L’Inde votera t-elle pour l’intégrisme hindou ?

« La fin du rêve laïque » (India Times) : dans la plus grande démocratie du monde commence un cauchemar pour les minorités religieuses.

Narendra Modi a compris une règle essentielle du capitalisme post-guerre froide : tant que la politique économique promet libéralisations, privatisations et fiscalité allégée sur les revenus financiers, le capitalisme se désintéresse des libertés publiques et religieuses, des droits des minorités et de la dignité humaine.

C’est sur ce constat que le monde se réorganise depuis le début des années 1990. Partout l’on fait face à une terrifiante montée des intégristes, qui progressent dans toutes les religions et qui sapent toutes les démocraties.

L’Inde, démocratie la plus peuplée de la Terre, est traversée des mêmes débats avec les mêmes mécanismes à l’œuvre.

Par consensus sur l’abandon de l’analyse des rapports de force économiques et la défiance de l’État comme acteur d’un contrat social universel, tant les progressistes néolibéraux que les conservateurs ultra religieux ont crée les cadres d’un retour à des systèmes absolutistes.

Le scrutin pourrait donner à Modi, un intégriste religieux nationaliste, une majorité des deux tiers lui permettant de modifier la constitution pour proclamer l’hindouisme Religion nationale et exclure de la communauté nationale les minorités religieuses, notamment les musulmans, mais aussi les sikhs, les chrétiens, les juifs. Dans cette vision, il n’y a pas de liberté de conversion, ni celle de ne pas croire.

L’individu est réduit à sa communauté, et ceci est la pire des oppressions possibles.

Le parti séculier d’opposition de Rahul Gandhi s’est vu geler ses fonds en février, l’empêchant de faire campagne, et plusieurs dirigeants soumis à des procédures baillons.

Modi est sur un agenda de réformes néolibérales de l’économie qui plaît beaucoup au FMI. Mais il est aussi extrémistes que les intégristes évangéliques trumpistes, ceux soutenant le libertaire nationaliste Milei ou les messianiques ministres de Netanyahu en Israël.

C’est une tendance globale à l’alliance d’agendas économiques anti-État et d’agendas ultra religieux quel que soit la structure de la religion (polythéiste/monothéiste, islam, judaïsme, christianisme, hindouisme, bouddhisme en Malaisie, etc.).

Rappelons que le gouvernement canadien soupçonne le gouvernement indien d’être derrière des tentatives d’assassinat de dirigeants sikhs en exil.

La communauté chrétienne indienne, notamment à Goa, est également dans le collimateur avec des pogroms réguliers, comme en 2008 (38 morts) ou 2015. L’État de Goa, dominé par le BJP, a ainsi hindouisé ses forces de police pour en exclure les chrétiens.

Et en plein mouvement des suicides des paysans indiens, le BJP avait favorisé les structure claniques pour empêcher les paysans sans classe de passer a l’islam, ceux-ci espérant ainsi … échapper à la réincarnation en se suicidant. Depuis, une loi est passée interdisant l’apostasie, c’est-à-dire la conversion à une autre religion que la religion de naissance. Bien évidemment, il n’y a pas de place pour l’athéisme dans l’Inde hindoue de Modi.

Pourtant, tous les sondages des démocraties du monde, en Occident comme en Asie, montrent les mêmes préoccupations des classes nombreuses, et ce n’est ni l’intégrisme religieux, ni l’agenda nationaliste.

62% des électeurs indiens sont inquiets de l’inflation et des difficultés croissantes à trouver un emploi, alors que l’économie croit de 6% en moyenne, mais favorise une classe moyenne urbaine seulement.

Les musulmans, les sans castes et les membres de castes tribales trouvent qu’il est plus difficile de trouver un emploi à 65-67%, les membres des hautes castes brahmaniques s’inquiètent également à 55%.

Si 48% des Indiens estiment que leur situation s’est améliorée, 35% disent qu’elle s’est dégradée et seulement 22% disent qu’ils gagnent assez pour épargner : les préoccupations économiques et sociales sont bien plus importantes que les questions communautaires et sociétales.

Enfin, l’idée que la corruption sous Modi augmente est partagée par 55% des Indiens (contre 40% en 2019). Malgré un paysage médiatique mis au ordres du pouvoir tant dans le secteur public que par la concentration industrielle de magnats proches du pouvoir, les Indiens se rendent compte que ce régime ne favorise qu’une minorité et le népotisme.

L’Inde, témoin d’une évolution globale

L’islamisme intégriste fut fortement favorisé pendant la guerre froide par les services américains et les partis des droites occidentales pour contrecarrer l’influence des partis laïcs et séculiers des pays de religion majoritairement musulmane, car la sécularisation s’accompagnait d’une montée des idées socialistes.

L’islamisme « libéral » fut également instrumentalisé par les puissances économiques, promettant à Erdoğan l’intégration dans l’Union Européenne, s’il mettait au pas le syndicalisme, les lois de protection des travailleurs, et au nom d’un « progressisme » capitulard, les lois laïques et séculières protégeant l’Université et l’enseignement public.

L’histoire de la résurgence des mouvements fondamentalistes évangéliques est inséparable de la victoire du discours néolibéral anti-État en Amérique du Nord. Si les États-Unis d’Amérique n’ont jamais été un pays séculier – Dieu y est omniprésent dans toutes ses variantes possibles –, le Canada devint un champ de luttes multipolaire, entre « progressisme » contre la laïcité, néolibéralisme contre l’État providence, et finalement, libération par la foi contre « l’oppression du public ».

Mais les États-Unis sont aussi la terre de naissance du confusionnisme révisionniste le plus extrême au sein même des « progressistes ». Dans les années 1990 encore identifiés au social-libéralisme du couple Clinton, qui influera sur Tony Blair, Gerhardt Schröder, François Hollande et Manuel Valls, ce progressisme entraîne le divorce des classes populaires et des partis de centre gauche.

Depuis, le progressisme tente de reconquérir les classes populaires, non en tant que classes soumises aux mêmes pressions économiques et sociales quel que soit leur religion ou lieu de vie, mais en tant que communautés de luttes parcellaires. Incapable de repenser le mépris de l’État au cœur des idéologies libertaires, néolibérales, social-libérales, et ultranationalistes religieuses, le néo-progressisme, que ses adversaires appellent « wokisme », refuse trois siècles de critiques du capitalisme et de l’absolutisme, critiques émises au nom de l’universalisme, pour le rendre lui-même complice des systèmes d’oppressions. Ce faisant, il se résout à n’avoir aucun discours économique cohérent, ni aucune perspective de classe, universel.

