Pour un sursaut collectif à gauche

communiqué de presse de la Gauche Républicaine et Socialiste, mercredi 2 juillet 2025


Dans un monde chaotique et violent, défiguré par la montée des nationalismes, de la prédation économique et de l’obscurantisme, il est vital d’inventer un nouveau chemin progressiste.

Aucun pays n’est épargné par la vague brune. L’Europe, longtemps considérée comme un continent attaché aux libertés fondamentales et à un certain modèle social, voit prospérer sur son sol des forces politiques fascinées par les modèles autoritaires et brutaux.

Parce que nous refusons cette grande régression idéologique, parce que nous restons des militants du progrès dans la justice, nous en appelons à un grand sursaut collectif.

Face à l’adversité, la gauche française a toujours su se rassembler quand l’urgence l’exigeait, comme l’a montré la création rapide du Nouveau Front Populaire en juin 2024. Il faut donc saluer toutes les initiatives qui vont dans le sens de l’unité du camp progressiste.

Si l’idée d’un processus politique permettant l’émergence d’un candidat commun à l’élection présidentielle de 2027, tel que discuté aujourd’hui à Bagneux, est intéressante, elle ne peut se substituer au débat programmatique et à la nécessité d’un large rassemblement.

L’essentiel reste pour nous l’élaboration collective d’une plateforme commune de transformation économique, sociale et écologique capable d’enrayer le déclin du pays.

La France connaît une grave crise industrielle, un recul préoccupant de ses services publics, une érosion de sa souveraineté dans des domaines essentiels, la dégradation du travail, un déni croissant des réalités écologiques et scientifiques et, enfin, un affaiblissement de son pacte républicain. La gauche ne retrouvera de la crédibilité et de la force que si elle est capable de répondre à ses défis existentiels.

Pour fédérer les classes populaires autour de la République, pour créer une dynamique susceptible de rassembler une majorité de Français, l’élaboration d’une plateforme commune de transformation est une étape indispensable.

Entre prédation et sobriété juste, faire le bon choix

Comme son nom l’indique, l’écologie concerne à la fois le cadre naturel (sols, eaux, air – climat, biodiversité) qui peut être considéré comme un support et/ou une ressource et les usages d’inscription des populations dans ce cadre (habitats, infrastructures, énergies, mobilités, etc.). Ces deux aspects interagissent au gré des décisions plus ou moins responsables des humains, structurées par les idéologies que ceux-ci élaborent pour décrire leur relation au monde naturel et physique voire physiologique.

Les lois, règles et règlements tentent de codifier les modalités d’inscription des activités humaines censées satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, voire son émancipation de ces contraintes physiques dans un cadre moral et partagé. D’où les conséquences sociales et les rapports de force politiques qui, à leur tour, impactent le cadre naturel.

S’agissant du cadre naturel, après une longue période prolongeant la 1ère révolution industrielle (et les suivantes) fondée sur la découverte des usages que l’on pouvait tirer de l’exploitation des ressources naturelles et sans précautions aucune, les signaux obtenus en retour nous font percevoir leur finitude et les dangers qu’il y aurait à les outrepasser.

Mais comment se résoudre à la frustration du mode de vie que cela nous a procuré et plus encore à celle que les populations qui aperçoivent enfin la possibilité d’y accéder ?

L’extractivisme doit prendre en compte les données très réelles du potentiel restant. Même les grandeurs les plus considérables que sont l’eau et l’air sont susceptibles d’être affectées dans leurs qualités intrinsèques au risque de ne plus être une ressource mais de possibles dangers. Sans compter que les idéologies elles-mêmes posent problème en ne réglant pas les questions de répartitions et de respect des limites physiques.

Il est donc temps que nous prenions conscience de ces paramètres et qu’en responsabilité nous indiquions comment il est possible d’occuper ce cadre naturel – cette planète – durablement et pour toutes les populations qui y ont universellement droit.

Il s’agira certainement de sobriété mais aussi des modalités pratiques réglementées dans un souci d’équité et de justice sociale.

S’agissant des usages, l’occupation des espaces, dans le respect de leurs qualités physiques, est un premier marqueur de la capacité à organiser, dans la justice sociale, la répartition de l’impact humain. S’en suivent, l’organisation des territoires en termes d’infrastructures – de mobilités, énergétiques, de gestion/réparation des pollutions – et de productions industrielles et agricoles, sans oublier les espaces de loisirs. Et ce dans le cadre naturel – espaces naturels inaccessibles et inexploitables : forêts, déserts, montagnes, océans, etc. – qui dépasse largement nos capacités d’aménagement.

Chaque élément d’infrastructure correspond à une prédation dont il convient de limiter l’impact sur les équilibres de l’ensemble. Dans le même temps où ils participent de l’habitabilité de la planète et de la satisfaction des besoins de ses habitants. Il s’agit donc de s’assurer de son moindre impact et/ou de sa compatibilité avec les ressources naturelles qu’il « aménage ». Et de sa réelle valeur en termes de résolution des besoins élémentaires des populations qu’il est censé servir – dans un cadre moral et égalitaire, démocratiquement retenu.

Les sols : qu’il s’agisse de leur occupation ou de leur exploitation, sont en qualité et quantité des valeurs finies. Leur modification physique par l’usage qui en est fait doit être évaluée et leur dégradation doit faire l’objet d’une décision consciente et partagée. Nul ne peut impacter leur nature sans en obtenir l’autorisation par l’ensemble de la communauté.

L’eau est un cycle universel et constant. Il peut néanmoins être perturbé par des usages excessifs, relevant d’accaparements abusifs et inconsidérés ou par des implantations d’infrastructures contrariant son libre écoulement. Là encore il s’agit de coordonner, après des études indépendantes des commanditaires, le « possible » sans risque pour les usages voisins et le respect de la valeur intrinsèque des éléments naturels.

L’air : on sait maintenant à quel point les usages et les productions humaines ont pu et continuent de modifier la composition originelle de l’atmosphère qui englobe notre terre, au point d’en affecter les climats. Pour autant, nous pouvons mesurer les modifications qu’il faudrait opérer dans les usages de nos sociétés développées – qui ne sont qu’une partie de l’ensemble – pour, si ce n’est retrouver, du moins tenir dans des limites acceptables les paramètres qui régissent les éléments atmosphériques. Réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, limitation des molécules et particules rejetées par les usages industriels, agricoles, liés aux mobilités et aux habitats.

Ce sont des efforts considérables qui ne concernent pourtant qu’une partie de la planète, la majorité des sociétés n’ayant pas atteint le niveau de développement des pollutions liées à leurs usages. On se perd en conjonctures sur les voies et moyens d’exister sans tout détruire.

Devant un tel défi, les idéologies tentent d’élaborer les plans de transition vers un retour à la raison, à la compatibilité d’un système d’usages avec les valeurs physiques du cadre. On en est à évaluer le nombre de planètes qui seraient nécessaires à la neutralité, au jour de l’année à partir duquel nous avons atteint les limites physiques des ressources de la planète. On craint que cela ne finisse mal, soit par un collapsus général, soit du fait d’affrontements idéologiques.

Sans doute trouverons-nous des solutions technologiques pour amoindrir les effets du mal qui a déjà été commis mais on se doute tout autant que cela ne sera pas suffisant. C’est un mode d’usages différents qu’il s’agit d’élaborer, en prenant en compte l’ensemble des habitants qui ont un droit égal à habiter la planète, dans de bonnes conditions de santé, de développement et d’émancipation.

La biodiversité animale et végétale : longtemps considérée comme un souci accessoire, tant du fait de son ancienne rivalité avec le genre humain – en termes de partage des ressources alimentaires et de dangerosité réelle ou supposée – que de son incapacité à faire valoir ses droits (!), on en vient pourtant à s’imaginer que la planète et ses ressources ne serait pas la même sans la présence et les interactions de ces espèces douées de sensibilité. Ressource alimentaire – exploitée au-delà de toute raison – mais aussi agent du climat, des relations biologiques inter-espèces, tantôt « nettoyeur », tantôt fécondateur, il s’agit, quoi qu’on en pense, d’un élément constitutif du cadre naturel dans lequel nous avons établi nos vies. Nous ne sommes qu’au seuil de la prise de conscience de son rôle irremplaçable dans les fonctions biologiques de l’environnement et à quel point il serait dangereux, pour nous même en tant qu’espèce, de l’asservir jusqu’à en menacer l’existence.

Quand on considère à la fois la finitude des ressources et le respect avec lequel qu’il convient de faire usage des celles-ci, dans le contexte d’une démographie qui a d’ores et déjà explosé depuis l’ère préindustrielle, on comprend bien qu’il y a nécessité d’une révision drastique du mode de développement des usages conçus dans le cadre circonscrit à « l’occident développé ».

