Défense (3/6) : L’Union européenne préfère la géo-économie à la géopolitique

Nicolas Ravailhe, professeur à l’École de guerre économique et avocat au barreau de Bruxelles (droit européen), propose une chronique sur la guerre économique entre les États-Unis et l’Europe dans le domaine de la défense en six volets. Ces articles ont été initialement publiés dans La Tribune.

Troisième partie, sous l’influence de l’Europe du Nord, l’Union Européenne ne fait pas de géopolitique via les armées des États membres, mais de la géo-économie.

Le 24 février 2025, Emmanuel Macron a réuni à Paris les États européens pouvant aider à sécuriser un accord entre les Etats-Unis et la Russie dans l’hypothèse d’une évolution favorable du conflit russo-ukrainien. Il est étrange d’envoyer des soldats français, aux frais du contribuable français, en Ukraine pour un accord auquel nous ne sommes pas partie et surtout pour protéger des intérêts économiques américains et allemands en Ukraine. Sans doute sensible aux soutiens européens mais lucide, le président ukrainien ne semble pas croire en l’efficacité des Européens. Volodymyr Zelensky a davantage besoin d’un soutien américain. Il n’a donc accepté de céder des « terres rares » aux Américains qu’en garantie de la protection de l’Ukraine. A la suite de l’accord intervenu entre eux, les ventes d’armes américaines ont repris.

Les Etats-Unis défendent leurs intérêts et n’allaient quand même pas renoncer à faire coup double : prédations économiques civiles – cf. la Banque mondiale montrant les montants très importants d’investissements directs étrangers américains en Ukraine – et exportations d’armement.

Ne pas gêner les Américains

L’Europe n’entend pas se mêler des négociations inhérentes à ce conflit, sauf pour les faciliter et même si elles ont des conséquences sur son flanc Est. La priorité de l’Union européenne (UE), c’est l’économie sans gêner les USA. Le jour où Emmanuel Macron a reçu des Européens à Paris pour discuter géopolitique, la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen a dépêché à Washington le commissaire au commerce, Maros Sefcovic. Ce dernier a donc eu pour mission de promettre davantage d’achats par l’Europe d’armes et de gaz liquide « made in USA ».

Pourtant, la Commission européenne n’a pas de compétence pour décider des acquisitions d’armes par les États membres. La souveraineté numérique des Européens est également sacrifiée et les GAFAM, Apple et Meta, qui ont violé le droit européen, se voient infliger des amendes réduites.

Vers des achats d’armes américaines

Les achats d’armes aux USA demeurent en « pole position » des négociations. Cette démarche est d’autant plus déployée que depuis des mois, la présidente de la Commission européenne, après avoir retiré la compétence défense du portefeuille du commissaire français, pousse la création d’un marché intérieur européen de la défense. Ce dernier aura vocation à structurer les commandes des États, sans réels éléments de souveraineté européenne. Les initiatives en ce sens avancent, par exemple le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP) ou les propositions de modification de directives : « Omnibus défense » et « marchés publics ».

Si la création du marché intérieur de la défense rencontre des difficultés en raison de la complexité juridique des traités européens, le think tank Brugel est activé pour pallier les difficultés. En effet, Brugel a publié une proposition tendant à structurer la commande des Européens en matière de défense à travers un « mécanisme européen de défense » sur base ad-hoc des institutions de l’UE. Dans une autre note, il suggère également de taxer les États récalcitrants. Ce n’est pas sans écho à la demande américaine d’atteindre des montants de dépenses de défense à hauteur de 5 % du PIB des États.

Considérant les promesses répétées encore très récemment d’achats d’armes aux Etats-Unis et l’absence d’accord en Europe sur la notion d’armement souverain européen, on peut légitimement craindre qu’un marché intérieur de la défense, comme toute démarche connexe, affecte notre souveraineté. On pourrait résumer ainsi la situation : aux Français les ronds dans l’eau géopolitiques sans effet et à l’UE – sous contrôle des autres États – d’aller sécuriser les intérêts économiques des Européens aux Etats-Unis et ailleurs.

Contrarier davantage les USA aurait en effet des répercussions pour le commerce européen dans d’autres parties du monde. « Vivons cachés pour ne pas défier les Etats-Unis, vivons heureux », telle pourrait être la maxime de l’Européen en matière de géopolitique. Pour les Européens, la priorité est au business dans les secteurs où les Etats-Unis sont faibles et il ne faut pas défier les Américains dans les domaines où ils sont forts.

Des enjeux économiques colossaux

Il faut bien reconnaître que l’enjeu est de taille. En valeur absolue, l’UE est passée de 158 milliards d’euros d’excédents en matière de commerce de biens avec les Etats-Unis en 2023 à 198 milliards en 2024. Certes, ces données sont pondérées par un déficit récurrent d’environ 100 milliards d’euros sur les services. Les importations de services n’affectent cependant pas davantage les États européens très exportateurs aux Etats-Unis que les autres. La consommation de services américains en France contribue même à la protection des exportations de biens allemands aux Etats-Unis. D’où le troc européen qui consiste à ne pas affecter l’économie numérique américaine en Europe en échange d’une absence de taxation des biens européens aux Etats-Unis.

Des logiques d’optimisation de fonds européens et d’évasion fiscale au profit d’entreprises américaines en Europe, via l’Irlande, sont aussi à prendre en compte. L’Irlande, qui est peu peuplée et dont la superficie permettant de produire sur son sol est peu étendue, a des excédents records aux Etats-Unis, 50 milliards d’euros en 2024.Des liens anciens et étroits avec les Etats-Unis en font un parfait cheval de Troie en Europe au profit de multinationales américaines. L’Allemagne laisse faire et anéantit toute tentative dans l’UE de mettre un terme aux dumpings irlandais. Il ne faudrait pas « fâcher » des acteurs économiques américains influents.

L’Europe gagnante dans les échanges commerciaux

Force est de constater qu’en moyenne, les Européens sont gagnants dans les échanges commerciaux avec les Etats-Unis depuis des décennies. Mais tout dépend de qui l’on entend par Européens… Ce sont les États membres et les députés européens des États gagnants qui dirigent l’UE. Des intérêts divergents apparaissent dans la ventilation des excédents et des déficits.

Concernant les biens, l’Allemagne est toujours numéro un, l’Irlande et l’Italie, selon les années, se partagent la deuxième place. On comprend que l’attrait de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, pour le nouveau président des Etats-Unis n’est pas qu’idéologique. Suite aux intentions affichées de Donald Trump de taxer les produits européens, il est aisé de constater que les milieux d’affaires italiens sont très mobilisés pour éviter de telles mesures outre-Atlantique. A l’instar des Allemands et des Irlandais, ils ont aussi œuvré pour contenir les possibles répliques européennes.

D’autres pays ont des logiques inversées. La Belgique et, plus encore, les Pays-Bas, ont opté pour aider les importations en Europe de biens fabriqués aux Etats-Unis. Alliés de la Chine, des Etats-Unis, comme de tous ceux qui veulent exporter en Europe, ces États mobilisent leurs infrastructures portuaires pour ensuite revendre ces biens aux autres Européens via les dispositions de l’article 28 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les États importateurs s’enrichissent ainsi en gardant une partie des droits de douane perçus par l’UE – 25 % pour le premier État importateur en Europe – et leurs entreprises engrangent des marges en revendant ces produits dans le marché intérieur européen. Les statistiques de l’UE en sont faussées. Il ne s’agit pas d’importations qui restent, par exemple, aux Pays-Bas ou en Belgique. Eurostat appelle ce procédé, « l’effet Rotterdam ». En conséquence, quand la France pense avoir un léger excédent dans ses échanges de biens avec les Etats-Unis, elle a en réalité un déficit

France/Etats-Unis : Déficit commercial

En effet, il est nécessaire de prendre en considération une partie des milliards d’euros de déficit des Pays-Bas qui sera revendue en France. C’est dans le marché intérieur européen que notre pays connaît son plus grand déficit commercial (- 149 milliards d’euros en 2022). Les Pays-Bas ont quant à eux des excédents énormes (+ 327 milliards en 2002). Pays exportateur et/ou importateur, l’Allemagne régule les deux fonctions dans la relation économique avec les Etast-Unis. Les intérêts des États membres de l’UE sont donc divergents.

Toutefois, une écrasante majorité des États membres a décidé d’utiliser le commerce des armements comme outil de régulation des intérêts civils. En matière de défense, l’Allemagne va même jusqu’à refuser d’acheter ce qu’elle produit. La commande d’hélicoptères américains Apache en est une des illustrations. L’Allemagne n’achète jamais français et n’indique pas vouloir changer de stratégie. Coopérer dans la défense nucléaire n’est pas acheter.

