Du local au national : l’intérêt politique du rassemblement dès le premier tour

Tribune publiée sur Politis le jeudi 11 mars 2021

https://www.politis.fr/articles/2021/03/du-local-au-national-linteret-politique-du-rassemblement-des-le-premier-tour-42938/

Des élu·es de gauche et écologistes appellent à la formation de listes unitaires dès le premier tour des élections régionales. Les convergences nombreuses le permettent, le risque de n’être pas présents au second tour l’exige, selon les signataires.

Les élections régionales se dérouleront les 13 et 20 juin. Face aux urgences sociales, environnementales, démocratiques, face à un gouvernement qui, loin d’y répondre, amplifie les inégalités et reste inerte quand « la maison brûle », cette échéance représente une chance de disposer de leviers d’action importants et de peser ainsi en faveur de la transition écologique, des services publics, de la réduction des inégalités et de l’implication citoyenne.

Cette perspective risque, toutefois, d’en rester au seul stade de l’espoir dans bien des régions si la condition du rassemblement dès le premier tour n’est pas remplie et, que nous en restons à la pluralité actuelle des listes envisagées.

Les convergences sont pourtant là, évidentes à la lecture des programmes en préparation. Les écologistes n’occultent pas plus les problématiques sociales que les listes de gauche n’ignorent l’urgence de la transition énergétique et écologique. De part et d’autre, nous savons qu’il est urgent d’agir pour une économie au service des hommes et de l’environnement. De part et d’autre, nous sommes conscients de la valeur émancipatrice de la culture que le politique ne doit jamais soumettre à sa dictée mais dont il doit garantir l’accès à toutes et tous. De part et d’autre, nous reconnaissons la nécessité de soutenir et de développer des services publics de qualité, patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas d’autre. De part et d’autre, nous savons qu’il est de notre responsabilité de répondre aux appels d’une jeunesse qui marche pour le climat mais fait aussi la queue pour la distribution alimentaire.

Le pari stratégique de la division au premier tour pour « se compter » est, dans la situation actuelle des forces progressistes, beaucoup trop risqué face à l’enjeu majeur d’obtenir des majorités régionales agissant vraiment pour celles et ceux qui en ont le plus besoin. Enclencher d’emblée une dynamique unitaire revient, au contraire, à se donner toutes les chances de disposer des moyens d’agir autour d’un programme enrichi des apports spécifiques des différentes forces de gauche et des écologistes.

Mais, au-delà des victoires locales, ce qui se joue aussi c’est la crédibilité de notre capacité à représenter, demain, au plan national, une alternative à la droite et l’extrême droite. Divisées au premier tour en2022, les forces politiques de gauche et écologistes seront, à nouveau, éliminées du second tour. Rappeler en juin que les enjeux exigent le dépassement des stratégies risquées, c’est aussi mobiliser celles et ceux qui se lassent de la mise en arrière-plan de l’essentiel et ne croient plus en une parole qui décrit les urgences sans se donner les moyens d’y répondre.

Comme femmes et hommes de gauche et écologistes, soucieuses et soucieux de la justice sociale comme de la transition écologique, nous ne pouvons nous y résigner et nous empêcher de penser que les obstacles à l’union pèsent peu face à la finalité profonde de notre engagement : agir pour changer la vie, en mieux… Et il y a le feu…

Premiers signataires :

BARAT Joëlle, conseillère régionale Parti socialiste (Grand Est) ; BATÔT Émilien, membre du collectif écolo et social et du comité Génération·s d’Issy-les-Moulineaux (Île-de-France) ; BELAREDJ-TUNC Hadhoum, conseillère départementale Marne, Gauche républicaine et socialiste (Grand Est) ; BOISSIER Bernard, ancien maire de Langogne, président du collectif de Défense et de Développement des services publics en Combraille, Gauche républicaine et socialiste ; BUREAU Jocelyn, conseiller métropolitain de Nantes Métropole, divers gauche (Pays de la Loire) ; CASIER Philippe, conseiller départemental de la Somme, Génération·s (Hauts de France) ; CHANTECAILLE Martine, conseillère municipale et communautaire La Roche-sur-Yon, divers gauche ( Pays de la Loire) ; COLIN Hélène, conseillère régionale, maire-adjointe à Chatenois, Parti Socialiste (Grand Est ) ; CUCCARONI Martine, conseillère municipale La Ciotat, Parti socialiste (Paca) ; DAMIS-FRICOURT Delphine, conseillère départementale de la Somme, Génération·s (Hauts-de- France) ; DE MORGNY Arnaud, juriste en droit public, coordonnateur Gauche républicaine et socialiste (Île-de-France) ; DEDET Pierre, conseiller municipal Bourges, Gauche républicaine et socialiste (Centre-Val de Loire) ; DELCASSE Arnaud, responsable de coopérative Antibes, Gauche républicaine et socialiste (Paca) ; DENIS Blandine, conseillère départementale de la Somme, Génération écologie, (Hauts-de-France) ; DESCAMPS Ninuwé, conseillère municipale Poudrières, Parti socialiste (Paca) ; DRIOLI Adrien, conseiller municipal de Lyon, Gauche républicaine et socialiste (Auvergne-Rhône-Alpes) ; DUGUÉ Caroline assistante sociale, Poitiers, Gauche républicaine et socialiste (Nouvelle Aquitaine) ; FARAVEL Frédéric, conseiller municipal et communautaire Bezons, Gauche républicaine et socialiste (Île-de-France) ; GRALEPOIS Alain, ancien vice-président à la culture conseil régional des Pays de la Loire, Parti socialiste, Nantes ; GRATACOS Anthony, conseiller municipal de Moussy-le-Neuf, secrétaire général de la Gauche républicaine et socialiste (Île-de-France) ; GUIRAUDOU Hugo, coordinateur « Résilience commune », responsable pôle jeunesse Gauche républicaine et socialiste (Île-de-France) ; JUTEL Elisabeth, conseillère régionale Gauche républicaine et socialiste (Nouvelle-Aquitaine) ; LANDINI Damien, référent Génération·s Marne (Grand Est) ; LEFEBVRE Rémi, professeur de sciences politiques à l’Université de Lille-II (Hauts-de-France); LENFANT Gaëlle, conseillère municipale Aix-en Provence, Gauche républicaine et socialiste (Paca) ; LÉONARD Christophe, conseiller municipal Revin, ancien député (Grand Est) ; LEPRESLE Marion, conseillère départementale de la Somme, Génération écologie (Hauts-de-France) ; MOINE Nathalie, conseillère municipale Saint-Pathus, Gauche républicaine et socialiste (Île-de-France) ; MOTTO-ROS Bernard, conseiller municipal Saint-Jean-du-Pin, Gauche démocratique et sociale (Occitanie) ; NAKACHE David, conseiller municipal Nice, président de l’association « Tous citoyens », Génération·s (Paca) ; NIVELET Igor, militant communiste, membre du conseil départemental PCF 08 (Grand Est) ; PAPIER Anne, conseillère municipale et communautaire Charleville-Mézières, Génération·s (Grand Est) ; PROUX Laurence, conseillère municipale Challans, membre de « Solidaires par nature Nord-Ouest Vendée », divers gauche (Pays de la Loire) ; SULIM Jérôme, maire-adjoint Saint-Herblain, Gauche républicaine et socialiste (Pays de la Loire).

Annulation de la condamnation de Lula : l’espoir renaît au Brésil

Lundi 8 mars, la cour suprême du Brésil a annulé la condamnation pour corruption de l’ancien président Lula. S’il ne s’agit pas à proprement parlé de l’innocenter en bonne et due forme, la cour suprême a conclu que le tribunal qui avait condamné Lula était incompétent pour le faire.

