Assumer le bras-de-fer avec le gouvernement allemand

Déjà absurde à l’origine et inefficace – la dette des États européens s’est maintenue à un niveau élevé et la croissance a été poussive durant les années 2010 –, le Pacte de stabilité et de croissance s’est fracassé sur le mur du Covid en 2020 et 2021. L’éclatement de la guerre en Ukraine, les besoins de la transition écologique et numérique ainsi que la réindustrialisation (notamment l’effort de défense) auraient dû signer sa fin, mais c’est le contraire qui va se passer : les règles du traité budgétaire de 2011 seront rétablies le 1er janvier 2024.

À côté de l’irréalisme des objectifs (3% de déficit, 60% de dette publique, obligation de dégager un excédent primaire, « réformes structurelles »), la quasi impossibilité politique d’infliger des amendes aux États déficitaires commandait pourtant de mettre à jour les lignes directrices de la politique budgétaire.

Timide proposition de la Commission

En avril dernier, la Commission semblait avoir pris (un peu) conscience de la nouvelle donne en proposant une (timide) modification du Pacte : les totems des 3% et 60% demeuraient, mais en privilégiant une approche « au cas par cas » censée tenir compte des spécificités nationales.

À chaque État hors les clous d’un ou plusieurs critères de Maastricht, la Commission souhaitait proposer une « trajectoire budgétaire de référence » sur quatre ans (renouvelable trois ans) si des « réformes structurelles » ou, nouveauté, des investissements de nature à alimenter la croissance, étaient engagés. Le mécanisme du Semestre européen (aux termes duquel les États soumettent leurs orientations budgétaires à la Commission, qui leur répond par des « recommandations ») et les injonctions à conduire des réformes néolibérales étaient maintenues. La Commission pouvait toujours ouvrir une procédure pour déficit excessif, mais avec des amendes moins lourdes.

Nouveau refus germanique

Ces aménagements, pourtant très modérés (pour ne pas dire cosmétiques), n’ont pas fait varier Berlin d’un iota : Scholz, sous la contrainte de Lindner, son très libéral et austéritaire ministre FDP des finances, n’avalise pas cette idée « d’individualisation des parcours » budgétaires, car cela nuirait à la « discipline » et donnerait à la Commission un pouvoir de négociation – et de décision – trop discrétionnaire à leurs yeux. Le gouvernement de la coalition des “feux tricolores” (rouge pour le SPD, jaune pour le FDP et vert pour les Grünen) demande le maintien des règles actuelles, sans changement.

Élisabeth Borne et Bruno Le Maire, qui trouvaient le projet de la Commission à leur goût, ont d’abord répondu « inenvisageable ». Mais comme d’habitude (à l’exception notable de l’inclusion du nucléaire dans la catégorie des énergies soutenues au titre de la transition écologique), Paris a fini par reculer.

Et comme d’habitude, l’Allemagne veut une Europe à son image, sans se soucier des besoins d’investissement massifs auxquels se sont engagés les autres États membres. Pour notre chère moitié du « couple », la seule chose qui compte c’est respecter le verdict de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 15 novembre dernier, qui a censuré l’utilisation de 60 milliards d’un fonds spécial hors budget, initialement destiné à la relance post-Covid, pour financer d’autres politiques publiques (l’existence de tels véhicules, qu’en finance privée on appellerait du « shadow banking », n’est pas sans poser question sur le sérieux de la « rigueur » allemande…). Sans doute un peu honteux d’avoir été pris la main dans le sac, Christian Lindner a décidé que pour faire bonne figure et rentrer en grâce en son pays, mieux valait faire payer les autres.

Le gouvernement règle ses problèmes intérieurs sur le dos des Européens

Toujours est-il qu’à ce jour, l’Allemagne n’a toujours pas bouclé son budget 2024. Et la raideur de sa position sur le Pacte budgétaire ne l’aidera pas plus que les autres à trouver les dizaines de milliards d’euros nécessaires à la transition énergétique et à endiguer les délocalisations industrielles provoquées par l’explosion des prix de l’énergie.

Emprunter des dizaines de milliards d’euros sur les marchés financiers est un réflexe politique tout sauf naturel pour les Allemands, qui depuis 15 ans se sont imposés une règle ultra-stricte, qu’ils avaient même inscrite dans leur Constitution : quasi-interdiction de tout déficit public, sauf situation d’urgence. La crise sanitaire avait été considérée comme telle, mais pas la crise climatique. Le SPD et les Verts voudraient bien sortir de cette tenaille, mais ont besoin pour ce faire d’un vote des deux tiers du Bundestag, ce qui est arithmétiquement impossible. Et pour le FDP de Christian Lindner, sans lequel il n’y a plus de majorité, il n’en est pas question.

Au cœur du programme du FDP on trouve en effet le refus catégorique de toute hausse des impôts, particulièrement sur les riches. Comme pour ce parti, plus de dette = plus d’impôts et que tout investissement public (en friche complète depuis Merkel, notamment dans les infrastructures : routes, ponts et canaux sont dans un état lamentable) doit être gagé sur des économies, l’obstacle semble infranchissable. La rentrée en récession de l’Allemagne, dont le secteur privé n’investit plus et réduit ses dépenses de R&D, finit de noircir le tableau, sans que cela émeuve les libéraux. On en vient à se demander si une partie de la classe politique d’outre Rhin n’espère pas secrètement que la Russie gagne la guerre et que le business avec cet ex fournisseur d’énergie reprenne comme au bon vieux temps.

Pour sa part, l’opinion publique allemande n’apprécie guère ces tergiversations et encore moins l’absolutisme du FDP. Les sondages lui donnent moins de 5% en cas d’élections anticipées et la paralysie politique éclabousse aussi le SPD et les Grünen. En revanche, au sein de la CDU, des voix se font entendre pour plaider moins de contraintes, voire la remise en cause de la règle d’or budgétaire. Il se murmure qu’un expédient pourrait être trouvé en prolongeant « l’état d’urgence financier » en 2024. Mais rien de bien consistant à ce stade, alors que le temps presse.

Avoir le cran de l’affrontement

S’il venait à l’idée d’Emmanuel Macron d’essayer de réussir (pour une fois) une opération diplomatique, la « cible Lindner » est tentante. Après tout, celui-ci a toujours dit « non » à toutes les propositions européennes du Président français, et ce depuis 2017. L’Élysée, qui ne manque pas de relais dans la presse, pourrait échafauder un plan qui pour le coup, serait bien utile à la France, l’Allemagne et l’Europe. Lindner et le FDP forment le noyau dur de la coalition des « égoïstes », ils ont failli faire capoter le plan de relance de 2020, ce qui aurait proprement démoli nos économies, et se débarrasser d’un tel « ennemi de l’intérieur » n’attristerait sans doute pas grand monde (et pas davantage Scholz, ni le patron des Grünen, Robert Habeck). Mais Macron aura-t-il le cran d’aller à l’affrontement direct avec l’Allemagne en visant Lindner ? Il est permis d’en douter.

Or le temps ne presse pas seulement pour le budget allemand ; il presse aussi et surtout pour la cohésion de l’Europe. Les élections européennes approchent et la vague d’extrême-droite se profile à l’horizon. Il ne reste, au mieux, que quelques semaines pour trouver un compromis sur le nouveau cadre budgétaire si les Vingt-Sept veulent qu’il soit adopté avant la fin de la législature. Dans cette hypothèse, le nouveau Pacte de stabilité rentrerait en vigueur dès 2025. D’ici là, les règles existantes pourraient être aménagées de manière flexible voire constructive. Mais pour l’instant, tout cela relève de la politique fiction.

Il ne nous reste plus qu’à défendre notre programme de gauche et de souveraineté populaire et à le porter dans la campagne pour forcer un gouvernement français quel qu’il soit à assumer enfin la confrontation européenne nécessaire.

Mathias Weidenberg et Frédéric Faravel

Un naufrage annoncé d’Olaf Schloz pourrait hâter celui de sa coalition

Fabio De Masi a inlassablement dénoncé l’hypocrisie budgétaire et fiscale sous les gouvernements de coalition Merkel – SPD. Il l’a fait d’abord en tant que député Die Linke au Bundestag et a continué de le faire depuis la fin de son mandat (il a refusé de se représenter, en désaccord stratégique avec la ligne de la direction actuelle de son parti, qui mène selon lui à l’abandon de l’électorat populaire à l’AfD dans l’espoir chimérique de devenir le parti de la jeunesse urbaine). Il a par ailleurs été l’un des acteurs cruciaux pour mettre au jour le mécanisme du CumEx par lequel des banques européennes ont détournés, dix ans durant, 55 milliards d’euros. L’une de ces banques, bien installée à Hambourg, fut inexplicablement autorisée à jouer la montre – les autorités fiscales régionales compétentes laissant passer un délai de prescription et ne réclamant pas 69 millions d’euros de redressement fin 2016. Il fallut que la direction fédérale du fisc à Berlin empêche le procédé d’être répété pour que cette banque, la Warburg, paye enfin 46 millions en 2017. Depuis 2018, Fabio de Masi, lui-même citoyen de Hambourg, cherche à comprendre qui a donné la consigne d’épargner la Warburg1.

Or, le maire de Hambourg, en 2016, c’était Olaf Scholz, l’actuel Chancelier SPD à la tête de la coalition « feu tricolore » (SPD-Grünnen-FDP) depuis décembre 2021. Il fut en 2017 ministre des finances d’Angela Merkel. On savait déjà, bien qu’il l’ait d’abord nié, que Scholz avait rencontré, juste avant la décision de laisser filer les 69 millions (puis deux fois encore après), l’un des dirigeants et propriétaires de la banque. Celui-la même qui devrait passer en jugement en fin d’année.

Le Chancelier a menti

Scholz, tout en prétendant de pas s’être occupé du dossier fiscal de la banque, affirme en plus ne se souvenir … d’aucune des trois conversations. C’est sa ligne de défense pour éviter de se mettre lui-même en cause : l’amnésie. Pourtant, le même Olaf Scholz expliquait voici quelques années à la presse que la banque Warburg était si active dans le mécénat culturel et artistique que – malgré les 69 millions d’euros de redressement en souffrance – elle était en quelque sorte contributive nette. C’est l’expression la plus parfaite du néolibéralisme des égoïstes, qui remplacent le respect de la loi et les services publics par la charité des riches.

Ce 22 août 2023, le Spiegel a fait exploser une nouvelle bombe : Olaf Scholz a menti. Fabio de Masi l’expliquait déjà, mais peu de médias le reprenait. Nous avions prévenu l’année dernière les risques auxquels s’exposait le gouvernement en l’ayant à sa tête2.

Le cabinet « hambourgeois » de Scholz a prétendu en 2019 avoir retrouvé trace de ce rendez-vous dans son agenda, précisant tout à la fois que le futur Chancelier « a rencontré la banque trois fois, dont une fois en 2017 » mais que « Scholz lui-même ne se souvient d’aucun des rendez-vous ». Le Spiegel annonce qu’en réalité, il n’y a aucune trace de ce rendez-vous dans aucun de ses agendas, ni dans le calendrier de Scholz, ni dans les archives, ni au ministère, ni à la Ville Région. Le cabinet n’a donc jamais pu retrouver de trace de ce RDV pour rafraîchir la mémoire d’Olaf Scholz. Voici donc le scénario qui se dessine : seuls Scholz et le ou les dirigeants de la Warburg savaient que ce RDV avait eu lieu ; seul Scholz a pu donc préciser à son cabinet de Hambourg que le RDV avait eu lieu et qu’il fallait en « redécouvrir » la trace dans ses agendas, tout en affirmant publiquement qu’il ne se souvenait d’aucun RDV. Or, il a raconté ce conte devant deux commissions d’enquête parlementaire, se parjurant deux fois, alors même que le dirigeant de la Warburg tenait journal et notait chaque jour ses différents rendez-vous et activités.

La Warburg pourrait donc devenir le Watergate du Chancelier allemand : si Olaf Scholz a pu mentir sur le RDV, alors les Allemands, leurs médias, leurs parlementaires, peuvent considérer désormais qu’il a aussi pu mentir en affirmant n’avoir jamais garanti à la banque un rescrit fiscal permettant d’effacer leur dette fiscale de 69 millions d’euros, alors même qu’on cherche toujours qui a ordonné cette consigne. En effet, une haut fonctionnaire qui avait tenté de se sacrifier comme fusible a été contre sa volonté disculpée des actes dont elle s’accusait.

C’est un petit fait, mais toute la ligne de défense du Chancelier s’effondre comme un château de carte.

Sous la pression de l’AfD, élections ou nouvelle coalition ?

La presse allemande avait levé le pied sur cette affaire avec avec l’invasion de l’Ukraine par le régime du Kremlin. Mais le gouvernement est dans une situation difficile, avec un Scholz incapable de mener la barque, de faire preuve d’autorité, et de donner – et d’expliquer – le sens d’une action commune.

Comme prévu, les contradictions entre Verts et Libéraux sont de moins en moins solubles ; leur guerre permanente s’accompagne d’erreurs réelles dans la conduite des affaires. Au regard de la désorganisation politique de la coalition, les médias et les observateurs allemands s’interrogent sur les conséquences d’une chute de Scholz : serait-ce une si grave affaire que cela ?

sondage Forsa pour RTL dans l’éventualité d’élections législatives, réalisé entre le 22 et le 28 août 2023 auprès de 2504 répondants

La classe politique allemande est elle aussi en pleine interrogation. De nouvelles élections anticipées suite à une démission du Chancelier social-démocrate bloqueraient sans doute encore un peu plus le Bundestag : l’AfD pourrait rafler 20 % des suffrages et la représentation parlementaire des Linke et de la CSU (conservateurs bavarois associés à la CDU allemande) pourraient disparaître au travers d’une grave défaite électorale pour les premiers, par fusion forcée avec la CDU en raison de l’évolution des règles électorales.

La chute de Scholz pourrait favoriser un renversement d’alliance et la construction d’une nouvelle coalition associant sous la direction de la CDU, les conservateurs, les libéraux et les écologistes.