Coopérer dans l’armement terrestre signifie absorber les entreprises françaises. Un projet de char incluant 11 États membres – sans la France – et avec les entreprises KNDS et Rheinmetall vient d’être sélectionné dans le cadre du Fonds européen de défense (FEDef). Les promoteurs du MGCS Franco-allemand avec KNDS devraient être perplexes. En matière navale, la concurrence fait rage. Dans les secteurs de l’aéronautique et du spatial, les blocages sont nombreux et les intérêts de pays tiers, notamment américains, rodent en permanence dans les politiques et les programmes européens.

Nicolas Ravailhe

(à suivre)

Défense (2/6) : Pourquoi les marchés de défense alimentent un troc entre Européens et Américains

Nicolas Ravailhe, professeur à l’École de guerre économique et avocat au barreau de Bruxelles (droit européen), propose une chronique sur la guerre économique entre les États-Unis et l’Europe dans le domaine de la défense en six volets. Ces articles ont été initialement publiés dans La Tribune.

Deuxième partie avec le double jeu de l’Allemagne, qui a beaucoup à perdre à s’investir dans une Europe de la défense. Berlin préfère acheter des armes américaines afin de protéger son excédent commercial plantureux vis-à-vis des États-Unis.

Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, connaît parfaitement les intérêts de son pays aux États-Unis comme ceux des États-Unis dans son pays. Ces intérêts sont constants. Pour agir auprès du président américain dans le but de protéger les intérêts civils allemands aux États-Unis, l’aide la plus précieuse est souvent apportée par les entreprises américaines qui ont des intérêts en Europe ou aux États-Unis avec des Européens, par exemple des vendeurs de F-35.

L’Allemagne a bien écouté le discours du président Eisenhower sur la puissance de lobbying du complexe militaro-industriel aux États-Unis. Elle n’est pas la seule. Beaucoup d’États européens pratiquent donc une stratégie que l’on pourrait qualifier « à la cosaque ». Ils laissent les États-Unis pénétrer certains secteurs de leur économie par des entreprises américaines du secteur de la défense pour mieux sécuriser leurs intérêts dans les marchés civils aux États-Unis. L’Union européenne (certes pas tous les États membres) y réalise globalement des milliards d’euros d’excédents et ceux-ci sont en forte croissance (198 milliards d’euros d’excédents en 2024 dans le commerce des biens). Les commandes d’armes américaines en Europe sont la meilleure des protection de cet excédent aux USA.

Les groupes américains très présents en Europe

Clairement, une addiction américaines aux contrats de défense juteux en Europe est installée. Ces acteurs économiques américains très influents dans leur pays aideront souvent des Européens contre les intérêts d’autres entreprises américaines dans le secteur civil. Les contre-pouvoirs aux États-Unis sont aussi parfaitement étudiés par les Européens afin de diviser les intérêts américains. Par exemple, en s’équipant d’armes américaines depuis des décennies, l’Allemagne a conquis en contrepartie – une forme de troc – des parts de marché très importantes aux États-Unis, notamment sur le marché automobile.

Les économies allemande et américaines sont très imbriquées. Des investissements réciproques sont opérés entre l’Allemagne et les États-Unis depuis des décennies. Une grande partie des excédents commerciaux allemands – plus de 2 000 milliards d’euros dans le monde entier en dix ans – est réinvestie aux États-Unis. L’Allemagne a utilisé pendant des années la liberté offerte par le droit du marché intérieur européen afin d’opérer des acquisitions de matériels de défense produits aux États-Unis. Le droit de la concurrence et la législation / les normes communes aux Européens sont inopérants en l’espèce. Pour les biens civils, il en irait autrement.

Si l’Allemagne n’avait pas acheté « made in USA » pour sa défense, les États-Unis auraient eu intérêt à taxer bien davantage les biens civils produits en Allemagne et importés sur leur territoire. Jusqu’alors les États-Unis se sont abstenus d’agir – en ce compris lors du premier mandat de Donald Trump et rien n’est clair pour le second –, en grande partie en raison du lobbying efficace des exportateurs d’armes américains en Europe.

Il est manifeste que les commandes massives de matériels de défense « made in USA » en Europe ont atténué l’intensité de la guerre commerciale entre l’Union Européenne (UE) et les États-Unis. Le président du Conseil européen, António Costa, a d’ailleurs déclaré au Wall Street Journal, le 30 juin 2025, qu’une « grande partie de ces 5% (de PIB européens consacrés à la défense) sera dépensée pour acheter des produits américains, et cela aidera à rééquilibrer les relations commerciales ». Le secteur de la défense n’a d’ailleurs pas l’exclusivité de ces pratiques. Le numérique est aussi concerné et les attaques arrivent dans le secteur de la culture et de l’audiovisuel.

Protéger les intérêts civils européens aux États-Unis

Tout est mobilisé pour protéger les intérêts civils européens aux États-Unis. L’excédent allemand dans les échanges de biens avec Washington est de 85 milliards d’euros en 2023, 92 milliards d’euros en 2024. Il est en constante progression depuis des années (cf. 53 milliards d’euros en 2020). Les États-Unis sont une priorité pour les Allemands. Cela représente bien plus que les 12 à 17 milliards d’euros d’excédent allemand annuel en France.

Ainsi… à quoi bon acheter des Rafale, même si l’avion est plus performant, moins cher, laisse davantage de souveraineté technologique ? Il convient d’ajouter qu’en raison du droit européen, la France – contrairement aux États-Unis – ne peut pas exercer de représailles sur les intérêts civils allemands en France. En effet, taxer les produits civils allemands importés en France constituerait une entrave aux règles du marché intérieur européen.

Quand le nouveau chancelier allemand dit vouloir discuter avec la France de la souveraineté européenne de défense, en ce compris en matière nucléaire, on peut donc s’interroger sur les motifs de ce changement d’approche bien ancrée en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Étant donné son absence d’intention ferme de dénoncer les contrats avec les États-Unis pour acheter français ou même produire européen ensemble demain, il envoie un message aux Américains : « Si vous vous en prenez à nos intérêts civils aux États-Unis, nous avons des alternatives aux commandes de défense auprès de vos entreprises et vous perdrez des milliards de dollars de contrats ».

La pratique n’est pas récente. Elle a berné pendant des années des think tanks français qui produisent des études dans le but d’un rapprochement franco-allemand en matière de défense. On peut citer comme exemple la « boussole stratégique européenne » ou d’autres tentatives de recherche de convergences géopolitiques. Sa seule utilité est d’amorcer un faux plan B créant une illusion de rapprochement entre Européens, c’est-à-dire un signal envoyé aux États-Unis afin de montrer qu’il est possible de s’émanciper d’eux avec la France en cas d’intérêts trop divergents. Le SCAF, le futur système de combat européen, procède aussi beaucoup de cette logique.

Comme l’a déclaré l’ex vice-chancelier écologiste Robert Habeck, l’Allemagne ne fait pas de géopolitique mais de la géo-économie. Tant que les États-Unis, devenus plus ou moins fiables, gardent – même modérément – leur approche de défiance vis-à-vis des Russes, cela ne pose pas de problème. De plus, l’Allemagne a régulièrement montré qu’elle n’était pas effrayée par la Russie. Les intérêts partagés dans des secteurs stratégiques comme celui de l’énergie en attestent. Aucun changement n’est donc à attendre sauf à noter que l’Allemagne décide de surcroit de réarmer pour elle-même et pour vendre davantage d’armes en Europe et ailleurs. Elle en a les moyens et elle les déploie.

Nicolas Ravailhe

(à suivre)

Défense (1/6) : les larmes de crocodile des Européens qui refusent d’acheter… européen

Nicolas Ravailhe, professeur à l’École de guerre économique et avocat au barreau de Bruxelles (droit européen), propose une chronique sur la guerre économique entre les États-Unis et l’Europe dans le domaine de la défense en six volets. Ces articles ont été initialement publiés dans La Tribune.

Première partie, les larmes de crocodile des pays de l’Union Européenne qui refusent consciemment d’acheter européen pour devenir souverains. Symbole de cette addiction, l’achat de F-35…

Que reste-t-il de l’effroi des capitales européennes et des institutions de l’Union européenne depuis l’élection Donald Trump, depuis les propos du vice-président américain lors de la conférence de Munich sur la sécurité et, plus encore, après avoir assisté en direct à la visite du président ukrainien dans le bureau ovale à Washington ? Pas grand chose. La pseudo-réconciliation à Rome entre les deux présidents américain et ukrainien sur fond de prédation de l’économie ukrainienne par les États-Unis ne marque pas d’inflexion. Au contraire, cette dynamique, accompagnée d’acteurs américains de premier plan comme BlackRock et initiée bien avant l’élection de Donald Trump, ne fait que s’amplifier.