Nul doute qu’il y a un système de pensée, une conception générale du cadre naturel et des usages qui s’y inscrivent, à la base de la manière dont cela a été développé depuis les Temps Modernes et dans le périmètre de l’Occident.

Un modèle prédateur, sans souci de sa soutenabilité, optimiste quant aux solutions que sa science naissante et sa technologie seraient en mesure de résoudre tous les problèmes à mesure qu’ils apparaitraient. Enfin, parfaitement égoïste, jouisseur et violent.

C’est à la fois le libéralisme en tant que philosophie, le capitalisme en tant que moteur du développement exponentiel et la violence en tant que rapport au monde qui se répandent sur la planète dès les premières conquêtes de la Renaissance, plus encore à partir des Lumières et des premières révolutions politiques puis industrielles, enfin l’impérialisme qui achève le modèle dominant jusqu’à présent. Sans en être comptables, nous en sommes les légataires à défaut d’en être les héritiers. Et il nous échoit de faire le constat du désastre tant humain (politique) qu’environnemental auquel ce puissant mouvement a conduit la planète. Mais il n’était pas univoque et a toujours contenu un mouvement de contestation, tant de ses méthodes que des situations auxquelles il conduisait.

Ne serait-ce que du fait du profond système d’inégalités qu’il a continûment imposé, non seulement vis à vis des populations colonisées mais avant tout vis à vis de celles et ceux qu’il a inscrit dans un système de domination de son propre contingent. La violence étant à la base de son rapport au monde, c’est un système politique de domination des masses par une élite aristocrate, prolongée par une bourgeoisie marchande qui s’est développé à partir de l’occident « très chrétien ».

Or dans ce système le cadre naturel n’est qu’une ressource que l’on peut piller, pour peu qu’on ait les capitaux susceptibles de mettre en œuvre les dernières connaissances en matière d’extraction, de culture intensive, de détournement des ressources en eau et en énergie, d’achat à moindre coût de main d’œuvre (potentiellement gratuite du fait de l’esclavage), d’exploitation des plus faibles.

Cadre naturel et masses humaines sont pris dans une même « machinerie » à créer de la plus-value et du profit : le premier est pillé sans retenue (et plutôt salement), les secondes sont exploité individuellement et collectivement. Les règles et les lois, à peine naissantes, sont à la main de ceux qui ont l’argent et, de fait, l’oreille du pouvoir (qui s’appuie lui-même sur l’argent).

Il faudra bien des luttes – du sang et les larmes – pour que les masses laborieuses, celles qui élaborent les produits, objets du profit, parviennent à se distinguer de la « matière » que l’on extrait et que l’on façonne.

C’est pourquoi il y a incontestablement un rapport entre la violence extractiviste et l’exploitation des masses laborieuses. L’une et l’autre font l’objet du même manque de respect quant à leur nature et à leur fragilité, du même cynisme quant à leur exploitation sans limite.

De ce parallèle, il devrait être possible à la fois de mobiliser sur la modération qu’il devrait y avoir dans nos modes de productions et de rapport au cadre naturel, et de revendication d’un meilleur partage des richesses. Celles et ceux qui voient bien que leur travail est revendu X fois ce qu’il leur est payé, peuvent parfaitement comprendre que la détérioration du cadre dans lequel ils inscrivent leur vie est aussi un abus d’usage des ressources exploitées par les mêmes qui leur achètent si piteusement leur force de travail. Au point même de mettre en danger leur capacité à la reconstituer du fait d’un air pollué, d’une eau de qualité douteuse, d’aliments empoisonnés, de dangers climatiques, etc.

Faire le lien entre ces deux situations critiques, dues au même système prédateur et irresponsable, profitant des mêmes effets d’un déséquilibre assumé en raison de l’accumulation de profits tirés d’un même système de pensée spoliant indifféremment le cadre naturel et les populations inscrites, devrait permettre une prise de conscience.

Une prise de conscience en faveur d’un type de développement respectueux des équilibres naturels finis et d’une conception de la vie en société qui fasse place, durablement, à toutes les existences dans leurs aspirations les plus légitimes.

Bruno Lucas

Taxation des « riches » en France et en Allemagne : l’indispensable retour du politique dans les choix budgétaires

tribune de Mathieu Pouydesseau publiée dans Marianne, le vendredi 27 juin 2025

Chef d’entreprise outre-Rhin, historien de formation et ancien conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) rattaché à Bercy, Mathieu Pouydesseau aborde, au sein de cette tribune, la question de la redistribution des richesses en Allemagne et France, qui mène, selon lui, à des tensions entre nos deux pays frontaliers.

Des deux côtés du Rhin, les débats budgétaires font rage. Pour ceux qui seraient tentés par une taxation du capital, celle-ci n’obéit pas à une seule logique économique mais relève surtout de doctrine politique. Deux puissants courants de pensée semblent s’opposer sans se réconcilier : la morale héritée des principes de justice sociale et de redistribution face à l’économie dictée par la perception des contraintes de compétitivité.

En France par exemple, l’ISF instauré par la gauche et maintenu par la droite, illustre cette tension. Sujet perçu comme anti-entreprise, il est pourtant peu corrélé à une baisse de l’investissement. En Allemagne, alors que la Constitution affirme que « la propriété oblige », un collectif d’héritiers milite pour une fiscalité plus équitable, dénonçant leur héritage perçu comme immérité.

Entre défiance et conscience

Le Sénat français a rejeté le 12 juin dernier la taxe dite « Zucman » sur les très hauts patrimoines, une mesure pourtant modeste : 2 % du patrimoine net, impôts déjà payés déduits, qui ne concernerait que 2 000 personnes. Conçue par l’économiste Gabriel Zucman, cette taxe pourrait rapporter entre 13 et 20 milliards d’euros. Elle avait été adoptée par l’Assemblée nationale et devrait y revenir à l’automne. L’Allemagne a vu naître en 2021 le mouvement « Tax me now », fondé par une héritière de la famille Engelhorn (ex-Boerhinger). Ce collectif d’héritiers plaide pour une fiscalité plus juste, estimant l’héritage comme immérité. Un appel de 100 entrepreneurs français en janvier 2025 appelant à la même contrition est passé inaperçu.

L’économiste Martyna Linartas a publié en mai 2025 « une inégalité imméritée » dénonçant la concentration extrême des patrimoines et ses effets délétères sur la démocratie. L’histoire de la famille Thiel illustre comment les grandes familles échappent à l’impôt, et pour une famille maladroite dans ses efforts, combien de milliards ainsi échappant au financement des écoles et des hôpitaux ? En juin 2025, la FAZ, le quotidien allemand le plus diffusé au monde, a révélé que la famille Thiel (Knorr-Bremse) a dû verser 4 milliards d’euros d’impôts sur un héritage de 15 milliards, un conflit familial ayant retardé la création d’une fondation destinée à l’éviter. L’Allemagne a progressivement démantelé sa fiscalité sur le capital depuis la suspension de l’impôt sur la fortune par la Cour constitutionnelle en 1997. Or, cet allègement du fardeau fiscal n’a pas amélioré les performances des entreprises. Malgré une épargne abondante, alimentée par des excédents commerciaux records, l’investissement domestique recule. Plus d’un tiers des capitaux allemands sont investis hors d’Europe. L’Allemagne n’a pas su transférer sa richesse vers la consommation intérieure, freinée par la rigueur budgétaire et la modération salariale.

Une étude publiée en mai 2025 dans le Journal of International Economics souligne l’inefficacité des grands fonds allemands : les « Big 6 » affichent des performances médiocres en sélection d’actifs et en timing de marché. Ainsi, l’économie allemande a connu trois années consécutives de récession. En 2024, les salaires réels sont retombés à leur niveau de 2015 (Spiegel, juin 2025). Une décennie d’épargne excédentaire n’a pas suffi ni à financer l’investissement ni à préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes.

L’Europe thésaurise

Entre 2010 et 2025, l’Allemagne a accumulé 3 000 milliards d’euros d’excédents commerciaux sans que cette épargne ne soit investie localement. En France, l’épargne des ménages équivaut aux déficits publics et privés (environ 6 % du PIB). Ainsi, n’est-il pas temps de réorienter cette épargne vers l’industrie européenne plutôt que vers la dette américaine. Même le président Macron a souligné « la folie » consistant à laisser un tiers de l’épargne européenne alimenter… les États-Unis. Les révoltes fiscales se multiplient depuis plusieurs années : Gilets Jaunes, Bonnets rouges, paysans en colère, « Wütbürger » allemands.

