Création de la Fédération de la Gauche Républicaine

Renouer avec l’esprit de conquête républicaine

Militantes et militants issus de la Gauche Républicaine et Socialiste, du Mouvement Républicain et Citoyen, des Radicaux de Gauche – LRDG, de Nouvelle Gauche Socialiste et de l’Engagement, rejoints par des militants socialistes, écologistes et insoumis, nous décidons aujourd’hui de nous rassembler dans la Fédération de la Gauche Républicaine.

Au sortir de l’élection présidentielle, les Français sont inquiets et frustrés. La fracture sociale et territoriale s’est aggravée. Et l’extrême-droite réalise le meilleur score de son histoire. Loin d’être un barrage à sa progression, le quinquennat d’Emmanuel Macron en aura été l’accélérateur.

Dans ce contexte, la gauche a une responsabilité particulière. Les législatives peuvent permettre d’offrir aux Français une alternative à la politique de régression sociale voulue par le président réélu. Les candidates et candidats de la Fédération de la Gauche Républicaine prendront toute leur part à ce combat central, en participant aux dynamiques de rassemblement aujourd’hui en œuvre.

Dans cette campagne, nous mettrons en avant les priorités qui nous sont chères, celles d’une politique de redressement républicain et de solidarité : démondialisation, promotion du « made in France », retour de l’État dans la vie économique et sociale, restauration des services publics, des moyens pour l’éducation et l’hôpital, augmentation des salaires et des retraites, transition écologique et objectif zéro pétrole, égalité territoriale, défense de la laïcité, refondation totale de nos institutions pour en finir avec la monarchie présidentielle et redonner du sens à la démocratie.

Mais au-delà des échéances électorales immédiates, c’est à une refondation de la gauche, de sa pensée, de ses pratiques, de ses modes de fonctionnement qu’il faut s’atteler. Pour reconquérir les classes populaires qui se sont en partie détournées de nous, pour redonner du sens à la promesse d’égalité, pour dessiner les contours d’un monde plus juste et plus harmonieux, les militantes et militants de la Fédération de la Gauche Républicaine s’engagent résolument.

La faiblesse actuelle de la gauche n’est pas une fatalité. En renouant avec l’esprit de conquête républicaine, avec le volontarisme politique, avec le respect de la souveraineté populaire, tout est possible.

Dans ces temps confus et incertains, l’essentiel est de savoir pour qui on se bat, et où l’on veut aller. Pour les militants de la gauche républicaine, il n’y a rien de plus exaltant que de se consacrer à la reconstruction de la gauche et au redressement de la France.

Signataires : Emmanuel Maurel, Député européen, Animateur national GRS, Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice, Coordinatrice nationale GRS, Jean-Luc Laurent, Président du MRC, Maire du Kremlin-Bicêtre, Catherine Coutard, vice-présidente du MRC, Stéphane Saint-André, Co-Président de LRDG, Isabelle Amaglio-Térisse, co-Présidente LRDG, Laurence Rossignol, Sénatrice, Mickael Vallet, Sénateur, Liem Hoang-Ngoc, ancien Député européen, Président de NGS, Damien Thomas, Porte-parole de NGS, Elodie Schwander, Animatrice nationale aux élections GRS, Anthony Gratacos, Secrétaire général GRS.

LE SOCIALISME DE BLUM PEUT-IL NOUS SAUVER EN 2022 ? – entretien avec Milo Lévy-Bruhl

Milo Lévy-Bruhl est doctorant en philosophie politique à l’EHESS et travaille sur le socialisme et le judaïsme français. Il est également l’auteur de la préface à la réédition d’A l’échelle humaine, éloquent essai que Léon Blum rédigea pendant sa captivité et qui fut publié en 1945. Pour Le Temps des Ruptures, journal du pôle jeunesse de la Gauche Républicaine et Socialiste, il revient en détails sur le socialisme porté par Blum et sur la manière dont la pensée de cette grande figure de la gauche doit nous guider aujourd’hui pour refonder ce camp politique.

LE TEMPS DES RUPTURES : EN RÉÉDITANT À L’ÉCHELLE HUMAINE DE LÉON BLUM ET EN LUI CONSACRANT UNE TRÈS LONGUE PRÉFACE, VOUS NOUS AVEZ REPLONGÉS DANS LA PENSÉE ET DANS LES PROBLÈMES QU’AFFRONTÈRENT LES SOCIALISTES FRANÇAIS DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXE SIÈCLE. À TRAVERS, QUELQUES QUESTIONS NOUS AIMERIONS PROLONGER VOTRE RÉFLEXION POUR VOIR DANS QUELLE MESURE L’ÉCHO DE CETTE PÉRIODE EST SUSCEPTIBLE DE NOUS AIDER FACE AUX DÉFIS QUE CHERCHE À RELEVER LE SOCIALISME EN CE DÉBUT DE XXIE SIÈCLE. L’EXERCICE NOUS PARAÎT D’AUTANT PLUS INTÉRESSANT QUE NOMBREUX SONT CEUX QUI FONT AUJOURD’HUI LE PARALLÈLE ENTRE LA SITUATION ACTUELLE ET CELLE DES ANNÉES 30 OU DE LA RECONSTRUCTION D’APRÈS-GUERRE.
MILO LÉVY-BRUHL :

Je vous remercie de cette proposition dont je ne peux que partager la finalité puisqu’elle est à l’origine de ma propre démarche : méditer le passé pour agir dans le présent. Spontanément, j’aurais cependant tendance à résister aux parallèles historiques que vous indiquez. De telles comparaisons me semblent toujours trop faciles. En isolant un ou quelques éléments du présent et en forçant l’analogie, untel, pessimiste, nous replonge dans les années 30, un autre, optimiste, dans l’épopée réformatrice des dernières années du XIXe siècle, untel phantasme le retour de la guerre civile et tel autre la reconstruction de l’après Libération. Je ne veux pas nier ce que les comparaisons peuvent avoir d’heuristiques mais encore faut-il caractériser précisément ce qu’on compare. Or, c’est souvent l’inverse. La comparaison devient un réflexe qui permet précisément de faire l’économie de l’analyse du présent en le rabattant sur un passé supposément mieux connu. Le seul mérite du procédé est alors de nous apprendre quelque chose sur la disposition d’esprit de celui qui compare.

Cela étant dit, s’il faut discuter le principe même du parallèle historique du point de vue socialiste, je crois qu’une telle discussion aurait le mérite de nous adresser une question, à nous intellectuels et militants d’aujourd’hui. Celle de nous confronter à nos schèmes d’interprétation des dynamiques historiques des sociétés modernes. Lorsque le marxisme était dominant au sein du socialisme, il n’avait pas de difficultés à comparer des périodes historiques distinctes parce que la société moderne dans son ensemble lui apparaissait gouvernée par des cycles capitalistiques qui pouvaient effectivement se répéter. Par exemple, l’enjeu pour les socialistes dans les années 30 en France a été de savoir si la crise économique de 1929 était une crise de croissance du capitalisme comme une autre ou si elle était la crise finale. Ici, la bonne comparaison revêtait une importance primordiale puisqu’elle conditionnait les modalités de l’action. Blum se prête lui aussi à des comparaisons. Selon lui, la Révolution française, par la proclamation des droits de l’Homme et du Citoyen, a symboliquement ouvert une époque nouvelle de l’histoire de l’humanité : celle de l’émancipation, du développement de l’individu. Or, ce choc originel n’a pas encore été totalement digéré et donne lieu à des crises fréquentes qui voient s’affronter héritiers des révolutionnaires et héritiers de la contre-révolution. À la veille du Front Populaire, il compare donc certaines de ces crises – Affaire Dreyfus, après-guerre, etc. – et se demande si celle que connait alors la France est une énième forme de cette lutte, ou si elle signale l’entrée dans une nouvelle phase de la modernité. S’il tient tant à écrire

À l’échelle humaine, c’est d’ailleurs parce que sur le moment il est persuadé que la grande crise, celle qui ne signale plus seulement un énième à-coup de la Révolution de 89 mais les prémices de la révolution socialiste, a commencé en 1940. De ce point de vue, c’est l’absence de tels supports théoriques qui s’accuse aujourd’hui dans la faiblesse de nos comparaisons. La réactivation de nos traditions analytiques me semble donc un préalable à la discussion des ressemblances et des dissemblances entre les crises du capitalisme de l’entre-deux-guerres et celles d’aujourd’hui, entre les pathologies de l’autonomie moderne dont rend compte le fascisme d’entre-deux-guerres et celles d’aujourd’hui.                    

