L’extrême droite n’arrive jamais au pouvoir par accident

On a trop souvent expliqué que la seule fois où l’extrême droite avait pris le pouvoir en France, ce fut à cause de la défaite et comme bagage accompagné de l’occupant nazi en 1940. Notre camarade Frédéric Faravel redessine en détail la perspective historique en rappelant que cette prise du pouvoir avait été en réalité longuement préparée. Prenez vous aussi le temps de lire.

Le 23 novembre 2024, à l’occasion des 80 ans de la libération de Strasbourg (le but ultime et symbolique de la chevauchée de la colonne Leclerc commencée en janvier 1941 au Tchad[1]), le Président de la République a annoncé sa décision de faire entrer au Panthéon l’historien Marc Bloch.

Cet événement à venir s’inscrit dans un contexte politique particulier et dans une histoire longue. Elle doit être l’occasion pour nous d’une réflexion renouvelée, fondée sur l’expérience historique qui peut raffermir nos convictions et nous inciter à réagir.

Pourquoi Marc Bloch ?

Marc Bloch

Ancien combattant de la Grande Guerre, Maître de conférences en 1919, puis Professeur d’histoire médiévale à la faculté de Strasbourg en 1927, il fonde avec Lucien Febvre en 1929 la revue des Annales d’histoire économique et sociale ; au-delà de cette revue, c’est bien une école historique que ces deux historiens monumentaux ont fondée, l’École des Annales, dont la renommée dépassa dès cette époque largement les limites de l’Europe. Ses deux ouvrages les plus connus sont Les rois thaumaturges et L’étrange défaite, ouvrage de référence sur la bataille de France et les racines de l’effondrement militaire et moral de notre pays en mai-juin 1940[2].

Ce livre poignant et lumineux a été rédigé de juillet à septembre 1940 ; caché pendant l’occupation, il sera publié pour la première fois en 1946, aux éditions Franc-Tireur.

Profondément républicain, il s’engage définitivement dans la clandestinité en novembre 1942, au sein du mouvement de résistance Franc-Tireur en zone sud (il en est le responsable pour la région lyonnaise), puis dans les Mouvements unis de la Résistance (MUR). Arrêté en mars 1944 par la Gestapo, torturé, il ne parlera jamais et sera exécuté dans le dos avec 27 autres résistants le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans dans l’Ain.

Évidemment, c’est à ce parcours résistant et républicain autant que pour la renommée de l’école historique française que Marc Bloch doit son entrée tardive au Panthéon. Il ne fait pas grand doute qu’Emmanuel Macron y voit une opération de communication politique qui, comme pour la panthéonisation de Missak Manouchian (de son épouse et de son réseau) ou celle de Joséphine Baker, vise à le situer du bon côté de l’histoire, celui de la lutte contre le fascisme, alors même que les conséquences de son action et de sa tactique politiques peuvent être largement interrogées au regard du bond électoral de l’extrême droite et de l’affaiblissement du « cordon sanitaire » vis-à-vis du Rassemblement National.

L’étrange défaite, donc, plutôt que Les Rois thaumaturges… cet ouvrage nous éclaire par la méthode systématique que l’historien mobilise pour faire une sorte d’histoire du temps présent et comprendre les causes profondes sociales, morales, militaires et politiques qui conduisirent non seulement à la défaite militaire, mais surtout à l’absence de volonté de rebond (en dehors de la rupture et du « sursaut désespéré » du Général De Gaulle) et à l’effondrement de la République. Alors qu’il est convenu de répéter que jamais l’extrême droite n’a pu s’emparer en France du pouvoir si ce n’est par le truchement de la défaite militaire, comme un bagage accompagné de l’occupant barbare. Marc Bloch écrivait déjà à l’été 1940 que ce n’était pas tout à fait le cas et, dès 1946, les Français et leurs dirigeants en le lisant n’avaient pas d’excuses pour se rassurer à peu de frais.

Pourquoi aujourd’hui ?

Il y a parfois des télescopages d’actualité bienvenus… Le 18 octobre 2024, à peine un peu plus d’un mois avant l’annonce de la panthéonisation prochaine de Marc Bloch, paraissait en librairie un ouvrage au titre évocateur : Une étrange victoire, co-écrit par le philosophe Michaël Foessel et le sociologue Étienne Ollion[3]. Ils y décryptent ce qui semble être l’(ir)résistible montée de l’extrême droite en France comme en Europe, chronique d’une victoire annoncée, résultant d’un brouillage des coordonnées politiques de la démocratie contemporaine, de l’affaiblissement du clivage entre la gauche et la droite, de l’abandon d’une mémoire commune ou de l’affaissement du débat public. Ils dévoilent la stratégie du RN, celle de rendre méconnaissable un courant qui, pour l’emporter, a besoin d’être méconnu ; ainsi ce ne seraient pas tant les idées de l’extrême droite qui auraient triomphé que son infra-politique, faite d’un prétendu bon sens et de valeurs nationales accommodées au goût du jour. Face à cette morale identitaire, les auteurs proposent de réinvestir une politique de l’égalité.

Le parallèle avec le livre de Bloch est volontaire : pour les auteurs, Marc Bloch évoque tous les petits déplacements, petits changement au sein des élites politiques, de l’armée, des intellectuels de l’université, des relations entre les classes pour conclure que la défaite de 1940 est autant la conséquence du rôle du IIIème Reich que du rôle de la France, alors que Bloch est un amoureux de la France. En parallèle, si on veut comprendre aujourd’hui comment le RN et, plus largement, l’extrême droite réussissent à s’imposer, sinon dans les idées, en tout cas en arrivant aux portes du pouvoir, il faut regarder tous les petits déplacements qui ont eu lieu, tous les renoncements qui se produisent encore. Il faut se dire que quand il y a normalisation[4] de l’extrême droite, ce n’est jamais de son seul fait.

Je ne proposerai pas dans les lignes qui vont suivre de décortiquer l’ensemble des mouvements qui ont progressivement servi la cause d’une extrême droite désormais aux portes du pouvoir. Il s’agit ici de faire œuvre pédagogique et d’expliquer pourquoi il faut en finir, au moment où l’extrême droite et même des néonazis retrouvent pignon sur rue dans tous les pays d’Europe que l’on pensait vaccinés par l’histoire, avec cette fausse idée selon laquelle l’accès de l’extrême droite au pouvoir serait un accident de l’histoire. Il s’agit de dire que nous devons l’éviter bien sûr, mais que nous pouvons l’éviter, à condition de réagir et de contrecarrer les glissements. Il me paraît donc utile, dans cette optique, de rappeler ce que le travail historique et politique a mis à jour sur la préparation de l’extrême droite à sa prise du pouvoir. En 1940, elle n’était pas arrivée par hasard ou par défaut.

Vichy et l’extrême droite au pouvoir, un simple rejeton de la « Cinquième colonne » ?

La « Cinquième colonne » est un mythe politique récurrent dans l’imaginaire complotiste français. L’expression désigne un traître embusqué à l’intérieur d’un pays ou d’une armée, prêt à se réveiller pour prendre à revers lors d’une attaque extérieure. Et pourtant cela n’a rien d’un bobard, si on veut bien lui donner la forme et la proportion qui convient. L’expression elle-même a été inventée par les franquistes, au moment de la guerre d’Espagne pour désigner ceux de leurs partisans qui demeuraient dans Madrid, tenue par les Républicains, aidaient en secret les quatre colonnes militaires de Franco assiégeant la capitale espagnole.

Pour beaucoup, la « Cinquième colonne », c’est d’abord cette célèbre affiche de Paul Colin où on lisait « Silence, l’ennemi guette vos confidences » : le gouvernement souhaitait alerter les Français que des agents ennemis étaient infiltrés dans la population et renseignaient les nazis en vue de la guerre prochaine.

La déstabilisation du moral des populations civiles est une stratégie éprouvée, on la voit à l’œuvre dans toutes les guerres modernes, aujourd’hui encore.

Ainsi dès l’offensive du 10 mai 1940, les opérations militaires allemandes ont été accompagnées de telles manœuvres de déstabilisation, ainsi de mystérieux coups de téléphone aux autorités locales (mairies, gendarmeries, préfectures, sous-préfectures…) censés venir de l’état-major demandant que la population civile évacue les villes et les villages frontières du nord. Et si ça n’allait pas assez vite, la Luftwaffe bombardaient un petit peu. Résultat : la panique. Une panique qui a précipité des milliers et des centaines de milliers de gens sur les routes. On cassait le moral de la population, mais surtout – c’était là l’essentiel – on gênait la progression des troupes françaises sur des routes totalement encombrées par ces colonnes de voitures, de charrettes surchargées de meubles, d’ustensiles, de cuisine. Enfin, tout ça circulait en sens inverse : le premier exode est donc le résultat concret de l’action de la « Cinquième colonne », où comment les propagateurs des fake news d’aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que ce soit les « usines à trolls » russes ou la sphère conspirationniste trumpiste, n’ont rien inventé.

Il suffisait d’un tout petit nombre d’agents pour organiser cette horrible confusion. La croyance dans cette cinquième colonne était aussi importante que son existence même ; il fallait que les Français soient persuadés que les agents ennemis étaient partout et qu’il était donc urgent de fuir toujours plus loin, puisque la catastrophe est inévitable. Les exemples sont divers… On peut parler de l’inconnu qui affirme avoir vu un parachutage de soldats allemands ; aussitôt la garnison locale se met en chasse et perd un temps précieux à chercher ces fameux parachutistes imaginaires, alors que le vrai danger lui vient d’ailleurs. La psychose amplifie le phénomène : dans un village normand ou picard, soudain, un coup de feu éclate « ce sont forcément les Allemands ! » Immédiatement, c’est la panique : les habitants empilent leurs biens sur des brouettes chariots, des tombereaux. On fuit comme on peut, on se lance sur les routes et ce flot de fuyards retard tout simplement une unité qui montait au front… Il y a quand même eu un coup de feu, mais il avait été tiré par une brave femme qui avait tout simplement tué son chien malade.

Prenons un article paru dans Le Figaro 15 juillet 1940, quelques semaines donc après la débâcle, un officier raconte, je le cite : « Tel individu, sur la route de Cambrai à Bapaume, criait à l’approche des Allemands, ce qui était inexact, mais l’ébranlement de tous sous quelques bombes et le passage de formations massives d’avions donnait à sa parole tout crédit. Ces récits de panique vidaient à la lettre le village, mobilisait la population pour l’exode. Avec elle, l’employé des postes, dont le départ privait l’armée de l’usage des liaisons téléphoniques, ou l’employé de gare, dont la présence au poste d’aiguillage est nécessaire à la montée des renforts. Une virulente contagion faisait son œuvre, tout cédait et se décomposait. La fausse nouvelle de l’approche de l’ennemi faisait refluer les camions de ravitaillement d’une compagnie du train et sur les routes embouteillées par la cohue, des services sanitaires et même des batteries d’artillerie, privées de liaison avec les états-majors, cédait à l’énorme courant des civils. Il cédait sous la parole d’un inconnu. À la crainte d’être fait prisonnier avec leur matériel, ils se repliaient. »

Bien… Des agents ennemis, en petit nombre, infiltrés en France. C’était « de bonne guerre » me direz-vous, pas de quoi nourrir une thèse sur une immense trahison qui aurait conduit le pays à sa perte.

La réalité, c’est que si la France a été écrasée en mai-juin 1940, c’est en toute connaissance de cause… et bien entendu, cela n’a rien à voir avec les arguments classiques de l’extrême droite et de Vichy qui ajoutèrent à l’incompétence (probable) de l’état-major l’odieuse fable du gouvernement de Front Populaire ayant volontairement sous-estimé la militarisation allemande pour ne pas donner les moyens nécessaires à notre industrie de l’armement.

Léon Blum a réduit en miette ces élucubrations lors du procès que Vichy lui intenta à Riom : son gouvernement avait lancé un plan quinquennal de réarmement en découvrant en juin 1936 l’état de délabrement et d’impréparation de l’armée française après 15 ans d’application des méthodes et théories des adulateurs de Philippe Pétain.

Je ne ferai offense à personne en évoquant les autres arguments des réactionnaires et des fascistes sur la valeur travail ou l’immoralité du Front Populaire. Or s’il est un service français qui n’a pas failli avant 1940, c’est celui du renseignement.

Les services de renseignements français étaient informés de tous les préparatifs allemands en vue de la guerre et leurs manigances à l’intérieur même de nos frontières, c’est-à-dire de l’action pernicieuse des agents d’influence pro-nazis : le chef d’orchestre en était le diplomate Otto Abetz, qui représente le IIIème Reich à Paris de 1938 à 1939 et y mettra à profit ses relations soigneusement tissées dès le début des années 1930 avec les milieux pacifistes français de tous bords. Il est le créateur, l’inspirateur du comité France Allemagne, qui regroupait des gens comme Jules Romains, Jacques Benoist-Méchin, Pierre Drieu La Rochelle, Bertrand de Jouvenel ou même Sacha Guitry.