La croissance européenne (+20 % de PIB depuis 2010) ne s’est pas traduite par une amélioration du niveau de vie. La pauvreté a progressé en France et stagné en Allemagne. Le pouvoir d’achat reste la première préoccupation des Français depuis cinq ans. Un tiers d’entre eux, et 38 % des Allemands, se disent incapables de faire face à une dépense imprévue (enquête UE 2024). Chacun connaît aujourd’hui la traduction politique de ces errements économiques : alors qu’en 1999, le Front national faisait 5,7 % aux européennes et l’AfD 3 %, en 2024, ils atteignent respectivement 32 % et 16 %. Ensemble, les deux grands blocs démocrates ne réunissent plus que 32 % des voix.

Justice sociale et efficacité économique ne sont pas incompatibles : elles doivent dialoguer –sans opposer Berlin à Paris, ni morale à croissance, sur cette ligne de crête qu’est le respect des perceptions. Le compromis proposé par Gabriel Zucman, une taxation modérée des très hauts patrimoines, tenant compte des impôts déjà acquittés, ou du mouvement allemand « tax me now » incarnent cette tentative de conciliation. Il s’agit surtout d’une possibilité de réintroduire une conscience politique dans les choix d’action publique : repenser la fiscalité du capital mais aussi sa valeur sociale est essentiel au risque d’une issue fatale pour les démocraties européennes.

Mathieu Pouydesseau

Ils ont marché pour la santé !

13 jours de marche, 13 escales, 325 kilomètres à pied : du Loing aux plaines de Brie, des futaies du Gâtinais jusqu’aux rives de Seine, Anthony Gratacos et Nathalie Moine, nos deux conseillers départementaux GRS de Seine-et-Marne, ont traversé la Seine-et-Marne, département qui impressionne par l’étendue de ses paysages mais inquiète par la rareté de ses soignants. La statistique est sans appel : seulement 89 généralistes pour 100 000 habitants, 99ᵉ rang national ; dans certains cantons, six médecins pour dix mille personnes. Ici, obtenir un rendez-vous devient un pari !

À chaque étape, même scénario : cabinet déserté, secrétariat saturé, urgences débordées avant le milieu de journée. Des parents contraints d’attendre des mois pour un simple contrôle pédiatrique, des soignants exténués qui tiennent tant qu’ils peuvent. Le désert médical c’est un quotidien tangible qui érode notre espérance de vie en bonne santé.
Toujours un accueil républicain et chaleureux de la part des habitants et des élus locaux et le soutien des parlementaires de gauche du département, Marianne Margaté, la sénatrice communiste, et Olivier Faure, député socialiste … et d’Emmanuel Maurel, notre député GRS, qui s’est joint à leur marche le 15 juin sous des chaleurs fortes.

Hier 20 juin, ils ont défendu un amendement au Conseil départemental pour inscrire la mise en place d’un centre départemental de santé public, avec des médecins salariés. Si la droite, majoritaire, l’a rejeté, le centre a mêlé ses voix avec la gauche pour le soutenir : nos amis ont marqué des points au service des habitants.

La marche s’est achevée le 19 juin, mais le combat continue ! Chaque soutien, chaque message, chaque signature, chaque partage de la pétition qu’ils ont lancée permettra de peser un peu plus fort.

Après le raid américain

L’Iran, qu’il était hors de question d’autoriser à se doter de la bombe atomique, respectait l’accord nucléaire de 2015, jusqu’à ce qu’en 2018 Trump s’en retire et établisse unilatéralement des sanctions.

Depuis lors, en riposte, l’Iran avait accru l’enrichissement de son uranium, mais loin de pouvoir en faire une bombe. Parallèlement, Netanyahu répétait tous les 6 mois que l’Iran était à deux doigts d’en avoir une.

Les USA sont retournés à leur narratif mensonger classique pour s’autoriser à bombarder l’Iran, au risque de provoquer une escalade aux conséquences encore plus ruineuses et dévastatrices qu’en Irak.

Le régime iranien est abominable mais celui de Saddam Hussein l’était tout autant. Qu’on parle de sauver le monde des « armes de destruction massive » ou de « changer le régime », les mêmes erreurs se répètent sans cesse, au mépris total d’un droit international que l’Occident invoque pourtant pour condamner – à juste titre – la guerre de Poutine en Ukraine.

Le monde verra dans cette opération une nouvelle démonstration d’hypocrisie et de brutalité d’un Occident drogué au « deux poids deux mesures ». Les Palestiniens continueront de se faire massacrer et les Ukrainiens pourraient se dire que Washington a donné des idées, pour ne pas dire un feu vert au Kremlin pour se déchaîner encore plus sur eux.

Quant à la Chine, qui reçoit une grande partie de son pétrole via le détroit d’Hormuz dont le Parlement iranien vient de décider la fermeture, elle ne restera sans doute pas passive très longtemps. Bref les ingrédients de l’internationalisation du conflit sont réunis.

Pour sa part, l’Union Européenne ne sert toujours à rien et laisse faire, voire, pour certains États-Membres, applaudit. Cette situation démontre à nouveau à quel point l’intégration dans l’OTAN est surtout synonyme d’un alignement sur les priorités de la « diplomatie » étatsunienne, quelle que soit l’orientation politique du locataire de la Maison Blanche. Cela devrait inciter les démocrates et les progressistes européens à se donner les moyens réels de leurs souverainetés.

À ceux qui s’illusionnent encore sur les promesses de paix de l’extrême droite, les exemples israélien et américain devraient leur ouvrir les yeux.

À ce stade, toutes les possibilités sont ouvertes, allant d’une forme de « reddition sans condition » de l’Iran sur son programme nucléaire, à l’enclenchement d’une mécanique infernale de guerre de tous contre tous, en passant par la poursuite des échanges de tirs entre Iraniens et Israéliens. Chaque hypothèse déterminera son nombre de morts.

Reste l’hypothèse d’une négociation d’un nouvel accord nucléaire, que vient à l’instant de proposer le Secrétaire l’Etat américain. La solution diplomatique est tout ce à quoi nous pouvons et nous devons nous raccrocher pour l’instant.

La Bérézina des régimes d’Afrique de l’ouest


Depuis le départ de l’armée française, qui a symbolisé la fin de la Françafrique, l’Afrique occidentale est en pleine impasse politique et sécuritaire sous tutelle russe.

Le premier semestre de l’année 2025 a été marqué par de nouveaux retraits de l’armée française en Afrique occidentale, un reflux qui devrait se poursuivre en Côte-d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal, d’un commun accord avec les autorités de ses pays francophones.

On se souvient que les précédents retraits du Mali (août 2022), du Burkina Faso (février 2023), du Niger et plus récemment du Tchad (décembre 2024 – janvier 2025) s’étaient opérés sous la contrainte et dans la tension (particulièrement au Niger, avec le psychodrame autour de l’ambassadeur de France au second semestre 2023), sur fond d’offensive diplomatico-militaire russe et diplomatico-commerciale chinoise.

Quel est le résultat de ce désengagement militaire français en Afrique de l’Ouest chez les pays concernés et sur leurs voisins ? Nous vous proposons de passer en revue la situation politique et sécuritaire au Mali au Burkina Faso et au Togo.

Mali : dictature, jihadisme, emprise et échec

Les témoignages de rescapés de prisons secrètes du groupe Wagner émergent progressivement du silence dans lequel la junte au pouvoir à Bamako aurait voulu qu’ils restent. La presse y est effectivement particulièrement muselée. C’est donc en Mauritanie, où sont réfugiés près de 300 000 Maliens dans le Sahara, que les journalistes du collectif forbidden stories ont pu recueillir ces paroles rares des victimes.

Des témoins qui révèlent les arrestations arbitraires et les tortures opérées par les mercenaires russes du groupe Wagner avec la complicité des forces armées maliennes, dans leur camp ou sur d’anciennes bases de l’ONU. Ainsi un ancien humanitaire malien Wangrin a expliqué avoir subi des simulacres de noyade, la tête plongée dans une bassine d’eau jusqu’à ne plus pouvoir respirer, avant d’être frappé à la tête, au ventre, des coups de bâton, de câbles électriques. Les mercenaires russes et l’armée malienne cherchaient à savoir à qui pouvait bien appartenir un talkie-walkie utilisé par des djihadistes. Dix mois après s’être exilé en mauritanie, il est toujours hanté par la musique russe qui résonnait dans le camp militaire de Nampala.