LTR : DANS LA PRÉFACE QUE VOUS AVEZ RÉDIGÉE, VOUS MONTREZ QUE LA PÉRIODE DE LA GUERRE EST AVANT TOUT POUR BLUM UNE ÉPREUVE INTELLECTUELLE ET QU’IL EN SORT AVEC DES CONCEPTIONS DIFFÉRENTES DE CELLES QU’IL AVAIT EN Y ENTRANT, CE QUI TENDRAIT À MINORER LA FORCE DE CES TRADITIONS ANALYTIQUES. POUR LE DIRE PLUS CLAIREMENT, VOUS MONTREZ QUE LE MARXISME QUI EST LE SIEN DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRES NE SORT PAS INDEMNE DES ÉVÈNEMENTS.
MLB :

Je ne crois pas qu’il change de conceptions. Disons que les représentations marxistes et celle du « jauréssisme » ont toujours cohabité à l’intérieur de la SFIO, et Blum lui-même essaie, comme tant d’autres, de les harmoniser. Sa vie militante est faite d’une alternance entre majoration marxiste et minoration jauréssienne et inversement. L’enjeu intellectuel de tenir les deux bouts rejoignant un enjeu très politique d’unité de la SFIO dont il s’estime le garant. Mais de ce point de vue, en effet, la SFIO dont Blum est le leader parlementaire dans l’entre-deux-guerres est fortement dominée par le marxisme de tradition guesdiste que représente son Secrétaire Général, Paul Faure. Marxisme qui pèse sur un Blum qui, jusqu’en 1920 s’était montré bien plus jauressien. De ce point de vue, À l’échelle humaine représente le dernier épisode du « moment marxiste » de Léon Blum, un marxisme bien hétérodoxe néanmoins. Mais ce marxisme de la SFIO avait déjà été éprouvé avant-guerre. À l’échelle humaine est comme le chant du cygne du marxisme-guesdiste à la française et il masque une inflexion fondamentale qui se produit dans le socialisme français entre 1930 et 1950. Pour la comprendre, il faut renoncer à penser la période de la guerre comme une période de rupture, ce qui est contraire à notre disposition spontanée, pour apercevoir au contraire les effets de continuité entre les années 30 et l’après-guerre. Il faut considérer les années 30 et l’expérience du Front Populaire comme un lieu d’incubation des politiques mises en place à la Libération. De fait, il y a une continuité historique entre les deux périodes et, à l’arrière-plan de cette continuité, il y a en réalité un problème inédit qui se pose au socialisme français et qui ne fait que s’accentuer des années 30 à l’après-guerre.

Pour saisir cette continuité, il faut repartir du milieu des années 30 et comprendre ce que visait le Front Populaire. Pour les socialistes, la crise de 1929 est considérée comme la crise finale du capitalisme. Autrement dit, la révolution est en approche. Dans ce contexte, hors de question pour eux d’exercer le pouvoir dans les structures bourgeoises de la démocratie parlementaire : le parti entre dans une phase d’attentisme révolutionnaire. Son secrétaire général, Paul Faure, l’explique très clairement en 1934 dans Au seuil d’une Révolution. Pour cette même raison les néo-socialistes, qui eux sont favorables à une collaboration de classe dans le cadre de la République bourgeoisie, sont expulsés du parti. Pourtant, deux ans plus tard, la SFIO a totalement changé d’état d’esprit et amorce un rassemblement populaire qui vise l’accès au pouvoir. Comment expliquer ce revirement ? Avec février 1934, avec l’avancée du fascisme en Allemagne, la SFIO s’est rendue compte qu’il n’y avait pas de passage automatique de la crise du capitalisme au renforcement du prolétariat. C’est le fascisme, point de fuite de sa théorie, et non pas le socialisme qui s’est trouvé renforcé par la paupérisation à laquelle mènent les contradictions du capitalisme. Le Front Populaire vise alors à pallier cette conséquence inattendue. Pour autant, le Front Populaire n’est pas considéré par ses acteurs comme un moment socialiste. Son programme n’est pas présenté comme un programme socialiste, c’est un programme « anti-crise ». Il veut éviter que les ouvriers et les paysans aillent grossir les rangs fascistes. C’est un pis-aller, une politique qui ne peut être et ne doit être que provisoire. L’objectif est seulement de temporiser en attendant la révolution qui vient.  

LTR : ET EN 1940, LORSQU’IL SE MET À ÉCRIRE À L’ÉCHELLE HUMAINE, BLUM PENSE QUE LA RÉVOLUTION EST À L’ORDRE DU JOUR…
MLB :

Oui, en 1940, malgré le choc que constitue l’invasion de la France, le scénario reste le même. Pour Blum, la classe bourgeoise s’est bel et bien effondrée comme l’anticipaient les socialistes depuis le début des années 30. Ne reste que cette verrue née des dernières phases de radicalisation du capitalisme : le fascisme, sous ses différentes formes. Autrement dit, une fois le fascisme vaincu, ce qui est le but de la guerre, la classe ouvrière organisée se saisira tranquillement de la souveraineté laissée vacante par l’effondrement de la classe bourgeoise. C’est tout à la fois ce qu’explique et ce qu’annonce À l’échelle humaine. Mais les choses ne se passent pas comme attendu. Le fascisme est battu et pourtant la révolution n’a pas lieu. Blum qui analysait si sereinement les évènements de 1940 et annonçait la révolution pour 1945 se trouve, au lendemain de la Libération, franchement démuni. Il ne comprend pas que la révolution n’ait pas eu lieu. Ce à quoi il se confronte, c’est à l’immaturité révolutionnaire de la classe ouvrière organisée et de son parti. Tout d’un coup, un trou se crée entre l’effondrement bourgeois et l’avènement prolétarien que la logique révolutionnaire marxiste-guesdiste n’avait pas anticipé et c’est ce trou qu’il lui faut combler. C’est dans ce contexte inédit que la politique du Front Populaire va changer de fonction. En 1936, elle était provisoire, elle ne visait qu’à entraver la dynamique fasciste en attendant la fin de l’effondrement bourgeois. En 1945, cette même politique peut être reprise et poussée plus loin parce qu’elle n’a plus vocation à être provisoire, mais transitoire. La Sécurité sociale, les nationalisations, les planifications ne visent pas seulement à temporiser en attendant la révolution, mais à préparer la révolution. Dans l’effondrement du marxisme-guesdisme, Blum retrouve la conception de « l’évolution-révolutionnaire » de Jaurès.

LTR : LE SUJET DES NATIONALISATIONS EST REVENU SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE POLITIQUE CES DERNIERS MOIS, PEUT-ÊTRE QU’EN DÉTAILLANT LE CHANGEMENT QUE VOUS INDIQUEZ DANS LA CONCEPTION DE LEUR RÔLE, ON POURRAIT MIEUX COMPRENDRE L’ENJEU DE TELLES POLITIQUES POUR LE SOCIALISME AUJOURD’HUI.
MLB :

Dans le schéma marxiste-guesdiste qui est celui des socialistes au moment du Front Populaire, on ne peut pas prôner les nationalisations autrement que comme des pis-aller provisoires. Pour Guesde, nationaliser c’est « doubler l’État-Gendarme de l’État-Patron ». Une politique socialiste conséquente ne parle donc pas de nationalisations mais de socialisation des moyens de production et d’échange qui ne reviennent pas à l’État mais aux institutions du travail. Au moment du Front Populaire, on insiste donc sur le caractère non socialiste des nationalisations. Dans l’après-guerre, ces scrupules tombent et tout d’un coup, alors que c’est toute la conception de l’État qui est engagée dans le débat, nationalisations et planification intègrent l’éventail des mesures socialistes. Pourquoi ? Dès lors que l’effondrement bourgeois n’a pas suffi, que la Révolution n’est pas advenue et ne semble pas à l’horizon, il faut se remettre au travail, la préparer mais autrement. Les réformes sociales et économiques du Front Populaire sont alors réévaluées et prennent une importance nouvelle. Désormais, elles ne vont plus jouer le rôle de temporisateur mais celui de préparateur de la Révolution. Elles vont libérer du temps pour le prolétariat, elles vont lui offrir des conditions de vie améliorées qui vont lui permettre de se consacrer progressivement à sa tâche, etc. Et à mesure que ces améliorations lui permettront de mieux s’organiser, de développer ses propres institutions, les propriétés et les prérogatives de gestion économique qui avaient été confiées à l’État à la Libération vont lui revenir.

