Retraites, dividendes et rachats d’action

Les vraies motivations de la réforme sont écrite noir sur blanc dans le budget 2023 et le programme de stabilité 2022-2027 : « Les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites (…) Cette maîtrise de la dépense permettra (…) la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) », c’est-à-dire la suppression des soi-disant « impôts de production » payés par les entreprises en particulier les plus grandes.

Des propos qui ont également été tenus par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire au micro de France Inter : « nous baisserons les impôts de production (…) pour ça, il faut être capable de l’autre côté (…) d’engager des réformes structurelles (…) c’est l’objectif de la réforme des retraites » – avant que le gouvernement change de communication pour tenter un peu tard de masquer le pot aux roses.

Nous avions nous-mêmes mis en lumière en octobre 2021 le fait que l’obsession macronienne pour aggraver la réforme de l’assurance chômage et réformer les retraites répondaient aux « recommandations » de la commission européenne et son exigence de voir menées des « réformes structurelles » pour réduire les dépenses publiques.

L’objectif n’est donc nullement d’améliorer les conditions des retraités ou de « sauver le système de retraites », mais de financer les baisses d’impôts qui favorisent les actionnaires.

Cette logique préside aux politiques néolibérales depuis près de 30 ans dans notre pays : faire basculer massivement le rapport de force de la rémunération du travail vers celle du capital : la réforme des retraites 8 milliards par an de plus dans cette logique.

En avons-nous eu un gain pour notre économie ou pour l’emploi dans notre pays ? La situation de notre commerce extérieur et de notre industrie démontre cruellement le contraire.

Lorsqu’une société rachète ses actions, les titres rachetés sont généralement détruits. Le capital et le nombre d’actions s’en trouvent réduits. Cela améliore mécaniquement certains ratios comme le Bénéficie par Action ou le rendement ou encore la trésorerie par action. Les actionnaires sont ainsi mécaniquement favorisés par une stratégie de rachat d’actions.

Mais ces rachats d’action sont de pures opérations financières qui n’apportent rien au développement des entreprises ; pire, elles traduisent aussi pour l’actionnaire un manque de perspectives ou une absence de stratégie de la part de ces entreprises, ce qui préludent à des déboires, dont font les frais en bout de chaîne les salariés.

Qui sont les entreprises bénéficiaires du transfert massif de rémunération du travail vers le capital méritent ? Ce sont de loin les grandes entreprises (plus de 5.000 salariés ou plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) qui y gagnent le plus : plus de 6 millions d’euros en moyenne pour chacune d’elle, 450 fois plus que le gain moyen de toutes les entreprises, pendant que les boulangers doivent se battre pour payer leur facture d’énergie ! Gagnantes parmi les gagnantes, dans l’ordre : les grandes entreprisses de production et de distribution d’électricité, l’information et la communication, la finance et les assurances.

En 2022, les entreprises du CAC40 ont versé 80,1 milliards d’euros à leurs actionnaires, dont 23,7 milliards d’euros sous forme de rachats d’actions ! C’est 30 fois plus que les sommes que lesdits actionnaires ont apportées aux mêmes entreprises. C’est le niveau le plus haut jamais enregistré depuis 20 ans. Les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires ont représenté 31% du volume : TotalEnergies (13,3 Mds d’euros de rachats d’actions ou de dividendes), LVMH (7,1 Mds) et Sanofi (4,7 Mds).

Le gouvernement prétend que le financement de notre régime général des retraites n’est plus suffisamment assuré ? Il est vrai qu’en taillant dans les cotisation depuis 30 ans, on pouvait s’attendre à quelques difficultés. Soumettre les rachats d’action à l’assiette de cotisation de la sécurité sociale résout ces différents problèmes : retrouver des recettes par l’élargissement des revenus qui cotisent ; renverser la logique privilégiant le capital sur le travail ; désinciter progressivement les entreprises au rachat d’actions en les soumettant à cotisation pour qu’elles préfèrent à terme l’investissement.

