblissant systématiquement les gauches laïques en Turquie, qu’elles s’expriment au nom de la majorité turque ou de la minorité kurde. La création et la progression de l’AKP, comme dans d’autres pays du Moyen Orient, doit beaucoup au soutien des services secrets américains qui voyaient dans la structuration politique islamiste un outil pour contrer les gauches syndicale et politique. 90% des travailleurs turcs étaient syndiqués dans les années 1970. Les batailles symboliques, comme celles du voile, ont ouvert la voie à ce parti, ringardisant les gauches laïques. Depuis son arrivée au pouvoir, l’AKP, tout en assurant son fond de commerce sur le conservatisme moral (si certains avaient encore quelques illusions le gouvernement Erdogan a annoncé que la Turquie – après la Pologne – sortait de la « convention d’Istanbul » visant à lutter contre les violences faites aux femmes sous prétexte que cela « favoriserait les divorces »et les droits des homosexuels !?!) et le nationalisme intégral, s’est parfaitement coulé dans le costume du défenseur des intérêts des propriétaires d’entreprises. À ce titre, les difficultés économiques et monétaires que connaît la Turquie depuis plus de deux ans ne peuvent que nous conduire à considérer que cette nouvelle offensive politique autoritaire est une manœuvre dilatoire pour masquer l’impéritie économique du pouvoir AKP.

Nous ne nous laisserons pas abuser par la propagande caricaturale du pouvoir islamiste d’Istanbul. Face à la prédation économique d’une classe et d’un parti corrompu, ce sont bien les républicains kemalistes du CHP et les « gauchistes » du HDP qui représentent une alternative républicaine, démocratique et de gauche, apte à répondre aux besoins réels des citoyens de Turquie.

La Gauche Républicaine et Socialiste dénonce les menées dictatoriales d’Erdogan et ses tentatives de faire interdire le HDP. La GRS espère que les Turcs reprendront au plus vite le contrôle de leur République. La GRS apporte son soutien au CHP et au HDP dans la bataille nécessaire qui doit conduire au rétablissement démocratique de l’Etat de droit, d’une république laïque et démocratique.

150 ans après, la Commune reste une source d’inspiration incomparable


Le 18 mars 1871, le Gouvernement de « Défense Nationale » ordonne le désarmement de Paris. Partout dans Paris, des troupes s’activent pour retirer l’attirail qui permettait de défendre la capitale, encerclée par les armées prussienne et des princes allemands coalisés. Mais sur la butte de Montmartre, les ouvriers parisiens refusent qu’on leur retire les canons. Les soldats envoyés pour désarmer Montmartre reçoivent l’ordre de tirer sur les ouvriers ; ils refusent, finissent par rejoindre les ouvriers et livrer leurs officiers à la fureur vengeresse de la foule. Ainsi débute l’insurrection de la Commune.

Avec le sens de la formule qu’on lui connaît quand il se fait journaliste ou chroniqueur, Karl Marx écrivit à son propos « La plus grande mesure sociale de la Commune était son existence en actes »… Le retentissement de cet événement révolutionnaire dépasse les âges et les frontières : bien que la Commune n’ait pas grand chose à voir avec l’idéologie du fondateur de l’URSS, l’ambition de Lénine, en octobre 1917, était de durer plus que les 72 jours des communards ; on dit qu’il se mit à danser de joie dans la neige et sur une des places du Kremlin après qu’un proche lui rappela que le délai espéré était dépassé.

Ferments et origines de la Commune

Ce sont d’abord les conditions économiques et sociales, qui avec les débuts de la Révolution industrielle accélérée par le Second Empire a fait naître un prolétariat industriel massif à Paris et dans sa proche banlieue. Nous sommes encore loin des grandes usines, Paris, ses rues et coursives, entassent les ateliers qui sortent peu à peu de l’artisanat. Les rares lois sociales sur le travail sont truffées de dérogation et de toute façon ne sont pas ou peu appliquées, comme celle qui fixe à 11 heures maximum la journée de travail dans le département de la Seine. La grande pauvreté et une insalubrité effroyable sont la cause de taux de mortalité vertigineux ; la probabilité de mourir avant cinq ans, pour un enfant né dans le département de la Seine avoisine les 40 %. L’exploitation capitaliste est à son comble et la doctrine socialiste commence donc à faire des émules parmi les ouvriers de la Seine.

