Taxe Zucman : le combat pour la justice fiscale n’est pas fini

Adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture le 20 février dans une proposition de loi du groupe « écologiste et social », la proposition de taxe sur le patrimoine des ultrariches, inspirée par l’économiste Gabriel Zucman1, a été comme prévu rejetée sans appel par les sénateurs ce jeudi 12 juin 2025.

Soutenu par toute la gauche, le texte visant à instaurer un impôt plancher de 2% sur le patrimoine immobilier, professionnel et financier des 1 800 Français détenant plus de 100 millions d’euros s’est heurté à l’hostilité résolue de la droite et des soutiens du gouvernement. Seuls 129 sénateurs – dont certains centristes – ont pris position en sa faveur, face à 188 voix contre. En commission, la proposition avait déjà été rejetée par les sénateurs, y compris dans une version où le taux aurait été limité à 1% du patrimoine.

Qu’est-ce que c’est ?

On parle donc ici vraiment de très peu de gens, qui pourraient être concernés par cet impôt « différentiel ». Comment fonctionnerait cette « Taxe Zucman » : on ferait la somme de tous les impôts que les ultra-riches paient – impôt sur le revenu, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, CSG, CRDS, impôt sur la fortune immobilière – et si le total est inférieur à 2% de leur patrimoine, cet impôt différentiel s’applique. Exemple : « Monsieur Pinault-Betttencourt »2 a un milliard d’euros de patrimoine, 2% de un milliard, cela fait 20 M€. Si le total de ses impôts actuels atteint 15 M€, il devrait payer 5 M€ de « Taxe Zucman » pour atteindre cet impôt plancher.

L’objectif est double : corriger une part de l’optimisation fiscale que pratiquent généralement les plus fortunés et rétablir la progressivité de l’impôt, car plus on monte dans l’échelle des fortunes, plus il est régressif. En effet, une étude publiée il y a deux ans a dressé ce constat : au-delà de 600 000 euros de revenus économiques par an, le pourcentage payé en impôts décline.

Une régression fiscale démontrée par la recherche

C’est l’originalité de l’étude menée et publiée il y a deux ans par l’Institut des Politiques publiques, qui regroupe des chercheurs de l’école d’économie de paris et du Centre de recherche en économie et statistique (CREST).

Plutôt que de prendre comme seul critère le revenu déclaré au fisc, ils ont calculé un revenu économique, qui comprend AUSSI les revenus associé au capital professionnel. Car dans le haut de l’échelle, c’est surtout via les bénéfices des sociétés qu’ils détiennent que les plus aisés s’assurent un revenu.

Leurs conclusions sont frappantes : jusqu’à 600 000 euros de revenus économiques (37 000 foyers), le pourcentage d’impôts et taxes est bien progressif et atteint 46%. Au-delà, la courbe s’inverse. Pour les 0,001% les plus riches (3 780 foyers dépassant 26 millions de revenus annuels), le taux tombe à 32%. Pour les milliardaires (75 foyers avec plus de 150 millions de revenus économiques), il n’est plus que de 26%.

Ce taux de 26% se situe bien en-dessous du taux moyen de prélèvements obligatoires en France (42%) du PIB, c’est-à-dire de la richesse produite. La proposition de loi du groupe « Écologiste et Social » n’hésite ainsi pas à comparer cette situation à celle de l’Ancien régime, telle que la décrivait Alexis de Tocqueville : « L’impôt avait pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».

13 à 20 milliards d’euros de recettes, mais pas seulement…

Selon les calculs de Gabriel Zucman, cette taxe ou impôt différentiel pourrait rapporter quelques 20 milliards d’euros par an. La commission des finances de l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, l’avait plutôt estimé à 13 milliards d’euros… D’autres économistes, Jean Pisani-Ferry (ancien apôtre du programme économique de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron) et Olivier Blanchard ont apporté leur soutien à Gabriel Zucman dans une tribune publiée dans Le Monde le 11 juin dernier3.

Mais le gouvernement Bayrou et le ministre de l’économie, Eric Lombard, y sont opposés avec des arguments proches de ceux que l’on a entendu le 12 juin 2025 au sénat.

2 % cela serait « confiscatoire » (!?), donc potentiellement anticonstitutionnel, estime le rapport de la commission des finances du sénat sur la proposition de loi (il reste pourtant 98% et il ne s’agit pas de revenus non renouvelables). Ensuite, les riches seraient tentés de s’exiler, d’autres obligés de vendre certaines de leurs actions pour s’acquitter de ce nouvel impôt. On connaît ses arguments.

Le troisième est d’ordre opérationnel : l’étude de l’institut des politiques publiques serait biaisé ; on n’a jamais trouvé mieux pour invalider une réforme fiscale que de mettre en cause la rationalité ou l’objectivité des recherches et études. Cet argument pointe pourtant un véritable problème : on ne connaît pas bien le patrimoine des plus fortunés et l’identification des personnes soumises à la « taxe Zucman » pourrait donc être effectivement complexe.

L’INSEE ne publie encore rien sur le patrimoine professionnel des personnes physiques et l’institut n’aurait de son propre aveu aucune donnée administrative mobilisable sur le patrimoine financier, alors même que ces deux patrimoines constituent l’essentiel de ce que détiennent les plus riches.

Refuser de voir

Aveugle sur l’ultra-richesse, la statistique publique le serait-elle moins si la puissance fiscale venait par le biais de ce nouvel impôt l’épauler ? C’est ce qui nous paraît un point important à défendre : en effet, l’un des intérêts de cette proposition de loi est de rappeler que le débat public fiscal est très peu éclairé, faute de données.

Il n’est en réalité pas de pires aveugles que ceux qui refusent de voir. En la matière, les débats sur la « taxe Zucman » à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi mettent en porte-à-faux une stratégie générale des gouvernements depuis près de 25 ans : le refus de l’impôt, le recul de l’impôt pour les plus riches avant tout, avec des résultats désastreux. Malgré les cadeaux fiscaux accumulés depuis des décennies, l’optimisation fiscale des grandes fortunes n’a jamais été aussi puissante et les déficits pour le financement de l’action publique s’accumulent.

Emmanuel Maurel le rappelait lors du débat sur la loi de règlement (concernant la loi de finances pur 2024) le 11 juin dernier : « Nous parlons d’un budget qui n’a jamais été adopté par personne et qui est par ailleurs le plus désastreux du 21e siècle au regard du décalage entre prévisions et réalisés des recettes. » Le gouvernement Bayrou s’apprête pourtant, avec Eric Lombard (qui se décrit lui-même comme issu de « la gauche qui n’aime pas l’impôt ») et Amélie de Montchalin, à relancer la « chasse à la dépense » (exigence de 40 milliards d’euros d’économies budgétaires), alors que le principal problème de la France est en réalité un manque croissant de recettes, les dépenses évoluant en France comme elles évoluent ailleurs en Europe.