Au total, c’est plus de 260 milliards d’euros de dividendes qui sont versés en France chaque année, sans compter le gaspillage des rachats d’action pour gonfler les cours de bourse. Mettre à contribution les dividendes au même taux que les salaires rapporterait jusqu’à 48 milliards d’euros par an pour les retraites. De quoi rendre immédiatement et durablement excédentaire le système, et ainsi permettre de financer de meilleures conditions de retraites. Si ces revenus du capital cotisaient au même niveau que ceux du travail, il y aurait donc de quoi financer largement la retraite à 60 ans avec 40 annuités ou même 37,5 annuités !

Aussi exiger que les rachats d’action soient eux aussi soumis à l’assiette des cotisations de la sécurité sociale, c’est tout simplement de la justice et du bon sens !

Frédéric Faravel

Adieu Jean !

Nous garderons Jean Le Garrec dans nos cœurs : il fut un socialiste fervent, un élu populaire et un camarade chaleureux.
Il était au service des travailleurs, pour des salaires dignes, de vrais droits et protections et la capacité d’avoir son mot à dire face au patron.

Son engagement socialiste commença au PSU dans les années 1970 ; il rejoignit le Parti socialiste avec Michel Rocard en 1974. Élu député du cambraisis en 1981, il a mis ses mandats au service de la longue tradition du mouvement ouvrier du Nord. Il rejoindra les Flandres dans les années 1990.
Il sera plusieurs secrétaire d’État et ministre, mettant son engagement au service de l’indispensable politique de nationalisation en 1981, mais aussi pour l’emploi, la planification et la fonction publique.
Parlementaire chevronné et respecté, il sera président de la commission des finances de l’Assemblée nationale de 1992 à 1993 puis des affaires culturelles, sociales et familiales de 1997 à 2002.

Élu d’un département et d’une région, terriblement meurtris par la désindustrialisation, l’effondrement de la sidérurgie, il n’a cessé d’œuvrer pour les ouvriers et les salariés qui faisaient face au chômage de masse et à une situation sanitaire dégradée, comme en témoigne son combat pour les mineurs et les sidérurgistes, mais aussi pour les salariés contaminés par l’amiante.

Jean Le Garrec représente un modèle d’homme politique devenu trop rare, l’héritage d’un socialisme ancré dans la réalité du monde du travail que trop de dirigeants politiques ont oublié ou n’ont jamais connu. Jean nous manquera, mais son exemple continuera de nous inspirer.

Réforme des retraites, climat et répartition des richesses

La Gauche Républicaine et Socialiste dénonce avec vigueur la « contre-réforme » des retraites voulue par le Président Macron. Ce projet, inutile et injuste aura, en plus, des conséquences écologiques funestes.

Semant le doute chez les futurs retraités quant à l’avenir des pensions de retraite (montant, conditions d’âge, trimestres nécessaires) le gouvernement pousse les salariés et les travailleurs indépendants vers des systèmes de retraites complémentaires gérés par des assurances ou des gestionnaires d’actifs (étude IPSOS de février 2022). C’est ce qui était attendu de la Loi PACTE de 2019 pour dynamiser les plans épargne retraites au montant espéré par le secteur privé de 300 milliards d’euros.

Les assurances ou fonds de pension qu’ils soient français, européens ou américains tel Blackrock ont un point en commun ce sont leurs investissements orientés vers le profit maximum au détriment des choix d’intérêt général. Ces investissements participent trop souvent à l’exploitation des énergies fossiles en contradiction totale avec les objectifs de la COP climat fixant à 1,5°C la hausse maximale des températures pour les 20 ans prochains.

Ce projet évite tout à la fois de poser la question de la répartition de la richesse et de ses conséquences environnementales préférant le court terme des inégalités sociales, inégalités encore plus criantes cet hiver face à la crise énergétique.