Mais il y a surtout et d’abord la guerre. Comme en 1793, « la Patrie est en danger » ! La France est envahie, largement occupée et Paris est encerclée. Le Peuple de Paris est porté par une mystique Jacobine héritée de la Grande Révolution. Comme de celle déclenchée par Louis XVI en 1792, le Peuple ne voulait pas de cette guerre inutile déclenchée en 1870 par un nouveau caprice du « Prince Président » qui avait renversé la République pour se faire Empereur. Mais maintenant que le danger est là et que l’oppression étrangère est aux portes, le Peuple ouvrier et ses idoles libérées par la proclamation (pleine d’arrières pensées) de la République le 4 septembre – comme Auguste Blanqui – ne peuvent tolérer que le gouvernement de « Défense nationale » ne fasse rien pour libérer le territoire. Il ne s’agit pas d’un nationalisme chauvin comme Déroulède, Barrès ou Mauras l’incarneront plus tard, ou celui institutionnalisé et mis en scène de la IIIème République en gestation, c’est le patriotisme égalitaire de 1793 et des sans-culottes. La patrie c’est la communauté elle-même, la communauté nationale, la communauté des citoyens, celle qui rend possible d’envisager la construction d’une société d’égalité et de justice, celle qui est la propriété commune de tous et non des seuls aristocrates et grands bourgeois qui se complaisent dans l’Empire ou la Monarchie.

Le déclenchement de la Commune est donc d’abord l’affaire d’un sentiment populaire patriotique puissante, son instauration est réclamée depuis plusieurs mois par les plus radicaux des Républicains parisiens, comme Jules Vallès, journaliste dont l’audience et celle de son journal Le Cri du Peuple ont cru fantastiquement depuis l’automne 1870… réclamée comme conditions nécessaire pour une levée en masse, pour une défense populaire de la Capitale qui permettra au Peuple de réussir le désencerclement de Paris et le refoulement des armées occupantes.

Le déclenchement de la Commune c’est ensuite l’histoire d’une défiance légitime des Parisiens et de leurs leaders à l’égard du gouvernement de « défense nationale ». La République du 4 septembre, proclamée par surprise et à la va-vite, a des assises très faibles ; les Républicains sont divisés depuis le lendemain même de la proclamation entre ceux qui veulent réellement la Défense nationale, ceux qui recherchent une « paix honorable » et les « radicaux » (qui ne sont pas du gouvernement) qui espèrent que la levée en masse et la libération du territoire précédera la République sociale. Le Gouvernement de « défense nationale » rassemble Républicains modérés et monarchistes (plus ou moins recyclés comme Adolphe Thiers) ; Léon Gambetta, tenant de la contre-offensive, va rapidement être isolé en son sein, après avoir quitté la capitale en ballon : Républicains modérés et monarchistes s’entendent d’autant plus pour une paix rapide que la levée en masse est nécessaire pour chasser les Prussiens et qu’ils craignent dans la foulée un nouveau Valmy, une renaissance de sans-culottes de l’An II, avec une population en armes qui pourrait alors s’en prendre aux possédants qui abusent sans vergogne. La tiédeur et la résignation devant la défaite se changent bientôt en trahison ; le gouvernement fait tout pour décourager toute tentative sérieuse de désencerclement de la Capitale. Le peuple de Paris se rend bientôt compte qu’on lui ment et qu’on le trahit alors qu’il porte sur lui les principales douleurs de la guerre et du siège. Vallès parle d’une croix pour laquelle d’innombrables Judas fournissent le clous enfoncés par de multiples bourreaux ; Blanqui écrit dans son journal La patrie en danger le 15 janvier : « le cœur se serre au soupçon d’un immense mensonge ». Il dénonce « l’abominable comédie » du Gouvernement de Défense Nationale qui refuse de donner au peuple les moyens de chasser les Prussiens. Conscient de son influence sur l’opinion, le Gouvernement de Défense Nationale le fait arrêter et mettre en prison. En tentant de désarmer, le 18 mars, Paris, ce dernier allume l’incendie révolutionnaire.

