François Geerolf : « Il se passe dans la réalité l’inverse de ce que prévoient les modèles »

François Geerolf est économiste à l’Université de Californie ainsi qu’à Sciences Po. Polytechnicien de formation, il soutient sa thèse d’économie en 2013, puis fait un post-doctorat à l’école d’économie de Toulouse en 2013-2014. Spécialiste de macroéconomie et de finance, il fustige les modèles économiques abstraits qui sont contredits par les faits et qui nourrissent alors des choix politiques peu pertinents. Propos recueillis par David Cayla

GRS : Vous avez récemment écrit un article pour fustiger la manière dont des économistes très réputés ont quantifié les effets économiques d’un embargo du gaz russe par l’Union européenne. Selon ces économistes, la rupture de l’approvisionnement en gaz russe pèserait finalement assez peu sur l’économie allemande, générant une perte moyenne de 0,3% du PIB, pour l’une de ces études, et une perte entre 0,5 et 3% du PIB pour l’autre, tandis que le coût moyen pour l’UE ne serait que de 0,2 à 0,3% du PIB, soit environ 100 euros par adulte. Comment parviennent-ils à une telle estimation ?

François Geerolf : Deux méthodes sont utilisées, qui aboutissent à des résultats très différents. La première consiste à faire tourner un modèle macroéconomique assez sophistiqué, qui prétend modéliser les interactions entre les différents secteurs de production, le commerce international, etc. Le modèle est ensuite « calibré » à partir de données provenant de tables entrées-sorties internationales. Ce que nous dit ce modèle, c’est qu’une rupture totale et immédiate (en mars 2022 !) d’approvisionnement en énergie russes (gaz et autres) aboutirait à une baisse de 0,3% du PIB en Allemagne et en Europe, ce qui représente en effet moins de 100 euros par an, donc moins de 10 euros par mois et par adulte.1 Je pense que même des non-économistes peuvent voir intuitivement que ce chiffrage ne tient pas debout : la hausse des prix de l’énergie pour les citoyens européens coûte déjà beaucoup plus que cela, et les instituts de conjoncture allemands ont déjà révisé leurs prévisions de croissance pour l’Allemagne de 4-5% depuis que les approvisionnements énergétiques russes sont plus limités ! Peut-être parce que ces résultats leur semblent également trop faibles, ces universitaires utilisent ensuite une méthode plus simple, qui ne repose que sur l’estimation d’un paramètre (une élasticité de substitution entre le gaz et les autres facteurs de production). Selon eux, cette deuxième méthode garantit dans tous les cas que les pertes de PIB ne dépasseront jamais les 3% du PIB en Allemagne dans le cas d’une rupture d’approvisionnement (ce qui est déjà un ordre de grandeur supérieur à ce qui est obtenu par la méthode plus sophistiquée).

GRS : Selon vous, quelles sont les failles principales du raisonnement de ces économistes ? Pourquoi pensez-vous que les effets d’un embargo du gaz russe pourraient être bien plus coûteux ?

FG : Très franchement, je ne sais pas par où commencer : dans mon article, je passe par 23 points de critique.2 Le problème principal, c’est sans doute qu’ils raisonnent en économistes néoclassiques, c’est-à-dire en supposant que le gaz russe sera substituable dans l’industrie, et pourra être remplacé par d’autres intrants permettant de maintenir le niveau de production. Or, il n’y a pas lieu ici de faire ce type d’hypothèse : dans beaucoup de secteurs de l’industrie, la substitution n’est tout simplement pas possible. C’est le cas évidemment lorsque le gaz est utilisé non comme source d’énergie mais comme matière première, comme dans la chimie. Mais c’est le cas aussi pour beaucoup d’autres industriels qui utilisent le gaz comme source d’énergie principale, et qui auraient besoin de temps pour remplacer, par exemple, leurs fours au gaz par des fours à l’électricité. Ils supposent de même que l’énergie peut être remplacée par d’autres intrants lorsqu’elle devient trop cher : or l’énergie ne peut le plus souvent pas être remplacée par la force de travail, sauf à un coût prohibitif. Lorsque le prix de l’énergie augmente, les entreprises n’utilisent pas davantage la force de travail : au contraire, elles diminuent la production car elles sont moins compétitives, et mettent une partie de leurs salariés au « chômage partiel ». Bref, il se passe dans la réalité l’inverse de ce que prévoient les modèles qu’ils utilisent. Tout ceci implique que les économistes ont très fortement minimisé les coûts d’une rupture d’approvisionnement par le gaz russe.

Ils nous expliquent également que le phénomène de substitution ne se produit pas seulement au niveau micro-économique, mais également au niveau macro-économique. Lorsque le gaz se fait plus rare, son prix augmente de sorte que les entreprises qui utilisent plus de gaz font faillite et sont remplacées par d’autres selon un processus de « destruction créatrice » (un de leurs concepts-phare !). De la même façon, ils voient la possibilité de substituer la production nationale par les importations comme une opportunité (par exemple, pour les engrais). Or, ces deux mécanismes par lesquels l’économie s’ajusterait à une raréfaction de l’offre de gaz ne sont pas des opportunités, mais peuvent au contraire être considérés comme néfastes pour l’économie allemande, en tout cas sur le long terme : d’une part, la prospérité allemande s’est construite en grande partie sur le développement d’une industrie chimique à haute valeur ajoutée, qu’il n’est pas si aisé de remplacer du jour au lendemain : en cela, on peut craindre une « destruction destructrice » plutôt que créatrice. D’autre part, le remplacement de la production nationale par des importations est vu par les industriels comme une menace, dans la mesure où les concurrents de l’Allemagne (en Chine, mais aussi aux États-Unis) pourraient gagner des parts de marché pendant ce temps. Or, le secteur industriel se distingue par une forme d’irréversibilité, qui fait qu’il est souvent très difficile de reconquérir des parts de marché perdues.