Les provocations du ministère de l’intérieur sur l’Outre Mer sont inacceptables

La GRS s’alarme des propos tenus par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, jeudi 2 février 2023 à Paris, dans le cadre d’un colloque organisé par l’hebdomadaire Le Point. Il sont choquants et provocateurs pour nos concitoyens ultra marins.
On ne peut accepter qu’un ministre de la République ose déclarer : «  Il faut savoir dire aux Ultramarins que vous n’aurez d’autonomie demain que si vous êtes capables de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité. Et c’est par la richesse économique que vous aurez des recettes. Ce n’est pas par des subventions. »
On pourrait faire remarquer au ministre qu’hélas notre pays n’a pas sa souveraineté alimentaire et énergétique et qu’en tout état des cause, ces conditions ne sauraient constituer un préalable à une certaine autonomie qui faut- il le rappeler est consacrée par la constitution de notre République à travers les articles 73 et 74 définissant les formes de libre administration des collectivités des outremers.

Ces « territoires » sont et font partie de la France dans toute sa diversité.
Outre le fait qu’aucune région française n’est en situation de produire entièrement les denrées dont elle a besoin, on observera qu’envisager une telle perspective pour les Antilles alors même que ces territoires subissent une pollution au chlordécone, avec remarquera que 90% des sols sont pollués pour des siècles ?
Concernant son allusion aux « subventions », il est inquiétant de voir un ministre de l’intérieur, ancien ministre du budget, les confondre avec les dotations. Sans oublier leurs baisses en continue et les compensations qu’elles apportent du fait de la suppression de la fiscalité des collectivités par l’Etat. Et les collectivités ultramarines s’y connaissent en termes de manquent de dotation!
Ces propos ne peuvent être que perçu comme un acte de mépris en direction des nos compatriotes ultra marins.

Au moment où une réforme des retraites s’apprête à casser encore plus notre système social, au moment où des grèves vont s’endurcir partout dans l’ensemble Français, l’unité républicaine de la nation devrait préoccuper le Ministre de l’Intérieur.
Monsieur Darmanin, devrait s’occuper sérieusement des problèmes réels des habitants de ces territoires et en particulier pour assurer la sécurité des populations ultramarines, lutter contre les multiples trafics de drogue et d’armes, et améliorer le pouvoir d’achat plutôt que de multiplier les provocations.

François Morland

Livraison de chars : jusqu’où entrer dans le conflit en Ukraine ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la GRS, était l’invité samedi 4 février de France 24 et Public Sénat dans l’émission « Ici l’Europe » avec Roza Thun und Hohenstein, députée européenne (Renew, Pologne).
Après des semaines d’hésitations, plusieurs pays alliés de l’Ukraine, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont décidé d’acheminer des tanks, tant réclamés par Volodymyr Zelensky. Mais les pays européens ne sont pas en reste. L’Allemagne a ainsi annoncé l’envoi de 14 chars Leopard et la Pologne livrera 60 chars supplémentaires. Le Portugal et l’Espagne sont non seulement aussi disposés à fournir des blindés, mais également à participer à la formation des soldats ukrainiens pour leur utilisation. Les Pays-Bas, quant à eux, réfléchissent à l’envoi d’avions de chasse F16. La course à l’armement des Ukrainiens s’accélère, au risque d’une dangereuse escalade.

Industrie, retraites : la faute à l’Europe ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, était l’invité mercredi 1er février 2023 de La Faute à l’Europe sur France Télévision aux côtés de Clothilde Goujard de Politico Europe, Jean Quatremer de Libération et de Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne renaissance.

Au sommaire :
📍 vers un « vrai » plan industriel européen ?
📍 la réforme des retraites est-elle demandée par l’UE ?

Nous constatons que les libéraux européens refusent de soutenir nos entreprises quand les Américains les incitent à délocaliser outre-Atlantique à coup de subventions massives. Oui agir de la sorte revient à tendre l’autre joue face aux mesures de prédation économique pratiquées par les États-Unis.