Si Communistes et Anarchistes se sont emparés – plus que d’autres encore – tout au long du XXème siècle de la mémoire de la Commune, celle-ci n’avait pas grand chose à voir avec le Communisme. L’action et les aspirations de la Commune étaient « toute empreinte de ce sentiment, vaguement socialiste parce qu’humanitaire, mais surtout jacobin », affirmait Gaston da Costa1. Mais la doctrine sociale des Jacobins était trop imprécise pour proposer à ce stade un programme économique cohérent (un des principaux reproches que fit Marx aux Communards). On peut cependant affirmer que la Commune marque une des étapes essentielles du basculement du jacobinisme au socialisme au sens large.

Réalisations et postérité

Si les Républicains ont eu tant de mal avec la Commune, c’est d’abord à cause de la mauvaise conscience et de l’hypocrisie d’une partie d’entre eux quant aux objectifs de la République, qu’ils prétendaient faire un régime de conservation de l’ordre social ; c’est pour une autre partie une sorte de complexe d’infériorité ou de syndrome de l’imposteur : pour une part, la Commune aura mis quelques semaines à réaliser ou à initier ce que la IIIème République mettra 30 ans à faire (et encore).

L’école gratuite, laïque et obligatoire pour tous est votée et des écoles sont construites. C’est l’« instruction intégrale » dont parle Edouard Vaillant2, délégué à l’enseignement, et qui était pour lui la « base de l’égalité sociale ». Une part importante de l’action des municipalités devait être consacrée à l’éducation des filles et à l’enseignement professionnel. Une école d’arts appliqués réservée aux filles sera ainsi inaugurée le 13 mai. Dernier aspect, l’augmentation et l’égalisation, le 18 mai, du traitement des instituteurs et des institutrices, la commission constatant que « les exigences de la vie sont nombreuses et impérieuses pour la femme autant que pour l’homme ».

La Séparation des Eglises et de l’Etat est également décrétée.

La Commune a également imposé des mesures d’urgence chargées de soulager la population parisienne : extension du remboursement des dettes sur trois ans, interdiction d’expulser un locataire de son logement, rationnement gratuit…

1Gaston Da Costa, né à Paris le 15 décembre 1850 , mort à Bois-le-Roi le 11 décembre 1909, était un pédagogue, militant de gauche et communard français.

2Edouard Vaillant est une des figures centrales du socialisme français en gestation. Dirigeant après la Commune du Comité Révolutionnaire Central, organisation politique des blanquistes, il sera l’un des acteurs de l’unification progressive du socialisme français qui aboutit à la création de la SFIO en 1905 et à la reprise en main par les socialistes de la CGT en 1909.

Par ses avancées concrètes en matière d’organisation du travail, la Commune mérite aussi le nom de révolution sociale. Citons l’interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, la suppression des amendes sur les salaires (décret du 27 avril) et des bureaux de placement, véritables instruments de contrôle social sous le Second Empire. La formule de l’association des travailleurs était considérée comme le principe de base de l’organisation de la production : il ne s’agissait pas de remettre en cause brutalement la propriété privée, mais d’en finir avec l’exploitation ouvrière par la participation collective à l’activité économique. Le décret du 16 avril prévoyait à la fois l’appropriation temporaire des ateliers fermés et la fixation par un jury arbitral des conditions financières d’une cession ultérieure et définitive aux associations ouvrières ; le travail y est limité à 10 heures par jour. Afin que le salaire assure « l’existence et la dignité » du travailleur (décret du 19 mai), les cahiers des charges des entreprises en marché avec la ville devaient indiquer « les prix minimums du travail à la journée ou à la façon » (décret du 13 mai) fixés par une commission où les syndicats seraient représentés. Dans cette logique, le salaire minimum aurait pu ensuite s’imposer à tous les employeurs.

Quant au chantier judiciaire, il réclamait sans doute bien plus de temps que celui dont bénéficia le délégué à la justice, Eugène Protot. Son bilan est pourtant loin d’être négligeable : suppression de la vénalité des offices et gratuité de la justice pour tous, y compris dans l’accomplissement des actes relevant de la compétence des notaires (décret du 16 mai), élection des magistrats au suffrage universel. Concernant les libertés publiques, le langage officiel — « Il importe que tous les conspirateurs et les traîtres soient mis dans l’impossibilité de nuire, il n’importe pas moins d’empêcher tout acte arbitraire ou attentatoire aux libertés individuelles » (14 avril) — contraste avec la réalité moins glorieuse des actes commis sous le couvert de l’« ex-préfecture de police », sans parler de l’exécution des otages entre le 23 et le 26 mai 1871.