Personne n’ignore en Europe que les Européens ont très peu de prise sur les présidents américains, tant l’actuel ou ses prédécesseurs. Les États membres de l’Union européenne (UE) ne peuvent donc compter que sur eux-mêmes et sur d’éventuels alliés influents aux États-Unis. De plus, le dernier sommet de l’OTAN, qui s’est déroulé aux Pays-Bas en juin 2025, témoigne d’un alignement des Européens sur les États-Unis.

Quid de la volonté des Européens d’être souverains ?

A ce stade d’intensité et d’enjeux géopolitiques – une Russie très agressive et des États-Unis considérés moins fiables –, il était légitime d’espérer une réaction forte des Européens visant à s’émanciper des dépendances américaines. Malgré ce constat partagé, aucune évolution effective n’est à noter ni même à envisager en matière de souveraineté dans le secteur de la défense. Les taxes douanières américaines ne devraient pas davantage connaître de réaction européenne et c’est en grande partie lié aux choix opérés dans la défense par les Européens.

Des pleurs d’un ancien conseiller d’Angela Merkel en charge de la conférence de Munich aux larmes de crocodile de tout horizon de l’UE, sur les soutiens à l’Ukraine comme sur la protection de l’Europe, il ne reste qu’une volonté de business avec les États-Unis exprimée par des Européens non alignés entre eux. En tout état de cause, les Russes savent très bien que, sauf la France, les armées européennes sont équipées d’armes américaines non utilisables sans l’accord des États-Unis. Personne en Europe n’est dupe également. Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, a néanmoins évoqué un intérêt manifeste dans un rapprochement avec les Britanniques et les Français concernant un parapluie nucléaire.

La coopération franco-britannique est essentielle notamment dans la défense, mais, en matière nucléaire, il convient de rappeler que les Britanniques ne sont pas souverains. Ils dépendent des États-Unis. On ne peut pas sérieusement imaginer qu’un chancelier allemand ne le sache pas. Seule la France peut donc protéger les Européens avec son armement nucléaire. Emmanuel Macron a d’ailleurs ouvert une porte en ce sens. Cependant, est-il encore crédible et concevable de défendre des pays qui ont fait le choix d’être soumis à la protection des États-Unis, allant ainsi à l’encontre les intérêts de nos industries de défense, c’est à dire des moyens de notre souveraineté ?

« Pour qui nous prend-on ? »

Les États européens qui achètent des matériels américains ne le font pas par erreur ou par naïveté mais par choix assumé. L’Allemagne a fait le choix d’acheter des avions aux États-Unis. Ces aéronefs sont les seuls à être autorisés à porter la bombe atomique américaine. Pour huit milliards d’euros, des F35 seront livrés à l’Allemagne avec une mise en service dès 2027 sur la base de Büchel, dont la modernisation va coûter, selon la presse allemande, un milliard d’euros afin d’accueillir la bombe américaine.

Ces avions américains seront, de surcroît, en partie intégrés sur le sol européen par une entreprise phare en Allemagne dans le secteur de la défense, Rheinmetall. Laquelle vient également d’annoncer une coopération avec Lockheed Martin pour développer des missiles et, le 18 juin 2025, une autre avec la société Anduril. On notera que même MBDA Allemagne, pourtant une belle réussite européenne, décide de s’associer à une entreprise américaine afin de produire des missiles Patriot américains.

Personne en Allemagne n’a manifesté une intention de renoncer à ces choix continus depuis des décennies bien que sachant parfaitement ce qu’ils impliquent en matière de dépendance à l’égard d’un pays tiers. Tant qu’il en sera ainsi, aucune évolution ne sera possible en faveur de la souveraineté européenne. En l’espèce, nous pourrions déjà arrêter toute analyse. Dénoncer les contrats avec les États-Unis ou avec d’autres pays tiers à l’UE, a minima ne plus leur commander et acheter français – voire européen – est un pré-requis afin de concevoir une défense commune entre Européens.

Ne pas dépendre d’un pays tiers pour sa défense est un préalable. Cette démarche est possible mais refusée en Europe. En France, nous sommes souverains quand nos entreprises sont propriétaires de la R&D, quand elles produisent sur notre sol sans recourir à des composants stratégiques étrangers et quand la commande publique de défense achète cette production.

Une Europe alignée sur les positions de Berlin

Une écrasante majorité d’États européens est sur la même ligne que l’Allemagne. L’Italie assemblera 130 avions et devrait assurer la maintenance des avions « made in USA » présents sur le sol européen. Belges et Néerlandais ont aussi négocié des « retours » sur acquisition. La Belgique a confirmé sa commande de F35 et la Pologne vient encore d’acheter pour des milliards de missiles américains.

Aucun des décideurs politiques européens n’a fait semblant de vouloir une souveraineté européenne à l’exception de quelques fantasmes décalés de la réalité qui ont resurgi principalement en France. Bilan : au-delà des formules creuses sur l’utilité ou la non-utilité de l’Europe qui exaspèrent, aucun n’a renoncé à des acquisitions de matériels de défense américain, malgré le contexte actuel.

L’Europe engage des moyens importants pour réarmer. Plusieurs États pourraient « jouer la carte » américaine et en parallèle « une carte UE ». Les volumes financiers que représentent ces achats d’armements produits aux États-Unis et vendus en Europe sont considérables. Vu les intérêts des entreprises américaines, des employés et des financiers américains, des pertes de contrats feraient pourtant réagir. Pourquoi l’UE se prive-t-elle volontairement d’effets de levier aux États-Unis comme la recherche d’une souveraineté en commun ?

L’attaque de la Russie – dont la responsabilité est établie – puis le prolongement de la guerre russo-ukrainienne ont déjà été très profitables aux intérêts américains dans la défense. Le réarmement de l’UE pourrait être intelligemment équilibrés entre les fournisseurs américains et européens comme entre fournisseurs européens.

Nul n’a intérêt à sombrer dans l’anti-américanisme primaire. La coopération avec les États-Unis est utile en matière de défense. Les Américains défendent leurs intérêts, ce n’est pas une découverte. De même, nous n’ignorons pas qu’ils ne sont pas membres de l’UE et qu’en conséquence, ils ne participent pas à ses prises de décision. Le refus de souveraineté européenne face aux États-Unis incombe aux Européens et à eux seuls. Il a une explication : une guerre économique entre Européens qui s’intensifie dans le secteur de la défense, avec ou sans coopérations avec les États-Unis.

Nicolas Ravailhe

(à suivre)

La dette publique est le sang du néo-capitalisme

tribune de Jean-François Collin

François Bayrou, dans son discours du 15 juillet dernier, a présenté son explication de l’importance de l’endettement public de notre pays. Nous allons exposer pourquoi cette explication n’est qu’un (pieux, s’agissant de François Bayrou) mensonge.

François Bayrou a d’abord emprunté au registre religieux : « Être obligé d’emprunter tous les mois pour payer les retraites ou payer les salaires des fonctionnaires, c’est une malédiction qui n’a pas d’issue ». Le malheur qui nous accable, celui d’être durablement endettés, nous serait infligé par une divinité, pour nous punir de nos pêchés.

Après le registre du divin, vint celui de la médecine : « Nous avons considéré comme normal dans notre pays depuis des années, des décennies, que l’État, puissance publique et sécurité sociale, que l’État paie tout. Nous sommes devenus accros à la dépense publique. Il n’y a pas de difficulté du pays, il n’y a pas de changement nécessaire, il n’y a pas d’obstacle à surmonter, ni d’ordre sanitaire, ni d’ordre climatique, ni d’ordre énergétique ou familial devant lesquels les élus, les citoyens, les médias n’aient eu chaque fois qu’une seule réponse à la bouche, se tourner vers l’État ». Pêcheurs, nous serions aussi drogués à la dette publique ; les Français se plaignent du coût de la vie, de l’inflation, de la difficulté de se loger, de l’impossibilité de partir en vacances, de la baisse du niveau de vie de la majorité d’entre eux, par aveuglement. Comment ne se sont-ils pas aperçus que l’État payait tout ? S’ils ne l’ont pas vu, c’est en raison de cette addiction à la dette publique.

Et pour compléter le tableau, les Français sont fainéants : « … la seconde de ces raisons, de fuite vers la dette, c’est que nous avons peu à peu perdu de vue que pour distribuer, il fallait produire… J’ai la conviction qu’il faut réconcilier notre pays avec le travail, avec l’emploi, avec l’épanouissement au travail. Il faut que toute la nation travaille plus pour produire… Je propose donc que deux jours fériés soient supprimés pour tout le pays ». C’est un vieux refrain. Les chômeurs le sont par choix. La France a été frappée d’une épidémie de paresse à partir des années soixante-dix, qui l’a fait passer du plein emploi à l’existence structurelle de plusieurs millions de chômeurs. Cela n’a rien à voir avec la mondialisation, l’ouverture sans précautions des frontières, la délocalisation massive de l’activité à l’initiative des patrons français qui sont des champions mondiaux de cette discipline.

