Macron à Marseille : des annonces indispensables, des insuffisances, des polémiques et un tropisme libéral…

Il est grand temps que cela change à Marseille et que cette ville tourne la page des pratiques précédentes.

Ce n’est pas la venue d’Emmanuel Macron qui a donné le départ de cette nouvelle ère. C’est d’abord et avant tout le vote des Marseillais pour la liste du Printemps Marseillais et l’élection d’une équipe bien décidée à rompre avec la gestion passée, l’immobilisme, l’incurie et les complaisances coupables de ses prédécesseurs. Et c’est sans doute l’alerte lancée par le maire et son conseil municipal qui a permis (enfin !) cette réaction de l’État et du président de la République.

Oui, il était temps !

Si les élus de la ville, de la métropole et du conseil général puis départemental sont depuis des années défaillants, l’État a aussi largement sa part de responsabilité. D’abord, s’agissant des politiques qui sont exclusivement de sa compétence : la police, la justice, la protection judiciaire de la jeunesse, le nombre de postes d’enseignants, les moyens aux hôpitaux… Là, les retards sont considérables. Alors les rattrapages ne sauraient tarder davantage.

C’est l’élection du Printemps Marseillais qui a sorti la Ville de l’immobilisme, contraignant aujourd’hui l’État à réagir enfin !

Et puis, s’agissant d’autres politiques d’État mais néanmoins très liées aux actions des collectivités territoriales, comme le logement, l’État a souvent laissé faire, laissé surtout ne rien faire. Les préfets n’ont pas assumé leurs responsabilités par exemple pour exiger que les engagements contractuels pris entre l’État et ces collectivités –en matière de la politique de la ville ou de lutte contre l’habitat insalubre notamment – soient tenus. Et cela depuis de très nombreuses années. L’autorité de l’État, c’est cela aussi.

S’agissant des écoles, si les collectivités territoriales sont compétentes pour les bâtiments, il revient à l’Éducation Nationale d’exiger que les élèves soient accueillis dans des conditions sûres, dignes et adaptées à un enseignement de qualité. Que de silences et d’inactions complices !

Alors que le président tance les chicayas qui ont trop souvent prévalu n’est pas infondé, mais qu’il n’exonère pas non plus l’État de ses défaillances car il faut veiller à ce qu’elles ne puissent plus de reproduire.

Maintenant que peut-on retenir de l’intervention d’Emmanuel Macron ?

Il y a les annonces financières et thématiques et les annonces institutionnelles.

Sur les annonces institutionnelles, le grand point positif est de rouvrir le dossier des compétences de la Métropole.

Sa création n’a fait qu’accroître les difficultés d’action, éloignant la décision de la ville et des citoyens, ajoutant en permanence de la complexité opérationnelle, des lenteurs et des paralysies. De surcroît, à la Métropole, c’est toujours l’équipe précédente, dont le bilan est catastrophique pour la cité phocéenne, qui reste au pouvoir. Par quel miracle deviendrait-elle soudain vertueuse et dynamique ?!

La Ville et les habitants doivent retrouver leur pouvoir de décision et d’action face à une Métropole encore dirigée par l’équipe qui a failli !

Oui il faut rapidement modifier le cadre législatif et institutionnel de cette Métropole et redonner à la ville de Marseille des compétences réelles dans des sujets clefs. Et tout n’est pas seulement affaire d’enveloppe financière – ça compte bien sûr –, mais d’équipe opérationnelle, de capacité légale pour agir. Prenons l’exemple du logement : en réalité, c’est un véritable imbroglio entre les compétences de l’État, de la Métropole et de la ville. Or pour résoudre les problèmes, on ne peut continuer les éternels renvois de balle, ne serait-ce que pour deux sujets essentiels afin d’éradiquer le logement indigne : la production de nouveaux logements et la mobilisation du parc existant pour le relogement des familles. La ville de Marseille n’est que très peu représentée dans la gouvernance des offices HLM qui sont massivement implantés sur Marseille et, en réalité, elle n’a pas de prise sur la gestion et les décisions qui, pourtant, conditionnent la vie de tant d’habitants (qu’il s’agisse de l’entretien, de la gestion locative ou du patrimoine, comme des nouvelles réalisations). Cela ne peut durer ! Le président de la République a annoncé une nouvelle loi. Je prendrai toute ma part au Sénat pour que ce texte ne soit pas un rideau de fumée. J’espère en tout cas, qu’il ne tardera pas car la loi 3DS (décentralisation, déconcentration, différenciation et simplification) n’est programmée que pour être votée à la fin du quinquennat. Et encore !!

L’autre proposition est la création des structures publiques cogérées État/collectivités peut s’avérer une bonne solution, en particulier dans cette phase temporaire avant une clarification des compétences. Encore faut-il que leur création ne mette pas des lustres et là les paroles du président de la République semblent volontaristes. À suivre…

À suivre aussi, la place laissée à la concertation et la prise en compte de l’avis des habitants, des usagers dans ce genre de dispositifs au sein desquels la tentation technocratique est parfois très forte. Or c’est essentiel, en particulier dans les quartiers populaires où la voix des habitants et de leurs associations est souvent négligée.