Otto Abetz

Ils n’étaient pas forcément pro-nazis, mais tous étaient germanophiles et ont tous contribué, parfois malgré eux d’ailleurs, la pénétration des idées des nazis. Rappelons que dans les milieux conservateurs, on se disait que faire les yeux doux à Hitler, c’était la meilleure façon de repousser Staline. Il y avait également des journaux ouvertement pro-hitlériens, comme Je suis partout, dont Ribbentrop disait « c’est ma trompette », sans compter ceux qui touchaient des enveloppes pour écrire des articles favorables à l’Allemagne nazie. Le contre-espionnage et les services de renseignements n’étaient pas inactifs : ils savaient qui travaillait pour Abetz, ils avaient mis à jour ses réseaux, ses agents. Le lieutenant-colonel Rivet (chef du Deuxième bureau[5]) et le capitaine Paillole (n°2 du contre-espionnage) réussirent en juin 1939 à accumuler suffisamment de preuves sur les menées d’Otto Abetz pour enfin le faire expulser de France. Mais c’était seulement une initiative du Deuxième bureau : ce fut le tollé Daladier, le président (radical) du conseil, mais aussi le général Maurice Gamelin, chef d’état-major de la défense nationale, et d’autres encore, tous protesté contre l’expulsion, menaçant de faire muter Rivet : comment pouvait-on oser expulser un diplomate allemand, notoirement francophile, marié à une française ? Ils ne se turent qu’à l’exposé accablant du dossier…

Aveuglement ou trahison ? Dans tous les cas, l’expulsion d’Otto Abetz[6] avait provoqué beaucoup d’émois en France et le gouvernement français d’alors aurait préféré que cette mesure d’expulsion rapportée ; pacifistes intégraux et partisans de l’Allemagne accusaient les fauteurs de guerre d’être à l’origine de cette expulsion. Pour en revenir à l’entreprise de propagande des Nazis en France, voici ce qu’écrit Henri Navarre[7] dans un livre dont il est l’un des co-auteurs Le service de renseignement[8] : « La cinquième colonne n’était pas, comme on l’a souvent cru, de nature militaire. Elle était politique, idéologique, intellectuelle, journalistique, mondaine. Elle avait ses représentants dans tous les milieux. Par l’anesthésie du moral de la nation et par l’affaiblissement de la volonté de défense qu’elle contribuait largement à provoquer, elle allait être l’une des causes de notre défaite. »

Hans-Thilo Schmidt

Autre preuve du travail des services de renseignement français et des informations dont disposaient le cœur du pouvoir plusieurs années avant la guerre sur les préparatifs nazis… il s’agit du cas de Hans-Thilo Schmidt, ancien combattant allemand de la première guerre mondiale, décoré de la Croix de Fer, victime des gaz dans les tranchées : le handicap physique qu’il en garda lui avait valu de rester assez longtemps au chômage ; il avait fini par trouver un emploi au service du chiffre au ministère allemand de la guerre, pas très glorieux mais surtout très mal payé.

Et malgré son adhésion au parti nazi, Schmidt végétait ; c’était un aigri qui comparait sa situation à celle de son frère Rudolf, qui faisait une carrière absolument prometteuse dans l’armée allemande, puisqu’après avoir enseigné à l’école de guerre, il deviendra même général et commandant de la première division blindée de la Wehrmacht. Ce déçu du NSDAP pour obtenir de l’argent prend fin 1931 contact avec les services français. Sa situation au bureau du chiffre en faisait pour le Deuxième bureau une recrue de choix. Il offre de communiquer aux services français le mode d’emploi des machines Enigma, ces pré-ordinateurs qui rendent indéchiffrables les transmissions militaires allemandes et sur lesquelles les services français, britanniques ou polonais se cassent les dents depuis longtemps. En collaboration avec les services polonais plus avancés sur le sujet, les services français cassent donc le code Enigma dès 1933, et les alliés pourront avec quelques adaptations accéder aux communications militaires allemandes durant toute la seconde guerre mondiale[9]. Schmidt ne se contente pas de fournir des renseignements sur Enigma. Grâce à son frère, qui ignore sa trahison, dès août 1932, il avertit ses contacts français du réarmement clandestin de l’Allemagne (formation de pilotes, construction d’avions, de sous-marins et de torpilles, recherches sur les armes chimiques…) ; en août 1933, il informe la France des intentions d’Hitler sur le corridor de Dantzig ; en janvier 1934, il signale l’ouverture de camps de concentration ; en janvier 1936, il avertit de l’intention d’Hitler de réoccuper la rive gauche du Rhin, ce qu’il fera 6 semaines plus tard (il précise également que Hitler joue là un coup de poker et qu’il se retirera immédiatement si la France résiste militairement) ; le 6 novembre 1937, il fait passer le compte rendu d’une réunion où Hitler a exposé son calendrier d’invasion de l’Europe (Autriche et Tchécoslovaquie en 1938, Pologne en 1939, France et Benelux en 1940), mais ces informations sont jugées peu fiables par les dirigeants civils et militaires français (Daladier, Pétain, Cot, Gamelin, Campinchi…). Pourtant, Schmidt annonce l’Anschluss 15 jours avant sa réalisation, l’invasion des Sudètes dès août 1938 (soit six semaines avant les accords de Munich), puis les plans de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Le 10 mars 1940, il révèle que Hitler attaquera par les Ardennes en direction de Sedan lors de la bataille de France. Encore une fois, ces informations seront ignorées.

Plutôt que la trahison, on peut supposer que l’incompétence, qualité la mieux partagée au sein des dirigeants de l’état-major français des années 1930 (ce que rappellera à longueur d’essais et de mémoires le général De Gaulle), est en cause. On prête à Michel Rocard la citation « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. » Soit… On peut pourtant supposer que la « Cinquième colonne » sévissait au sommet. Schmidt alerte en juin 1939 les services français qu’Hitler a programmé pour la fin août 1939 l’invasion de la Pologne, avec laquelle nous étions liés par un traité d’assistance. La note est transmise au gouvernement mais de manière édulcorée : on n’y parle pas d’attaques, mais de tensions possibles. Au sein de la hiérarchie militaire, on comptait des officiers, issus du sérail de Philippe Pétain, qui dédaignaient depuis une dizaine d’années les alliances orientales de la France (positions défendues dans des essais publiés avec la Préface du « héros de Verdun »). Malgré le renouvellement de pure forme en 1934 sous sa tutelle des engagements envers la Pologne pour empêcher la signature d’un « pacte de non-agression »[10] entre notre allié et le IIIème Reich, le Maréchal et ses émules ont fait le choix d’une stratégie purement défensive privilégiant la ligne Maginot, convaincus que l’Allemagne n’osera pas directement attaquer la France. Il faut donc minimiser les alertes pour ne pas risquer ses forces et son sang à sauver la Tchécoslovaquie ou la Pologne.

Hans-Thilo Schmidt finira par être découvert par l’exploitation des documents que les services de renseignement allemands avaient tranquillement récupéré le 14 juin 1940 en entrant dans Paris : ils ont trouvé intact tous les fichiers des ministères, y compris ceux de la Sûreté Rue des Saussaies ; quant aux archives du haut commandement français, elle se trouvait dans un wagon plombé une gare de région parisienne à portée de main des Allemands qui ont découvert qu’ils étaient espionnés depuis des années ; le reste n’aura été qu’une enquête policière classique. Plusieurs années plus tard, le colonel Paillole témoigna : « Je ne cherche nullement à dégager notre maison de toute responsabilité dans le maigre bilan tiré en haut lieu de son travail et de ses avertissements. Mais est-il sûr que la vérité, parvenue toute nue au sommet eut modifié le comportement des hommes ? »[11]

Par tous les moyens – trahison comprise – parvenir au pouvoir

La défaite de 1940, résultat conjugué de l’incompétence de l’état-major, de la propagande et de l’espionnage nazis et de la « Cinquième colonne ». Sans doute… Mais elle a été également été accueillie, si ce n’est applaudie par un courant politique qui n’a pas ménagé ses efforts pour accéder au pouvoir et y pousser ses soutiens et ses complices. Avant de profiter de « l’effet d’aubaine » de l’effondrement militaire et politique de la IIIème République en juin 1940, l’extrême droite a patiemment placé ses pions et parfois tenté de forcer le destin. Et c’est armé d’un projet que ce courant a, avec le Maréchal Pétain, mis en place (avec la complicité d’opportunistes et de pleutres) le régime de Vichy, sorte de synthèse à la française de fascisme, de réaction, d’antisémitisme, de traditionalisme et de nationalisme étroit.

Ce que d’aucuns appelleraient complot, on pourrait tout simplement le nommer projet et stratégie politique dans les profondeurs glauques de la politique et de la haute finance avec un but, un seul : en finir avec la République et donc installer un régime autoritaire et anti-démocratique comme en Italie, comme en Allemagne ou en Espagne, dont la place dans l’affaire n’est pas mince. Pourtant le mot de « complot » n’est pas non plus une vue obsessionnel de l’esprit : au sujet des événements de 1940, dans l’acte d’accusation du Maréchal Pétain figurait explicitement ce mot de « complot », mais il faut bien reconnaître qu’en 1945, les magistrats de la Haute Cour de Justice n’ont forcément voulu en établir la matérialité.

Sans doute parce que Philippe Pétain n’a pas été directement l’instigateur du projet, mais découvrant l’ambition politique sur le tard, il a chevauché par opportunisme et progressivement adopté l’idéologie de tous ceux qui ont vu en lui un moyen d’arriver. Au passage, notons qu’on n’a jamais trop su ce que pensait réellement cet officier devenu général le 31 août 1914 et qui aurait dû prendre sa retard au début du mois d’août. Il lui a suffi pour passer pour « républicain » de ne pas s’afficher royaliste ou antidreyfusard, d’être un homme à femmes, de s’être marié sur le tard à une femme divorcée et de ne pas aller à la messe

Philippe Pétain vers 1915

Ajoutez à cela la légende qu’il a construite, après avoir « vaincu » à Verdun en 1916, faisant croire qu’il était un chef militaire magnanime (alors qu’il envoya au peloton d’exécution des dizaines de soldats français) et économe du sang de ses troupes, pour passer pour un Maréchal humaniste. Instigateur non, mais bénéficiaire ravi oui assurément.

Le 9 juin 1940, la Wehrmacht a franchi l’Aisne la veille, Paris et menacé d’encerclement, partout sur le front, c’est la débâcle et nos propres forces sont paralysées par l’exode (dont nous avons parlé plus haut). Quant au gouvernement, qui est encore présidé par Paul Reynaud, il ne pense qu’à une chose : quitter Paris et rejoindre ensuite l’Afrique du Nord pour continuer la lutte comme le plaide auprès du Président du conseil le tout nouveau Sous-secrétaire d’État chargé de la défense nationale et de la guerre, Charles De Gaulle (général de brigade à titre temporaire pour accompagner son accession à ce poste ministériel le 6 juin), nommé pour circonscrire la pusillanimité d’Édouard Daladier, ministre radical de la défense nationale.

Ce 9 juin, un homme clé de la politique française disparaît, pendant six jours on ne sait pas où il est : il s’agit de Pierre Laval, ancien président du conseil, sénateur influent.

En présence de Benito Mussolini, Pierre Lava, ministre des affaires étrangères, l signe le 7 janvier 1935 à Rome l’accord entre la République française et l’Italie fasciste sur les frontières entre les colonies africaines des deux pays (entre le Tchad et la Libye notamment).

Laval a pris la direction de l’Italie. Or c’est le 10 juin que Mussolini déclare la guerre à la France. C’est donc en réalité chez l’ennemi, puisqu’il ne fait plus de doute qu’il est prévu que le Duce « vole au secours de la victoire » nazie que se rend Pierre Laval, un ennemi qu’il fréquente d’ailleurs de très longue date, puisqu’il a toujours été un des plus farouches partisans d’un rapprochement avec l’Italie fasciste.

Il doit rencontrer secrètement Mussolini près du col du Brenner où les rejoint Adolf Hitler et les trois hommes « signent » la mort de la République française. En effet, trois jours plus tard qu’en plein conseil des ministres, Philippe Pétain, vice-président du conseil, va assassiner le gouvernement en s’en désolidarisant. C’est ce qu’on appellera plus tard un « coup d’état en douceur », coup d’état qui a été mis au point en Italie entre Mussolini, Hitler et Laval. Cette rencontre a été clairement évoquée lors du procès de Laval devant la Haute Cour. D’après Fred Kupferman, biographe de Pierre Laval[12], un diplomate portugais a affirmé avoir vu le sénateur sur le quai d’une gare de Milan le 10 juin 1940 et peu après, dans la même gare, il y aurait croisé le Comte Ciano, gendre du dictateur italien, qui lui a confié que Laval venait de rencontrer secrètement Hitler et son beau-père.