Des Jacobins aux anarchistes, il existait un objectif commun parmi les Communard : l’institution des conditions d’une souveraineté populaire concrète. Celle-ci est pensée … la Commune privilégiait comme les sections du Paris révolutionnaire et conventionnel leu mandat impératif : les élus n’étaient pas autonomes de leurs électeurs, mais constamment révocables. C’était la mise en pratique de la conviction que sans contrôle des élus par le peuple, sans implication permanente du peuple dans les affaires politiques, sans politisation permanente de la vie quotidienne, la démocratie deviendrait une coquille vide. Karl Marx y voyait un choix positif, considérant que le suffrage universel sous un régime représentatif ne permettait au peuple que « de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante doit « représenter » et fouler aux pieds le peuple au parlement ». La Commune faisait , selon lui, du suffrage universel l’outil du peuple pour « remplacer les maîtres toujours hautains du peuple par des serviteurs toujours révocables ». Le débat resurgit après l’écrasement de l’insurrection et on connaît la réponse du Gambetta qui rallié à la République modérée défendit le mandat représentatif après avoir endossé le principe du mandat impératif en 1869. Sans aller jusqu’à la nécessité de la révocation des élus, la caricature de nos institutions et de l’intervention des citoyens devraient aujourd’hui nous inciter à trouver des solutions ambitieuses pour redonner son souffle à la souveraineté populaire.

Dans ce même esprit de concrétisation de la souveraineté populaire, la Commune a encouragé la prise du pouvoir militaire par la population. L’armée de métier a été aboli, les citoyens sont en armes et l’objectif est de créer une « milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir, au lieu d’une armée qui défend le gouvernement contre les citoyens ». On retrouvera cette même intuition quelques décennies plus tard dans L’Armée nouvelle de Jean Jaurès.

L’effervescence politique a également conduit au questionnement du rôle que la société avait assigné aux femmes : celles de citoyennes passives, par nature inférieures. La Commune a permis aux femmes de s’impliquer dans la vie de la cité au même titre que les hommes. À la tête des clubs populaires et de leurs journaux comme La Sociale d’Andrée Léo, elles ont imposé dans la Commune les mesures sociales les plus avancées. Personne ne peut nier que l’une des leaders populaires les plus marquantes de cette Révolution, l’institutrice libertaire Louise Michel (présente pour défendre les canons de Montmartre le 18 mars), est une des plus fortes et grandes figures féministes de notre pays.

Preuve supplémentaire de l’absence de nationalisme obtus chez les Communards, qui reprennent à leur compte l’universalisme républicain, les étrangers sont associés dans le processus. Nombre d’entre eux ont combattu aux côtés des troupes françaises après la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870 : Garibaldi et ses « chemises rouges », mais aussi des Belges, des Polonais, des Russes, etc. A propos de l’élection de l’ouvrier bijoutier Léo Frankel, né en Hongrie, la commission des élections explique : « Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle ; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent, (…) la commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis ».

Les Communards affirmaient ainsi la vocation internationaliste de leur idéal tout en multipliant par ailleurs les appels à la fraternisation à l’égard des soldats allemands. Alors même que la lutte avec les Versaillais avaient débuté, les Communards ne renoncèrent en rien aux principes de démocratie directe au sein de leur armée, avec une perte catastrophique de coordination, de cohérence et d’efficacité dans leur défense militaire… Voilà bien une « leçon » que les Bolcheviques auront retenus : il suffit de voir sur quelles bases, avec quelle dureté et quelle violence, Léon Trotski organisa l’Armée Rouge et la guerre contre les « Blancs ». Voilà bien un domaine supplémentaire qui démontre à quel point les Communards différaient du communisme bolchevique qui domina nominalement l’imaginaire de la gauche durant une bonne moitié du XXème siècle.