Les annonces financières, les projets sont, d’une part, marqués par un grand flou – ce sont souvent la reprise d’annonces déjà faites précédemment – et, d’autre part, héritent de sommes insuffisantes.

Au motif d’exemplarité, d’innovation, c’est derrière ce qui peut ressembler à un catalogue, une « liste à la Prévert », une logique libérale qui tend à s’accélérer, préfigurant les axes de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron qui est de moins en moins et de gauche et de droite mais surtout à droite !

Regardons les annonces concernant ce qui relève de la stricte responsabilité de l’État… du côté des postes de policiers, rien de neuf par rapport aux engagements déjà pris par Gérald Darmanin si ce n’est une accélération du calendrier. Pas très précis du côté de la justice, et je reste convaincue que l’organisation de la lutte contre le grand banditisme (drogue, trafic d’armes) n’aura pas des moyens assez massifs pour commencer à manifester plus d’efficacité. Enfin, grand silence sur les postes de la prévention judiciaire de la jeunesse pourtant essentiels pour conjurer la spirale qui emporte tant de jeunes dans ces dérives délinquantes.

À titre personnel, je suis tout à fait convaincue qu’une légalisation du cannabis (interdit bien sûr aux mineurs), une gestion publique de sa distribution, de sa production, du contrôle de qualité devrait être engagée dans notre pays. Je vous invite à lire les excellents rapports de la mission de l’Assemblée nationale, réalisés par des élus de tous bords politiques qui ouvrent des pistes sérieuses.

Le pouvoir n’a qu’un message : « circulez il n’y a rien à voir, on va durcir la répression ». Message que l’on entend depuis des années, alors que la consommation de cannabis ne fait que croître en France. On parle de « guerre à gagner » mais avec les méthodes actuelles, même en renforçant les moyens on ne la gagnera pas. Il faut une autre voie. En tout cas, un débat sérieux s’impose sur ce sujet. Sinon la gangrène que ce genre de trafic porte, non seulement dans certains quartiers mais dans de nombreux territoires, va continuer à s’étendre.

Les hôpitaux de Marseille ont besoin d’énormes investissements et de soutien pour améliorer le fonctionnement et les créations de postes. Les annonces se suivent avec des sommes dont il n’est pas toujours simple de mesurer l’impact réel et la capacité à combler les retards. Et cet exemple montre à quel point une méthode plus planificatrice avec des programmations pluriannuelles claires, chiffrées valant engagements est indispensable dans des dossiers aussi importants et qui nécessitent continuité de l’effort, détermination dans la durée et d’engager très tôt l’ensemble des études et d’éviter le « stop and go » démobilisateur, coûteux, destructeur et pourtant si fréquent dans l’action publique française. Après les annonces de millions (qu’on présente souvent plusieurs fois comme s’il y avait du neuf), les personnels, les élus et les usagers ont l’impression que tout se perd dans les sables et que les changements attendus ne se réalisent pas ou à des échéances improbables. Chacun peut comprendre la progressivité des avancées, pas qu’elles soient systématiquement reportées.

Transports, sécurité, hôpitaux, justice, protection de la jeunesse : les chiffres annoncés sont encore loin du compte…

On voit ce risque pour les hôpitaux, c’est aussi le cas pour les transports, où là clairement les sommes annoncées sont insuffisantes.

D’ailleurs Sophie Camard, maire du 1er secteur de Marseille le notait le 3 septembre dans un tweet : « Pour situer les chiffres, le plan d’action du plan de déplacements urbains est évalué à lui seul à 7 Milliards d’euros (donc hors logement, écoles, etc.).

Je vous laisse donc évaluer le seuil à franchir par rapport aux annonces. »

Là, à l’évidence, le compte n’y est pas et pourtant c’est indispensable pour désenclaver les quartiers et permettre le développement économique de la Ville.

Au-delà des manques de crédits, sur des politiques majeures pour notre avenir et notre modèle républicain comme l’emploi et l’éducation, Emmanuel Macron propose une accélération du basculement vers des conceptions libérales très dangereuses, inégalitaires et pourtant souvent très contestées dans les pays qui ont promu ces idéologies.

Parlons de la proposition d’Emmanuel Macron sur l’école. Il ressort une vieille lune des Libéraux et de Blanquer à savoir l’autonomie des chefs d’établissements pour recruter les enseignants et intervenants dans les écoles et de la souplesse pour les équipes faisant croire qu’ainsi, on combattrait mieux l’échec scolaire.

Qui peut imaginer que soudainement des enseignants plus compétents, plus motivés vont se précipiter pour venir dans des quartiers et écoles dans lesquelles ils ne sont jamais candidats ? Beaucoup d’enseignants dans ces écoles sont motivés et enragent de voir qu’ils n’ont pas les moyens d’agir correctement et n’ont pas le soutien attendu. Ils souhaiteraient aussi, en particulier les jeunes, une formation renforcée et une formation continue qui les aide à bien affronter les difficultés de leurs élèves (il y a donc un besoin massif de remplaçants).

Au contraire, le choix d’Emmanuel Macron risque plutôt de tirer vers le bas ces structures scolaires.