Un troisième point, peut-être : fidèles à leur croyance dans l’optimalité des mécanismes de marché, ces économistes n’envisagent pas d’alternative au système de prix pour gérer le rationnement du gaz : c’est-à-dire qu’ils préconisent de laisser les prix de l’énergie augmenter jusqu’à ce que particuliers et industriels soient suffisamment découragés de l’utiliser, ce qui provoquera selon eux la réduction de demande voulue. Ce qui est « amusant », c’est que cela les conduit à envisager des hausses de prix de 1300% (c’est-à-dire une multiplication par 14), voire de 3400% (multiplication par 35) qui resteraient selon eux compatibles avec une baisse du PIB atteignant 1,6% ou 2,3% du PIB respectivement. Quand on voit l’effet qu’a déjà eu un doublement ou un triplement du prix sur les ménages britanniques ou sur les industriels allemands, on se demande vraiment dans quel monde vivent ces économistes…

GRS : À la fin de votre article, vous expliquez que l’énergie et la production industrielle sont « spéciaux » ? Qu’entendez-vous par là ?

FG : En effet, l’énergie et l’industrie ont cela en commun qu’ils sont un point aveugle de l’analyse économique néoclassique. D’abord, ces deux secteurs sont caractérisés par des coûts fixes importants, ce qui implique des rendements croissants. Qui dit rendements croissants dit monopoles naturels, place pour l’intervention publique, pour la promotion de « champions nationaux », pour la politique industrielle, etc. toutes choses qui mettent les économistes néolibéraux très mal à l’aise (et qui mettent en défaut beaucoup de leurs résultats). Ensuite, l’énergie et la production industrielle sont plus essentiels que ce que ne laisse entendre le poids relativement modeste qu’ils pèsent dans le Produit Intérieur Brut ou dans l’emploi total. Pour les économistes néoclassiques, le poids dans le PIB donne une bonne idée de l’importance d’un secteur dans l’économie : si l’énergie ne représente que 2% du PIB, alors une baisse de la quantité d’énergie de 50% ne fera baisser le PIB que de 1% (on appelle cela le « théorème de Hulten »). Or, comme le remarque fort justement Jean-Marc Jancovici, cela revient à dire que le cerveau humain ne représentant que 2% du poids du corps, en enlever la moitié n’est pas si grave puisque cela ne représente qu’1%. Ce raisonnement n’est pas plus valide pour ce qui est de l’industrie : l’industrie pèse bien plus dans l’économie allemande que ses 20% de PIB. Or c’est ce genre de raisonnements qu’ils tiennent pour expliquer que si l’Allemagne se désindustrialise, ce ne sera pas si grave.

Par ailleurs, l’énergie comme l’industrie font l’objet d’une grande attention de la part des politiques, et dans le débat public, à raison. L’énergie, car on s’attache à sécuriser les approvisionnements, et on s’inquiète de sa raréfaction, notamment lorsque les énergies fossiles viendront à manquer. L’industrie, car depuis très longtemps bien des politiques s’inquiètent de la désindustrialisation et des délocalisations vers les pays émergents. Dans les deux cas, le discours des économistes néoclassiques se veut rassurant : pour l’énergie, ils considèrent que la crainte d’un tarissement de l’énergie relève du malthusianisme. D’ailleurs, dans le modèle de Solow qui sert de base à la réflexion macroéconomique, l’énergie ou les ressources naturelles n’apparaissent même pas comme un facteur de production à part. Pour l’industrie, les économistes néoclassiques dénoncent depuis très longtemps le « fétichisme industriel » des politiques. C’est encore le cas aujourd’hui, même après la crise du Covid-19 qui a pourtant amené à une prise de conscience chez beaucoup de décideurs. En cela, leur position sur la relative innocuité d’une rupture d’approvisionnement du gaz russe s’inscrit dans une certaine forme de cohérence.

GRS : Pensez-vous que cette étude a eu un impact sur les décisions politiques ? Les autorités européennes et françaises lui ont-elles accordé du crédit ?

FG : Cette étude a en tout cas bénéficié d’un fort effet de légitimité, car elle émane de chercheurs très réputés dans leur domaine (l’un d’entre eux est par exemple lauréat 2017 du très prestigieux« prix Bernácer », remis au meilleur macroéconomiste européen de moins de 40 ans) et qu’elle a reçu l’appui des prix « Nobel » d’économie Paul Krugman ainsi que Esther Duflo and Abhijit Banerjee, ce qui a évidemment renforcé sa crédibilité auprès des politiques. Les économistes mainstream se sont rangés comme un seul homme derrière cette étude, accusant ses détracteurs d’incompétence et d’illégitimité, voire d’un positionnement « anti-science ».