La vérité n’a rien à voir avec ce récit. La dette publique n’est pas une malédiction. Elle est un choix qui profite aux créanciers de l’État, pas à ceux qui paient les impôts et les cotisations qui permettent de la rembourser. Sa croissance a accompagné celle du capitalisme financier, de l’extension du domaine du marché, de ce qui a été nommé néocapitalisme, même si les racines de l’endettement publique sont plus anciennes encore.

I- Pour Karl Marx la dette publique est un moyen d’aliéner l’État et d’asservir les pauvres

Karl Marx ne nous a sans doute pas fourni les réponses aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais il a remarquablement analysé leur nature. Il y a un siècle et demi, il décrivait, dans « le capital », dans des termes qui restent d’une étonnante actualité, comment le capitalisme s’est développé grâce à la dette publique et comment il a, grâce à elle, « aliéné les États » quelle qu’en soit la forme politique.

« La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. Il n’y a donc pas à s’étonner de la doctrine moderne selon laquelle plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital… La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée.

Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal, métamorphosé en effets publics d’un transfert facile, continue à fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe de rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation – de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d’un capital tombé du ciel – la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne.

Dès leur naissance les grandes banques, affublées de titres nationaux, n’étaient que des associations de spéculateurs privés s’établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu’ils en obtenaient, à même de leur prêter l’argent du public. Aussi l’accumulation de la dette publique n’a-t-elle pas de gradimètre plus infaillible que la hausse successive des actions de ces banques, dont le développement intégral date de la fondation de la Banque d’Angleterre, en 1694. Celle-ci commença par prêter tout son capital argent au gouvernement à un intérêt de 8%, en même temps elle était autorisée par le Parlement à battre monnaie du même capital en le prêtant de nouveau au public sous forme de billets qu’on lui permit de jeter en circulation, en escomptant avec eux des billets d’échange, en les avançant sur des marchandises et en les employant à l’achat de métaux précieux. Bientôt après, cette monnaie de crédit de sa propre fabrique devint l’argent avec lequel la Banque d’Angleterre effectua ses prêts à l’État… Elle donnait d’une main, non seulement pour recevoir davantage, mais, tout en recevant, elle restait créancière de la nation à perpétuité, jusqu’à concurrence du dernier liard donné. Peu à peu elle devint nécessairement le réceptacle des trésors métalliques du pays et le grand centre autour duquel gravita dès lors le crédit commercial…

Avec les dettes publiques naquit un système de crédit international qui cache souvent une des sources de l’accumulation primitive chez tel ou tel peuple. C’est ainsi, par exemple, que les rapines et les violences vénitiennes forment une des bases de la richesse en capital de la Hollande, à qui Venise en décadence prêtait des sommes considérables. À son tour, la Hollande, déchue vers la fin du XVIIème siècle de sa suprématie industrielle et commerciale, se vit contrainte à faire valoir des capitaux énormes en les prêtant à l’étranger et, de 1701 à 1776, spécialement à l’Angleterre, sa rivale victorieuse. Et il en est de même à présent de l’Angleterre et des États-Unis. Maint capital qui fait aujourd’hui son apparition aux États-Unis sans extrait de naissance n’est que du sang d’enfants de fabrique capitalisé hier en Angleterre.

Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui en doit payer les redevances annuelles, le système moderne des impôts était le corollaire obligé des emprunts nationaux. Les emprunts, qui permettent aux gouvernements de faire face aux dépenses extraordinaires sans que les contribuables s’en ressentent sur-le-champ, entraînent à leur suite un surcroît d’impôts ; de l’autre côté, la surcharge d’impôts causée par l’accumulation des dettes successivement contractées contraint les gouvernements, en cas de nouvelles dépenses extraordinaires, d’avoir recours à de nouveaux emprunts. La fiscalité moderne, dont les impôts sur les objets de première nécessité et, partant, l’enchérissement, de ceux-ci, formaient de prime abord le pivot, renferme donc en soi un germe de progression automatique. La surcharge des taxes n’en est pas un incident, mais le principe.1 »

On pourrait reprendre une grande partie de cette analyse pour exposer le rôle de la dette publique dans nos économies. Celui-ci allait être rendu encore plus explicite par les inventeurs du néocapitalisme qui ont redéfini après 1945, ce que devait être la relation entre l’État et l’économie.

II- La conférence du Mont-Pèlerin en 1945 et la redéfinition du rôle de l’État

La gauche a pris l’habitude de dénoncer l’affaiblissement de l’État, de demander que l’État se réinvestisse dans l’économie, agisse sur son fonctionnement, voire le planifie. Elle fait souvent du soutien ou du refus de l’intervention de l’État dans l’économie, la ligne de démarcation entre la droite et la gauche. C’est un positionnement devenu complètement anachronique. L’État intervient déjà très massivement dans l’économie, en France comme ailleurs, en utilisant à la fois les outils budgétaires et fiscaux dont il dispose, mais aussi les outils monétaires dont le contrôle a été confié un peu partout à des Banques centrales réputées indépendantes. Nous montrerons que si elles sont indépendantes des intérêts de la majorité des citoyens, elles ne le sont pas de ceux des entreprises.

La philosophie de l’intervention de l’État dans une économie néo-libérale a été redéfinie lors de la célèbre réunion du Mont-Pèlerin en 1947, en Suisse, sur les rives du lac Léman. Cette réunion d’économistes, dans laquelle Friedrich Hayek et Milton Friedman jouèrent un rôle important, fut l’occasion pour eux de définir les règles qui devraient désormais présider au rapport entre l’État et l’économie. Ils avaient constaté l’échec du libéralisme classique et partageaient l’idée selon laquelle l’intervention de l’État était nécessaire pour éviter les crises auxquelles conduisait l’absence de contrôle sur les marchés et la concurrence.

À la différence de beaucoup de bêtises répétées à l’envi aujourd’hui par les penseurs de droite, les participants à cette réunion, instruits par la catastrophe dont ils sortaient, considéraient que le marché, livré à lui-même, n’était pas capable de garantir un équilibre économique durable, et que ses dysfonctionnements étaient une menace pour la stabilité politique. Ils considéraient certes le marché comme le moins mauvais mécanisme de régulation de l’économie, mais ils pensaient aussi qu’une intervention de l’État au service des entreprises était nécessaire pour assurer la prospérité du monde. Pour ces économistes néolibéraux, la bureaucratie d’État n’était pas une charge indue, mais un acteur nécessaires au bon fonctionnement de l’économie de marché et la prospérité du capitalisme.

Apôtres du marché et de son contrôle, ils se sont trouvé face à une contradiction difficile à résoudre : comment donner le pouvoir à une bureaucratie étatique d’imposer des règles à l’économie sans qu’elle en vienne à s’autonomiser et à conduire sa propre politique. Comment disposer d’un État qui soit à la fois fort et faible,  capable d’imposer des règles aux acteurs économiques en étant soumis à leur volonté ?

C’est pourquoi la droite se présente souvent comme défenseure d’un État fort, tout en dénonçant les règles qui entravent la « liberté des entreprises ».

Les conditions politiques de l’après-guerre n’ont pas permis aux idées de ce petit groupe de prospérer immédiatement.

Au lieu du règne du libre-marché, c’est un interventionnisme massif des États qui s’est développé à l’échelle mondiale, pas seulement dans les pays dits socialistes à cette époque. Les rapports de force politiques et syndicaux ont également permis le développement de ce que l’on a appelé l’État providence.

Ce n’est qu’avec le développement de la crise du capitalisme mondial, au début des années 1960, que les théoriciens du néolibéralisme allaient connaître leur heure de gloire ; elle se poursuit jusqu’à maintenant.

III- Les deux piliers du néocapitalisme : la financiarisation de l’économie et la dette publique à partir des années 1970

Les modes de financement de l’action publique qui échappaient largement au marché financier ont été remis en cause à partir des années 1960.

En France, depuis le front populaire et jusque dans les années 1960, l’État s’est financé grâce à ce qui a été baptisé « le circuit du Trésor ». Concrètement, l’État imposait aux institutions publiques le dépôt de leurs fonds sur le compte du Trésor ouvert à la Banque de France. Il imposait également aux banques le dépôt de fonds à la banque de France et l’achat obligatoire de titres de la dette publique. De cette façon, l’essentiel des besoins de financement de l’État pouvaient être satisfaits sans recourir aux marchés financiers.