Coïncidence troublante, au soir de ce même 9 juin, Pétain disparaît momentanément de la circulation ; il est le premier membre du gouvernement à quitter la capitale. Il ne reparaît que 4 jours plus tard le 13 juin lors de la réunion du conseil des ministres au Château de Cangé (Indre-et-Loire), pour y lire un texte qui réclame l’armistice et ébauche très explicitement le futur programme de la Révolution Nationale, un texte qu’il n’a manifestement pas écrit lui-même : tout le monde le savait à l’époque, Pétain n’écrivait pas, on écrivait pour lui. Mais il faut décrire la mise en scène, finalement très téléphonée. Le conseil des ministres s’ouvre dans une atmosphère de panique : Reynaud vient à nouveau de supplier Roosevelt d’entrer immédiatement dans la guerre et les Américains, à nouveau, se dérobent ; soudain, le généralissime Weygand avoir reçu de Paris un message, selon lequel Maurice Thorez va s’installer à l’Élysée. C’est absurde mais chacun est frappé de stupeur ! Georges Mandel, le ministre de l’intérieur, prend immédiatement les choses en main, il donne quelques coups de fil à Paris et dément avec vigueur les informations de Weygand. Mais chacun sent bien au conseil qu’il y a de la manipulation dans l’air ; on craint même un putsch militaire en préparation. C’est alors que le Maréchal Pétain prend la parole, il a un papier à la main ; comme la salle est mal éclairée, il va jusqu’à une fenêtre et lit son texte. Résumons : il n’y a plus qu’une extrémité, c’est l’armistice, et après avoir développé les grandes lignes d’un « programme de renaissance française », il se désolidarise à l’avance de tous les membres du gouvernement qui envisageraient de quitter la métropole pour poursuivre le combat.

Le « mythe de 14-18 » qui assène cela, c’est le dernier coup de hache sur un arbre à moitié déraciné. Pétain a attendu son heure et le fruit est mûr pour qu’on lui offre le pouvoir. Depuis 15 ans, tout le monde le veut avec soi, à gauche parfois, à droite et à l’extrême droite surtout… c’est une vedette, c’est une garantie de popularité. Mais le vieux, lui, se tait, il est matois, prudent, il se fait désirer. Il a deviné qu’un jour ou l’autre on va faire appel à lui. Et c’est bien connu depuis, ce jour-là il fera « don à la France de [sa] personne ». Et pour cela, Pétain laisse faire ses amis sans se mouiller en lui-même.

Pétain était-il manipulé ou manipulable ? Je ne le crois pas… même la thèse du vieillard sénile et sourd lors de son procès en 1945 ne tient pas : Pétain prétend ne pas entendre, fait mine d’être absent à lui-même lors des audiences, mais soudain le vieux chat surgit et s’exprime pour soutenir ou compléter les propos d’un témoin qu’il a cette fois-ci parfaitement entendu. C’est un acteur.

Philippe Pétain comparaît devant la Haute Cour de justice de Paris lors de son procès pour intelligence avec l’ennemi à l’issue duquel il sera condamné à mort, le 15 août, à l’âge de 89 ans. (23 juillet-14 août 1945) ©AFP

Écoutons le témoignage du général Maurice Gamelin, le grand vaincu de 1940. En 1947, il est entendu par la commission de l’Assemblée nationale chargée d’enquêter sur les événements : « J’ai entendu le Maréchal Foch dire ironiquement : “Envoyez Pétain ! S’il n’y a rien à faire, c’est son affaire !” Il l’a dit en une autre occasion, sous une autre forme : “Quand il n’y a rien à faire, c’est l’affaire de Pétain !” »

Maurice Gamelin. Source : SHD

Il ajoute que Joffre et Foch pensaient que « Pétain était un négatif, un esprit foncièrement défensif et qui, en toutes choses, était contraire à l’action, c’était sa forme d’esprit. »

Il faut évidemment tenir compte du ressentiment que devait éprouver le général Gamelin à l’égard de celui qui lui a collé la défaite sur le dos, qui l’a placé en forteresse et l’a fait comparaître au procès de Riom avec Léon Blum et Édouard Daladier… mais ça donne quand même un éclairage intéressant sur un personnage qui semble avoir très facilement accepté les doctrines de ses « conseillers politiques ».

Qui sont-ils ? D’abord un homme : Henry Lémery[13]. Avocat, sénateur et éphémère ministre de la justice grâce à Pétain, pendant deux semaines dans le cabinet Doumergue à l’automne 1934, au moment de l’affaire Stavisky, quand l’extrême droite claironnait vouloir nettoyer les « écuries d’Augias ». Car Lémery appartient à cette famille politique et est violemment anti-communiste… et c’est lui qui au début des années 1930 fera l’éducation politique de Pétain, qui sera un élève doué, sachant se taire quand il le faut et ne parler que lorsqu’il sait qu’il sera écouté. Et puis il y a Raphaël Alibert, futur Garde des Sceaux de Vichy et un des principaux rédacteurs du statut des juifs. C’est un monarchiste convaincu qui lui aussi conseille le Maréchal Pétain. Les deux mentors de Pétain sont de farouches ennemis de la République dans une ambiance glauque puisque les cloisons ne sont pas étanches, le cordon sanitaire n’existe pas : on trouve d’autres de leurs soutiens dans les Chambres, dans la haute administration ; et si, entre deux-guerres, Lémery n’a fait qu’un petit tour dans un gouvernement, c’était pourtant dans un cabinet d’union nationale (orienté à droite, certes) conduit par l’ancien président de la République Gaston Doumergue[14]. Enfin, notons qu’en 1935, l’ancien militant socialiste antimilitariste, devenu sympathisant fasciste, Gustave Hervé lance une grande campagne « C’est Pétain qu’il nous faut ! » avec son journal La Victoire, financé par de grands industriels ; l’objectif est explicite : abattre régime parlementaire et fonder une république autoritaire dont le maréchal Pétain assumerait la présidence. Au regard de l’ampleur de la campagne, il est impensable qu’il n’ait pas donné son accord.

L’extrême droite fréquente donc tranquillement les hautes sphères du pouvoir et entretient également ses liens avec des projets séditieux, là aussi au cœur de l’appareil militaire et d’État. Car dans les années 1930, existe une organisation redoutable, souterraine, qui va de peu d’ailleurs rater la prise du pouvoir ; c’est la Cagoule[15]. Cette organisation bénéficiait de l’appui financier de très grands industriels. Elle avait constitué des caches d’armes un peu partout en France et il s’en est vraiment fallu de très peu qu’elle ne fasse tomber le pouvoir à l’automne 1937. Tout cela est à peu près connu aujourd’hui, sauf que l’on a sous-estimé longtemps la puissance de nuisance de la Cagoule, à dessein d’ailleurs parce que trop de personnes importantes étaient compromises avec elle : au sein même d’une des plus hautes instances du pays, le conseil supérieur de le guerre, on comptait une majorité de « cagoulards ». Philippe Pétain en tant que commandant en chef des forces armées, il est vice-président de ce conseil supérieur jusqu’en 1931[16]. Il en restera membre de 1931 à 1934, date à laquelle il devient ministre de la guerre, renforçant au-delà de ce ministère son emprise sur l’institution.

Il y a ainsi toute raison de croire que Philippe Pétain lui-même était membre de l’organisation ; tout le monde autour de lui était cagoulard : Lémery et Alibert en étaient, évidemment. De même, Georges Loustaunau-Lacau[17], officier d’état-major, succède en 1934 à Charles de Gaulle comme écrivain d’état-major auprès de Pétain, qui entre à son cabinet lorsque ce dernier est ministre de la guerre du 9 février au 8 novembre 1934 ; il restera auprès de lui au conseil supérieur de la guerre où il fera, dès la fin 1936, la liaison entre la Cagoule et les réseaux Corvignolles, sorte de service de renseignement anticommuniste officieux au sein de l’armée, mais aussi avec le Parti Populaire Français de Jacques Doriot, le Parti Social Français du Lieutenant-Colonel de la Rocque et l’Action Française de Charles Maurras. Sur ordre du ministre de la défense nationale, Édouard Daladier, il est placé en position de non-activité le 15 février 1938 par sa hiérarchie. En 1948, dans ses mémoires, il indiquera avoir rencontré le Général Duseigneur (n°2 de la « Cagoule ») à la demande de Pétain « que l’agitation subversive ne laisse pas indifférent ». Enfin, l’officier d’ordonnance du Maréchal, le capitaine Léon Bonhomme était également membre de la Cagoule. Cela commence à faire beaucoup ! Personne ne peut considérer qu’en 1936-1937 le Maréchal Pétain était gâteux, il ne pouvait pas ne pas savoir et il est plus logique de penser qu’il a procédé comme à son habitude : envoyer les autres au charbon, rester à l’abri et ne pas être mis en cause lorsque Marx Dormoy, ministre de l’intérieur SFIO, annonce le 23 novembre 1937 la découverte de la conspiration et qu’Eugène Deloncle[18] et le général Duseigneur, dirigeant de « la Cagoule » sont arrêtés.

Cependant le projet des « Cagoulards » était limpide pour abattre la République et instaurer un régime nationaliste autoritaire, quoi de plus pratique que de mettre au pouvoir le seul homme capable de l’incarner : Philippe Pétain… on les retrouvera tous à Vichy à partir de juillet 1940. Dès le lendemain des élections législatives de 1936, Pierre Laval joue de ses contacts en Italie, en Allemagne et en Espagne pour favoriser cet objectif : pour faire aboutir un complot, il faut non seulement des appuis politiques, des armes, mais surtout de l’argent, beaucoup d’argent et c’est l’Italie fasciste qui sera, avec les grands industriels français, le principal pourvoyeur de fonds de « La Cagoule ». Que le Maréchal Pétain se soit méfié de cet aventurier de la politique qu’était Laval, c’est une chose, mais voulant arriver un jour ou l’autre au pouvoir il a fait les « concessions » nécessaires et, là-aussi, c’est Loustaunau-Lacau qui faisait le lien entre les deux hommes. Dans ses mémoires, le général Gamelin explique que Daladier lui avait demandé d’enquêter sur la présence des « cagoulards » dans le haut commandement de l’armée « mais il devait être entendu qu[’il ne pourrait] pas [s]’occuper de nos deux maréchaux de France, Pétain et Franchet d’Espèrey. Or, tout faisait supposer que leur responsabilité était la plus engagée. » En 1990, dans son ouvrage Les secrets de l’armistice, Philippe Simoneau évoque les mémoires (publiée en 1986) d’un certain Angelo Tasca, un fasciste italien qui s’est trouvé à Vichy, dans les services d’information : « l’une des révélations contenues dans les carnets de Tasca est que Lémery, en 1936, a lancé son journal, l’Indépendant, avec des fonds de La Cagoule pour soutenir à fond et sans réserve l’organisation secrète. […] Comment imaginer que Pétain n’en fut pas averti ? » C’est dans ce même journal que Lémery et Alibert lanceront en 1938 une nouvelle campagne « La France a besoin d’un chef. C’est Pétain qu’il nous faut ! »

C’est le 27 février 1939 que la République française reconnaît finalement le gouvernement du Général Franco en Espagne. Le 2 mars 1939, Pétain est nommé ambassadeur de France en Espagne. Hostile aux franquistes, la gauche française proteste au nom de la réputation « républicaine » du Maréchal.

Philippe Pétain et Francisco Franco à Montpellier le 13 février 1941

Officiellement, la nomination de Pétain — qui jouit d’un grand prestige en Espagne — vise à améliorer l’image de la République française en atténuant le souvenir du soutien limité aux républicains espagnols pendant la guerre civile : Franco et Pétain se sont rencontrés en 1925 pendant la guerre du Rif, le Français a noué dès cette époque d’excellentes relations avec différents officiers espagnols qui s’engageront dans la révolte de 1936 contre la République espagnole, et en privé le Maréchal français ne fait aucun mystère de ses sentiments favorables aux instigateurs de la rébellion ; les franquistes voient en Pétain un ami bienveillant. En réalité, le président du Conseil Édouard Daladier, qui n’a pourtant pas agi contre lui quand il en avait les moyens, y envoie le Maréchal Pétain parce qu’il le trouve trop encombrant à Paris ou plus certainement parce qu’il le soupçonne d’être de connivence avec les ennemis de la République.

En mai 1940, il est toujours ambassadeur en Espagne et alors que cela ne lui a pas été demandé, il rentre à Paris. Il est évidemment reçu par le président du conseil Paul Reynaud, mais surtout il y rencontre chez lui Anatole de Monzie[19], alors ministre mais qui entretient des liens avec des puissances étrangères – l’URSS au début des années 1930, l’Italie fasciste désormais – également ami intime d’Otto Abetz et de Darquier de Pellepoix. Le 10 mai 1940, l’Allemagne déclenche l’offensive ; le 18, Reynaud appelle Pétain au gouvernement comme Ministre d’État.

Maxime Weygand en 1940

La veille, Gamelin a été limogé et on le remplace par un autre vieillard Maxime Weygand, un général qui n’a qu’une envie, tout comme Pétain, c’est qu’on arrête de se battre : les deux hommes au cœur du dispositif n’ont qu’un seul but, en finir avec cette guerre désastreuse dont la responsabilité, selon eux, incombe totalement à la République. En finir parce qu’ils sont sûrs que dès que l’armistice ou la paix seront signés, le pouvoir tombera entre leurs mains comme une pomme bien trop mûre. Ils ont ouvertement parié sur la débâcle.