Il faut donc persévérer. Bien que la Chambre Haute ait acquis une position clef dans les équilibres institutionnels depuis les embardées politiques du macronisme, le Sénat n’a pas les moyens de mettre un terme au débat fiscal : ce qui a été voté à l’Assemblée peut l’être à nouveau et la raison pourrait finir par l’emporter face aux besoins budgétaires du pays.

Frédéric Faravel

  1. Gabriel Zucman est un économiste français. Ancien enseignant en économie à la London School of Economics et à l’université de Californie à Berkeley, il est professeur des universités à l’École normale supérieure depuis 2023. Il est aussi directeur de l’Observatoire Européen des taxes. Il a défendu l’idée d’un impôt mondial sur les milliardaires au dernier G20. ↩︎
  2. Nom évidemment inventé de toute pièce… ↩︎
  3. « Nous partageons le constat qu’un impôt plancher sur les grandes fortunes est le plus efficace face à l’inégalité fiscale » https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/11/olivier-blanchard-jean-pisani-ferry-et-gabriel-zucman-nous-partageons-le-constat-qu-un-impot-plancher-sur-les-grandes-fortunes-est-le-plus-efficace-face-a-l-inegalite-fiscale_6612129_3232.html ↩︎

Sophie Camard : « La réforme de la loi PLM est une occasion ratée de changer radicalement le système » – entretien dans Le Monde

La maire Gauche Républicaine et Socialiste du 1ᵉʳ secteur de Marseille dénonce les effets pervers du texte étudié au Sénat à partir de mardi 3 juin sur le scrutin municipal pour Paris, Lyon, Marseille, qui introduit « un grand nombre de difficultés techniques et fonctionnelles que les parlementaires n’ont pas forcément repérées ».

Sophie Camard est maire GRS du 1ᵉʳ secteur de Marseille et également conseillère municipale chargée de la réforme de la loi électorale pour Paris, Lyon, Marseille, dite « loi PLM ». L’entretien accordé au Monde a été publié mardi 3 juin 2025 à 10 heures.

Le Sénat étudie, à partir de mardi 3 juin, la proposition de réforme de la loi PLM. Vous avez été auditionnée par sa commission des lois avec d’autres maires de secteur. Quels points avez-vous soulevés ?

D’abord, j’ai remercié les sénateurs de s’intéresser à notre ressenti d’élus de secteur car, étrangement, le député Sylvain Maillard (Renaissance, Paris), qui a rédigé la proposition de loi, n’a jamais répondu à mes sollicitations. J’ai également dit que, à mon sens, réformer ce mode électoral qui date de 1982 est une nécessité démocratique. Enfin, je leur ai parlé de tous les effets pervers que ce texte allait entraîner pour les secteurs et les arrondissements. En apparence, cette loi est simple, mais, dans son état actuel, elle introduit un grand nombre de difficultés techniques et fonctionnelles que les parlementaires n’ont pas forcément repérées. Plus globalement, ce qui est dommage, c’est que l’on a raté l’occasion de changer radicalement le système.

Vous dénoncez notamment l’un des points centraux de la réforme, qui instaure deux votes, donc deux urnes – trois à Lyon avec la métropole – pour désigner les élus de la mairie centrale et ceux des secteurs…

C’est le cœur de l’absurdité de cette loi, qui a été présentée comme une loi de simplification. Le gouvernement dit qu’avec ces deux urnes, il laisse aux électeurs la liberté d’exprimer des choix différents pour leur ville et leur secteur. Mais c’est un faux cadeau. La mairie de secteur n’est pas une collectivité de plein exercice, elle a très peu de budget et de compétences. A Marseille, où la décentralisation est la moins poussée, elle est essentielle dans le contact avec la population, mais fonctionne en réalité comme un gros service de l’exécutif central. On va faire croire aux électeurs que leurs élus de secteur, dont certains sont bénévoles, auront le pouvoir d’appliquer le programme sur lequel ils ont été choisis. Forcément, cela entraînera de la frustration pour tout le monde.

Quels points peuvent être encore améliorés par les parlementaires ?

Il faut absolument revenir à un bulletin unique, qui lie les deux votes. Contrairement à la loi PLM, le texte proposé permet de présenter des listes complètement différentes et ouvre le risque d’une coupure totale entre élus de secteur et conseillers municipaux. On peut aussi se retrouver avec un maire qui n’a pas la majorité des secteurs et qui, s’il le décide, peut s’en désintéresser à l’extrême. Il y avait de nombreux champs de réforme, comme abaisser le nombre d’élus, travailler sur la taille ou sur les compétences des mairies de secteur…

propos recueillis par Gilles Rof (Marseille, correspondant)

Les robots juges de notre humanité

Dans cette analyse, notre camarade Jean-François Collin se livre à une déconstruction lucide des lieux communs pour pointer les enjeux réels liés à l’explosion de la société numérique, de l’exploitation de la data et de l' »intelligence artificielle ».

Chat GPT n’est qu’un leurre

Sam Altman est une figure bien connue de l’industrie numérique mondiale, entre autres pour être le dirigeant de l’entreprise Open AI, qui a produit le trop connu robot conversationnel « Chat GPT ». Il a d’ailleurs été brièvement congédié, en novembre 2023, de ses fonctions de PDG d’Open AI, par son Conseil d’administration qui l’accusait d’avoir dissimulé un certain nombre d’informations essentielles, avant d’être réintégré dans ses fonctions une semaine plus tard. Ce n’est qu’un des épisodes des crises successives connues par cette entreprise, dont Elon Musk fut un cofondateur avant de la quitter (puis de proposer en février 2025 de la racheter pour 97 milliards de dollars) et dont Microsoft est l’actionnaire principal.

Open AI a été créée le 11 décembre 2015, sous la forme d’une association à but non lucratif, détenant une filiale à but lucratif plafonné, « Open AI Global LLC ».

Bien entendu, cette nouvelle entreprise n’avait d’autre but que le bien de l’humanité, puisque ses missions étaient, selon ses fondateurs, de « garantir que l’intelligence artificielle générale – c’est-à-dire (selon eux) les systèmes hautement autonomes qui surpassent les humains dans la plupart des travaux économiquement valorisés – profitent à toute l’humanité ». On aurait presque les larmes aux yeux devant une si haute ambition.

A défaut de profiter à l’ensemble de l’humanité, l’opération aura en tout cas bien profité aux deux fondateurs de l’entreprise : la fortune d’Elon Musk se compte en centaines de milliards de dollars et celle de Sam Altman est évaluée à au moins un milliard de dollars.