Les Versaillais vont incarner une autre internationale celle des possédants. Le gouvernement Thiers a signé l’armistice et ratifié le traité qui sanctionne la capitulation française, comme l’avait craint les Blanqui et Vallès. Faux républicains et vrais Bourgeois s’entendent parfaitement avec le pouvoir du nouvel Empire allemand pour tuer dans l’œuf au plus vite cette révolution sociale parisienne qui pourrait faire tâche d’huile avec ses acteurs mêlant héritiers des jacobins français et représentant anarchistes et marxistes de la Première internationale (AIT). La levée en masse de troupes venue des quatre coins de la France a bien été réalisée finalement mais elle sera utilisée pour marcher contre Paris. Avec la complicité de l’armée prussienne, les Versaillais pénètrent dans la capitale le 21 mai et massacre méthodiquement les insurgés, mal organisés, mal préparés, mal informés par leurs journaux, tétanisés par la cruauté des premiers combats. La « Semaine Sanglante » du 21 au 28 mai 1871 se conclura par la mort et l’exécution de quelques 17 000 Communards (dont Charles Delescluzes, Eugène Varlin, Louis Rossel…) ; c’est un véritable massacre, bien plus sanglant que les victimes mises sur le compte de la Terreur révolutionnaire de 1792-1794 pour toute la France ! Près de 5 000 prisonniers politiques seront déportés – « la guillotine sèche » – en Nouvelle-Calédonie comme Louise Michel ; un nombre comparable ne devra la vie qu’à l’exil (tels Jules Vallès, les frères géographes et libertaires Elie et Elisée Reclus ou encore Gustave Courbet à qui la République réclamera les sommes pour relever la colonne Vendôme, ce symbole abject de l’oppression bonapartiste…) en Belgique, en Suisse, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, peu d’entre eux reviendront après l’amnistie de 1880 comme Benoît Malon (fondateur de la Revue Socialiste, enterré au Mur des fédérés et dont l’éloge funèbre fut prononcée par Jean Jaurès), Jules Vallès ou Jules Guesde (rentré en France en 1876, il est le fondateur du Parti Ouvrier français, organisation marxiste qui sera l’une des composantes après bien des péripéties de la SFIO en 1905).

* * * * *


« Le cadavre est à terre mais l’idée est debout »

: ces mots de Victor Hugo reviennent régulièrement sous les plumes célébrant l’héritage de la Commune de Paris. Mais Hugo, tout en transition vers le socialisme qu’il était, ne fut pas exempt d’ambiguïtés ; ainsi écrivait-il dans Le Rappel, en avril 1871, il s’écriait : « Je suis pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application. » Une phrase qu’aurait pu prononcer quelques Républicains ralliés au compromis comme Gambetta ou plus tard les Radicaux des années 1880-1900 pour justifier leur mauvaise conscience et mauvaise foi, vis-à-vis de l’évènement. Hugo lui au moins condamna avec la dernière énergie les massacres commis par la répression. Mai d’une certaine manière, l’enjeu présent est là, loin des momifications mémorielles et parfois dévoyées qui ont souvent accompagné les célébrations et les récupérations de la Commune. Il ne faut pas, il ne faut plus s’en tenir à des principes, souvent formulés aujourd’hui sous la forme de droits – droit au logement, droit au travail, égalité femmes-hommes, liberté de conscience – ou parfois restés évanescents – la souveraineté populaire et la liberté d’informer plus fortes que la propriété privée et capitaliste – ; non il est urgent de passer à leur mise en application.

une République écologique et sociale, qui s’attaque au chômage et non aux chômeurs

Une tribune publiée dans Marianne le 17 mars 2021

Dans le sillage de la campagne « Un emploi vert pour tous » mené par les think tanks Hémisphère gauche et l’Institut Rousseau, Emmanuel Maurel et Lenny Benbara estiment que le déclin du travail n’est pas inéluctable.

Emmanuel Maurel est député européen et président de la Gauche républicaine et socialiste.

Lenny Benbara est directeur de la campagne « Un emploi vert pour tous« .

« Nous croyons en une République écologique et sociale, qui s’attaque au chômage et non aux chômeurs »

Le gouvernement a décidé d’appauvrir les demandeurs d’emploi en pleine crise sanitaire et sociale. 800 000 d’entre eux, dont de nombreux jeunes, vont voir diminuer leurs allocations d’environ 30 %. Cette approche punitive est aussi indigne qu’inefficace. Au quatrième trimestre 2020, 184 000 emplois étaient vacants, un chiffre en recul de 15 % sur un an. Dès lors, comment imputer aux près de 3 millions de personnes privées d’emploi depuis plus d’un an la responsabilité de leur situation ? Puisque le secteur privé est incapable de produire suffisamment d’activité pour employer tout le monde, et de lutter efficacement contre la crise climatique, n’ayons pas peur de créer des emplois financés par la puissance publique : la garantie à un emploi vert pour les chômeurs de longue durée est une mesure de bon sens.