Fin mai, Laval déclare au sénat « c’est Pétain qu’il nous faut », le même jour Pétain dépose une note sur le bureau de Reynaud dans laquelle il prend la défense de l’armée et accuse le pays d’avoir péché par paresse et manque d’effort : c’est déjà Vichy, avant même qu’il ne préconise ouvertement l’armistice. Mis au courant, Churchill est effaré et n’y voit que du défaitisme. Vient enfin ce coup d’état en douceur du 13 juin, dont on a déjà parlé, et 3 jours plus tard, l’ultime coup de théâtre à Bordeaux, au cours d’un conseil des ministres particulièrement tendu, Reynaud annonce sa démission et Pétain, nommé séance tenante à sa place par le président Lebrun, comme un prestidigitateur, sort un papier de sa poche – c’est la liste de ses ministres – alors qu’il ignorait, en principe, qu’il serait nommé par le président Lebrun. Tout était prévu. Moins d’un mois plus tard, la République était assassinée par le vote des pleins pouvoirs, sous les menaces de Laval aux parlementaires.

Comment ne pas s’interroger durant la débandade militaire, sur toutes ces villes qui ont été mystérieusement déclarées ouvertes, comme pour mieux faciliter le passage de l’ennemi, ou encore du choix de l’Espagne franquiste comme intermédiaire avec le IIIème Reich alors qu’elle penchait ouvertement du côté des puissances de l’Axe ? Comment ne pas s’interroger sur ces chefs militaires qui plaident pour la défaite, mais demandent le repli, feignent de défendre l’armée mais lui interdisent de contre-attaquer, la faisant passer pour incapable et dépassée ? On a vu pourtant à deux reprises au moins les armes françaises contrecarrer l’offensive allemande, décidément résistible : lors contre-attaque de Montcornet, au nord-est de Laon, entre les 15 et 18 mai conduite par la 4e Division Cuirassée du Colonel De Gaulle, ou quand il fallut du 26 mai au 4 juin 1940 mener une résistance héroïque et désespérée, en particulier la 12e division d’infanterie motorisée à partir du fort des Dunes, destinée à gagner un laps de temps nécessaire à l’embarquement de l’essentiel des troupes britanniques et de plusieurs unités françaises et belges vers l’Angleterre depuis Dunkerque. En juin 1940, la France a capitulé parce que ceux qui travaillaient à abattre la République voulaient qu’elle capitule.

Que retenir ?

L’accession de l’extrême droite au pouvoir n’est pas seulement une affaire de défaite militaire en 1940. Pendant près d’une décennie, des acteurs au cœur des institutions ont travaillé à la chute de la République. L’Allemagne nazie a trouvé en juin et juillet 1940 un dispositif complet politique, administratif et militaire qui lui éviterait le coût d’une occupation militaire de l’ensemble du territoire français et lui fournirait des assistants obéissants et « efficaces » au nord de la Loire et sur la façade atlantique.

Quels sont, au-delà du diagnostic posé par Marc Bloch lors de l’écriture de L’étrange défaite à l’été 1940, les ingrédients qui ont favorisé cette prise du pouvoir ?

  • Un extrême droite politique structurée, relayée par diverses organisations, reliées entre elles, mobilisant d’importants pans de l’opinion publique, qui ne néglige ni l’action électorale et parlementaire, ni la tentation du coup de force…
  • Une pénétration jusqu’au plus haut niveau de la hiérarchie militaire par des éléments anti-républicains, ce qui implique que ni la normalisation qui suivit l’Affaire Dreyfus, ni l’épreuve de la Grande Guerre n’y avaient fait totalement reculer le péril.
  • Un écosystème médiatique puissant qui travaillait à mettre en cause idéologiquement le régime, subventionné par les puissances d’argent, utilisant la désinformation et ouvert largement à la propagande de puissances étrangères hostiles, qui trouvaient également des relais complaisants dans le microcosme intellectuel et politique.
  • La médiocrité d’une partie du personnel politique, une absence totale du sens des priorités politiques chez certains représentants du mouvement ouvrier et l’aveuglement (à des degrés et sur des divers) face aux dangers intérieurs de certains de ses éléments les plus capables…
  • Une indifférence relative ou une estimation erronée des questions de défense nationale, des alliances militaires et des intérêts géopolitiques de la nation, maquillées de fausses certitudes et d’une confiance naïve en des concepts stratégiques dépassés…

90 ans plus tard, il serait anachronique de vouloir calquer les perspectives des années 1930 sur notre pays.

Mais on peut considérer que notre corps social est plus « archipellisé » encore qu’il ne l’était alors. Une force politique d’extrême droite dispose du groupe parlementaire le plus nombreux de l’Assemblée nationale. Si les menaces terroristes de l’ultra-droite ne sont pas comparables, elles sont moins négligeables qu’il n’y paraît.

Pour le reste, la médiocrité et l’aveuglement d’une partie des dirigeants politiques ne fait pas débat, ni le poids d’un certain patronat réactionnaire dans les médias, ni la désinformation au service des intérêts d’une puissance étrangère nationaliste et réactionnaire, ni la pénétration de l’extrême droite dans une partie de la police et de l’armée…

J’ai pour ma part un doute poignant sur la réalité de la prise de conscience qu’ont nombre de nos responsables politiques sur les questions de défense nationale. Et j’aimerais voir les organisations politiques héritières du « mouvement ouvrier » retrouver collectivement le sens des priorités.

Frédéric Faravel


[1]     Face à l’histoire, une série de podcasts de Philippe Collin sur France Inter « La Cavale du général Leclerc » : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-la-cavale-du-general-leclerc

[2]     L’étrange défaite, Marc Bloch, éditions Gallimard : https://www.fnac.com/a1074917/Marc-Bloch-L-etrange-defaite

[3]     Une étrange victoire. L’extrême droite contre la politique, Michaël Foessel & Étienne Ollion, éditions Seuil, 2024 : https://www.fnac.com/a20706742/Michael-Fssel-Ripostes

[4]     Je m’abstiens volontairement d’utiliser le terme « dédiabolisation », car incidemment cela signifie que l’extrême droite aurait été « diabolisée » donc finalement dénoncée à tort.

[5]     Le 2e bureau de l’état-major est le service chargé de l’analyse du renseignement. L’expression désigne communément le service de renseignements de l’armée française entre 1871 et 1940.

[6]     Otto Abetz reviendra triomphalement en 1940 comme ambassadeur du IIIème Reich et sera le premier artisan de la politique de collaboration franco-allemande.

[7]     Henri Eugène Navarre. Élève de Saint-Cyr, il est envoyé au front en 1917. Après diverses affectations dans la partie occupée de l’Allemagne et pour des opérations de pacification dans les colonies et mandats français, il entre à l’école supérieure de guerre, en ressort capitaine. Il entre en 1936 au Service de Renseignements de l’État-Major de l’Armée dont il dirige la section « allemande » de 1938 à 1940. En 1939, avant l’entrée en guerre, il élabore un éphémère projet d’élimination d’Adolf Hitler auquel on ne donnera pas suite. Après l’Armistice de 1940, il poursuit ses activités dans l’Armée d’armistice et est nommé chef du 2e bureau du général Weygand à Alger chargé à la fois du renseignement et du contre-espionnage. Rappelé en 1942 pour ses actions anti-allemandes, il entre alors dans la clandestinité et devient chef du Service de Renseignement de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Il participe ensuite à la libération de la France et à la campagne d’Allemagne à la tête d’un régiment blindé. Il est promu général de brigade en 1945. Il devient en mai 1953 commandant en chef des forces françaises en Indochine pour trouver une « sortie honorable » à la guerre. Rendu responsable du désastre de Dien Bien Phu, il est remplacé le 3 juin 1954. En 1956, Navarre fait valoir ses droits à la retraite. La même année, il publie son livre Agonie de l’Indochine dans lequel il justifie son action en Indochine et rend la classe politique responsable de la défaite.

[8]     Le Service de Renseignements (1871-1944), édition Plon, 1978 (coécrit avec un groupe d’anciens membres du SR)

[9]     Les services et le gouvernement britanniques étaient informés du raid de la Luftwaffe des 14 et 15 novembre 1940 par le décryptage des messages d’Enigma. Pour ne pas donner d’indices de cet avantage à l’ennemi, Churchill et son cabinet de guerre choisirent de ne pas évacuer Coventry. Le raid causa par 568 morts et 723 blessés, civils.

[10]   Philippe Pétain est ministre de la guerre du 9 février au 8 novembre 1934 dans le deuxième cabinet Doumergue qui succède au cabinet Daladier, démissionnaire après les émeutes nationalistes du 6 février 1934 lors desquelles les ligues d’extrême droite ont tenté de prendre d’assaut le Palais Bourbon.

[11]   Cité dans Les secrets de l’espionnage français, Pascal Krop, novembre 1993, édition JC Lattès

[12]   Pierre Laval, Fred Kupferman, 1976, édition Masson

[13]   Henry Lémery, issu d’une riche famille béké de Martinique, il est élu député de l’île de 1914 à 1919. Sous-secrétaire d’État aux transports maritimes et à la marine marchande de fin 1917 à fin 1918, il est sénateur de l’île de 1920 à 1940. Éphémère Garde des Sceaux à la fin du 2e cabinet Doumergue. Il sera ministre des colonies de l’État français en 1940, rapidement écarté pour des inimitiés personnelles. Arrêté et emprisonné à Fresnes pour son soutien à Vichy, mais libéré peu de temps après, il est acquitté par la Haute Cour en 1947 pour « faits de résistance ». Il adhère à l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Il meurt à 97 ans à son domicile parisien en 1972.

[14]   D’origine protestante et Franc-Maçon, Gaston Doumergue est membre du parti radical, Avocat, juge de Paix un peu plus d’un an en Algérie, il est élu député de Nîmes en 1893 ; il sera plusieurs fois ministre de 1902 à 1910, président du conseil pendant 6 mois de décembre 1913 à juin 1914, ministre des colonies pendant la Grande Guerre. Élu président du Sénat en 1923, il succédera pour 7 ans en 1924 à l’éphémère Alexandre Millerand à la Présidence de la République. Il est rappelé à la présidence du conseil après les émeutes du 6 février 1934, son gouvernement d’union nationale sera un échec et il démissionnera le 8 novembre 1934. Le Président du conseil René Viviani (celui de l’entrée en guerre en 1914) disait de lui : « Dans une démocratie bien organisée, Doumergue serait juge de paix en province. » Il meurt en 1937.

[15]   La Cagoule, Philippe Bourdrel, 1992, éditions Albin-Michel

[16]   Le président du conseil supérieur de la guerre est le ministre de la guerre, puis de la défense nationale.

[17]   Georges Loustaunau-Lacau, fils d’officier béarnais, élève de Saint-Cyr, il est remarqué au combat lors de la première guerre mondiale et promu Capitaine dès 1916. Condisciple de Charles de Gaulle à l’École de Guerre, il sort major de sa promotion. Il est promu commandant en 1931. Dès les années 1930, il est un activiste d’extrême droite diffusant des idées antisémites. Figure des vichysto-résistants, il s’engage progressivement dans la Résistance, fondant avec d’autres officiers anti-allemands le réseau Alliance à la fin 1940. Arrêté par la police française, remis à la Gestapo, en mars 1943, il est déporté au camp de concentration de Mauthausen. Il rentre en France le 9 mai 1945, ne pesant plus que 38 kg. Après 1945, il sera cité à comparaître au procès du Maréchal Pétain qu’il cherchera à dédouaner de tout complot contre la République, afin de se défendre lui-même. En octobre 1946, il est inculpé pour complot contre la sécurité intérieure de l’État dans le cadre du procès de la Cagoule, organisation à laquelle il affirme n’avoir jamais appartenu. La destruction des archives des réseaux Corvignolles et de la Cagoule et son passé de résistant et de déporté expliquent sans doute qu’il bénéficie d’un non-lieu en février 1948. Le 28 juin 1947, il est à nouveau arrêté et inculpé dans l’affaire du complot de droite nationaliste dit du « Plan Bleu » ; innocenté, il sera libéré après 6 mois de prison. Après la Libération, il continuera à fréquenter les réseaux pétainistes, il s’affilie un temps au parti officiel de la droite le Parti Républicain de la Liberté, avant de mener lors des élections législatives de 1951 dans les Pyrénées-Atlantiques une liste de droite où figure en deuxième position l’épouse de Jean Ybarnégaray, ancien député d’extrême droite et ancien ministre de Pétain (auquel il est lié par un accord devant permettre à ce dernier de récupérer son siège à la fin de sa peine d’inéligibilité) apparentée avec la liste du MRP. Promu au grade de commandeur de la Légion d’honneur en 1952, il sera un adversaire déterminé des communistes à l’Assemblée nationale. Sa nomination comme général du cadre de réserve est publiée le jour même de sa mort le 11 février 1955.