Sam Altman participait, comme JD Vance, au dîner offert par Emmanuel Macron, au mois de février 2025, à l’occasion du sommet international qu’il avait organisé sur l’intelligence artificielle. Comme le vice-président américain, Sam Altman a quitté le dîner avant la fin, ce que l’on peut difficilement prendre pour une marque de considération. Il faut dire que le champion de l’intelligence artificielle ne méprise pas complètement les contingences politiques. Il était démocrate lorsque les démocrates étaient au pouvoir, il est devenu républicain lorsque Trump est redevenu président. Il avait financé la campagne de J. Biden lorsque celui-ci l’a emporté face à Donald Trump en 2020 il aurait versé un million de dollars au Fonds inaugural du deuxième mandat de Donald Trump, et il suit JD. Vance lorsqu’il quitte un dîner sans dire merci.

On a beaucoup parlé de Chat GPT. Les médias français ont assuré une incroyable campagne de promotion gratuite à ce robot conversationnel américain, publicité qui a dû faire rêver son concurrent français, Mistral AI, qui n’a pas suscité le même intérêt de nos radios ou télévisions.

Mais nos médias ont beaucoup moins parlé d’un autre projet lancé par Sam Altman depuis 2021, pourtant bien plus terrifiant que Chat GPT. Il s’agit de deux plateformes, l’une de gestion de monnaie numérique, Worldcoin, l’autre d’identification des individus par scannage de leur rétine, World ID.

World ID : un projet de fichage mondial de l’humanité

Sam Altman a constaté que l’intelligence artificielle conquérait progressivement tous les domaines d’activité, en même temps que s’amélioraient ses performances. Une bonne chose aux yeux de notre entrepreneur californien, mais en même temps cette évolution pose un problème. Les « Bots », ces multiples logiciels qui interviennent dans le fonctionnement d’autres logiciels pour traiter des opérations répétitives et garantir leur bon fonctionnement, sont de plus en plus utilisés pour pirater les services numériques. Le développement des infrastructures numériques est tel qu’il est de plus en plus difficile de savoir à quel moment un ordinateur dialogue avec un autre ordinateur plutôt qu’avec un être humain. Des dispositifs divers ont été développés par lesquels on nous demande de certifier que nous sommes bien des êtres humains, en particulier les tests Captchas, qui consistent à cocher sur une image représentant divers objets, les cases figurant des autobus, des motos ou des escaliers. Mais bien entendu, il n’a pas fallu très longtemps pour mettre au point des logiciels capables de cocher les bonnes cases aussi bien qu’un humain était capable de le faire.

Sam Altman arriva alors avec sa solution : scanner la rétine des utilisateurs par un appareil dédié et stocker le résultat dans ses ordinateurs. La publicité de sa plateforme « World ID » a même le culot d’expliquer que, grâce à ce dispositif, nous allons enfin cesser de mettre à disposition de plateformes électroniques des informations personnelles. Nous n’aurons plus à saisir notre adresse ou notre numéro de carte d’identité, mais seulement à déposer le scan de notre iris qui permettra à l’ordinateur de savoir que nous sommes un être humain – au moins aussi longtemps que les sorciers de l’IA n’auront pas inventé un dispositif électronique capable de reproduire un iris humain – et en plus de savoir que nous sommes un humain particulier, puisqu’aucun iris ne ressemble complètement à un autre.

Mais que peut-il y avoir de plus personnel qu’une information de ce type  ? On peut tricher sur son adresse ou son âge, se procurer de faux papiers d’identité, mais il reste plus compliqué de se fait à greffer un autre œil que celui dont nous sommes dotés à la naissance.

Cette Banque mondiale de données biologiques est donc bien une banque de données personnelles encore plus sensibles que tout ce qui existe jusque-là. D’ailleurs, un article publié par la « MIT Technology Review », mettait en cause le marketing mensonger de la société et considérait qu’elle collectait des données personnelles, sans obtenir le consentement éclairé des utilisateurs, en violation des directives protégeant les données, en vigueur en Europe ou dans d’autres régions du monde. Le Royaume-Uni a d’ailleurs indiqué qu’il allait engager une enquête pour vérifier la conformité de ces plateformes à la réglementation en vigueur.

Manifestement, ce n’est pas un sujet qu’Emmanuel Macron aura évoqué lors de son sommet mondial de l’intelligence artificielle du mois de février 2025, ni lors du sommet « Choose France » (pourquoi pas Choisir la France ?) organisé à Versailles le 19 mai dernier, pour se féliciter des milliards d’investissements annoncés, particulièrement dans l’intelligence artificielle et les centres de traitement de données, en provenance du Moyen-Orient et des États-Unis.

Sam Altman nous le promet, avec lui, aucun risque de fuites de données et de divulgation de nos données personnelles. Le scannage des yeux des utilisateurs permettant d’alimenter World ID est assuré par un appareil répondant au nom « d’Orb », que Sam Altman veut déployer aux États-Unis et dans le reste du monde. Techcrunch (spécialisé dans l’actualité des startups) a révélé en mai 2023 que des pirates informatiques avaient installé un logiciel leur permettant d’accéder au tableau de bord des opérateurs d’Orbs. Les opérateurs en question sont chargés de collecter les données biométriques et sont rémunérés pour chaque nouvelle utilisateur numérisé.

Pas plus que les autres plateforme informatiques, World ID ne pourra garantir la sécurité des données personnelles qu’elle détiendra.

Base de données personnelles et bitcoin

Le projet de Sam Altman est donc de constituer une gigantesque base de données d’identification des êtres humains, qu’il pourra ensuite vendre à tous les autres fournisseurs de services électroniques, en leur garantissant qu’ils s’adresseront bien à des êtres humains et non à d’autres robots.

Pour assurer le succès de l’entreprise, le couplage de la plateforme de centralisation des informations personnelles avec une plateforme de gestion de cryptomonnaie (monnaie numérique), présentait un grand avantage. En effet, les candidats au scannage de leur rétine bénéficient d’une allocation de monnaie numérique géré par Worldcoin, dont la valeur évolue comme toutes les monnaies numériques en fonction de la spéculation dont elle est l’objet, mais qui équivalait au lancement du projet à une quarantaine de dollars. Worldcoin a prospecté, pour avoir plus de chances de succès, dans les pays pauvres d’Afrique et d’Asie dans lesquels une dotation de ce montant pouvait présenter un attrait réel, de sorte qu’elle a assez rapidement pu scanner la rétine de plusieurs millions d’individus. Sam Altman a même eu le toupet de présenter cette opération comme une première expérience mondiale de mise en place d’un salaire universel !

Quand allons-nous les arrêter ?

Cette expérience réunit tous les éléments qui devraient conduire, dans un monde dirigé par des gens sensés, à l’expropriation sans délai et sans indemnités, des quelques géants du numériques, américains et chinois, qui développent à grands frais des technologies inutiles et dangereuses et par l’interdiction d’une grande partie de cette activité.