Si je voulais forcer la comparaison, je dirais qu’en 1945 le socialisme français se trouve dans la position du bolchévisme en 1917. La classe antagoniste a été grandement dépossédée, la maîtrise de l’État est quasiment assurée mais les institutions de la société socialiste n’existent pas encore. En Russie, c’est le parti qui va, très mal, remplir le rôle d’agent d’une transition qui n’adviendra jamais. En France, c’est l’État. D’ailleurs, sans qu’il lui soit nécessaire de se le formuler, le Parti Communiste Français reconnait très bien la situation et s’y adapte avec une aisance extraordinaire. Il n’y a pas plus étatistes que les communistes à la Libération. Tant que Maurice Thorez peut s’imaginer transformer les technocrates en agents au service du parti via l’ENA ou les écoles de cadre, il est partant. Pour Blum non plus, le changement de conception n’est pas trop coûteux puisqu’il correspond au schéma socialiste de sa jeunesse, celui de l’évolution-révolutionnaire de Jaurès exposée au Congrès de Toulouse de 1908. À une condition néanmoins, une condition fondamentale : le parti doit toujours garder en tête que cette nouvelle situation ne doit être que transitoire et que les moyens nouveaux dont dispose désormais l’État doivent absolument être au service de la démocratisation de l’économie, de la formation et de la responsabilisation de la classe ouvrière organisée, du développement des institutions socialistes qui viendront progressivement remplacer celle de l’État. Ce n’est pas pour rien que les membres fondateurs du PSA (Parti Socialiste Autonome), puis les dirigeants du premier PSU (Parti Socialiste Unifié), des gens comme Édouard Depreux, qui se revendiquent de Blum, vont passer leur temps dès le début des années 50 à rappeler que le socialisme technocratique ne doit être que transitoire, puis à attaquer la technocratie. Leur grande crainte, c’est que la situation historique transitoire se pérennise, que l’État et la technocratie oublient leur rôle historique. Or, c’est bien ce qui va arriver.

LTR : COMMENT EXPLIQUER L’OUBLI DE CE CARACTÈRE TRANSITOIRE DE LA POLITIQUE DE NATIONALISATION/PLANIFICATION ?
MLB :

Parmi les acteurs socialisants de l’après-guerre – le Parti Communiste Français, la tendance blumiste de la SFIO et la tendance molletiste de la SFIO – il n’y a que pour ces derniers, héritiers du marxisme-guesdiste, que le revirement vis-à-vis de la conception de la révolution et du rapport à l’État est incompréhensible, qu’il est subi et qu’il s’impose sans pouvoir être idéologiquement digéré. Malheureusement, c’est cette tendance qui devient majoritaire dans le Parti dès septembre 1946 et qui le restera longtemps. C’est cette tendance qui redouble de profession de foi marxiste orthodoxe à mesure qu’elle s’en éloigne dans son exercice du pouvoir. Et c’est sa cécité sur l’écart entre son discours et sa pratique qui a profondément désorienté le socialisme français. Sur ce point précis des nationalisations, elle a été révolutionnaire dans le discours et réformiste dans la pratique. Résultat, les nationalisations n’ont été ni provisoires, ni transitoires. Elles se sont installées non pas comme la première phase de la socialisation mais comme une étatisation. Or, quand on gère des étatisations, on ne s’occupe pas de l’organisation de la classe ouvrière, on devient un parti de technocrates. On défend l’étatisation, non plus comme une étape vers la socialisation mais pour des raisons d’efficacité économique, d’outil de régulation des marchés, etc. Et alors, au premier souffle de vent idéologique, à la première déconvenue économique, on perd ses arguments et on commence à regarder les privatisations d’un œil bienveillant. Je pense qu’on ne peut pas comprendre l’histoire du socialisme qu’a le Congrès d’Épinay si on n’a pas en tête la position intenable dans laquelle s’était retrouvée la SFIO molletiste depuis la fin de la IVe République. Le Mitterrand qui proclame la rupture avec la société capitaliste est dans le verbiage rhétorique de l’époque et le tournant de 1983 était inscrit dans la trajectoire du socialisme français depuis bien longtemps.

Intuitivement, je pense que beaucoup de gens à gauche sentent cela aujourd’hui puisque la référence qu’ils mobilisent spontanément survole toute cette double séquence – mollettiste et mitterandienne – du socialisme français : c’est le programme du CNR. Or, le programme du CNR c’est le dernier acquis du socialisme à la Blum, et si on en est aujourd’hui à le défendre – ce qui est hautement nécessaire – c’est précisément parce qu’il n’a pas été mené au bout, que les étatisations ne sont pas devenues les socialisations qu’elles auraient dû être. Aujourd’hui, à gauche, le centre de gravité idéologique se trouve entre les gens qui veulent nationaliser et ceux qui ne veulent pas. Les discussions portent sur l’ampleur des nationalisations, c’est-à-dire des étatisations. Et la pandémie, comme la crise climatique, sont venues donner des arguments aux nationalisateurs, mais des arguments centrés sur l’efficacité de l’État comme acteur économique non obnubilé par des enjeux de profitabilité de court terme. Ce qui n’est pas encore la position socialiste d’un Jaurès ou d’un Blum mais cet héritage bâtard des apories du marxisme-guesdisme. Pour un socialiste, la nationalisation au sens d’étatisation ne vaut que comme étape de la socialisation, c’est-à-dire dans la perspective d’une démocratisation générale de l’économie. Donc je dis aux défenseurs actuels de la nationalisation et de la planification : « Messieurs et Mesdames, les radicaux – leur position aujourd’hui est celle des courants de gauche du radicalisme de la IIIème République, encore un effort pour être socialistes ! ».

LTR : CET OUBLI DU SOCIALISME QUE VOUS SIGNALEZ SEMBLE AVOIR ÉTÉ COMPENSÉ AUJOURD’HUI PAR L’AVÈNEMENT D’UNE AUTRE IDÉOLOGIE : LE POPULISME DE GAUCHE. EST-CE QUE VOUS Y VOYEZ UN PROLONGEMENT DU SOCIALISME OU AU CONTRAIRE UN SIGNE SUPPLÉMENTAIRE DE SON EFFACEMENT ?
MLB :

Le populisme est une doctrine complexe et il y a un monde entre les premiers textes d’Ernesto Laclau et les derniers de Chantal Mouffe. Laclau, dans ses premiers textes, se confrontait à la question ô combien importante aujourd’hui de savoir qui est l’acteur révolutionnaire du socialisme si le prolétariat ne l’est plus ; soit qu’il ne soit plus révolutionnaire, soit qu’il ne soit plus un acteur politique. Mais tel qu’il a été importé en France entre 2012 et 2017, le populisme de gauche s’inspire plutôt des derniers textes de Mouffe et se présente davantage comme une stratégie électorale, comme une méthode d’accès au pouvoir, que comme une théorie sociale. Avec La France Insoumise, qui s’en revendique explicitement, le populisme de gauche repose sur deux préceptes (je schématise un peu). Le premier est un constat : une oligarchie dirige le pays et utilise l’État pour servir ses intérêts, tout en organisant le maintien de son pouvoir contre le peuple. Le fameux « We are the 99% ». Le deuxième est un objectif : réunir 51% des votants. Pour ma part, je pense évidemment que le constat est faux et surtout que l’objectif, en l’état, est coupable. Mais je vais d’abord essayer d’indiquer les effets de ces préceptes. Si 99% des gens ne sont pas représentés mais que vous ne parvenez pas à réunir 51% des votants, il vous faut une théorie de l’aliénation pour expliquer pourquoi tant de gens ne se rendent pas compte de leur assujettissement. Mais alors si vous postulez une aliénation, vous ne pouvez pas prendre pour argent comptant tous les slogans ou toutes les revendications qui s’expriment dans les 99%. Or, puisque, parallèlement, vous n’arrivez pas réunir à 51% des votants, vous avez fortement intérêt politiquement à soutenir tout ce qui se formule comme revendication politique, avec l’espoir d’élargir votre électorat. C’est le cercle vicieux de la France Insoumise depuis 2012. Je précise ma critique.

Mon premier problème est lié au constat. D’abord, il est empiriquement faux. Ce n’est pas une oligarchie qui gouverne en France. Le macronisme soutient effectivement une dynamique de néo-libéralisation mais les institutions résistent et ces institutions – scolaires, sociales, économiques, etc. – ne sont pas faites pour les 1%. Ensuite, l’idée que le macronisme ne serait que l’instrument d’une oligarchie est en tant que telle une idée fausse. Je sais bien les copinages, les arrangements qui peuvent exister dans certaines sphères mais ce sont des phénomènes secondaires. Le macronisme résulte d’abord d’une vision sociale du monde avant de servir des intérêts. Une vision sociale du monde qui entretient la concurrence plutôt que l’émulation, qui privatise plutôt qu’elle met en commun. Mais une vision du monde qui pour beaucoup de gens, qui n’y ont même souvent aucun intérêt, représente une forme d’émancipation. Même dans sa forme la plus pathologique, par exemple quand Emmanuel Macron dit qu’il faut plus de jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires, le macronisme capte une aspiration présente dans les sociétés modernes poussées par des dynamiques d’individualisation. Évidemment, ce qui est glorifié ici c’est une forme pathologique de l’émancipation, c’est-à-dire une aspiration émancipatrice totalement aveugle aux conditions sociales de sa propre possibilité. Mais c’est une aspiration réelle et c’est ce que comprenait le socialisme d’un Blum ou d’un Jaurès. C’est une autre conception, une conception sociale de la liberté et de l’émancipation que ces derniers lui opposaient. À l’idéal d’émancipation individuelle, ils opposaient un idéal d’émancipation collective qui emportait une réalisation plus poussée de l’émancipation individuelle. C’était ça la mission historique du prolétariat : « l’effort immense pour élever, par une forme nouvelle de la propriété, tous les hommes à un niveau supérieur de culture, (…) y compris les grands bourgeois, car nous ne les dépouillerons de leurs privilèges misérables d’aujourd’hui que pour les investir de la justice sociale de demain » disait Jaurès.  