D’aucuns considèrent qu’il faudrait accepter cette situation de chômage de masse. Le déclin du travail serait inéluctable, amené à s’accentuer sous la pression conjointe de la numérisation et de la mécanisation de l’économie. Le corollaire serait la mise en place d’un revenu universel pour s’adapter à cette nouvelle donne.

« Heureusement, ce n’est pas le travail qui manque, tant les besoins du pays sont immenses, mais bien les emplois »

Pourtant, ce déclin n’est pas une fatalité : la gauche ne doit pas abandonner le travail. Malgré la dégradation des conditions de travail, l’emploi est toujours perçu comme étant une source d’émancipation, surtout aux yeux de ceux qui en sont tenus éloignés. Le travail signifie bien plus que le revenu : c’est un vecteur de socialisation, d’identification, de reconnaissance collective. Il permet de se sentir utile à la société et son absence provoque des dégâts psychosociaux ravageurs sur les hommes et les femmes de notre pays.

Heureusement, ce n’est pas le travail qui manque, tant les besoins du pays sont immenses, mais bien les emplois. Dans un premier temps, plus d’un million d’emplois à forte utilité sociale peuvent être créés dans des domaines d’avenir en s’appuyant sur des dispositifs existants, comme les Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée, pour un coût modeste. Ils doivent être proposés aux personnes privées d’emploi depuis plus d’un an. Ces emplois ne consistent pas à creuser et à reboucher des trous : ils sont indispensables pour faire face au défi écologique et au délitement des liens sociaux. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre exige en effet un accroissement significatif de l’intensité en main-d’œuvre de nos activités économiques. L’organisation du système agricole en circuits courts ajustés aux besoins des territoires redonnerait par exemple un rôle central aux exploitations plus modestes, moins intensives, et qui nécessitent plus de bras.

« La crise du Covid a remis au goût du jour les métiers et réhabilité leur sens. »

Le retour à l’emploi, aussi massif soit-il, ne sera salvateur que s’il s’accompagne d’une revalorisation des savoir-faire, du geste, à rebours d’un modèle de travail trop standardisé. La crise du Covid a remis au goût du jour les métiers et réhabilité leur sens. La mission des personnels hospitaliers, des enseignants, des premiers de corvée est apparue pour ce qu’elle est : indispensable. Cette redécouverte du métier ouvre une perspective émancipatrice. Face à une mondialisation libérale qui pense les individus interchangeables, l’attachement à un savoir-faire spécifique, à la qualité et au sens du travail sont autant de garde-fous précieux. Le mécanisme de garantie à l’emploi vert offre aux personnes privées d’emploi de participer à la reconstruction écologique, tout en s’appropriant un savoir-faire bien précis.

Nous croyons en une République écologique et sociale, en la République appliquée, celle qui s’attaque au chômage et non aux chômeurs, celle qui protège le lien social et ne se dérobe pas face aux défis climatiques. La garantie à l’emploi vert portée par l’Institut Rousseau et Hémisphère Gauche est un jalon important de ce nouveau pacte républicain.

Enseignement des élections locales en Allemagne

Dimanche, deux Länder du sud-ouest de l’Alemagne votaient : le Bade-Würtemberg et la Rhénanie-Palatinat.

Le Bade-Wurtemberg, la région dont Stuttgart est la capitale, était dirigé par une coalition Verts-Conservateurs (CDU). Les sondages prédisaient aux Verts de progresser légèrement de 30 à 32%, la CDU, leur partenaire de coalition, devaient poursuivre son érosion dans cet ancien bastion, de 27% à 23%. C’est peu ou prou ce qui s’est réalisé.

La région est riche, prospère, industrielle, exportatrice : les classes populaires qui n’en profitent pas avaient choisi en 2016 l’AfD pour exprimer leur colère ; le mouvement d’extrême droite perd cependant du terrain, plus qu’annoncé par les sondeurs, passant de 16 à 9%.