La commande de la réforme des retraites, avec celle de l’assurance chômage) au travers des « recommandations européennes » et de la mise en œuvre du « plan de relance » européen ne sont un secret pour personne (nous l’avions expliqué en octobre 2021). La Commission et les macronistes sont prêts à sacrifier tous nos acquis sociaux sur l’autel du marché et de la sacro-sainte « compétitivité ».
Chômage, retraites, même combat : précariser, stigmatiser les plus fragiles.
La présidence Macron restera celle de la grande régression.

La Gauche Républicaine et Socialiste fête ses 4 ans !

Le 3 février 2019 naissait à Valence la Gauche Républicaine & Socialiste. Nous fêtons nos 4 ans🎂🥳.

Nous grandissons, nous avons besoin de vous pour défendre notre projet de République sociale & écologique au service de la majorité populaire.

Ensemble, donnons-nous les moyens de la réindustrialisation de la France, nécessaire à notre souveraineté économique et au bien-être de nos concitoyens, sachons donner de la valeur aux efforts des travailleurs, portons haut notre idéal républicain, universaliste et laïque.

Soutien aux travailleurs sociaux et médico-sociaux en grève

Jeudi 2 février 2023, une nouvelle journée de grève nationale du social et médico-social est programmée avec un rassemblement prévu à Paris, réunissant des cortèges venus de toute la France.

Depuis plus de deux ans, les travailleurs médico-sociaux syndiqués ou en collectif se sont rassemblés pour dénoncer la politique de destruction du travail social et médico-social et pour revendiquer :

  • l’attribution des acquis du « Ségur de la Santé » pour toutes et tous sans conditions ;
  • l’augmentation d’au moins 300€ des salaires et indexation sur les prix ;
  • une convention collective commune de haut niveau et non un nivellement vers le bas ;
  • l’amélioration de nos conditions de travail et des conditions d’accueil et d’accompagnement ;
  • des moyens humains et financiers à la hauteur des besoins de la population.

    En somme, les travailleurs médico-sociaux réclament une vie plus digne pour les personnes accompagnées et pour les salariés.

    La Gauche Républicaine et Socialiste soutient cette nouvelle journée de mobilisation d’un secteur plus que jamais mobilisé face à la crise sociale ainsi que la manifestation qui est prévue à 11h devant NEXEM (métro Arts et Métiers).

    La cruauté sociale d’une addition : 18 + 3 + 43 = 64

    C’est une addition simple, 18 + 3 + 43 = 64.
    Pour quiconque a fait plus de 3 ans d’études, et/ou a commencé à cotiser après l’âge de 21 ans, il n’est pas possible d’atteindre les 43 annuités nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein avant l’âge de 64 ans. Pour la population la mieux formée de ce pays, celle qui a fait 3 ans d’études et plus, le passage de l’âge légal de 62 à 64 ans ne change quasiment rien. Le passage à 43 ans est déjà à l’œuvre depuis la loi Touraine de 2014. Le gouvernement ne fait que l’accélérer.

    La réforme des retraites présentée par Elisabeth Borne prétend ré-équilibrer son système de financement et surtout économiser plusieurs milliards d’euros par an (on a bien compris que le raisonnement valait avant tout pour prétendre agir sur la réduction des dépenses publiques, plutôt que sauvegarder la pérennité d’un système dont le COR lui-même affirme qu’elle n’est pas en danger). D’où viennent les économies ? Sur qui reposeront ces efforts, si les plus aisés et les plus formés n’y participent que marginalement ? Essentiellement sur tous les autres : celles et ceux qui n’ont pas fait d’études, ou des études courtes, celles et ceux qui ont commencé à travailler avant l’âge de 21 ans.

    Les prétendus « bénéfices » de la réforme des retraites reposent donc sur des sacrifices exigés de la part la population la moins favorisée de ce pays. Epuiser à la tâche les premiers de corvée pour épargner les premiers de cordée, il fallait y penser.
    Comme si ce gouvernement tenait absolument à parfaire sa définition de la cruauté sociale et de la violence de classe.