Quant au Trumpisme, il pose en ce moment même, avec la question de constitutionnalité sur l’immunité du président, la question de l’absolutisme de l’exécutif, transformant la démocratie en un bonapartisme plébiscitaire.

C’était déjà ce que prévoyait – sans la dimension religieuse – le philosophe italien Losurdo dans un essai en 1993 sur les dérives des manipulations du suffrage universel dans les démocraties occidentales1.

En Europe, le véhicule du rejet des politiques migratoires – rendues nécessaires par des compromis politiques et sociaux défavorables à l’enfance et la maternité active dans les pays d’Europe centrale autour de l’Allemagne, mais aussi en Italie et en Espagne – a permis la résurgence des idéologies millénaires de l’extrême droite : antisémitisme, ultra-christianisme, racisme suprémaciste, nationalisme et guerres de frontières (la Yougoslavie est souvent oubliée dans la pensée de l’Europe depuis la chute du communisme, Russie-Géorgie, Russie-Ukraine depuis 2014, Arménie-Azerbaïdjan, Moldavie-Transnistrie-Russie). Cette résurgence est également rendue possible par la pusillanimité des progressistes, néolibéraux et sociaux-libéraux, dans la lutte pour la neutralité religieuse de l’État contre des groupes, salafistes ou autres, soucieux de saper l’universalisme et de faire prévaloir les règles communautaires sur le droit commun.

Les attentats islamistes comme les attentats des néofascistes ont fait des centaines de morts en Europe depuis le début des années 2000, ciblant en premier lieu les classes séculières attachées aux libertés publiques.

En Israël, après l’assassinat du dirigeant travailliste Yitzhak Rabin en 1995, la société se divise de plus en plus entre une minorité séculière attachée à la démocratie laïque du sionisme politique, et les religieux de plus en plus convaincus par une lecture néo-messianique et raciste. Les néolibéraux israéliens se rallieront aux alliances politiques et électorales avec les ultra religieux, notamment sous l’impulsion de Netanyahu, sans doute le pire premier ministre de l’histoire de ce pays. Il a fait voter en 2018 une révision constitutionnelle mettant fin au caractère séculier de l’État, qui reconnaît une religion officielle, le judaïsme.

La répression contre les syndicats et les forces travaillistes est indissociable de la complaisance au Hamas à Gaza, exploitant une main d’œuvre corvéable palestinienne, et la colonisation des territoires occupés.

Après une dure lutte des citoyens israéliens contre la volonté de Netanyahu de renverser l’ordre démocratique en faisant de l’exécutif un absolutisme plébiscitaire, l’attaque terroriste et criminelle du Hamas du 7 octobre 2024 a fait exploser toutes les contradictions au grand jour. La crise existentielle qui en découle condamne les extrémistes religieux et leurs alliés néolibéraux à la fuite en avant criminelle vis-à-vis des populations civiles tant à Gaza que dans les mouvements d’opposition israéliens au gouvernement actuel. Depuis le 7 octobre, 58% des israéliens souhaitent la démission du cabinet Netanyahu et de nouvelles élections.

L’universalisme est la condition pour défendre la démocratie, la laïcité, les libertés publiques et individuelles, et l’État comme intercesseur du contrat social.

Sans cela, nos démocraties se transforment en modèle autoritaire de « bonapartisme plébiscitaire » où l’exécutif s’affranchit des contrôles parlementaires et juridiques, tout en remplaçant l’État par le prophétisme religieux et les intérêts privés, les libertés individuelles par le communautarisme d’enfermement et la solidarité par la concurrence entre groupes, communautés et religions.

La conclusion de cet abandon, dont malheureusement un partie des classes favorables historiquement à la gauche sont également responsables, c’est la guerre civile ou entre Nations, communautés religieuses.

Mathias Weidenberg

1 Democrazia o bonapartismo. Trionfo e decadenza del suffragio universale, Bollati Boringhieri, Turin, 1993, 2001

Emmanuel Maurel : la diplomatie et la défense doivent rester des prérogatives des Etats !

Emmanuel Maurel faisait face à François-Xavier Bellamy (LR) et Nathalie Loiseau (Renaissance) dans Le Talk de France Info sur Twitch, ce mercredi 24 avril 2024… La totalité de l’entretien est disponible ici.

Il débattait avec ses adversaires députés européens sur les questions de défense, de diplomatie, d’organisation des institutions européennes alors que plusieurs dirigeants européens de droite, soutenus par les Libéraux et de nombreux sociaux-démocrates, veulent accélérer sans débat avec les peuples l’élargissement et pratiquer un « saut fédéral », totalement inapproprié dans le carcan ordo-libéral qu’ils ont imposé depuis plusieurs décennies.

Emmanuel Maurel a donc rappelé plusieurs principes :

  1. la diplomatie et la défense sont des prérogatives des Etats nationaux et doivent le rester ;
  2. en conséquence, l’unanimité doit rester la règle absolue sur ces questions au sein du Conseil Européen ;
  3. un effort de défense supplémentaire est nécessaire, la France doit se mettre à niveau et si un besoin de plus grande coordination entre Européens existe, il n’est pas question d’une « armée européen » qui serait placée sous l’autorité de responsables soumis aux intérêts des USA ;
  4. nous devons aider l’Ukraine, lui envoyer des armes, empêcher que la Russie ne l’emporte, mais nous devons réaffirmer que nous ne sommes pas en guerre ;
  5. ainsi si la maxime « si vis pacem, para bellum » reste vraie, il n’est pas non plus interdit d’utiliser intelligemment ses ressources diplomatiques ;
  6. enfin, on parle beaucoup d’ingérences russe et chinoise, elles sont réelles et nuisibles à nos intérêts (l’ingérence américaine aussi), mais il y a une ingérence réelle dont on parle trop peu (et pour cause), c’est celle de l’Azerbaïdjan qui use de son gaz et de son pétrole pour « corrompre » les dirigeants européens : ces derniers font ainsi preuve d’une hypocrisie insupportable face au drame que subissent les Arméniens et leur pays que nous sommes censés soutenir.