Pendant ce temps incertain, l’économie patine, le marasme continue, les énormes retards d’investissement public sous Merkel ne sont toujours pas rattrapés sous l’influence du ministre libéral des finances Christian Lindner, ce dernier voulant, sur fond de crise et d’inflation, faire de l’austérité budgétaire : la vie chère jette, elle, chaque jour un peu plus de citoyens allemands dans le rejet de la démocratie.

Mathias Weidenberg

1 Hambourg est une région, un Land. Or, les régions allemandes ont compétences fiscales. Le maire de Hambourg, en tant que président de région, avait donc l’autorité d’exiger de ses services fiscaux de ne pas faire payer la banque.

2 http://g-r-s.fr/allemagne-2022-entre-winter-is-coming-et-le-sparadrap-du-capitaine-scholz/

Le modèle allemand en fin de vie ?

La crise industrielle allemande

Un rapport de la Deutsche Bank met en garde contre une désindustrialisation accélérée de l’Allemagne. En effet, l’un des piliers les plus importants du modèle économique soutenu par Angela Merkel, c’était l’accès constant à une énergie carbonée abondante et peu chère, aidant l’Allemagne à conserver un avantage compétitif et ses usines localement.

Ce n’est plus le cas. L’industrie pourrait reculer de 5 points de PIB en 3 ans.

La première pénurie, c’est la main d’œuvre. Dès 2014 cependant, un facteur de coût apparaissait : le manque de main d’œuvre qualifiée, combiné à une démographie atone et un défaut massif d’investissement dans la formation, entraînait une progressive reprise à la hausse des salaires. Les syndicats patronaux allemands ont imploré le gouvernement de mettre en œuvre des politiques agressives d’immigration de personnels bien formés par d’autres pays pour limiter ces coûts, soit de financement des formations, soit d’augmentation des salaires.

C’est ce qui explique en partie la décision brutale d’Angela Merkel en septembre 2015 de s’asseoir sur un traité international, l’accord de Dublin, pour ouvrir les frontières allemandes. C’est aussi ce qui explique qu’entre 2016 et 2020 l’industrie commence un recul dans la part de la richesse nationale produite, passant de 22,6% à 20% : le manque de main d’œuvre.

Le SPD tenta en 2016 de répondre au besoin de main d’œuvre en revalorisant les salaires par l’instauration d’un SMIC, et cette mesure, loin de coûter “un million d’emplois” comme le prétendait le patronat allemand avant le vote de cette loi, contribua à en créer 200 000 et permettre la poursuite des gains de productivité.

L’industrie en panne de carburant

La Deutsche Bank pense que l’explosion des coûts de l’énergie carbonée, ainsi qu’en corollaire les pénuries menant le gouvernement à privilégier le chauffage des habitations sur le maintien des lignes de production industrielle pourrait entraîner une vague massive de délocalisations et de faillites – qui sont des délocalisations d’emplois vers des concurrents.

La question de l’énergie est au cœur du renversement de paradigme économique en Allemagne.

Dans ce contexte, la décision du chancelier Scholz du 17 octobre 2022 de maintenir les trois centrales nucléaires encore en activité jusqu’en avril 2023 au moins est logique : entre transition énergétique et coupure avec son « allié russe », l’Allemagne n’a pas le choix.

Mais toutes les infrastructures ont été conçues pour une consommation massive de gaz, et non d’électricité nucléaire, ou d’électricité renouvelable. En Allemagne, le nucléaire est une emplâtre, pas une solution pérenne.

En octobre 2021, à la présentation du contrat de gouvernement, la nouvelle coalition SPD-Verts-Libéraux se félicite d’avancer la sortie du charbon à 2035 en fondant toute sa stratégie sur le gaz naturel comme énergie de transition vers une énergie 100% renouvelable. Il était prévu de doubler les capacités énergétiques fondées sur le gaz russe pour supplanter le lignite, très polluant, mais extrait d’Allemagne.

Dès cette date, Poutine organise le débit des pipelines de telle manière que le prix recommence à augmenter. Le dépendance géopolitique de l’Allemagne à la Russie, organisée par Merkel tout au long de ses 4 mandats, en dépit de la crise de 2014 et l’annexion de la Crimée, rendait impensable à Poutine un ralliement de son principal client et partenaire à un front unifié au moment de l’invasion de l’Ukraine. D’ailleurs, l’Allemagne hésita les premiers jours.

Pénurie et Pénurie

Entre mars et septembre 2022, la consommation allemande de gaz est certes en recul de 30% ; et la vague de chaleur tardive de ce mois d’octobre à plus de 20 degrés, s’il est le signe d’une accélération dramatique du réchauffement climatique, va réduire mécaniquement la consommation. Mais cette baisse reflète également une crise larvée de la production en Allemagne, déjà engagée avant même la pandémie.

La crise est structurelle, et antérieure au Covid.

On l’a oublié, mais dès le troisième trimestre 2019, on s’inquiétait d’une récession possible en Allemagne avec la conjonction des problèmes structurels d’approvisionnement en matières premières et en composants de base des produits industriels. La pénurie est antérieure à la pandémie, et touche déjà les puces micro-électroniques, les capacités de stockage des données, les métaux et terre rares.

La pandémie, accélérateur de la crise de la globalisation

La pandémie a profondément bouleversé les équilibres économiques de la période 2010-2019.

En Chine, les fermetures des gigantesques centres de production des composants de base des produits manufacturés de l’économie mondiale, dans le cadre d’une politique de zéro Covid stricte, a exposé la vulnérabilité des capitaux étrangers placés dans ce pays. En fin de compte, c’est le gouvernement de Xi Jinping qui décide de l’ouverture et la fermeture des usines, et non l’investisseur allemand.

La reprise en main idéologique et politique des géants de la haute technologie chinoise reflète également la lutte entre classes dominantes dans ce pays, avec une nouvelle classe qui s’est crue proche de pouvoir prendre une influence politique mais qui a été rappelée brutalement à la réalité des rapports de force d’un régime despotique.

La classe bureaucratique reste en Chine plus puissante que la classe capitaliste qui s’est formée depuis 1978. Cependant, ces nombreuses convulsions chinoises ont aussi des conséquences en Allemagne sur les manufactures spécialisées dans l’exportation.

L’exportation, richesse stérile allemande

Sans marché intérieur – toute la politique d’Angela Merkel consista à restreindre la croissance du marché intérieur pour en expurger toute tentation inflationniste, maintenir la compétitivité extérieure et garantir la paix sociale par la déflation des produits de première consommation – l’Allemagne produisait encore en 2021 un tiers de ses richesses en vue de l’exportation.

Les revenus de ce commerce excédentaire n’étaient pas réinjectés dans l’économie nationale, par l’investissement public, privé, ou la hausse des revenus: non ! Des quantités gigantesques de liquidités ont été accumulées et … stockées dans des trappes improductives, ou empilées dans le marché immobilier, et la dette publique en euros. Près de 1000 Mds € seraient ainsi stockés sur des comptes courants non rémunérés, de quoi financer une transformation énergétique allemande en trois ans. Les Allemands, d’après une enquête de la Bundesbank de 2020, conserveraient chez eux plus de 150 milliards en liquide !

S’il y a un peuple prouvant par l’absurde la justesse du système keynésien, c’est bien l’allemand.

Toutes ces liquidités accumulées ne servent à rien. Cette épargne, contrairement à un présupposé des économistes “dominants” n’a pas créé une croissance d’investissements pas plus, par une consommation accrue, ou une augmentation des salaires, qu’elle a été inflationniste.

Le mercantilisme merkellien, tragédie de l’Europe des années 2010

Merkel a été une mercantile acharnée et obstinée. Début octobre 2022, interrogée au Portugal sur les enseignements tirés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février de la même année, Angela Merkel donna en une phrase toute l’étendue de son mercantilisme : la décision de se rendre dépendant du gaz russe dès 2011 était à ses yeux toujours justifiée “parce que c’était le moins cher”, et la guerre de 2022, enjambant tout ce qui s’est passé entre 2014 et cette date, “une césure”, un changement de paradigme.

Le mercantilisme – par exemple celui des colbertistes conduisant la transition du féodalisme au capitalisme, libéral en Angleterre, encadré par l’État absolutiste en France – suppose une économie produisant des excédents commerciaux pour en financer des investissements publics et privés attributs de puissance d’une Nation.

Merkel a bien produit des excédents, qu’elle a bien utilisés comme attribut de puissance au sein de l’Union Européenne, mais sans jamais passer aux investissements par peur de faire partager les classes populaires à cette prospérité, et de déséquilibrer les ressorts profonds, déflationnistes, du commerce extérieur.

Mais c’est aussi ce mercantilisme, fondé une vision souverainiste de la politique allemande toute cette décennie, qui amène de fait l’Allemagne à s’allier d’abord avec le Royaume Uni de Cameron contre la France et les pays du Sud, puis avec la Turquie contre la Grèce, avec la Hongrie contre le fédéralisme et la mutualisation des dettes, avec les Pays Bas, le Luxembourg, l’Irlande, contre l’harmonie fiscale européenne, et avec toutes les droites contre l’Europe sociale.

Évidemment, la “chancelière climat” comme l’appelaient les éditorialistes conservateurs après sa décision, politicienne et soudaine, de sortir du nucléaire, n’a rien fait pour le climat, le choix d’investir dans les énergies renouvelables étant cohérent avec la vision mercantile d’une industrie énergivore allemande nécessitant un minimum de diversification de l’approvisionnement.

Le triomphe de la raison stupide, taux d’intérêt et commission européenne

L’ancien directeur de la banque centrale américaine Bernanke a été récompensé du “Nobel” d’économie pour ces travaux sur la crise financière de 1929, où il était arrivé à la conclusion que ce n’est pas un excès de liquidité, mais un déficit de monnaie, qui avait accéléré la crise et provoqué l’inflation. C’est ce qui le conduit en 2008 à ouvrir les vannes de la planche à billets, politique menée aussi par la banque centrale européenne depuis 2013, et qui a financé la reprise des années 2010-2020 sans contagion monétaire par l’inflation.

Pourtant, à l’approche d’une inflation structurelle, de production, les banques centrales, l’européenne en tête, montent les taux d’intérêts et pensent qu’il est préférable de plonger l’économie dans une profonde récession plutôt que d’augmenter les salaires. La commission européenne ne cesse, dans ce contexte de crise inflationniste par contagion des pénuries apparues dès 2019 et des prix de l’énergie, de rappeler les nécessités de respecter la “règle d’or” austéritaire.

Or, on sait comment on sort de crises profondes comme celles de 1929 : par le fascisme et la guerre. C’est le triomphe de la raison stupide.

Un mercantilisme infectieux, une Allemagne malade

Ce qui n’a pas été fait, c’est préparer l’industrie allemande à un marché de l’énergie sans carbone, et à une indépendance géostratégique énergétique. Ceci a eu des conséquences politiques dramatiques tant pour les Allemands – les classes populaires allemandes sont parmi les grandes perdantes de la période 2000-2022 en Europe – que pour les Européens.

La paupérisation des classes populaires allemandes est un poison démocratique. Dès lors que l’Allemagne encaissait chaque année plus de 6% de sa richesse nationale en excédent commercial, alimentant en recette fiscale l’État, lui permettant même d’emprunter à taux négatif, les classes populaires auraient été légitimes à réclamer une partie de cette prospérité auxquelles elles contribuaient par leur travail.

C’est l’inverse qui s’est produit : le niveau de vie, le niveau de pouvoir d’achat réel des classes populaires a reculé, au mieux stagné, entre 1998 et 2018.

Le plein emploi obtenu entre 2008 et 2016 ne l‘a pas été en multipliant le nombre d’emplois : le nombre d’heures travaillées en Allemagne a baissé de 5% sur la période, reflet de la crise démographique.

Le nombre d’heures salariées travaillées a aussi baissé. Nous l’avons régulièrement relayé dans nos analyses depuis les élections de 2017, la réduction du chômage en Allemagne est essentiellement le produit d’un double phénomène :

1. Une réduction contrainte du temps de travail et du nombres d’heures rémunérées des emplois populaires. Le temps de travail effectif moyen est passé de 38 à 33 heures pour les emplois en dessous du médian salarial. Les salariés gagnent par tête moins qu’avant parce qu’on les oblige à accepter des contrats à temps partiels. Les cadres et les professions intellectuelles supérieures ont elles maintenues leur temps de travail au delà de 41 heures payées 41 heures, et ont vu leur taux horaire fortement progresser sur la période.

2. La réforme du minimum social conditionné à un contrôle de tous les aspects de la vie intime menée par Schröder et approfondie par Merkel – et qui sert en réalité de modèle à Macron pour ses réformes de l’assurance chômage – a piégé près de 5 millions d’actifs dans des statuts de “prolétariat en guenille”, payés parfois 1 euro l’heure travaillée, pendant plus de dix années consécutives, sans véritable travail de formation professionnelle qui exigerait des investissements publics. En 2020, les estimations du déficit en investissements publics en Allemagne oscillaient entre 250 Mds € (uniquement pour les infrastructures) à 600 Mds € tout confondu.

Crise de l’industrie, pénuries, paupérisation, guerres : le terreau de la bête immonde

La conséquence politique a été visible dès la fin des années 2010 : la défaite du SPD et l’échec des Linke à incarner une meilleure gauche entraîne des comportements électoraux des classes populaires et moyennes inférieures très différents des 50 premières années de la république fédérale.

Ces tâtonnements électoraux ont profité en alternance au NPD néonazi ou aux Pirates (parti laïc et libertaire). L’électorat cherche un débouché, et les Linke, empêtrés dans des débats sur le sexe des anges entre intersectionnalistes, communautaristes, adeptes de la théorie des “milieux” (le terranovisme allemand) et matérialistes marxistes, sabotent eux-mêmes la tentative de Aufstehen de capter cette colère populiste dans un mouvement progressiste. Pourtant, le lancement du mouvement, au printemps 2018, intéressait “36% des Allemands” d’après un sondage du magazine Focus, et enregistrait 100 000 adhésions en ligne. Tout l’été 2018, les apparatchiks du parti vont mener une campagne acharnée qui tuera dans l’œuf le mouvement.

La marche en avant de l’extrême droite en Europe et en Allemagne

Ce sont les néofascistes qui vont sauter sur cette occasion.