En Europe, cette étude a été brandie par plusieurs parlementaires européens pour réclamer un embargo immédiat et rapide des énergies russes, et faire pression sur la Commission Européenne. La Commission a d’ailleurs décidé de « couper la poire en deux » en annonçant une sortie complète des énergies russes dans le futur, ce qui a fait augmenter les prix de l’énergie via des phénomènes spéculatifs… et ce qui a paradoxalement aidé la Russie plutôt que de la sanctionner. En France, l’étude a été reprise par le Conseil d’Analyse Économique qui conseille le gouvernement et le premier ministre français. Cela a à mon avis contribué à rendre le gouvernement français très optimiste sur la situation économique future : en septembre, et après la fermeture de Nord Stream, les économistes du Trésor prévoyaient encore une croissance de 1% pour la France, de 0.8% pour l’Allemagne en 2023. Par ailleurs, le gouvernement français est seulement en train de prendre la mesure des difficultés que la hausse des prix de l’énergie va causer sur le tissu industriel, notamment en termes de compétitivité par rapport aux concurrents chinois et américains, mais aussi européens (les gouvernements peuvent aider leur industrie de manière très inégale).

En Allemagne, les économistes ont dès le départ dû faire face à une plus forte opposition politique. Malgré leur pression insistante, le chancelier allemand Olaf Scholz n’a pas décidé en mars 2022 d’embargo immédiat et brutal sur toutes les énergies russes, en particulier sur le gaz ! Les médias ont demandé des comptes aux politiques sur la base de cette étude : interrogé à propos de l’étude des neuf économistes par Anne Will (qui présente le talk-show le plus regardé en Allemagne), Olaf Scholz s’est agacé : « Ces économistes ont tort !  Il est irresponsable d’affirmer des choses pareilles à partir de modèles mathématiques qui ne fonctionnent pas vraiment. » J’espère avoir montré qu’il avait entièrement raison sur ce point. En juin 2022, Robert Habeck, le vice-chancelier allemand en charge de l’économie, s’est également moqué de ces économistes « rassuristes » lors d’une réunion publique, en remarquant qu’ils étaient devenus bien plus silencieux depuis que tout le monde avait compris que les effets seraient bien plus graves que ce que ne disaient leurs modèles. De manière générale, j’en viens à me demander si les résultats économiques de l’Allemagne, notamment en termes de maintien du tissu industriel, ne tiennent pas beaucoup à ce qu’ils sont capables de tenir les économistes néolibéraux à bonne distance.

GRS : Plus largement, qu’est-ce que cette étude révèle de la science économique contemporaine, selon vous ?

FG : Là encore, je ne sais pas où commencer, tant je pense que cette étude révèle énormément de choses de la « profession » ! D’abord, je l’ai déjà dit, un rapport tout particulier aux sujets énergétiques et industriels, en décalage total avec la vision des ingénieurs mais aussi des politiques et tout simplement, du « bon sens ». Ensuite, une certaine forme d’hubris voire d’arrogance de la part des « économistes stars » : pour penser que les ingénieurs travaillant dans l’industrie allemande, le gouvernement allemand ont tous tort sur les possibilités de substitution du gaz russe, alors qu’on n’a pas particulièrement travaillé sur ce sujet complexe, il faut avoir une sacrée confiance en soi. Ensuite, une forme de corporatisme des économistes (qu’ils sont très prompts à dénoncer pour les autres professions), avec une critique très forte des ingénieurs et des industriels allemands, défendant nécessairement la vision de leur « lobby ». L’usage de l’argument d’autorité, également : la plupart des économistes qui ont relayé le papier et pris la défense de cette étude ne le faisaient pas en argumentant à partir de l’article, mais se fondaient sur la seule réputation de ces chercheurs. L’incapacité à répondre à une réponse argumentée, ensuite : à plusieurs reprises, j’ai tenté d’engager la discussion avec ces économistes, sur Twitter, par oral (via l’organisation d’un séminaire au Conseil des experts économiques allemands), ou via l’écriture de cet article, mais en vain.

Mais peut-être, ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est de voir à quel point l’utilisation des mathématiques par les économistes a non seulement rendu plus difficile la critique, mais a aussi amené ces économistes à se fourvoyer. (L’article contient plusieurs erreurs de raisonnement dues aux mathématiques, ce que l’économiste Paul Romer appelle « mathiness ».) S’ils avaient été davantage contraints d’expliquer leurs résultats dans le langage commun, ces économistes comme leurs lecteurs auraient peut-être davantage pu voir que quelque chose n’allait pas.

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1 Voir Bachmann, R., Baqaee, D., Bayer, C., Kuhn, M., Löschel, A., Moll, B., Peichl, A., Pittel, K., & Schularick, M. (2022). What if? The Economic Effects for Germany of a Stop of Energy Imports from Russia. In EconPol Policy Reports (No 36; EconPol Policy Reports). ifo Institute – Leibniz Institute for Economic Research at the University of Munich. En France, cette étude a été reprise et étendue par le Conseil d’Analyse Économique ainsi que par le CEPREMAP. Voir Baqaee, D., Landais, C., Martin, P., Moll, B. (2022). “The Economic Consequences of a Stop of Energy Imports from Russia.” Focus du Conseil d’Analyse Economique (CAE). Langot, F., Tripier F., « Le coût d’un embargo sur les énergies russes pour les économies européennes », Observatoire Macro du CEPREMAP, n°2022-2, avril 2022.