L’appel de 50 personnalités pour un référendum sur « le tour de vis fédéraliste » de l’Union européenne

tribune collective publiée dans Le Figaro le 23 avril 2024 à 18h35

En novembre 2023, une résolution du Parlement européen a proposé de modifier les traités pour généraliser la règle de la majorité qualifiée, puis une résolution semblable a été adoptée à l’Assemblée nationale. 50 personnalités, dont Arnaud Montebourg et Marcel Gauchet, appellent à organiser un référendum sur ce sujet qui engage la souveraineté de la France. Par la signature de sa co-fondatrice, Marie-Noëlle Lienemann, la Gauche républicaine et Socialiste s’y associe.

L’Union européenne n’en finit plus de dériver vers une supranationalité écrasante. D’année en année, la devise « Unis dans la diversité » a cédé sous une centralisation uniformisatrice effaçant les identités et les souverainetés nationales. Tournant le dos à ce qui la fonde, l’Union devient un carcan normatif où l’État de droit n’est brandi que pour justifier l’extension sans limites d’un système autoritaire. Imaginée comme un espace de prospérité où le « doux commerce » et la coopération renforceraient la paix entre les nations, elle est devenue une « prison des peuples » reposant sur des dogmes aveugles qu’il est interdit d’interroger malgré leurs évidents et dramatiques échecs économiques, sociaux et géopolitiques.

Cette dérive est servie par les deux dynamiques sans frein de l’élargissement et de l’approfondissement, le second étant toujours présenté comme indispensable au premier, lui-même inéluctable.

L’extension illimitée du territoire de l’Union européenne, sans stratégie ni délibération démocratique, semble échapper à la raison et ne plus obéir qu’à un automatisme incontrôlé. Entre 2004 et 2007, l’Union a déjà accueilli des États qui n’adhéraient pas à l’idée d’une autonomie stratégique. Il en est résulté une soumission accrue à l’hégémonie américaine tandis que les travailleurs de l’Ouest étaient livrés à la concurrence de ceux de l’Est. L’entrée irréfléchie, récemment promise, de l’Ukraine et de la Moldavie risque encore de ruiner des pans entiers de l’économie française, sans parler des conflits avec la fédération de Russie ni des distorsions culturelles et sociologiques que l’on feint d’ignorer.

L’approfondissement consiste ensuite, au nom de l’efficacité décisionnelle menacée par les élargissements, à accentuer le tour de vis fédéraliste en confisquant toujours davantage la souveraineté des peuples au profit des institutions supranationales. Cette captation continue passe depuis l’origine par l’interprétation extensive des compétences de l’Union, toujours défendue par la Commission et systématiquement validée et accentuée par la Cour de justice de l’Union européenne qui a imposé brutalement d’elle-même, en marge des traités et même contre leur lettre, la primauté inconditionnelle du droit européen, y compris sur les constitutions nationales. L’augmentation considérable du budget de l’Union, soustrait au contrôle des peuples et même parfois utilisée contre eux pour sanctionner leurs choix électoraux, révèle un déficit démocratique considérable, particulièrement injuste pour les pays contributeurs nets comme la France. Enfin, l’abandon du vote à l’unanimité au Conseil de l’Union, remplacé progressivement par le vote à la majorité qualifiée, a déjà ôté aux États membres leur droit de veto sur des domaines essentiels. Le projet de réforme des traités en préparation propose de généraliser définitivement, en toutes matières, y compris la défense et la politique extérieure commune, la règle de la majorité, actant ainsi officiellement la disparition du droit de veto des États membres et donc de ce qu’il leur reste encore de souveraineté. C’est ainsi la fédéralisation complète d’une Union élargie à trente-sept qui se prépare à l’insu des Français.

L’adoption de cette réforme, qui transférera à l’Union les derniers éléments de ce que le Conseil constitutionnel français appelle les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », réalisera le rêve de quelques-uns d’une Europe fédérale

Depuis des décennies déjà, une grande partie des lois nationales n’est plus que la transposition servile de directives communautaires, tandis que la Cour de justice étend l’empire de sa jurisprudence et de son interprétation abusive des traités. Jusqu’ici, grâce au droit de veto résiduel, chaque pays membre pouvait encore, en théorie, refuser de consentir à une politique qui lui serait préjudiciable. Mais depuis la Conférence « citoyenne » sur l’avenir de l’Europe, organisée en 2022 de façon parfaitement opaque et pseudo-démocratique, la suppression de ce droit est programmée.

En mai 2023, des dirigeants français et allemands élus mais non mandatés pour cela ont déclaré vouloir réformer l’UE dans ce sens. En septembre 2023, des experts franco-allemands ont déposé leur rapport. Le 22 novembre 2023, une résolution du Parlement européen a proposé de modifier les traités pour généraliser la règle de la majorité qualifiée à tous les domaines sans exception et prévoir davantage de sanctions contre les États membres récalcitrants. Le 29 novembre suivant ce fut le tour de l’Assemblée nationale française de voter une résolution en faveur d’un projet de traité reléguant notre souveraineté et prévoyant explicitement que les frontières extérieures, la protection civile, les affaires étrangères, la sécurité commune, la défense, l’industrie et l’éducation deviennent des « compétences partagées » de l’Union européenne, c’est-à-dire que les États n’y disposeront plus que d’une compétence résiduelle.

L’adoption de cette réforme, qui transférera à l’Union les derniers éléments de ce que le Conseil constitutionnel français appelle les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », réalisera le rêve de quelques-uns d’une Europe fédérale, dirigée par une commission portant officiellement le titre d’« Exécutif », coiffé d’un « Président de l’Union européenne ». La fin des souverainetés nationales, et donc de nos démocraties, est ainsi clairement projetée.

Le peuple français presse depuis longtemps cette dépossession. Elle dissout la souveraineté nationale et populaire. Elle sape la République. Il s’est opposé en 2005 à une première tentative de fédéralisation qui scellait sa disparition politique et culturelle, mais ses réticences ont été balayées par des dirigeants convertis à l’idéologie de la « société ouverte ». Le verdict populaire a été bafoué et contourné par la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, simple copier-coller du traité rejeté par les Français.

C’est la poursuite de ce processus qui est actuellement à l’œuvre. Nos dirigeants s’apprêtent à prendre, au nom du peuple français, une décision majeure engageant le destin de notre pays, son indépendance et son existence même en tant que nation. Exploitant l’angoisse suscitée par la guerre, ils précipitent la fédéralisation sans jamais la nommer et sans que les populations européennes puissent prendre la mesure de leur dépossession.