Finalement, tous les parlements allemands, dans les Länder comme au Bundestag, vont connaître une weimarisation : explosion des votes pour des petits partis y compris lorsqu’ils n’ont aucune chance d’être élus, multiplication du nombre de partis représentés dans les parlements, émiettement des coalitions majoritaires traditionnelles, multiplication des “Grandes Coalitions”, et, depuis 2017, enracinement d’une extrême droite parlementaire à plus de 10%.

En 2013, manquant encore de peu l’entrée au Bundestag, l’AfD “l’alternative pour l’Allemagne” grossit sur le dos des grandes coalitions pour entrer au parlement européen en 2014, dans des parlements régionaux, et en 2017, pour la première fois depuis 1951, au Bundestag avec 90 députés, conservés en 2021.

L’AfD compte autant de députés que le RN en France, mais la maladie démocratique n’est pas aussi avancée que la septicémie française.

Ce phénomène s’accompagne d’un effondrement des effectifs militants dans les partis comme des effectifs syndicalistes. L’ensemble des corps intermédiaires s’affaiblissent.

L’Allemagne cependant n’a pas eu l’histoire conflictuelle de la France entre 1945 et 1968 : pas de guerre de décolonisation, pas de guerres civiles larvées, pas de tentatives de coup d’État militaire, et une stabilité constitutionnelle autour d’un régime parlementaire.

Les institutions ont mis du temps à s’extraire de personnels formés – et souvent adhérents – sous le nazisme. Mais depuis, elles sont plus solides qu’en France pour limiter le pouvoir exécutif et maintenir le respect du droit et des libertés fondamentales. Cependant, l’Allemagne est aujourd’hui mûre pour une aventure populiste. La crise de l’énergie ne touche pas que l’industrie, mais tous les ménages.

Au début du mois d’octobre, le Land de Basse Saxe, où se trouve Volkswagen, mais aussi les grands éleveurs et abattoirs allemands, l’ancien bastion de Schröder, a voté. Les deux grands partis, SPD (-4%) et CDU (-8%) ont continué de reculer. Les deux partis en progression sont les Verts (15%) et l’extrême droite (11,5% et +5%). Si le SPD peut conserver la présidence du Land dans une coalition avec les verts, les libéraux du FDP ont été éjectés du parlement.

Les Libéraux en tirent la leçon que la coalition nationale au Bundestag ne les sert pas. Le 17 octobre, ils ont poussé la coalition au bord d’une crise existentielle en exigeant l’investissement dans le nucléaire. Le chancelier Scholz a donc tranché la poire en deux entre Verts et Libéraux.

Un gouvernement Scholz affaibli

Les sondages nationaux sont très mauvais pour la coalition, avec une droite menée par un ultra-libéral populiste, Merz, dénonçant un “tourisme social des réfugiés ukrainiens” – un million d’Ukrainiens se sont réfugiés en Allemagne, et les classes populaires allemandes, qui avaient déjà vues en 2015-2016 l’État mobiliser d’importants moyens pour accueillir un million de réfugiés venus du Proche Orient se demandent bien pourquoi ces moyens n’existent pas pour améliorer leur propre situation matérielle – et une extrême droite AfD à plus de 15%.

Or, Scholz est vulnérable : une enquête judiciaire pourrait le lier au scandale Warburg, nom de la banque de Hambourg, ville dont il fut maire, qui a fait déjà tomber le député et chef de l’aile droite du SPD Kahrs.

L’échec moral du mercantilisme merkellien allemand

Wandel durch Handel”: La transformation par le commerce. Le mercantilisme, et la foi dans le commerce comme moteur des transformations positives des relations entre États et Nations, sont autant au cœur de la construction européenne que de la politique allemande, notamment d’Angela Merkel entre 2005 et 2021.

Aujourd’hui, le patron du SPD Lars Klingbeil regrette que même son parti “ait mis l’accent sur ce qui nous reliait” – le commerce – “ et refusé de voir ce qui nous séparait” avec Poutine.

Aucun des régimes avec lesquels l’Allemagne a commercé intensément depuis 2005, cherchant l’alliance mercantile d’abord, puis des accords politiques, ne s’est développé vers des formes plus démocratiques, progressistes, ou tolérantes sur la période, bien au contraire.

Les avantages économiques tirés du commerce avec l’Allemagne ont enrichi des classes corrompues de plus en plus autoritaires.

Russie, Chine, Turquie : comparez les situations politiques intérieures entre 2005 et 2022. En 2005, Merkel explique que Erdogan est un “Musulman-démocrate” comme il existe des chrétiens-démocrates, et salue son libéralisme économique. Elle envisage un rapprochement avec l’Union Européenne. En 2016, malgré les transformations du régime et sa répression des manifestations de 2014, son implication dans les groupes islamistes de Syrie, sa lutte contre nos alliés qui ont battu Daesh, elle choisit la Turquie plutôt que la Grèce pour accorder plusieurs milliards par an pour bloquer les réfugiés, donnant à la Turquie une formidable arme de chantage.

La Chine reçoit l’essentiel des investissements économiques allemands financés par ses excédents. Ils passent de 29 milliards par an en 2010 à 90 milliards par an en 2019. Voilà des milliards qui auraient pu aider l’intégration européenne et faire de l’Allemagne ce consommateur de dernier ressort.

Les joint venture se développent. Dans le même temps, XI Jinping a engagé la répression la plus meurtrière et massive, criminelle et raciste, des Oighours, mets au pas la démocratie à Hong Kong, mets en camp les milliardaires et les leaders d’opinion des classes montantes de la prospérité Chinoise, engage une politique coloniale agressive et hostile à l’Europe en Asie et en Afrique, et finalement, après une politique AntiCovid sans aucun égards pour les conséquences sur l’économie allemande, renforce, en 2022, ses pouvoirs vers le pouvoir absolu, effaçant les ouvertures du régime depuis 1978. Les transferts de technologie et de capitaux préparent son invasion de Taïwan.

En Russie, l’Allemagne a non seulement investie en se liant pieds et poings à Poutine, pour le meilleur et pour le pire, en faisant tout pour affaiblir les sources d’énergies alternatives hors d’Allemagne au gaz russe, et en premier lieu le potentiel de la France tant pour l’électricité nucléaire que pour les pipelines venus d’Afrique du Nord où les terminaux de gaz liquide, et en décidant de sauter l’Ukraine avec les deux pipeline Nord Stream – l’Allemagne a sous Merkel toujours choisie son intérêt à court terme égoïste sur les partenaires européens – que dans l’économie russe. Le régime de Poutine lui est devenu de plus en plus autoritaire, réactionnaire, anti-LGBT, anti droits des femmes, et impérialiste, s’alliant avec Assad, avec le régime iranien, tolérant l’écrasement des Arméniens par les Azéris pour maintenir l’Arménie dans son espace de contrôle, soutenant le pourtant haï Lukashenko pour empêcher un exemple réussi de transition démocratique dans sa zone d’influence.

Entre 2015 et 2020, par exemple, l’industrie de la microélectronique allemande a investi 9 milliards par an en Chine, 2 milliards en Russie, 1,3 milliards en Turquie, et seulement, tendance à la baisse sur toute la période, moins d’un milliard en France.

Il y a quelques années, avant la pandémie, nous nous interrogions sur les raisons pour lesquelles les industriels allemands, tout occupés à pleurer à la chancellerie sur les pénuries de main d’œuvre qualifiée et les difficultés locales pour développer leurs usines, ne venaient jamais, au sein d’un espace monétaire homogène, avec une sécurité d’un droit commun et d’une compréhension du droit commun, investir en France, que la même la Deutsche Bank qualifiait d’attractive, disposant d’une main d’œuvre plutôt formée abondante.

Angela Merkel préférait les incertitudes des régimes autoritaires et les maximisations des gains économiques immédiats. Comme elle l‘a redit encore début octobre 2022, elle ne voit rien de mal à sa politique énergétique entre 2010 et 2021 car “le gaz russe était le moins cher.”

Tout est dit.

En 2020, les Chinois ont ouvert et fermé les usines construites avec des capitaux allemands comme bon leur semblaient : les propriétaires du capital n’avaient rien à dire. Le droit ne protège pas l’investisseur étranger lorsque le régime autoritaire serre les boulons.

Nous n’avons pas besoin de revenir sur la situation russe et les gigantesques transformations que l’absence de commerce imposent à l’Allemagne maintenant. C’est l’ironie tragique du “Wandel durch Handel” : la Russie maintenant transforme l’Allemagne, et non l’inverse.

Notons l’échec moral complet de Merkel : Son mercantilisme a accompagné la radicalisation des formes autoritaires et islamistes des trois partenaires privilégiés, pendant que sa politique concurrentielle en Europe a fait monter l’extrême droite partout, y compris en Suède, en Allemagne même.

C’est une débâcle économique, politique, morale, philosophique et personnelle.Le mercantilisme merkellien restera comme l’épisode le plus frappant et dramatique du triomphe de la raison stupide. Longtemps présenté en modèle pour la France, le mercantilisme merkellien se révèle être fondé sur trop de dépendances à des pouvoirs corrompus autoritaires, et par conséquent sans aucune fiabilité. L’Allemagne, en choisissant systématiquement la Russie, la Turquie et la Chine contre la France, l’Italie, l’Espagne, et la prédation de l’excédent commercial sur la coopération et la solidarité, découvre bien tard avoir été la cigale.

Scholz, la semaine dernière, a ouvert la voie, pour la première fois depuis une déclaration commune de Martine Aubry et Sigmar Gabriel en septembre 2011 laissée sans suite, à une mutualisation des dettes européens pour affronter solidairement, en coopération européenne, la crise énergétique. Ce ne fut pourtant pas le cas pendant la crise pandémique, ni pendant aucune des crises des années 2008-2020. C’est que l’Allemagne y est contrainte. Elle a besoin de la solidarité européenne qu’elle refusait par principe pendant vingt ans.

Il est donc logique que ce soit à ce moment que Grèce et Pologne relancent leurs exigences d’indemnisation pour les destructions de la seconde guerre mondiale.

Un effet d’aubaine ?

Si l’Allemagne est profondément déstabilisée, en doute profond sur les paradigmes des 20 dernières années, c’est une fenêtre d’opportunité pour la France. Malheureusement, celle-ci est gouvernée par des élites encore enivrées à la chimère opiacée d’une “amitié franco-allemande” que Merkel n’a jamais honorée.

Elle refusait encore en novembre 2015 les moyens budgétaires à Hollande pour se protéger du terrorisme islamiste, ne l’oublions jamais, ne lui pardonnons jamais.

Pourtant, jamais les visions françaises, mitterrandiennes, de l’Europe n’ont été aussi proches de trouver un terrain de réalisation. C’est le moment de pousser l’avantage, de l’exploiter sans compromis, sans pitié : Mutualisation des dettes, contrôle politique de la BCE, défense européenne sous leadership technologique et politique français, toutes ces idées pourraient être mises en avant.

Mais Macron, provincialiste tout occupé à améliorer l’argent de poche de Bolloré et Bernard Arnault, préfère cliver son opinion publique sur les retraites, l’assurance chômage, les salaires des employés de l’énergie. Quel gâchis ! Si le mercantilisme merkellien est une tragédie, le libéralisme macronien est une farce. Comme le disait Engels en 1844, il parlait de Saint-Simon, dont la vision de l’Europe continue d’inspirer justement les libéraux français, “tout ce qui en France est touché une fois par le ridicule est perdu à jamais”.

C’est exactement ce qui touche le président actuel, dans l’époque la plus dramatique depuis la chute du rideau de fer.

La République sociale européenne ?

Nous sommes attachés à une vision universaliste ancrée dans l’histoire de France. Nos révolutions ont fondé l’idée républicaine et l’espoir que celle-ci sera l’instrument de la justice sociale, avec le moteur de la fraternité pour surmonter les crises et les agressions extérieures. Ces valeurs et ces principes, autant que la méthode républicaine, sont les inspirations nécessaires pour formuler les réponses aux crises contemporaines.

Il est temps de mettre fin à l’expérience d’une union douanière allemande en confédération d’États germanique, une répétition européenne de 1834 en Allemagne.

Il est temps de porter le flambeau d’une république sociale et européenne, construite sur les principes français d’égalité et de fraternité, et non sur les principes mercantiles d’une Allemagne en échec total.

Allemagne, 2022 : entre « Winter is coming » et le sparadrap du « Capitaine Scholz »

Voici quelques jours,le Chancelier social-démocrate allemand Scholz était convoqué par la commission d’enquête du parlement régional de Hambourg concernant les nouveaux développements de l’affaire Warburg. En Allemagne les commissions d’enquêtes parlementaires régionales ont autant de pouvoir que celles de l’Assemblée nationale ou du Bundestag, mais peuvent aussi interroger sur des enquêtes en cours.

Le parlement régional cherche à comprendre :

  1. Est ce que Scholz lui a menti les fois précédentes où il a déposé devant sa commission d’enquête ?
  2. Quel fut son rôle exact dans la tentative d’effacer le redressement fiscal de 47 millions d’euros de la banque Warburg, qui fut responsable entre 2005 et 2016 de 450 millions d’euros d’escroquerie du fisc et d’avoir massivement créé le mécanisme CumEx, lui-même coûtant au fisc des Etats européens quelques 55 milliards d’euros (!) sur la période – c’est un tribunal en 2016 qui a jugé la pratique illégale depuis le début et comme une forme d’escroquerie à la TVA.

55 Mds€, c’est la moitié de la dette publique grecque en 2011. On se serait épargné cette crise européenne si les riches contribuables n’avaient pas fait s’évader cette somme dans la période.

Le parquet enquête sur les preuves, surgies cette semaine, indiquant que les e-mails du futur Chancelier, alors maire de Hambourg, échangés autour de rendez vous – dont le Chancelier affirme « ne pas se souvenir » – avec les trois personnes ayant mis au point le dispositif assurant une forme d’impunité de la banque, avaient été récemment supprimés.

Là où l’affaire dépasse le simple trafic d’influence, c’est que l’on sait que le député SPD Kahrs, patron à l’époque de l’aile droite du SPD et grand soutien de Scholz, avait obtenu du directeur financier de Warburg 44 000 euros de dons pour sa section de Hambourg, et il y a 15 jours le juge d’instruction a découvert 215 000 euros de liquide dans un cofrre fort non déclaré de Kahrs qui n’explique pas la provenance de l’argent, alors que la loi l’y oblige. Pour ne pas empêcher Scholz de devenir Chancelier, Kahrs avait brutalement démissionné de ses mandats politiques en pleine négociation de coalition.