Mon deuxième problème porte sur l’objectif du populisme. Puisqu’il n’est pas au pouvoir alors qu’il se présente comme le représentant des intérêts du peuple, l’oligarchie exceptée, il faut bien que le populisme dénonce une aliénation. Il le fait actuellement sous une forme faible qui surfe parfois avec le complotisme dans le genre critique des modalités de financement et de direction des médias. Pourquoi pas. Mais pourquoi ? En fait, il faut que l’aliénation dénoncée soit faible. Un citoyen qui regarde un peu trop CNews ou C8 peut tout de même plus facilement se désaliéner –  Raquel Garrido aidant – que quelqu’un qui s’est laissé envouter par le fétichisme de la marchandise. À l’inverse, si l’aliénation est trop forte, les mouvements critiques qui s’expriment ne peuvent pas être récupérés parce qu’il faudrait d’abord reconnaître que même lorsque des revendications s’expriment sur un mode critique, les individus aliénés les expriment à travers les catégories du libéralisme, ou dans les catégories du conservatisme, qui est la réaction la plus spontanée au libéralisme. Voilà le fait qui embarrasse le populisme : l’aliénation est très forte, les dispositifs libéraux sont présents dans nos catégories de pensées, dans notre langage, et c’est donc normal que dans un premier temps les critiques qui émergent ne trouvent pas d’autre langage que le langage libéral ou conservateur pour s’articuler. C’est quelque chose que le socialisme français a compris à la fin du XIXe siècle quand il a affronté le « socialisme des imbéciles » qui émergeait en son sein, c’est-à-dire le socialisme qui se branchait sur des critiques conservatrices, sous la forme antisémite notamment, du libéralisme. C’est ce moment-là que le populisme a oublié ou plutôt qu’il doit oublier parce qu’il impliquerait d’accepter que la désaliénation prenne du temps, qu’elle demande des efforts d’éducation, de délibération, que la fameuse « lutte pour l’idéologie culturelle », même au sens de Gramsci considère les idéologies dans leurs liens avec l’infrastructure socio-économique des sociétés et pas seulement depuis la subjectivité des acteurs. Bref, tout ce qu’il est difficile de reconnaître lorsque l’on vise essentiellement la majorité à la prochaine échéance électorale.

LTR : EST-CE QUE VOUS NE RÉDUISEZ PAS ICI LE POPULISME À SA STRATÉGIE ÉLECTORALE ? LA « RÉVOLUTION CITOYENNE » QUE PROPOSE LA FRANCE INSOUMISE NE S’INSCRIT-ELLE PAS DANS L’HÉRITAGE RÉVOLUTIONNAIRE DU SOCIALISME DE JAURÈS ET BLUM ?
MLB :

L’« évolution-révolutionnaire » de Jaurès n’est pas focalisée sur la conquête électorale et la maîtrise de l’appareil l’État, elle est focalisée sur le développement des institutions socialistes. Ce qu’il faut c’est que les ouvriers organisés développent les institutions du travail qui vont venir remplacer, progressivement, les institutions capitalistes : droits sociaux, syndicats, mutuelles, coopératives, etc. À cette fin, l’État peut-être un moyen. Il peut l’être de deux façons. D’une part, par la loi qui doit mettre les ouvriers en situation légale de pouvoir toujours mieux s’organiser, d’où la réduction du temps de travail journalier et hebdomadaire, d’où les congés payés, les assurances sociales, etc. D’autre part, en soustrayant à la logique de marché certaines entreprises, les plus importantes, et en en confiant la propriété et la gestion aux institutions du travail, c’est le processus de nationalisation-socialisation dont on a parlé précédemment. De ces deux manières, l’État participe de ce qu’on appelle le socialisme par le haut, mouvement qui rencontre le socialisme par le bas des institutions du travail.

A ce titre, l’obsession pour l’élection présidentielle du populisme retombe dans un dualisme ancien que Jaurès avait su dépasser. En France, la gauche traditionnelle oscillait avant Jaurès entre d’une part une conception de la révolution violente, du coup de force, et, d’autre part, une conception de la révolution-légale. Dans un cas, on tente de prendre le pouvoir par les armes à la mode blanquiste, dans l’autre, après avoir obtenu la majorité. Cette deuxième acceptation de la révolution est très présente à gauche et dans une certaine historiographie de la Révolution française qui déshistoricise cette dernière et peine souvent à la comprendre comme le prolongement des dynamiques sociales et politiques de l’Ancien-Régime et des dynamiques intellectuelles du XVIIIe. La France Insoumise réactualise cette conception de la révolution-légale et du grand soir : élection, constituante, etc. Ce faisant, elle prolonge une vision stato-centrée et individualiste. Car l’acteur de cette révolution, c’est le citoyen considéré comme un individu doté d’une partie de la souveraineté. La révolution qui se réalise ici, c’est la somme passagère des souverainetés individuelles et non pas la traduction juridique de dynamiques sociales solidaires préexistantes. Ni le coup de force, ni l’élection et le grand soir, ne correspondent à la conception qu’a Jaurès de la Révolution. Je le cite : « L’esprit révolutionnaire n’est que vanité, déclamation et impuissance, s’il ne tend pas à organiser et à entraîner tout le prolétariat, et si, négligeant la formation de la masse, il se borne à quelques sursauts de minorités aventureuses, de même (…) croire qu’il suffirait d’une surprise électorale et d’un coup de majorité parlementaire pour faire surgir soudainement de la société d’aujourd’hui une société nouvelle, sans que l’idéal collectiviste et communiste ait été au préalable enfoncé dans les esprits, et sans que la pensée socialiste ait commencé à se traduire et à prendre corps dans des institutions gérées par le prolétariat, serait prodigieusement enfantin. »

Derrière cette mécompréhension par le populisme de ce qu’est la Révolution, ce qui se signale c’est une négligence de la sociologie au profit d’une observation du monde social à travers les lunettes de la science politique et des théories contractualistes de la philosophie politique moderne. Mais là-dessus, je me permets de renvoyer à l’entretien sur ce thème que j’ai réalisé avec le philosophe Francesco Callegaro dans Le vent se lève il y a deux ans(1). Mais quand même, je pense que les Insoumis devraient se rendre compte qu’une Constituante dans un pays où la réaction d’extrême-droite est politiquement et idéologiquement quasiment majoritaire – même si elle n’est pas encore hégémonique – n’est pas une perspective très réjouissante pour un socialiste.

LTR : LE POPULISME FRANÇAIS ENTEND AUSSI MOBILISER ET POLITISER DES AFFECTS POUR SORTIR D’UNE LÉTHARGIE LIBÉRALE. EST-CE QUE CETTE MÉTHODE N’EST PAS UN REMÈDE À LA DISPARITION DU SOCIALISME QUE VOUS REGRETTEZ ?
MLB :

Cette notion d’affect est intéressante en ce qu’elle renvoie à des dispositions présentes dans la société qui s’expriment en amont de la normalisation qu’opèrent les institutions politiques. Exiger que toutes les revendications politiques s’expriment dans les termes fixés par les normes policées de la démocratie représentative peut en effet se lire comme une manière de réguler ou d’entraver des formes de politisation. Néanmoins, dans le cas du populisme de gauche, la forme particulière d’emploi des affects pose problème.

Qu’est-ce que l’Insoumission ? C’est une réaction à ce qui est vu comme une radicalisation du libéralisme, ce qu’on appelle souvent « l’offensive néolibérale ». Autrement dit, c’est un affect réactif, ou de résistance, soyons généreux, mais pas un affect organique. En appelant à l’Insoumission vous dites à « l’offensive néolibérale » que vous ne la laisserez pas faire, mais vous ne dites pas ce que vous ferez. Vous vous opposez aux dynamiques sociales qu’accompagnent le néolibéralisme mais sans vous mettre dans la disposition de réorienter ces dynamiques vers plus d’émancipation, de justice, de solidarité. En forçant le trait, je dirais qu’il y a quelque chose dans l’Insoumission qui l’apparente à la disposition des luddistes. Or, le socialisme s’est précisément formulé comme un double dépassement du libéralisme d’une part et des simples réactions que le libéralisme suscitait, en ne proposant pas seulement d’entraver le libéralisme mais une organisation sociale différente. À son corps défendant, l’Insoumission est dépendante du néolibéralisme, elle pense qu’elle s’y oppose sans voir qu’elle est son revers.