La manipulation de la justice est, depuis la fin de la période des coups d’État de la fin du XXème siècle, le levier d’action régulier de la bourgeoisie libérale sud-américaine pour se soustraire à la démocratie et à la volonté populaire. C’est une manipulation de ce type qui avait conduit à la déposition de Dilma Roussef et à la prise du pouvoir de la droite brésilienne en dehors de tout cadre démocratique en 2016. En 2018, c’est la condamnation à l’emprisonnement et l’inéligibilité qui avait empêché Lula, favori de l’élection, à se présenter, amenant à la victoire du candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro.

Présenté à tort par certains médias comme un candidat populiste dans la lignée de Donald Trump et Matteo Salvini, le président brésilien partage certes leurs idées, mais pas le même électorat. Son accession au pouvoir a été pilotée par l’élite économique brésilienne, pour laquelle il ne peut y avoir d’alternative démocratique au néolibéralisme.

Le président Bolsonaro avait alors pu dérouler les lubies classiques des libéraux: privatisation à tour de bras, destruction du service public, dépossession des indigènes, austérité forcée, sortie de la banque centrale du contrôle démocratique. Mais comme toujours quand les méfaits du libéralisme ne sont pas acceptés par la population, le libéralisme économique s’accompagne d’un illibéralisme politique le plus total, et d’un obscurantisme forcené: suppression des dotations aux sciences, commémoration du coup d’État de 1964, et surtout négation de la dangerosité du covid 19, qui a mené à une catastrophe sanitaire inédite. Le Brésil est le deuxième pays au monde avec le plus de morts, les morgues étaient débordées, et des tensions étaient apparues à la frontière avec la Guyane, sur lesquelles nous avions déjà alerté

(voir notre article sur la politique inconséquente de Bolsonaro)

A l’approche des prochaines élections présidentielles, l’incapacité de Jair Bolsonaro de maintenir Lula en prison – il avait été libéré en 2019, déjà sur décision de la cour suprême – et de confirmer son inéligibilité trahissent une perte de contrôle sur le pays. Lula est le seul candidat que les enquêtes d’opinion donnent vainqueurs face à Bolsonaro. Les députés du parti présidentiel semblent fébriles, et annoncent déjà la victoire des « communistes et des antifas ».

Si cette décision apporte un peu d’espoir pour le peuple brésilien et pour la stabilité de la frontière franco-brésilienne, il ne faut pas oublier que l’extrême droite sera prête à user de tous les moyens pour accéder et se maintenir au pouvoir. Les charges contre Lula ne sont pas abandonnées, et la victoire du Parti des Travailleurs n’est pas assurée.

Toutefois, la Gauche Républicaine et Socialiste se réjouit de l’annulation de la condamnation de Lula. Nous faisons le vœu d’une victoire de la gauche aux prochaines élections brésiliennes, afin de sortir de l’obscurantisme que l’extrême droite proche des milieux évangéliques fait vivre au Brésil, afin de rétablir une relation franco-brésilienne fondée sur le partenariat économique et démocratique, afin de venir en aide à la population malmenée par le néolibéralisme et l’aveuglement sur la COVID.

Loi « séparatismes » : la République instrumentalisée

Confusion, Communication et Concordat : les trois « C » d’un projet de loi « séparatismes » qui abîme la loi de 1905

L’examen du projet de loi improprement appelé « confortant le respect des principes de la République » à l’Assemblée nationale a démontré à qui veut bien l’entendre à quel point c’est un (très) mauvais texte. L’exécutif et la majorité présidentielle proclament à tue tête qu’ils renforceront par là la laïcité et les moyens de lutte contre les séparatismes et plus particulièrement contre l’islamisme. Ce n’est pas parce qu’une affirmation est répétée ad nauseam qu’elle en devient vraie.

L’examen sérieux de ce texte et les débats auxquels il a donné lieu nous amènent à conclure que c’est un texte de circonstance, au mieux inutile et au pire dangereux. C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnalités et associations inscrites dans le combat pour la Laïcité s’y opposent.

En effet, les principales mesures mises en avant par les promoteurs de ce projet existent déjà dans la loi et ce texte n’apporte rien de neuf, ne permet aucune efficacité concrète supplémentaire qui le justifierait.

Un texte de circonstance, qui aligne mesures redondantes, inefficientes et parfois dangereuses

Ainsi, l’article 1er inscrit dans la loi le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel les organismes de droit privé chargés de l’exécution d’un service public sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité du service public pour les activités qui relèvent de ce champ. On peut donc se demander si – au-delà du choix d’un affichage politique permettant au Président de la République de dire qu’il « agit » – il était réellement besoin d’inscrire dans la loi une jurisprudence acceptée partout et qui a ainsi défini le principe en question.

L’article 4 crée une nouvelle infraction pénale afin de mieux protéger les agents chargés du service public en sanctionnant les menaces, les violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre dans le but de se soustraire aux règles régissant le fonctionnement d’un service public. Mais la législation actuelle devrait déjà le permettre ! Que va changer cette nouvelle infraction ? Les agents publics seront-ils mieux protéger pour autant. Il paraît plus important que ce soit l’attitude de l’administration et de la hiérarchie dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale ou l’éducation nationale, où jusqu’ici les agents ont été peu suivis, peu soutenus (avec parfois des conséquences mortelles) avec un discours qui aurait pu se résumer à un « pas de vagues »… L’article 5 est du même acabit.

Par ailleurs, le débat parlementaire a été trop longtemps accaparé par l’amendement Berger d’interdiction du port du voile par des fillettes. Cette disposition – en apparence nécessaire puisque le voilement de petites filles se rattache à une pratique sectaire compromettant gravement l’épanouissement et les conditions d’éducation d’une enfant – est cependant inutile. Le dispositif légal de protection de l’enfance en danger (article 375 du code civil) octroie en effet au juge des enfants de larges pouvoirs lui permettant d’ordonner qu’une fillette voilée soit confiée à d’autres référents (personnes physiques ou institutions) qu’à ses parents. Il suffirait donc de décider d’appliquer la législation actuelle : il s’agit d’une affaire de volonté politique au sens strict du terme et non d’effets d’estrade ou de plateau TV.

L’article 18 reprend en partie le fameux article 24 de la proposition de loi « sécurité globale ». La création d’un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui paraît superflue car les articles R 226-1 et suivants du code pénal et l’article 9 du code civil couvre déjà ce champ : il est strictement interdit de dévoiler publiquement des informations et des données personnelles sans l’accord de la personne concernée. La question est comme pour la protection des fonctionnaires dans l’article 4 du projet de loi la volonté de mettre en œuvre la législation existante… Par ailleurs, ce nouveau délit pose une difficulté majeure : comment un juge pourra-t-il caractériser l’intention de nuire ?