    La Gauche Républicaine et Socialiste soutient donc plus que jamais les mobilisations du 31 janvier et celles à venir en fixant comme objectif le retrait du projet Macron-Borne-Ciotti ; elle rappelle qu’elle considère également comme néfaste la loi Touraine de 2014 : la gauche de retour au pouvoir devra revenir sur celle-ci et proposer une loi pour améliorer notre système de retraites en le rendant plus solidaire encore et en lui permettant de répondre aux besoins des publics aujourd’hui pénalisés (femmes, salariés précaires, emplois pénibles, etc.).

    Affaire de la pollution au chlordécone aux Antilles : un « non-lieu » injuste et inacceptable prononcé par les juges d’instruction

    Le 2 janvier dernier, les juges d’instruction ont prononcé un non-lieu dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone. La Gauche Républicaine et Socialiste fait un point complet sur le dossier.

    Pour quelles raisons un non-lieu a-t-il été prononcé ? Les juges d’instruction du pôle de santé de Paris estiment tout simplement que les faits sont prescrits. Ce n’est malheureusement pas une surprise au regard du non-lieu prononcé par le parquet de Paris en novembre 2022.

    Pourtant, cette volonté de ne pas prononcer de jugement ou même de débattre de ce désastre humain, sanitaire et écologique, quelle que soit la date des faits, ne rend pas honneur à notre système judiciaire.

    Pour rappel, qu’est-ce que le dossier de la pollution à la chlordécone aux Antilles ?

    La pollution des Antilles par l’utilisation du chlordécone est un exemple, aujourd’hui classique, de la manière dont les excès du productivisme et du libéralisme (et un certain aveuglement administratif) détruisent la nature et détériorent les conditions de vie humaines.

    L’histoire commence il y a plus de soixante ans. Après la Deuxième Guerre Mondiale, les États sont engagés dans une logique de reconstruction et de relance économique avec ce que cela comprend en termes d’avancées scientifiques, notamment sur les méthodes et les leviers de production. C’est dans ce contexte qu’est inventé le chlordécone.

    Découvert dans les années 1950, il est connu dans le milieu agricole comme un pesticide qui permet d’augmenter les rendements. Ses résultats sont démontrés et sa production devient exponentielle notamment aux États-Unis. Cependant, dix ans après son lancement, des premiers travaux prouvent qu’il est hautement toxique pour l’homme et pour la faune. Les mises en garde n’empêcheront pas Jacques Chirac – alors ministre de l’Agriculture et de l’Aménagement rural – de délivrer une Autorisation de Mise sur le Marché provisoire sous le label Képone. Paradoxalement, le chlordécone fait déjà l’objet d’interdictions aux États-Unis au même moment. Ainsi, un gouverneur ira jusqu’à fermer l’accès d’une rivière au public car polluée au-delà des doses acceptables par le pesticide.

    À la même époque, en France et pendant plus de 20 ans, le chlordécone est largement utilisé aux Antilles. Comme certains pays d’Afrique, où il existe une culture intensive de la banane, l’objectif est d’arrêter le développement d’un parasite, le charançon du bananier, et d’accroître les rendements des producteurs locaux. La question de son interdiction ne se pose à aucun moment car les quelques travaux de recherche qui existent sur le sujet démontrent que le chlordécone se développent qu’au niveau des racines et non au niveau des fruits suspendus. Ouf ! il n’y a donc aucun risque pour les populations européennes et américaines qui consomment massivement de la banane antillaise : circulez, il n’y a rien à voir… Quant aux agriculteurs des territoires concernés, ils ne s’en plaignent pas. Du moins pour le moment…

    Au fur à mesure des épandages, la Martinique et la Guadeloupe accumulent plus 300 tonnes de chlordécone pulvérisés sur plus de 20 ans, jusqu’en 1993 où sont usage sera interdit.

    Bilan, on estime aujourd’hui que 16% des sols, les rivières, les nappes phréatiques, le littoral de la Martinique et de la Guadeloupe sont pollués au chlordécone pour au moins 600 ans, selon des rapports les plus optimistes. Le plus inquiétant est qu’il s’agit là de chiffres officiels et que des recherches approfondies pourraient vraisemblablement apporter des informations plus alarmantes.