Plus embêtant pour Scholz : son directeur de cabinet, qui a rang de secrétaire d’Etat en Allemagne, Wolfgang Schmidt, semble au cœur du dispositif. Lors de précédents articles, nous avions déjà alerté sur le potentiel de cette affaire ; en janvier 2018, notre référent à Berlin avait publié une note sur un média depuis disparu, mais son article est toujours accessible1. Le SPD pourrait bien perdre son chancelier cet automne.

1https://librechronique.net/articles-et-entretiens/

L’héritage des contradictions de l’ère Merkel

Les deux partis partenaires du SPD dans la coalition « feu de circulation », Verts et libéraux, sont très discrets sur l’affaire car si Scholz tombe de nouvelles élections seraient convoquées : Verts et FDP ne profiteraient pas d’être vus comme les Lorenzaccio de l’affaire (meurtriers). De plus, il semble aujourd’hui probable que le SPD ne refera pas de coalition avec eux.

La CDU et l’ancien député des Linke Fabio de Masi poussent de leurs côtés les feux politiques.

Cette crise politique est le reflet de toutes les contradictions de l’ere Merkel. Elle a recyclée le SPD schröderien en 3 grandes coalitions :

  • Steinmeier, l’actuel président de la République, vice chancelier au premier mandat Merkel, ministre des affaires étrangères du troisième, était le directeur de cabinet et principal inspirateur de l’agenda 2010 de Schröder.
  • Scholz fut comme secrétaire général du SPD en 2003 chargé de la purge des anti-agenda 2010, conduisant en 2005 à la fusion des dissidents social-démocrates avec les anciens communistes dans die Linke.

Merkel avait dès 2005 montrée son extrême connivence avec le système financier privé allemand en organisant sur fonds publics la fête d’anniversaire du patron de la Deutsche Bank à la chancellerie. L’étude du bilan de la Deutsche Bank, longtemps la banque zombie européenne la plus exposée à un risque de faillite systémique, explique par ailleurs bon nombre de décisions politiques de Merkel, notamment contre labandon des créances grecques. La DB ne fut sauvée d’une faillite que par une prise de contrôle par … la Chine en 2017.

De même tout le système social induit par l’agenda 2010 et prolongé par Merkel supposait une forte déflation intérieure, avec baisse des salaires réels et donc maintien des prix à la consommation le plus bas possible. C’est aussi ce qui explique le choix d’une économie de surproduction permanente cherchant des débouchés extérieurs (les excédents commerciaux). Mais quand 200 Mds€ rentrent chaque année dans une économie sans être employés en investissement ou en salaires (ce qui aurait augmenté l’inflation, réduit les exportations et accru les importations), c’est la spéculation qui sert de trappe à liquidité : l’immobilier a vu une progression des prix exponentielle entre 2011 et 2020, largement supérieure au reste de l’Europe (et pourtant on sait que la France est elle-même particilièrement touchée).

La déflation intérieure signifie aussi que le taux de pauvreté touche également les salariés en emploi, et a toujours été entre 2011 et 2021 supérieur aux taux de pauvreté français. Pire, il a augmenté sur la période malgré la prospérité de l’économie.

Ainsi, le taux de pauvreté est passé de 12% en 1998 à 17% en 2020 ! (en France à 14,5%, plus élevé que les 11% de 2006). Les banques alimentaires ont vu leur fréquentation exploser, la pauvreté et la précarité concernant désormais un quart des Allemands, prisonniers du bas de l’échelle sociale et économique. La paix sociale est achetée avec les discounter et des conditions « d’esclavage moderne » dans les usines de viandes et d’aliments de Basse Saxe (d’après un pasteur de la région, Peter Kossen), devenus en 2020 des clusters pour les ouvriers saisonniers roumains et bulgares importés en camion, repayant leur salaire en loyers sur place à leur employeur…

Merkel a pris à plusieurs reprises des décisions structurantes sous la pression électoraliste conjoncturelle. Sa décision en 2011 de revenir sur la reprise du nucléaire visait à sauver le bastion de la CDU dans la plus riche région d’Allemagne, le Bade-Würtemberg. Raté, les Verts dirigent le Land depuis.

En 2015, la gauche est majoritaire au Bundestag. De « irréconciliable » (l’agenda 2010 jouant le rôle clivant, maus aussi le passé dissident des Verts face aux anciens communistes de l’ex-RDA), la gauche commençait à se retrouver sur la question de la gestion de la crise migratoire en août 2015. Persuadée qu’elle allait être renversée, Merkel décida en panique, et supportée par le syndicat patronal ayant besoin de main d’œuvre qualifiée importée, de s’asseoir sur les traités européens et ouvrir les frontières à un million de réfugiés syriens. Le retour d’expérience permettra d’accueillir dans de très bonnes conditions 500 000 Ukrainiens en 2022, mais ce « succès » est la conséquence de l’échec complet de la politique énergétique et diplomatique allemande depuis 2002.

Schröder, Steinmeier, Merkel, ont toujours privilégiés Poutine sur une solution intégrée européenne à l’accès à l’énergie.

Si Merkel a soutenu le Maidan en 2014 (le renversement du président élu ukrainien et les mouvements nationalistes comme démocratiques nés là, influencée par les boxeurs célèbres en Allemagne Klishko – l’un d’entre eux est depuis maire de Kiev), elle a aussi avalé l’annexion de la Crimee et accepté l’absence de conséquences à l’attaque d’un avion civil néerlandais avec plus de 300 morts ou la guerre civile dans le bassin du Don.

L’absence chronique d’investissement – cumulé sur 16 ans les infrastructures allemandes manquent de 400 à 600 Mds€ – , sans compter l’absence d’infrastructures pour transporter l’électricité des renouvelables produite dans le Nord rural vers le Sud industriel, et les choix énergétiques dépendants au gaz russe entraînent une situation d’échec et mat stratégique depuis le 24 février dernier, l’invasion de l’Ukraine par la Russie handicapant la diplomatique germanique coincée entre un soutien de façade à la démocratie ukrainienne et une retenue peu honorable à la seule fin de ne pas manquer de gaz russe. Rappelons d’ailleurs que le pipeline de gaz Nordstream2 sur lequel était basé toute la stratégie énergétique allemande de transition vers 100% renouvelable en 2050 prévoyait de contourner l’Ukraine jugée trop chère en royalties de passage et … en détournement de gaz illégal.

L’illusion atlantiste perdue des dirigeants allemands

À cela s’ajoute un deuxième échec géostrategique : Schröder, pour se débarrasser de son principal rival Oskar Lafontaine, dont le programme économique keynésien fut l’un des moteurs pourtant de la victoire du SPD en 1998, s’était rallié à la fondation progressiste des Clinton, y retrouvant Blair et D’Alema notamment. Cet alignement idéologique sur le progressisme nord-americain dans son interprétation clintonienne est l’équivalent de ce que nous avons connu avec la « note Terra Nova » 12 ans plus tard (la France est toujours un cycle derrière les autres). En conséquence, cela signifiait que même les forces critiques de l’Otan et des États Unis dans l’opposition, les Verts de Joshka Fischer compris, se ralliaient au consensus atlantiste des libéraux et conservateurs. Fini, l’ouverture à l’est des Brandt ou Schmidt.

Or, renforcer le lien avec Washington tout en se rendant dépendant des exportations et importations chinoises, et de la Russie pour le gaz, tout en traitant l’Union Européenne comme un hinterland obéissant, c’est construire des contradictions insolubles à moyen termes.

Le ralliement atlantiste fut immédiatement conçu par Schröder comme une aspiration à l’Allemagne à la puissance, le faisant intervenir au Kosovo en 1999, première intervention ouest allemande à l’extérieur depuis 1945 (la RDA est intervenue en 1956 et 1968 chez ses voisins, et dans les années 70 et 80 avec Cuba en Angola). La guerre d’Irak devait refroidir cet atlantisme quelques années, jusqu’à l’élection de Merkel qui de suite interpréta l’Otan en termes mercantiles :

  • réduire les importations d’armes américaines ;
  • supprimer le service militaire pour fermer des casernes ;
  • utiliser le budget militaire comme principale variable budgétaire de réduction des dépenses.

C’est ce qui explique l’état de vétusté et de faiblesse de l’armée allemande tel que l’état major ne pense pas pouvoir défendre les frontières, si le conflit ukrainien s’étendait à la Pologne.

Entre temps, Trump a profondément ébranlé les certitudes allemandes. C’est la première phase des contradictions apparentes. En déclarant l’Otan mort, en montrant que le moins atlantiste des membres de l’alliance pouvaient devenir les États-Unis, en retirant l’essentiel des forces américaines encore en Allemagne juste avant la fin de son mandat, en exerçant de fortes pressions et un chantage pour obliger l’Allemagne de compenser son excédent commercial en important du matériel militaire, Trump a fracassé l’illusion de sécurité allemande.

Mais, prisonnière d’une vision qui conduit à vassaliser une partie de l’Europe, sans aucune confiance en la France (il n’y a d’amitié franco-allemande que du côté français – relire les entretiens deMathieu Pouydesseau avec Coralie Delaume publiés sur son site en 2017 et 20181 et ses livres publiés ensuite), acceptant sans sourciller le Brexit et le départ de l’autre puissance nucléaire militaire, l’Allemagne se retrouve telle une reine nue. C’est pourquoi en 2018, à la conférence de sécurité de Munich, on a entendu parler d’un « arsenal nucléaire allemand à concevoir ».

1 http://l-arene-nue.blogspot.com/2017/02/souverainiste-lallemagne-ne-changera.html ; http://l-arene-nue.blogspot.com/2018/10/ou-en-est-lallemagne-apres-chemnitz.html

L’Allemagne est-elle armée pour relever ses défis ?

Ces contradictions géopolitiques, énergétiques, commerciales et sociales ont des conséquences culturelles et politiques.

Sous Merkel, on a assisté à la renaissance du nationalisme allemand, d’abord sous les couleurs festives d’une coupe du monde de football. Mais une petite musique révisionniste s’est installée, différenciant les nazis, espèce extra terrestre disparue le 10 mai 1945, et les Allemands, victimes innocentes des bombardements alliés, des viols par les Russes, des expulsions de l’est (12 millions de réfugiés allemands ont fui la Prusse orientale,la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bohême-Moravie, etc. En 1945). Sur ce terreau, l’extrême droite s’empare d’un petit parti libéral et eurosceptique fondé par une bourgeoisie rentière mal servie par l’économie d’exportation : L’AfD, alternative pour l’Allemagne, qui tient aujourd’hui à 10 à 12% de l’électorat sur son agenda d’extrême droite.

Le terrorisme neofasciste est également revenu : il a fait depuis 2010 beaucoup plus de morts que le terrorisme islamiste, s’en prenant tant à des gens dans la rue ou dans des bars, à des synagogues, qu’à des élus.

La droite conservatrice allemande a longtemps été anesthesiée par l’effet “Mutti” – mais suite aux événements de 2018 et au score très médiocre de septembre 2017, la CDU envoie celle-ci en pré retraite en décembre. Elle restait chancelière sans plus dominer le parti. Après l’échec de 2021, la CDU a tranchée pour une ligne ultra-libérale, et populiste, avec Friedrich Merz, rival de Merkel en 2002-2005, passé entre temps par l’entreprise de pillage financier BlackRock.

La gauche, elle, a bien profité suite au gauchissement du SPD du sursaut électoral (limité) de ce dernier. Mais, incapable de renouveler son personnel, il a dû recourir au dernier des Schröder boys, et cela est en train de lui coûter tous les progrès faits depuis 2018 et l’élection d’une présidence du parti très à gauche.

Les Verts engrangent pendant ce temps la crédibilité gagnée par les ministres Habeck et Bärbock. Habeck, ministre de l’économie et de l’énergie, envisage de prolonger les centrales nucléaires comme mesure transitoire. Bärbock paraît plus forte à l’étranger qu’un Scholz : elle a eu un échange violent devant la presse avec son homologue turc, quand Scholz, debout à côté de Abbas lorsque celui évoque « 50 holocaustes » commis par Israël en territoire palestinien, ne remue pas un cil…

Le patron des libéraux, Lindner, ministre des finances, a dû accepter d’énormes couleuvres sous la forme d’une relance keynésienne par le déficit budgétaire. Il tente de contenir l’inflation en résistant aux hausses de salaire et en plaidant pour une hausse des taux d’intérêt, c’est-à-dire pour une récession monétariste. Mais il n’est pas majoritaire au sein du cabinet, et la politique économique actuelle est populaire.

Pour finir, voici l’état des forces sondagiers :tous les récents sondages montrent un SPD plombé par son Chancelier entre 18 et 20%, loin de son score de 26% de septembre 2021, et loin de la droite (26/ 28%) et des Verts (23/25%). La droite n’a qu’un seul partenaire de coalition potentiel avec les libéraux et ne peut pas envisager gagner, sauf à une alliance avec les Verts. Si ceux-ci restent à 24% et le SPD à 20%, si les Linke manquent à nouveau les 5% (ils ne prennent pas le chemin de se rétablir) il peut y avoir un scénario permettant une majorité à deux, verte-noire, sans doute avec un chancelier Habeck.

C’est ce qui explique la modération des attaques des uns et des autres sur l’affaire Warburg : avec tant de contradictions et d’incertitudes, alors que l’Ukraine perd la guerre et voit ses soutiens dans l’opinion se réduire, changer de Chancelier ou revoter ne paraît pas raisonnable. Il est aussi probable que tout le monde préfère que Scholz et le SPD payent la facture des pénuries de cet hiver : il leur paraît préférable de le soutenir comme la corde soutient le pendu encore 6 mois.

Mais c’est la démonstration d’une Allemagne déboussolée, groggy, incertaine sur son avenir, et handicapée par des problèmes pratiques extrêmement concrets et urgents à résoudre. Les 16 années de mercantilisme merkellien ne furent pas qu’une catastrophe pour l’Union Européenne, mais aussi pour les Allemands des classes populaires, et aujourd’hui, la facture exorbitante est présentée à toute l’Allemagne. La cigale, entre 2005 et 2021, c’était l’Allemagne, la voici « fort dépourvue lorsque la bise fut venu ».