Ces établissements ont au contraire besoin d’une forte implication des autorités académiques en direction des équipes éducatives. Trop souvent ce soutien leur manque face aux difficultés rencontrées ! Mettre les chefs d’établissement comme les grands responsables du projet et de sa mise en œuvre revient d’une part à leur confier une responsabilité excessive et risquée (est-on sûr qu’ils sont en situation réelle de définir un projet optimal ?) mais aussi à dédouaner les responsables académiques et rectoraux et à accroître les inégalités.

Avec l’autonomie des chefs d’établissement scolaire, Emmanuel Macron ressort une « vieille lune » des Libéraux et tente de faire diversion !

C’est une vision éclatée et inégalitaire de notre service public de l’Éducation Nationale.

C’est d’ailleurs aussi la thèse défendue récemment par Valérie Pécresse. Elle, elle franchit le pas supplémentaire allant jusqu’à proposer que les écoles soient privées et qu’on donne aux élèves des chèques pour garantir la gratuité… Mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est bien cette logique concurrentielle, désarticulée de notre système d’éducation qui est soutenue.

Tout cela au nom de la prétendue souplesse. Prétendue, car en fait ce n’est pas de la souplesse mais de la disparité quant aux contenus et aux savoirs transmis.

De la souplesse, il en faut pour favoriser des initiatives et des méthodes diverses, mais pas sur les contenus programmatiques et les objectifs à atteindre qui doivent demeurer communs, identiques.

Emmanuel Macron ne fera aucune annonce sur les créations de postes pour dédoubler plus fortement les classes dans tous ces établissements, veiller à ce que les remplaçants soient en nombre suffisant. Cette histoire d’autonomie des chefs d’établissements est non seulement dangereuse pour l’égalité républicaine mais sert aussi de rideau de fumée à l’absence d’enseignants et de surveillants supplémentaires.

On notera au passage qu’il n’a donné aucun chiffre sur les sommes dégagées pour remettre en état les écoles de Marseille. Espérons qu’il sera plus net en Octobre !

La clef pour la réussite des élèves issus des quartiers et milieux populaires – des autres aussi sans doute – est certainement à chercher dans un lien plus étroit entre l’éducation nationale, le temps extra-scolaire, la culture, le sport, l’éducation populaire avec des projets de qualité mis en œuvre dans chaque établissement avec des personnels compétents œuvrant aussi les forces vives de la ville et du quartier.

Au passage, Emmanuel Macron semble louer les cités éducatives, mises en place dans certaines communes de la politique de la ville, alors qu’il a fallu batailler ferme pour que ces projets puissent se poursuivre et se développer dans le cadre du plan de relance, car le gouvernement freinait des quatre fers…

Mettre en place une telle réforme suppose que l’État finance ces postes, veille à la qualification et compétences des animateurs, et ce partout (et pas seulement dans les territoires attractifs). Mais si l’intention est parfois énoncée par le chef de l’État, aucun moyen n’est dégagé, aucun poste créé, et en réalité Emmanuel Macron ne porte pas sérieusement cette évolution de notre système éducatif, qui est en fait à l’opposé du démantèlement qu’il envisage vraiment. Les enseignants et bon nombre de parents ont réagi face à ce qu’ils ont ressenti comme une véritable provocation.

Les propositions sur l’emploi sont dans la même veine. Emmanuel Macron fait comme si le problème était principalement de mettre en relation les jeunes et habitants des quartiers avec les entreprises, alors qu’il y a un taux de chômage très important dans la ville et le département. Non il ne suffit pas de traverser la rue ! Il faut une stratégie de créations d’emplois, d’emplois variés. On aurait pu attendre une vraie réflexion à la fois sur la réindustrialisation, les relocalisations, voire des déconcentrations de certains services d’État, ou encore sur un plan de rattrapage des postes d’emplois publics qui manquent tant dans cette Ville. On pourrait attendre des propositions pour développer l’économie sociale, l’économie circulaire. De l’autre côté, il faut mener des actions d’insertions plus globales et pérennes pour ceux qui sont plus loin de l’emploi.

On est encore loin d’une véritable vision stratégique républicaine de l’État pour la cité phocéenne !

En tout cas, il reste de ces discours une impression d’absence de vision d’un renouveau républicain et social. Car, au fond, il ne veut pas changer les logiques d’hyper-concentration des richesses, du pouvoir, il n’a aucune intention de faire progresser l’égalité et campe dans un discours sur « l’égalité des chances », version édulcorée et illusoire tant nous savons que les déterminants sociaux ne se combattent pas juste au début et à l’école (ce qui est bien sûr très important et nécessaire) mais à travers une action qui va de l’égalité d’accès aux services publics, aux droits tout au long de la vie et à moins d’inégalités sociales et de richesses. C’est l’anti premier de cordée qu’il faut mettre en œuvre.

Emmanuel Macron va revenir à Marseille en octobre. Je pense que l’équipe municipale et les Marseillais seront vigilants et exigeants. Ils sauront se faire entendre, car il y a encore un grand chemin pour engager le changement nécessaire pour la seconde ville de France et le rattrapage républicain indispensable.

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