[18]   Eugène Deloncle, issu d’une famille de militaires et d’hommes politiques, polytechnicien, il est officier d’artillerie pendant la première guerre mondiale. Adhérent de l’Action Française après la Grande Guerre, il la quitte et crée avec d’autres, l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN) en 1935, surnommée « La Cagoule ». Après l’armistice de juin 1940, Deloncle rejoint l’amiral François Darlan et reprend contact avec d’anciens cagoulards. Fin 1940, il crée le Mouvement social révolutionnaire pour la Révolution nationale (MSR), soutenant le maréchal Pétain, qui se rapprochera du Rassemblement National Populaire de Marcel Déat. Exclu du MSR en mai 1942, il reprend contact avec Darlan et tentera de faire le lien entre ce dernier et l’amiral Wilhelm Canaris, responsable du contre-espionnage militaire allemand. Il est arrêté puis relâché à la fin de l’été 1943 par les services de sécurité de la SS qui finiront par l’assassiner en janvier 1944 dans une ambiance de règlements de compte internes entre services nazis.

[19]   Anatole de Monzie, maire de Cahors, député puis sénateur du Lot, membre des groupes parlementaires de centre-gauche (républicains socialistes) proches de la droite du parti radical, il rejoint les petites formations issues de la scission des « néos » de la SFIO dans les années 1930. Il est ministre des travaux publics dans le gouvernement Daladier (1938-1940). Il votera les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940. Nommé en 1940 par l’État français président du Conservatoire national des Arts et Métiers, il occupera ce poste jusqu’en 1944. Il s’engage en 1941 dans la Revue de la pensée socialiste, Le Rouge et le Bleu de Charles Spinasse qui défend les idées de Marcel Déat pour une collaboration en vue d’un « fédéralisme européen » dominé par l’Allemagne nazie. Débarqué de la mairie de Cahors en août 1942, il s’éloigne de Vichy mais participera avec Laval à toutes les tentatives de négociation avec les Alliés pour empêcher le Comité français de Libération nationale puis le GRPF de prendre le pouvoir en organisant une transition avec le régime de Vichy et en instrumentalisant les anciens parlementaires. Poursuivi pour collaboration, il meurt chez lui à Paris en 1947.

Atonie de la croissance française : ce qu’il faut changer

Nous sommes revenus fréquemment, depuis 2010, sur l’erreur économique dramatique commise avec le « tournant de l’offre » ; notons cependant que ce que l’on a appelé « tournant » en novembre 2012 n’en était pas un, mais la continuité de la politique économique de Nicolas Sarkozy, alignée sur le consensus des droites européennes.

Nicolas Sarkozy a mené en 2008-2009 une des politiques de relance face à la crise financière les moins efficaces d’Europe. Refusant de remettre du pouvoir d’achat et de l’investissement directement, il a préféré mobiliser d’énormes moyens dans des baisses d’impôts, de TVA, pour relancer la consommation, sans cibler ni conditionnalités. Une bonne partie de cette relance a financé… l’industrie allemande.

En 2010, face à la dégradation des comptes et du commerce extérieur, Sarkozy a décidé de se rallier au plan d’Angela Merkel de faire de la consolidation budgétaire. L’économie européenne n’était pas encore repartie d’une manière harmonieuse. De nombreux pays avaient découvert des systèmes particulièrement nocifs et désastreux pour les finances publiques laissés par les gouvernements de droite précédents en Italie, en Grèce, en Irlande, au Portugal. La relance du système financier laissait aussi d’énormes liquidités en recherche d’investissements.

Couper les politiques de relance, c’était se priver de ces liquidités, c’était prendre le risque d’une récession en pleine croissance mondiale, c’était également rendre la dette publique européenne vulnérable à des attaques spéculatives. L’équivalent du ministre des finances d’Obama, Timothy Geithner, a raconté dans ses mémoires comment il a essayé, sans succès, de convaincre Sarkozy, Trichet, Barroso et Merkel de ne pas s’engager dans cette voie. A la sortie de son livre, un magazine a révélé qu’il avait qualifié en réalité cette politique de « stupide ».

Des excédents commerciaux allemands inutiles

Nous sommes dans la continuité de cette politique depuis. L’Allemagne stagne. Depuis 2019, l’Allemagne n’a pas connu de croissance ! Ah, les excédents commerciaux sont là, mais ils ne servent à rien, n’étant pas transmis aux Allemands mais confisqués par les plus riches du pays. L’extrême droite, inexistante en 2010, est dans les sondages le premier parti d’Allemagne en 2025.

La France stagne à son tour. Citons la dépêche AFP sur les chiffres de la croissance :
« Au premier trimestre, la croissance de la deuxième économie de la zone euro a souffert d’une consommation des ménages sans dynamisme, stable après une progression de 0,2% au cours des trois mois précédents. Les investissements ont continué à évoluer en territoire négatif (-0,2% après -0,1%): tant pour les entreprises que les ménages et les administrations publiques.
Contexte politique instable
La contribution du commerce extérieur est également négative (-0,4 point) en raison d’une nette diminution des exportations (-0,7%) alors que les importations ont augmenté de 0,4%.
»

Depuis 15 ans, ce sont les mêmes paradigmes qui sont employés, en France et en Europe, pour un échec complet. En France aussi, l’extrême droite est devenue le premier parti en voix. Le RN ne sait pas comment construire des alliances majoritaires, espérant devenir seule hégémonique, et cette médiocrité profonde est la seule bonne nouvelle de la période. Il s’est pourtant aligné sur les positions économiques sur les idées de Sarkozy, de Hollande et Moscovici, de Macron, Le Maire, Bayrou ou Retailleau.

Ne pas tirer toutes les conséquences de l’échec

Au départ, Mario Draghi est un banquier classiquement néolibéral. Mais il a eu au moins un mérite : éviter la catastrophe économique à la zone euro en faisant adopter à la BCE, contre l’Allemagne, une politique monétaire accommodante et moins austéritaire. En ce sens, il a forcé les tenants de la rigueur à s’éloigner d’une lecture stricte des traités. Et il en est même arrivé à la conclusion des Américains : il faut aussi actionner le levier budgétaire pour relancer l’économie, mais sans se départir, comme les Américains, de l’obsession de la dérégulation, c’est-à-dire d’une déformation durable du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital.

Au final, lui aussi reconnaît dans le rapport qu’il a remis un retard d’investissement de 5 points de PIB pendant dix ans en Europe. Mais, loin de constater que la politique menée depuis 15 ans n’a de vainqueur qu’une seule catégorie d’Européens, ceux gagnant plus de 10 000 euros net par mois, ou accumulant du capital pour ne plus vivre de leur travail, Draghi veut investir en continuant de favoriser le capital contre le travail.

C’est cela le changement de paradigme dont on a besoin : remettre la politique fiscale, budgétaire, publique, et l’investissement au service des forces vives du travail. Même la contribution dite de « nouveau socialisme » de Philippe Brun ne le dit pas dans le débat du PS. La gauche radicale refuse d’en parler, pensant que la lutte culturelle, partant des discriminés, se suffit à elle-même pour dénoncer les abus du capitalisme contemporain. Or, en se concentrant sur ces luttes, nécessaires par ailleurs, on manque la big picture.
La lutte au niveau des conséquences micro-économiques des politiques ne permet pas de révéler le tableau dans son ensemble, ni de proclamer la solidarité des intérêts de toutes les classes qui travaillent – les 99%.

Ce changement de paradigme doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur la nature des crises des 25 dernières années. Le néolibéralisme et le rêve d’une « globalisation heureuse » est une doctrine de navigation sur un lac par beau temps, et non un manuel pour survivre au Vendée Globe Challenge. L’équilibre des marchés est censé créer un monde où la crise est impossible. Dans ce modèle, le chômeur est forcément responsable de son chômage, le modèle en équilibre proclamant l’impossibilité du chômage.

Mais ce monde parfait n’existe pas.

Les théories manquent de prédire, de modéliser les crises. Ces modèles pensent l’homo economicus, le modèle du comportement rationnel de l’agent humain, immortel, et considère l’Etat, l’agent public, mortel. C’est ainsi que l’acteur humain est privé de considérations liées à sa nature, pendant que l’on exige de l’Etat de se gérer comme un ménage devant rembourser ses dettes. Ces modèles rejettent l’idée que l’homme, face à la mort, choisisse le réconfort de la solidarité. Ils veulent des individus isolés, égoïstes, jouisseurs. La réflexion morale est absente des modèles.

A partir de là, le refus des exigences du vivant prend des tours accablants. Le marché agro-alimentaire est traité comme s’il n’y avait ni saison, ni climat, ni maladies. La crise géopolitique n’existe pas dans les modèles. La rationalité économique exclut pour la Russie d’envahir l’Ukraine, alors on anticipe pas l’impact économique de ce choix géopolitique.
On peut dérouler longtemps.

Retrouver les fondements d’une alternative

Le penseur économique qui a donné des théories explicatives des crises s’est confronté aux trois événements dramatiques du demi-siècle où il a vécu. En 1914, il sauve le système financier britannique à la déclaration de guerre, qu’aucun économiste n’avait prévu, la guerre étant rationnellement une perte économique. C’est lui qui conseille le gouvernement dans la mise en place de l’économie de guerre qui permettra la victoire.
Il critique dès 1919 le traité de Versailles comme « stupide » et son livre prévoit les crises qui suivirent. Cela lui coûte en crédit, on le mets de côté. C’est ce qui lui permet de théoriser la pratique de gestion des crises qu’il vient de mener en pratique.

En 1929 il a des idées pour surmonter la crise mondiale, mais les théoriciens du marché et de la consolidation budgétaire n’en veulent pas. C’est Roosevelt, aux Etats-Unis, qui s’inspire de cet économiste pour la relance de l’économie. En 1940, il devient de nouveau une voix écoutée face à l’énorme défi de l’économie de guerre face à Hitler et au militarisme japonais. Il construira des esquisses de plan de reconstruction européenne mais meurt prématurément après la victoire.

Cet économiste, c’est Keynes.

Voilà les changements de paradigmes :

  1. Reconnaître la brutalité extrême, déséquilibrée, du capitalisme après 25 ans de consensus néolibéral, de foi dans le marché comme régulateur des sociétés humaines, et du commerce comme facteur de paix et de progrès.
  2. Reconnaître l’absence totale de fiabilité des modèles économiques dominants face aux crises, qu’elles soient externes au système économique (attentat de 2001, guerre de 2022), conséquences indirectes d’un système où le contrôle public est désavoué (pandémie COVID en 2020, pour les éleveurs les répétitions de pandémies animales), où internes (crise financière de 2008). La crise de 2025 est à la conjonction de toutes ses crises et enfonce le clou dans le cercueil néolibéral.
  3. Rallier les retours d’expériences et les théories de gestion de crise et de prévision de celles-ci ; c’est-à-dire, les théories écartées depuis 40 ans des chaires académiques. Le keynésianisme est un système de départ.
  4. Dénoncer le partage inouï en faveur du capital contre le travail, car c’est ce qui permet de retrouver les solidarités et les universalités des intérêts dans toutes les Nations. Oui, il s’agit d’empêcher une oligarchie mondiale de s’imposer. Oui, cela dépasse la somme de toutes les luttes car cela concerne même des classes, travaillant, qui pensent être elles-mêmes dominantes, alors qu’elles-aussi stagnent dans le partage des richesses.

Il nous faut repenser tout le système, toute la méthodologie quotidienne de l’action, et mettre à genoux les puissances d’argent.

Mathieu Pouydesseau et Laurent Miermont

Les Françaises votaient pour la première fois voici 80 ans

Le 29 avril 1945, voici 80 ans jour pour jour, les citoyennes françaises votaient pour la première fois, lors du premier tour des élections municipales. On dit que c’est l’ordonnance du 21 avril 1944, passée alors largement inaperçue dans la France occupée, signée par le Général De Gaulle qui leur avait préalablement accordé ce droit, mais cette ordonnance venait sanctionner un débat houleux au sein de l’Assemblée Consultative de la France Libre à Alger le 24 mars 1944.

Le droit de vote féminin arraché in extremis

Le chef de la France libre s’était engagé dès le 23 juin 1942 dans cette direction : « En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » Le vote des femmes fait en effet partie du programme de modernisation de la société française voulu par de Gaulle. La question du suffrage féminin n’est pas mentionnée dans le programme du Conseil national de la Résistance en mars 1944. Aussi le Général De Gaulle confirmait le 18 mars 1944 devant l’Assemblée consultative son orientation « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Un sujet sur lequel il semblait plus convaincu que nombre de ces contemporains des deux sexes et, concernant les opinions traditionalistes de certaines femmes, il s’en désolait selon son fils le futur Amiral Philippe De Gaulle : « comment ne comprennent-elles pas qu’elles doivent exprimer leur avis au plan politique et social et en particulier d’abord dans la vie locale ? N’ont- elles pas d’emprise sur la ville, sur le village ? »

Pourtant le 24 mars, les représentants des Radicaux au sein de l’Assemblée consultative s’opposent encore comme ils l’avaient fait face à la volonté des socialistes d’instaurer ce droit de vote universel lors du Front Populaire en 1936 (en juillet la Chambre des députés se prononça l’unanimité par 475 suffrages pour le suffrage féminin ; le Sénat dominé par le Parti radical n’inscrivit jamais ce texte à son ordre du jour). C’est le délégué communiste Fernand Grenier qui portera le flambeau pour que la « femme française » soit désormais électrice et éligible, « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ». Le Sénateur radical Paul Giacobbi mène les débats et tente de limiter toute avancée réelle : voudrait n’inscrire dans la loi que le principe de l’éligibilité des femmes, s’inquiétant du déséquilibre des sexes dans la France de l’après-guerre : beaucoup d’hommes étant encore prisonniers en Allemagne, accorder le droit de vote aux Françaises n’équivaudrait-il pas à « remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin » ? Sacré jésuitisme ! Et il faillit bien l’emporter. Mais Fernand Grenier finit par convaincre une majorité de délégués ; au soir du 24 mars 1944, l’amendement Grenier « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » est finalement ratifié par l’Assemblée consultative d’Alger par 51 voix contre 16.