Autre témoignage, autres séquelles physiques et psychologiques avec Nawma, un boutiquier peul brûlé au ventre et « attaché dans une douche, complètement nu, pendant sa détention ». Quant à Ismaïl, il a passé près de 40 jours dans un conteneur, sous un soleil de plomb : « ils ont brûlé les mains de certains prisonniers, d’autres sont devenus infirmes des jambes. Ils n’ont pas de limites » ; les mains d’Ismaïl portent encore les traces de cette torture : « Le plus dur pour nous, c’était de creuser dans le gravier – du travail forcé –, le genre de gravier qui est utilisé pour faire l’asphalte, c’est ce que nous devions creuser ». L’enquête du collectif forbidden stories est accessible en ligne1.

A la tête du Mali, le général Assimi Goïta vient d’obtenir de ses ministres, sans élection, un mandat de chef de l’État de 5 ans « renouvelable ». Le chef de la junte s’était pourtant engagé à remettre le pouvoir aux civils au plus tard en mars 2024. Une vision « osée et assumée » de la transition, selon le journal malien Le Pays2, manière très particulière d’évoquer la récente dissolution des partis politiques pour « établir un nouvel environnement politique assaini, plus organisé. » On croirait lire du Pinochet dans le texte. Le même quotidien saluait également le bilan sécuritaire contre les terroristes, au Mali.

Sauf qu’en réalité, la situation ne s’est pas améliorée, ainsi que le rappelle depuis l’Algérie voisine le média TSA3, ou un spécialiste de la défense, explique le contrecoup de la stratégie Wagner. les mercenaires russes « ont agi avec tellement de brutalité que la majorité des Maliens du nord aujourd’hui ont basculé dans le camp séparatiste ». Aujourd’hui, les mercenaires du groupe Wagner « quittent le Mali sans victoire » : « des attaques contre les bases de l’armée malienne, au nord, sont quotidiennes et Wagner a échoué par deux fois à prendre Tinzaouatène », à la frontière avec l’Algérie. Pire, plus au sud, « Bamako est encerclée par la Katiba Macina », une unité djihadiste. Le départ de Wagner constitue un « aveu d’un échec, ou du moins de la nécessité de réadapter le dispositif russe face à un ennemi devenu plus redoutable », avec la recrudescence des attaques menées notamment les djihadistes du JNIM, écrit de son côté le site d’information guinéen Le Djély4.

Or si Wagner quitte le Mali sur un échec cuisant, la Russie reste : la milice privée est remplacée par le groupe Africa Corps, une structure contrôlée par le ministère de la défense russe, qui pourrait réduire les marges de manœuvre de la junte malienne et accroître l’emprise du Kremlin sur les affaires maliennes. C’est en tout cas les conclusions auxquelles aboutit Le Djély qui remet donc en cause la rhétorique souverainiste des militaires de Bamako et de ses relais comme le quotidien malien Info-Matin qui salue la « révolution » menée par l’Alliance des États du Sahel, avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui ont « fait trembler les fondations du système néocolonial de la France ».

Les quelques observateurs démocrates de la situation déplorent l’absence de véritables choix stratégiques offerts aux peuples africains. Si la seule option reste de choisir entre l’Est et l’Ouest pour désigner le « maître » des peuples africains du Sahel, cela en dit long sur l’impasse politique et institutionnelle dans laquelle ils se trouvent.

Culte de la personnalité et déni de réalité au Burkina Faso

L’autre pilier de cette l’Alliance des États du Sahel, c’est Ibrahim Traoré, le chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso. Depuis plusieurs semaines, son visage inonde les réseaux sociaux, notamment sur tiktok, où il est souvent érigé en véritable héros, en grande partie grâce à des images générées par intelligence artificielle. Ce succès numérique participe à répandre son influence dans le monde entier, avec une attraction qui s’exerce non seulement sur une partie de la jeunesse africaine mais également chez certains afro-américains et afro-britanniques.

Qui est ce dirigeant autoritaire de 37 ans et pourquoi est-il si populaire sur internet ? Il a fait toute sa carrière dans l’armée burkinabè jusqu’à obtenir, en 2023, le grade de capitaine. Sa carrière politique débute en septembre 2022 lorsqu’il renverse par un coup d’État le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même arrivé au pouvoir par la force 8 mois plus tôt (en renversant le président Roch Marc Christian Kaboré, qui avait été démocratiquement élu dès le 1er tour avec 53,5 % des voix et réélu en 2020, toujours au 1er tour avec 57,9%, lors de la seule véritable expérience démocratique du pays). Ibrahim traoré deviendra quelques semaines plus tard président de la transition, alors le plus jeune dirigeant au monde (34 ans). Il se retrouve à la tête d’un pays particulièrement instable, marqué depuis près de dix ans par des violences djihadistes qui ont fait des milliers de morts et causé le déplacement de plus de deux millions de personnes.

En prenant le pouvoir, Traoré avait promis de faire de la lutte contre le terrorisme sa priorité, lançant immédiatement des campagnes de recrutement massive auprès de volontaires, mais aussi de nombreuses opérations militaires. Selon la BBC, cette posture offensive contre les groupes armés lui vaudra le soutien initial d’une grande partie de la population.

Mais sa popularité au Burkina Faso s’accroît lorsqu’il se met à adopter un discours anti-impérialiste critiquant fortement l’ingérence des puissances occidentales, et notamment celle de la France, dont il ordonna le départ des troupes en 2023. Grâce à de nombreuses mesures souverainistes, comme le retrait de certains permis d’exploitation accordés à des entreprises étrangères, et à ses discours mobilisateur, traoré s’est peu à peu construit l’image d’un leader panafricaniste largement inspiré de l’ancien révolutionnaire anti-impérialiste et progressistes Thomas Sankara. Les deux hommes partagent d’ailleurs le même béret et le même grade militaire. C’est cet engagement affiché envers l’unité africaine et contre le néocolonialisme occidental qui séduit une partie de la jeunesse burkinabè et permet à ces discours de résonner dans toute l’Afrique et au-delà.

Mais le béret rouge et le grade de capitaine sont en réalité les seules choses que partagent Traoré avec Sankara, car au-delà des discours le dictateur burkinabè s’est lui-même placé sous la tutelle russe. Depuis fin 2023, les militaires et paramilitaires russes participent, entre autres, à la formation de soldats et coopèrent avec les services de renseignement. Cependant une organisation paramilitaire privée russe n’a fait qu’un court passage dans le pays de mai à fin août 2024 : la Brigade Bear, eux, assuraient notamment des missions de protection de personnalités. De l’ambassadeur russe, selon Viktor Yermolaev, mais aussi très probablement du capitaine Traoré en personne. Le 25 juillet, à Ouagadougou, le chef de la junte avait été filmé pour la première fois, dans une vidéo amateur, entouré et protégé par des paramilitaires russes masqués, en treillis, dont au moins un arborant à son bras un écusson de la Brigade Bear. Ce départ de l’unité paramilitaire russe intervenait alors que le Burkina Faso vient de connaître l’une des pires attaques djihadistes de son histoire. Le 24 août, plusieurs centaines de civils – aucun bilan officiel n’a encore été fourni par les autorités – ont été tués à Barsalogho, à environ 150 kilomètres au nord de Ouagadougou, dans une attaque attribuée au Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, lié à Al-Qaida). Prétextant alors de rentrer en Russie pour défendre le territoire national (l’armée ukrainienne avait lancé une offensive sur Soudja dans l’oblast de Koursk), le départ de la Brigade Bear au Burkina Faso pourrait aussi être lié à des mécontentements internes en raison de problèmes de paiement de certains combattants.

Le développement de toute une imagerie fictionnelle autour de Traoré sur les réseaux sociaux nourrit un véritable culte de sa personnalité qui s’inscrit dans une stratégie de propagande orchestrée par la junte militaire au pouvoir, visant à faire de Traoré le nouveau symbole de la lutte contre le racisme, le colonialisme et l’esclavage. Pour ce faire, ses sympathisants n’hésitent pas à avoir recours à l’intelligence artificielle, comme dans un clip vidéo qui met en scène le chanteur américain R. Kelly louant la bravoure et le courage du dirigeant burkinabè5. Si la piètre qualité de ce clip dont les copies ont cumulé deux millions de vues sur youtube pourrait prêter à rire, le déluge de contenus générés par intelligence artificielle lui, est bien plus inquiétant, car il est fondé sur la diffusion massive de fausses informations en faveur de Traoré : dernier exemple en date, un faux discours de soutien du nouveau pape Léon XIV au leader burkinabé, que le Vatican a dû démentir.