Pour ce qui nous concerne, nous refusons cette dérive. Nous pensons, dans le sillage du général de Gaulle, qu’un système fédéral post-démocratique est contraire au génie de l’Europe et de la France et à l’imaginaire collectif qui, depuis mare nostrum, produit du commun à partir de la diversité de ses nations et de leur culture propre. La déconnexion définitive entre les peuples et la machinerie européenne achèvera la déresponsabilisation des dirigeants nationaux et décuplera les réactions nationalistes, au risque de nous conduire au chaos.

Quelle que soit notre vision de la France et de l’Europe, et l’avis que l’on porte sur la réforme et les élargissements en préparation, nous devons exiger qu’un pareil saut qualitatif dans l’inconnu d’un système supranational, qui minore l’identité des peuples, l’existence des nations et l’expérience des États d’Europe, soit soumis au référendum.

Il est urgent d’ouvrir le débat sur ce qui se prépare. Les élections de juin 2024 doivent être l’occasion de se prononcer en connaissance de cause sur le projet de fédéralisation en cours ainsi que sur les élargissements en vue.

Les signataires de cet appel et les citoyens qui s’y associent demandent aux candidats de chaque liste aux élections européennes de prendre clairement position sur ces projets et de s’engager à les faire soumettre à la ratification populaire.

Signataires :

Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire » ;

Stéphane Rozès, politologue ;

Arnaud Montebourg, ancien ministre et entrepreneur ;

Marcel Gauchet, philosophe et historien ;

Michel Onfray, philosophe ;

Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ;

Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel ;

Marie-Françoise Bechtel, ancienne députée ;

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite de droit public ;

Xavier Driencourt, ancien ambassadeur ;

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public ;

Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, CNRS ;

Éric Anceau, historien ;

Georges Kuzmanovic, Analyste géopolitique, président de République souveraine ;

Julien Aubert, Ancien député ;

Jean-Yves Autexier, Ancien député ;

André Bellon, Ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ;

Florence Bergeaud-Blacker, Docteur en anthropologie, CNRS ;

Marion Bierry, Metteuse en scène ;

Guillaume Bigot, Politologue, éditorialiste ;

Bernard Bourdin, Philosophe du politique et théologien ;

Christophe Boutin, Professeur de droit public ;

Gaël Brustier, Politologue et essayiste ;

David Cayla, Économiste et essayiste ;

François Cocq, Essayiste, auteur de « Alerte à la souveraineté européenne » ;

Denis Collin, Philosophe ;

David Desgouilles, Chroniqueur, romancier ;

Jean Dufourcq, Stratégiste et chercheur en affaires militaires ;

Nicolas Dupont-Aignan, Député ;

Frédéric Farah, Universitaire et économiste ;

Philippe Grégoire, Agriculteur, co-président du SAMU social agricole ;

Michel Guénaire, Avocat et écrivain ;

Philippe Guibert, Ancien directeur du Service d’information du gouvernement ;

Alexandre Jardin, Écrivain ;

Alain Juillet, Ancien directeur du renseignement à la DGSE, Ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier ministre ;

Catherine Kintzler, Philosophe, professeur des Universités honoraire ;

Florence Kuntz, Ancienne députée européenne ;

Maire-Noëlle Lienneman, Ancienne sénatrice ;

Jean-Claude Mailly, Ancien dirigeant syndical ;

Jean-Philippe Mallé, Ancien député ;

Jérôme Maucourant, Economiste ;

Nicolas Meilhan, Entrepreneur ;

Bruno Moysan, Musicologue ;

Joachim Murat, Expert en industrie de défense et sécurité ;

Olivier Petros, Ancien dirigeant dans l’industrie et la banque ;

Céline Pina, Journaliste ;

Bertrand Renouvin, Directeur de la revue Royaliste ;

Jérôme Sainte-Marie, Sondeur et essayiste ;

Jacques Sapir, Économiste ;

Maxime Tandonnet, Essayiste, ancien haut fonctionnaire ;

André Tiran, Professeur de sciences économiques émérite, ancien Président de l’Université Lyon.

Le saut fédéral ne doit pas être imposé dans le dos des peuples

Pour sortir des impasses de l’Europe néolibérale, la Commission et les principaux gouvernements tentent de rouvrir le débat sur la réforme des traités. À leurs yeux, point de salut hors le « saut fédéral », c’est-à-dire, comme le proposent Mario Draghi et d’autres personnalités, la création d’un véritable État européen supranational.

Aussitôt rejoints par les habituels européistes de gauche, au premier rang desquels les socialistes emmenés par Raphaël Glucksmann, ils entonnent le chant idéaliste éthéré des « Etats-Unis d’Europe ». Mais leur enthousiasme, s’il n’est pas dénué d’une touchante sincérité, cache en réalité une méfiance viscérale à l’égard des peuples.

Des transformations institutionnelles aussi radicales – il s’agit tout de même de barrer d’un trait de plume l’article 3 de la Déclaration de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » – nous concernent au premier chef, mais pour les fédéralistes, pas besoin de s’enquérir de notre avis : après avoir soustrait de la délibération démocratique la politique économique et commerciale, on décidera entre gens de bonne compagnie de créer une entité au sein de laquelle les pouvoirs des États auront définitivement disparu.

Il faut certes réécrire les traités, mais pour nous, cela ne veut pas dire conserver l’austérité, la « concurrence libre et non faussée » et les parachever par la dépossession des États. La réécriture des traités ne devrait avoir qu’un but : la démocratie, c’est-à-dire le renforcement de son cadre d’expression légitime qui est l’État-Nation ; et la liberté de choisir entre des politiques (économique, d’organisation des services publics, diplomatique, etc.) différentes.

La construction européenne ne tiendra pas éternellement dans le carcan d’institutions supranationales qui s’arrogent sans cesse plus de pouvoirs en tenant les peuples à distance. Elle ne retrouvera du crédit auprès d’eux qu’à condition de respecter leurs intérêts majoritaires et leur souveraineté.

« Écoles normales du XXIe siècle » : vers la caporalisation des formations des enseignants et un plan social d’envergure des INSPÉ

La Gauche Républicaine et Socialiste soutient les personnels des INSPÉ (enseignants et agents) que la nouvelle réforme fragilise, voire menace.

Non seulement le calendrier proposé est intenable, puisque les maquettes de licences contenant les nouveaux modules devront être prêtes pour septembre 2024, mais le contenu de la réforme inquiète fortement.

La Licence Préparatoire au Professorat des Ecoles (LPPE) perdra largement son caractère universitaire (avec seulement 50 % officiellement de savoirs disciplinaires transverses) et ne débouchera que sur le concours de professeurs des écoles. De même, presque aucun contenu universitaire n’est prévu dans les Masters 1 et 2, même professionnalisant, et quasiment rien concernant la recherche. Les savoirs disciplinaires seront donc fortement réduits.