    Les études menées prouvent que la catastrophe touche non seulement la nature et la biodiversité mais aussi l’être humain. Ces faits sont rapportés dans les mises en garde de l’Institut National de la Recherche Agronomique ou encore des enquêtes, comme « Kannari1 », de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui indique que 92% des personnes testées en Martinique ont du chlordécone dans le corps et que 19% des enfants testés dépassés la dose toxique.

    1 Une étude de santé sur la nutrition et l’exposition à la chlordécone afin d’évaluer l’exposition, de l’évolution de l’état de santé des populations, de rechercher les facteurs associés et d’établir des référentiels.

    Les implications de la pollution à la chlordécone aux Antilles françaises…

    Les effets pour l’homme sont de plusieurs natures : sanitaires, environnementaux, économiques, démographiques et sociaux.

    Aujourd’hui considéré comme un perturbateur endocrinien, l’utilisation du chlordécone est à l’origine de nombreux cancers de la prostate. Sur l’ensemble des personnes interrogées, on constate qu’elles ont eu à manipuler ce produit depuis leur plus jeune âge, et ensuite sur plusieurs années, sans protection dans les bananeraies des Antilles. Cela représente en moyenne 600 nouveaux cas chaque année, faisant de la Martinique et la Guadeloupe des territoires détenteurs d’un triste record : celui des plus forts taux de cancer par habitants au monde.

    Les naissances prématurées (accouchements à 37 semaines de grossesse), les handicaps lourds, les malformations et les effets sur le cerveau chez les enfants, nés de parents détenant un taux de chlordécone supérieur à la moyenne non létale1, sont les autres séquelles de cette pollution. Pour reprendre les mots de Josette Manin, députée de la Martinique, « les agriculteurs qui ont manipulé ce poison pendant ces longues années de tolérance agonisent lentement ».

    Les impacts économiques, en dehors de l’accroissement du niveau de rendement de la banane sur quelques années, sont aujourd’hui très importants. La filière de la banane est touchée de plein fouet soit par la mauvaise publicité dont souffre aujourd’hui la banane antillaise soit par la concurrence directe qui est imposée par les producteurs de pays du bassin caribéen.

    Par ailleurs, les produits de la mer et les filières viandes sont impactés en raison de la pollution directe des cours d’eaux, des nappes phréatiques, des rivières, du littoral et des sols. Les animaux sauvages, le bétail domestique ainsi que les poissons qui fraient auprès des côtes et sont consommés par les populations locales, alors qu’ils sont intoxiqués, ne sont pas des exceptions. Pour des populations qui produisent des biens d’autoconsommation en circuits dits « informels » (jardins créoles, plantations sur des petites parcelles de terre, etc.) – afin de pallier la cherté des produits de circuits formels (supermarchés, hypermarchés, etc.) ou par pure tradition – les risques de contamination restent très forts.

    Les difficultés induites pour le secteur de la pêche traditionnelle sont terribles, car les ressources halieutiques sont aussi affectées par la chlordécone. Cela les oblige à s’éloigner du littoral avec toutes les difficultés qui y sont liées : les équipements sont rarement adaptés pour la pêche en haute mer ; il serait utile de mesurer dans quelle mesure cette évolution a potentiellement accru le nombre de disparitions de pécheurs traditionnels. Pour couronner le tout, ils souffrent d’une forte concurrence d’armateurs mieux équipés.

    La concurrence est donc plus rude entre les produits auto-consommés et les produits industriels qui bénéficient, souvent à tort, d’une image d’alimentation « zéro chlordécone ». Cela condamne une grande partie des agriculteurs et prive les populations de leurs jardins créoles sur lesquels reposent souvent une partie de l’équilibre alimentaire et économique des familles. Par ailleurs, cela accentue aussi la dépendance aux produits de consommations issues des importations. Il conviendra là-aussi d’évaluer l’impact sur les taux d’émissions de gaz à effets de serre du fait de l’accentuation des achats de produits importés provenant des Amériques ou d’Europe. Il est regrettable que des amendements qui allaient dans ce sens aient été déclarés « cavaliers législatifs » et n’aient donc pas été discutés lors de l’examen de la loi « Climat-résilience » à l’Assemblée Nationale2 à l’été 2021.