Traoré est sur ces contenus présenté comme un homme fort combattant des terroristes, soignant des soldats blessés ou priant. De nombreux articles de presse décrivent au contraire un dirigeant peu soutenu par ses pairs et rappellent son incapacité à réprimer l’insurrection islamiste qui a progressé depuis son arrivée au pouvoir. Plus inquiétant encore, ces images occultent totalement les dérives du régime de traoré, qui est, selon de nombreuses sources, impliqué dans des massacres de civils et des répressions violentes de ses opposants : enlèvements visant des hommes politiques, des juges ou encore des journalistes. Dès septembre 2023, de nombreux dissidents du régime ont par ailleurs reçu des ordres de réquisition. Ce déferlement du culte de la personnalité sur les réseaux sociaux prouverait donc au contraire que le dirigeant burkinabé cherche à stimuler un soutien qui lui manque pour légitimer le maintien de sa présence au sommet de l’État.

Le Togo, victime de la déconfiture de ses voisins et de l’incompétence de son régime

Dans le nord du Togo, la population est désormais sous la pression djihadiste, avec l’impression d’un étau qui se resserre autour des habitants de la région des savanes. Son gouverneur alerte sur « l’extrémisme », sur les « tentatives de divisions religieuse ou ethnique »qui menacent dangereusement le tissu social. « Les familles sont démunies », selon la presse locale, car l’insécurité et le sous-développement persistent.

Nous sommes dans cette région du nord à la frontière avec le Burkina Faso, que nous venons d’évoquer. Depuis 2015, un large pan du territoire burkinabè échappe au contrôle de l’État et de son dirigeant, si attentif à son image, malgré ses promesses de sécurité totale. Or le régime Traoré et le régime malien ont fait des communautés peul, un bouc émissaire prise entre l’enclume djihadiste et le marteau des juntes, selon Jeune Afrique dans une série d’enquêtes glaçantes6. Les militaires y livrent les Peuls à la vindicte des paramilitaires.

Par effet domino, plus au sud, la région des savanes au togo connaît, elle, une crise humanitaire inédite depuis 2022, avec des incursions terroristes, des tensions également entre populations déplacées et des agriculteurs : « Pâturages et points d’eau y sont, chaque jour davantage, source de conflits ».

Pourtant, dans la région des Savanes, l’élevage tient une place importante et les villageois togolais ont toujours confié leur bétail aux Peuls : « On s’occupait de leurs bœufs, on a bâti nos maisons près des leurs, et on vivait ensemble, chacun avec son activité. » Les Peuls, sédentarisés, restaient dans les villages avec leurs familles, et les bouviers ne partaient vers la forêt qu’en saison sèche, entre février et mai, quand les pâturages devenaient rares. C’est justement cet équilibre qui s’effondre avec l’augmentation de la population, l’afflux de réfugiés qui ont fui le terrorism au Burkina Faso notamment, sans compter de nouvelles pratiques agricoles et le dérèglement climatique : l’eau manque, l’herbe a disparu.

Même dans les zones reculées du Togo, les groupes armés viennent voler le bétail des communautés peules du nord du Togo et les pâturages, jonchés d’engins explosifs improvisés, sont devenus des terrains dangereux. Les djihadistes ont même tué un jeune Peul qui servait d’interprète à la gendarmerie, symbolisant ainsi le sort réservé à ceux perçus comme proches des autorités. Dans le même temps, les forces de sécurité togolaises soupçonnent les Peuls d’aider les terroristes (phénomène également observé au Burkina Faso7). Cette communauté se retrouve donc prise en étau, forcée à des déplacements incessants. Depuis que les surfaces cultivées prennent le pas sur les pâturages, sur les couloirs de transhumance dans le nord du Togo, « nos bœufs meurent de faim. Les paysans ont labouré partout », déplore un éleveur interrogé par Jeune Afrique. Malgré des appels au dialogue, la communauté Peule souffre au Togo et même dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Le Togo est par ailleurs engagé dans un mouvement de contestation du régime « familial » Eyadéma. L’opposition togolaise a dénoncé des arrestations arbitraires lors des manifestations de la semaine dernière à Lomé, la capitale, contre le maintien au pouvoir de Faure Gnassingbé à la tête du Togo.

Ce dernier est à la tête du Togo depuis 2005, comme président de la République et désormais comme président du Conseil des ministres, grâce une réforme constitutionnelle. Mais selon Le Djély, repris par Courrier International, « en mettant l’emphase sur l’évolution du régime présidentiel vers celui parlementaire, Faure Gnassingbé masque plutôt ses propres intérêts en feignant de replacer le peuple au centre du jeu démocratique. Car, dans les faits, il s’est assuré de demeurer encore pour longtemps l’alpha et l’oméga de tous les secteurs de la vie de son pays ». Inacceptable pour « une jeunesse qui refuse de plier », salue le site d’information letogolais.com8 ; c’est une révolte inédite, d’étudiants, d’artisans, de médecins et autres soignants. Si 56 manifestants ont été remis en liberté, a annoncé le procureur de la République à la télévision d’État, d’autres restent en détention. « Mais chaque fois que des menottes se referment sur les poignets d’un combattant, une flamme s’embrase dans le cœur de milliers d’autres. Ils ont voulu réduire au silence Aamron, ce rappeur dont les mots étaient des armes de liberté […] l’heure n’est plus à la peur, mais à la révolte » et à la « résistance nationale ».

Frédéric Faravel

1https://x.com/FbdnStories/status/1933031622057533913

2Le site de ce média est aujourd’hui suspendu…

3https://www.tsa-algerie.com/depart-de-wagner-du-mali-lalgerie-a-t-elle-joue-un-role/

4https://ledjely.com/2025/06/09/mali-wagner-sen-va-mais-pas-la-russie/

5https://www.youtube.com/watch?v=aFrOKH0Rqvo

6https://www.jeuneafrique.com/1693150/politique/dans-le-nord-du-togo-les-eleveurs-peuls-face-a-la-pression-jihadiste/

7https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-jeudi-20-mars-2025-8096505

8https://www.letogolais.com/bertin-arrete-pour-avoir-defendu-aamron-et-la-jeunesse-togolaise-quand-la-repression-attise-la-resistance/

Taxe Zucman : le combat pour la justice fiscale n’est pas fini

Adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture le 20 février dans une proposition de loi du groupe « écologiste et social », la proposition de taxe sur le patrimoine des ultrariches, inspirée par l’économiste Gabriel Zucman1, a été comme prévu rejetée sans appel par les sénateurs ce jeudi 12 juin 2025.

Soutenu par toute la gauche, le texte visant à instaurer un impôt plancher de 2% sur le patrimoine immobilier, professionnel et financier des 1 800 Français détenant plus de 100 millions d’euros s’est heurté à l’hostilité résolue de la droite et des soutiens du gouvernement. Seuls 129 sénateurs – dont certains centristes – ont pris position en sa faveur, face à 188 voix contre. En commission, la proposition avait déjà été rejetée par les sénateurs, y compris dans une version où le taux aurait été limité à 1% du patrimoine.

Qu’est-ce que c’est ?

On parle donc ici vraiment de très peu de gens, qui pourraient être concernés par cet impôt « différentiel ». Comment fonctionnerait cette « Taxe Zucman » : on ferait la somme de tous les impôts que les ultra-riches paient – impôt sur le revenu, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, CSG, CRDS, impôt sur la fortune immobilière – et si le total est inférieur à 2% de leur patrimoine, cet impôt différentiel s’applique. Exemple : « Monsieur Pinault-Betttencourt »2 a un milliard d’euros de patrimoine, 2% de un milliard, cela fait 20 M€. Si le total de ses impôts actuels atteint 15 M€, il devrait payer 5 M€ de « Taxe Zucman » pour atteindre cet impôt plancher.

L’objectif est double : corriger une part de l’optimisation fiscale que pratiquent généralement les plus fortunés et rétablir la progressivité de l’impôt, car plus on monte dans l’échelle des fortunes, plus il est régressif. En effet, une étude publiée il y a deux ans a dressé ce constat : au-delà de 600 000 euros de revenus économiques par an, le pourcentage payé en impôts décline.

Une régression fiscale démontrée par la recherche

C’est l’originalité de l’étude menée et publiée il y a deux ans par l’Institut des Politiques publiques, qui regroupe des chercheurs de l’école d’économie de paris et du Centre de recherche en économie et statistique (CREST).

Plutôt que de prendre comme seul critère le revenu déclaré au fisc, ils ont calculé un revenu économique, qui comprend AUSSI les revenus associé au capital professionnel. Car dans le haut de l’échelle, c’est surtout via les bénéfices des sociétés qu’ils détiennent que les plus aisés s’assurent un revenu.