Ce nouveau projet de Sam Altman n’est justifié que par l’impasse dans laquelle se trouvent les industries numériques.

A force de remplacer les êtres humains par des robots, les robots parlent aux robots.

L’ennui, c’est que pour amortir les centaines de milliards investis dans ce qui est baptisé « intelligence artificielle », alors qu’il s’agit plutôt d’abrutissement généralisé, il faut que les humains interviennent pour dépenser leur argent. Il faut s’assurer que des humains participeront à ce grand circuit numérique, faute de quoi le cirque fera faillite.

Les humains n’ont jamais eu de mal, jusque-là, à reconnaître d’autres humains. Ils n’ont pas eu besoin de dispositifs spécifiques. Ils savent spontanément faire la différence entre un humain et un animal, ou entre un humain et une machine. Nous en sommes même capables depuis un âge très précoce. Mais cette capacité spontanée des êtres humains à se reconnaître entre eux est insupportable pour les nouveaux maîtres du monde, ou ceux qui se considèrent comme tels, les « géants de la tech » comme ils se désignent eux-mêmes.

Désormais, notre humanité doit être attestée par un ordinateur.

Sam Altman, ou l’un de ses semblables, doivent pouvoir constituer et détenir une Banque mondiale de l’identité des humains peuplant cette planète, afin de leur donner l’accès au nouveau monde, le monde merveilleux des services numériques dans lequel nous sommes appelés à évoluer.

Les « Orbs » qui vont permettre à World ID de scanner nos rétines, pour contrôler notre accès au monde numérique, ne sont d’ailleurs que du bricolage. Un jour viendra où nous serons tous dotés de dispositifs plus sophistiqués de reconnaissance dès la naissance, afin de régler cette difficulté technique et d’éviter le coûteux déploiement de milliers d’Orbs à travers le monde.

Et tout cela pour quoi faire  ?

Développer un nouveau réseau de monnaie numérique. Mais qui a besoin de monnaie numérique ?

Rappelons que ceux qui ont promu cette idée géniale appartenaient majoritairement au courant libertarien américain, qui a vu dans cette technologie un moyen de créer un équivalent monétaire échappant au contrôle des institutions étatiques. Les monnaies numériques sont rapidement devenues un moyen privilégié d’échanges monétaires entre les mafias et les trafiquants en tout genre. Elles ont permis au passage de plumer les naïfs qui ont cru que l’on pouvait faire fortune à partir de rien et qui ont acheté, cher, du vent jusqu’à ce que celui-ci ne révèle sa véritable valeur. L’histoire des monnaies numériques est celle d’une suite de montées spéculatives et de faillites. On peut ajouter que ce système ne fonctionne qu’au prix d’un gaspillage énergétique considérable, dans lequel notre président voit des opportunités pour relancer la production d’électricité d’origine nucléaire.

Un jour ou l’autre, les États devront décider de ce qu’ils font.

Pour le moment, comme d’habitude, les dirigeants, plus faciles à berner qu’ils ne le croient, s’émerveillent devant les monnaies électroniques. La BCE veut lancer son euro électronique. Cette fois c’est sûr l’Europe sera sauvée. Dans une démarche plus libérale, Donald Trump a lancé ses propres « Trump coins » au moment où il a été réélu. Il a réalisé un substantiel profit grâce à cela, laissant ses admirateurs avec une monnaie numérique qui a immédiatement perdue toute valeur, mais quand on aime on ne compte pas.

L’argument de vente majeur de la monnaie électronique est son caractère secret. Secret, bien sûr, vis-à-vis des autorités de régulation. C’est pourquoi, l’alternative pour l’avenir paraît assez simple. Soit les États, à travers le monde, continueront à laisser faire, voire à favoriser le développement des monnaies électroniques, et le système financier mondial qui menace déjà l’économie internationale, deviendra ingouvernable et nous conduira aux pires catastrophes. Soit les États prendront le contrôle des monnaies numériques, en interdiront le contrôle et la création à des opérateurs privés et ils disposeront alors d’un outil de maîtrise et de surveillance de l’économie, via le contrôle des mouvements monétaires, sans équivalent avec ce qui existe aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Dans un monde idéal géré démocratiquement, ce contrôle permettrait d’assurer la stabilité du système financier et monétaire. Dans un monde dominé par des « prédateurs », pour reprendre la description faite par Giuliano da Empoli de la nouvelle génération de dirigeants de la planète, ils disposeront d’un contrôle sans équivalent de la population.

Le projet de World ID confirme qu’une des applications essentielles de la soi-disant intelligence artificielle est le fichage généralisé de la population, au travers de la reconnaissance faciale et maintenant du scannage de nos iris.

Il est aussi la confirmation de la volonté de prise du pouvoir des entreprises numériques, ambition qui ne connaît pas de limites puisqu’ils veulent désormais que notre propre humanité soit attestée par les dispositifs qu’ils contrôlent et non par les interactions habituelles entre les êtres humains, qui ont permis à ceux-ci, jusque-là, de se reconnaître comme membres d’une humanité. L’humanité n’est pas qu’une construction biologique, elle n’est pas qu’une affaire de conformation d’iris, mais aussi une construction sociale et politique.

Si ce projet, et d’autres du même type, devaient prospérer, il y aurait de quoi être très inquiet pour notre avenir. Notre rapport aux autres et au monde perd chaque jour un peu plus de sa réalité, de son immédiateté et de sa consistance. Tous les efforts des industriels du numérique appuyés par les autorités politiques et financés par le capitalisme mondial qui espère y trouver un relais de croissance, concourent à séparer les humains des humains, et à nous contraindre dans nos relations avec les autres et notre environnement, à emprunter le truchement d’un ordinateur et d’une plateforme ou d’un outil numérique.

Il est très inquiétant de constater que 26 millions d’humains ont déjà accepté de confier leur iris à la World Company de M Altman. Les hommes seraient-ils donc tellement fatigués d’être humains qu’il soient prêts à abandonner la responsabilité de leur humanité à une machine ?

Ma conviction est en tout cas que face à de telles entreprises, les discours habituels sur la neutralité de l’outil, qui ne serait pas en lui-même dangereux mais seulement en raison du mauvais usage qui pourrait en être fait, ou encore les propos sur la « bonne gouvernance » qui permettrait d’éviter les dérives, « parce que tout de même on ne peut pas aller contre le progrès », sont totalement inadaptés.

De telles entreprises doivent être purement et simplement interdites.

Allons-nous enfin nous réveiller et prendre cette décision ?