2 Voir Geerolf, François. The “Baqaee-Farhi approach” and a Russian gas embargo – some remarks on Bachmann et al. Sciences Po OFCE Working Paper, n° 14/2022.

« Au niveau européen, la laïcité ne va pas de soi »

entretien accordé à Marianne par Emmanuel Maurel – Propos recueillis par Hadrien Brachet et Jean-Loup Adenor – publié le 10 décembre 2022

A l’origine d’un amendement pour interdire le financement par les institutions européennes de structures concourant au « prosélytisme religieux », le député européen Emmanuel Maurel a répondu aux questions de Marianne.

Dans l’immense arène qu’est le Parlement européen, il est l’un de ceux qui tentent de perpétuer la tradition laïque de la gauche. En octobre, l’eurodéputé GRS Emmanuel Maurel déposait un amendement pour que l’Union européenne ne finance plus d’organisations concourant au « prosélytisme religieux ».

Une réponse aux accusations faites aux institutions européennes d’avoir soutenu des visuels promouvant le hijab ou financé des associations proches des Frères musulmans. Le PPE (Parti populaire européen, la droite européenne) et le groupe Renew, dont fait partie la Macronie, avaient également présenté leurs propres amendements sur le sujet. Si son texte, contrairement aux deux autres, a finalement été rejeté, Emmanuel Maurel revient auprès de Marianne sur la place de la laïcité dans les institutions européennes.

Marianne : Vous avez proposé un amendement pour que les fonds européens ne financent pas des structures concourant au prosélytisme religieux. Qu’est-ce qui a motivé cette initiative de votre part ?

Emmanuel Maurel : C’était une réaction au financement par la Commission européenne d’actions sous influence de l’islamisme politique, ou qui faisaient la promotion des signes religieux en général. Certains découvrent le sujet seulement maintenant mais ce n’est pas nouveau ! Avec plusieurs collègues, je me bats depuis des années pour que le prosélytisme ne soit plus soutenu par les institutions de l’UE. Et c’est un combat de longue haleine.

La France n’est-elle pas isolée dans ce combat ?

Il y a incontestablement des différences d’approche entre les États-membres. Nous, Français, qui sommes imprégnés des principes de laïcité, nous sommes parfois heurtés par des pratiques beaucoup plus permissives à l’égard de la religion. Je me souviens qu’au début de mon premier mandat, mes interlocuteurs d’autres pays européens ne comprenaient même pas de quoi je parlais. Au niveau européen, on est dans un univers culturel et politique où la laïcité ne va pas de soi.

Plus largement, comment expliquez-vous que l’Union européenne soit perméable à des organisations politico-religieuses, notamment récemment des structures proches de l’islam politique ?

Ces organisations jouent de l’idée que la diversité étant une chance pour l’Europe. C’est d’ailleurs sa devise : « unis dans la diversité ». Il faut tout respecter, même ce qui n’est pas respectable, comme les revendications les plus agressives de certains porte-parole autoproclamés des musulmans.

Rappelons que dans ce monde, le voile est utilisé par des pouvoirs réactionnaires et totalitaires pour soumettre la femme ! Il y a une forme d’aveuglement chez ceux qui refusent de voir la contradiction entre le voile et le féminisme. En Europe et en France, ils en viennent à considérer toute position laïque comme islamophobe, et assimilent à du racisme la critique d’une religion et de ses dogmes.

Votre amendement différait de ceux du PPE et de Renew qui mentionnaient respectivement la promotion du « hijab » ou le financement des « Frères musulmans ». Pour votre part, vous ne citiez aucune organisation religieuse. Pourquoi ?

Mon amendement était rédigé pour mettre la politique européenne à distance de toutes les religions. Les entorses à la neutralité de l’État sont en effet légion sur notre continent. On pense par exemple à l’emprise démesurée de l’Église catholique en Pologne, sur son administration, sur ses dirigeants et sur la plupart de ses députés au Parlement européen. J’avais vraiment à cœur de dénoncer le prosélytisme religieux, et pas telle ou telle religion, encore moins tels ou tels croyants. Résultat : j’ai irrité la droite du Parlement, qui a voté contre mon amendement au motif qu’il remettait en cause les racines chrétiennes de l’Europe.

Vous pensez que François-Xavier Bellamy s’oppose à la promotion du voile non pas par attachement à la laïcité mais par défense du catholicisme ?

C’est un collègue pour qui j’ai estime et respect, un des rares intellectuels dans le monde politique. Pour lui, l’Europe fait avant tout face à un enjeu de civilisation. Pour moi, l’Europe doit avancer vers davantage de sécularisation, faute de quoi risquent de prospérer les discours de retour aux superstitions et de négation de la raison, voire de guerre civile. Mes oppositions avec François-Xavier Bellamy sur la place du spirituel sont philosophiques – et elles agitent le débat public en Europe au moins depuis la Révolution française.