Leurs conclusions sont frappantes : jusqu’à 600 000 euros de revenus économiques (37 000 foyers), le pourcentage d’impôts et taxes est bien progressif et atteint 46%. Au-delà, la courbe s’inverse. Pour les 0,001% les plus riches (3 780 foyers dépassant 26 millions de revenus annuels), le taux tombe à 32%. Pour les milliardaires (75 foyers avec plus de 150 millions de revenus économiques), il n’est plus que de 26%.

Ce taux de 26% se situe bien en-dessous du taux moyen de prélèvements obligatoires en France (42%) du PIB, c’est-à-dire de la richesse produite. La proposition de loi du groupe « Écologiste et Social » n’hésite ainsi pas à comparer cette situation à celle de l’Ancien régime, telle que la décrivait Alexis de Tocqueville : « L’impôt avait pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».

13 à 20 milliards d’euros de recettes, mais pas seulement…

Selon les calculs de Gabriel Zucman, cette taxe ou impôt différentiel pourrait rapporter quelques 20 milliards d’euros par an. La commission des finances de l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, l’avait plutôt estimé à 13 milliards d’euros… D’autres économistes, Jean Pisani-Ferry (ancien apôtre du programme économique de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron) et Olivier Blanchard ont apporté leur soutien à Gabriel Zucman dans une tribune publiée dans Le Monde le 11 juin dernier3.

Mais le gouvernement Bayrou et le ministre de l’économie, Eric Lombard, y sont opposés avec des arguments proches de ceux que l’on a entendu le 12 juin 2025 au sénat.

2 % cela serait « confiscatoire » (!?), donc potentiellement anticonstitutionnel, estime le rapport de la commission des finances du sénat sur la proposition de loi (il reste pourtant 98% et il ne s’agit pas de revenus non renouvelables). Ensuite, les riches seraient tentés de s’exiler, d’autres obligés de vendre certaines de leurs actions pour s’acquitter de ce nouvel impôt. On connaît ses arguments.

Le troisième est d’ordre opérationnel : l’étude de l’institut des politiques publiques serait biaisé ; on n’a jamais trouvé mieux pour invalider une réforme fiscale que de mettre en cause la rationalité ou l’objectivité des recherches et études. Cet argument pointe pourtant un véritable problème : on ne connaît pas bien le patrimoine des plus fortunés et l’identification des personnes soumises à la « taxe Zucman » pourrait donc être effectivement complexe.

L’INSEE ne publie encore rien sur le patrimoine professionnel des personnes physiques et l’institut n’aurait de son propre aveu aucune donnée administrative mobilisable sur le patrimoine financier, alors même que ces deux patrimoines constituent l’essentiel de ce que détiennent les plus riches.

Refuser de voir

Aveugle sur l’ultra-richesse, la statistique publique le serait-elle moins si la puissance fiscale venait par le biais de ce nouvel impôt l’épauler ? C’est ce qui nous paraît un point important à défendre : en effet, l’un des intérêts de cette proposition de loi est de rappeler que le débat public fiscal est très peu éclairé, faute de données.

Il n’est en réalité pas de pires aveugles que ceux qui refusent de voir. En la matière, les débats sur la « taxe Zucman » à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi mettent en porte-à-faux une stratégie générale des gouvernements depuis près de 25 ans : le refus de l’impôt, le recul de l’impôt pour les plus riches avant tout, avec des résultats désastreux. Malgré les cadeaux fiscaux accumulés depuis des décennies, l’optimisation fiscale des grandes fortunes n’a jamais été aussi puissante et les déficits pour le financement de l’action publique s’accumulent.

Emmanuel Maurel le rappelait lors du débat sur la loi de règlement (concernant la loi de finances pur 2024) le 11 juin dernier : « Nous parlons d’un budget qui n’a jamais été adopté par personne et qui est par ailleurs le plus désastreux du 21e siècle au regard du décalage entre prévisions et réalisés des recettes. » Le gouvernement Bayrou s’apprête pourtant, avec Eric Lombard (qui se décrit lui-même comme issu de « la gauche qui n’aime pas l’impôt ») et Amélie de Montchalin, à relancer la « chasse à la dépense » (exigence de 40 milliards d’euros d’économies budgétaires), alors que le principal problème de la France est en réalité un manque croissant de recettes, les dépenses évoluant en France comme elles évoluent ailleurs en Europe.

Il faut donc persévérer. Bien que la Chambre Haute ait acquis une position clef dans les équilibres institutionnels depuis les embardées politiques du macronisme, le Sénat n’a pas les moyens de mettre un terme au débat fiscal : ce qui a été voté à l’Assemblée peut l’être à nouveau et la raison pourrait finir par l’emporter face aux besoins budgétaires du pays.

Frédéric Faravel

  1. Gabriel Zucman est un économiste français. Ancien enseignant en économie à la London School of Economics et à l’université de Californie à Berkeley, il est professeur des universités à l’École normale supérieure depuis 2023. Il est aussi directeur de l’Observatoire Européen des taxes. Il a défendu l’idée d’un impôt mondial sur les milliardaires au dernier G20. ↩︎
  2. Nom évidemment inventé de toute pièce… ↩︎
  3. « Nous partageons le constat qu’un impôt plancher sur les grandes fortunes est le plus efficace face à l’inégalité fiscale » https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/11/olivier-blanchard-jean-pisani-ferry-et-gabriel-zucman-nous-partageons-le-constat-qu-un-impot-plancher-sur-les-grandes-fortunes-est-le-plus-efficace-face-a-l-inegalite-fiscale_6612129_3232.html ↩︎

Sophie Camard : « La réforme de la loi PLM est une occasion ratée de changer radicalement le système » – entretien dans Le Monde

La maire Gauche Républicaine et Socialiste du 1ᵉʳ secteur de Marseille dénonce les effets pervers du texte étudié au Sénat à partir de mardi 3 juin sur le scrutin municipal pour Paris, Lyon, Marseille, qui introduit « un grand nombre de difficultés techniques et fonctionnelles que les parlementaires n’ont pas forcément repérées ».

Sophie Camard est maire GRS du 1ᵉʳ secteur de Marseille et également conseillère municipale chargée de la réforme de la loi électorale pour Paris, Lyon, Marseille, dite « loi PLM ». L’entretien accordé au Monde a été publié mardi 3 juin 2025 à 10 heures.

Le Sénat étudie, à partir de mardi 3 juin, la proposition de réforme de la loi PLM. Vous avez été auditionnée par sa commission des lois avec d’autres maires de secteur. Quels points avez-vous soulevés ?

D’abord, j’ai remercié les sénateurs de s’intéresser à notre ressenti d’élus de secteur car, étrangement, le député Sylvain Maillard (Renaissance, Paris), qui a rédigé la proposition de loi, n’a jamais répondu à mes sollicitations. J’ai également dit que, à mon sens, réformer ce mode électoral qui date de 1982 est une nécessité démocratique. Enfin, je leur ai parlé de tous les effets pervers que ce texte allait entraîner pour les secteurs et les arrondissements. En apparence, cette loi est simple, mais, dans son état actuel, elle introduit un grand nombre de difficultés techniques et fonctionnelles que les parlementaires n’ont pas forcément repérées. Plus globalement, ce qui est dommage, c’est que l’on a raté l’occasion de changer radicalement le système.

Vous dénoncez notamment l’un des points centraux de la réforme, qui instaure deux votes, donc deux urnes – trois à Lyon avec la métropole – pour désigner les élus de la mairie centrale et ceux des secteurs…

C’est le cœur de l’absurdité de cette loi, qui a été présentée comme une loi de simplification. Le gouvernement dit qu’avec ces deux urnes, il laisse aux électeurs la liberté d’exprimer des choix différents pour leur ville et leur secteur. Mais c’est un faux cadeau. La mairie de secteur n’est pas une collectivité de plein exercice, elle a très peu de budget et de compétences. A Marseille, où la décentralisation est la moins poussée, elle est essentielle dans le contact avec la population, mais fonctionne en réalité comme un gros service de l’exécutif central. On va faire croire aux électeurs que leurs élus de secteur, dont certains sont bénévoles, auront le pouvoir d’appliquer le programme sur lequel ils ont été choisis. Forcément, cela entraînera de la frustration pour tout le monde.

Quels points peuvent être encore améliorés par les parlementaires ?