Jean-François Collin
Haut-fonctionnaire à la retraite

Choose France forever ? David Cayla dans le 28 mn d’arte, le 21 mai 2025

La 8e édition du sommet “Choose France”, censé attirer les investisseurs étrangers en France, s’est tenue ce lundi 19 mai. 20 milliards d’euros d’investissements y ont été annoncés. Mais une enquête du magazine “L’Usine Nouvelle” montre que ce sont surtout des réinvestissements sur des sites existants. La France est-elle aussi performante que ce sommet le laisse entendre ?

David Cayla était l’invité du 28 mn d’Arte le mercredi 21 mai 2025.

Il a notamment expliqué que ces événements réguliers marquent le renoncement de la France à agir pour changer les règles commerciales et industrielles de l’UE. Emmanuel Macron préfère la stratégie du bon élève, devenir plus attractive que ses voisins aux yeux du capital. Lorsque nous nous comparons à des pays avec une économie similaire comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni alors oui nous sommes les plus attractifs ; seulement, en proportion des investissements par rapport à la taille des économies, nous ne sommes pas le pays le plus attractif, l’Irlande est bien au-dessus de nous.

Et surtout nous créons moins d’emplois car nous avons en réalité accélérer notre désindustrialisation donc le problème reste entier… avec un dépendance accrue à l’extérieur : cette année, la plupart des accords ont été négociés en amont, mais dès l’année prochaine, nous risquons de voir les investissements américains faiblir d’autant qu’Emmanuel Macron n’a plus la main sur les questions fiscales avec sa majorité relative. Cela n’incite pas à investir.

20 ans du « non » au TCE : une trahison et 20 ans de perdus

Après une campagne intense et une forte mobilisation populaire, le traité établissant une Constitution pour l’Europe était rejeté par référendum le 29 mai 2005. Les institutions permirent ensuite au président Nicolas Sarkozy de bafouer ce vote en faisant adopter un texte jumeau : le traité de Lisbonne. Sous-estimé à l’époque, ce déni de démocratie marque pourtant un tournant dans la vie publique française.

Mais surtout 20 ans après, les anciens acteurs de la trahison – une partie des social-démocrates, les conservateurs et les libéraux européens – commencent tout juste à percevoir les effets dévastateurs d’une construction européenne qui n’a fixé aucune limite à la libre-circulation du capital. Non seulement le Traité de Lisbonne de 2008 a trahi les référendums français et néerlandais, mais il en a même rajouté, en consacrant le principe d’une circulation du capital sans limites intérieures ni extérieures et en donnant la compétence exclusive de la politique commerciale à l’Union Européenne (cela a accouché de la catastrophe en série des traités de libre-échange) !

Jusqu’à la guerre d’Ukraine et l’élection de Trump, il était proprement inconvenant ne serait-ce que de suggérer la mise en place d’une politique industrielle européenne. Aujourd’hui, la pesante et pénible machine bruxelloise commence à prendre conscience que le libre-échange n’est pas paré de toutes les vertus. Mais pour l’instant, pratiquement rien ne bouge. Pire Ursula Von der Leyen continue de faire comme avant et de ne jurer que par la « Sainte-Trinité » néolibérale – austérité budgétaire, concurrence féroce (à l’intérieur et à l’extérieur), libre-échange généralisé –, alors même que plusieurs gouvernements européens se relèvent peu eu peu avec la gueule de bois. Pourtant le temps presse pour sauver l’industrie et la production européennes.

Les solutions existent. L’Europe a un besoin urgent d’investissements productifs adossés sur une politique budgétaire volontariste, qui pourrait s’inspirer de l’exemple américain : soutien actif à la relocalisation, mise en place de barrières écologiques et sociales à l’entrée du marché, grands projets d’infrastructures. On ajoutera : « et contrôle des flux de capitaux ».

Injonctions contradictoires

À la relance budgétaire devrait aussi correspondre une politique monétaire analogue à celle qui a amorti la crise durant les années 2010, en « monétisant » une partie des dettes publiques. On sait peu, par exemple, que 25% de la dette française est détenue par la Banque de France, pour le compte de la BCE. Ce qui réduit d’autant, en réalité, notre ratio dette/PIB. Pour donner à nos industries toutes leurs chances, les nouveaux investissements stratégiques financés par des emprunts d’États devraient bénéficier des mêmes « facilités quantitatives ».

Les annonces de la Commission sur le secteur de la défense vont dans ce sens, qui en sortent les investissements publics du calcul du déficit. C’est une bonne nouvelle. Mais pourquoi s’en tenir au seul secteur de la défense ? Pourquoi ne pas faire de même pour les investissements écologiques, technologiques et numériques ? Mais nous n’en sommes qu’aux annonces. Et pendant que le temps passe, le risque du « business as usual » avec Ursula nous guette.

Il est temps de sortir l’UE de sa matrice néolibérale et de restaurer le rôle de la puissance publique. Mais la force d’inertie idéologique des dirigeants européens et surtout des traités la retient, et la ramène à ses fondamentaux : le tout-marché et la concurrence libre et non faussée. C’est la raison pour laquelle l’UE envisage une étape supplémentaire de dérégulation massive pour « lever les freins à la croissance ».

Ainsi le rapport Draghi, qui a fait grand bruit, est axé sur deux orientations : la relance de l’investissement productif et la dérégulation. Les rapports de force entre États et la perméabilité des technocrates de la Commission aux thèses du patronat se sont conjugués pour ne pas trop en faire sur l’investissement et se concentrer sur la dérégulation. Or il s’agit là d’un risque mortel pour l’Europe : les gagnants de la dérégulation ne seront pas les Européens mais leurs concurrents internationaux, qui n’attendent que ça pour faire encore plus baisser le prix de leurs exportations.

Il serait insensé de réduire notre ambition écologique ou nos règles relatives à la bonne gouvernance des entreprises, et encore moins celles relatives à la sécurité des produits, notamment agricoles. D’autant que bon an mal an, les entreprises les respectent et maintiennent ainsi un niveau de qualité qui demeure un vrai avantage compétitif.

Reprendre la main

Plutôt que réduire nos règles au niveau de la moyenne mondiale, il faudrait au contraire les imposer à toutes les entreprises non-européennes dont les produits, notamment agricoles, inondent notre marché intérieur.

L’Union Européenne et ses États membres ont besoin d’investissements. Ils ont besoin d’action publique, ils ont besoin de réglementation et de contrôle des flux. Les citoyens sont en demande d’État et supportent de plus en plus mal leur rétraction imposée de l’extérieur, avec la complicité d’élites technocratiques néolibérales.