Après 1945, la politique de crédit des banques fut orientée par un Conseil national du crédit qui définissait les secteurs auxquels le crédit devait être alloué en priorité. La Banque de France, sous tutelle du gouvernement et contrôlée par le parlement, faisait partie d’un système organisé, incluant les banques publiques, les banques coopératives et les banques privées, pour financer une économie encadrée par le plan.

Ce système qui ferait frémir aujourd’hui une grande partie de l’intelligentsia, des médias et bien sûr le patronat, est celui qui a permis la reconstruction du pays.

Mais à partir du milieu des années 1960, Michel Debré, alors premier ministre de Charles de Gaulle (qui n’était donc pas l’ennemi de la finance que l’on présente trop souvent aujourd’hui, en citant la phrase qui lui est prêtée : « la politique ne se décide pas à la corbeille (de la bourse) ), aidé par Jean-Yves Haberer, ont entrepris de liquider ce mode de financement de l’État, en commençant par supprimer les obligations de dépôts des banques et d’achat d’obligations de l’État.

Il n’est pas inutile de rappeler qui est Jean-Yves Haberer. Il fut conseiller économique au cabinet de Michel Debré, et devint directeur du Trésor, puis PDG de la banque Paribas sous la présidence de François Mitterrand avant d’être nommée PDG du Crédit Lyonnais par Pierre Bérégovoy..

Jean-Yves Haberer conduira le Crédit Lyonnais à la faillite. Il ne sera condamné pour cela qu’à 18 mois de prison avec sursis et 59 000€ d’amende, en dépit de manquements aux règles les plus élémentaires de gestion d’une banque.

Après le premier assaut donné par Michel Debré, les banques furent autorisées à s’organiser entre elles pour gérer leurs liquidités sur un marché créé, par les autorités publiques, pour cela. Les banques ayant un surplus de liquidités pouvaient désormais prêter à celles qui n’en ont pas assez, sans passer par la Banque de France. Cette dernière se limitant à piloter le coût de la ressource pour les banques et à contrôler l’inflation.

Le contrôle du crédit a disparu en 1984 et les opérations de liquidités sont devenues l’outil principal de la politique monétaire.

Le 4 août 1993, la Banque de France est devenue officiellement indépendante, dans la perspective de l’instauration de l’euro. Ce changement de statut a entraîné la disparition du contrôle parlementaire qui s’exerçait sur elle. Le seul contrôle qui vaudra, désormais, sera celui du marché… sauf lorsque les autorités publiques devront intervenir massivement pour payer les factures des crises financières.

Les transformations intervenues en France s’inscrivaient dans un contexte international : arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux États-Unis et Margareth Thatcher en Grande-Bretagne ; suppression des contrôles sur le secteur financier en même temps que des marges de manœuvre de plus en plus importantes lui étaient accordées.

La place donnée aux marchés financiers dans le financement des États et plus largement dans l’économie était justifiée par leur efficacité supérieure à celle de l’administration, selon le consensus majoritaire au sein des économistes et des dirigeants à cette époque.

La possibilité donnée à l’État de financer son action grâce au contrôle qu’il exerçait sur les banques et sur la Banque centrale était condamnée parce qu’elle encourageait le laxisme budgétaire, l’augmentation de la dette publique et l’inflation. La sagesse des gestionnaires de banques et de fonds de pension, renforcée par celle des banques centrales indépendantes, devait mettre fin à tout cela.

On a vu ce qu’il en fut.

La crise financière qui ravagea la planète à partir de 2006 fut une secousse majeure. Son origine immédiate fut la crise du marché immobilier américain, provoquée par la politique de hausse continue des taux d’intérêts de la FED, la banque centrale américaine, à partir de 2004, qui a mis des millions d’Américains dans l’impossibilité de rembourser leurs prêts immobiliers, pendant que les banques inventaient des produits dérivés sur cette dette (subprimes notamment) pour la recycler dans les marchés financiers. La multiplication des prêts impayés finit par mettre en difficulté des établissements financiers américains, d’abord, puis ailleurs dans le monde. Des faillites retentissantes intervinrent, comme celle de Lehman Brothers. À la suite de quoi, le gouvernement américain investit des milliards d’argent public pour refinancer les établissements de crédits en difficultés, tandis que le Royaume-Uni nationalisait des banques et que l’Union européenne organisait le rachat par la Banque centrale européenne de milliards d’actifs privés pourris pour éviter la faillite en cascade des entreprises financières.

Mario Draghi, le président de la BCE à l’époque, avait indiqué qui alimenterait le marché financier en liquidités « quoi qu’il en coûte » pour éviter son effondrement.

Les banques s’en tirèrent finalement assez bien. Le commun des mortels beaucoup moins, car cette crise financière entraîna une ponction massive sur le pouvoir d’achat des couches populaires des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, l’argent public investi pour sauver du désastre le secteur financier a scandalisé la majorité des Américains et contribué à l’ascension de Donald Trump.

En Europe, Christine Lagarde, alors ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy, se distingua en déclarant qu’elle préférait des propositions d’amélioration du fonctionnement des marchés financiers proposées par les professionnels plutôt que de nouvelles lois, car la crise venait de l’insuffisance de marché et non de l’excès de marché. C’est peut-être cette clairvoyance qui lui valut sa brillante carrière au FMI puis à la Banque Centrale Européenne.

Ainsi, alors que l’indépendance des banques centrales était sacralisée depuis le début du vingt-et-unième siècle et que les marchés financiers devraient assurer le financement harmonieux de l’économie, il n’a pas fallu attendre plus de quelques années pour que la réalité ne lève le voile sur ce mensonge. Ce sont les pouvoirs publics, l’État et les banques centrales, qui ont assuré le financement du secteur financier en faillite en faisant payer les contribuables, d’un côté, et en faisant marcher la planche à billets, de l’autre.

En 2020, l’épidémie de COVID fut une nouvelle séquence avec les mêmes acteurs dans le même rôle. Le confinement et l’arrêt d’une partie de l’activité mondiale entraîna une contraction du PIB mondial. Un peu partout furent mis en œuvre des programmes publics de centaines de milliards pour amortir le choc récessif, puis relancer l’activité.

En France, les mesures prises pour amortir les effets de la pandémie coûtèrent très chère. Les dépenses publiques supplémentaires, directement liées à la crise du Covid, furent de 69,7 milliards d’euros en 2020 et 63,8 milliards d’euros en 2021. Si l’on ajoute le plan de relance de 38,3 milliards d’euros en 2021 et 30 milliards d’euros en 2022, on arrive à 201,8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en deux ans (les dépenses de l’État et de ses opérateurs sont prévues à 660 milliards d’euros en 2025). La dette publique a augmenté de 1 000 milliards d’euros depuis qu’Emmanuel Macron est président.

IV- Qui a profité des milliards de dette publique ?

D’abord les entreprises.

En 2020 elles ont reçu 21,8 milliards d’euros, soit le tiers des dépenses exceptionnelles liées au Covid et presque la moitié en 2021 avec 26,6 milliards d’euros. Cela correspond à une augmentation de près de 12% des aides publiques distribuées aux entreprises par rapport à l’année précédant le COVID. Elles ont permis notamment de reporter et d’exempter de paiement de cotisations sociales les entreprises. L’argent distribué aux entreprises l’a été sans conditions. D’après une étude citée par Anne-Laure Delatte, dans son livre « L’État droit dans le mur », 1€ dépensé a permis 0,18€ d’activité supplémentaire. Ce résultat ne permet pas de considérer que cet argent a été judicieusement employé. Les mêmes chercheurs estiment que plus de 2% du PIB ont été versés à des entreprises qui auraient survécu de toute façon.

Les dépenses consacrées au système de santé n’occupent que la 3ème place en 2020 et la 2nde en 2021 (avec 14 et 14,8 milliards d’euros ce qui représente une augmentation de 5% des dépenses annuelles courantes de santé).

Les ménages n’arrivent qu’au 4ème rang des bénéficiaires (prolongation des indemnités chômage, aide ciblée aux faibles revenus).

V- Dette publique et dette privée : le rôle de la Banque Centrale

  1. La banque de France détient le quart de la dette publique

On a beaucoup parlé de l’effort budgétaire de l’État, du « quoi qu’il en coûte », repris par Emmanuel Macron à Mario Draghi, pendant la crise du COVID, et l’on continue d’en parler pour justifier l’importance de la dette publique et la nécessité de la réduire.

Mais on a beaucoup moins parlé des aides monétaires, apportées par les banques centrales pendant toute cette période de 2020 à 2023. Christine Lagarde était réticente à une intervention de la Banque centrale dans un premier temps, puis elle s’est laissée convaincre, en toute indépendance naturellement, et a lancé un programme pandémique d’achat d’urgence, le PEPP, auquel 750 milliards d’euros ont été consacrés, pendant la seule année 2020. En fait d’urgence, il s’agissait surtout de soutenir les banques et d’éviter la crise de liquidités sur les marchés financiers et sur la dette souveraine.