Selon vous, comment devrait se positionner la gauche européenne sur cette question ?

On parle beaucoup de l’offensive de l’islam politique, mais la résurgence de la religiosité est un phénomène bien plus large, qui charrie notamment une défiance vis-à-vis de la science. De nombreux penseurs et universitaires s’en inquiètent à juste titre. Parmi eux, je pense à Stéphanie Roza, qui montre dans ses travaux passionnants que les Lumières sont dans le viseur et qu’elles sont menacées, y compris à gauche ! Mais de nos jours, rien que dire cela est devenu « problématique ».

Cela devrait pourtant nous rassembler, car les conséquences sont graves : en témoigne la pression – hélas couronnée de succès – des évangélistes américains, brésiliens, ou des intégristes catholiques polonais contre l’avortement. Toutes les petites compromissions avec les intégrismes, toute complaisance à l’égard de la bigoterie, ont un prix, que les sociétés finissent toujours par payer, au premier rang desquelles les femmes. C’est un combat qui mérite d’être mené et que je porte en essayant de bousculer la torpeur, l’indifférence et les réticences à s’aventurer sur ce terrain.

La situation en Iran ne contribue-t-elle pas à une prise de conscience ?

Bien sûr, mais j’aurais aimé que les Lumières projetées par les femmes iraniennes nous éclairent davantage. Ce qui se passe en Iran témoigne de l’inanité des thèses relativistes : oui, il y a bien des valeurs universelles. Je suis surpris qu’en dépit de cette éclatante démonstration de résistance contre l’obscurantisme, certains progressistes ne fassent pas le lien entre leur combat quotidien et la nécessité de lutter contre l’impérialisme clérical, ici comme ailleurs.

À gauche, ce sont les Verts pour qui la culture laïque à la française semble le moins aller de soi. Ce sont ceux, à gauche, qui ont le moins voté votre amendement…

L’écologie politique abrite effectivement en son sein des grilles de lecture qui ne voient aucun risque dans le différentialisme. On peut l’expliquer par la genèse et l’histoire des mouvements écolos des tout débuts, dans les années 1970 et 1980. À cette époque, le gauchisme sociétal et culturel dominait et les Verts en ont eux aussi subi l’influence, s’obligeant à épouser toutes les causes minoritaires quelles qu’elles soient.

Cela a créé chez EELV des décalages et des contradictions. J’en vois deux principales : la première entre leur féminisme intransigeant et leur relativisme par rapport aux questions religieuses. La seconde entre leur radicalité réformatrice et leur défiance vis-à-vis de l’État, dans lequel ils voient avant tout un système d’oppression, alors qu’il est avant tout, en France, le garant de l’intérêt général et un vecteur d’émancipation.

Que pensez-vous de l’action du gouvernement français qui a écrit à la Commission sur le financement d’organisations proches des Frères Musulmans ?

Le macronisme n’est pas exempt d’ambiguïtés sur la place du religieux, comme en témoigne le discours d’Emmanuel Macron en 2018 devant la Conférence des évêques de France, sur le lien entre l’État et l’Église qu’il faudrait « réparer ». Quant à la droite, elle est tout sauf irréprochable : rappelez-vous Nicolas Sarkozy qui lors du discours de Latran en 2007, avait déclaré que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ».

Il y a en France un déclin du militantisme laïque. Le relativisme consumériste, selon lequel tout se vaut, est consubstantiel à l’idéologie néolibérale et porte des coups violents à l’humanisme universaliste. La République respecte évidemment les différences, mais elle porte en son cœur l’idéal d’égalité, qui va au-delà de ces différences. Pour faire simple, la République ce n’est pas juste « vivre ensemble », c’est aussi « vouloir vivre ensemble ».

Tensions commerciales Europe États-Unis : la Commission doit riposter

tribune publiée par Emmanuel Maurel dans Libération le 9 décembre 2022

Le «green deal made in USA» constitue une énorme incitation à délocaliser les investissements hors d’Europe. La commission européenne doit sortir de son coma idéologique et protéger ses intérêts, estime le député européen Emmanuel Maurel.

Les relations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis se sont subitement tendues, au point d’être portées sur la place publique par la Commission, mais aussi par l’Allemagne et par la France, à l’occasion de la promulgation de l’«Inflation Reduction Act» (IRA). Ce plan d’une ampleur sans précédent prévoit 370 milliards de subventions aux entreprises établies outre-Atlantique pour accélérer la transition énergétique et écologique.

Les Européens ont toutes les raisons de craindre l’IRA. Non seulement ce programme subventionne les entreprises engagées dans la lutte contre le changement climatique, mais il conditionne les aides à la fabrication de composants clés des véhicules électriques et à leur assemblage sur place. Ce «green deal made in USA» constitue donc une énorme incitation à délocaliser les investissements hors d’Europe, au moment précis où elle est frappée de plein fouet par la crise de l’énergie.

L’IRA fera probablement l’objet d’une plainte de l’Union européenne devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais cette démarche n’a aucune chance d’aboutir. En effet, les Etats-Unis peuvent bloquer toute décision défavorable en faisant simplement appel, car le mandat des juges américains siégeant à l’OMC est expiré et ils refusent de les remplacer.