La proximité peut même être poussée plus loin lorsqu’on observe l’organisation de la sphère de l’Insoumission : direction extrêmement réduite et centralisée, frontière faible entre son dedans et son dehors, management autoritaire révélé par certains épisodes (au moment des européennes ou au Média), etc. on retrouve beaucoup des traits des entreprises néolibérales. Ce n’est à mon avis pas un hasard si le mouvement, comme nouvelle forme d’organisation politique, émerge précisément depuis les années 2010, dans la roue de la radicalisation néo-libérale. Le rapport au chef surtout est pathologique, et ce n’est pas un point de détail. C’est plutôt la clef de voûte de l’Insoumission. Traditionnellement, le parti socialiste faisait un travail de retraduction. Il voyait dans les revendications sociales des symptômes de pathologies et, notamment grâce au travail des intellectuels, au travail des chercheurs en sciences sociales, il objectivait les causes de ces revendications. Il organisait le passage d’une réaction d’individus ou d’un groupe au capitalisme à une régulation de la société en s’appuyant sur ce que le travail intellectuel permettait de clarification de la plainte exprimée dans le mouvement social : des ouvriers manifestent localement pour une augmentation des salaires ; le parti, fort de la maîtrise d’une connaissance intellectuelle des dynamiques de paupérisation capitalistique, va remettre en cause la répartition de la propriété. Dans le passage de la plainte au combat politique, le travail intellectuel produisait un décalage important. Dans la logique populiste, le parti est réductible au chef et le chef n’a pas pour fonction de retraduire mais seulement d’incarner et d’articuler les différentes plaintes qui émanent de la société. Quand Mélenchon dit, dans cette phrase qui a tant fait parler, que le problème ce ne sont pas les musulmans, c’est le financier on a le symptôme du populisme. D’une part, une juxtaposition de deux mouvements sociaux – le combat social classique et le combat antiraciste –  artificiellement, rhétoriquement, réunis, et de l’autre une critique qui s’adresse au financier, une personne, parce qu’elle a fait l’économie d’une montée en théorie qui du financier serait remontée à la finance, de la finance aux mutations du capitalisme, du capitalisme financier aux logiques de pouvoir international, aux évolutions des formes de la propriété, à l’approfondissement du processus d’individualisation moderne, ou que sais-je. Le plus triste dans tout ça, étant surtout l’effet que produit cette structuration de l’Insoumission sur les militants. Il y a une tradition socialiste du rapport au chef qui n’est pas, comme dit Blum, « suppression de la personne, mais subordination et don volontaire ». À titre personnel quand je vois certains cadres de la France Insoumise qui ont compté pour moi et dont, comme dit encore Blum « les supériorités de talent, de culture ou de caractère » me rendaient fier d’être militant, quand je les vois rester silencieux sur les sorties de route de leur chef ou prendre sa défense envers et contre tout, je ne peux pas m’empêcher de me demander : pour un Insoumis, combien de soumissions ? Il ne peut intrinsèquement pas y avoir de socialisme dans un mouvement qui conditionne sa promesse d’émancipation à une aliénation à son chef. Donc je sais bien que la France Insoumise a un programme, qu’il est constructif. Mais la politique de la France Insoumise ne se limite pas au programme qu’elle propose, quoi qu’elle en dise. La socialisation des militants que génère l’Insoumission, les affects qu’elle stimule : tout ça c’est de la politique, et d’une politique qui n’est pas socialiste.  

LTR : BLUM A UNE CONCEPTION DU CHEF SOCIALISTE QUI S’ARTICULE AVEC UNE CERTAINE MORALE SOCIALISTE QUE DEVRAIT INCARNER ET DÉFENDRE CHAQUE MILITANT SOCIALISTE. PENSEZ-VOUS QUE CETTE VISION SOIT RÉALISTE ?
MLB :

C’est un point difficile à entendre aujourd’hui tant le socialisme moral renvoie désormais aux leçons de morale. Pour Blum, il s’agit évidemment de quelque chose de très différent. La morale que vise Blum se forge dans les groupes d’appartenances lorsqu’ils sont, de par leur place dans l’appareil productif ou leur position au sein de la nation, en position de percevoir à la fois la solidarité entre ses membres inhérente à toute société moderne fondée sur la différenciation et, d’autre part, les injustices qui persistent dans ces mêmes sociétés. C’est l’origine du rôle éminent du prolétariat. Sa place dans le processus de production lui permet de comprendre la solidarité à l’œuvre empiriquement dans les conditions matérielles de développement des sociétés modernes en même temps qu’elle le confronte aux injustices liées à la structure de la propriété. Le prolétariat subit, plus que tout autre, la tension entre solidarité immanente et injustice réelle. C’est ce qui fait de lui l’acteur révolutionnaire, c’est-à-dire l’acteur dont la prise de pouvoir politique est à même de résorber la tension, l’acteur socialiste par excellence. Mais, il n’a pas le monopole de cette double position.

D’une autre manière, chez Blum, même si c’est exprimé plus subtilement, la minorité juive à laquelle il revendique d’appartenir possède elle aussi un point de vue sur le tout. Sa position minoritaire et surtout son rythme différencié d’intégration à la société nationale, lui permet d’entrevoir les solidarités à l’œuvre dans les sociétés modernes, puisqu’elle en fait l’apprentissage en s’y intégrant, mais en même temps l’antisémitisme qu’elle subit lui donne une bonne idée des injustices que génèrent ces mêmes sociétés. La morale socialiste dont parle Blum surgit donc là où la tension entre différenciation et solidarité entre les groupes est trop forte, là où l’écart entre la précarité à laquelle peut mener l’individualisation et l’idéal de justice lié à la sacralisation de ce même individu est trop criant.              

C’est donc une morale diffuse, qui se développe à même l’expérience sociale, toujours en lien avec des positions sociales spécifiques ou des trajectoires de groupe ou d’individus particulières. Une morale que le socialisme a vocation à concentrer, à incarner et à transformer en puissance d’agir politique. Faire en sorte que la solidarité inhérente aux sociétés modernes s’institutionnalise pour permettre la plus grande émancipation individuelle, voilà son but. Ces institutions ce sont évidemment, au premier chef, l’école. Institution dont le rôle est précisément la diffusion d’une réflexivité sur la forme de solidarité propre aux sociétés modernes. Mais ce sont aussi toutes les institutions socio-économiques qui vont permettre d’accompagner les individus dans une émancipation non pathologique, c’est-à-dire qui n’oublie pas qu’elle est permise par une plus grande solidarité. Si les socialistes doivent faire la preuve d’une morale supérieure, c’est par leur volonté d’aller toujours plus loin dans la mise en place des supports collectifs de l’émancipation individuelle.

C’est peut-être sur ce point, celui de l’idéal porté par le socialisme, que l’Insoumission prônée par le populisme s’est le plus décalée. En opposant l’insoumission à une hypothétique soumission, le populisme masque ce qui a été la principale disposition encouragée par les socialistes de Jaurès à Blum : le service. L’idée du service, qu’on retrouve dans le service public, ce n’est pas du tout l’insoumission et pourtant c’est également l’inverse de la soumission. Le service, c’est le dévouement librement consenti à un idéal. C’est cet idéal qui a porté beaucoup de militants socialistes, Blum au premier chef. C’est cet idéal qui a animé beaucoup de serviteurs de l’État ou de la cause : faire preuve d’abnégation, se compter à sa juste mesure, se mettre au service d’un idéal qui implique précisément – c’est le fond de la conscience sociale de soi – qu’une large partie de son action serve la société et en son sein ceux qui, plus que les autres, sont victimes des injustices qui y perdurent.