Les modalités de l’admission au concours interrogent fortement. Que signifie en effet une admission qui vérifiera l’« appréciation de la motivation, de la capacité à se projeter dans le métier enseignant et à transmettre et incarner les valeurs de la République » ? S’agit-il de faire intervenir des RH du Rectorat dans les jurys et non des enseignants / enseignants-chercheurs ?

Les nouvelles Écoles Normales Supérieures du Professorat (ENSP) seront des établissements « sui generis » (sic) autonomes, c’est-à-dire hors des universités, et dirigés par un IGESR désigné par les ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour quatre ans non renouvelables, avec une rémunération variable selon les objectifs ministériels.

Les personnels enseignants seront « choisis » par le Rectorat, pour trois ans renouvelables une fois : des professeurs des écoles « expérimentés » et des professeurs agrégés et des professeurs titulaires du CAPES ou du CAPET « repérés ». En lieu et place de l’affectation définitive dans l’INSPÉ, donc dans l’université, ils deviendront affectés de façon précaire dans l’ENSP. Quant aux enseignants-chercheurs, ils seront « choisis » par le ministère de l’Education nationale et le directeur de l’ENSP, ce qui est contraire aux libertés académiques et au statut de 1984 des enseignants-chercheurs.

La caporalisation des formateurs est donc en marche ! Et avec 904 millions d’euros en moins au budget de l’Enseignement supérieur pour 2024, un plan social dans les INSPÉ est à craindre aussi.

La Gauche Républicaine et Socialiste dénonce un véritable passage en force de la part du Gouvernement et s’associe aux syndicats des personnels qui demandent des moyens pour une véritable formation universitaire des enseignants attractive et émancipatrice.

Céline Piot

REJOIGNEZ LE COMITE DE SOUTIEN DE LA LISTE DE GAUCHE UNIE POUR LE MONDE DU TRAVAIL

La campagne des élections européennes entre dans sa phase décisive.

D’ici le scrutin du 9 juin, nous avons besoin de toi pour faire entendre une voix différente à gauche qui redonne espoir à nos concitoyens et notre pays.

Les Français-es exigent de la politique qu’elle se consacre à leurs problèmes du quotidien et pas qu’elle se noie dans des controverses « sociétales » dont ne raffolent que les salons où l’on cause.

Le choix de la différence à gauche, c’est de remettre la question sociale et démocratique au cœur de son programme.

TRACT 2 EUROPEENNES 2024

Nos propositions vont toutes dans ce sens :

lutter contre l’austérité imposée par Bruxelles et appliquée avez zèle par Macron

changer la politique budgétaire, monétaire et commerciale afin de produire plus en France et en Europe pour restaurer notre souveraineté alimentaire et industrielle

– développer les services publics dans les transports, la santé, l’énergie… hors du champ de la « concurrence libre et non faussée »

– lancer des grands travaux utiles pour l’environnement : mix nucléaire-renouvelables, fret ferroviaire Lyon-Turin, canal Seine-Nord-Escaut, lignes à grande vitesse…

renforcer notre indépendance face aux injonctions atlantistes et fédéralistes

sauver l’exception culturelle face à l’uniformisation voulue par les géants du numérique

Contre la propagation de l’intolérance et du racisme portés par l’extrême-droite, nous avons choisi pour fil conducteur le progrès, la science et la raison, piliers de l’universalisme des Lumières.

Qu’il s’agisse de promouvoir la laïcité contre la bigoterie et le communautarisme, ou d’imposer aux tenants de la décroissance une écologie rationnelle qui sorte enfin des énergies fossiles, préserve la nature, sa biodiversité et ses paysages, nous sommes les seuls à vouloir prolonger les conquêtes humanistes, révolutionnaires et sociales qui ont fait la France.

Rejoins-nous dans ce combat ! Rejoins le comité de soutien à la Liste de la Gauche Unie pour le Monde du Travail conduite par Léon Deffontaines, la seule qui rassemble communistes, républicains, socialistes, militant-es féministes, des droits humains, du droit au logement… et surtout ouvriers, employés, cadres et responsables de PME de tous métiers : commerce, énergie, enseignement, métallurgie, droit, santé, culture…Nous comptons vivement sur ton soutien et ta participation active pour reprendre la main en France et en Europe !

Les Jeudis de Corbera – Vieillir dans la dignité – 2 avril 2024, avec Jérôme Guedj et Louise Prost

Configuration un peu exceptionnelle pour une édition des Jeudis de Corbera nécessaire. Initialement programmée le 7 décembre 2023, nous avions dû la reporter suite à des difficultés d’agenda de dernière minute de nos intervenants. Le mardi 2 avril dernier, Marie-Noëlle Lienemann, coordinatrice nationale de la Gauche Républicaine et Socialiste, a donc reçu Jérôme Guedj (député PS de l’Essonne et conseiller régional d’Île-de-France) et Louise Prost (ancienne directrice d’EHPAD et cheffe de projet à la Croix Rouge française) pour échanger sur les réponses à apporter aux enjeux du vieillissement dans notre société.

Nous vous proposons d’en écouter ici le podcast.

Jérôme Guedj, Marie-Noëlle Lienemann et Louise Prost le mardi 2 avril 2024 pour l’enregistrement des « Jeudis de Corbera » consacrés à la question du vieillissement

« L’élargissement de l’Europe sonnerait le glas du renforcement de son projet » – tribune dans Le Monde

tribune publiée par Emmanuel Maurel dans Le Monde, le jeudi 11 avril 2024

L’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et des pays des Balkans occidentaux encouragera le dumping social intra-européen, regrette, dans une tribune au Monde, Emmanuel Maurel, député européen GRS de la Gauche unie. Si ce « grand basculement » était engagé, les Français devraient être consultés par référendum.

L’Europe est confrontée à des défis sans précédent. Une guerre est à ses portes depuis deux ans et une autre, dans son voisinage proche, depuis octobre 2023. Elle subit une concurrence féroce et déloyale de toutes parts. Elle paie la sortie de l’inflation d’une probable récession. Elle a un très gros problème énergétique et elle accumule les retards technologiques. Dans le même temps les écarts de richesse explosent et la cohésion sociale se délite.