    Tout cela vient affecter l’économie de la santé dans les Antilles. Les Antilles françaises connaissent des difficultés sanitaires structurelles – budgets, matériels, équipements insuffisants, manque de personnels pour accueillir convenablement les patients, vétusté et délabrement de certains sites hospitaliers : l’empoisonnement au chlordécone accroît donc constamment les obligations de soins existants, alors même que la pandémie a multiplié les obstacles pour l’accès aux soins. Il est difficile d’imaginer le sort des patients atteints de cancers et qui ont subi des déprogrammations dans le contexte de la lutte contre le Covid 19.

    Sur plan de l’agitation sociale, la prescription invoquée dans l’affaire chlordécone aura participé aux actions qui ont abouti à la destruction de statuts à Fort-de-France et à Pointe-à-Pitre, rouvrant ainsi des douleurs séculaires.

    Le manque d’action de l’État, sur ce dossier comme sur d’autres en Outre Mer, vient alimenter l’idée que l’État français pollue et ne participe nullement au développement des Antilles, volontairement. En effet, quand on voit les freins au développement économique et social des Antilles, mais aussi des territoires comme la Guyane et Mayotte, et la « lenteur systémique de l’État » pour y apporter des réponses, on peut comprendre que de telles considérations aient émergé ou aient été renforcées. Les problématiques structurelles existantes aux Antilles – l’éloignement géographique avec l’Hexagone, insularité, climat, démographie en nette chute depuis 30 ans – en sont accrues.

    Ainsi la pollution des Antilles au chlordécone trouve une profonde résonance sanitaire, économique, sociale mais aussi politique et culturelle ; malheureusement, toutes les conséquences du dossier ne sont pas encore connues. Nos compatriotes antillais perçoivent ainsi très durement ce qui apparaît de plus en plus comme un évidence : l’inaction de l’État français et son incapacité à entendre leurs plaintes.

    1 La dose létale moyenne est un indicateur quantitatif de la toxicité d’une substance et mesure la dose de substance causant la mort de 50 % d’une population animale donnée (souvent des souris ou des rats) dans des conditions d’expérimentation précises.

    2 La logique consistant à repousser sans autres formes de procès des amendements qui pourraient gêner le Gouvernement en considérant que les dispositions présentées dans un amendement n’ont rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi. Or, même si la pollution au chlordécone n’est pas une des premières causes du réchauffement climatique, l’on ne peut nier ainsi un lien avec ce sujet.

    Comment réparer une injustice que même la justice ne veut plus résoudre ?

    Il aura fallu tant de cris d’alarme, de larmes, de rapports et de morts avant que l’État ne décide enfin de s’impliquer, du moins politiquement, dans ce drame. N’oublions pas que la reconnaissance officielle, pleine et entière, de cette tragédie ne date que du 27 septembre 2018. Cette date est historique car c’est la première fois qu’un Président de la République parle d’aller « vers les chemins de la réparation » sur ce dossier.

    Cependant, depuis cette date, les avancées sont faibles, et ce malgré la littérature, les mises en garde et les travaux parlementaires sur le sujet. Du côté de ces derniers, on dénombre :

    • Une proposition de loi visant la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, complètement vidée de sa substance par la majorité LREM de l’Assemblée Nationale ;
    • Une commission d’enquête parlementaire qui a permis de comprendre et de découvrir les raisons et les responsabilités liées à l’utilisation de ce poison et qui a soumis 42 propositions pour réparer les préjudices causés. Or, malgré les annonces présidentielles, la République En Marche a toujours refusé de mettre en place des leviers financiers et matériels importants pour dépolluer les Antilles.