Comportement unilatéral et dominateur

La seule riposte logique – et efficace – de l’UE serait de faire la même chose que les Américains. Eux savent se donner les moyens de ne dépendre de personne. Sur les grands enjeux – finance, écologie, numérique, innovation technologique, politique industrielle –, les Etats-Unis mènent la course en tête et entendent ne céder aucun pouce de terrain. Pire : leur comportement unilatéral et dominateur montre qu’aux yeux des élites politiques, économiques et technocratiques américaines, il n’y a rien de mal à conserver leur leadership en affaiblissant jusqu’à ses plus proches alliés.

Pour ma part, je ne reproche pas aux Etats-Unis de protéger leurs intérêts… dès lors que nous protégeons aussi les nôtres ! Mais à Bruxelles, la dévotion de certains dirigeants au libre-échange a franchi toutes les limites du fanatisme. Margrethe Vestager, commissaire chargée d’une concurrence qui n’existe plus depuis le vote de l’IRA, s’est empressée de déclarer son hostilité à toute mesure de réciprocité européenne, dénonçant par avance toute «course aux subventions».

Avec Valdis Dombrovskis, commissaire au commerce, elle dit non au «Buy European Act» prôné par la France et soutenu par le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck ; et non à tout programme de subventions européennes équivalant au programme américain. A leurs yeux, tout peut être sacrifié sur l’autel du libre-échange et de la relation transatlantique, notre industrie, nos emplois, nos compétences et par extension «l’autonomie stratégique européenne» dont on nous rebat sans cesse les oreilles.

Paillasson européen

Les Etats-Unis s’affranchissent du libéralisme mercantile si cher à Margrethe Vestager et Valdis Dombrovskis ? Washington acte brutalement la fin de la mondialisation en s’essuyant sur le paillasson européen ? Qu’à cela ne tienne : coopérons avec les Américains, répondent nos commissaires, et acceptons de nous plier à leurs conditions. Ils ont même inventé un endroit pour ça : le Trade and Technology Council (TTC), lancé à Bruxelles en juin 2021 en présence de Joe Biden, deux semaines avant que l’Union européenne «suspende» la taxe sur les Gafa et avalise ainsi leur impunité fiscale. Le «T» de Trade est l’incubateur d’une relance des négociations en vue d’un accord commercial transatlantique. Et sous couvert de «dialogue» et «d’échanges», le «T» de Technology institutionnalise la prédominance américaine sur le numérique. Tout cela sans validation par le Parlement européen.

Dans l’indifférence du public à l’égard du quotidien diplomatique, le TTC avance tranquillement sur des questions essentielles, où l’Europe est en retard : intelligence artificielle, identité numérique, Internet des objets, infrastructures de transmission des données, normes de chargement des voitures électriques, mais aussi contrôle des exportations, etc. Cette instance «supra-supranationale» décide de tout sans que personne n’en sache rien. Le seul dirigeant européen à s’être montré ferme à l’égard de cette anomalie démocratique est Thierry Breton, qui a refusé de participer à la dernière réunion, en protestation contre la politique commerciale américaine. Reste à savoir s’il sera suivi. Cette confusion n’est pas à l’avantage de l’Union européenne, c’est le moins que l’on puisse dire.

Il est grand temps que la Commission mette de l’ordre en son sein, sorte de son coma idéologique et revienne au réel. Accumuler les concessions aux Américains ne nous sera d’aucun secours. Et vouloir à tout prix ressusciter une mondialisation libérale tuée par les Etats-Unis et par la Chine, en s’accrochant désespérément aux règles de l’OMC, se paiera du prix de notre indépendance et de notre liberté.

Raison et liberté de conscience sont nos seules boussoles

Communiqué de la Gauche Républicaine et Socialiste, jeudi 8 décembre 2022

À l’occasion de la Semaine de la Laïcité et de la Journée nationale de la laïcité ce vendredi 9 décembre 2022, la Gauche Républicaine et Socialiste réaffirme son attachement aux principes républicaine nés des Lumières et de la Révolution française, et à la loi de 1905 concrétisant la séparation des Églises et de l’État. C’est pour nous, militants républicains de gauche, un principe intangible et inscrit dans le marbre.

La laïcité est l’outil d’une triple libération : la libération du sujet accédant à l’indépendance intellectuelle et morale par l’exercice de la Raison ; la libération de l’État dégagé de la pression des religions et de leurs organisations ; la libération des religions échappant à la tutelle des autorités politiques qui voudraient en faire des instruments.

Reconquérir la République laïque est un combat social de tous les instants, en France et dans le monde. Nous voulons :

  • L’application de la loi de 1905 (rien que la loi mais toute la loi) ;
  • La suppression du Concordat en Alsace-Moselle et les dispositions contraires à la laïcité dans les départements et régions d’Outre-Mer ;
  • Le rétablissement et le renforcement des outils et moyens nécessaires pour combattre les dérives sectaires comme la MIVILUDES ;
  • L’interdiction des écoles privées hors contrat ;
  • La réorientation des financements publics vers l’école publique à l’issue d’un plan organisant le retour au principe « école publique : financement public ; école privée : financement privé » ;
  • La mise en œuvre d’un plan de relance de l’éducation populaire laïque dans l’ensemble de nos territoires ;
  • La formation de tous les agents de la fonction publique sur les questions de la Laïcité.