Tournants politiques en Sarre à l’occasion des élections régionales

La Sarre a tournée deux pages dimanche 27 mars 2022.

  1. La région allemande à la frontière française a voté et mis fin à 23 années de gouvernement de la droite chrétienne démocrate.
  2. Elle a sanctionnée l’échec des Linke alors que le SPD a progressivement depuis 2015 – et plus nettement depuis l’élection de sa direction très à gauche en 2018 – rompu avec le Schröderisme et redécouvert Keynes et le droit du travail.
    Rappelons qu’en 1999, l’ancien président de la région de Sarre et ministre des finances du premier gouvernement Schröder, le sarrois Oskar Lafontaine, démissionne avec fracas du gouvernement après quelques mois, dénonçant le fait d’être empêché de mener le programme de relance keynésienne promis pendant la campagne électorale.
    C’est l’aile social-libérale du SPD qui s’emparera dès lors des finances et les conservera de 1999 à 2005 ; c’est elle également qui sera architecte de la première grande coalition. Elle dominera encore la seconde grande coalition, mais l’échec de Martin Schulz en 2017, puis la retraite politique de Andrea Nahles et l’affaiblissement de Merkel en 2018 permettrons de changer les équilibres au sein de la “vieille dame” (surnom du SPD, partei en allemand est féminin).

Rappelons que face à l’agenda 2010, annoncé après la campagne électorale de 2002, Oskar Lafontaine quittera le SPD et créera la WASG, avant de fusionner en 2005 avec les anciens communistes de l’Est du PDS dans le parti qui devint les Linke.

Pour autant, la weimarisation des comportements électoraux se poursuit.
Le parlement sarrois paraît revenir aux équilibres d’avant l’explosion politique initiée par le social-libéralisme de Schröder et la scission du SPD avec le départ d’Oskar Lafontaine. Mais en réalité, plus de 22% des suffrages exprimés ne sont pas représentés. Le site Wahlrecht s’en inquiète d’ailleurs en posant la question de la constitutionnalité de la clause des 5% minimum pour avoir des élus au sein des parlements régionaux.
Les Verts (de seulement 24 voix) et le FDP ont manqué de peu l’entrée au parlement, ce qui permet au SPD d’obtenir une majorité absolue en sièges. Mais près de 12% des voix sont allés sur des micro partis qui dès le départ n’avaient aucune chance d’avoir des élus.
Cet émiettement extrême, même avec la présence d’un parti fort, dominant le parlement, est une des caractéristiques des élections de l’ancienne République de Weimar. C’est pour l’empêcher que la Bundesrepublik introduisit le seuil de 5% des voix pour avoir des élus. On pensait alors que l’électeur choisirait des partis susceptibles d’être représentés. Il s’agissait d’éviter de reproduire le phénomène qui, sous Weimar, en l’absence de seuil, permettait à des micro-partis avec des micro-résultats d’obtenir un ou deux députés. C’est faire bien peu de cas des réelles causes de l’effondrement politique de la République de Weimar, que nous avons déjà décryptées dans des articles précédents sur la politique allemande.
Or, hier en Sarre (comme dans d’autres Länder précédemment), la demande politique ne trouvant pas d’offre suffisamment satisfaisante, plus d’un cinquième des électeurs a choisi un vote sans conséquence, d’identité plus que de réalisation politique, alors même que le scrutin a vu une progression de l’abstention (66% de votants).

L’échec des Linke a de nombreuses origines. 2018 fut à plusieurs points de vue une année pivot pour l’Allemagne.
L’échec de Aufstehen, le mouvement que Sahra Wagenknecht (épouse de Oskar Lafontaine et véritable leader politique du groupe parlementaire) espérait pouvoir lancer pour dépasser la structure limitée des Linke et noyer les tendances les plus décolonialistes dans un mouvement social et ouvrier parlant plus de pouvoir d’achat et partage des richesses que de minorités, a débouché une chasse aux sorcières, contre tous ceux qui étaient “soupçonnés” de sympathies pour Aufstehen, qui a profondément affaibli les Linke.
Leur échec aux élections de 2021 sur une ligne à la fois urbaine et prétendûment « réaliste » – pas une seule fois, il ne fut question de l’OTAN, laissant sous entendre que les dirigeants étaient prêts pour participer à un gouvernement de coalition à accepter l’appartenance de l’Allemagne à l’alliance atlantique – signe la déconnexion de la ligne qui gagne du terrain dans d’autres partis de gauche européens des intérêts des classes populaires, des régions péri-urbaines. L’intersectionnalisme ne fait pas une politique de classe, ou plutôt, ne parle qu’à la classe moyenne supérieure urbaine.
Oskar Lafontaine, en quittant le parlement régional il y a deux semaines, annonçait sa retraite politique. Il a aussi annoncé il y a une semaine avoir quitté les Linke, critiquant la ligne actuelle et déclarant que le projet avait échoué.

Le social-libéralisme européiste avait entraîné la décadence du SPD, passé de 42% en 1998 à 20% en 2017.
La rupture avec cette ligne eut lieu avec l’élection de Nowabo et Esken à la présidence du parti (contre Scholz) ; elle a été en grande parti confirmée par l’élection en 2021 au Bundestag de près de 45 députés “jeunes”, rassemblés autour de Kevin Kühnert, charismatique président des Jusos, bien plus à gauche que le SPD. Celui-ci sût faire un compromis avec Scholz, qui gouverne en keynésien et laisse réparer au ministère du travail toutes les législations antisociales passées depuis 2000.
Une rupture plutôt franche qui n’a toujours pas eu lieu au PS. Anne Hidalgo ressortant Hollande rappelle un peu Martin Schulz ressortant Schröder en 2017, passant dans la foulée de 33% à 20% d’intentions de votes. Sauf que le PS est tombé beaucoup plus vite beaucoup plus bas.

S’il y a un enseignement allemand pour les gauches européennes, c’est que la reconquête ne peut commencer sans des ruptures idéologiques avec les pratiques au pouvoir entre 1997 et 2017.
Mais elle ne peut avoir lieu sur des lignes idéologiques de classes moyennes supérieures urbaines, loin des préoccupations des classes populaires, des employés et des ouvriers.

Allemagne : Renversement de paradigme ou la fin doctrinale du Merkellat

article publié initialement par Mathieu Pouydesseau

L’Allemagne a procédé à un renversement de ses doctrines géopolitiques en quelques semaines seulement.

Cependant, il faut bien se souvenir que dès décembre 2018, lorsque la CDU refuse que Angela Merkel reste présidente du parti et nomme celle qui devait être la succession, commence une période de révision des doctrines du Merkellat, ainsi que de celles héritées des deux gouvernements Schröder.

Angela Merkel ne devant plus être candidate, elle perd peu à peu de l’influence tout au long de l’année 2019. À ce moment là, l’Allemagne s’interroge, traumatisée par le mandat Trump, sur son atlantisme inconditionnel. On entend des paroles très critiques quant à l’OTAN comme partenaire peu fiable. À la conférence de sécurité de Munich, il y aura des voix pour plaider pour l’acquisition de capacité de dissuasion nucléaire propre, par exemple.

Cela peut avoir comme origine, après le Brexit, le refus de n’être dépendant que de la France pour cela en cas de replis complet des États-Unis en Europe, ou du doute sur la capacité française à étendre son doctrine de dissuasion à l’Union Européenne, et a effectivement délivré la frappe nucléaire en dernier ressort.
Le mandat Trump, qui décide de punir l’Allemagne de refuser de compenser ses excédents commerciaux en achetant des matériels militaires américains en retirant des troupes, s’achève par une tentative ratée de coup d’état, resté impuni, illustrant l’extrême faiblesse de son successeur, Joe Biden.

Au cours de la pandémie, le SPD a également entamé une réelle évolution, progressive, et accéléré après le score terrible de 2017. Dès 2015, des lois travail créent un salaire minimum et des dispositifs visant à mettre fin aux jobs à 1 euro, ainsi qu’à progressivement réduire le nombre de gens piégés par Harz4, le minimum social punitif des pauvres qui sert de modèle aux propositions Macron sur le RSA.
Mais le choc de la défaite de 2017, qui faillit aboutir au retour à l’opposition, oblige le SPD à prendre des mesures internes.

On assiste à deux renouvellements successifs des cadres, avec la mise sur la touche de Sigmar Gabriel puis l’échec de Andrea Nahles. Les militants choisissent deux inconnus portant depuis longtemps des positions très à gauche, dont un spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale.
S’ils eurent des difficultés médiatiques – leur absence de notoriété leur interdisait de rêver prendre la chancellerie –, ils se concentrèrent sur le travail de fond dans le parti, ses structures, ses programmes.

Le programme proposé par le SPD en 2021 était le plus à gauche des 20 dernières années.

Olaf Scholz, dernier ministre des finances d’Angela Merkel, apprit sa leçon en perdant la compétition interne pour la présidence du SPD face à ces deux inconnus, qu’étaient Saska Esken et Norbert Walter-Bojans.
Lorsque la pandémie frappa le cœur de l’Europe, il annonça un plan keynésien de relance de la demande nommé « Bazooka ».
C’était déjà une profonde rupture avec la doctrine merkellienne de la règle d’or par dessus tout.
S’éloignant de la doctrine Merkello-Schröderienne de la punition des pauvres, le gouvernement allemand distribua des aides sociales sans conditions pendant la pandémie. La philosophie des réformes Harz est morte pendant le Covid.

De plus, l’Allemagne fut l’un des moteurs pour qu’un plan de relance européen soit conçu, acceptant des mécanismes de solidarité entre États européens. Là aussi, c’est l’un des points cardinaux de la doctrine européenne de Merkel, la concurrence entre Nations dans un espace monétaire et d’échange commun, qui s’effritait.

La chancelière ne joua aucun rôle politique en 2021. Elle subsistait sur la scène internationale, mais son influence s’effondrait avec la conscience que son mandat finissant était son dernier.
La défaite de son parti en septembre 2021 signifie la fin de 16 ans de gouvernement Merkel, de la CDU et de la CSU au niveau fédéral.

La nouvelle coalition, SPD, Verts et Libéraux, rompit avec certaines doctrines Merkel plus secondaires immédiatement : au ministère de l’intérieur, on nomma enfin le danger du terrorisme d’extrême droite, non plus dans des discours mais dans les moyens pour le combattre.
Agriculture et transport sont aussi deux sujets d’importance où la nouvelle coalition donne des impulsions différentes.

La guerre russo-ukrainienne a cependant accéléré ce processus de transformation des paradigmes.

Contrairement à une lecture superficielle, l’Allemagne ne refait pas une confiance aveugle à la doctrine de l’Atlantisme. Biden était le 23 février au soir très faible chez lui, l’hypothèse d’une victoire d’un représentant de la ligne Trumpiste dans 3 ans est possible. Or, si l’OTAN a été mis « en état de mort cérébrale » (comme l’avait dénoncé Emmanuel Macron) une fois, cela veut dire que l’allié principal, de plus en plus préoccupé par l’espace Pacifique et la Chine, n’est plus fiable.

De plus, le Merkellat restera dans l’histoire comme un gouvernement d’une extrême myopie par pur mercantilisme cupide. Merkel n’aura jamais mis en accord ses déclarations de principe et ses actes de gouvernement. Elle aura souvent condamnée l’absence de démocratie en Russie, prétendra « protéger » les opposants, tout en concluant des traités économiques ne cessant de renforcer la dépendance énergétique de l’Allemagne à la Russie, sabotant même les alternatives possibles.
On l’oublie, mais Merkel, tout en se prétendant soutien de l’Euromaidan en 2014, fut d’une grande lâcheté sur la Crimée, et choisit de renforcer le projet Nord Stream 2, dont le principal objectif et de contourner … l’Ukraine pour livrer le gaz russe.
Sa politique peut clairement être qualifiée de « mercantile » parce qu’elle tenait dans une formule fondée sur le commerce : « Wandeln durch handeln », changer grâce au négoce.

Süddeutsche Zeitung 18 mars 2022

Ce choix de l’abondance du gaz russe avait plusieurs conséquences et visait surtout à ne pas investir. Merkel, pendant 16 ans, refusa beaucoup des investissements nécessaires, ses partenaires de coalition ne lui arrachèrent des concessions, notamment sur le renouvelable, uniquement lorsque les industriels les soutenaient.

Depuis, c’est un ministre Vert qui parle de relancer le nucléaire civil pour compenser l’automne prochain une partie du gaz russe.
C’est le ministre Libéral des finances qui annonce un plan d’endettement considérable pour financer tout un ensemble d’investissements structurels, de la construction de ports avec terminaux pour du gaz liquide à la relance de l’équipement militaire de la Bundeswehr.

Car Merkel, en bonne déflationniste à la Daladier, avait aussi économisée, avec von der Leyen comme ministre de La Défense, tout ce qu’elle pouvait sur ce dossier, alors même que l’Allemagne assumait des missions militaires à l’étranger, trouvant cela plus économe que de financer, comme elle le faisait sous Helmut Kohl, les interventions des autres.
Le chef d’état major des armées dut reconnaître que si l’Ukraine tombait en quelques jours, la Défense allemande ne serait pas en mesure de contenir une menace en Pologne.
C’est donc une ministre SPD qui annonce 100 milliards d’euros pour la Défense.
C’est un ministre vert qui se rend au Qatar pour conclure des accords de livraison de gaz liquide.
Car le gouvernement allemand, contrairement à une lecture fainéante de certains cercles d’extrême gauche française, ne veut pas échanger une dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz de schiste américain, surtout avec les Verts au gouvernement. Alors, le nouveau gouvernement fédéral cherche des alternatives.
Il est ainsi probable que le gaz iranien revienne sur le tapis international.

Merkel avait bien d’autres dossiers où régnaient la confusion et les contradictions permanentes, la chancelière louvoyant au jugé, le doigt mouillé en l’air. Si elle ouvrit ses frontières en septembre 2015 aux réfugiés syriens, après avoir refusé d’aider les pays européens qui recevaient ces réfugiés, et après avoir massacré la démocratie en Grèce, elle conclut un accord avec la Turquie d’Erdogan pour les refermer.