Dans ce Land qui fut longtemps son fief, le SPD a perdu ses bases électorales depuis longtemps, et continue de s’effriter, passant de 13 à 12%. Il a été rattrapé par les libéraux du FDP, qui, sur le thème de la defense des libertés publiques et le rejet du confinement, ont gagné 3,5 points passant de 8 à 11,5%.

En Rhénanie Palatinat, c’est le SPD qui est le sortant, en coalition avec les Verts et les Libéraux du FDP. Là aussi, les deux grands partis, CDU et SPD, continuent de s’éroder ; mais le SPD perd moins que prévu en passant de 36 à 34,5% ; c’est la CDU qui dévisse de 32% à 26% (plus qu’annoncé).

La coalition sortante cependant conserverait sa majorité grâce aux Verts qui progressent de plus de 3 points (moins que prévu).

L’AfD a perdu beaucoup, de 12 à 8%, plus qu’annoncé. Le vote par correspondance et les règles COVID ont joué comme un prétexte pour s’abstenir dans cet électorat, d’après des sondages post-électoraux. Enfin en gagnant plus de 3 points, les « Freie Wähler« 1 réussissent l’entrée au parlement régional.

Weimarisation irrésistible ?

La weimarisation des parlements allemands – un éparpillement donnant lieu à de constantes combinazzione – s’installe dans la durée. CDU et SPD ne dominent plus à eux deux 85% de l’électorat. La subsistance d’une extrême droite proche de 10% dans deux des régions les plus prospères d’Allemagne, et les plus à l’Ouest, rende moins praticable le jeu de balancier entre gauche et droite, et échappe à l’explication simple d’un vote tribunitien et protestataire qui répondrait uniquement aux dégâts de la réunification à l’Est. Il est également à noter que les pertes des grands partis ne se retrouvent pas dans les partis déjà représentés aux parlements régionaux. La dispersion du vote aboutit à une situation stérile, des partis sans chance d’avoir d’élus rassemblant jusqu’à 11% des suffrages exprimés.

Les présidents de région, très populaires, ont stabilisé le score de leurs partis, respectivement Verts en Baden-Württemberg et SPD en Rhénanie-Palatinat, pendant que la CDU, frappée par des affaires de corruption de députés sur les marchés d’achat de masques au moment du premier confinement, connaît de très fortes pertes. L’AfD connaît une érosion à un haut niveau, pendant que les Linke, dans ces deux régions conservatrices, n’impriment pas.

Les libéraux du FDP ont réussi à revenir dans le jeu après des années de vaches maigres et espèrent sans doute tant le maintien de la coalition AmpelSignal ou « feu de circulation » – SPD (rouge), Verts, FDP (jaune) – en Rhénanie que la fin de la coalition écolo-conservatrice en Bade-Wurtemberg au profit d’une deuxième coalition AmpelSignal dans ce Land.

À moyen terme, ce scrutin est une répétition pour les élections fédérales de septembre 2021. La droite n’a toujours pas choisi la succession de Merkel pour la chancellerie. Celle-ci va en effet prendre sa retraite du pouvoir. La weimarisation du Bundestag rend également difficile le pronostic quant à la prochaine coalition fédérale. Rappelons qu’en 2017, l’Allemagne, tant vantée pour sa stabilité, avait eu besoin de six mois pour trouver un nouveau gouvernement.

Ces scrutins devraient renforcer le président de la région de Bavière comme candidat de la droite gouvernementale en septembre pour remplacer Merkel, si la CSU n’a pas d’autres députés impliqués dans ce scandale.

La culture politique de la République fédérale, fondée sur deux camps, deux partis de masse et non de clientèles, aura trouvé sa fin sous les 16 ans d’Angela Merkel. C’est probablement l’un des héritages les plus perturbant de son ère.

SPD marginalisé, Linke sur la touche, Coalition AmpelSignal

Pour le SPD, le problème se résume en deux points :

1. Le SPD en Bade-Würtemberg se retrouve à égalité avec l’AfD. Il est devenu un petit parti de clientèle, et une clientèle très vieillissante ;

2. En Rhénanie-Palatinat, c’est la popularité du ministre-président sortant qui a tout sauvé : 50% des électeurs de ce parti disent avoir voté pour la présidente, Malu Dreyer, en dépit de son parti, qui dans tous les domaines, perd en crédibilité.