Mesure dangereuse et déjà retoquée par le Conseil constitutionnel : la création du délit de haine en ligne n’est qu’un réchauffé de la loi Avia retoquée par le Conseil constitutionnel. La définition juridique de ce délit est toujours vague et, surtout, ce dernier pourra être jugé en comparution immédiate. Il s’agit d’une dénaturation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Le gouvernement prétend néanmoins qu’il ne s’appliquera pas aux journalistes, au mépris du principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Disposition tout à la fois inutile et vexatoire, le projet de loi propose de renforcer les contrôles sur les associations cultuelles soumises au régime de la loi de 1905. Dans le même temps, le projet de loi met en place une disposition qui prétend favoriser le passage des associations cultuelles sous régime de la loi de 1901 à celui de 1905 ; cette mesure s’adresse essentiellement aux associations catholiques et musulmanes qui vivent sous ce régime, mais sans les y contraindre. Il semble que ce processus de transition du statut 1901 vers le statut 1905 répond à une demande de nombreuses associations cultuelles musulmanes, soucieuses de mettre fin à la suspicion dont elles font l’objet le statut 1905 impliquant déjà plus de contraintes que celui de 1901 ; il est peu probable par contre que les organisations catholiques utilisent ce dispositif, n’ayant jamais accepté de se conformer à la loi de 1905 et s’étant vues reconnaître par décret en 1923-1924 un statut dérogatoire au travers des « associations diocésaines ». À court et moyen termes, qui subira donc le renforcement des contrôles sur les associations cultuelles soumises au régime de la loi de 1905 ? Il s’agira des associations protestantes et juives (sur les quelques 4 000 associations de loi 1905, près de 75% appartiennent à la Fédération Protestante de France, le reste étant largement le fait des associations synagogales) qui ont toujours tenu à respecter la loi de 1905 (dans sa lettre et dans son esprit) qu’elles appelaient d’ailleurs de leurs vœux. Cela explique que les principaux dirigeants de la Fédération protestante de France soient aujourd’hui à l’initiative d’un lobbying très actif contre le projet. Il faut reconnaître qu’il y a de quoi s’interroger quand le projet de loi ne propose rien de sérieux pour combattre l’islamisme radical et que les mesures plus concrètes aboutissent à faire chier ceux avec qui on n’a jamais eu aucun problème ou à donner des gages supplémentaires à l’église catholique (en matière patrimoniale), nous y reviendrons, qui n’a jamais vraiment respecté la loi de 1905 …

Au titre des dispositifs inapplicables ou inefficient, notons par exemple : Les mariages forcés. Ils existent bien évidemment, mais sont très rarement célébrés sur le territoire national. Or le dispositif de vérification de la réalité du consentement par un entretien préalable avec un officier d’état civil ne s’appliquerait qu’en France. La précision en la matière n’est pas condamnable mais elle n’aura aucune efficacité concrète.

Le gouvernement prétendait contrôler plus fermement les établissements scolaires privés hors contrat – le président de la République évoquant lors de son discours des Mureaux ces établissements comme un paravent pour la déscolarisation de nombreux enfants qui y seraient embrigadés par des islamistes. À la lecture de l’article 23, on cherche vainement où se trouve le renforcement des contrôles, se contentant d’alourdir timidement les sanctions contre les établissements déjà hors des clous. L’éducation nationale est en train de réduire le nombre de postes, comment imaginer dans cette situation que le renforcement des contrôles puisse être effectif : en réalité, ces contrôle vont même diminuer en pratique. Quant au devenir de l’école à la maison, il n’existe malgré la communication initiale du gouvernement aucune contrainte supplémentaire…

Le projet de loi prétend empêcher les discriminations entre filles et garçons en matière d’héritage. Mais cela est interdit depuis longtemps en France : on ne peut plus déshériter totalement un de ses enfants, même si on peut limiter sa part à la portion réservataire. Dans ce contexte légal, comment un dispositif de contrôle accru (qui, de toute façon, ne pourrait s’appliquer qu’aux biens immobiliers se trouvant en France) pourrait-il être efficace ?

Les certificats de virginité ou la polygamie sont évidemment déjà interdits en France et une jurisprudence fournie ont renforcé depuis longtemps notre arsenal juridique en la matière. On se demande bien dans ce contexte ce qu’apporte de neuf et d’efficace les articles 14 et 16.

Nous ne pouvons que nous interroger sur la présence dans un projet de loi de mesures redondantes avec le droit français et/ou inefficiente et sur des pratiques souvent marginales (ce qui ne retirent rien à la nécessité de les combattre). Pour notre part, nous ne pouvons verser dans le discours réducteur expliquant que ce texte stigmatiserait les musulmans ; les réseaux sociaux ont trop souvent répondu de fausses informations initiées par des organisations islamistes tentant de faire croire que le projet de loi porterait atteinte à la liberté de conscience et d’exercice du culte. Tout cela est faux et de telles affirmations ne résistent pas à la lecture du texte. Il est cependant particulièrement curieux que le gouvernement (et les médias) aient choisi d’insister dans leur communication sur des mesures du projet de loi qui sont les plus anecdotiques et qui ont le moins de portée pratique : cette stratégie de communication est effectivement stigmatisante car elle donne à penser que ces pratiques marginales sont plus répandues que dans la réalité et qu’étant essentiellement le fait de quelques centaines de familles de confession musulmane les musulmans seraient plus indulgents que les autres citoyens français à leur égard (ce qui est faux). Le gouvernement est donc bien lancé dans une course à l’image avec le RN pour savoir qui sera le plus dur avec un islamisme « fantasmé » car étendu à l’ensemble des Français de confession musulmane (voire tous ceux qu’on assigne à religion supposée du fait de leur nom ou de leur figure), comme nous l’a démontré le spectacle indigne donné par Gérald Darmanin face à Marine Le Pen sur France 2.

Le penchant concordataire du Macronisme

Plus grave, ce projet de loi applique une logique concordataire contraire à la loi de 1905 et s’autorise même à quelques cadeaux supplémentaire pour l’Eglise catholique du point de vue financier et immobilier. Les accointances coupables d’Emmanuel Macron avec l’Église romaine ne sont pas une nouveauté pour qui se souvient du scandaleux discours prononcé en 2018 au couvent des Bernardins ; c’est en fait toute la pensée « présidentielle » qui est acquise au Concordat.

Il n’est nul besoin de préciser que l’exécutif et la majorité présidentielle ne comptent en aucune manière toucher au Concordat d’Alsace-Moselle et aux statuts spéciaux de la Guyane et de Mayotte. Plus généralement, le projet de loi refuse l’extension de la loi de 1905 à tous les territoires de la République. Les amendements généraux en ce sens ont été rejetés en commission. Pire ! Les débats de l’Assemblée Nationale ont abouti au renforcement du « droit local » concordataire d’Alsace et de Moselle. Dans le texte initial du projet, les dispositions modifiant les lois de 1905 et de 1901 étaient étendues aux « associations inscrites » de ces territoires. Or le Gouvernement, cédant aux pressions du lobby localiste, les en a retirées, pour les inscrire dans le prétendu « droit local », alors que celui-ci n’a qu’un caractère provisoire (selon le Conseil constitutionnel) et devrait être harmonisé avec le droit commun de la République. Le « séparatisme » politique alsacien en sort « conforté ». Notons que ce « séparatisme » local dépasse très largement le camp de la droite macroniste ou conservatrice : quand Olivier Faure, premier secrétaire du PS, s’était prononcé en décembre 2020 en faveur de l’abolition du Concordat d’Alsace-Moselle, il avait été vertement et publiquement tancé par de nombreux dirigeants et élus locaux de son parti. Or quand on défend la République et son projet, il faut savoir être exemplaire. On ne peut pas exiger que la règle commune s’applique à tous si on prétend conserver ses privilèges. Il y a quelque chose d’indécent à défendre une situation d’exception : Le prétexte des « réalités locales » qu’ils mettent en avant est inepte : la République ne saurait diviser ses citoyens en fonction de leur religion ou de leurs associations confessionnelles où que ce soit sur le territoire.

Pensant obtenir (ou faisant semblant de le penser) ainsi un ralliement de l’Église catholique au régime de la loi de 1905, ce qui n’est pas à l’ordre du jour, le gouvernement a « lâché » une contrepartie importante : la possibilité pour les associations cultuelles d’avoir des immeubles de rapport, à condition que ceux-ci soient acquis gratuitement par dons et legs. Cela permettra à certains cultes déjà bien dotés en immobilier (essentiellement l’Église catholique) de renforcer leur position patrimoniale et financière et d’en distribuer à volonté les bénéfices.