Seule la puissance publique peut préserver leurs libertés fondamentales, et les citoyens mesurent de plus en plus les dégâts économiques du recul de l’État. Et enfin les citoyens veulent que l’État les aide, les protège et les soutienne dans leur lutte quotidienne pour une vie digne. L’impuissantement de l’État conduit au rejet. Nos ennemis l’ont compris : l’attraction sur les classes populaires exercée par le RN en France, et a fortiori par un Trump aux États-Unis, trouve une partie de sa source dans cette promesse d’action. La débâcle macronienne laisse la gauche seule, à tout le moins en première ligne, pour résister à la progression de l’autoritarisme et du nationalisme. Pour y parvenir, elle doit convaincre les classes populaires et moyennes qu’elle est à leur service et qu’elle agira avec détermination en leur faveur, y compris en s’affranchissant de certaines règles, européennes pour la plupart, qui interdisent au politique de peser vraiment sur l’économie.

20 ans après le rejet du TCE, il est temps de remettre les choses dans l’ordre et le temps nous est compté.

Sauver le rail français : l’ouverture à la concurrence, la solution miracle? Chloé Petat pour « Eclairages » de la GRS des Landes

S’interroger, sortir de l’impuissance, explorer les possibles, faire vivre le débat public… Éclairages est une initiative de la Gauche Républicaine et Socialiste dans les Landes afin de s’informer, de réfléchir et d’échanger en proposant régulièrement différents thèmes.

Le lundi 12 mai 2025 avait lieu la 4e Conférence-débat, à l’Aire-sur-l’Adour, elle était animée par Chloé Pétat, avec la participation du Collectif « Osons le train ». « Sauver le rail français : l’ouverture à la concurrence, la solution miracle ? »

L’ouverture à la concurrence du rail français est effective depuis 2006 pour le fret et depuis 2020 pour le transport des voyageurs. Impulsée par l’Union européenne, la concurrence doit permettre selon ses défenseurs d’améliorer la qualité de service et de baisser les prix pour les usagers et les régions. Qu’en est-il réellement ? Au-delà de l’ouverture à la concurrence, quelle est la situation du rail français ? Comment mettre en place une politique publique efficace autour du transport ferroviaire notamment pour mieux desservir les territoires ?

Membre du collectif de direction de la Gauche Républicaine et Socialiste et essayiste, Chloé Petat est l’autrice de l’ouvrage : La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIe siècle (Le Bord de l’eau, 2024).

ARCELOR-MITTAL : l’État n’a pas se complaire dans l’impuissance, il peut nationaliser !

Alors que des rassemblements sont organisés ce matin devant le siège d’Arcelor-Mittal à Saint-Denis, nous publions l’article initialement mis en ligne sur le site de Marie-Noëlle Lienemann le 6 mai 2025, sur ce dossier vital.

Arrêtons les choix désastreux.

Nous payons lourdement les erreurs accumulées par les néolibéraux en France et en Europe.

Cela commence en 1995 quand le gouvernement Juppé, sous la présidence de Jacques Chirac, décide la privatisation d’Usinor. La nationalisation réalisée en 1982 avait permis de remettre sur les rails l’entreprise qui pâtissait du sous-investissement de la famille De Wendel, alors propriétaire.  Le groupe nationalisé avait dû faire face à de profondes réorganisations avec des douloureuses suppressions d’emplois. Il était alors le troisième groupe sidérurgique mondial !

Avec la privatisation d’Usinor, l’État avait récupéré 17 milliards de Francs (l’équivalent aujourd’hui de 4,2 milliards d’euros) qui partiront en fumée ; et cette privatisation, comme la plupart de celles réalisées au moment du grand basculement libéral, va ouvrir la porte à la financiarisation de notre économie et à la désindustrialisation, tout en appauvrissant l’État. Dans le cas d’Usinor, cette privatisation rendra le groupe particulièrement vulnérable lors de la fusion européenne aboutissant à la création d’Arcelor. Elle signe également une perte d’influence française, et plus encore lors de l’OPA hostile de Mittal qui en prendra le contrôle en 2006. Le gouvernement français avait alors exprimé son désaccord mais les actionnaires eurent le dernier mot et ne se préoccupaient que de la valorisation de leurs actions !!

Déjà, déplorer ne servait à rien, il aurait fallu ne pas se laisser faire et renationaliser. Mais l’aveuglement idéologique sévit une fois de plus !

Nous avons tous en mémoire la fermeture des hauts fourneaux à Florange en 2012 et de l’absurde décision de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault qui l’acceptèrent et se contentèrent de plans sociaux et du maintien d’activités a minima sur le site, en balayant d’un revers de main la proposition de nationalisation temporaire faite par Arnaud Montebourg ; d’autres repreneurs se disaient intéressés et qu’un rapport demandé sur la filière acier démontrait la viabilité de cette solution ! Là-encore, la posture fut d’abord idéologique avec cette phrase stupéfiante de Jean-Marc Ayrault : « on ne va pas refaire les mêmes erreurs qu’en 1981 ! » Dramatique et pathétique ! Ce sera hélas le symbole des renoncements du quinquennat de François Hollande.

A la fois comme parlementaire et comme responsable du Parti Socialiste, je n’ai cessé, avec bien d’autres, d’alerter, de tenter de convaincre le pouvoir ! en vain !  Il faut se souvenir qu’au même moment aux USA Barack Obama, lui, nationalisait General Motors pour sauver l’industrie automobile ! Dès lors, Mittal avait bien compris qu’il serait durablement en position dominante face aux pouvoirs publics français ! Le comble est que de surcroît la famille Mittal bénéficiera de 100 millions d’euros issus des fonds de cohésion de l’UE entre 2014 et 2020 ! et d’ailleurs un aciériste américain aussi. Mais tout cela sans stratégie globale de filière, tant des États membres que de l’Union, alors que la concurrence mondiale s’exacerbe.

Comme de coutume, les institutions européennes tergiverseront pour relever les droits de douanes face au dumping chinois et, surtout, seront incapables d’organiser une riposte garantissant notre souveraineté dans ce secteur clé de l’acier, alors même que des surcapacités internationales de production s’accumulaient et que Mittal, comme d’autres producteurs mondiaux, envisageaient de fermer un grand nombre de sites en Europe !

Face à cela, les Italiens ont récemment réagi et annoncé la nationalisation d’un des plus importants hauts- fourneaux d’Europe ! Le parlement de Grande Bretagne vient de délibérer pour nationaliser leurs deux derniers hauts-fourneaux pesant ainsi sur le propriétaire indien qui voulait les fermer !

Les menaces se profilent aussi en France et se concrétisent avec les récentes annonces de Mittal. Mais le gouvernement français semble n’avoir rien vu venir et nous fait croire qu’il espère obtenir des concessions de Mittal ! D’une part, on connaît hélas la succession de promesses non tenues de la multinationale, d’autre part, c’est reculer pour mieux sauter et rester prisonnier des intérêts privés. Rappelons-nous, il y a peu encore, le groupe annonçait des investissements largement subventionnés par l’État pour la production décarbonée et maintenant on prévoit des réductions massives d’activités.