Scholz, le candidat du SPD à la Chancellerie, ne profite pas des affaires qui frappent la CDU, il ne compensera pas par son (absence de) charisme le discrédit du SPD. Ce parti, tombé à 20% en 2017 après une GroKo avec la droite, est tombé dans les sondages dès l’annonce de la nouvelle GroKo en mars 2018 en dessous des 20% et reste aujourd’hui dans les sondages à 16% très loin de son score de 1998 (42%).

Les Linke vont devoir comprendre que leur propre survie est en jeu en septembre prochain, et qu’un électorat diplômé déjà ciblé par les Verts et le FDP ne lui permettra d’atteindre une masse critique nécessaire à un score les rendant incontournables. Le parti de la gauche allemande a décidé à bas bruit (mais pas sans dégâts) de se débarrasser de l’aile marxiste, et de donner des gages d’esprit de gouvernement (ils ne parlent plus de sortir de l’OTAN comme condition à une coalition) et à des concessions aux discours en vogue dans la gauche anglo-saxonne ; c’est un pari risqué car le discours de clientèle seul ne suffira sans doute pas à sauver le parti. Ce parti, en rejetant la stratégie du mouvement Aufstehen en 2018, en évacuant Sahra Wagenknetch (sa fondatrice) victime d’un « Burn Out » fin 2019 et en laissant partir Fabio de Masi (qui a annoncé qu’il ne se représenterait pas en septembre), a manqué le coche.

C’est désormais le FDP qui dès lors peut se mettre en scène et en position. Le dirigeant national des Libéraux Christian Lindner dit de plus en plus clairement que son parti le FDP sera disponible pour participer au gouvernement quelle que soit la constellation de couleurs, alors qu’en 2017, le FDP s’inscrivait encore dans le bloc de droite. C’est l’ouverture à un scénario Vert-SPD-FDP au niveau fédéral : la coalition AmpelSignal est ainsi arrivée à faire les titres du Spiegel, alors qu’elle était encore jugée improbable voici quelques semaines.

La CDU sans Merkel risque bien d’être rejetée dans l’opposition par une grande coalition de centre. Il est trop pour dire si, dans le cas d’une telle coalition, la faiblesse respective des différents partenaires sera un atout ou un désavantage pour un gouvernement fédéral.

* * * * * *

Il y avait aussi des élections municipales dans le Land de Hesse à Francfort-sur-le-Main (oui, dans un Etat fédéral comme l’Allemagne, les dates d’élection varient selon les régions). Ce sont les verts qui progressent fortement, l’AfD est faible, le SPD perd encore des places.

1 Freie Wähler
Originaire de Bavière, le parti est aujourd’hui présent dans presque tous les Länder depuis 2009. Il défend à la fois une ligne libérale-conservatrice, localiste et de démocratie directe.

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?
Une émission de France Culture « LE TEMPS DU DÉBAT » par Emmanuel Laurentin
diffusée le jeudi 11 mars 2021 – 18h20

Frontières, industries, gestion sanitaire : la Covid a-t-elle réveillé des chantres insoupçonnés du souverainisme ? Que reste-t-il de la ligne internationaliste de la gauche ? Avec les enjeux aussi divers que recouvre le souverainisme, est-on sûr que les termes du débat soient justement posés ?


A l’occasion de la sortie en kiosque du nouveau numéro de la revue de France Culture, « Papiers » dont le dossier central se demande « par où est la gauche ? ». Soixante-trois personnalités répondent à cette question, de Bertrand Badie à Daniele Lienhart, d’Olivier Besancenot à Claire Nouvian ou d’Aude Lancelin à Thomas Piketty.
Il nous a semblé qu’une des questions importantes qui structurait la gauche ces derniers temps concernait la souveraineté, sanitaire, alimentaire ou bien énergétique. Une question pas si nouvelle, puisque le Parti communiste de Georges Marchais fut à la fois internationaliste et héraut d’une certaine souveraineté nationale. Puisque le chevenementisme a participé à développer cette idée de souveraineté à gauche. Mais est-ce la crise que nous connaissons qui motive le retour de cette idée ?

avec Emmanuel Maurel, député européen Gauche Républicaine et Socialiste, Aurore Lalucq, députée européenne Place publique, et Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférences en Science politique à l’Université de Montpellier.

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?
Une émission de France Culture « LE TEMPS DU DÉBAT » par Emmanuel Laurentin

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