Le bras armée de la Banque centrale européenne en France est la Banque de France. Elle consacre 80% de ses opérations de financement à la dette publique. On est donc à cent lieues de ce qui était annoncé en 1993, lorsqu’a été instituée l’indépendance de la Banque centrale pour que cesse, nous disait-on, le financement par la Banque centrale de la dette publique, lequel devait être assuré désormais par les seuls marchés financiers.

En réalité, en 2020, la Banque de France détenait 23% de la dette publique nationale soit à peu près le niveau qu’elle détenait en 1949 (24,8%). L’État doit 1 euro sur 4 empruntés pour financer le budget, à la Banque de France. Par ailleurs, la Banque de France ne se contente pas de financer la dette publique, elle finance aussi largement l’économie. Les opérations de financement monétaire du circuit économique ont atteint 60% du PIB pendant la pandémie du COVID. Autrement dit, son intervention dans le financement de l’économie est très supérieure à ce qu’elle était pendant la période des trente glorieuses.

La Banque de France est redevenue un créancier aussi important pour le gouvernement français en 2019 qu’elle l’était en 1949. Mais aujourd’hui, l’action de la Banque de France vise à assurer les conditions de financement les moins coûteuses possibles aux investisseurs privés, et non à permettre à l’État de financer les politiques publiques.

  1. La dette publique est indispensable au fonctionnement des marchés financiers.

La dette privée est beaucoup plus importante que la dette publique, mais on n’en parle jamais. Selon la banque des règlements internationaux, en 2022, la dette des entreprises françaises représentaient 162% du PIB. Il faut y ajouter la dette des ménages.

Or la dette privée présente des caractéristiques bien différentes de la dette publique.

Les États ne meurent pas ; ils peuvent emprunter pour rembourser leur dette précédente. Si les taux d’intérêt sont inférieurs aux taux de croissance de l’économie, le coût de leur dette rapporté au produit intérieur brut diminue même si son volume augmente, dans certaines proportions. C’est ce qui s’est passé en France depuis le début des années 2000. Les débiteurs privés, eux, sont mortels, qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’entreprises. Les personnes physiques ne connaissent pas de croissance significative de leur activité et de leur pouvoir d’achat, susceptible de diminuer le poids relatif de leurs dettes et ils sont à la merci de tous les accidents de la vie que nous connaissons.

La dette privée est donc beaucoup plus risquée que la dette publique. Pour en financer l’augmentation les banques et les institutions financières de toute nature ont besoin de disposer d’actifs sans risques, leur permettant de garantir en partie leur capacité de prêteurs à des débiteurs aux capacités de remboursement incertaines.

Les meilleurs actifs sans risques existant sont les titres de dette publique, particulièrement lorsqu’il s’agit d’États ayant pour tradition de rembourser leur dette, ce qui fut généralement le cas de la plupart des pays économiquement développés. C’est pourquoi l’existence d’une dette publique importante dans tous ces pays est une condition indispensable à l’existence et au développement des systèmes financiers, sur lesquels ils ont choisi de faire reposer de manière croissante le financement de l’économie.

La véritable raison de l’existence des dettes publiques, leur persistance et de leur croissance très rapide, depuis une trentaine d’années, réside dans cette vérité et non dans le développement de la dépense publique en faveur des populations.

Il est d’ailleurs frappant de constater que la croissance de la dette publique a été particulièrement forte sous les présidents de droite depuis 1995. Elle a augmenté de 9% pendant les 12 année de mandat de Jacques Chirac, de 21% pendant les 5 ans de mandat de Nicolas Sarkozy, de 9% « seulement » pendant le mandat de François Hollande, puis de 21% à nouveau sous la présidence d’Emmanuel Macron. Les présidents de droite ne craignent donc pas la dette publique, ils creusent même le trou à la pelleteuse.

* * * *

Nous sommes donc très loin des explications de l’endettement public présentées par François Bayrou qui veut rendre les Français responsables d’une dette à laquelle ils n’ont d’autre part que son remboursement, avant de les punir.

Le dette est le produit du capitalisme financier. En faire peser le poids sur les ménages les plus modestes, comme le propose le premier ministre, est profondément injuste et justifie le rejet de ce plan, en plus de l’injustice des mesures qui le constituent.

Jean-François Collin

27 juillet 2025

1 Extrait de Karl MARX, Le Capital – Livre premier
Le développement de la production capitaliste, VIII° section : L’accumulation primitive
Chapitre XXXI : Genèse du capitaliste industriel

Gallimard, La Pléiade, 1963, p.1216 à 1219

Proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis

Comme vous le savez, la Présidente de la Commission européenne en déplacement en Ecosse le 27 juillet 2025, a agréé les principales lignes directrices d’un projet d’accord commercial à sens unique, où la quasi-totalité des exigences de l’administration de Donald Trump ont été satisfaites.

  1. Les exportations européennes feront l’objet d’un rehaussement général des droits de douane américains à hauteur de 15%, tandis que les exportations américaines vers l’UE verront leur tarif inchangé. Ce à quoi il faut ajouter la récente dépréciation du dollar (environ moins 13% depuis le début 2025), qui cumulée avec les droits à 15%, équivaut en fait à satisfaire l’exigence initiale de Trump à 30%. Des exemptions seraient prévues dans quelques secteurs, notamment l’aéronautique, les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs. La négociation n’est pas arrêtée dans le secteur des vins et spiritueux, qui en France est très exposé à la demande intérieure américaine. Il ressort de cette négociation que notre économie déjà en difficulté risque d’être violemment impactée, d’autant plus que la Commission s’est engagée sur des contingents d’importation supplémentaires de produits agricoles américains.
  2. La Commission s’est engagée à acheter plus d’armements originaires des USA, trahissant sa promesse de consolider l’Europe de la Défense et de favoriser au maximum l’industrie européenne, et notamment française, dans le cadre d’une élévation de l’effort de défense à 3%, voire 3,5% du PIB. Il s’agit là d’une attaque directe contre nos intérêts économiques et stratégiques, par ailleurs contraire aux traités : hormis certains dispositifs spécifiques à l’aide européenne à l’Ukraine, la Commission n’a aucun droit ni mandat pour négocier et encore moins conclure des contrats d’armements avec l’étranger.
  3. La Commission s’est engagée à des investissements européens massifs, d’une valeur de 600 milliards d’euros, aux États-Unis. Ce faisant, elle a balayé d’un revers de main toutes les recommandations récemment formulées par d’éminentes personnalités, particulièrement MM. Draghi et Letta, visant à mobiliser l’épargne européenne, qui finance déjà largement le déficit budgétaire et commercial américain, pour produire davantage en Europe et y investir dans les secteurs de pointe. Quoiqu’on pense de la pertinence et de l’opportunité de ces propositions faites dans le cadre du débat public européen, la Commission a décidé de facto, hier, de les rendre caduques et sans objet.
  4. La Commission s’est engagée à rendre l’Europe dépendante des États-Unis, et au prix fort, pour son approvisionnement énergétique, via une intention de leur acheter 750 milliards d’euros de pétrole et de gaz naturel liquéfié. Je pense que cet engagement outrepasse ses prérogatives, car l’approvisionnement énergétique relève des États-Membres. Sur le fond, cette décision est déplorable car notre autonomie stratégique repose précisément sur la diversification des approvisionnements énergétiques. Échanger notre dépendance au gaz à un régime autoritaire et agressif contre une dépendance à un pays qui se veut notre allié tout en nous imposant des conditions aussi léonines, ne me paraît pas une approche responsable ni prudente.
  5. Politiquement, l’Union européenne est humiliée et tous les efforts qu’elle a consacrés à la réciprocité commerciale, notamment des règlements importants comme l’instrument anti coercition voté par le Parlement européen sous sa précédente législature, tombent à néant. À ce stade, au terme de cet accord UE-USA (à supposer qu’il soit intégralement appliqué), la Chine bénéficierait globalement, de la part des Américains, d’un traitement plus favorable que nous. Employer le terme d’humiliation face à un pays allié qui, finalement, concèderait à son « rival systémique » des relations économiques et commerciales plus favorables, ne me paraît donc pas excessif. La perte de crédibilité politique, diplomatique, économique et commerciale de l’UE est immense. C’est indubitablement un jalon vers une perte de substance de la construction européenne.

Dans ces conditions, il me paraît urgent que le Parlement français se prononce dans des termes sans la moindre équivoque contre l’accord Trump – Von der Leyen, comme il a su le faire à l’automne dernier contre l’accord avec le Mercosur.