C’est pourquoi, il ne faut plus traîner, ni tourner autour du pot.

Comme nos voisins italiens et britanniques, il faut voter de toute urgence une loi permettant la nationalisation de tout ou partie des sites français d’Arcelor-Mittal.

Une nationalisation, qui peut avoir une vocation temporaire, qui peut prendre la forme d’une entrée décisive au capital et, en tout cas, doit nous permettre de créer un rapport de force pour définir un cadre stable, durable pour l’avenir de la production d’acier en France, garantissant notre souveraineté et engageant sérieusement la décarbonation !

Le gouvernement va nous dire que nous n’avons pas les moyens, mais la situation italienne ou britannique n’est pas meilleure et prendre des parts dans cette entreprise n’équivaut pas une dette mais à des actifs, qui nous rapporterons, comme ils rapportent aujourd’hui à la famille Mittal et à ses actionnaires !

Il sera grand temps ensuite d’obtenir des institutions européennes la définition d’une stratégie de filière en Europe, en déployant au mieux la complémentarité de nos savoir-faire et capacités. Cette démarche doit être intergouvernementale et engager les pays volontaires, car sinon il va falloir attendre un siècle et nous aurons déjà perdu beaucoup d’usines, de capacités, de savoir-faire et d’emplois !

Ne nous laissons pas endormir par les paroles lénifiantes du ministre de l’industrie, imposons la nationalisation !

Marie-Noëlle Lienemann
Ancienne Ministre, ancienne parlementaire,
Coordinatrice nationale de la Gauche Républicaine et Socialiste

Ce que nous dit la démographie de l’état de la Russie

L’analyse des données démographique est passionnante. Ce sont des statistiques difficiles à falsifier, même pour un régime autoritaire. Pour vous en convaincre, vous pouvez écouter la conférence donnée par Emmanuel Todd dont vous trouverez les références en note de bas de page1.

Voyons ce que nous apprend la démographie russe.

La première chose à dire c’est que la situation démographique russe n’est pas très bonne.
Sa population baisse globalement depuis l’effondrement de l’URSS, le solde migratoire ne compensant pas le déclin naturel. Le taux de fertilité a baissé à 1,4 enfant par femme en 2023.

Si l’on suit l’évolution récente, on remarque que la Russie a d’abord perdu près de 6 millions d’habitants entre 1993 et 2008, puis en a gagné 4 millions entre 2008 et 2018, et enfin elle a perdu environ 800 000 habitants entre 2018 et 2023. Mais il y a certains détails bizarres.

De 2008 à 2018, son solde naturel est négatif, sauf entre 2013 et 2015. C’est grâce à l’immigration que sa population a progressé de 4 millions. Mais le solde naturel s’est énormément dégradé dans la période récente, passant de -0,8‰ entre 2008 et 2018 à -4,3‰ depuis 2018 !

Mais il y a deux années très bizarres, les années 2014 et 2022. Ces années-là, les soldes migratoires ont été respectivement de… 17,8‰ et 10‰. C’est énorme ! Or, ces chiffres officiels traduisent simplement l’annexion de la Crimée en 2014 et de quatre oblasts ukrainiens en 2022.

Autrement dit, le déclin démographique russe a été masqué par sa politique d’annexion, ce qui fait que, à territoire constant, la Russie continue de se dépeupler à toute vitesse, en particulier depuis 2018. Mais il y a encore plus étrange : l’évolution de l’espérance de vie.
L’espérance de vie en Russie n’a jamais été très bonne. 68 ans pour les hommes, 79 ans pour les femmes. Un écart de 11 ans ! Il est de 6 ans en France. En plus, son évolution est complètement chaotique quand on la compare à l’évolution française, ce que je fais dans ces deux graphiques.

Mais observons les toutes dernières années. Quel est cet effondrement de l’espérance de vie en 2020-2021 ? C’est la conséquence de la pandémie de Covid. Entre 2019 et 2021, les Russes ont perdu 2 ans d’espérance de vie pour les hommes, 3 ans pour les femmes !

La gestion du Covid a clairement été catastrophique. En comparaison, les Français n’ont perdu qu’un an d’espérance de vie pendant la pandémie. Et pourtant, la proportion de plus de 65 ans est bien supérieure en France à ce qu’elle est en Russie. Les chiffres démographiques sont implacables. Les deux années précédant la guerre, la Russie a connu une surmortalité de 900.000 à 1 million de personnes. Cette surmortalité, dont une partie était évitable, fut en partie masquée par l’annexion des oblasts ukrainiens l’année suivante.

Mais cela révèle surtout l’incurie totale de ce gouvernement et de sa gestion de la crise sanitaire. Cela démontre aussi le peu de cas que fait le gouvernement russe de sa propre population. Mais voyons si on peut voir les effets démographiques du conflit. Pour cela, il faut regarder non pas l’évolution de la mortalité, mais plutôt l’évolution de l’espérance de vie, car ce sont des hommes relativement jeunes qui meurent à la guerre, alors que c’était des personnes âgées qui décédaient du Covid.

Or, que constate-t-on ? On voit qu’en 2023, l’espérance de vie des hommes est restée inférieure à ce qu’elle était en 2019, alors qu’elle est supérieure d’un an pour les femmes. En France, l’espérance de vie des hommes et des femmes a suivi la même évolution et sont revenues à leur niveau de 2019.

Conclusions :

1/ Le choc du Covid a été considérable en Russie et montre un délabrement du système de santé russe et une incurie du gouvernement.
2/ Le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine n’a pas vraiment permis à la population de demander des comptes à ce sujet.
3/ Le choc démographique de la guerre se voit dans les données de l’espérance de vie 2023. Il faudra attendre de voir si l’écart hommes/femmes s’approfondit ou non en 2024.
4/ La démographie, c’est de la politique et, sur ce point, Emmanuel Todd a raison.

David Cayla

  1. https://www.youtube.com/live/1am5nf9Ponc?si=Z4PDb_trw2mT15rS ↩︎

Etat des lieux sur le mal logement et l’ubérisation en France et en Europe – débat à Marseille le 3 mai 2025

À Marseille, après la marche exploratoire avec Sophie Camard (Maire GRS du 1er secteur de Marseille et administratrice de la société publique locale d’aménagement – d’intérêt national contre l’habitat indigne), dans la rue d’Aubagne sur l’action publique pour la réhabilitation des logements, démontrant le caractère essentiel de l’investissement public, se tenait dans les locaux de la fédération départementale du Parti Communiste Français un débat sur le thème « En France, en Europe, le logement n’est pas un privilège, c’est un droit ! »

Une initiative collective du Parti de la Gauche Européenne.

