Le Nobel de Maria Machado : prime à la guerre ?

Au-delà du dépit et des fanfaronnades du président des Etats-Unis d’Amérique pour qui la politique se serait mêlée de la désignation de Maria Machado comme prix Nobel de la Paix 2025, la tension géopolitique avec le Venezuela a atteint un point incandescent. Notre camarade Vincent Arpoulet, spécialiste de l’Amérique latine, nous permet dans l’article ci-dessous de comprendre une situation complexe où tout se conjugue pour éloigner une perspective démocratique et de satisfaction des besoins du peuple vénézuélien.

Commençons par une évidence : Nicolas Maduro est un autocrate responsable de l’exil de près de 8 millions de vénézuéliens et dont la dernière réélection dans un contexte caractérisé par l’interdiction d’un certain nombre de candidatures d’opposition sur la base de motifs parfois litigieux est plus que questionnable. Et ce, d’autant plus que les autorités électorales se refusent toujours, plus d’un an après le scrutin, à publier les procès-verbaux de l’intégralité des bureaux de vote. Cependant, dire cela n’exonère pas de dénoncer d’une même voix l’indécence de décerner le prix Nobel de la Paix à l’une des artisans de l’intensification de la crise politique vénézuélienne. Figure de proue de la droite radicale, Maria Corina Machado suit en effet un credo assez clair : Si l’on pourrait arguer de la légitimité de ce type de pratiques en contexte autoritaire, il se trouve que celle-ci prenait déjà activement part au coup d’État perpétré en 2002 à l’encontre d’Hugo Chavez, alors même que celui-ci bénéficiait d’une indéniable légitimité populaire et électorale. Citons aussi son soutien appuyé, en 2019, à l’auto-proclamation à la présidence du Venezuela de Juan Guaido. Or, en bloquant notamment un certain nombre d’actifs nationaux placés dans les institutions bancaires de pays lui ayant apporté leur soutien, ce dernier a sciemment concouru à déstabiliser un peu plus une économie déjà fragilisée par un modèle rentier non questionné par le chavisme, ainsi qu’une série de sanctions économiques imposées par les États-Unis dont l’impact sur l’industrie pétrolière vénézuélienne s’élèverait à près de 232 milliards de dollars1. Or, ces sanctions ne sont précisément pas étrangères au dysfonctionnement du système démocratique du pays : le Centre de Recherche Économique et Politique (CEPR) affirme notamment que de telles mesures sont susceptibles de « convaincre les gens de voter comme le souhaitent les États-Unis ou de se débarrasser du gouvernement par d’autres moyens »2.

Parmi ces autres moyens, l’option d’une intervention militaire étasunienne est sur la table et ouvertement plébiscitée par Machado. C’est ce qui la conduit à se féliciter des assassinats ciblés perpétrés au large des côtes vénézuéliennes par une flotte étasunienne chargée par Trump de lutter contre le « narcoterrorisme ». Un qualificatif loin d’être anodin puisqu’il ouvre la voie à des opérations extrajudiciaires dont la légitimité est d’autant plus questionnable que les suspicions de liens entre le trafic de drogue et une entreprise bananière étroitement liée au gouvernement équatorien voisin aligné sur les positions géopolitiques trumpiennes3 suscite bien moins d’émotions au sein de l’appareil d’État étasunien. Cette instrumentalisation politique de la nécessaire lutte contre le narcotrafic n’est ainsi pas sans rappeler la fable des armes chimiques ayant conduit à l’intervention en Irak, là encore soutenue publiquement par Machado qui a rendu visite en personne à George W. Bush en 2005, avec le succès que l’on connaît … Tout ceci interroge quant aux raisons ayant conduit le comité Nobel à primer une personnalité portant à minima atteinte à deux des trois critères établis dans le testament d’Alfred Nobel, à savoir la résistance à la militarisation de la société et le soutien à une transition pacifique vers la démocratie.