La Gauche Républicaine et Socialiste apporte son soutien aux événements qui ont lieu en France métropolitaine et outre mer. Elle appelle ses militants à s’y associer et à prendre toute leur part pour marquer cette journée nationale.

Fin de comédie amère pour l’examen du budget au Sénat

La droite et la macronie s’accordent en matière budgétaire sur deux mantras : il faut baisser les impôts de production ; il faut réduire la dépense publique…

Peu importe l’absence totale de résultats en matière économique du premier verset – voilà près de 30 ans que cotisations sociales et impôts sont baissés sans jamais améliorer notre compétitivité et notre balance commerciale – les cadeaux fiscaux aux dirigeants d’entreprises, aux actionnaires, aux plus aisés de nos concitoyens (le premier quinquennat Macron n’en a pas manqué, le second poursuit dans la lignée) continuent de s’empiler. Cette année, le projet de budget sort du Sénat comme il y était arrivé en matière de taxation du capital : refus d’ne nouvelle modalité d’imposition des multinationales fondées sur le chiffre d’affaires pour lutter contre l’évasion fiscale ; refus du rétablissement d’une véritable exit tax pour lutter contre les évadés fiscaux ; refus de la taxation des superprofits indispensable mesure de justice fiscale ; refus d’augmenter la taxe sur les transactions financières, la taxation des dividendes versés (44,3 Mds € pour le seul second trimestre de 2022, et ça n’est même pas un record !) ou la taxation des dividendes reçus.

Le deuxième verset implique dans la suite du premier de se priver des moyens nécessaires pour conduire des politiques publiques dignes des défis auxquels est confronté notre pays et des attentes des Français.

Après avoir refusé les propositions de recettes il fallait toute l’inventivité de la droite sénatoriale et du Gouvernement pour expliquer que nos concitoyennes et nos concitoyens allaient voir leurs factures d’électricité exploser cette année de 15%, après une augmentation de 4% l’année précédente, après une envolée de 50% sur les 10 dernières années. Les Français payaient, avant la guerre en Ukraine, les décisions coupables d’ouverture au marché de l’énergie et les sous-investissements chroniques dans l’énergie nucléaires. Le bouclier énergie n’y peut rien, même à 45 milliards d’euros… Si la France se dotait des moyens nécessaires nous pourrions répondre à ces défis dans l’urgence et même entamer la réparation nécessaire des erreurs structurelles qui se sont accumulées sous l’effet de 15 années de politiques néolibérales.

Une satisfaction cependant : les sénateurs n’ont pas poussé le vice jusqu’à cautionner le scandale budgétaire sur la mission « Cohésion des territoires », qui préside aux crédits de la politique du logement de la la politique la ville. Peut-être que sur ce sujet, à propos duquel notre camarade Marie-Noëlle Lienemann (en vidéo ci-dessous) porte une parole respectée, les sénatrices et sénateurs perçoivent mieux que sur d’autres la « bombe sociale » en gestation ; c’est d’ailleurs la pire ironie de la situation : l’expression est du ministre du logement lui-même, Olivier Klein, dernier transfuge PS arrivé en macronie, quelques jours à peine avant que la Haute Assemblée ne vote contre cette mission budgétaire… un ministre qui avoue la catastrophe en devenir mais qui a abdiqué l’ambition d’obtenir les moyens nécessaires pour y remédier.

Un dernier mot sur les conditions du débat budgétaire.

La révision constitutionnelle a tendu à sacraliser les lois de programmations des finances publiques qui, sans aller jusqu’à une règle d’or intangible, a contribué à réduire le champ d’expression du Parlement. Le droit d’initiative des parlementaires est de plus en plus réduit à peau de chagrin par une interprétation toujours plus restrictive du « parlementarisme rationalisé » : en réalité, le seul qui peut amender le budget c’est le gouvernement. Par ailleurs, la fixation d’un calendrier contraint a débouché sur des situations ubuesques qui ont obligé les parlementaires des tous les bancs à retirer l’intégralité de leurs amendements dans le cadre de la mission « agriculture, alimentation et forêts ». Comprenez bien qu’il faut se dépêcher d’aller vers un huitième 49.3 à l’Assemblée Nationale ! La démocratie parlementaire en sort un peu plus abimée, on en vient presque à espérer que nos concitoyens ne regardent pas les débats parlementaires pour qu’ils n’aient pas envie de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Plus que jamais, l’examen du budget 2023 aura démontré que l’urgence d’une bifurcation en matière de politiques publiques est inséparable d’une profonde refonde de notre démocratie républicaine.

Hausse des péages d’autoroute : non à l’inflation par la rente !

Au 1er février 2023, les péages augmenteront à nouveau de près de 5% en moyenne.

La Gauche Républicaine et Socialiste s’oppose fermement à cette décision inflationniste qui ne profitera qu’aux actionnaires et aux dirigeants des sociétés délégataires et va accroître la rente confiscatoire liée à la privatisation des autoroutes.