    LREM et l’exécutif se réfugient derrière la mise en œuvre d’un Plan Chlordécone, le quatrième depuis 10 ans, pour apporter des réponses et apaiser les populations. Mais les moyens alloués à ce plan sont bien en deçà des attentes des populations au niveau sanitaire, économique et social.

    En réalité, l’affaire chlordécone pose la question de la place faite à l’Outre-mer au sein de la République. Elle démontre la discrimination systémique et inacceptable de citoyens de la République, du fait de décisions prises à plus de 8000 kilomètres des Antilles. La pollution à la chlordécone et ses suites politiques et judiciaires font étrangement penser aux essais nucléaires sur l’atoll de Mururoa. Ce sont les réseaux sociaux et les mobilisations citoyennes ont permis de mettre ces tragédies sur le devant de la scène.

    Les Outre Mer contribuent de manière substantielle à notre rayonnement dans le monde – la France est la République sur laquelle le soleil ne se couche jamais – et participe largement à faire de notre pays la puissance mondiale qu’elle est encore. Ils apportent à la France plus de 90% de sa richesse en matière de biodiversité marine1, plus de 90% de ces territoires maritimes, plus de 90% de son rayonnement à l’international hors de l’Union Européenne en étant tournées vers l’Afrique, le Pacifique et les Amériques. Notre République est une et indivisible et reconnaît en conséquence nos concitoyens d’Outre-mer au sein du peuple français, cependant, dans les faits, ces territoires et leurs habitants sont trop souvent considérés comme une ligne budgétaire qu’il s’agirait d’alléger.

    La création du crime d’écocide aurait permis d’apporter de la justice sociale dans cette affaire, qui est aujourd’hui sous le coup d’une prescription – de quoi alimenter l’imaginaire sur le dossier et les rétropédalages du Gouvernement, au profit des lobbies.

    Aimé Césaire, poète et parlementaire antillais disait qu’« une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ». Dans cette affaire, l’État français a rusé avec les principes républicains à de multiples reprises. In fine, le dossier chlordécone est symptomatique du traitement de l’Homme par l’Homme et de la nature par l’Homme : c’est au nom de la recherche d’une production et d’une profitabilité maximale que les plantations de bananes ont été aspergées de chlordécone, sans prise en compte des effets, y compris une fois connus ceux-ci.

    Plus que jamais, cette catastrophe doit nous faire réfléchir sur nos modes de production et de consommation, nous ne pouvons continuer à adhérer à un libéralisme économique mortifère et brutal qui est la cause première de nos maux. Nous devons rétablir le lien entre la nature et l’homme tout en acceptant qu’il y ait un tribut à payer à la nature – le seul critère de rentabilité ne permet de pas de le concevoir aussi bien au niveau de l’écologie, de la solidarité et de la fraternité. Penser le « monde de demain », avec les anciens systèmes et les anciennes méthodes, nous condamne certainement à vivre de nouvelles « affaires chlordécone » dans l’avenir.

    Depuis quelques années, des articles de presse, des manifestations alimentées par des épisodes judiciaires chaotiques, des documentaires et des travaux parlementaires nous alertent sur les impacts de l’utilisation de la chlordécone dans les bananeraies des Antilles. Considéré par certains comme émanant « d’une logique coloniale et volontaire de la part de l’État pour, dit-on, assassiner les populations antillaises » et par d’autres comme étant un « accident de parcours », ce scandale écologique et sanitaire n’a pas fini de défrayer la chronique.

    Il est dit que la justice est aveugle, dans ce drame judiciaire elle aura été aveugle et inhumaine. Il faut maintenant espérer que ce dernier épisode ne vienne pas embraser socialement et politiquement les Antilles.

    La Gauche Républicaine et Socialiste soutient les familles des victimes, les associations martiniquaises et guadeloupéennes qui avaient saisi la justice en 2006, les élus qui n’ont eu de cesse d’alerter l’État sur les conséquences d’un non-lieu ainsi que les populations encore concernées aujourd’hui par cette pollution à long terme qui vivent clairement un déni de justice et un mépris d’État.

    François Morland

    1 80 % de la biodiversité terrestre.

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