Le débat était introduit et animé par Hélène Bidard (Secrétariat Politique du PGE, conseillère PCF et adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes)

avec

  • Naïma Senanedj (Parti Communiste Français, Bouches-du-Rhône)
  • Ismael González (Coordinateur de la campagne logement du Parti de la Gauche Européenne)
  • Christophe Casanova (Journaliste à La Marseillaise)
  • Sophie Camard (Maire GRS du 1er secteur de Marseille)
  • Marianne Margaté (Sénatrice PCF de Seine-et-Marne)
  • Simon de Beer (PTB, en charge du logement à Forest, Bruxelles)

Allemagne : Friedrich Merz investi chancelier dans la douleur

Friedrich Merz, nouveau chancelier après une investiture dans la douleur, des résultats électoraux médiocres, une économie anémiée – Merz, le nouveau chancelier a manqué son investiture ce matin. Il lui a fallu un second tour inédit depuis 1949 en Allemagne. Il va être jugé sur sa capacité à relancer une économie stagnante depuis 2019, et un pouvoir d’achat en recul.

L’Allemagne a été longtemps présentée comme le « nouvel hégémon » en Europe. En France, beaucoup ont voulu mettre en scène l’Allemagne comme un « modèle » lorsqu’il s’agissait d’obscurcir le débat économique, fiscal et budgétaire.

Les « chocs » de compétitivité étaient ainsi censés « remettre » l’économie française à niveau pour pouvoir « rétablir » le commerce extérieur et accélérer la croissance.
De nombreuses différences structurelles ont été soigneusement ignorées.

La plus évidente d’entre elles, c’est que l’Allemagne est depuis 50 ans maintenant un pays en déclin démographique, obligé de compenser la baisse de sa main d’œuvre par l’immigration, alors que la France a continué de croître avec un excédent de naissances sur les décès jusqu’en 2023.

Une autre évidence, alors que les Françaises sont plus souvent mères que les Allemandes, leur taux d’activité après enfants est comparable, et leur niveau de revenu plus élevé.
50% des femmes en emploi en Allemagne sont en effet seulement à temps partiel, contre seulement 13% des hommes, et seulement 26% des Françaises.

On a chanté les louanges d’un Etat sans déficit, à faible dette, d’un plein-emploi, d’un commerce extérieur en fort excédent.

Entre 2010 et 2025, l’Allemagne a accumulé 3000 milliards d’excédents commerciaux. Son taux d’épargne, plus élevé que la France, a renforcé le montant d’épargne disponible pour de l’investissement. L’Allemagne dispose d’un bas de laine équivalent à plus de 3 ans de PIB ! Pourtant, l’économie allemande stagne depuis … 2019 ! La croissance est nulle sur six ans.

Le taux de pauvreté a progressé entre 2010 et 2023, passant à 17%, soit plus qu’en France, alors que le niveau de pouvoir d’achat des salaires stagne. La demande intérieure reste déprimée, et depuis 2019, l’Allemagne connaît aussi une désindustrialisation. Ce n’est pas normal. Et cela rend les Allemands furieux.

Alors que l’extrême droite est d’une taille négligeable en 2002, et l’extrême gauche anti-système réduite à seulement deux députées, en 2025, c’est une autre affaire. Les deux partis majeurs de gouvernement, SPD et Droite, passent de 77% en 2002 à … 45% en 2025. La gauche radicale (Linke+BsW) passe de 4% à 13,8%, l’extrême droite de 2% à 21%.

Qu’a donc fait l’Allemagne de cette épargne?
Pourquoi n’a t-elle pas investi ?
Pourquoi a t-elle refusé de mutualiser les dettes publiques dans l’Eurozone – ce qui lui aurait donné des débouchés à son épargne, et l’instrument d’une vision à construire en Europe?
Pourquoi a-t-elle, avec la règle d’or, refusé d’investir dans son propre pays, privant l’État de la possibilité de capter l’épargne ?

Certains pourraient argumenter qu’elle en a profité pour investir à l’étranger. Oui, elle l’a fait. « Entre 2010 et 2020, le niveau d’investissement en points de PIB stagne en Eurozone. L’Allemagne investit son épargne en Russie, Turquie, Chine, et les États-Unis – ne bénéficiant pas aux Allemands. »

Mais voilà un résultat de deux analyses scientifiques des investissements allemands hors de la zone euro : les Allemands sont de médiocres investisseurs internationaux, dégageant des rendements médiocres, et perdant régulièrement leur mises.

Un article de 2019 (Hünnekes et alii (2019)) avait déjà constaté qu’entre 1980 et 2016 l’Allemagne avait été le pire pays dans ses choix d’investissement, très très loin des rendements de la moyenne des marchés de capitaux, des investissements des Britanniques ou des Américains !

Une mise à jour de l’article de début 2025 (Hünnekes et alii (2025)) constate que c’est toujours le cas, que l’Allemagne, en tant qu’investisseur international, malgré les volumes considérables – 2,5 fois le PIB annuel, 250% ! – joue en « troisième division ».

La France par exemple réussit à équilibrer ses comptes nationaux entre dette publique et épargne privée. Sa balance des paiements est étonnamment robuste grâce aux dividendes internationaux, revenus financiers rapatriés, et revenus du tourisme compensant quasiment son déficit commercial.
C’est pourquoi la France n’est PAS en faillite. Elle joue avec moins d’épargne un bien meilleur jeu financier.

Mais il y a un point commun entre les deux pays : les choix politiques, économiques, financiers et fiscaux favorisent une petite minorité qui n’a pas intérêt à une forte demande intérieure, susceptible de créer une inflation menaçant la rente. Les deux pays refusent d’investir l’épargne accumulée dans leurs propres infrastructures, dans leurs propres peuples. L’argent est là.

Dans le cas de l’Allemagne, le choix enfin d’annuler la règle constitutionnelle de la règle d’or devrait permettre de réorienter ses flux financiers. On ne peut que le souhaiter, non seulement pour les Allemands et l’Europe, mais aussi pour les responsables financiers allemands.
Ils sauront bien mieux sortir des rendements localement que sur des produits internationaux auxquels ils ne comprennent rien.

Ce n’est sans doute pas un hasard si la mesure a été poussée par un ancien directeur de fonds d’investissement, Merz.

La décision de certains de ses députés refusant de l’investir chancelier dès le premier vote par rejet de cette réorientation est donc doublement absurde : elle affaiblit leur chancelier, et retarde une correction d’un comportement où ils perdent de l’argent !

Mais si l’on cherche des causes de la frustration allemande, elle est là : le déficit d’investissement dans le pays alors que les volumes d’épargne existent, sont visibles, et sont investis d’une manière médiocre pour des rendements inférieurs à la moyenne !

Ou, comme le dit une séquence dans le film « Le loup de Wall Street » en pleine panique financière :
« Qui est encore assez stupide pour continuer d’acheter ?
– Düsseldorf. 
»

Mathieu Pouydesseau

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