Cette nouvelle disposition va permettre aux écoles privées confessionnelles, très majoritairement d’obédience catholique, de faire don aux associations diocésaines de leur patrimoine immobilier. Largement financées par l’argent public depuis la loi Debré (1959) et la loi Carle (2009), ces écoles contribueront au financement du culte catholique.

Dérive concordataire encore dans les modifications imposées aux associations soumises au régime de la loi de 1905, alors que justement cette dernière avait trouvé un équilibre qui n’a pas beaucoup de raison d’être mis en cause et assurer une grande liberté d’organisation et d’exercice du culte. Les associations cultuelles, loi 1905, verraient avec l’article 26 une immixtion dans leur liberté d’organisation, avec l’article 27 des procédures qui ont fait la preuve par le passé de leur lourdeur et inefficacité, et avec les articles 33, 35 et 36 un contrôle financier qui nous paraît disproportionné au regard des effets escomptés. Alors que le but initial du projet de loi était de rendre attractive la loi 1905, pour notamment encourager l’islam français à choisir ce cadre législatif, le projet de loi multiplie les contraintes concernant l’ensemble des associations relatives à l’exercice du culte. Au lieu de veiller à l’égalité de traitement de toutes les associations, il introduit des discriminations, y compris dans des domaines qui ne relèvent pas de leur objet spécifique. Ces contraintes nouvelles auront-elles quelque effet pour limiter le séparatisme ? On peut en tout cas poser la question.

Or la loi de 1905 et le principe de laïcité séparent les Religions et l’État, ils garantissent l’intérêt général en empêchant que des convictions et organisations religieuses imposent leur vue à la conduite des affaires publiques ; ils établissent définitivement la souveraineté populaire face à toute tentative d’imposer un « droit divin ». Mais la laïcité et la loi de 1905 établissent aussi la neutralité et la non intervention de l’État dans les affaires internes des associations cultuelles pourvu qu’elles respectent les lois de la République (tout comme les lois sur la liberté d’association en général). De ce point de vue, certains font mine de ne pas comprendre que ce projet de loi pouvait donc mettre en cause certaines dispositions permettant la liberté de culte, en ce sens que l’administration n’a pas à s’immiscer dans l’organisation interne « des » cultes. Or, en l’occurrence, le principe de séparation commence à être écorné. Ce type de dispositions pourrait être poursuivi et le principe de séparation des Églises et de l’État ne serait plus assuré. Certes, il y aurait toujours la possibilité de recours devant le juge administratif, mais ce type de démarche remontant parfois jusqu’au Conseil d’État et aux Cours européennes conduirait probablement notre État à être désavoué. En jouant avec les principes, en tentant de généraliser un état d’esprit concordataire, l’exécutif macroniste fragilise en réalité la République face à toutes les organisations confessionnelles car il nous ferait subir une forme de judiciarisation de la vie cultuelle. Or cela n’était jusqu’ici le fait que de groupement sectaire (parfois avec succès car les Témoins de Jéhovah se sont vus reconnaître en juin 2000 le statut d’association cultuelle que leur contester l’administration fiscale) et le risque serait sans doute aujourd’hui plus grave qu’hier dans ce domaine ; nous y reviendrons.

L’esprit concordataire du pouvoir s’exerce enfin en direction des organisations cultuelles musulmanes. Nous ne pouvons ici que conseiller à l’exécutif d’agir avec plus de prudence qu’il ne le fait. En effet, tous ceux qui se sont donnés pour mission d’intervenir dans l’organisation des associations cultuelles musulmanes et de les contraindre à se confédérer, au prétexte de mettre fin à la « chienlit », ne peuvent pas prétendre à afficher des résultats solides. La création du Conseil Français du Culte Musulman par Nicolas Sarkozy a abouti à plusieurs années de polémiques et de conflits financiers, institutionnels et politiques dans lesquels l’État est désormais systématiquement pris à partie sans arriver à déterminer quels sont réellement ses interlocuteurs légitimes. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont à nouveau tenté de régler ces difficultés entre 2015 et 2017 ; ils ont dû rétropédaler assez piteusement. En plein examen du projet de loi sur les « séparatismes », Emmanuel Macron a franchi un cap supplémentaire, qui met l’État en porte-à-faux avec son propre principe de laïcité.

Ainsi lundi 18 janvier 2021, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a adressé un courrier électronique à l’ensemble des parlementaires pour leur communiquer officiellement une « Charte de principes pour l’Islam de France » (ci-dessous) en ces termes : « Permettez-moi de vous adresser le texte de la charte signé par les représentants de l’Islam en France, ce matin, en présence de Monsieur le Président de la République. » Il est tout d’abord sidérant que le Président de la République soit présent lors d’une réunion interne du CFCM visant à valider et signer une telle Charte. Disons le clairement : nous n’avons pas à nous prononcer sur le fait qu’une organisation confessionnelle (quelle qu’elle soit) et ses membres décident en interne – comme c’est le cas dans d’autres organisations confessionnelles – d’exprimer leur attachement aux valeurs de la République. Il y a dans cette Charte des positions qui peuvent être intellectuellement intéressantes, d’autres qui vont au-delà de nos préoccupations, et peu importe ! Mais nous faisons face ici à une immixtion assumée de l’État non seulement dans l’organisation interne d’un culte, mais aussi dans la construction du discours de ce culte… Comment donc interpréter le mépris évident de ces règles de la part de l’exécutif ? Faut-il considérer que le CFCM et ses membres sans cette Charte contrevenaient aux lois républicaines et qu’il fallait y remédier ? Évidemment non ! L’interprétation la plus logique est donc que c’est bien l’exécutif – la Présidence de la République et le gouvernement – qui est à l’origine de cette Charte dans une logique concordataire aberrante et absurde. Emmanuel Macron joue ici le rôle d’un petit Napoléon Bonaparte ! L’exécutif contrevient donc à un principe cardinal de la République française, mais il agit aussi de manière contre-productive : un tel texte émanant d’une initiative interne et spontanée pourrait être considéré comme positif ; or ce texte semble avoir été imposé de l’extérieur ce qui est la meilleure manière à la fois de créer une polémique, de donner un prétexte pour le dénoncer pour ceux qui parmi les associations cultuelles ont des positions au minimum ambiguës et de ralentir l’infusion nécessaire du ralliement à la République chez certains croyants.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ! En bas de la dite Charte transmise aux parlementaires, il manque de manière visible plusieurs signatures… ce qui indique que le caractère interne de ce texte est plus que douteux. Enfin, le sénateur LREM des Français de l’étranger, Richard Yung, a hier vendu la mèche sur la nature profonde de la démarche en indiquant sur son blog que « Emmanuel Macron a par ailleurs donné deux semaines aux fédérations absentes pour signer le texte. » Le caractère néo-concordataire du locataire de l’Élysée est ici totalement démontré et c’est la République qui en fait les frais.

Remettre la République au milieu du village

Alors que les Français s’inquiètent de la situation sociale, économique et sanitaire du pays, un gigantesque écran de fumée sur le « séparatisme religieux » vient cacher leurs problèmes. La France a besoin d’un grand plan de redressement qui appelle tous les citoyens à faire corps ensemble. Tout cela ressemble donc à une opération de diversion. Nous nous méfions des lois de circonstances car elles sont souvent mal fichues, mal préparées, fourre-tout. C’est le cas de celle-ci. Annoncée en octobre 2020 par un discours assez confus d’Emmanuel Macron aux Mureaux, elle n’était cependant pas avec la reprise de l’épidémie de COVID une priorité absolue de l’action gouvernementale. C’est l’assassinat de Samuel Paty qui a décidé le gouvernement d’en faire l’outil d’une contre-offensive contre la gauche – qui lui reprochait l’abandon des enseignant par l’État et leur hiérarchie – et contre l’extrême droite avec laquelle il a entamé une course à l’échalote. Une loi élaborée sous le coup de l’émotion est rarement une bonne loi.. et ce projet de loi comporte trop de dispositions inutiles, inapplicables. Au final, ce texte n’est qu’une vaste opération de communication du gouvernement.