LTR : POUR CONCLURE, NOUS SOUHAITERIONS REVENIR SUR LA VISION DE BLUM CONCERNANT LA JEUNESSE : IL N’OCCUPE PLUS DE MANDAT APRÈS LA LIBÉRATION POUR LAISSER LA PLACE AUX PLUS JEUNES, TOUT EN GARDANT LA DIRECTION DU POPULAIRE. SON PLAN EST-IL DE FORMER UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE DIRIGEANTS SOCIALISTES, CAPABLES D’AMENER LA FRANCE VERS L’IDÉAL ? EST-CE UNE STRATÉGIE QUI PEUT PORTER SES FRUITS AUJOURD’HUI ?
MLB :

Blum considère au lendemain de la guerre que sa génération a échoué et surtout que les réflexes intellectuels et pratiques qui sont ceux de sa génération ne sont plus adaptés à la situation présente. Il pense que les jeunes militants qui se sont investis dans les réflexions autour du programme du Front Populaire, dans ses aspects les plus novateurs, et qui ont ensuite combattu dans la Résistance, possèdent des qualités intellectuelles et morales qui manquent aux plus anciens et qui permettront de conduire le socialisme dans la nouvelle phase historique qui s’ouvre après la guerre. Il a en tête des hommes comme Daniel Mayer, Jules Moch, Georges Boris, etc. Mais vous comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une position de principe en faveur de la jeunesse. Blum a longtemps considéré par exemple que sa génération à lui n’avait pas été préparée par les évènements, que ses propres maîtres – Francis de Pressensé, Marcel Sembat et bien sûr Jaurès – étaient morts trop tôt. À l’échelle humaine est très critique envers les socialistes, lui compris, qui ont mené aux destinées du Parti dans l’entre-deux-guerres. Autrement dit, ce ne sont pas toutes les jeunes générations qui sont prometteuses. Il s’agit toujours d’une analyse historique et d’une adéquation entre les qualités requises à un certain moment de l’histoire du socialisme et les compétences développées par une certaine génération du fait des évènements et dynamiques historiques qu’elle a dû affronter elle-même. De ce point de vue, je pense qu’aujourd’hui aussi une place particulière pourrait revenir à une certaine jeunesse, en ce que les conditions de son développement politique sont différentes de celles de ses aînés.

La génération qui n’en finit plus de disparaître depuis vingt ans est le résultat empirique de la disparition du socialisme. C’est celle qui naît à la politique avec le Congrès d’Épinay. Le Parti Socialiste de l’après Épinay c’est tout de même un leader, François Mitterrand, venu de l’extérieur du socialisme et installé à la tête du parti par une alliance de circonstance entre le courant le plus à droite, représenté par Defferre, et le courant le plus à gauche, représenté par le CERES. Autant dire que le ver est déjà dans le fruit. Malgré les slogans, le socialisme d’un Jaurès ou d’un Blum qui possède une consistance doctrinale véritable n’a que très peu irrigué le Parti Socialiste qui s’est refondé à Épinay. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, le parti d’Épinay et ses succédanés ont donné deux partis qui revendiquent le socialisme : un libéralisme que représente le quinquennat 2012-2017 et un populisme que représente la France Insoumise. Bien que les deux s’en revendiquent, ni l’un, ni l’autre, n’a à voir avec le socialisme pré-mitterrandien qu’il faudrait raviver aujourd’hui. Le libéralisme du dernier quinquennat a quasiment disparu de la gauche en 2017, ses derniers soutiens ayant trouvé dans le macronisme une voie de reconversion naturelle. Le populisme insoumis est toujours là, mais l’aporie entre son programme d’une part et l’insoumission de l’autre n’en finit plus de se rendre manifeste et le conduirait, même avec une victoire électorale, à l’échec du point de vue du socialisme. L’espoir est donc qu’une nouvelle génération entre en scène après avoir, je l’espère, médité l’échec de ses pères. Elle viendra évidemment des rangs socialistes, insoumis, écologistes mais aussi d’ailleurs, loin des partis. Et vous-mêmes, vous êtes, à votre manière, une partie de cette nouvelle génération et votre revue une incarnation modeste mais symboliquement importante de ce renouveau. Comme disait Blum : « Jaurès aurait aimé votre œuvre ».

Entretien réalisé avant l’élection présidentielle 2022 – propos recueillis par Mathilde Nutarelli

Références

(1)Il y a quelques années nous avons essayé, Francesco Callegaro et moi, de pointer les failles du populisme français tout en indiquant la variation de ses formes notamment entre la France et l’Argentine : https://lvsl.fr/le-populisme-est-un-radicalisme-du-centre-entretien-avec-francesco-callegaro/ & https://lvsl.fr/la-relance-de-la-sociologie-est-une-partie-essentielle-dune-nouvelle-strategie-pour-le-socialisme-entretien-avec-francesco-callegaro/ 

Suppression du corps diplomatique : Macron fragilise la diplomatie française

C’est pendant l’entre deux tours qu’un décret supprime le corps des diplomates. Cette décision fait suite à d’autres réformes des grands corps de la fonction publique, culminant avec la suppression des préfets, et le changement de nom de l’ENA.

La logique est de passer de serviteurs de l’Etat organisés dans des grands corps assurant une autonomie du politique (et donc une forme de contre-pouvoir, même modéré) à un système de dépouille à l’américaine où les fonctionnaires changent avec les alternances politiques. Cela renforce encore le pouvoir du président qui est le grand nominateur des hauts fonctionnaires.

Si l’un des discours progressistes accompagnant cette réforme est de « casser l’Etat profond », c’est aussi une volonté affichée dès le programme de Macron en 2017 de politiser l’Etat.
Ce n’est bien sûr pas incompatible avec le néolibéralisme mais aussi avec le fascisme.
Marine Le Pen aura, si elle est élue, bien plus de pouvoirs même sans majorité que Jacques Chirac en 1997. Et elle en usera encore plus violemment qu’Emmanuel Macron.
Cette réforme va à rebours de 350 ans de logique de construction de l’Etat français, profondément remanié et démocratisé sous nos républiques, et en important un système anglo-saxon, va affaiblir encore notre cohésion nationale.
Dès qu’une majorité alternative dominera l’Assemblée nationale, il faudra revenir sur ce nouvel acte de la suppression des corps de fonctionnaires.

Enfin, on peut se demander l’opportunité d’un tel décret dans un entre-deux-tours, alors même que le corps des diplomates est en première ligne avec la guerre ukraino-russe.
La Gauche Républicaine et Socialiste condamne tant le fond du décret que le moment choisi pour le publier.

DIMANCHE 24 AVRIL : PAS UNE VOIX POUR L’EXTRÊME-DROITE !

Communiqué de presse de la Gauche Républicaine & Socialiste, du Mouvement Républicain et Citoyen et Les Radicaux de Gauche

Au lendemain du premier tour de l’élection Présidentielle, la première de nos tâches, c’est de faire barrage à l’extrême-droite. Pas une voix de gauche ne doit se porter sur sa candidate.

Il reste qu’Emmanuel Macron porte une lourde responsabilité dans cette situation. La politique menée depuis 5 ans a porté des coups violents à notre modèle social et républicain, suscitant la colère et le désarroi des classes populaires. Les rares annonces dévoilées pendant sa campagne préparent des régressions sans précédent pour le monde du travail : retraite à 65 ans, RSA sous condition, privatisation rampante de l’école publique.

Nous jugeons indispensable un large rassemblement des forces de gauche et écologistes aux élections législatives et des candidatures uniques dans la majorité des circonscriptions afin d’organiser la résistance à ces projets néfastes.

Les Jours Heureux : refonder la construction européenne !

L’Union Européenne se trouve aujourd’hui dans une situation à la fois paradoxale et instable.

Paradoxale car les fondamentaux de la construction européenne depuis la trahison démocratique de 2008 n’ont pas changé : la concurrence libre et non faussée, l’austérité budgétaire et le libre-échange forment toujours les piliers d’un système de gouvernement ordolibéral.

Mais ces principes sont remis en cause par une série de chocs, révélateurs d’une Europe percutée par le réel : le repli protectionniste des États-Unis, le nouvel expansionnisme chinois, la montée en puissance des GAFAM, le changement climatique et bien sûr et surtout la crise du Covid-19.

La politique européenne est devenue paradoxale, pour ne pas dire incohérente, à mesure que ces bouleversements ont été pris en compte. À Bruxelles et dans les capitales des États-Membres, on ne tient la ligne qu’à grand peine, tout en esquissant des évolutions contraires.

Les investissements étrangers sont davantage contrôlés. Les géants du numérique font l’objet de nouvelles régulations. La catastrophe climatique oblige à élaborer de nouvelles politiques publiques. Toutes choses aux accents interventionnistes et dépensiers que « l’Europe normale », celle du capital et des marchands, avait en horreur.

Le rachat (certes indirect) de la dette publique par la BCE atteint des niveaux stratosphériques et à partir de l’été 2020, un budget de relance de 750 milliards est approuvé par le Conseil, qui redistribue l’argent non plus seulement à partir des écarts de développement, mais aussi à partir des écarts de conjoncture. Ainsi, très violemment frappée par la pandémie, l’Italie ou la Grèce reçoivent des sommes auxquelles elles n’auraient jamais pu prétendre au titre des politiques habituelles.

Mais la vieille Europe ordolibérale, convaincue « qu’il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités » (Jean-Claude Juncker, 2015), se rebiffe. Admettant à contrecœur et du bout des lèvres la violation de ses dogmes, elle prend soin, via Bruxelles et les pays dits « frugaux », de maintenir les États sous la tutelle des « réformes nécessaires ».