Voter pour le droit de vote

C’est pour cela qu’il faut souligner l’importance du vote du 29 avril 1945. Alors même que les combats ne sont pas terminés en Europe, que les troupes soviétiques affrontent les derniers carrés des fanatiques nazis dans les rues de Berlin, la veille du suicide d’Adolf Hitler, les femmes françaises décident de voter massivement pour ces élections municipales. Elles ont elles-même tordu le cou à la fable selon laquelle la majorité d’entre elles auraient considéré que ce n’était pas leur affaire, que les hommes n’avaient qu’à s’en débrouiller, qu’elles avaient des responsabilités et d’autres influences et n’avaient pas à perdre leur temps sur des questions politiques. Les femmes ont donc voté ce jour-là pour le droit de vote des femmes. Le scrutin municipal de 1945 fut fortement médiatisé, l’attention des journalistes étant presque entièrement focalisée sur le comportement des femmes, entre condescendance contre celles qui n’en maîtriseraient pas les codes et admiration pour la patience des femmes qui firent parfois plusieurs heures de queue afin d’accomplir pour la première fois cet acte citoyen. Les élections du printemps 1945 se soldèrent par une forte percée du PCF ; le vote féminin ne semble pas avoir introduit une révolution majeure dans la pratique électorale, ni déclenché la vague cléricale que redoutaient les radicaux.

Un trop long chemin

Comment ne pas souligner cependant le retard français par rapport aux autres démocraties : la Nouvelle Zélande a établi ce droit dès 1893, l’Australie en 1902 ; entre les deux guerres mondiales, d’autres pays encore nous devancèrent : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États- Unis, mais aussi l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil. Qui se souvient de la candidature de Marie Denizard à l’élection présidentielle de 1913, de celle de Marguerite Durand aux élections législatives de 1910 ou encore de Louise Weiss qui aurait refusé d’intégrer le gouvernement Blum en répondant « j’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée » ? Combien de temps furent méprisées et humiliées les conseillères issues des élections municipales de mai 1925, Augustine Variot à Malakoff, Marie Chaix à Saint-Denis, Marthe Tesson à Bobigny et Marguerite Chapon à Villejuif ou Joséphine Pencalet représentante des Penn Sardines en lutte de Douarnenez : il y a souvent très peu d’écarts de voix avec leurs homologues masculins puisque leurs noms sont peu rayés, preuve que l’électorat est déjà prêt pour cette avancée. Pourtant, le conseil d’Etat annulera une à une ces élections dès janvier 1926, le préfet de la Seine n’hésitant pas à envoyer la police pour empêcher Augustine Viarot de siéger en avril 1926.

Comment ne pas souligner également qu’il aura fallu que Charles De Gaulle constate, avec une forme de paternalisme, leur courage à travers deux conflits mondiaux pour qu’il soit convaincu de leur accorder des droits civiques ; finalement, cela n’allait pas de soi par le simple argument de l’égalité humaine.

Continuer le combat

Aujourd’hui, ce droit semble acquis et la parité a installé dans les assemblées soumises au scrutin de liste la place de de l’élue comme incontournable. On connaît cependant les tactiques pour contourner la parité dans les partis conservateurs (avec une forme d’expertise des LR au Sénat en la matière) et on constate de scrutins en scrutins combien de partis sont prêts à accepter de payer des amendes importantes pour ne pas respecter l’obligation de parité dans les candidatures et dans les équilibres entre les sexes dans leurs groupes parlementaires ? La proportionnelle est sans doute un combat à mener sur ce chemin inachevé. Sans parler même de la vigilance face aux offensives réactionnaires toujours vivaces.

Frédéric Faravel

Changement climatique : Un impératif de sécurité civile

Tenir bon sur le climat, en actualisant les objectifs et les argumentaires : C’était le propos du Sommet Climate Chance Europe Afrique 2025 qui s’est tenu à Marseille les 31 mars et 1er avril 2025.

Depuis le Sommet de Rio de 1992 et la première COP à Berlin en 1995, il y en a eu des engagements ! Trente ans plus tard, des avancées existent mais l’heure est au rééquilibrage atténuation/adaptation. Le titre du Sommet était clair : « Adaptation : Passer à l’action ! »

En effet, l’ampleur et la succession rapide des catastrophes climatiques, la montée des réactions autoritaires, de l’obscurantisme et du déni scientifique, la prédation exacerbée des ressources (« drill, baby, drill ! ), les guerres et la hausse des dépenses militaires, ne nous permettent plus de préparer confortablement le développement durable pour les « générations futures ». C’est maintenant qu’il faut préserver la paix et la gestion durable des ressources, en trouvant les moyens de protéger les populations et de renforcer la sécurité civile. Ce dernier point reste cependant timidement abordé dans les enceintes de discussions climatiques.

S’adapter ou atténuer ? Pas de faux débats !

Un faux débat peut opposer les politiques d’atténuation et d’adaptation. Beaucoup considèrent que « s’adapter », c’est renoncer à « atténuer ». Cependant, aucun scenario du GIEC ne prévoit une possible baisse de température moyenne. C’est la baisse des gaz à effet de serre qui est recherchée, pour atténuer la hausse des températures et ses effets d‘emballement. Le scenario le plus optimiste à +1,5 °C en 2100 (objectif de la COP 21 à Paris en 2015) est fondé sur des politiques climatiques drastiques qui n’ont pas pu se mettre en œuvre. Il n’est plus plausible aujourd’hui.

Dans son introduction au Sommet de Marseille, le Sénateur écologiste Ronan Dantec a voulu « briser un tabou » en fixant l’objectif d’un scenario à +4°C à 2100, sachant que cette hypothèse tient compte la neutralité Carbone en 2050 en Europe et des engagements de la Chine. En se positionnant sur les scenarios les plus pessimistes à la fin du siècle, on redonne paradoxalement de la motivation à agir maintenant, plutôt que de provoquer des paniques de « sauve qui peut » sur des objectifs inatteignables. Les idéologies darwinistes, le retour en force de la loi des plus forts et des plus riches, se nourrissent de cette panique.

Reprendre le fil de politiques écologiques fondée sur le bien-être et la protection de tous est vital. Il se trouve que de nombreuses mesures d’adaptation sont les mêmes que l’atténuation : isoler les bâtiments évite de consommer de l’énergie (atténuation) et de souffrir de canicule l’été (adaptation), planter des arbres rafraîchit les villes (adaptation) tout en stockant le CO2 (atténuation). En protégeant de la vulnérabilité, l’adaptation peut être une vision d’anticipation et de transformation. La différence est qu’elle s’inscrit dans un présent immédiatement perceptible par les populations, ce qui aide à apaiser les visions du futur.

Protéger dans l’urgence, aménager dans la durée : Un double impératif

En effet, les politiques de long terme, qui restent évidemment nécessaires, sont confrontées à l’urgence de protéger les populations dans des situations de crise spectaculaires qui peuvent décourager d’agir, comme si la bataille était de toute façon perdue : cyclone à Mayotte, grandes inondations à Valence, grands incendies à Los Angeles, prédation des ressources déclenchée par la fonte des glaces en Arctique… La France métropolitaine n’est pas épargnée, et pas suffisamment préparée. La montée des eaux en Méditerranée vient, par exemple, de faire l’objet d’un rapport alarmiste des trois Chambres régionales des comptes de Corse, PACA et Occitanie.

Ce rapport pointe l’aveuglement du marché de l’immobilier et des plans locaux d’urbanisme. Il chiffre l’explosion prévisible des coûts d’assurance et d’indemnisation. Les petites communes de la vallée de la Roya qui ont subi de grandes inondations en octobre 2020, en connaissent malheureusement la douloureuse expérience, avec l‘incapacité de trouver des assurances aujourd’hui.

Nos plans d’adaptation nationaux et européens ne sont pas à la hauteur de cette révolution à penser dans l’aménagement des villes, des campagnes et des forêts. Le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique attendu depuis 2023 et présenté en mars 2025, se positionne lui aussi sur le scenario à + 4°C en 2100 (+ 2,7 ° en 2050). Il est cependant critiqué pour ses moyens insuffisants, alors que des coupes budgétaires sont actuellement réalisées dans toutes les politiques environnementales.

Un sujet difficile est de permettre une maîtrise foncière efficace pour agir vite. C’est le problème aussi de la lutte contre l’habitat indigne, paralysée par des procédures interminables et coûteuses. Aujourd’hui, les élus locaux sont confrontés à ce qu’ils vivent comme des injonctions contradictoires : construire plus de logements, notamment sociaux (loi SRU), tout en protégeant les terres de l’artificialisation (loi ZAN). Une meilleure articulation entre les Code de l’Urbanisme, de l’Environnement, de la Construction et de l’Habitat, avec la création d’outils communs permettant de concilier les objectifs plutôt que de les opposer, devient une priorité. Trop souvent, la simplification à la tronçonneuse, très en vogue aujourd’hui, se résume à couper des moyens et des réglementations pour l’environnement, au lieu de les intégrer en appui des politiques d’habitat et d’urbanisme.

Dans le même temps, les politiques libérales s’attaquent aussi aux moyens publics de secours et d’intervention. Pourtant les « pompiers privés » des riches résidences en Californie ont été inefficaces contre les grands incendies. Les habitants de Valence en Espagne se sont mis en colère quand ils ont appris que le gouvernement local conservateur avait minimisé les risques météo, et tardé à demander du soutien à l’État espagnol dirigé par le parti socialiste, parce que le coût du recours à l’Unité Militaire d’Urgence était jugé trop élevé.

Ce qui coûte cher, ce ne sont pas les forces de sécurité civile, c’est l’adaptation réactive de crise et les dommages des catastrophes.

Marseille, une ville méditerranéenne aux avant-postes

Comme Valence ou Barcelone, Marseille est une grande ville côtière de Méditerranée confrontée à des changements climatiques majeurs. La Ville s’est récemment engagée dans un Contrat de Ville Climatique qui agit sur des politique publiques structurantes. Il était grand temps !

Parmi toutes les mesures nécessaires, insistons sur la protection des posidonies, puits de carbone plus efficace que la forêt amazonienne, pour s’adapter et atténuer le changement climatique.

Bien des efforts restent à faire sur l’alimentation, l’industrie, l’habitat, la mobilité, la gestion de l’eau. A Marseille, les émissions de CO2 proviennent essentiellement des transports longue distance, déplacements pendulaires, flux autoroutiers Marseille-Aix, Marseille Ouest Etang de Berre. Ce dernier point montre l’importance d’investissements structurants comme le projet ferroviaire Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur, et d’un renforcement du plan de transports métropolitain pour réduire les flux autoroutiers de la voiture thermique.

Cependant, ce contrat climatique sous-estime encore l’importance d’intégrer une vraie politique de gestion des risques et de renfort de la sécurité civile. Ce sera un des enjeux majeurs du prochain mandat. La ville a cette particularité de bénéficier déjà d’un corps de marins-pompiers très efficace et apprécié de la population. Initialement institué comme une sanction de l’État face à l’incapacité de la Ville à sauver des vies dans l’incendie des Nouvelles Galeries en 1938, cette unité militaire de pompiers devient aujourd’hui un atout majeur. Constitué de 2500 militaires et civils, leurs budget est financé par la Ville et par l’État.

Bien au-delà des 128 000 interventions d’urgence par an qu’ils réalisent, leurs bases de données dans l’urbanisme, leur connaissance du terrain mais aussi leurs projets de recherche et d’innovation en font un service support transversal pour l’anticipation et la gestion des risques. Les marins-pompiers se sont distinguées dans la lutte contre l’habitat indigne et surtout dans la crise sanitaire où ils ont innové dans la capacité à analyser et suivre les différents variants du COVID dans les eaux usées. Ils sont en capacité de participer à des projets de recherche européens.

En sauvant des vies tous les jours, les forces de secours transmettent un message universel qui semblait évident il y a quelques années, mais qui redevient précieux aujourd’hui : celle de la vulnérabilité de l’humain et de la nécessaire action collective pour se protéger. Alors que les argumentaires sur le climat sont malheureusement dénigrés à cause de leur complexité, la simplicité et l’efficacité des forces de protection civiles en font les meilleurs alliés des politiques environnementales.