Il faut absolument revenir à un bulletin unique, qui lie les deux votes. Contrairement à la loi PLM, le texte proposé permet de présenter des listes complètement différentes et ouvre le risque d’une coupure totale entre élus de secteur et conseillers municipaux. On peut aussi se retrouver avec un maire qui n’a pas la majorité des secteurs et qui, s’il le décide, peut s’en désintéresser à l’extrême. Il y avait de nombreux champs de réforme, comme abaisser le nombre d’élus, travailler sur la taille ou sur les compétences des mairies de secteur…

propos recueillis par Gilles Rof (Marseille, correspondant)

Les robots juges de notre humanité

Dans cette analyse, notre camarade Jean-François Collin se livre à une déconstruction lucide des lieux communs pour pointer les enjeux réels liés à l’explosion de la société numérique, de l’exploitation de la data et de l' »intelligence artificielle ».

Chat GPT n’est qu’un leurre

Sam Altman est une figure bien connue de l’industrie numérique mondiale, entre autres pour être le dirigeant de l’entreprise Open AI, qui a produit le trop connu robot conversationnel « Chat GPT ». Il a d’ailleurs été brièvement congédié, en novembre 2023, de ses fonctions de PDG d’Open AI, par son Conseil d’administration qui l’accusait d’avoir dissimulé un certain nombre d’informations essentielles, avant d’être réintégré dans ses fonctions une semaine plus tard. Ce n’est qu’un des épisodes des crises successives connues par cette entreprise, dont Elon Musk fut un cofondateur avant de la quitter (puis de proposer en février 2025 de la racheter pour 97 milliards de dollars) et dont Microsoft est l’actionnaire principal.

Open AI a été créée le 11 décembre 2015, sous la forme d’une association à but non lucratif, détenant une filiale à but lucratif plafonné, « Open AI Global LLC ».

Bien entendu, cette nouvelle entreprise n’avait d’autre but que le bien de l’humanité, puisque ses missions étaient, selon ses fondateurs, de « garantir que l’intelligence artificielle générale – c’est-à-dire (selon eux) les systèmes hautement autonomes qui surpassent les humains dans la plupart des travaux économiquement valorisés – profitent à toute l’humanité ». On aurait presque les larmes aux yeux devant une si haute ambition.

A défaut de profiter à l’ensemble de l’humanité, l’opération aura en tout cas bien profité aux deux fondateurs de l’entreprise : la fortune d’Elon Musk se compte en centaines de milliards de dollars et celle de Sam Altman est évaluée à au moins un milliard de dollars.

Sam Altman participait, comme JD Vance, au dîner offert par Emmanuel Macron, au mois de février 2025, à l’occasion du sommet international qu’il avait organisé sur l’intelligence artificielle. Comme le vice-président américain, Sam Altman a quitté le dîner avant la fin, ce que l’on peut difficilement prendre pour une marque de considération. Il faut dire que le champion de l’intelligence artificielle ne méprise pas complètement les contingences politiques. Il était démocrate lorsque les démocrates étaient au pouvoir, il est devenu républicain lorsque Trump est redevenu président. Il avait financé la campagne de J. Biden lorsque celui-ci l’a emporté face à Donald Trump en 2020 il aurait versé un million de dollars au Fonds inaugural du deuxième mandat de Donald Trump, et il suit JD. Vance lorsqu’il quitte un dîner sans dire merci.

On a beaucoup parlé de Chat GPT. Les médias français ont assuré une incroyable campagne de promotion gratuite à ce robot conversationnel américain, publicité qui a dû faire rêver son concurrent français, Mistral AI, qui n’a pas suscité le même intérêt de nos radios ou télévisions.

Mais nos médias ont beaucoup moins parlé d’un autre projet lancé par Sam Altman depuis 2021, pourtant bien plus terrifiant que Chat GPT. Il s’agit de deux plateformes, l’une de gestion de monnaie numérique, Worldcoin, l’autre d’identification des individus par scannage de leur rétine, World ID.

World ID : un projet de fichage mondial de l’humanité

Sam Altman a constaté que l’intelligence artificielle conquérait progressivement tous les domaines d’activité, en même temps que s’amélioraient ses performances. Une bonne chose aux yeux de notre entrepreneur californien, mais en même temps cette évolution pose un problème. Les « Bots », ces multiples logiciels qui interviennent dans le fonctionnement d’autres logiciels pour traiter des opérations répétitives et garantir leur bon fonctionnement, sont de plus en plus utilisés pour pirater les services numériques. Le développement des infrastructures numériques est tel qu’il est de plus en plus difficile de savoir à quel moment un ordinateur dialogue avec un autre ordinateur plutôt qu’avec un être humain. Des dispositifs divers ont été développés par lesquels on nous demande de certifier que nous sommes bien des êtres humains, en particulier les tests Captchas, qui consistent à cocher sur une image représentant divers objets, les cases figurant des autobus, des motos ou des escaliers. Mais bien entendu, il n’a pas fallu très longtemps pour mettre au point des logiciels capables de cocher les bonnes cases aussi bien qu’un humain était capable de le faire.

Sam Altman arriva alors avec sa solution : scanner la rétine des utilisateurs par un appareil dédié et stocker le résultat dans ses ordinateurs. La publicité de sa plateforme « World ID » a même le culot d’expliquer que, grâce à ce dispositif, nous allons enfin cesser de mettre à disposition de plateformes électroniques des informations personnelles. Nous n’aurons plus à saisir notre adresse ou notre numéro de carte d’identité, mais seulement à déposer le scan de notre iris qui permettra à l’ordinateur de savoir que nous sommes un être humain – au moins aussi longtemps que les sorciers de l’IA n’auront pas inventé un dispositif électronique capable de reproduire un iris humain – et en plus de savoir que nous sommes un humain particulier, puisqu’aucun iris ne ressemble complètement à un autre.

Mais que peut-il y avoir de plus personnel qu’une information de ce type  ? On peut tricher sur son adresse ou son âge, se procurer de faux papiers d’identité, mais il reste plus compliqué de se fait à greffer un autre œil que celui dont nous sommes dotés à la naissance.

Cette Banque mondiale de données biologiques est donc bien une banque de données personnelles encore plus sensibles que tout ce qui existe jusque-là. D’ailleurs, un article publié par la « MIT Technology Review », mettait en cause le marketing mensonger de la société et considérait qu’elle collectait des données personnelles, sans obtenir le consentement éclairé des utilisateurs, en violation des directives protégeant les données, en vigueur en Europe ou dans d’autres régions du monde. Le Royaume-Uni a d’ailleurs indiqué qu’il allait engager une enquête pour vérifier la conformité de ces plateformes à la réglementation en vigueur.

Manifestement, ce n’est pas un sujet qu’Emmanuel Macron aura évoqué lors de son sommet mondial de l’intelligence artificielle du mois de février 2025, ni lors du sommet « Choose France » (pourquoi pas Choisir la France ?) organisé à Versailles le 19 mai dernier, pour se féliciter des milliards d’investissements annoncés, particulièrement dans l’intelligence artificielle et les centres de traitement de données, en provenance du Moyen-Orient et des États-Unis.

Sam Altman nous le promet, avec lui, aucun risque de fuites de données et de divulgation de nos données personnelles. Le scannage des yeux des utilisateurs permettant d’alimenter World ID est assuré par un appareil répondant au nom « d’Orb », que Sam Altman veut déployer aux États-Unis et dans le reste du monde. Techcrunch (spécialisé dans l’actualité des startups) a révélé en mai 2023 que des pirates informatiques avaient installé un logiciel leur permettant d’accéder au tableau de bord des opérateurs d’Orbs. Les opérateurs en question sont chargés de collecter les données biométriques et sont rémunérés pour chaque nouvelle utilisateur numérisé.

Pas plus que les autres plateforme informatiques, World ID ne pourra garantir la sécurité des données personnelles qu’elle détiendra.

Base de données personnelles et bitcoin

Le projet de Sam Altman est donc de constituer une gigantesque base de données d’identification des êtres humains, qu’il pourra ensuite vendre à tous les autres fournisseurs de services électroniques, en leur garantissant qu’ils s’adresseront bien à des êtres humains et non à d’autres robots.

Pour assurer le succès de l’entreprise, le couplage de la plateforme de centralisation des informations personnelles avec une plateforme de gestion de cryptomonnaie (monnaie numérique), présentait un grand avantage. En effet, les candidats au scannage de leur rétine bénéficient d’une allocation de monnaie numérique géré par Worldcoin, dont la valeur évolue comme toutes les monnaies numériques en fonction de la spéculation dont elle est l’objet, mais qui équivalait au lancement du projet à une quarantaine de dollars. Worldcoin a prospecté, pour avoir plus de chances de succès, dans les pays pauvres d’Afrique et d’Asie dans lesquels une dotation de ce montant pouvait présenter un attrait réel, de sorte qu’elle a assez rapidement pu scanner la rétine de plusieurs millions d’individus. Sam Altman a même eu le toupet de présenter cette opération comme une première expérience mondiale de mise en place d’un salaire universel !