Cela interroge d’autant plus que l’opposition à Maduro est loin d’être réductible à la seule figure de Machado : au sein même de l’opposition de droite, les méthodes qu’elle prône sont notamment contestées par Henrique Capriles, autre opposant historique du chavisme qui rejette quant à lui toute forme d’ingérence extérieure dans la résolution de cette crise politique. Si, au-delà du désaccord stratégique, celui-ci soutient cependant la cure néolibérale par ailleurs prônée par Machado – qui s’est notamment vu attribuer le sobriquet de « Thatcher vénézuélienne » pour avoir par exemple prôné à plusieurs reprises la privatisation intégrale d’entreprises stratégiques telles que le pétrolier PDVSA4 -, il est également nécessaire de préciser que ce rejet de l’intervention publique dans le marché ne traverse pas non plus toute l’opposition vénézuélienne. Le parti communiste vénézuélien (PCV) lui-même est notamment entré dans l’opposition en vue de dénoncer le revirement idéologique d’un gouvernement qui rompt à leurs yeux avec l’ère Chavez en consolidant un « modèle de capitalisme dépendant (…) en contradiction avec les intérêts des travailleurs »5. Notons également que c’est à l’heure actuelle l’opposition de gauche qui subit le plus les foudres de l’administration maduriste6, pour qui la consolidation d’une opposition de droite radicale est nécessaire à la perpétuation d’une rhétorique anti-impérialiste indispensable à sa survie, bien que dévoyée par la présence accrue d’intérêts russes et chinois dans les secteurs stratégiques du pays.

C’est ainsi que ce prix Nobel de la Paix risque paradoxalement d’intensifier la perspective d’escalade guerrière au Venezuela : d’une part, il vient appuyer, à travers la figure de Machado, la conception trumpienne des relations internationales qui, derrière la rhétorique isolationniste, s’apparente plus à un recentrage de l’impérialisme étasunien sur la sécurisation de sa zone d’influence traditionnelle. Par-là même, ce prix risque d’autre part d’exacerber la répression interne au Venezuela sous couvert de lutte contre toute forme de subversion susceptible d’être aux mains de l’impérialisme trumpien.

Si cette décision semble ainsi difficilement compréhensible, une piste d’explication pourrait être le confusionnisme ambiant consistant à assimiler libéralisation de l’économie et défense des libertés individuelles, l’engagement actif de Machado en faveur de l’ouverture de l’économie vénézuélienne aux capitaux privés semblant suffire pour occulter, aux yeux du comité Nobel, le fait qu’elle ait mêlé sa signature à celles de figures d’extrême-droite telles que Javier Milei, Marion Maréchal Le Pen ou encore, le pinochetiste José Antonio Kast dans le cadre de la charte de Madrid lancée en 2020 par le parti néo-franquiste Vox7. La joie non dissimulée de nombre d’éditorialistes et élus libéraux à la suite de sa nomination vient mettre encore un peu plus en lumière cette porosité entre droite radicale et marchés, ces derniers omettant de rappeler que la première expérimentation concrète de l’idéologie néolibérale s’est accompagnée d’une limitation considérable des libertés individuelles dans le Chili d’Augusto Pinochet. Il est ainsi regrettable de constater que les mêmes qui appellent la gauche à la responsabilité et à la nuance à longueur de journée ne s’imposent pas ces deux impératifs lorsqu’il s’agit de défendre la paix et le droit international …

Vincent Arpoulet

1 VENTURA Christophe, « Au Venezuela, une crise sans fin », Le Monde diplomatique, octobre 2024.

2 CEPR, « Venezuela’s disputed election and the pathforward”, 12 août 2024.

3 https://insightcrime.org/es/noticias/acusan-presidente-ecuador-vinculos-con-narcotrafico/

4 POSADO Thomas, « Venezuela : Maria Corina Machado, nouvelle figure du radicalisme de droite », France Culture, 26 octobre 2023 ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/venezuela-maria-corina-machado-nouvelle-figure-du-radicalisme-de-droite-7868137

5 BENOIT Cyril, « Venezuela : les communistes pour une alternative populaire à la crise », PCF, Secteur International ; https://www.pcf.fr/venezuela_les_communistes_pour_une_alternative_populaire_la_crise

6 BRACHO Yoletty, « Venezuela : du Nobel de la Paix au spectre de la guerre », 17 octobre 2025 ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/venezuela-du-nobel-de-la-paix-au-spectre-de-la-guerre-5933320

7 https://fundaciondisenso.org/wp-content/uploads/2021/09/FD-Carta-Madrid-AAFF-V29.pdf

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