Sophie Camard

Le racisme anti-musulman tue, la République punira sans trembler

Vendredi 25 avril 2025, un fidèle musulman Aboubakar a été assassiné dans la mosquée de La Grand Combe, poignardé de plusieurs dizaines de coups de couteau, par un homme qui a pris à la fuite après avoir proféré des insultes contre l’Islam.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa solidarité avec les proches de la victime et sa communauté.

Nous rappelons que les lois de la République garantissent au premier chef la liberté de conscience, la liberté de croyance et la liberté de culte : personne ne doit être inquiété ou menacé pour sa pratique religieuse (réelle ou supposée) quand le respect des règles collectives est assuré.

Il est donc du devoir des autorités publiques de prendre toutes les mesures pour renforcer la sécurité devant les lieux de culte et de tout mettre en œuvre pour arrêter le meurtrier : la justice devra ensuite faire son office avec toute la fermeté que requiert l’horreur de cet acte avec la circonstance aggravante d’un crime haineux et terroriste.

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite a trouvé une nouvelle manière d’habiller l’expression de son racisme, dimension essentielle de son idéologie. Pour rendre plus acceptable sa haine, elle a cherché à la maquiller en critique de l’Islam et de la place que cette confession occupe en France. Ce racisme anti-musulman n’est rien d’autre que la poursuite du racisme anti-maghrébin et anti-africain qui encourageait les « ratonnades » et les passages à tabac. Le changement de vocabulaire de l’extrême droite ne change pas le résultat final : il encourage comme avant le passage à l’acte et à la violence. Le meurtre d’Aboubacar ce vendredi nous rappelle à tous que le racisme … qu’il stigmatise les personnes à raison de leur origine, de leur aspect, de leur religion, de leur appartenance réelle ou supposée à tel ou tel groupe ethno-culturel … le racisme tue !

La République française est une république fondée sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Pour mettre en œuvre ces principes, elle est depuis 1905 laïque ce qui implique que toutes les confessions sont respectées de la même manière du moment qu’elles acceptent les lois de la République. Depuis cette date, c’est le cas de l’Islam comme toutes les autres ! Les autorités républicaines sauront le démontrer dans cette affaire en arrêtant et en punissant l’assassin de manière exemplaire.

C’est un enjeu de cohésion nationale.

Drapeaux en berne pour le pape François : « Non, la République n’a pas à porter le deuil d’un chef religieux » – tribune dans Marianne

Le gouvernement a décidé de mettre les drapeaux français en berne sur les bâtiments publics samedi 26 avril, jour des funérailles du pape François. Une décision que critiquent, dans cette tribune publiée dans Marianne le 24 avril 2025, plusieurs personnalités juridiques, associatives, politiques ou universitaires au nom de la laïcité.

En décidant de mettre les drapeaux en berne pour la mort du pape François, Emmanuel Macron engage la Nation dans un deuil qui n’a rien de républicain. Ce geste n’a rien d’automatique : la France ne l’a pas fait pour Benoît XVI, ni pour Jean-Paul Ier. Elle ne l’a accordé qu’à des figures dont le rayonnement dépassait tout cadre spirituel ou dogmatique – Nelson Mandela, la reine Elizabeth II, le roi Hussein de Jordanie.

Or le pape, quel qu’il soit, reste avant tout une autorité religieuse. François n’échappe pas à la règle. Chef d’un État dont la vocation première est religieuse, il est l’incarnation du dogme catholique. Si ses prises de position sur le climat ou les inégalités ont pu séduire au-delà de l’Église, elles ne font pas de lui une figure universelle dont les valeurs rejoignent celles de notre République.

Laïcité malmenée

Mettre les drapeaux en berne, c’est associer symboliquement l’ensemble de la République à cette peine. C’est demander à des millions de citoyens, croyants d’autres religions, agnostiques, athées ou indifférents, de porter un deuil qui n’est pas nécessairement le leur.

C’est une confusion grave entre ce qui relève de l’intime et ce qui engage l’État, le peuple, la nation. Dans une République laïque, on ne pleure pas au nom de tous en fonction d’un culte.
Ce n’est pas la première fois que le président malmène la laïcité. On se souvient de son discours aux évêques de France, appelant à « réparer le lien abîmé » entre l’Église et l’État.

De sa visite au Vatican, assumée comme une démarche « intime ». D’un déjeuner à l’Élysée avec bénédiction à la clé. Le report d’un projet de loi sur la fin de vie en raison de la venue de ce même pape. Plus récemment, il a allumé les bougies de Hanouka dans les salons de la République. À chaque fois, la même logique, la même confusion entre l’observance d’un principe fondamental de notre République qui impose à l’État la neutralité à l’égard des cultes et une laïcité édulcorée, envisagée comme sensible à tel ou tel culte selon les circonstances. Mais la laïcité n’est pas et ne doit pas être un principe à géométrie variable ! La laïcité n’est pas la coexistence des religions sous le regard bienveillant de l’État. Ce n’est pas un dialogue interreligieux orchestré depuis l’Élysée. Ce n’est pas l’État qui s’incline devant les dogmes.

La laïcité, c’est la séparation. C’est la liberté absolue pour chaque citoyen de croire, de ne pas croire, de ne pas savoir, de douter, de changer d’avis ou d’être indifférent à la chose religieuse. C’est la possibilité d’afficher ce que sont ses convictions dans le cadre de la loi, mais aussi de les garder pour soi si on le souhaite. Et le seul moyen d’assurer cela, réside dans la neutralité stricte de l’État face à toutes les croyances. C’est une République qui protège toutes les consciences, tous les individus, chaque citoyen sans préférence.

Ne pas ménager les sensibilités

À l’approche des 120 ans de la loi de 1905, il est plus que temps de remettre les pendules à l’heure. Cette loi fondatrice n’a pas instauré un quelconque respect qui serait dû aux religions – elle les a sorties de la sphère publique pour garantir la liberté de tous. Elle ne visait pas à ménager les susceptibilités religieuses, mais à permettre la souveraineté de l’espace civil et politique, un espace autonome, affranchie des dogmes.

Les bâtiments publics sont les temples de la République, pas ceux de la foi. Les drapeaux tricolores n’ont pas à s’abaisser pour honorer un chef religieux, aussi respecté et aussi respectable soit-il. Chacun est libre d’éprouver du chagrin. Mais personne ne peut imposer son ressenti à la communauté nationale toute entière.

La laïcité n’est pas la négation de la foi : elle est la condition de sa liberté. Mais la République ne peut être le réceptacle d’une seule partie de la population et de sa peine légitime. Elle ne reconnaît que les citoyens qui la composent, en cette seule qualité.

Signataires :

  • Guillaume AGULLO, Référent Occitanie Printemps Républicain
  • Cyprien ASSEH, Militant PS et Génération Charlie
  • Pierre Nicolas BAPT, Vice-Président du PRG31 et référent du PRG à Toulouse
  • Younès BEN HADOU, Référent jeunes du Printemps Républicain
  • Béatrice BENABBES, Professeur d’espagnol, Vigilance Collèges Lycées
  • Rouven BRANENBERG, Juriste, Secrétaire général du Printemps Républicain
  • Marika BRET, Essayiste, Présidente Printemps Républicain
  • Florence BRUTUS, Vice-Présidente de la Région Occitanie (PRG)
  • Christelle CABANIS, Conseillère départementale du Tarn (PRG)
  • Joseph CARLES, Maire de Blagnac (31) et Vice-Président de Toulouse Métropole
  • Guylain CHEVRIER, Co-fondateur Vigilance Travail Social
  • Nicolas COSTES, Militant associatif
  • Carole DELGA, Présidente de la Région Occitanie
  • Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur (PS) du Rhône
  • Lucas DUVAL, Millitant associatif et politique
  • Galina ELBAZ, Avocate au Barreau de Paris
  • Cécile FADAT, Élue et militante socialiste
  • Sébastien FAGNEN, Sénateur (PS) de la Manche
  • Philippe FOUSSIER, Vice-Président d’Unité Laïque
  • Vincent GAREL, Conseiller Régional d’Occitanie
  • Emmanuel GELLMAN, Printemps Républicain
  • France GERBAL-MEDALLE, Docteur en géographie
  • Delphine GIRARD, Vigilance Collèges Lycées
  • Floriane GOUGET, Étudiante
  • Jean-François GRILLET, Directeur Général Rezo 1901 et référent Rhône Alpes Printemps Républicain
  • Jérôme GUEDJ, Député socialiste de l’Essonne
  • Franck GUEGUENIAT, Porte-parole du PRG, Maire d’Épron (14)
  • Éric JEANSANNETAS, Sénateur de la Creuse
  • Pierre JUSTON, Militant PS
  • Arthur LABATUT, Président des JRG
  • Guillaume LACROIX, Président du PRG
  • Vincent LAUTARD, Directeur dans le secteur de la santé
  • Martin LOM, Journaliste et Président de Génération Charlie
  • Maxime LOTH, Étudiant à Sciences Po Paris, responsable du Printemps Républicain à Sciences Po et militant à la LICRA
  • Mohamed MAAFRI, Adjoint au Maire de Blagnac (31)
  • Kamyar MAJDFAR, Directeur Général de l’UES LE&C
  • Emmanuel MAUREL, Député (GRS) du Val d’Oise
  • Karan MERSH, Professeur de philosophie
  • Julien MIDALI, Militant du PRG
  • Franck MONTAUGÉ, Sénateur du Gers
  • Patrice MUR, Militant du PRG
  • Monique NOVARETTI, Conseillère régionale d’Occitanie (PRG)
  • Pierre OUZOULIAS, Sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine
  • Henri PEÑA-RUIZ, Philosophe, auteur du “Dictionnaire amoureux de la laïcité”
  • Nicolas PENIN, Grand Maitre du GODF
  • Laurence ROSSIGNOL, Sénatrice (PS) du Val-de-Marne
  • Jean Pierre SAKOUN, Président d’Unité Laïque
  • Stéphanie SENSE, Conseillère régionale d’Occitanie (PRG)
  • Florence SIGUIER, Cheffe d’entreprise
  • Sophie TAIEB, Référent Hauts de France Printemps Républicain
  • Mickaël VALLET, Sénateur de Charente-Maritime
  • Paul Alexandre VOISIN, Co-fondateur Vigilance Travail Social et Référent Occitanie Printemps Républicain
  • Arlette ZILBERG, Porte-parole du collectif Les CitadElles

La dette a remplacé l’impôt au profit des plus riches

Voici la représentation la plus saisissante sur combien la politique de l’offre, en appauvrissent l’Etat, enrichit les riches.

L’épargne des ménages a progressé du montant des recettes fiscales manquant à l’Etat.

Les ménages riches n’ont pas consommé ni investi l’épargne dans l’économie privée.

Ils ont acheté des bons du trésor (Le mécanisme est beaucoup plus complexe, mais en fin de compte ça revient à ça) : au lieu de lever l’impôt, l’État a redonné l’argent de l’impôt aux riches qui prêtent cet argent à l’État contre des taux d’intérêts. Ce serait plus simple et moins coûteux de revenir à l’imposition

Par ailleurs, la théorie selon quoi l’épargne finance l’investissement des entreprises est ici contredite (une nouvelle fois) de manière éclatante. L’État aurait investi ces fonds, l’impact sur l’économie privée aurait été plus bénéfique que ce que prévoyait la « politique de l’offre ».

La politique de l’offre n’a pas « libéré les énergies productives » ni « redonné de la compétitivité » et encore moins « rétabli les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir ». Elle a alimenté la reconstitution du grand facteur de consolidation bourgeoise du XIXème siècle : la rente.

Notons par ailleurs que les politiques « pro business » ont créé des dizaines de mécanismes d’évitement de l’impôt sur les sociétés des multinationales.

C’est ce qui permet aux entreprises du CAC40 d’être 3 fois moins imposées que la PME artisanale, le restaurateur, ou la boulangerie.

Pour la France seulement, dans un papier écrit par le ministre des finances danois, le banquier central et l’économiste Gabriel Zucmann, le manque à gagner est de 23 milliards d’euros. C’est plus de la moitié de ce que le gouvernement français, en avril 2025, dit chercher comme économies pour boucler son prochain budget.

Créer des mécanismes d’évitement de l’impôt n’a pas suscité des investissements dans l’économie privée. En augmentant la rémunération du capital par le dividende et l’augmentation des valeurs boursières, la politique de l’offre a transformé la recette fiscale en réserves de liquidités accumulées par les plus riches, qui l’utilisent pour … prêter à l’État contre des intérêts.

C’était avant la première guerre mondiale un des arguments des bourgeois rentiers refusant l’impôt sur le revenu : ils participaient déjà au financement de l’État en achetant des bons du trésor. Les imposer leur ferait fuiter les capitaux et l’État perdrait en financement.

La réalité fut bien sûr toute autre. D’ailleurs, la période la plus longue de prospérité équitablement partagée entre travail et capital dans le monde démocratique a lieu lorsque les taux d’impôts sur le revenu sont confiscatoires pour les plus riches, les obligeant à investir plutôt qu’à accumuler de l’épargne : les trente glorieuses 1945-1975.