En refusant les transferts solidaires en Europe, elle a laissé se dégrader une situation humanitaire catastrophique. Elle a augmenté encore la dépendance au bloc russe, le président biélorusse utilisant l’ouverture de ses frontières comme arme de chantage contre l’Union Européenne.

Aujourd’hui, l’Allemagne accueille déjà plus de 300 000 Ukrainiens, la Pologne près de 1,8 millions. 3 des 3,4 millions de réfugiés ukrainiens hors d’Ukraine sont sur le territoire de l’Union Européenne. Il y a en Ukraine même 6,5 millions de déplacés.
Un quart des Ukrainiens ont fui la zone des combats. C’est un exode seulement comparable à celui qu’a connu la France en mai-juin 1940.

Pendant ce temps, alors que l’Allemagne se mobilise jusque dans la société civile pour venir en aide, comme en 2015, la présidence française de l’Union reste muette sur une politique migratoire et d’accueil.

Cela éclaire du coup une erreur de jugement des analystes français sur l’annonce d’un réarmement allemand. Celui-ci pointé vers l’Est, et une fois l’Ukraine neutralisée, sa façade maritime occupée, l’Allemagne redevient le glacis défensif pour la France qu’elle était entre 1945 et 1989.
Si la France n’a plus la volonté d’exercer sa dissuasion nucléaire (ce que laissait entendre les déclarations de Jacques Chirac lorsqu’il était président de la République), ni la capacité de l’exercer, Poutine ne semble pas avoir peur des lanceurs français tant il paraît persuadé de pouvoir intercepter les missiles. Dans ces conditions, la France doit aussi assurer sa défense conventionnelle.

L’Allemagne est donc passée en 3 ans dans un processus profond et radical de transformation de ses doctrines.

Il reste un dossier où des amorces existent, mais où une initiative se laisse attendre. C’est l’Union Européenne.
Or, la présidence de l’Union est exercée par … Emmanuel Macron, et celui-ci ne comprend rien au monde ouvert par la défaite de la droite allemande puis par l’invasion de l’Ukraine.
Il n’y a donc eu encore aucune initiative de solidarité financière ni de construction d’une Union de la Défense plus intégrée, qui rendrait à la fois autonome de l’OTAN tout en protégeant Finlande et Suède. Macron, qui pourtant ne fait pas campagne, procrastine, comme d’habitude, tout en posant dans les journaux en Cosplay.

L’absence de débats de fond en France sur ces sujets alors même que nous sommes en campagne électorale contraste fortement avec les transformations radicales en cours Outre Rhin.

Olaf Scholz, une Chancelière comme les autres ?

La politique allemande serait un sport où les ordolibéraux gagent à la fin…

Aujourd’hui, le Bundestag élu en septembre dernier votera la confiance au gouvernement de coalition proposé par le SPD, les Verts et les Libéraux.

Ces trois partis, réunis en ce qui est appelé « coalition Feu de circulation » (Ampel Koalition) en référence aux couleurs traditionnelles des partis (Rouge, Vert, Jaune), ont négocié deux mois un contrat de gouvernement de 177 pages. Ce contrat est publié, il a également une valeur légale autant que politique. Pendant les 4 années de la législature, en cas de conflit entre partis membres, on reviendra au texte du contrat pour arbitrer. La constitution allemande ne prévoit pas de patron de l’exécutif tout puissant: les ministres sont pleinement responsables de leurs ministères, et ne peuvent recevoir du chancelier que des directives générales, et non des ordres ou des consignes.

Il est impossible au chancelier de dire en conférence de presse « on va faire cela en matière de transport et je vais demander au ministre demain de proposer un texte en ce sens en conseil des ministres » – c’est constitutionnellement dépasser ses prérogatives. Le contrat conclu après l’élection est donc bien plus sacré que tous les programmes communs français conclus avant l’élection.

Après cela, chaque parti a décidé des personnes occupant les ministères.

Le processus a lieu avant l’investiture: pas de chancelier tout puissant, de porte parole devant la chancellerie émoustillé d’être une heure durent l’homme ou la femme le plus écouté du pays, de négociations houleuses et secrètes dans les couloirs de la chancellerie, de poste perdu sur un SMS pas répondu à temps. Le pouvoir est d’essence parlementaire – et sa répartition collective nécessaire.

C’est le parlement ensuite qui décide si l’attelage lui convient.

Ces attributs de la démocratie républicaine allemande contrastent fortement avec la monarchie républicaine – en réalité une démocratie en crise septicémique, infectée de bonapartisme – à la française.

Nous avons déjà analysé ici les tendances de long terme de la politique allemande en étudiant le phénomène sous le terme de Weimarisation. Depuis, le concept est de plus en plus utilisé notamment pour décrire l’évolution parlementaire hollandaise ou dans les pays nordiques.

Nous avons aussi donné notre analyse de ce scrutin là… Nous y disions : «  Il ne faudra pas faire du “molletisme allemand”. Car il faut noter une forme de schizophrénie politique du SPD : le programme a été en grande partie porté par une partie de l’aile gauche (très anti-Schröder) qui contrôle l’appareil du parti depuis leur congrès de 2019, mais les candidats et notamment celui à la Chancellerie sont issus de l’aile la plus sociale-libérale ; dans les listes à la proportionnelle, les rares députés SPD sortants marqués à gauche ont été largement défavorisés.

Cependant, et ce point nous avait peut-être échappé, le résultat ayant entraîné une inflation du nombre de députés à entraîner une sur-représentation des jeunes du SPD, les Jusos (les jeunes socialistes allemands), comptant prés de 45 députés de moins de 35 ans. Leur tête de proue historique, Kevin Kühnert, est considéré comme l’architecte de la défaite de … Olaf Scholz en 2019 pour prendre la présidence du SPD.

Et c’est là peut-être l’indice que ce nouveau gouvernement doit être considéré avec une curiosité intéressée autant que par la méfiance due au passé « souverainiste léger » de la chancelière Merkel.

Le carrousel de personnes donne des clés quant aux rôles que se donnent les trois partis dans la nouvelle coalition.

Le SPD a décidé d’assumer le pôle de gauche de la coalition. Olaf Scholz a écarté TOUS les représentants de l’aile droite du parti – les Seeheimers (qui contrôlaient les rouages entre 2003 et 201) : il y a là autant un signe politique que des considérations tactiques sur lesquelles nous reviendrons quant aux risques de cette coalition.

Les Verts ont choisi des représentants réalistes, ou très en pointe sur les questions sociétales, mais rejetés leur personnalité la plus écolo-sociale.

Les libéraux ont tenu á tenir des ministères pour défendre la règle budgétaire, mais n’ont pas non plus choisi leurs personnels les plus Libéraux.

C’est que le contrat de coalition est un compromis à un haut niveau. Même l’aile la plus à gauche du SPD y trouve plus de motifs de satisfaction que de doutes. L’augmentation immédiate du smic horaire de 9,5 à 12 € mais aussi des mesures sur le maintien des retraites, la correction des lois Harz 4 en matière d’allocations chômage et minimum social, de limites à certaines formes de contrats précaires, sont des signes d’un vrai retour de la politique sociale, et de l’intégration économique des classes populaires à une prospérité dont elles n’ont rien vues sous Merkel.

Le plafonnement des loyers fera l’objet d’une loi fédérale, 400 000 logements serons construits chaque année dont 100 000 en main publique. Enfin, la coalition pense investir dans 100GW de capacités énergétiques renouvelables, 30 à 40 GW en gaz naturel et hydrogène, pour se débarrasser dés 2030 des centrales à charbon, et 2040 du gaz naturel. La fin du moteur thermique dans les voitures est prévu également à l’horizon dix ans.

Les trois partenaires ont les plus grands dénominateurs communs sur les questions sociétales : légalisation du cannabis, abaissement de l’âge du vote à 16 ans, suppression des derniers vestiges de criminalisation des LGBTQ dans la législation allemande (loi Transexuel, paragraphe 219a), réforme des législations sur l’immigration,pour l’ouvrir, et l’accès à la nationalité, pour l’étendre.

Il est ainsi paradoxal de voir en France de nombreux candidats vouloir jeter 200 ans d’histoire française pour se rallier à la conception germanique de la nationalité, alors que des allemands en rupture de germanisme nationaliste envisagent d’intégrer de plus en plus d’éléments de la philosophie républicaine française, universaliste, dans son propre code de la nationalité.

C’est que le principal point d’achoppement, ce n’est pas l’immigration, c’est l’argent. Qui et comment financer ?

Avant hier, la présidente du FMI lançait un avertissement paradoxal à l’Europe, et en réalité, au nouveau chancelier : « Ne rétablissez pas trop vite le règle d’or ! »

La crise pandémique n’est pas surmontée : les dangers d’une déflation budgétaire précipitée pourrait, comme en 2011-2013, plonger l’Europe dans une mini récession avant d’être sortie de la crise précédente. Il faut donc maintenir un haut niveau de déficit et d’endettement public, en partie rééquilibré par de l’inflation au dessus de 4%, pour surmonter la crise économique mondiale provoquée par la Covid 19.

C’est le FMI qui le dit !

Un autre danger guette aussi cette coalition: le chancelier, comme son secrétaire d’État Schmidt, sont tous les deux exposés aux conséquences de deux scandales financiers: l’affaire Warburg, du nom de cette banque de Hambourg, convaincue d’avoir participé à l’évasion fiscale et l’escroquerie d’argent public CumEx bénéficiant d’un traitement de faveur de la mairie de Hambourg à l’époque où Scholz en était le maire, et l’affaire Wirecard, du nom de cette startup de la finance cotée dans l’équivalent du Cac40 allemand qui se révéla être une gigantesque escroquerie à 1,9 milliards, un de ses PDG étant depuis en prison, et l’autre en cavale.

Justement, le chef de l’aile des Seeheimers au SPD était député de Hambourg jusqu’en 2020, et la découverte que sa section avait acceptée 45 000 euros de dons de … la banque Warburg. Sa démission surprise semble avoir eu comme objet d’éviter de mettre en danger Olaf Scholz.

D’ailleurs, les Linke, qui espéraient faire plus de 6% et entrer dans la coalition à la place du FDP, s’était bien gardée d’attaquer Scholz sur le dossier alors que son expert budgétaire, le député Fabio de Masi, siégeait à la commission d’enquête parlementaire. Celui-ci, dégoûté par son parti, ne s’est pas représenté en 2021.

Enfin, si la coalition a une confortable majorité théorique, les tendances sont très différentes – un nombre relativement réduit de députés peut mettre en danger des projets qui ne serons pas suffisamment négociés en amont.

Une première alerte a été donnée dès aujourd’hui : il a manqué 15 voix de la nouvelle majorité au vote investissant Olaf Scholz chancelier.

Allemagne : Défaite des conservateurs et Bundestag introuvable

Dimanche 26 septembre 2021 se tenaient les élections fédérales allemandes qui devaient marquer la fin du règne d’Angela Merkel comme Chancelière. Au regard de la Weimarisation (que nous avions déjà caractérisée dans nos analyses antérieures) de la vie politique allemande, elle pourrait rester quelques semaines ou mois de plus tant la constitution d’une majorité gouvernementale risque d’être complexe.

C’est d’abord un record absolu en nombre de sièges avec 735 députés, soit 31 de plus qu’en 2017, et majorité absolue nécessaire de 368, qui vient d’être battu.
Les Linke, comme la CSU, sont à moins de la limite de 5% pour entrer au Bundestag mais réussissent tous les deux à remporter plus de 3 sièges au scrutin uninominal, ce qui leur permet d’être représentés selon leur score proportionnel.
Il n’y a pas de majorité absolue pour la gauche – 363 sièges – ni pour la droite sans l‘AfD – 288 sièges.

Projection en sièges des élections au Bundestag du dimanche 26 septembre 2021

La droite avec l’extrême droite a une majorité parlementaire. L’enjeu de cette législature pour l’aile la plus conservatrice de la droite, qui a pourtant perdu avec Maassen, battu en Saxe, un de ses théoriciens, c’est de dédiaboliser l‘AfD pour permettre la constitution d’un bloc conservateur. Cela sera difficile pour l’aile la plus européenne de la CDU, qui a perdu dans un attentat politique meurtrier de l’extrême droite un de ses élus en 2019.
Car c’est aussi un retour de Weimar : la violence meurtrière politique.

Le SSW est le parti de la minorité danoise, qui, protégée par un statut spécial, retrouve le Bundestag pour la première fois en 60 ans.

Ainsi, avec lui, le Bundestag comptera 8 partis représentés, record absolu de la république fédérale, il faut remonter à … la République de Weimar pour retrouver autant de partis au Bundestag.
L’émiettement se poursuit, aucun parti ne dépasse les 30% pour la première fois également depuis … la république de Weimar. C’est ce que nous décrivons depuis plusieurs années comme la weimarisation de la vie politique allemande.

SPD 206
CDU/CSU 196 (CDU 151, CSU 45)
GRÜNE 118
FDP 92
AfD 83
LINKE 39
SSW 1

Résultats en pourcentage des suffrages exprimés le 26 septembre 2021, avec évolution depuis 2017

Notons que symboliquement, le rejet de la droite est marqué par la circonscription d’Angela Merkel, qu’elle avait remportée huit fois d’affilée directement, au scrutin uninominal.
Hier soir, c’est une candidate SPD qui a remportée ce scrutin. Merkel laisse donc derrière elle un paysage politique en ruines, un Bundestag sans majorité claire, et son parti la CDU avec le pire résultat de son histoire.

Le SPD profite d’abord des erreurs de ses concurrents

Le SPD, dans une campagne marquée par les gaffes de ses adversaires, avec un programme beaucoup plus à gauche qu’en 2017, l’emporte et retrouvé son score de 2013, mais réalise quand même le quatrième plus mauvais score de son histoire.
La chancellerie n’est pas gagnée pour autant. La reconquête cependant d’un électorat venu des Linke avec un programme très matérialiste, concentré sur les salaires, le pouvoir d’achat, la réduction du coût du logement, et de certaines régions tentées par l’extrême droite, montre une voie qu’il faudra confirmer au pouvoir. Il ne faudra pas faire du “molletisme allemand”. Car il faut noter une forme de schizophrénie politique du SPD : le programme a été en grande partie porté par une partie de l’aile gauche (très anti-Schröder) qui contrôle l’appareil du parti depuis leur congrès de 2019, mais les candidats et notamment celui à la Chancellerie sont issus de l’aile la plus sociale-libérale ; dans les listes à la proportionnelle, les rares députés SPD sortants marqués à gauche ont été largement défavorisés.