Quand allons-nous les arrêter ?

Cette expérience réunit tous les éléments qui devraient conduire, dans un monde dirigé par des gens sensés, à l’expropriation sans délai et sans indemnités, des quelques géants du numériques, américains et chinois, qui développent à grands frais des technologies inutiles et dangereuses et par l’interdiction d’une grande partie de cette activité.

Ce nouveau projet de Sam Altman n’est justifié que par l’impasse dans laquelle se trouvent les industries numériques.

A force de remplacer les êtres humains par des robots, les robots parlent aux robots.

L’ennui, c’est que pour amortir les centaines de milliards investis dans ce qui est baptisé « intelligence artificielle », alors qu’il s’agit plutôt d’abrutissement généralisé, il faut que les humains interviennent pour dépenser leur argent. Il faut s’assurer que des humains participeront à ce grand circuit numérique, faute de quoi le cirque fera faillite.

Les humains n’ont jamais eu de mal, jusque-là, à reconnaître d’autres humains. Ils n’ont pas eu besoin de dispositifs spécifiques. Ils savent spontanément faire la différence entre un humain et un animal, ou entre un humain et une machine. Nous en sommes même capables depuis un âge très précoce. Mais cette capacité spontanée des êtres humains à se reconnaître entre eux est insupportable pour les nouveaux maîtres du monde, ou ceux qui se considèrent comme tels, les « géants de la tech » comme ils se désignent eux-mêmes.

Désormais, notre humanité doit être attestée par un ordinateur.

Sam Altman, ou l’un de ses semblables, doivent pouvoir constituer et détenir une Banque mondiale de l’identité des humains peuplant cette planète, afin de leur donner l’accès au nouveau monde, le monde merveilleux des services numériques dans lequel nous sommes appelés à évoluer.

Les « Orbs » qui vont permettre à World ID de scanner nos rétines, pour contrôler notre accès au monde numérique, ne sont d’ailleurs que du bricolage. Un jour viendra où nous serons tous dotés de dispositifs plus sophistiqués de reconnaissance dès la naissance, afin de régler cette difficulté technique et d’éviter le coûteux déploiement de milliers d’Orbs à travers le monde.

Et tout cela pour quoi faire  ?

Développer un nouveau réseau de monnaie numérique. Mais qui a besoin de monnaie numérique ?

Rappelons que ceux qui ont promu cette idée géniale appartenaient majoritairement au courant libertarien américain, qui a vu dans cette technologie un moyen de créer un équivalent monétaire échappant au contrôle des institutions étatiques. Les monnaies numériques sont rapidement devenues un moyen privilégié d’échanges monétaires entre les mafias et les trafiquants en tout genre. Elles ont permis au passage de plumer les naïfs qui ont cru que l’on pouvait faire fortune à partir de rien et qui ont acheté, cher, du vent jusqu’à ce que celui-ci ne révèle sa véritable valeur. L’histoire des monnaies numériques est celle d’une suite de montées spéculatives et de faillites. On peut ajouter que ce système ne fonctionne qu’au prix d’un gaspillage énergétique considérable, dans lequel notre président voit des opportunités pour relancer la production d’électricité d’origine nucléaire.

Un jour ou l’autre, les États devront décider de ce qu’ils font.

Pour le moment, comme d’habitude, les dirigeants, plus faciles à berner qu’ils ne le croient, s’émerveillent devant les monnaies électroniques. La BCE veut lancer son euro électronique. Cette fois c’est sûr l’Europe sera sauvée. Dans une démarche plus libérale, Donald Trump a lancé ses propres « Trump coins » au moment où il a été réélu. Il a réalisé un substantiel profit grâce à cela, laissant ses admirateurs avec une monnaie numérique qui a immédiatement perdue toute valeur, mais quand on aime on ne compte pas.

L’argument de vente majeur de la monnaie électronique est son caractère secret. Secret, bien sûr, vis-à-vis des autorités de régulation. C’est pourquoi, l’alternative pour l’avenir paraît assez simple. Soit les États, à travers le monde, continueront à laisser faire, voire à favoriser le développement des monnaies électroniques, et le système financier mondial qui menace déjà l’économie internationale, deviendra ingouvernable et nous conduira aux pires catastrophes. Soit les États prendront le contrôle des monnaies numériques, en interdiront le contrôle et la création à des opérateurs privés et ils disposeront alors d’un outil de maîtrise et de surveillance de l’économie, via le contrôle des mouvements monétaires, sans équivalent avec ce qui existe aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Dans un monde idéal géré démocratiquement, ce contrôle permettrait d’assurer la stabilité du système financier et monétaire. Dans un monde dominé par des « prédateurs », pour reprendre la description faite par Giuliano da Empoli de la nouvelle génération de dirigeants de la planète, ils disposeront d’un contrôle sans équivalent de la population.

Le projet de World ID confirme qu’une des applications essentielles de la soi-disant intelligence artificielle est le fichage généralisé de la population, au travers de la reconnaissance faciale et maintenant du scannage de nos iris.

Il est aussi la confirmation de la volonté de prise du pouvoir des entreprises numériques, ambition qui ne connaît pas de limites puisqu’ils veulent désormais que notre propre humanité soit attestée par les dispositifs qu’ils contrôlent et non par les interactions habituelles entre les êtres humains, qui ont permis à ceux-ci, jusque-là, de se reconnaître comme membres d’une humanité. L’humanité n’est pas qu’une construction biologique, elle n’est pas qu’une affaire de conformation d’iris, mais aussi une construction sociale et politique.

Si ce projet, et d’autres du même type, devaient prospérer, il y aurait de quoi être très inquiet pour notre avenir. Notre rapport aux autres et au monde perd chaque jour un peu plus de sa réalité, de son immédiateté et de sa consistance. Tous les efforts des industriels du numérique appuyés par les autorités politiques et financés par le capitalisme mondial qui espère y trouver un relais de croissance, concourent à séparer les humains des humains, et à nous contraindre dans nos relations avec les autres et notre environnement, à emprunter le truchement d’un ordinateur et d’une plateforme ou d’un outil numérique.

Il est très inquiétant de constater que 26 millions d’humains ont déjà accepté de confier leur iris à la World Company de M Altman. Les hommes seraient-ils donc tellement fatigués d’être humains qu’il soient prêts à abandonner la responsabilité de leur humanité à une machine ?

Ma conviction est en tout cas que face à de telles entreprises, les discours habituels sur la neutralité de l’outil, qui ne serait pas en lui-même dangereux mais seulement en raison du mauvais usage qui pourrait en être fait, ou encore les propos sur la « bonne gouvernance » qui permettrait d’éviter les dérives, « parce que tout de même on ne peut pas aller contre le progrès », sont totalement inadaptés.

De telles entreprises doivent être purement et simplement interdites.

Allons-nous enfin nous réveiller et prendre cette décision ?

Jean-François Collin
Haut-fonctionnaire à la retraite

Choose France forever ? David Cayla dans le 28 mn d’arte, le 21 mai 2025

La 8e édition du sommet “Choose France”, censé attirer les investisseurs étrangers en France, s’est tenue ce lundi 19 mai. 20 milliards d’euros d’investissements y ont été annoncés. Mais une enquête du magazine “L’Usine Nouvelle” montre que ce sont surtout des réinvestissements sur des sites existants. La France est-elle aussi performante que ce sommet le laisse entendre ?

David Cayla était l’invité du 28 mn d’Arte le mercredi 21 mai 2025.

Il a notamment expliqué que ces événements réguliers marquent le renoncement de la France à agir pour changer les règles commerciales et industrielles de l’UE. Emmanuel Macron préfère la stratégie du bon élève, devenir plus attractive que ses voisins aux yeux du capital. Lorsque nous nous comparons à des pays avec une économie similaire comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni alors oui nous sommes les plus attractifs ; seulement, en proportion des investissements par rapport à la taille des économies, nous ne sommes pas le pays le plus attractif, l’Irlande est bien au-dessus de nous.

Et surtout nous créons moins d’emplois car nous avons en réalité accélérer notre désindustrialisation donc le problème reste entier… avec un dépendance accrue à l’extérieur : cette année, la plupart des accords ont été négociés en amont, mais dès l’année prochaine, nous risquons de voir les investissements américains faiblir d’autant qu’Emmanuel Macron n’a plus la main sur les questions fiscales avec sa majorité relative. Cela n’incite pas à investir.

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