C’est dans ce contexte que les dirigeants européens ont accéléré le processus d’adhésion de l’Ukraine, en ajoutant au passage la Moldavie et la Géorgie. Avec les pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie), la liste des impétrants compte désormais huit pays, soit plus de… 60 millions d’habitants. « Nous allons parachever l’unité du continent », clament-ils en chœur – et c’est vrai que ça sonne bien.

Référons-nous à la devise européenne – « Unie dans la diversité ». Davantage d’unité sortira-t-elle de cette nouvelle couche de diversité ? Tout porte à croire que cet élargissement-là n’apportera que le contraire. Souvenons-nous que le précédent élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale avait profondément modifié la structure d’un édifice pensé au départ pour la seule Europe de l’Ouest.

Démographie des pays de l’Est

Le centre de gravité de l’Union s’était déplacé vers l’est, au profit de l’Allemagne et au détriment de la France et de l’Europe du Sud. Menée en parallèle d’un euro dévalué pour l’Allemagne et surévalué pour la France et l’Italie, l’entrée de onze pays avait provoqué une vague de délocalisations sans précédent, dont nous avons, nous, Français, fait les frais. Notre voisin germanique avait littéralement raflé l’économie des nouveaux venus pour en faire des sous-traitants de son puissant appareil industriel.

Dans les pays de l’Est eux-mêmes, les résultats sont contrastés. Economiquement, la réussite est incontestable – leur PIB a grimpé au rythme des exportations allemandes –, mais les salaires et les conditions sociales restent médiocres. On y vit évidemment mieux que dans les années 1990, mais le salaire minimum hongrois ou tchèque dépasse péniblement les 600 euros, celui de la Bulgarie s’élève à 400 euros. En Roumanie, le revenu moyen est inférieur de 67% au revenu moyen français. Le dumping social fonctionne toujours à plein régime en Europe.

La démographie des pays de l’Est est le gros point noir de l’élargissement, qui n’a pas enrayé leur tendance à la dépopulation depuis la chute du Mur. Les raisons en sont multiples, mais parmi elles, on ne peut ignorer l’émigration massive vers les pays riches que l’élargissement a facilitée voire encouragée. Rappelons enfin que les élargissements se sont appuyés sur de vastes transferts budgétaires.

Dumping social intra-européen

La France est contributrice nette de 10 milliards par an, alors que la Pologne reçoit 13 milliards de plus que sa cotisation au budget européen, la Roumanie et la Hongrie 5 milliards… Les fonds de cohésion étant limités, ils favorisent les régions pauvres de l’Est au détriment des régions pauvres de l’Ouest. Quant à leur bonne utilisation, de récentes affaires de corruption ont jeté une ombre sur la Hongrie, la Slovaquie ou la Croatie.

On imagine ce qui pourrait arriver si l’Ukraine (tout juste moins corrompue que la Russie, c’est dire…), la Moldavie (où des oligarques ont volé l’équivalent de 15% du PIB en 2018) ou la Géorgie (dont les dirigeants sont à peu près tous éclaboussés par des scandales retentissants) accédaient aux financements européens.

Refaire un élargissement, cette fois dans un contexte de déclin de l’Occident en général et de l’Union européenne en particulier, c’est s’exposer à des résultats bien pires. Les niveaux économiques et sociaux de l’Ukraine, de la Moldavie ou de l’Albanie sont encore plus éloignés de l’Europe de l’Ouest que ceux de la Pologne ou de la République tchèque au début du siècle. Le dumping social intra-européen n’en sera que plus massif et les coûts de transferts seront vertigineux.

Coup de grâce pour notre ruralité

Quant à la politique agricole commune (PAC), ses aides seront aspirées par l’Ukraine, l’autre géant agricole du continent, mais qui n’a aucune capacité contributive au budget européen. Nos agriculteurs subiraient ainsi une double peine. En 2022 et 2023, les importations d’Ukraine ont déstabilisé des filières entières (volaille, sucre, céréales…).

Même ses plus proches alliés, au premier rang desquels la Pologne, n’ont pas supporté la pression. Si l’Ukraine bénéficiait de la PAC telle qu’elle est organisée et financée aujourd’hui, ce serait le coup de grâce pour notre ruralité.

Faire fonctionner une Europe à vingt-sept avec les règles actuelles, c’est très compliqué. A trente-six, ce serait impossible. Certains ont déjà trouvé la solution : une centralisation des décisions à Bruxelles, c’est-à-dire la suppression de la souveraineté des Etats membres et le passage au vote à la majorité sur tous les sujets, y compris la politique étrangère et la défense.

Au bénéfice des États-Unis

Or qui domine la politique étrangère et de défense de la majorité des États membres ? Les États-Unis. L’Europe hyper-élargie voulue par Ursula von der Leyen ne sera ni plus unie ni plus puissante : elle sera lestée par encore plus d’alliés de Washington. Il n’est guère étonnant que les citoyens européens soient dubitatifs à l’idée d’accueillir si vite tant de nouveaux pays et d’habitants.

Rétablir un semblant d’équilibre économique, social et politique entre pays membres devrait être une priorité pour redonner force au projet européen. Non seulement ce n’est pas dans l’agenda de la Commission, mais l’élargissement sonnerait le glas de cette perspective.

Il ne faut pas engager de faux procès : il n’est pas question de remettre en cause notre soutien massif à l’Ukraine – plus de 150 milliards à ce jour – face à l’agression russe. Mais cela n’emporte aucune automaticité de l’adhésion – sinon nous aurions intégré la Bosnie depuis bien longtemps. En tout état de cause, les Français devront être consultés par référendum sur ce grand basculement.

Pour une contre-offensive universaliste

En octobre 2023, l’alliance polonaise des Libéraux, des démocrates-chrétiens et de la gauche mettait fin dans les urnes à neuf années de domination sans partage du parti ultra-conservateur et réactionnaire des frères Kaczyński, le PiS. Progressivement, les droits des femmes et des minorités sexuelles, particulièrement mis à mal depuis une décennie, devraient retrouver le chemin du progrès.