Dans l’attente d’une réaction du Président de la République, j’ai proposé aux députés de cosigner une proposition de résolution de l’Assemblée nationale exprimant notre refus unanime de la vassalisation de l’Union européenne.

Emmanuel MAUREL, député du Val-d’Oise
et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste
Mardi 29 juillet 2025

Droits de douane : « Il y aura des destructions d’emplois en France », prévient David Cayla – entretien dans L’Humanité

L’Humanité, lundi 28 juillet 2025

David Cayla, maître de conférences en économie à l’Université d’Angers, analyse pour nous l’accord signé entre Donald Trump et l’Union européenne, qui prévoit des droits de douane de 15 % sur les produits européens. Pour lui, l’UE a laissé passer une chance historique d’affirmer son indépendance.

Quelle lecture faites-vous de l’accord signé ce 27 juillet ?

Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il est déséquilibré ! La question est de savoir pourquoi l’Union européenne (UE) parvient à un accord finalement moins favorable que ce qu’a obtenu le Royaume-Uni qui négociait tout seul de son côté. Ce dernier a en effet obtenu des droits de douane de 10% ainsi que quelques concessions sur des marchés libres de taxes.

L’UE, en revanche, c’est 15% de droits de douane (sur les produits européens exportés vers les États-Unis, N.D.L.R.), avec en plus l’obligation d’acheter du pétrole et du gaz américain, sans compter l’armement. Enfin, les Européens ont promis d’investir 600 milliards de dollars sur le sol américain, ce qui va à rebours de toutes les promesses formulées dans l’UE au cours des dernières semaines, selon lesquelles l’épargne européenne devait être mobilisée pour financer la croissance et l’industrie européenne.

Pourquoi un accord aussi asymétrique ?

Tout simplement parce que les pays membres sont divisés, en raison de structures économiques différentes : entre les pays désireux de protéger leurs industries exportatrices, comme l’Allemagne et d’autres favorables à des positions plus fermes (comme la France), aucun terrain d’entente n’a été trouvé. Et ce sont finalement les logiques exportatrices qui se sont imposées : il n’y a qu’à voir le soupir de soulagement poussé par les industriels allemands, heureux d’échapper à des taxes de 30%.

À l’arrivée, c’est surtout un échec politique de l’UE : on nous vend depuis des années l’idée selon laquelle, avec l’Union, les pays seraient plus puissants pour négocier des accords commerciaux avantageux. Et on se retrouve avec un accord plus mauvais que des pays hors UE. Si l’Union européenne, qui nous impose par ailleurs de multiples contraintes, ne nous protège même pas en cas de guerre commerciale, à quoi sert-elle ? À ce titre, cet accord va renforcer les discours eurosceptiques.

Quelles pourraient être les conséquences pour l’économie française ? Seuls quelques secteurs sont particulièrement exposés (aéronautique, spiritueux, médicaments), et il semblerait qu’ils ont été épargnés par l’accord…

Les choses ne sont pas aussi claires ce stade. L’aéronautique semble épargnée, en effet, mais il manque encore les détails sur les modalités concrètes de cette exemption. Pour ce qui est des spiritueux et de la pharmacie, il y a fort à parier que des taxes s’appliquent.

Ce qui semble évident, de toute façon, c’est qu’il y aura des destructions d’emplois en France : des entreprises exportatrices vont voir leurs carnets de commandes diminuer et réduire leur volume d’emplois. Dans un environnement déjà récessif en raison de l’impact du budget présenté par François Bayrou, la hausse des droits de douane ne va pas contribuer à améliorer l’économie française.

À plus long terme, d’autres choses sont préoccupantes. D’abord, la France (et l’Europe) vont accroître leur dépendance au numérique américain : à chaque fois que vous achetez un logiciel Microsoft ou que vous avez recours à Netflix, par exemple, vous payez pour ces services, sous forme de redevances ou d’abonnements. Tout cela commence à peser lourd dans la balance des paiements des pays européens.

Ensuite, il est probable que les entreprises européennes préféreront construire des usines aux États-Unis pour échapper aux droits de douane. Cela peut être le cas des labos pharmaceutiques, comme Sanofi, ou des groupes d’automobile. Il ne faut pas oublier que l’objectif de Trump est de pousser ses partenaires commerciaux à investir chez lui plutôt qu’en Europe.

Qu’aurait dû faire l’Union européenne ? Accepter pleinement la logique du bras de fer, comme l’a fait la Chine ?

Les différences économiques sont telles qu’il n’est pas évident de se comparer avec la Chine. Mais il aurait fallu, en tout cas, porter nos propres revendications, c’est-à-dire la conquête de l’autonomie stratégique européenne, en matière d’énergie, de défense et sur le numérique.

Cela impliquait de fixer des lignes rouges. Et de dire par exemple aux Américains que s’ils poursuivaient dans cette voie, nous irions taxer leurs géants du numérique et exclure certaines de leurs entreprises de nos appels d’offres. Je vous renvoie au rapport de Mario Draghi (publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne en septembre 2024, N.D.L.R.), qui appelait à davantage de souveraineté européenne : c’est le contraire, que cet accord sur les droits de douane entérine.

en complément à cet entretien accordé à L’Humanité, nous ajoutons ci-dessous les éléments d’analyses que David Cayla a confié le même jour à France 24

« À l’origine, le projet européen est une union douanière de pays qui se coordonnent pour influencer le commerce international à leur profit. Alors que l’UE était là pour nous protéger, le Royaume-Uni s’en sort mieux que nous. Les Britanniques ont vu leurs droits de douane doubler alors qu’ils ont triplé pour l’UE qui paye ici l’hétérogénéité de son économie avec des États membres qui ont des intérêts contradictoires ». […]

« L’Allemagne et l’Italie ont extrêmement peur des droits de douane de 30%. Donc ils se contentent de 15%. La France, qui est moins dépendante des exportations vers Washington, adopte une ligne beaucoup plus dure », note David Cayla, selon qui l’accord vient contrarier les dynamiques que Paris voulait insuffler au sein de l’UE. Selon les annonces de Donald Trump, l’Union européenne s’engage à des achats massifs de matériel militaire aux États-Unis alors qu’Emmanuel Macron plaide en faveur d’une « autonomie stratégique » et d’une « Europe de la défense ».

« La France voulait également que l’on se passe du gaz au maximum au profit de la production d’électricité avec un projet de relance du nucléaire. Une nouvelle fois, comme sur le Mercosur, on s’aperçoit que la ligne de la France n’est jamais celle qui gagne ».

Or, si l’UE a refusé le combat face à Donald Trump, elle avait pourtant de sérieux atouts dans sa manche. Au-delà d’imposer des taxes réciproques sur les biens américains, l’UE aurait pu brandir la menace d’une taxe sur les revenus publicitaires des géants du numérique. Bruxelles avait évoqué en avril cette possibilité en cas d’échec des négociations avec Washington. « On pouvait aussi répliquer en organisant une taxation plus élevée des entreprises américaines. On aurait également pu interdire à certaines sociétés de postuler à des appels d’offres en Europe. Par ailleurs, les États-Unis sont très dépendants de l’épargne européenne qui finance en partie l’investissement américain. Même si on ne peut pas empêcher les mouvements de capitaux, on aurait pu réfléchir à des mécanismes pour conserver cette épargne dans l’UE ». […]

« Cet accord crée aussi une incertitude autour du projet européen et de ses ambitions écologiques et de réglementation du numérique. Avant Trump, il y avait une stratégie européenne, mais elle est en train de se disloquer sous nos yeux. On admet que les États-Unis sont plus forts, ce qui est en soi un problème ».

Refuser la capitulation de la commission européenne face aux Etats-Unis

Voilà le résultat final du transfert de la compétence sur les accords commerciaux à la Commission Européenne !

Il va falloir remettre en cause la logique complète qui nous a amenés à permettre la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen à pouvoir négocier seule avec Donald Trump.

C’est une capitulation en rase campagne :
🔸15% de droits de douane là où le Royaume-Uni obtient 10% ;
🔸renonciation à taxer les entreprises du numérique ;
🔸renonciation à la taxe minimale de 15% sur les grandes sociétés ;
🔸abandon du renforcement de la régulation des entreprises du numérique que l’Union Européenne prévoyait avant l’arrivée de Trump ;
🔸aggravation de la soumission des Européens au matériel militaire et aux hydrocarbures américains…

La France, qui défendait la ligne dure face à Trump, a perdu encore une fois son bras de fer avec l’Allemagne. Cet accord ne défend pas les intérêts français et va à rebours de tous nos engagements et ceux de l’Union Européenne.