Alors que le prix du carburant a explosé et que, pour de nombreux Français parmi les moins favorisés, l’utilisation de la voiture comme moyen de transport ne connaît pas d’alternative, cette décision du gouvernement vient un peu plus contribuer à l’appauvrissement de nos concitoyens résidant en zone rurale et périurbaine. Ces territoires ont été les victimes de 30 ans de déflation des salaires et de désindustrialisation massive. Aujourd’hui, leurs habitants subissent de plein fouet l’inflation. Contribuer à l’augmentation générale des prix pour favoriser les revenus du capital est inacceptable.

Nous réaffirmons la nécessité de renationaliser les autoroutes, afin que les revenus issus des péages ne soient plus accaparés par quelques sociétés et leurs actionnaires, mais qu’ils profitent au contraire au développement de moyens de transport décarbonés.

Le rapport parlementaire de M. Jean-Paul Chanteguet sur les concessions autoroutières (2014)

Production, échanges et transition écologique : l’Europe n’a pas de stratégie

David Cayla, économiste, était sur le plateau de « C ce soir » sur France 5 le jeudi 1er décembre 2022.

Le modèle exportateur allemand n’est pas compatible avec la transition écologique et mène l’UE dans l’impasse.
Au lieu de critiquer la loi Biden qui privilégie la production de batteries électriques sur son sol national, faisons la même chose! Il est absurde de vouloir déplacer des batteries d’un bout à l’autre de la planète alors qu’on est parfaitement capable de les produire localement.
Plus largement, il faut mettre fin à cette mondialisation mortifère qui pousse les commerçants et les industriels à privilégier systématiquement la production dans des pays les moins coûteux dans lesquels il n’y a aucune liberté syndicale et pratiquement aucune norme écologique.
Biden à raison de vouloir relocaliser sur son territoire la fabrication de véhicules électriques. Faisons pareil quitte à tordre le bras de l’Allemagne.

Le gouvernement disjoncte sur l’énergie

La communication gouvernementale tourne en boucle sur les différents scénarios susceptibles d’éviter les black-out cet hiver.

Les Français ne sont sans doute pas assez économes en énergie, et c’est donc à eux que la communication publique s’adresse en exigeant que « tout le monde » fasse un effort : « mettre le thermostat à 19°C et mettre un pull, c’est quand même pas la mer à boire »… autant de petites phrases suggérées qui font passer les habitants de notre pays pour des irresponsables.

Le Président en appelle donc à une sobriété collective, la Première Ministre monte au créneau et assure le service après-vente tandis qu’Agnès Pannier-Runacher garantit qu’il n’y aura pas de « police des températures ».

Pendant ce temps, face au prix de l’énergie et faute de chauffage, des écoles accueillent des enfants avec des températures à 10 °C.

En même temps, pas besoin de police des températures quand on n’allume pas le chauffage et quand cela fait plusieurs années que nombre de nos concitoyens baissent déjà le chauffage à 19°c , non pour sauver la planète ou éviter la surtension du système, mais parce qu’ils n’en ont plus les moyens ou quand d’autres encore doivent parfois surconsommer pour atteindre les 19°c car vivant dans une « passoire thermique » qui n’est jamais rénovée.

Une situation surréaliste !

Tout ça paraît quand même surréaliste, même si on peut comprendre ce qu’engendre le conflit déclenché par la Russie, on peut raisonnablement se poser la question de notre capacité à être autosuffisants, et même produire pour nos voisins européens une énergie, qui plus est, décarbonée, en tant que 2e puissance nucléaire civile au monde.

Nous possédons aujourd’hui 54 réacteurs pour une capacité de production de 61 GW. Mais 32 réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt pour des opérations de maintenance, ramenant ainsi notre capacité de production à moins de 50 %, soit à peine 30 GW.

Sur l’âge du parc nucléaire français, pas de surprise, on le connaît depuis sa création, mais c’est sur son état qu’il faut se poser les questions…

Cette filière, qui était d’excellence voici encore quelques années, a été mise à la diète politiquement sans qu’une alternative ambitieuse vienne la compenser.

Et c’est tout juste à deux mois de l’élection présidentielle que le chef de l’État annonce une volte-face sur sa politique énergétique. Pour atteindre la neutralité carbone, il veut construire 14 réacteurs EPR et prolonger au-delà de cinquante ans la durée de vie des réacteurs existants.
Encore un exercice de communication à l’heure où les acteurs nucléaires français n’ont pas été capables de mettre en service un seul réacteur EPR.

De même, prolonger au-delà de cinquante ans la vie des réacteurs existants nécessite une maintenance poussée et planifiée.

On a besoin d’énergie, on a une appli!

À la place, on a une nouvelle application, ECOWATT, pour nous prévenir 48 heures avant que nous allons être coupés, mais il n’y aura rien pour nous dire quand ce sera rétabli, les communications ayant de grandes chances d’être à ce moment là elles aussi coupées.
Emmanuel Macron agit en communiquant, en stratège électoral (quoique sur ce point son acuité se soit un peu émoussée), agitant ses dossiers et ses tableurs sans jamais faire la connexion avec le terrain, la logistique, les hommes formés, mais jamais il n’agit en Président.

Gouverner, c’est prévoir, et c’est prévoir autre chose qu’une alternative entre Black Out et délestages en plein hiver !

Antoine Parrot

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