Ce pouvoir commet une grave tartufferie, car une bonne partie de la lutte juridique et politique contre l’islamisme radical pourrait se faire aussi avec les outils juridiques contre les dérives sectaires… Or la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) vit depuis le début du quinquennat le calvaire d’une mort à petit feu que lui inflige le macronisme. Cet outil, ainsi que l’ensemble des dispositions juridiques permettant de lutter contre les comportements sectaires, serait pourtant d’une utilité évidente face aux logiques séparatistes réelles de groupes salafistes qui tentent de subjuguer des familles et parfois des quartiers. Le statut d’association cultuelle ne limitait d’ailleurs pas les capacités de la MIVILUDES à exercer sa surveillance sur certaines organisations confessionnelles ; ainsi la Mission communiquait encore publiquement en 2012 sur le fait que sa surveillance s’exerçait toujours sur les Témoins de Jéhovah reconnus en association cultuelle en 2000 par le Conseil d’État. Le renforcement des moyens humains et financiers de la MIVILUDES, tout comme la restauration d’un renseignement territorial de qualité et fortement implanté, devrait figurer parmi les priorités d’un gouvernement réellement soucieux de lutter contre des phénomènes séparatistes, sectaires et antirépublicains ; nul besoin d’une loi pour cela. Macron et ses soutiens ont préféré faire une loi : la Messe est dite !

Si la République est affaiblie, c’est que les services publics sont laminés par des politiques néolibérales, que des territoires sont relégués par des politiques d’austérité économiquement inefficaces et socialement injustes, et qu’une partie toujours plus grande de la population ne peut plus voir dans la République la promesse d’émancipation qu’elle devrait représenter.

La destruction de l’école, l’impossibilité d’une intégration aux valeurs républicaines sont le terreau fertile des menaces que nous connaissons. D’ailleurs, aucune disposition positive visant à lutter contre les discriminations au logement, à l’embauche, ou contre les contrôles d’identité au faciès n’est prévue dans le texte. De telles mesures auraient pourtant été de nature à « conforter les principes républicains ». Non seulement le gouvernement ne règle pas les questions auxquelles il prétendait s’atteler, mais il ne souhaite pas changer de politique. Par défaut de sérieux, d’ambition et de responsabilité, il manque largement le but qu’il prétend atteindre.

Rien dans ce projet de loi pour traiter l’essentiel donc, notamment en mettant en œuvre une stratégie de reconquête idéologique dans tous les territoires où opèrent l’extrémisme religieux, pour laquelle il faudrait réimplanter des organisations d’éducation populaire laïques avec de vrais moyens ! Rien pour démontrer que la République reprend le chemin qu’elle n’aurait jamais dû abandonner, celui de la République sociale (celui que Jaurès considérait comme indispensable pour la survie de la République laïque), celui qui fait que la promesse républicaine d’égalité pourrait être considérée comme concrète par nos concitoyens dont beaucoup aujourd’hui se sentent abandonnés.

Frédéric Faravel

Les cahiers de la GRS PACA : #3 Le développement économique.

Le développement économique est un enjeu fort et central des compétences de la Région. Il répond au besoin d’emplois et de prospérité de nos territoires. Il a un impact sur l’environnement, la production de richesses, et la redistribution qui en est faite. Il peut également avoir un impact négatif sur notre environnement, lorsqu’il est centré sur des activités polluantes, à rebours des enjeux climatiques qui se posent à nous.
Le bilan de l’équipe Muselier sur le développement économique n’est pas bon. La crise sanitaire actuelle et ses conséquences économiques démontrent que la spécialisation de certains de nos territoires sur le seul tourisme, abandonnant les autres activités, est un non sens et affaibli notre économie et l’emploi dans notre Région.
En parallèle, notre industrie souffre. L’économie ne peut être uniquement une économie de services.
Le tourisme et le numérique ne peuvent à eux seuls constituer une alternative à un développement économique diversifié.

« Vite, un vaste plan d’embauches pour les jeunes ! »

Tribune publiée le 03/03/2021 à 10:14 dans Marianne Par David Cayla et Emmanuel Maurel

Crédit photo : Léo Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Créer un RSA pour les 18-25 ans ne suffira pas à réaliser leur insertion. L’État doit prendre en main le problème et embaucher dans l’éducation, dans les services, dans les services sociaux… Par David Cayla, enseignant-chercheur à l’université d’Angers et membre du collectif des Économistes atterrés, et Emmanuel Maurel, député européen et fondateur de la Gauche Républicaine et Socialiste.

L’interview surréaliste de la ministre du travail Elisabeth Borne demandant aux stations de ski d’embaucher virtuellement des saisonniers afin d’être remboursé à 100% par l’État démontre l’absurdité avec laquelle le gouvernement répond aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Ainsi, plutôt que créer lui-même des emplois, l’État préfère payer les salaires de personnes qui occuperont une activité fictive dans des stations de ski fermées.

La logique selon laquelle l’emploi privé serait une richesse et l’emploi public un coût, indépendamment de la valeur et de l’utilité sociale produites par les dits-emplois, est ici menée jusqu’à une conclusion qui défie le bon sens. La crise sanitaire a entrainé un effondrement de l’activité dans le secteur marchand. L’hôtellerie-restauration, le tourisme, la culture, le commerce de centre-ville… ont été particulièrement touchés. Exiger de ces entreprises qu’elles recrutent pour aussitôt les mettre au chômage partiel serait un jeu à somme nulle tant d’un point de vue économique que de celui de l’intérêt général.

Besoins immenses

Car au même moment, les besoins sont immenses dans les hôpitaux, les écoles, les universités, la sécurité, les services sociaux, les prisons, la justice… Mais tous ces secteurs, en tension depuis des années voire des décennies, où les personnels sont proches du burn out, ont le défaut d’appartenir au secteur public. Il n’est donc pas question de recruter. Certes, on ne forme pas un infirmier ou un enseignant en quelques mois, objectera-t-on. Mais à tout le moins pour le secteur médical, il serait possible de reprendre contact avec les personnels qui l’ont récemment quitté, qui se sont reconvertis ou qui préfèrent travailler par exemple en Allemagne ou en Suisse. Il serait tout aussi opportun, et socialement utile, de muscler l’Education nationale, en ouvrant des postes de tuteurs pédagogiques pour assurer un meilleur soutien scolaire, ou de surveillants pour mieux encadrer les élèves, les réguler dans les cantines, etc. Surtout, l’urgence écologique et l’incapacité du privé à répondre seul à ses défis, nécessite de programmer des embauches publiques massives. La jeunesse, dont la sensibilité à ces enjeux est très forte, pourrait répondre à l’appel de la collectivité.

Les faiblesses du service public sont grandes, a fortiori dans cette situation de crise sanitaire, économique et sociale, mais les dogmes austéritaires demeurent, comme si de rien n’était. L’un de ces dogmes, selon lequel le « vrai » emploi émanerait exclusivement du secteur marchand empêche de répondre efficacement à la crise. S’il est nécessaire d’aider les entreprises dont l’activité s’effondre, cela ne suffira pas à créer de l’emploi. Il faut donc aussi en créer dans le secteur public, là où sont les besoins. Le recrutement d’agents titulaires est nécessaire à moyen terme, notamment dans les administrations qui ont le plus souffert des réductions d’effectifs. Mais il faut aussi des emplois à court terme (CDD, contrats de mission) pour soulager au plus vite nos services publics, qui peinent à gérer la crise actuelle.