Les Verts finissent loin de ce qu’il était promis, alors que comme en 2011, ils semblaient avoir la possibilité de s’emparer du pouvoir. Leur choix en cohérence interne de la plus inconnue de leurs dirigeants comme tête de liste leur a fait perdre leur position de leader. Ils ont sous-estimés l’importance d’avoir désamorcé par la présence médiatique antérieure des polémiques destructrices de confiance, et surestimés l’importance des effets d’affichage politiquement corrects. Les Verts ont convaincu les classes bourgeoises citadines, et font le meilleur score de leur histoire, mais 10 points en dessous de leurs sondages il y a six mois.

Les Linke avaient également choisi la cohérence interne plutôt que la synthèse entre leurs deux pôles idéologiques. En éliminant la tendance marxienne, ou matérialiste, incarnée par Sahra Wagenknecht, en laissant démissionner des personnalités reconnues par les autres partis, comme Fabio de Masi, en intriguant enfin contre le projet Aufstehen, qui intéressait 36% des Allemands en 2018 et pouvait créer un mouvement populaire sur le modèle de la campagne Sanders de 2016, les Linke ont perdu les classes populaires de l‘Est sans convaincre les classes urbaines citadines. Les premières se sont reportées au SPD, les secondes sur les Verts. Les Linke perdent 4 points !

Les différentes hypothèses de coalition gouvernementale testée hier soir par les médias allemands…

Libéraux “faiseurs de roi”, extrême droite enracinée

C’est le FDP qui se retrouvait faiseur de rois hier soir. Et ils peuvent remercier les Linke comme les Verts pour cela. Il aurait suffi de 2 points de plus aux Linke pour qu’une coalition de gauche ait la majorité.
Le FDP incarne la résistance des classes bourgeoises à toute remise en cause de leur partage des richesses, du pouvoir, des gratifications symboliques, tout en surfant sur une petite musique anti-vaccin et anti-pass sanitaire, anti-Etat, et peu favorable à l’intégration européenne. Ces libéraux là ne sont pas du tout macronistes.
Le FDP rêve d’une alliance bourgeoise avec la droite et les Verts.

L’extrême droite AfD n’a pas autant profité de son rejet des politiques anti-Covid autant qu’elle l’espérait. Incapable de faire monter le sujet de l’immigration sur le devant de la scène (il n’en fut pas question dans cette campagne), de plus en plus droitisé avec d’anciens néo-nazis montant dans les cadres, l‘AfD se tasse et perds 2 points par rapport à 2017.
Cependant, et ceci est inquiétant, l’AfD dispose maintenant d’un socle constant et solide de 10% des Allemands.
Les expériences précédentes de populisme allemand avaient été de courte durée : le parti Republikaner d’extrême droite dans les années 1980 avait disparu en 10 ans, les succès électoraux du parti néonazi NPD n’avaient pas eu de confirmation au début des années 2000 et les Pirates, parti populiste entre gauche et droite, n’avaient aussi duré qu’une saison entre 2009 et 2013.
L‘AfD a donc réussi à refaire surgir une extrême droite pérenne au Bundestag, et cela, c’est un signe supplémentaire de la Weimarisation en cours : jamais, depuis 1949, la République ouest-allemande n’avait connue un tel phénomène, alors qu’il est consubstantiel à l’émiettement de la vie politique sous Weimar, avec deux autres composantes : la répétition de grande coalition gauche-droite, et les élections à répétition. En dehors de 2005, où Schröder força la dissolution du Bundestag et une élection anticipée, c’est la dernière composante qui manque pour retrouver la même dynamique parlementaire que sous Weimar.

Un long intérim en perspective ?

Pour renforcer la pertinence de ce concept de weimarisation, rappelons que sous Weimar, l’émiettement des voix fit survivre des multitudes de partis microscopiques, qui, en l’absence de barrière à 5%, obtenaient des sièges avec 1%.
Malgré la barrière des 5%, pas moins d’un votant sur 12 a choisi l’un de ces petits partis, 8,3% des suffrage ne sont pas représentés au Bundestag, ces électeurs décidant de se porter en parfaite connaissance de cause sur des partis n’ayant aucune chance d’être représenté. Cela démontre une perte de confiance dans le parlementarisme allemand beaucoup plus profonde encore que le vote AfD ou l’abstention (24% hier, comparable aux scrutins précédents à un niveau relativement élevé).
Tous ces micro-partis cependant réussissent à capter du financement public. Ils vont survivre encore 4 ans.

Angela Merkel est toujours chancelière ce matin. Tant que les futurs partis coalisés n’auront pas signé leur contrat de coalition, véritable programme de gouvernement détaillé – la synthèse nécessaire en Allemagne ne se faisant pas sur les postes, mais sur les politiques à mener –, c’est le gouvernement sortant qui expédie les affaires courantes.
Hier soir, les caricaturistes imaginaient déjà Merkel tenir le discours du nouvel an 2022 en chancelière provisoire…

L’Hartz et la manière

Depuis 20 ans, l’Allemagne fustige les chômeurs et les pauvres.

Les réformes Hartz4, inspirées par Rudolf Steinmeier, actuel président de la République allemande, à ¨Gerhard Schröder, alors chancelier SPD, et Joschka Fischer, Vice chancelier Vert, ont été notamment mises en œuvre par Olaf Scholz, secrétaire général du SPD chargé de “tenir le parti” au moment du vote de l’agenda 2010, puis ministre du travail de la grande coalition avec Angela Merkel.
Celle-ci a toujours rendu un hommage appuyé à ces réformes du marché du travail.

5 millions d’Allemands en âge d’être actifs sont passés suite aux réformes au statut de récipiendaire du minimum social Hartz4. Selon les théories du marché du travail néolibéral, ils ont choisi leur condition, c’est de leur faute s’ils ne sont pas en emploi.
Hartz4 s’accompagne dès lors d’une batterie de contrôles et de règles privant les 5 millions des plus modestes de leur liberté sur des décisions les plus intimes : logement, se marier ou l’on, avoir un enfant ou non, leur vie est depuis 15 ans sous tutelle.

Ce système de contrôle et de punition – rappelons qu’une jeune femme fut sanctionnée d’avoir refusée de travailler dans un bordel, rappelons que le degré de désespoir des récipiendaires et l’absence de salaire minimum vit l’Allemagne offrir des salaires à 1,5 Euro de l’heure – est bien sûr inefficace quant à la réinsertion professionnelle : 5 millions de personnes étaient sous le régime en Hartz4 en 2008, elles y étaient toujours en 2018.

La stratégie de la déflation salariale

Dans la même période, la déflation salariale, à peine ralentie par la mise en place d’un salaire minimum à partir de 2013, a fait passer le taux de pauvreté de 11% en 1998 à 17% en 2019.
Dans la même période, l’Allemagne a été l’un des pays les plus prospères d’Europe, voyant à partir de 2010 ses excédents commerciaux dépasser plus de 6% du PIB – une limite pourtant jugée aussi essentielle à la stabilité de la zone euro que la limite de 3% de PIB de déficit public, mais à laquelle l’Allemagne ne fut pas tenue de se tenir – et accumuler chaque année plus de 200 milliards d’euros en excèdent de sa propre consommation.

Sous Angela Merkel, alors que 17% des Allemands (1 salarié sur 10) est sous le seuil de pauvreté, l’Allemagne a accumulé plus de 2.200 milliards de liquidités grâce à son excédent commercial qu’elle n’a ni réinvestie ni consommée.
Le choix a été fait de faire monter le bas de laine des plus riches plutôt que de préparer le pays aux enjeux du futur : crise climatique, crise démographique, retard d’infrastructures technologiques, retard pédagogique et risques sanitaires.
Les pauvres payent la facture.

Aujourd’hui, dans ce contexte où le taux de chômage de moins de 5% ne décrit pas la réalité sociale du pays – avoir un emploi ne protège pas de la pauvreté -, le responsable du pôle emploi allemand affirme que l’Allemagne a besoin de 400.000 migrants hautement qualifiés par an.

Industrie alimentaire et spéculation immobilière : symptômes de la crise du système allemand

La crise du Covid a illustré deux bouts de l’économie allemande : en avril 2020, c’est l’industrie agroalimentaire qui devenait le principal foyer infectieux. Alors que l’Allemagne fut relativement épargnée par la première vague, les abattoirs, les foyers d’ouvriers agricoles, les établissements vivant de salariés payés le plus vilement possible, obligés de rembourser leur salaire en payant l’hébergement à leurs employeurs, comme dans le système des mines décrit par Zola dans Germinal, sans contrôle sanitaire, contaminèrent jusqu’à 80% de leurs salariés.
L’Allemagne a découvert que son alimentation pas chère était produite dans des conditions de travail et de salaire qu’un pasteur de Basse-Saxe – la région dont Schröder fut longtemps le président- qualifia “d‘esclavage”.

La déflation sur les biens primaires de consommation était essentielle en contexte de déflation des bas salaires pour empêcher l’apparition d’une force politique alternative.
Les ouvriers qualifiés et les professions intermédiaires et supérieures ont, elles, vu une progression de leurs revenus. Les 25% de salariés les mieux payés en Allemagne ont capté l’essentiel des gains de productivité répartis en salaires.
Ils sont dès lors les alliés objectifs d’une forme de statu quo.
La nécessité de maintenir les cours de consommation bas explique également l’obsession de la puissance publique de ne pas investir, de ne pas moderniser les réseaux de télécommunications, les routes, les ponts, les bâtiments.

Le secteur du logement n’est par contre, à l’autre bout, pas pris en compte dans la mesure de l’inflation. Or, dans un pays de locataires, où des millions de logements étaient en propriété publique, où l’offre abondante permettait de maintenir de bas prix, l’afflux de ces 2.200 milliards de liquidités en 12 ans a complètement déséquilibré ce marché.
Une bulle spéculative immobilière a permis aux principales villes allemandes de rattraper les autres villes d’Europe et a accru (et continue d’accroître) de manière considérable la pression sur les 30 millions de foyers modestes en Allemagne.

Ces deux phénomènes : secteur agroalimentaire offrant de la nourriture moins chère au prix de conditions de travail esclavagistes (expliquant au passage comment l’Allemagne a taille des croupières à l’agro-alimentaire français), refusant par exemple de respecter les lois européennes sur les nitrates et préférant assumer tout à la fois pollution et amende européenne, et secteur immobilier servant de débouché aux liquidités – dans un contexte où l‘État, déflationniste, n’offre pas par l’emprunt d’investissements rémunérés de débouchés – expliquent aussi pourquoi la démocratie allemande est tombée malade.

Alors, on en est pas à la septicémie démocratique à la française, mais la crise allemande du système de représentation suit avec quelques années d’écart la crise sociale.

Nous sommes particulièrement inquiets de l’évolution de la situation. Les élites patronales continuent de réclamer baisses d’impôts, abandon de l’école et immigration qualifiée, pour maintenir la pression sur les salaires à la baisse et délocaliser le coût de la formation sur d’autres pays.
En même temps, c’est un gros tiers de la population allemande qui n’a rien vu des 12 années de prospérité incroyable depuis la crise financière de 2008.

La crise pandémique sert de révélateur à des maladies plus anciennes. Mais la crise climatique ne pourra être affrontée que de deux manières : soit solidairement, et les classes supérieures devrons comprendre leur responsabilité particulière et donc la légitimité à leur réclamer l’essentiel de l’effort national, soit chaque classe pour soi, et c’est la promesse de drames bien plus terribles encore que ceux de la crise climatique.
Il n’y avait qu’une famille de pensée en Allemagne qui me semble vouloir affronter ces défis avec courage et lucidité. Elle vient de se faire ostracisée dans le parti politique où elle s’organisait jusqu’alors : Fabio De Masi, d’un côté, et Sarah Wagenknecht (et son mouvement Aufstehen), de l’autre, ont été peu ou prou écartés des postes de direction réels des Linke (et Wagenknecht se remet à peine d’une forme de burn out politique).

Le SPD dominé par un “Schröder-Boy”, la droite par un Laschet – synthèse petite bourgeoise d’un Copé et d’un Wauquiez – et les Verts par une Baerbock, soucieuse de son pouvoir plus que la cause, vont décider de l’affaire, pendant que les Linke, après l’épuration des marxistes, restent entre “gauchistes infantiles” et social-démocrates à l’ancienne et sont en route pour manquer les 5% (seuil nécessaire pour être représenté au Bundestag). L‘AfD semble en pleine crise interne ; le FDP est en embuscade pour revenir au pouvoir et empêcher toute redistribution, tout investissement public, toute lutte contre le changement climatique. La réponse ne viendra donc pas de l’élection de septembre 2021, mais des mouvements, associations et nouvelles alliances qui suivrons.

N’attendez pas ici un mot d’hommage à la chancelière qui s’en va. Son règne fut celui d’un immobilisme bourgeois troublé par des foucades électoralistes conduisant dans l’affect à des décisions structurantes malgré elle même.
Ceux qui se félicitent de sa stabilité et de sa réussite économiste crachent au visage d’un tiers des habitants de ce pays qui ont été systématiquement exclu du partage.

https://www.destatis.de/DE/Presse/Pressemitteilungen/2021/03/PD21_113_p001.html?fbclid=IwAR3SJKrXCmVTk9wBmSTzZUr3xNMBLLgmZASNhmt3bEQ5cGPemqE31775oz8#:~:text=113%20vom%2010.,so%20hoch%20wie%20noch%201998

Weimarisation de la République fédérale : concept et processus

L’année 2021 va voir l’achèvement d’un phénomène que nos camarades installés en Allemagne nous décrivent depuis dix ans … mais un phénomène qui a débuté voici près de 20 ans : la Weimarisation de la République fédérale d’Allemagne.