Une semaine avant, le Hamas et le Djihad islamique avaient provoqué le pire massacre collectif de Juifs depuis 1945, à l’intérieur des frontières de l’État d’Israël, démontrant ainsi la faillite de la politique sécuritaire de la coalition d’extrême droite au pouvoir avec Benyamin Netanyahu… Indépendamment du droit de l’État d’Israël à se défendre et de la disproportion hallucinante des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza (dont nous n’avons cessé de dénoncer les conséquences horribles sur les populations civiles), cet événement traumatique semble avoir provoqué un sursaut civique contre l’alliance de la droite sécuritaire et des suprémacistes religieux qui dominent le cabinet : les manifestations des familles des otages sont venues s’ajouter à celles déjà massives contre la réforme de la Cour suprême… il n’aura échappé à personne que la majorité des victimes de la tuerie du 7 octobre sont issues des kibboutzim de la gauche laïque du nord du Néguev ou de la jeunesse cosmopolite des grandes agglomération côtières … comme une alliance objective des « fous de dieu » pour provoquer la mort tout azimut. Or la Cour suprême vient de lever l’exemption militaire dont bénéficiaient les Haredim, cette part de la communauté israélienne ultra-orthodoxe qui prétend n’avoir à se consacrer qu’à la prière et à « l’étude » ; voilà une décision qui est susceptible de faire sauter le « cabinet d’union nationale » (les centristes de Beni Gantz avaient rejoint Netanyahu pour riposter au Hamas) qui se divise violemment sur le sujet : la faillite morale de l’opération militaire ne l’avait pas provoqué, peut-être que la fin de l’hypocrisie des passe-droits accordés au « messianiques » l’amènera enfin. À partir de là, la gauche et les centristes laïques devront s’organiser pour offrir une alternative aux Israéliens.

Aux États-Unis d’Amérique, malgré les sondages encourageants pour Donald J. Trump, ça tangue très fort dans le parti républicain où radicaux-religieux et conservateurs s’affrontent : à nouveau, la droite radicale a déposé une motion de censure contre le Speaker qu’elle avait elle-même imposé suite à un autre motion de censure… une nouvelle guerre parlementaire qui pourrait permettre le déblocage de l’aide à l’Ukraine et qui redonne à Joe Biden des marges de manœuvres pour imposer un peu de raison à son allié israélien et dans la campagne électorale intérieure.

Enfin, dimanche 31 mars, Recep Tayyip Erdoḡan et son parti l’AKP viennent d’essuyer leur première véritable défaite électorale à l’échelle nationale depuis 2022 à l’occasion des élections municipales qui ont conduit à une victoire large du parti kemaliste, républicain et laïque, le CHP qui renforce ses positions. Forcé de reconnaître, pour une fois, sa défaite, le pouvoir islamiste a cependant cherché à frapper l’autre parti démocratique d’opposition en invalidant de manière illégale l’élection du maire de Van au Kurdistan, membre du DEM parti de gauche et principale force politique turque représentant les Kurdes. Une réaction de fauve blessé avant d’annoncer le chant du cygne ?

Ce panorama des combats internationaux entre les forces de la réaction et celles qui défendent une société sécularisée devrait nous convaincre de la nécessité d’un sursaut en France. Au moment où le proviseur du Lycée Maurice-Ravel à Paris, menacé de mort pour avoir fait appliquer la loi de 2004, n’a pas trouvé d’autre alternative que la démission, au moment où une collégienne a été passée à tabac devant son établissement à Montpellier, après avoir été harcelée un an et demi durant parce qu’elle se maquillait et refusait de se voiler, nous enverrions en baissant les bras un signal désastreux au monde alors que les universalistes relèvent la tête. Non seulement il temps de prendre la mesure des ravages causés par la radicalisation confessionnelle chez nos concitoyens et d’y apporter une réponse culturelle et politique, mais notre République dispose de la légitimité pour relancer le combat universel pour la Laïcité dans le sens de l’appel lancé le 11 décembre dernier par des militants laïques du monde entier.

À Agen, le 27 mars 2024 : Reprendre la main sur les mécanismes de marché pour cultiver l’avenir

« Quel projet d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation du pays ? »

C’est autour de cette question qu’Emmanuel Maurel a échangé avec Constance Renard, membre de la Commission Agriculture du Parti Communiste Français (PCF), ainsi que Raymond Girardi et Emmanuel Aze, syndicalistes agricoles représentant respectivement le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) et la Confédération Paysanne, le mercredi 27 mars dernier au Passage d’Agen. Cette table-ronde, coorganisée par Vincent Arpoulet (référent départemental de la Gauche Républicaine et Socialiste du Lot-et-Garonne) et Guilhem Mirande (secrétaire départemental du PCF), s’est tenue dans un département dans lequel la colère des agriculteurs se voit récupérée par la Coordination Rurale, syndicat qui, en accordant la primauté à la suppression de toute entrave au libéralisme sauvage, n’est en réalité que le porte-voix des partisans du renforcement du modèle économique qui frappe nos agriculteurs de plein fouet.

Emmanuel Maurel, député européen GRS, intervenait mercredi 27 mars 2024 à Agen devant une salle pleine venue entendre les arguments de la liste de « gauche unie pour le monde du travail »

Dans ce contexte, cet événement visait à favoriser les échanges entre différentes organisations désireuses de proposer un débouché politique et syndical à toutes celles et ceux qui estiment qu’il est temps de sortir l’agriculture des mécanismes de marché qui étouffent tant les consommateurs que nos agriculteurs.

Et c’est ainsi que, prenant le contre-pied de la Coordination Rurale, nos quatre intervenants se sont rapidement entendus autour d’un constat partagé : « Nous ne sommes pas de ceux qui estiment que la crise agricole découlerait d’un excès de normes. Nous estimons au contraire qu’il est urgent de mieux encadrer ces mécanismes de marché pour sortir d’une agriculture productiviste prioritairement orientée vers la maximisation des profits générés par l’exportation au détriment de l’alimentation du pays, des conditions de vie des producteurs d’alimentation et de leurs salariés, ainsi que des conséquences environnementales générées par ce type d’activités ».

Devant près de 80 personnes, dont un certain nombre d’agricultures non syndiqués ni encartés dans aucun parti politique, Emmanuel Maurel est alors notamment revenu sur la manière dont l’ensemble des traités de libre-échange ratifiés par l’Union européenne (qu’il combat sans relâche depuis 2014, souvent dans l’indifférence générale, au sein de la Commission du Commerce International du Parlement européen) exposent nos agriculteurs à une féroce concurrence déloyale. Révélateurs du « double discours européen », des accords tels que ceux qui viennent d’être signés avec le Chili ou le Kenya visent à faciliter l’entrée au sein de l’UE de produits agricoles cultivés à l’aide de traitements qui contreviennent à la réglementation européenne contraignant nos agriculteurs en vue de respecter nos objectifs environnementaux et sanitaires. L’avantage de ces produits est qu’ils sont moins coûteux que leurs équivalents cultivés sur le sol européen dans la mesure où les législations des États dont ils proviennent ne tiennent nullement compte des conséquences environnementales générées par leurs modalités d’exploitation.