Offrir des débouchés

Créer des emplois publics, c’est aussi offrir des débouchés aux jeunes diplômés. Avant la crise sanitaire, le taux d’insertion à 18 mois des étudiants issus de l’université dépassait les 90%. En 2020, le nombre de postes ouverts aux personnes sans expérience a chuté de plus de 40%. En dépit de la qualité de leur formation, des centaines de milliers de jeunes risquent de ne pas pouvoir s’insérer professionnellement. Un récent sondage réalisé pour Syntec Conseil (association professionnelle des métiers du conseil) montrait que, fin 2020, seuls 54% des diplômés de l’année avaient trouvé un travail, un taux inférieur de vingt points à celui d’une année normale. Or, la situation risque de ne pas s’arranger en 2021, ce qui fait que toute une génération de diplômés risque de perdre les compétences acquises durant ses études en cumulant des années de galères, de petits boulots peu qualifiés et de chômage. Si l’on ne fait rien, plusieurs centaines de milliers de jeunes basculeront dans la précarité.

En décidant de subventionner l’apprentissage et les embauches des moins de 25 ans, le gouvernement n’a proposé qu’une réponse partielle. La gauche, qui milite pour étendre le RSA aux 18-25 ans, ne répond elle aussi que partiellement aux désirs d’insertion des jeunes. Il faut aller au-delà de la seule logique d’assistance financière. En plus des subventions au entreprises et des allocations aux ménages qu’il propose, l’État doit s’impliquer directement dans le secteur productif et engager un véritable plan d’embauches en direction des moins de 25 ans. Cela lui permettra de renforcer les services publics, d’accompagner l’activité des entreprises qu’il gère et de faciliter l’insertion professionnelle d’une génération durement touchée par la crise.

Chlordécone : les raisons de la colère..

Le volet judiciaire de la pollution de la Martinique et de la Guadeloupe par la chlordécone a été lancé voici 15 ans. Et pourtant le week-end du 27 février 2021, de nombreux compatriotes ultramarins ont manifesté leur colère, à Paris et dans leurs départements, face l’éventualité d’une prescription de ce dossier.

Pour rappel, ce pesticide, intensivement utilisé pendant plus de 20 ans dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, a empoisonné durablement les sols, les rivières et les espaces marins de ces territoires. Selon plusieurs études, ce produit phytosanitaire, qui a contaminé 90 % des populations concernées, a engendré des cancers de la prostate – la Guadeloupe et la Martinique affichent les taux les plus élevés au monde –, des naissances prématurées avec des malformations et bien d’autres maladies.

Hormis quelques travaux parlementaires, l’État n’avait pas avancé sur ce dossier jusqu’en septembre 2018. Lors d’une visite en Martinique, le Président de la République avait fait un pas historique en affirmant qu’il fallait « aller sur les chemins de la réparation ». Cependant, comme avec toutes ses autres promesses, c’est la déception et la frustration qui ont laissé place à l’espoir dans l’esprit des populations antillaises.

En effet, le Gouvernement et sa majorité n’ont cessé de freiner les travaux législatifs qui proposaient de réparer cette catastrophe notamment concernant :

une proposition de loi pour la mise en place d’un fonds d’indemnisation des victimes de la chlordécone qui a été vidée de sa substance par la majorité LREM de l’Assemblée nationale ;

seules quelques mesures d’une commission d’enquête sur le sujet – dont le rapport et les propositions avaient pourtant été salués sur tous les bancs – ont été intégrées au 4ème Plan Chlordécone (après ceux de 2008, 2011 et 2014) ; celles-ci sont largement insuffisantes au regard des impératifs sanitaires et environnementales.

Loin de vouloir commenter une décision de justice, la probabilité que la procédure engagée par plusieurs associations se solde par un non-lieu (du fait de la disparition de pièces du dossier et du délai de prescription des faits) va alimenter un climat social de plus en plus explosif au niveau local : de multiples manifestations et actes de violence qui avaient secoué la Martinique et la Guadeloupe en 2020. Une grande partie des revendications convergeaient alors pour dénoncer l’incapacité de l’État à apporter des solutions sur le dossier chlordécone et, selon des manifestants, la « continuité de la colonisation » dans les Antilles.

Quelle qu’en soit l’issue, il est nécessaire que l’État tienne ses promesses et fasse le nécessaire pour reconnaître et apporter des solutions à ce drame qui a empoisonné les sols de la Martinique et de la Guadeloupe pour 600 ans. Il en va du respect de principes et des valeurs de notre République.

La Gauche Républicaine et Socialiste apporte son entier soutien à nos concitoyens de la Martinique et de la Guadeloupe.

Statut des directeurs d’école : le Macronisme en mode disciplinaire et inégalitaire

Il est des mots que le législateur ne doit pas oublier : « Le travail des directeurs est épuisant, car il y a toujours des petits soucis à régler, ce qui occupe tout notre temps de travail et bien au-delà du temps rémunéré, et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l’on a fait. » C’est « la perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200% notre journée » qui épuise les directions d’école. 

Extraits de la lettre de Christine Renon, « directrice épuisée » d’une école à Pantin, déchargée à temps complet, qui s’est donnée la mort le 21 septembre 2019. 

La proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école arrive au Sénat : le texte sera examiné en commission le 3 mars puis en séance publique le 10 mars 2021. La Gauche Républicaine et Socialiste ne peut que constater qu’elle ne répondra pas aux attentes des directrices et directeurs d’école. Pire, la constante négation de la réalité des conditions de travail dont le projet de loi fait encore la preuve risque d’accroître les difficultés de ces enseignants-directeurs investis de cette fonction. 

Les directeurs d’école demandent une reconnaissance. Non seulement en terme salarial, mais aussi une reconnaissance de cette charge de travail totalement invisible, restée hors de portée de la compréhension de tous les législateurs et ministres réunis jusqu’ici. Jean-Michel Blanquer, Cécile Rilhac et le gouvernement ne font pas exception. Ils ont oublié les mots de Christine Renon. 

Il est temps de reconnaître la réalité. Elle sait qu’il y a 20 ans encore les quelques échanges avec la hiérarchie se limitaient à moins d’une dizaine de courriers. Le travail de direction d’école était entièrement tourné vers les élèves. Aujourd’hui, l’école est immédiatement accessible pour l’ensemble des parents, des services municipaux et académiques du fait des évolutions technologiques et de la société. Cette possibilité est souvent devenue une convocation à répondre dans l’instant, une injonction à l’astreinte permanente. Ces enseignants particulièrement dévoués perdent depuis lors le sens de la direction d’école. Un pan entier de notre école si essentiel pour maintenir l’édifice debout – nous l’avons tous vu lors de cette crise sanitaire – est au bord de burn-out

Quand les directeurs d’école réclament des secrétaires d’école et des moyens matériels, le Ministre de l’éducation nationale a répondu par deux fois en moins de deux ans par la création d’un statut spécifique. Un statut, dans de telles conditions, ne changera rien aux conditions de travail. Pour preuve, seuls 11% des concernés sont favorables à la création d’un tel statut. Heureusement par deux fois, la mobilisation de la profession, d’élus et de parents d’élèves a permis d’écarter cette perspective. 

Dans le texte présenté au Sénat, nous pouvons cependant saluer deux avancées : 

  • La première consiste à transférer la responsabilité du « plan pour parer aux risques majeurs liés à la sûreté » des directeurs à l’autorité académique et aux collectivités responsables des locaux scolaires ; 
  • La seconde concerne le temps de décharge de classe qui correspond en partie à la demande de la profession. 