La République de Weimar est restée dans les mémoires pour le Traité de Versailles, l’hyperinflation, l’incapacité des deux partis de gauche de s’allier, la crise économique des années 1930, et finalement, une coalition du centre droit et de l’extrême droite achevant son agonie.

L’instabilité ministérielle de Weimar s’accompagnait de l’absence de majorités claires, avec un émiettement en dizaines de micro partis catégoriels ou régionalistes obtenant des élus. C’est ce qui mena à la répétition de « grandes coalitions » associant centre gauche et centre droit, puis, dès 1930, à des gouvernements minoritaires au parlement qui contournaient celui-ci en utilisant des ordonnances.

Cela accéléra la défiance populaire à l’égard du parlement, et finalement, de la démocratie en soi,. Cette situation favorisa l’ascension du parti promettant un pouvoir fort, mais aussi d’unir en son sein toutes les classes sociales, selon un agenda raciste et une définition racialiste de la société, avec l’antisémitisme comme ciment, et le militarisme comme outil d’avenir, la colonisation de l’Europe orientale comme projet, le parti nazi.

L’une des faiblesses institutionnelles de Weimar, d’après les « spécialistes » qui pensent que le cadre juridique détermine les réalités sociales, aurait été la proportionnelle intégrale, favorisant l’émiettement du vote, et dès lors, l’incapacité de grands partis à constituer des blocs permettant un fonctionnement sain de la democratie, avec une alternance entre majorité et opposition des deux blocs. Cette interprétation trop répandue écarte toute analyse sérieuse sur la culture politique, historique et sociale construite par la domination du militarisme ultra-nationaliste prussien et sa sublimation raciste après la défaite de 1918…

Selon les mêmes interprètes, le mode de scrutin devait en quelque sorte favoriser la réconciliation des droites et des gauches pour que la démocratie fonctionne – la thèse des gauches irréconciliables étant dès lors l’un des pires poisons à donner à une démocratie. Le mode de scrutin de la République fédérale est par conséquent hybride : la moitié des députés sont élus « à la britannique » – le candidat arrivé en tête dans une circonscription emporte le siège – et l’autre moitié à la proportionnelle, avec une correction du nombre de sièges in fine.

De plus, pour réduire l’émiettement parlementaire de Weimar, la loi électorale fédérale a fixé un seuil de 5%, l’idée etant que le citoyen informé n’allait pas voter pour un parti sans chance sérieuse d’entrer au Bundestag et s’engagerait dans l’un des deux blocs pour y défendre son intérêt particulier.

Cela a longtemps marché : les Allemands de l’Ouest se sont longtemps organisés autour de deux grands partis de masse, les Völkerparteien, à gauche le SPD, à droite l’Union de la CDU et la CSU, chacun de ces deux partis fédérant des ailes droites, centriste au SPD, nationaliste au sein de l’Union, et de gauche, marxiste au SPD, chrétienne sociale au sein de l’Union. Le FDP, le parti libéral, à la fois sur les libertés publiques et les questions économiques, subsista seul comme petit parti.

Premiers signes

L’apparition des Verts dans les années 1980 allait commencer un processus d’émiettements par cercles successifs de sujets spécifiques. Les Verts regroupent à la fois des gauchistes que le SPD ne voulait pas organiser en son sein, et des conservateurs soucieux de la nature, et refusant des centrales nucléaires dans leurs jardins. C’est l’ambivalence des Grünen, entre anciens « amis » de la Rote Armee Fraktion (RAF) et bourgeois souabes surpris d’être frappés par la police en refusant un chantier de centrale nucléaire.

La réunification a initié de fait un nouvel émiettement, car le parti issu des anciens communistes de l’Est (parti socialiste unifié d’Allemagne – SED), devenu Parti du socialisme démocratique (PDS), n’ayant aucun allié naturel ou espace d’intégration avec les partis de l’Ouest, et subsistant une quinzaine d’années en tant que parti régional voire régionaliste, car moins « communiste » que défenseur des intérêts des Ossis (Allemands de l’Est) face à une réunification vécue comme une sorte de colonisation. Une étude récente d’ailleurs démontrait que l’Ossi, encore aujourd’hui, est perçu par la société allemande comme une sorte de migrant de l’intérieur : mêmes stéréotypes et discriminations silencieuses que pour un descendant de migrant.

En parallèle, la troisième voie social-démocrate a théorisé en Europe une rupture interne, tout à la fois concernant les classes sociales qu’elle représentait, que dans la synthèse des familles politiques constituant la gauche. Avant même l’apparition du clintonisme et du blairisme, le Labour britannique s’était divisé selon cette grille de lecture, les ailes droites et gauches devenant irréconciliables. L’évolution a suivi un long processus, avec des rythmes différents selon les spécificités nationales, dans la plupart des pays d’Europe occidentale. La social-démocratie n’a pas compris son incapacité à prendre réellemnt pied dans l’ancienne Europe de l’Est ; elle a cessé dans la même période d’être un espace d’engagement réellement militant, de formation, mais aussi d’encadrement. Sur ses décombres, dans les géographies de ses pertes électorales, ont émergé des partis d’extrême droite.

En Allemagne, ce mouvement s’engage surtout à partir de 2002.

On aurait pu penser que le système institutionnel l’emporterait sur les tensions sociales et économiques pour déterminer le paysage politique, selon l’interprétation de ceux qui considèrent que le cadre domine la dynamique sociale.

En 2002, on a encore deux grands blocs, un SPD encore populaire à 35%, une gauche majoritaire, une droite en un seul bloc à 35% et Les libéraux. Les anciens communistes disparaissent quasiment du parlement, à moins de 5% des voix, et seulement deux élues, qui emportent par leur implantation régionale leur circonscription. La démocratie semble solide, la loi constitutionnelle joue son rôle, il y a alternance entre deux blocs, mais aussi, modération du fait majoritaire par l’obligation de coaliser avec deux petits partis, qui servent d’amortisseurs, Verts ou FDP.

Schröder, le dynamiteur

Le deuxième mandat de Schröder va tout faire exploser.

L’agenda 2010 de réformes de l’assurance chômage et du droit du travail – les réformes Hartz 4 – n’était pas à l’agenda de la campagne de 2002. Il est annoncé en mars 2003, un peu à la surprise générale, et, grâce au soutien des Verts, s’impose aux oppositions de l’aile gauche du SPD et du syndicalisme allemand.

Dès 2004 naissent des scissions à l’aile gauche du SPD, qui s’organisent en 2005 avec les restes d’un parti agonisant, le PDS des ex communistes est-allemands. De cette alliance de bric et de broc naîtra les Linke ; elle est la conséquence directe de la volonté de l’aile droite du SPD de gouverner sans l’aile gauche, même au prix de ne plus être le parti matrice des synthèses à gauche. Rejeté par son électorat du fait de ces réformes, le SPD perdra en 2004 et 2005 Land après Land. Schröder a tenté de chercher son salut dans une élection anticipée, pour prendre de court à la fois la droite, où Merkel était encore considérée comme une présidente de transition, et sa gauche.

Son pari échoua de 8 000 voix. Mais le Bundestag en sortira bloqué.

Le parlement est privé de majorité de gauche ; la gauche est pourtant majoritaire, avec 327 sièges sur 614, mais le PDS et ses alliés (ils ne sont pas encore devenus Linke mais sont remontés à 8,7% des suffrages et 54 députés) et le SPD sont « irréconciliables », et les Verts est-allemands, issus des mouvements civiques dissidents comme Bündnis ’90, reconnaissent encore au sein des élus du PDS des anciens membres de la Stasi.

C’est donc le retour de la coalition maudite de Weimar : la « Grande Coalition ». Merkel devient chancelière, et n’aura plus qu’un programme politique : le rester.

L’explosion du parti de masse à gauche va progressivement renforcer l’émiettement politique et parlementaire.

La première GroKo (abréviation populaire de grande coalition) va voir une première résurgence de l’extrême-droite avec le parti néonazi NPD, mais aussi le « parti pirate », libertarien et laïc (il réclame la séparation des Eglises et de l’Etat).

L’émiettement weimarien s’accompagne de l’impossibilité de faire des majorités de droite ou de gauche. Il apparaît d’abord dans les votes communaux, régionaux. On commence à parler de coalitions bizarres, utilisant parfois les couleurs des drapeaux de nations lointaines pour désigner les associations de couleur des partis : Jamaïque, Kenya, Feu rouge, etc.

L’élection fédérale de 2009 sanctionna l’explosion de la gauche avec un SPD effondré à 23% – il était à 42% en 1998. Mais la droite aussi ne retrouve pas pour autant ses grands scores, et ce sont les Libéraux du FDP qui apparaissent comme le sas de sortie d’une partie de l’électorat ; ils remplacent le SPD comme partenaires de coalition de l’Union. Au total, les deux anciens grands partis de masse ne regroupent plus que 60% de l’électorat, contre 85% en moyenne de long terme. Les 3 « petits partis » font chacun plus de 10%. Le vote pour des partis non représentés au parlement a également progressé : cela représente 8% des suffrages démontrant ainsi qu’une part croissante de l’électorat veut voter pour son parti de cause unique coûte que coûte.

2009 marquait ainsi la fin de l’équilibre institutionnel instauré par la loi fondamentale en RFA, mais sur le chemin de la Weimarisation il manquait encore un composant essentiel.

Les sociaux-libéraux choisissent la soumission et la marginalisation de la gauche

L’élection fédérale de 2013 représenta l’accélération de cette Weimarisation, masquée sur un scrutin par la popularite d‘Angela Merkel. Son parti connaît un rebond, que l’on sait avoir été ultime, à 42%. Mais sa politique est rejetée, et c’est le FDP qui en fait les frais ; son allié de coalition n’arrive pas à rester au Bundestag en passant de 14,7% à moins de 5%.

Cette année là, l’AfD manque de peu son entrée au Bundestag. Sa progression suivra aux européennes, aux régionales, et son apparition détraque un peu plus le jeu institutionnel prévu par la loi fondamentale.

Seulement 85% des suffrages exprimés sont représentés au Bundestag – 15% des électeurs (+7 points!) ont choisi des partis en connaissant le risque de ne pas être représentés.

Ce n’est que grâce à cela que la gauche en 2013 est à nouveau majoritaire sur le papier. Ainsi, tout au long de ce mandat, de 2013 à 2017, la gauche aurait pu, aurait dû, surmonter ses désaccords « irréconciliables » et aurait pu, aurait dû, renverser Merkel. Celle-ci, obsédée par le possible rassemblement des gauches, fera tout pour l’empêcher, y compris s’asseoir sur les traités internationaux pour ouvrir les frontières.

On ne reviendra pas en détail sur la responsabilité des gauches ici. Dans un contexte de Weimarisation, reconnaissons seulement que 2013-2017 était la fenêtre d’opportunité pour retrouver l’équilibre institutionnel prévu par la loi fondamentale, et reconstruire un bloc de masse. Les classes bourgeoises sociales-libérales refuseront la reconstitution de la synthèse social-democrate structurante et choisiront la marginalisation.

L’émiettement final … ?

Les élections de 2017 voient le retour des faiblesses de Weimar : l’extrême droite est de retour, avec 12% des suffrages et 94 députés.

On compte pas moins de 6 partis représentés au Bundestag. Aucun bloc n’est majoritaire.

L‘Union fait l’un de ses pires scores historiques à 33%, le SPD son pire score historique, à 20%, retrouvant un niveau …. d’avant la première guerre mondiale.

Pendant les 6 mois qui suivront l’élection, l’Allemagne n’aura qu’un gouvernement démissionnaire, expédiant les affaires courantes.

La GroKo se réforme sans enthousiasme, secouée pendant deux ans de crises internes. La droite se fissure, entre aile droite tentée par l’alliance avec l’AfD, et une aile centriste n’excluant pas des alliances régionales avec les … anciens communistes devenus Linke.

La crise pandémique a provoqué un rassemblement national des partis associés aux exécutifs régionaux. L’AfD en a été exclue, elle a perud en visibilité, en vote (lors des récentes élections régionales dans le sud-ouest de l’Allemagne – https://g-r-s.fr/enseignement-des-elections-locales-en-allemagne/) et en intention de vote, du moins en apparence.

Mais l’émiettement se poursuit et s’achève.

En 2021, Merkel ne se représentera pas.

La GroKo bancale de 2018-2021 aura été une mauvaise affaire tant pour le SPD, passé définitivement sous les 20%, que pour l’Union, qui s’effondre dans un dernier sondage à 26%, et pour la démocratie.

8% des électeurs refusent le jeu institutionnel et s’entêtent sur des partis sans aucune chance de représentation parlementaire : NPD, Pirates, mais aussi partis communautaristes, animalistes, ultragauchistes ou satiriques. Ce sont les Sonstige, les « divers ».

Les Verts occupent l’espace du Nouveau Centre, du Zentrum de 1928.

Théoriquement, si le sondage Forsa du 24 mars 2021 était le résultat des prochaines élections fédérales de septembre 2021, la gauche de l’ancien temps serait majoritaire en sièges. Incapable de parler ensemble en 2005, seulement capables entre 2013 et 2017 de s’allier en fin de mandat, pour passer contre Merkel le mariage pour tous, il est cependant peu probable qu’ils se coalisent en 2021.

La compréhension historique et sociologique des Verts ne les conduisent pas à « éviter de refaire Weimar ». Leur ambition structurante s’est affranchie peu à peu des réflexions issues du gauchisme allemand qui les a un temps caractérisés. Ce sont pourtant eux qui devraient avoir les cartes en main, tout au long de la campagne, et, sauf accident dramatique pendant la campagne, après.

Ce que Merkel avait retardé en 2011 en décidant à la surprise générale l’arrêt du nucléaire, alors que les Verts étaient déjà à 20% des intentions de vote, pourrait se produire dix ans après.

La question pour l’Allemagne, est de savoir si elle retourne aux vieux démons enfantés par Weimar, ou si elle inventera d’une nouvelle synthèse post-unification…

Les classes populaires y seront-elles associées, ou le séparatisme satisfait d’une bourgeoisie prospère va-t-il accentuer encore les fractures de la société allemande ?

C’est l’enjeu tant de la gestion de la crise pandémique que de l’élection fédérale dans six mois.

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