Le logiciel européen ne fonctionne plus. Alors que la mondialisation n’offre plus que le visage de la catastrophe, elle ne jure toujours que par l’OMC et signe des accords de libre-échange, pendant que la Turquie, la Russie, la Chine et tant d’autres fourbissent leurs armes. Aux yeux de la Commission, l’Europe-puissance, l’Europe « souveraine », c’est avant tout une Europe au cœur du dispositif marchand.

L’Europe ne comprend pas qu’elle est heurtée de plein fouet par l’instabilité du capitalisme, qui la mine de l’intérieur et de l’extérieur. Le laisser-faire marchand et sa joyeuse émulation compétitive entre égoïsmes individuels engendrent une « main invisible » de l’instabilité et de la division qui s’abat sur tout le Vieux Continent et le fracture, comme en témoignent le Brexit ou les spasmes ultra-réactionnaires qu’on observe en Hongrie ou en Pologne.

Avec Fabien Roussel et son programme « Les Jours Heureux », nous partageons non seulement une analyse commune de la situation et des défis qui sont devant nous, mais nous sommes parfaitement alignés sur les solutions qu’il faut de toute urgence mettre en œuvre ! Au premier rang desquelles l’abrogation du pacte de stabilité, la mise en cause des traités européens qui ont affaibli la souveraineté populaire, la fin de l’indépendance de la Banque Centrale Européenne, mais aussi la construction de coopérations nouvelles entre États et un véritable plan de relance climatique et social d’autant plus indispensable que la guerre de la Russie contre l’Ukraine, État et peuple européens souverains, ont montré nos faiblesses collectives…

La Gauche Républicaine et Socialiste porte des propositions concrètes et détaillées pour refonder et réorienter radicalement la construction européenne. C’est ce que nous vous présentons ici.

L’Europe a plus que jamais besoin de se refonder, sans quoi les soubresauts feront place aux secousses, aux tremblements voire aux effondrements. Pour ce faire elle doit rompre avec le totalitarisme de la finance et du marché ; et s’engager sur un autre chemin, celui d’une union par et pour les peuples, une union fondée sur la coopération, des projets communs mobilisateurs et la capacité des États de peser sur les décisions qui les concernent.

En d’autres termes, nous inversons la phrase de Juncker : il ne peut pas y avoir de traité européen contre les choix démocratiques !

Le pré-requis : une Europe démocratique

Une Europe au service des citoyens respectant la souveraineté des États

Le bilan politique et démocratique de l’Union Européenne n’est guère reluisant depuis 1992. L’idéologie néolibérale qui imprègne les cadres européens et ligote le suffrage universel n’est plus tenable. Si l’Europe a un sens, c’est une Europe fondée sur la prise en compte des intérêts de ses habitants. Or à ce jour, ceux-ci n’identifient pas « d’intérêt général européen ». Pour exister, celui-ci doit non seulement respecter l’intérêt général des États-Nation mais aussi redéfinir les principes contenus dans les Traités.

DES MOYENS :

Pour un « intérêt général européen » fondé sur de nouveaux principes et le respect des États-Nation.

Au niveau national :

● Adopter une loi organique régissant les relations entre l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Gouvernement en matière européenne. Au centre du dispositif : l’instauration d’un mandat du Parlement avant chaque Conseil, assorti d’une procédure de ratification similaire à celle des ordonnances, accroissant le pouvoir de négociation, d’orientation et de contrôle des représentants du peuple sur les décisions de l’Exécutif (à noter qu’une telle procédure existe dans d’autres États-Membres, dont l’Allemagne) ;

● Conférer au Parlement un pouvoir d’amendement des règlements européens (les directives sont par natures modifiables, puisqu’elles nécessitent une transposition législative), selon une règle de majorité renforcée (par exemple les 3/5èmes) ;

● Abolir le traité d’Aix-la-Chapelle, qui instaure une sorte de directoire franco-allemand sur l’UE au mépris de partenaires et amis historiques comme l’Espagne ou l’Italie ;

● Modifier la Constitution afin de :

● Résoudre définitivement le conflit de hiérarchie des normes entre la Cour de Justice Européenne, qui estime que la totalité du droit européen (y compris les décrets, appelés « actes délégués », pris par la seule Commission) est supérieur à notre Loi Fondamentale ; et le Conseil constitutionnel, qui se refuse à l’admettre. La Constitution doit être explicitement placée au sommet de la hiérarchie de toutes les normes, nationales, internationales et européennes ;

● Protéger certaines compétences, particulièrement celles relevant d’un service public d’une intrusion du droit communautaire (sans bien sûr empêcher toute coopération européenne), par exemple en matière de… santé. En effet, qui souhaite subordonner la santé à la « concurrence libre et non faussée » ?

Au niveau européen :

● Définir davantage de limites aux « Quatre Libertés » inscrites dans les Traités (libre-circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes). Celles-ci ne peuvent généralement être entravées ou régulées qu’en cas de « force majeure » (par exemple la pandémie, le terrorisme ou l’imminence d’un défaut de paiement), ce qui n’est pas démocratiquement compatible avec la mise en œuvre de politiques différentes de celles « recommandées » par les Traités. Ainsi, nous considérons absolument indispensable d’abolir l’article 63 du Traité, qui confère un caractère presque illimité à la liberté de circulation du capital (y compris hors de l’Union Européenne !). Nous considérons également que les services publics et les marchés publics ne peuvent être soumis à la règle de « libre circulation des services » ;

● Confier le droit d’initiative législative (hors budget de l’Union) non plus seulement à la Commission, mais aussi au Parlement et au Conseil ;

● Abolir le Semestre Européen (procédure encadrant les budgets nationaux par la « règle d’or » budgétaire et l’obligation de procéder à des « réformes structurelles »). En cas de refus par nos partenaires, la France devra signifier son refus de l’appliquer ;

● Associer plus étroitement le Parlement européen aux négociations commerciales, via un pouvoir de validation de chaque chapitre des traités de libre-échange.

Une Europe exemplaire en matière de justice sociale et fiscale

Faire de l’Europe un rempart contre la libéralisation et la flexibilisation de l’économie

Les dogmes du libéralisme affaiblissent non seulement la confiance des citoyens dans l’économie, mais l’économie elle-même. Un profond changement de cap s’impose afin d’éviter le dumping entre États membres.

DES MOYENS :

● Salaire minimum européen de 1 000€ minimum, non opposable aux législations nationales plus favorables ;

● Abrogation de la directive sur le travail détaché ;

● Mettre en place un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act » voté en 1933, qui garantit aux entreprises américaines un accès prioritaire aux marchés publics ;

● Taux minimum d’impôt sur les sociétés à 20% sur les multinationales ;

● Taxe carbone aux frontières de l’Union afin de limiter les « fuites de carbone », augmentant les droits de douane du coût des gaz à effet de serre contenus dans la production des marchandises étrangères. Cible d’au moins 100 euros la tonne de carbone ;

● Taxe sur les transactions financières et sur le numérique. Interdiction du minage du Bitcoin et de toute cryptomonnaie privée, interdiction de tout paiement au moyen de ces cryptomonnaies ;

● La France instaurera une présomption d’évasion fiscale vis-à-vis de tout mouvement de capitaux vers le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas, Malte et Chypre. Elle rapatriera les sièges sociaux délocalisés dans ces pays (ex : Renault) ;

● Interdire toute délocalisation dans le but de réexporter vers les pays d’origine ;

● Faire du respect des droits de l’homme, des droits des travailleurs et de l’engagement environnemental et climatique une condition contraignante, vérifiable et sanctionnable par le Parlement européen, à la conclusion et la mise en œuvre de tout accord commercial, y compris passé ;

● Instaurer un mécanisme de suspension provisoire de tout ou partie des relations commerciales avec des pays violant les droits de l’Homme, des travailleurs, les engagements climatiques ou la propriété intellectuelle.

Une Europe indépendante et maîtresse de son destin

L’Europe peut être fière de la remise en question qui a suivi les guerres, les exterminations, les génocides et les idéologies totalitaires. Elle incarne la réconciliation entre les peuples, mais aussi l’espérance de démocratie et de prospérité partagée. Pourtant, les menaces et le spectre de l’autoritarisme refont surface dans un monde de plus en plus instable. L’Europe doit proclamer son indépendance sur la scène internationale, et promouvoir un modèle démocratique européen.

DES MOYENS

● Sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN. Boycott de toute politique de défense européenne qui lui serait subordonnée. Exclusion des investissements militaires du calcul du déficit. Remise à plat des partenariats de défense, en cours ou à venir (par exemple le SCAF, « l’avion du futur » franco-allemand) ;

● Coopération renforcée avec l’Espagne, l’Italie et la Grèce pour relancer le projet Euro-Méditerranéen, négocier et conclure un traité d’amitié et de coopération politique, économique et culturelle avec le Maroc, l’Algérie, et la Tunisie. Adopter un agenda similaire pour l’Égypte, Israël et le Liban. Soutenir la stabilisation de la Libye ;

● Reprise et accélération des négociations d’adhésion avec la Serbie et la Macédoine du Nord. Subordonner les négociations d’adhésion avec la Bosnie à une remise en état préalable de son système institutionnel.