Mais l’idée du « statut », chassée par la porte et la fenêtre, revient cette fois-ci par la lucarne. Si l’on peut lire que le directeur « n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école », le reste du texte sème en effet le doute. La notion floue de « délégation de compétences de l’autorité académique » pour un « emploi de direction » (autre notion imprécise) nouvellement créé, démontre une nouvelle tentative de séparer les directeurs de leurs collègues. Le texte est très clair par la suite : « Lorsque sa mission de direction n’est pas à temps plein [le directeur] peut-être chargé de missions d’enseignement dans l’école dont il a la direction ou de missions de formation ou de coordination. » Ainsi le directeur n’est plus un enseignant faisant fonction de directeur, mais bien d’un directeur faisant fonction d’enseignant. Et comment nomme-t-on un emploi séparé de ses pairs qui endosse une partie de l’autorité académique ? Un supérieur hiérarchique… 

Le gouvernement et sa majorité présidentielle démontrent ainsi leur volonté de ne pas répondre aux problèmes réels d’organisation de l’école. Il nous paraît nécessaire que cette « délégation de compétences de l’autorité académique » disparaisse du texte, car cette notion met à mal la confiance au sein de la communauté éducative attachée à son horizontalité. 

L’article 4 bis nous paraît par ailleurs inutile : de nombreuses écoles, en pédagogie coopérative pourtant régulièrement mise à l’index, voire sanctionnée, associent les élèves aux décisions. Il semblerait plus opportun de reconnaître et garantir la liberté pédagogique. 

La Gauche Républicaine et Socialiste demande enfin que l’État reprenne la responsabilité de ses décisions en ne les reportant pas sur les collectivités territoriales qu’il a fragilisées depuis de nombreuses années : ni l’aide humaine (article 2 bis) et ni les moyens informatiques liés à la mission de direction (article 2 – 11) ne devraient être imputés aux communes. L’article 4 semble être la monnaie d’échange avec les collectivités en donnant au directeur d’école la charge de l’organisation du temps périscolaire. Alors que cela est aujourd’hui possible dans le cadre du cumul d’activités et donc d’heures supplémentaires rémunérées, cet article permet la mise à disposition à titre gracieux de moyens humains, sur le dos des directeurs, pour permettre aux collectivités de supprimer quelques postes sur le temps périscolaire. 

Nul ne doit être naïf face à ce texte : la hiérarchisation de l’école n’a d’autres objectifs que la disciplinarisation de ce maillon éducatif ; le macronisme cherche à décharger encore une fois l’État de ses obligations sur les collectivités ce qui ne peut qu’accroître les inégalités territoriales et les fractures dans l’unité républicaine de la nation. 

Nous ne pouvons nous y résoudre.

Les contradictions de la société espagnole au prisme de l’affaire Hasel

La mort du grand intellectuel Miguel de Unamuno en 1936, au début de la guerre civile, est la fin tragique d’une passion pour l’Espagne, attachée à ses paradoxes et ses turbulences. Unamuno est mort quelques semaines après avoir échappé au lynchage dans son université de Salamanque, où il avait prononcé un discours dénonçant la brutalité des troupes nationalistes. Il a été emporté par une dialectique dont il avait eu l’intuition : celle qui relie l’obsession espagnole de la pureté, le casticismo et la haine entre frères, le cainismo.

Cette dialectique adapte sa partition en ce début d’année 2021. Le cas Pablo Hasel démontre l’actualité affligeante des angoisses d’Unamuno et d’autres, d’Ángel Ganivet à Antonio Machado, sur la capacité des Espagnols à penser à l’Espagne, l’Espagne telle qu’elle est et non telle qu’ils la veulent. L’affaire qui se développe autour de la condamnation de ce rappeur de Lérida pour apologie du terrorisme et injure à la Couronne, rend manifeste ce qui vicie l’air de l’Espagne : la radicalisation et l’affirmation à l’extrême des options politiques et des positions sociales.

Pablo Hasel, né en 1988, est un rappeur originaire de Catalogne, peu inventif musicalement mais très prolifique et à l’activisme fort. Il est connu depuis une dizaine d’années comme compagnon de route du Parti communiste espagnol reconstitué (PCEr), une formation clandestine, et comme fervent opposant à la monarchie. Les Bourbons occupent une place de choix dans la construction de ses textes anticapitalistes et antisystèmes où il démontre un sens de la formule qui force l’admiration.

L’affaire Hasel est l’aboutissement de longs démêlés du rappeur avec la justice.

D’abord pour ses chansons : depuis 2011, il glorifie régulièrement les GRAPOS, bras armé du Parti communiste clandestin et groupuscule responsable d’attentats à la bombe et du meurtre de policiers dans les années 1970. Il rend aussi fréquemment hommage à des personnalités du terrorisme de gauche et du terrorisme basque, et fait l’éloge de méthodes politiques pour le moins contestables : « la peine de mort pour les Infantes pitoyables », « que reviennent les GRAPOS », « pourvu que quelqu’un fasse sauter la voiture de Patxi López ».

Ensuite sur Twitter où il fait preuve d’une certaine constance : 1915 tweets, publiés entre 2014 et 2016, contiennent les mots « terrorisme », « GRAPO », « ETA », « bombe », « Police », « Garde civile », « Monarchie », « Bourbons ».

En 2014, il est condamné à deux ans de prison pour apologie du terrorisme, mais n’exécute pas sa peine. Entre 2014 et 2016, le rappeur persiste et signe sur Twitter et dans ses chansons. Le tribunal revoit donc sa sentence en exigeant le placement en détention pour apologie du terrorisme et injure à la Couronne. Saisie en appel en 2018, la Cour suprême commue sa peine en neuf mois d’emprisonnement dans un jugement rendu en mai 2020. Le tribunal avait conclu que si les paroles du rappeur méritaient bien d’être jugées selon le régime de la liberté d’expression, la référence à des actions terroristes identifiées dans la mémoire collective ainsi que le fait d’appeler à leur reproduction sur des personnalités publiques justifiaient  une condamnation.

L’affaire prend une autre tournure le 16 février, quand il est arrêté par les Mossos d’Esquadra dans l’Université de Lérida où il s’était retranché avec un groupe de sympathisants pour échapper à la police.

Depuis son arrestation, des manifestations embrasent les grandes villes du pays, particulièrement à Barcelone, Lérida, Gérone, Vic et Valence, mais aussi à Madrid, Séville ou Pampelune. Des affrontements, parfois très violents, ont opposé la police et de jeunes manifestants dans des cortèges à taille variable mais empreints d’une colère vive. La crise a pris une tournure politique, divisant le gouvernement et la majorité au Congrès entre le PSOE de Pedro Sánchez, traditionnellement légaliste et laconique sur la monarchie, et Podemos dont les leaders apportent leur soutien aux manifestants.

La tonalité de l’événement a été donnée par l’activisme de Hasel lui-même : un positionnement antisystème, décliné en antimonarchiste, pro-ETA, républicain, communiste et indépendantiste. Cette sémantique est reprise de façon visible dans les manifestations et se place sous la bannière de la liberté d’expression.

Cet univers, auquel se surajoute la configuration violente des manifestations et les slogans parfois très provocateurs, a tout pour inciter la vieille Espagne au mépris et à la haine. Le pays s’est ému de l’attaque du commissariat de Vic, des pierres lancées sur le Palau de la Música, de voitures en feu et de groupes de policiers mis en grande difficulté sur la Puerta del Sol. Les condamnations ont été unanimes à partir de la droite du PSOE. Santiago Abascal, leader du parti d’extrême-droite Vox, a appelé à des représailles et a lancé un « front monarchiste » contre l’engeance « républicaine et immigrée ».