Durant ses deux mandats de député européen, Emmanuel Maurel s’est taillé une réputation de bosseur, reconnu comme spécialiste des questions de commerce international, particulièrement en pointe contre le dogme du libre-échange généralisé qui domine au sein de la Commission européenne et dans la majorité de droite du Parlement européen…

De tels traités sacrifient donc nos agriculteurs au nom d’une délocalisation de la pollution et ce, d’autant plus que l’octroi de préférences commerciales en matière agricole au Chili vise en contrepartie à assurer notre approvisionnement en ressources minières stratégiques pour la conception des technologies nécessaires à la transition énergétique, à l’image du lithium ou du cuivre. En d’autres termes, nos agriculteurs sont les variables d’ajustement de notre approvisionnement en ressources minières. Emmanuel Maurel a par ailleurs rappelé que, pour couronner le tout, les éventuels différends entre États et investisseurs privés susceptibles de découler de ce type d’accords sont tranchés devant des tribunaux internationaux composés d’arbitres particulièrement partiaux dont les sentences se révèlent, dans bon nombre de cas, favorables aux multinationales. Pour ne citer qu’un seul exemple, rappelons le cas de l’Équateur, condamné à de nombreuses reprises pour avoir cherché à nationaliser les ressources pétrolières à la suite de l’élection de Rafael Correa en 2007.

Si les États désireux de reprendre la main sur ces logiques de marchés risquent ainsi de se confronter à cette architecture juridique internationale, il est nécessaire de rappeler que ces mécanismes de dumping sont par ailleurs institués à l’échelle même du continent européen. Et c’est la raison pour laquelle Emmanuel Maurel a, tout en réaffirmant sans ambiguïté la nécessité de soutenir l’Ukraine face à l’agression russe, alerté sur les dangers que représenterait l’intégration de cet État au sein de l’UE, en particulier d’un point de vue économique. En effet, un abaissement des droits de douane pour des produits agricoles tels que le blé, le sucre, les œufs ou encore, la volaille, ne conduirait qu’à accroître ces mécanismes de concurrence déloyale au sein même de l’UE, la main d’œuvre agricole étant notamment moins rémunérée en Ukraine et les prix, par conséquent plus avantageux.

Emmanuel Aze, responsable de la Confédération Paysanne dans le Lot-et-Garonne

Ces mécanismes sont en effet inhérents à la construction européenne qui, comme l’a rappelé Emmanuel Maurel, repose sur une sainte trinité dont les trois piliers sont l’austérité budgétaire, la libéralisation des échanges et la concurrence libre et non faussée. Un constat largement partagé par la salle, ainsi que les différents intervenants, en particulier Emmanuel Aze qui a rappelé que le premier traité de libre-échange auquel nous sommes exposés est le marché unique européen.

Il est donc urgent que la puissance publique encadre ces mécanismes de marché, desquels la fixation des prix des produits agricoles doit être extraite, en vue de protéger nos agriculteurs face à la volonté permanente de la grande distribution de rogner sur leur rémunération afin de rester compétitive sans avoir à toucher aux marges de ses intermédiaires.

Vincent Arpoulet, référent départemental de la Gauche Républicaine et Socialiste en Lot-et-Garonne (et grand spécialiste de l’Amérique latine, atout précieux au moment se débattent les accord avec le Mercosur et le Chili) et Constance Renard, membre de la Commission Agriculture du Parti Communiste Français (PCF), sont également intervenus dans les débats

Un certain nombre de propositions ont été avancées en vue de rompre avec ces mécanismes iniques de fixation des prix, qu’il s’agisse des « prix plancher » rémunérateurs défendus par le PCF ou du coefficient multiplicateur proposé par le MODEF, suivant lequel les augmentations des marges intermédiaires (qui sont plafonnées en vue d’éviter une explosion des prix à la consommation) se traduisent obligatoirement par des hausses des prix d’achat aux producteurs. Autant de mécanismes visant à assurer une juste rémunération à nos agriculteurs tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs.

Rendre accessible à tous une alimentation de qualité, c’est en effet tout l’enjeu de la réorientation de notre modèle agricole. Cela suppose de rompre avec la double dynamique sur laquelle repose le développement de l’agriculture productiviste, à savoir la concentration des terres entre les mains d’un faible nombre d’agriculteurs d’une part, et d’autre part, l’uniformisation des cultures visant à privilégier celles qui sont les plus à même d’être exportées en grande quantité, au détriment de toutes celles qui sont susceptibles d’assurer notre autosuffisance alimentaire. C’est ainsi que nous importons un certain nombre de produits agricoles ne respectant pas nos normes sociales et environnementales qui pourraient pourtant être cultivés localement sur notre territoire.

Raymond Girardi, représentant du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), dans le Lot-et-Garonne

Face à ce constat, deux objectifs s’imposent : redistribuer les terres et rediversifier les productions, ce qui suppose, dans les faits, une augmentation significative du nombre d’agriculteurs. Or, « les vocations existent, les lycées agricoles sont remplis », affirme Raymond Girardi. Si ces vocations ne se concrétisent pas, si bon nombre de tentatives d’installation échouent par ailleurs rapidement, c’est parce que les agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur travail. Par conséquent, pas de souveraineté alimentaire sans revalorisation des revenus agricoles, constat là encore largement partagé par la salle, qui a largement contribué à alimenter ces échanges constructifs.

De riches échanges conclus par Emmanuel Maurel sur une note d’espoir : le récent rejet du CETA par une institution réputée aussi conservatrice que le Sénat, sous l’impulsion du groupe communiste l’ayant inscrit à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, démontre que nous disposons de leviers institutionnels en vue de rompre avec le cadre économique néfaste à l’origine de la crise agricole. Répondant ainsi aux interrogations d’Emmanuel Aze qui s’est notamment demandé comment réformer démocratiquement un système européen qui ne l’est pas, Emmanuel Maurel a rappelé que le Parlement européen peut avoir un réel poids sur les orientations de la Commission. D’où la nécessité de voter massivement, à l’occasion des élections européennes à venir, pour des élus de combat qui pourront faire primer l’intérêt général sur les logiques de marché. C’est précisément l’objectif porté par la liste d’Union de la Gauche conduite par Léon Deffontaines.

Le Passage d’Agen était plein le mercredi 27 mars 2024… ici lors de la prise de parole de Guilhem Mirande, secrétaire départemental du Lot-et-Garonne du PCF

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