Il fallut plusieurs crises financières, dont celle de 1905 et celle, moins connue, de 1914, pour qu’un économiste bourgeois se rende compte du caractère suicidaire du système et propose une nouvelle manière d’agir et de penser : la politique de la demande.

Appliquée dès 1914, ses recommandations permirent à la Grande Bretagne de financer l’effort de guerre des alliés.

Elles ont ensuite accompagné le plan de reconstruction de l’Europe dès 1945. Cet économiste bourgeois et libéral, c’était John Maynard Keynes.

Mathieu Pouydesseau

Renaissance de l’Alliance du Nord en Afghanistan et déménagement de la base logistique de l’OEI-K en Somalie

Nous publions avec son accord un article d’analyse des mouvements politiques en cours en Asie centrale de David Gaüzère, Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). L’article a été publié initialement sur le site du centre français de recherche sur le renseignement.

1. Renaissance de l’Alliance du Nord

La (nouvelle) Alliance du Nord a revu le jour le 4 avril 2025 en Afghanistan avec la fusion des forces d’Ahmad Massoud (FNR) et de Yassin Zia (Front Azadi).

Après la chute de Kaboul en août 2021, chacun aurait pu penser que les taliban contrôlaient l’ensemble de l’Afghanistan. C’était sans compter sur la résistance de la vallée du Panchir, à la renommée légendaire, qui aujourd’hui encore échappe en grande partie à la domination talibane. Là, ont apparu deux fronts de résistance, au départ concurrentiels, puis ayant opéré depuis deux ans un rapprochement, ayant abouti le 4 avril 2025 à leur unification dans une nouvelle Alliance du Nord.

Cette unification opérée entre le Front National de la Résistance (FNR), dirigé par Ahmad Massoud (fils du général Ahmed Chah Massoud), et le Front Azadi, dirigé par le général Yassin Zia (ancien chef d’état-major de l’armée nationale afghane), a essentiellement été l’œuvre d’un homme : Amroullah Saleh, l’ancien chef du renseignement afghan, aujourd’hui président par intérim de la République islamique d’Afghanistan et chef de l’organisation « Tendance verte » d’Afghanistan.

Ces trois artisans de la nouvelle Alliance du Nord sont tous d’ethnie tadjike. Pourtant, les oppositions claniques et leur formation militaire ont souvent conduit, par le passé, à de vives rivalités entre eux. Aujourd’hui mises sous le boisseau, leurs anciennes divergences apportent au contraire, d’un point de vue militaire, une certaine complémentarité à la nouvelle alliance : Massoud supervise désormais la guérilla en zone rurale, dans le Pantchir et dans les provinces du nord et de l’ouest de l’Afghanistan (Baghlan, Takhar, Ghor, Parwan, Badakhchan, Badghis, Hérat) et autour de Kaboul, tandis que Zia gère la coordination des opérations urbaines (Kaboul, Koundouz, Mazar-i-Charif…). Massoud est plutôt soutenu par l’Occident, Zia par la Russie[1].

En dessous d’eux, les commandants militaires qui ont été désignés depuis le 4 avril dernier et sont les suivants[2] :

  1. Khalid Amiri
  2. Hasib Qouvvai Markaz
  3. Baryalai Sangin
  4. Wazir Choutoul
  5. Ghani Chomahmoud
  6. Moullah Nazouk Mir
  7. Mounib Amiri
  8. Hamid Saifi
  9. Said Yesin Saddod
  10. Rahmon Khoust.

Parallèlement, quelques mois auparavant, le 7 décembre 2024, un groupe de personnalités politiques afghanes de premier plan avait annoncé la création d’une nouvelle coalition : « l’Assemblée nationale pour le salut de l’Afghanistan », ainsi que l’a rapporté Amu.tv, la chaîne TV d’opposition afghane basée aux États-Unis.

L’objectif déclaré de la nouvelle union politique était de « résoudre la crise actuelle dans le pays et de faire face au régime des taliban ». La nouvelle coalition, présentée lors d’une réunion virtuelle le vendredi 6 décembre, comprenait des personnalités politiques telles qu’Ahmad Massoud, Atta Mohammad Nour, le maréchal Abdoul Rachid Dostom, Karim Khalili, Salahouddin Rabbani, Omar Daoudzai, Rahmatoullah Nabil, Mohammad Mohaqqiq, Abdoul Rab Raosul Sayyaf, Mohammad Ismail Khan, Younous Qanouni, Sarwar Danich, Rahela Dostom, Chah Jahan, Abdul Haq Chafaq, Tadin Khan et Sadeq Madbour. Les membres de la nouvelle coalition ont alors déclaré avoir décidé de « coordonner leurs efforts pour sauver l’Afghanistan de son état actuel de toubles et créer un front uni contre le régime taliban[3] ».

La nouvelle Alliance du Nord ne contrôle pas (encore) la même étendue territoriale que celle pilotée par feu le général Massoud entre 1996 et 2001. Cependant, de mieux en mieux coordonnée dans ses activités et étendant son action à d’autres provinces afghanes en coordination avec d’autres mouvements locaux anti-taliban – mouvements autonomistes des loya djirga[4] pachtoune de Khyber (le 14 octobre 2024), baloutche de Nimzoz, hazara de Bamyan, ouzbèke de Mazar-i-Charif., etc. –, elle pourrait profiter des dissensions internes actuelles au sein des taliban. En effet, depuis le 5 février, ces derniers, disposent de deux directions politique et militaire – dirigées par le ministre de la Justice Sirajouddin Haqqani, à Kaboul, et le chef politico-religieux des taliban Haibatoullah Akhounzada, à Kandahar – qui se regardent en chiens de faïence et en viennent parfois aux mains : les escarmouches entre leurs milices respectives sont hebdomadaires. Les chefs de ces deux factions se déplacent souvent afin de mobiliser leurs partisans et Haqqani, à la recherche opportuniste d’une reconnaissance internationale, modère désormais son discours et approche régulièrement des représentants américains à Kaboul ou à Dubaï[5].

En parallèle, les protagonistes de la nouvelle Alliance du Nord trouvent de plus en plus d’écoute à l’international : le 18 février 2025, la Conférence de Vienne a réuni les principaux dirigeants des groupes politiques et publics afghans opposés au régime taliban. L’événement principal de cette conférence a été la participation des dirigeants des deux principaux groupes de la résistance armée anti-talibane, Massoud et Zia, assis pour la première fois autour d’une même table. La nouvelle administration américaine s’était parallèlement montrée aussi discrète qu’active dans le processus d’unification de l’opposition non-islamiste afghane. En même temps, de hauts responsables des services de renseignement du Pakistan (ISI) se sont récemment rendus à Douchanbé, au Tadjikistan, où ils ont non seulement discuté des perspectives de coopération pakistano-tadjike dans la lutte contre le terrorisme, mais également rencontré des représentants du FNR. Ils ont ainsi permis le retournement de la position d’Islamabad, fin décembre 2024, lassé de ne plus pouvoir contrôler les talibans. La nouvelle Alliance du Nord conserve par ailleurs ses soutiens traditionnels indien et iranien et peut compter sur des relais en Russie et en Chine[6].

2. Confirmation du déménagement de la base logistique et financière de l’OEI-K en Somalie

Le déménagement de la base logistique et financière de l’Organisation État-islamique au Khorasan (OEI-K, héritière désignée de Daech, elle coordonne désormais les autres filiales internationales de l’organisation), en Somalie, envisagé depuis 2023, a été réactivé en mars dernier. Cette base est située au Puntland, une partie pauvre et irrédentiste de la Somalie, non contrôlée par Mogadiscio. Sa localisation précise n’a pas encore été identifiée (près de Bosasso, la « capitale » économique, sous contrôle islamiste, dans le district de Bari ?).

Ce déménagement ne changera en rien aux activités et actions de l’OEI-K dans sa zone afghano-centrasiatique. En prenant pied en Somalie, l’organisation cherche simplement à bénéficier d’une meilleure localisation pour coordonner ses activités dans le monde et renforcer sa visibilité. Son idée est de créer une « capitale », un point d’ancrage central pour ses différentes « filiales » internationales disposant d’une meilleure « accessibilité »

La zone est idéalement située : en face d’Aden au Yémen, en proie aux désordres internes (Houthis, AQPA, OEI-Yémen), et au carrefour de la mer Rouge et de l’océan Indien[7]. Elle est également située à proximité du Somaliland, l’ancienne partie britannique de la Somalie, indépendante de facto mais pas de jure (elle n’est reconnue par aucun État au niveau international), mais prospère grâce aux trafics : cash (grâce à l’hawala[8]), mais aussi trafics d’armes[9] et de qat.

Non loin du Pakistan et des Émirats du golfe Persique, cette base va également servir à mieux redistribuer le cash des différentes filiales internationales de l’organisation et à capter les donations des hommes d’affaires pakistanais et du Golfe, idéologiquement proches d’elle. L’OEI-K projette également d’y installer un « bureau politique informel » composé de représentants des différentes filiales mondiales de l’État islamique.

Cette base ne devrait pas servir à mener des opérations de grande envergure. Après plusieurs combats meurtriers entre eux, l’OEI-Somalie (OEI-S) et les Shabaab (liés à Al-Qaïda) seraient parvenus à un accord de partage territorial : à l’OEI-S, le Puntland, aux Shabaab, la Somalie mogadiscienne (Garoowe, la capitale politique du Puntland reste aux mains d’un gouvernement local laïc et indépendantiste)[10]. La nouvelle base logistique et financière de l’OEI-K ne devrait donc comprendre qu’un personnel réduit et « international », uniquement dévoué à la gestion de la logistique mondiale de l’organisation djihadiste[11].

Face à cette évolution, les États-Unis ont mené le 30 mars 2025 une nouvelle frappe aérienne sur des cibles de l’OEI-S au Puntland, tuant « de multiples combattants » a annoncé le commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM). Cette opération coordonnée par l’AFRICOM et le gouvernement fédéral somalien a visé de « multiples cibles de l’EI en Somalie, au sud-est de la ville de Bosasso, dans la région semi-autonome du Puntland », a indiqué cette source dans un communiqué. Cette frappe fait suite à une précédente frappe menée par l’armée américaine dans la même région le 2 février dernier[12].

[1] https://x.com/AfghanAnalyst2/status/1777253591654224063

https://cf2r.org/actualite/les-islamistes-lancent-le-djihad-antichinois-en-asie-centrale

https://ecrats.org/ru/archive/facts_of_terrorism/10532

[2] https://t.me/anserenko/7894

[3] https://amu.tv/141935

https://t.me/anserenko/7588

[4] Grande assemblée de chefs de clans.

[5] https://tribune.com.pk/story/2469224/rising-armed-resistance-in-afghanistan

[6] https://www.viennaprocess.org/4th-vienna-conference-for-a-democratic-afghanistan

https://www.ng.ru/kartblansh/2025-03-03/3_9204_kb.html

[7] https://x.com/GlobPeaceIndex/status/1897240793447883090/photo/1

[8] Réseau informel de transfert de fonds par le biais de courtiers non déclarés (opacité totale, sans aucune base légale, utilisation de cryptomonnaies, blanchiment…).

[9] Les trafics d’armes sont notamment réguliers en lien avec le Joundallah, la filiale baloutche iranienne de l’OEI-K.

[10] Le Somaliland n’est pas impacté, car il est la plaque tournante régionale du blanchiment de l’argent des acteurs en conflit.

[11] https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/somalia/islamic-state-somalia-responding-evolving-threat

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250113-la-branche-somalienne-de-l-ei-nouveau-maillon-fort-de-l-organisation-jihadiste

[12] https://www.lefigaro.fr/international/les-etats-unis-menent-une-nouvelle-frappe-aerienne-contre-daech-en-somalie-20250330

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/03/en-somalie-les-frappes-americaines-ont-neutralise-des-figures-clefs-de-l-etat-islamique-selon-le-gouvernement-regional_6529150_3212.html

« Ferroviaire : a-t-on abandonné le centre de la France ? » – France Culture, la question du jour, avec Chloé Petat [podcast et vidéo]

Mardi 15 avril, 400 usagers des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) se sont rendus à Paris pour alerter sur l’état du service proposé par la SNCF dans leur région. Retards et vétusté des rames, comment expliquer une telle situation sur ce territoire ?

Le mercredi 16 avril 2025 à 7h15 Chloé Petat était l’invitée de Guillaume Erner et de Marguerite Catton dans la « question du jour » des Matins de France Culture pour faire le point sur le dossier.

En podcast :

À bord des « trains de la colère », des centaines d’habitants du centre de la France ont débarqué à Paris hier, pour manifester leur mécontentement face aux multiples retards et dysfonctionnements des trains Intercités qui maillent leur territoire. Si le réseau ferroviaire paraît particulièrement vétuste sur l’ensemble du territoire, quelle est la spécificité de cette région et de ces lignes ? Pourquoi parle-t-on d' »enclave ferroviaire » et comment la SNCF a-t-elle prévu de remédier à cette situation face à la demande croissante en mobilité ferroviaire ?

en vidéo :

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.