Mais à se concentrer spécifiquement sur Hasel, ses paroles, les slogans et la répression, on s’interdit de sonder jusqu’au fond du problème. Les manifestants continueront de répéter en vain que l’Espagne monarchique est un pays fasciste ; beaucoup de conformistes se convaincront que la jeunesse de leur pays est décidément composée d’écervelés et de délinquants. Mais dans un tel jeu médiatique où les opinions se cristallisent à la surface du problème, les options les plus contraires en apparence ne sont ni plus ni moins que les deux faces de la même pièce. La bourgeoisie conformiste qui s’émeut de la violence des manifestations et les révolutionnaires de salon qui poussent au grand soir républicain à Barcelone, s’accordent en réalité sur le diagnostic : il y a deux Espagnes irréconciliables, celle de Hasel et celle du Roi.

Si l’arrestation d’un rappeur peu recommandable peut constituer une telle déflagration, causer tant de colère, tant de haine et tant de peur, c’est que le problème ne se résume pas à la liberté d’expression versus l’injure à la Couronne. Il doit avoir sa cause dans les mouvements profonds du pays. Il doit dire, à sa manière, quelque chose du « marasme espagnol » qui travaille le pays depuis plus d’un siècle.

Tous ces motifs (controverse autour de la liberté d’expression, question du régime politique ou encore mémoire des événements du XXème siècle) convergent vers le mal profond de l’Espagne : l’idée, partagée à gauche comme à  droite, commune aux néo-franquistes et aux républicains, que l’Espagne n’est pas ce qu’elle devrait être, qu’une imposture plus ou moins vaste dégrade son identité.

À droite, une cohorte conformiste voit toute remise en cause de l’ordre monarchique comme un menace, un ébranlement qui risque de mettre à bas le pays tout entier et de ruiner son essence même. À gauche, une certaine part contestataire du pays durcit posture provocatrice et souhaite faire table rase du passé franquiste dans lequel, bon gré mal gré, la société actuelle plonge nombre de ses racines. Partout, la peur ou la colère de la dépossession : tant pour une jeunesse qui voit son pays se complaire dans une chaîne infamante qui relie le coup d’état de 1936 et les horreurs du franquisme au gouvernement actuel, que pour une part installée de la société qui craint de voir le compromis trouvé par la Transition s’effondrer et qui trouve refuge dans l’anticommunisme.

Depuis cette perspective, l’affaire Hasel apparaît comme la manifestation superficiellement politique d’un problème qui est en fait d’ordre générationnel, au sens large, et qui repose sur un substrat explosif mêlant mémoire historique et répartition des richesses. Hasel et le Roi sont les épouvantails qui agitent des factions de frères ennemis, l’histoire du pays ayant voulu que les factions épousent le schéma générationnel de la répartition des richesses.

La vieille Espagne, qui va du centre jusqu’à l’extrême-droite, est arc-boutée sur la monarchie. Elle considère que la chaîne qui relie Felipe VI, Juan Carlos I, Franco et le coup d’état de 1936 n’a pas besoin d’être remise en cause puisqu’elle tire sa légitimité de l’exercice et de la stabilité du pouvoir. La bourgeoisie du temps de Franco, baignée dans le conformisme national, s’est trouvée favorisée par la prospérité issue du miracle économique et a volontiers associé celle-ci à l’univers symbolique du franquisme et à l’idée d’une Espagne faite de religion, de traditions, d’anticommunisme et de respect de l’uniforme. Elle accepte la continuité avec le militarisme, le nationalisme et le traditionalisme, tout en prenant pour elle les bienfaits du libéralisme. C’est l’Espagne de la spéculation immobilière et des défilés de légionnaires qui chantent des chants franquistes en pleine rue en portant le Christ ensanglanté à bout de bras, derrière les confréries de pénitents. C’est l’Espagne âgée ou héritière, qui détient le capital et s’identifie aux traditions nationales.

À l’opposé, une Espagne contestataire et républicaine qui rejette ces mêmes traditions que Franco exaltait, ainsi que les institutions démocratiques actuelles, qu’elle considère nées du fascisme. À gros traits, sa rhétorique prône l’inverse de toutes les acquis de la Transition : contre le régime des communautés autonomes, l’indépendance des régions ; contre la stabilité de la Couronne, la liberté républicaine ; contre le silence mémoriel, le fracas des exhumations ; contre les traditions culturelles, contre l’imprégnation religieuse, un gauchisme parfois provocateur.

Si ce conflit est au premier chef générationnel, c’est parce que la vieille Espagne, comme on parlerait de la vieille Castille, se repose sur un capital ancien. La solution de compromis fondée sur la continuité de la tradition, l’ouverture au marché puis l’européisme, a profité à la part de la société déjà bien installée sous le franquisme : celle qui a recueilli le fruit des efforts de modernisation du dictateur sans éprouver la douleur des vaincus de la Guerre civile. Pour cette Espagne là, la légitimité de la monarchie se démontre en actes. Le moment de grâce de la Transition, puis le miracle économique leur ont profité, donc ont profité à l’Espagne, donc la continuité avec le franquisme est pour eux une bonne chose. Ils se sont accommodés du silence autour de la mémoire historique et ont spéculé dans les années 1990. Aujourd’hui, l’exhumation des drames enfouis du XX° siècle et la colère des autres face à la crise économique et sociale, suffisent à radicaliser les positions autour de la monarchie, du centre-gauche à l’extrême-droite, pour cette part légaliste de la société espagnole. Elle pense au capital qu’elle pourra transmettre à ses enfants. Et d’ailleurs, elle dresse ces derniers contre une partie de leur génération, ces « mal-élevés ».

Mais la part de la jeunesse espagnole qui n’est pas issue de cette histoire souffre le martyre. 41 % des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage. De 30 à 34 ans, ils ne sont que 30 % à disposer d’un logement indépendant. Quant au taux de pauvreté des jeunes adultes, l’Espagne se classe au rang de vice-championne d’Europe derrière la Grèce, ex-aequo avec la Roumanie.

Une situation insoutenable, et une colère mille fois justifiée. Comment ne se retournerait-elle pas contre le régime, quand ces jeunes voient les frasques financières de Juan Carlos, de l’Infante et de son mari, ainsi que le mépris qui ruisselle de bon nombre de boomers à l’aise avec le franquisme, qui ont eu le temps de profiter des fruits du miracle économique mais qui maintenant leur font payer la crise ?

Hasel, à sa manière, incarne un peu de cette colère, en en étant sans doute un bien mauvais porte-parole. Dénué de second degré et trop empli de dégoût pour tout ce que l’Espagne est aujourd’hui, il dérive vers la tentation dangereuse de la page blanche et se complaît dans une provocation stérile. L’Espagne en crise s’est toujours trouvée des « Générations » pour accompagner philosophiquement et poétiquement sa marche dans l’inconnu, en 1898, en 1914, en 1936 ou en 1950. Si Hasel ne fondera pas la Génération de 2021, celle-ci doit bien se constituer quelque part, plus en hauteur ou plus en profondeur.

Provocation d’un côté, cécité sociale de l’autre. Et dans les deux cas, obsession de la pureté qui peut aller jusqu’au rejet de la complexité de son histoire et des aspirations d’une partie de son peuple. L’Espagne semble se faire et se refaire en jetant les Espagnols les uns contre les autres, et en accordant une valeur monstrueuse à la position sociale et aux options politiques qui en découlent puisqu’elles dessinent un pays qui se ferait en éliminant l’autre moitié de l’héritage. Puissent les Espagnols s’accorder pour partager l’inquiétude d’Unamuno qui, voyant venir les troubles des années 1930, déclarait : « Quelle invention diabolique et antipatriotique que l’incompatibilité ! ».

Qu’en ferons-nous de ce côté des Pyrénées ? Nous n’avons pas le même XX° siècle que l’Espagne  que notre espace politique n’a pas la même configuration. Mais en France aussi se nouent de fortes injustices intergénérationnelles ; en France aussi, nous avons de quoi nous inquiéter des instincts de dépossession et de l’incompréhension grandissante qui s’installe quand chacun voit midi à sa porte.

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