Une Europe qui rapproche : pour une vision culturelle

Souder l’Europe à travers la culture (« admirez-vous les uns les autres » Verhaeren)

L’Europe ne peut se réduire à un simple projet économique ou à des valeurs morales. Elle doit aussi rassembler les citoyens par la culture, en valorisant les littératures, les musiques, les architectures, les savoir-faire, les philosophies, les histoires, les traditions.

DES MOYENS

● Favoriser le multilinguisme est la clé pour rendre l’intercompréhension possible, nous devons donc œuvrer en ce sens :

● À travers l’Europe, l’apprentissage d’au moins deux langues européennes pour tous les jeunes Européens dès le plus jeune âge. Le but est d’avoir des Européens trilingues d’ici une génération ;

● Les langues officielles de l’Union doivent être respectées à tous les échelons. Aucune procédure législative ne pourra être validée sans une stricte conformité à cette règle. Les réunions de travail à tous niveaux et dans tous les organes de l’Union devront alterner les langues officielles, afin d’en finir avec la pratique conformiste, paresseuse et médiocre du « tout anglais ». Des moyens supplémentaires en interprétariat (y compris numérique) devront être engagés à cet effet.

● La valorisation du patrimoine immatériel est une autre condition sine qua non de lutte contre l’uniformisation culturelle du monde :

● Nous devons proposer notre propre modèle de reconnaissance du patrimoine immatériel européen ; il faut également créer des circuits culturels européens transnationaux autour des thèmes chers à l’histoire européenne : ces circuits doivent être accessibles à toutes et tous et doivent proposer un contenu varié afin de satisfaire toutes les sensibilités ;

● Le soutien public à la création en y consacrant des fonds conséquents mais également des politiques protectrices (notamment en matière de propriété intellectuelle) est un enjeu de taille : la valorisation du patrimoine immatériel ne saurait être complète en ignorant la production continue d’œuvres immatérielles ;

● Le fond culturel européen doit devenir une réalité qui permet la diffusion de la culture européenne dans l’Europe mais également au-delà des frontières du continent afin de perpétuer et de renforcer le rayonnement culturel européen.

Éducation européenne – l’éducation est le moyen privilégié de transmission de la culture et de renforcement de la citoyenneté :

● Sortir les dépenses publiques d’éducation et de formation professionnelle du calcul des déficits ;

● Élargir le programme Erasmus pour le rendre accessible à tous les jeunes Européens (non plus seulement à certains étudiants) : en finir avec la sélection drastique qui fait des étudiants de ce programme des heureux élus.

Les Jours Heureux à Lille avec David Cayla, Stéphane Saint-André et Emmanuel Maurel autour de Fabien Roussel

Retour en vidéo sur ce dernier meeting avant le 1er tour de la campagne des Jours Heureux. Quel plaisir et quelle chaleur de nous retrouver avec les 5000 personnes venues à Lille apporter leur soutien enthousiaste à Fabien Roussel à trois jours du 1er tour.

Nous étions très heureux de retrouver notre ami David Cayla, économiste, mais aussi Stéphane Saint-André – co-président des Radicaux de Gauche – LRDG.

Dans les heures qui restent avant la fin de la campagne, nous donnerons les derniers coups de collier pour convaincre nos concitoyens de voter pour Fabien Roussel et Les Jours Heureux, car comme l’a dit hier Emmanuel Maurel à gauche « nous n’avons pas besoin de sur-hommes, mais d’hommes sûrs » et Fabien Roussel est de ceux-là car il sait pour qui et pour quoi il se bat !

Les Jours Heureux : Nous défendrons et nous renforcerons nos droits à la Retraite !

La question des retraites ne touche pas uniquement les plus âgés. Chacun de nous est concerné, car c’est tout au long de la vie que la retraite se construit. La droite, d’Édouard Balladur à Emmanuel Macron, fait preuve d’une continuité déroutante ; le président candidat a d’ailleurs pour première et principale promesse de campagne de relever à 65 ans l’âge de départ à la Retraite. Les retraites seraient un poids et coûteraient trop cher. Tout le monde sait que cette solution revient à condamner les plus modestes de nos concitoyens à mourir au travail : de cette société là, nous n’en voulons pas !

Face à ces attaques répétées, les Français ont démontré une vigilance constante. Pour autant, les risques s’accroissent car le mouvement social est sur la défensive, tandis que le néolibéralisme est offensif. Nous n’acceptons pas plus la précarisation de l’emploi que la précarisation des retraites, à laquelle elle conduit. La plateformisation de l’économie ou le retour du paiement à la tâche avec l’ubérisation mettent en péril le salariat et les acquis qui vont avec, des droits syndicaux aux retraites. Ces manœuvres pour détourner le droit du travail mèneront une majorité des travailleurs à une retraite famélique et injuste. Si nous n’agissons pas, les inégalités de genre se répercuteront ad vitam æternam avec des retraites moindres pour les femmes, le chômage de masse des plus de 50 ans se traduira par une amputation de leurs retraites du fait du recul de l’âge du départ, et le chômage de masse des moins de 30 ans grève le montant de leur retraite. La reconquête du plein emploi est intrinsèquement liée au sauvetage de notre modèle social.

Le modèle par répartition français risque d’être livré pieds et poings liés au marché dans le but de privatiser d’éventuels profits. Or seul le modèle par répartition garantit la pérennité des retraites et le maintien de leur pouvoir d’achat face à l’inflation ; au moment où cette dernière semble de nouveau s’installer relativement durablement dans le paysage économique, le combat pour consolider le modèle par répartition redevient central. La marchandisation des mutuelles y a tué l’esprit coopératif. Le gouvernement avait tenté de faire passer sa réforme des retraites scélérate et antisociale pour une réforme universaliste. Il a tenté de faire passer le nivellement généralisé vers le bas pour la promesse d’égalité et de justice de l’universalisme.

Avec Fabien Roussel, nous partageons la conviction qu’il faut rétablir le droit au départ à la retraite dès 60 ans. Dans une société où le chômage des seniors est important ou les entreprises ne font pas de nouvelles embauches pour les demandeurs d’emploi qui ont dépassé 55 ans, il est tout simplement absurde de relever indéfiniment l’âge du départ à la retraite.

Il sera enfin nécessaire de :

● Rationaliser et unifier les avantages familiaux et les règles qui prévalent en matière de pensions de réversion ;

● Rehausser le niveau de la retraite minimale comme il était prévu déjà de le faire depuis 2003 ;

● Financer les différents éléments de solidarité du système à travers des moyens séparés et clairement identifiés ;

● Prendre véritablement en compte les différences d’espérance de vie par Catégorie Socio-Professionnelle et revoir en profondeur les règles qui prévalent en matière de pénibilité ;

● Revaloriser la pension de retraite pour invalidité et faire valoir tous ses droits avant l’âge légal de départ à la retraite.

Cela passe en particulier par la réintégration des quatre critères de pénibilité, prévus par la réforme de 2014 et exclus de la réforme gouvernementale ajournée : vibrations mécaniques, port de charges lourdes, postures pénibles et expositions aux risques chimiques. Cela passe aussi par l’abaissement des seuils pour la prise en compte de l’ensemble des dix facteurs de pénibilité.

Les retraites doivent rester financées par des cotisations assisses sur les revenus des actifs couverts (on peut également concevoir que la partie solidarité dispose d’autres ressources, mais elle ne représente en réalité que 9% du montant des retraites). Ces propositions sont financièrement réalistes car, à partir de 2027, la dette sociale aura été remboursée, ce qui libérera une vingtaine de milliards d’euros à partager entre retraite et dépendance. De même, comme nous mènerons une politique active de l’emploi, il est important de rappeler qu’un taux de chômage de 7% libérerait environ 12 milliards d’euros d’excédents à l’UNEDIC. Soit, un total de 1,5 point de PIB sur les 2,4 nécessaires pour faire face à l’augmentation du nombre de retraités.

Dans ces conditions, il est également bon de rappeler que le conseil d’orientation des retraites prévoit un retour à l’équilibre des milieu des années 2030, même en tenant compte des effets à long termes de la crise du COVID. L’offensive contre le système français de retraites par répartition est donc motivée par des raisons bien éloignées des considérations de réalisme budgétaire et financier : il s’agit d’une volonté purement idéologique d’abattre un système qui échappe largement aux logiques de marché. Notre rôle est aussi d’empêcher une telle dérive dans les urnes comme dans la rue.

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.