Mais on ne peut pas se contenter de « regretter » la capitulation commerciale entérinée par von der Leyen. Le Premier ministre François Bayrou ne peut en rester à un tweet de déploration.
Il faut agir. Que la France demande la convocation en urgence du Conseil Européen. Nous devons exiger la démission de la Commission et de sa présidente qui ont gravement failli.

Reconnaissance de l’Etat palestinien : enfin !


La Gauche Républicaine et Socialiste salue la reconnaissance par la France de l’État palestinien et appelle à de nouvelles initiatives pour la Paix au Proche-Orient.

Emmanuel Macron a annoncé hier soir que la France allait enfin reconnaître l’État palestinien : nous saluons cette décision attendue depuis longtemps qui, selon nous, contribuera à renforcer les initiatives visant à mettre fin à l’horreur en cours dans la Bande de Gaza et à restaurer un processus de Paix au Proche-Orient. La France sera ainsi le premier État membre du Conseil de Sécurité de l’ONU et du G7 à franchir le pas : un symbole politique fort qui peut avoir des conséquences diplomatiques importantes.

Nous tenons à rappeler que le Parlement français avait déjà voté depuis plusieurs années des résolutions, auxquelles nous nous étions associées, demandant cette reconnaissance. Si la décision est enfin arrivée, nous nous étonnons qu’elle soit cependant différée à la participation en septembre du Président de la République à l’assemblée générale de l’ONU ; depuis le 10 juin dernier, Mahmoud Abbas, président maintenu de l’Autorité Palestinienne, a condamné officiellement les massacres du 7 octobre 2023, ce qui était la condition principale posée par Emmanuel Macron. Ces longues semaines où le Président de la République a suspendu la décision de reconnaissance après avoir déclaré l’envisager n’ont cessé de nous déconcerter car, au regard de l’urgence politique et humanitaire, nous ne voyons toujours pas ce qu’il espérait ainsi obtenir. La mise à l’ordre du jour de la Knesset de l’annexion des territoires palestiniens ne lui laissait sans doute plus le choix.

Cette décision doit être un acte supplémentaire de la communauté internationale pour exprimer la condamnation totale et humaine des crimes de masse commis sous l’autorité du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu : il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’action de Tsahal à la demande de ce gouvernement vise à terroriser et cible les civils palestiniens plus qu’à combattre le Hamas et implique une famine massive qui s’intensifie chaque jour et menace dans les jours qui viennent la vie de dizaines de milliers de vieillards, de femmes, d’enfants mais aussi de soignants et de journalistes. Les déclarations quotidiennes de plusieurs membres du gouvernement d’extrême droite israélien ne laissent plus beaucoup de doutes sur leurs intentions génocidaires. Si l’opportunisme du chef du gouvernement – continuer la guerre pour éviter d’avoir à rendre des comptes aux électeurs et à la justice – est connu, il ne faut pas non plus sous-estimer les motivations idéologiques « révisionnistes » le liant aujourd’hui aux membres les plus extrémistes de son gouvernement et aux suprémacistes religieux, qui organisent également des exactions graves en Cisjordanie avec la protection de l’armée.

Il faut désormais imposer un cessez-le-feu dans les plus brefs délais sous peine d’avoir des centaines de milliers de morts sur la conscience.

La Gauche Républicaine et Socialiste appelle l’ensemble des organisations et États démocratiques à un soutien appuyé en faveur des mouvements israéliens de défense de la démocratie, de la paix, de la justice et des droits sociaux qui sont la seule alternative à l’extrême droite et se mobilisent tous les jours par centaines de milliers pour réclamer la libération des otages (qui reste notre exigence absolue et qui doit être celle de toute personne ou organisation attachée aux valeurs humanistes), la fin immédiate de la guerre et la démission du cabinet Netanyahu ; ils sont la meilleure chance pour l’État d’Israël de restaurer son image internationale. La Gauche Républicaine et Socialiste appelle à un soutien aux éléments démocratiques de la société palestinienne pour faire émerger une alternative crédible face à une Autorité palestinienne aujourd’hui délégitimée et un Hamas terroriste et criminel, qui a conduit la population qu’il écrasait de son pouvoir à la mort. Il n’y aura pas de processus de paix sans interlocuteur palestinien.

La Gauche Républicaine et Socialiste rappelle ses positions pour la résolution du conflit israélo-palestinien : reconnaissance réciproque de deux États israélien et palestinien sur les frontières de 1967, deux États qui doivent garantir la démocratie et l’égalité des droits en leur sein, garantie de sécurité et de l’existence de l’État d’Israël par l’ensemble de ses voisins, évacuation totale des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem Est.

L’impasse politique et budgétaire de François Bayrou

François Bayrou et son gouvernement ont opté pour un discours alarmiste, faisant même une comparaison indécente entre la France de 2025 et la Grèce de 2015. Ils pointent une soi-disant addiction à la dépense publique, sans jamais faire le lien entre la situation financière navrante du pays et la politique conduite depuis 7 ans sous les gouvernements d’Emmanuel Macron (y compris ceux de Michel Barnier et l’actuel). 
Cela saute pourtant aux yeux de tout le monde sauf à ceux des ministres.

François Bayrou présenterait donc un programme ou un plan qui serait juste et équilibré. Or tout le monde, même les électeurs du soi-disant « socle commun », a compris que ce n’était ni juste ni équilibré : Bayrou veut prendre beaucoup à ceux qui ont peu et pas grand-chose à ceux qui ont beaucoup . Cela heurte tous les Français, et pas seulement ceux qui se livrent dans l’opposition. Ou si le gouvernement se veut très précis pour tout ce qui concerne les mesures dites d’austérité (le gel des allocations, l’année blanche, la suppression d’un certain nombre de dispositifs), il est très imprécis sur tout le reste : comment fait-on pour les recettes, comme fait-on sur les niches fiscales, comment fait-on pour les exonérations de cotisations sociales ? Cette « imprécision » ne peut que choquer ceux qui sont épris de justice et de progrès.

Quatre questions doivent être posées :
1- Un rapport d’une commission d’enquête du Sénat, présenté par Fabien Gay, sur les aides aux entreprises , à pointé des dépenses de l’ordre de 211 milliards d’euros . Le Premier ministre a reconnu que c’était beaucoup, mais quelle est sa conclusion ? On n’en sait rien alors que tant de choses devraient être examinées dans ce champ. 
2- Le gouvernement a-t-il évalué le risque récessif de son « plan » ? Quand on déprime la consommation, quand on gèle les investissements, il y a un grand risque de récession, donc moins de recettes fiscales et encore plus de déficit. 
3- Au moment où le chômage augmente , le gouvernement n’a-t-il rien d’autre à proposer que de diminuer encore plus les moyens de la mission budgétaire « Travail, emploi » avec une nouvelle contre-réforme de l’assurance chômage, sans réelle évaluation des précédents qui, manifestement, ne marche pas très bien ? 
4- Avec qui le gouvernement et le Premier ministre prétendent-ils négocier et définir des compromis ? Même avec le bloc central on envoie que la marge de manœuvre est limitée, mais qu’entendent-ils laisser comme appréciation aux oppositions et aux députés de gauche notamment, alors tant sur les principes que sur les moyens François Bayrou prétend qu’il n’y a pas d’autres solutions que les siennes ?

Sans réponses satisfaisantes à ces questions, nous courrons droit à l’impasse. Le Maire de Pau le sait sans doute et, dès le 15 juillet, annonçait déjà son échec pour se draper pour la postérité dans le rôle du « réformateur incompris » : n’est pas Pierre Mendès France qui veut !

Marie-Noëlle Lienemann et David Cayla aux universités d’été du Parti de la Gauche Européenne 2025

Les vendredi 11, samedi 12 et dimanche 13 juillet 2025 se déroulaient, au siège du Parti Communistes Français, place du Colonel-Fabien, les universités d’Eté du PGE. La Gauche Républicaine et Socialiste y participait. Voici les deux interventions que nous avons récupérées :

📽samedi 12 juillet 2025, 10h30, 🏘Garantir le droit au logement contre la spéculation🏘

avec

  • Jacques Baudrier, adjoint au Maire (PCF) de Paris en charge du logement
  • Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre du logement (GRS)
  • Enikö Vincze, professeur à l’Université Babeş-Bolyai (Roumanie)

animation par Waltraud Fritz et Ismael Gonzalez, responsables de la campagne logement pour le PGE 💸

📽samedi 12 juillet 2025, 14h30, 💸Quelles alternatives à l’époque de la guerre douanière de Donald Trump ?💸

avec

  • Matteo Gaddi, confédération générale italienne du travail (CGIL)
  • David Cayla, économiste et essayiste, vice doyen de la faculté d’économie, de droit et de management de l’université d’Angers

animation par Frédéric Boccara, économiste du PCF

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