Mardi 3 août 2021, notre camarade David Cayla a partagé un graphique des journalistes de France Info qui montre une corrélation entre les niveaux de revenu et le taux de vaccination. Nous avons nous-mêmes partagé ce graphique dans notre article du 4 août. Il est montré que plus on habite dans une ville riche, plus on se fait vacciner.
Beaucoup se sont interrogés sur le sens de cette corrélation.
J’entends que ce serait lié au niveau d’instruction ou même d’intelligence, à la faiblesse des services publics, à des considérations politiques (les macronistes se vaccinant plus), au conformisme des classes supérieures…
Le problème de ces explications est qu’elles analysent la réticence vaccinale comme la conséquence de choix purement individuels. Or, au contraire, nous avons plutôt affaire à un phénomène social, qui résulte de l’histoire récente et de choix politiques. Autrement dit, si les classes populaires se vaccinent moins que les classes supérieures, c’est surtout en raison des dysfonctionnements de la société française et non parce qu’elles-mêmes sont pauvres ou peu instruites. Ce dysfonctionnement est celui de la défiance que ressent une grande partie de la société vis-à-vis des institutions et du pouvoir politique actuel. Elles rejettent le vaccin car elles rejettent ceux qui le promeuvent.
La question est de savoir pourquoi.
On pourrait penser que c’est logique : plus on est pauvre et exclu, moins on a confiance et donc moins on veut se faire vacciner.
Mais pourquoi la confiance dans les institutions devrait-elle être indexée sur le niveau de revenus? Il n’y a aucune fatalité sociologique. Nous plaidons pour une réponse alternative qui s’appuie sur le dernier ouvrage de David Cayla, Populisme et néolibéralisme, dans lequel il étudie les causes du populisme. Le terme populisme n’est pas péjoratif et ne renvoie pas à un contenu programmatique spécifique.
On peut définir le populisme comme un ensemble de mouvements antisystème qui sont fondés sur l’opposition entre le peuple et les élites. Dans ce livre, David Cayla a cherché à définir quel était le terreau sociologique qui favorise l’émergence de tels mouvements. La question n’est pas neuve. Pour le politologue Yascha Mounk, le populisme serait la conséquence de la dissociation entre les principes démocratiques et les valeurs libérales. Ainsi, l’expérience grecque démontre, selon Mounk, que la libérale UE serait devenue anti-démocratique.
Mais d’où vient cette crise de la démocratie libérale ? Et pourquoi la démocratie se dissocie-t-elle du libéralisme ? Voici un extrait du livre de David Cayla qui décrypte l’analyse de Mounk :
Mais l’explication de Mounk n’est pas totalement convaincante. Il évacue du raisonnement un problème important : le fait que le désarroi démocratique des peuples est la conséquence d’une tension entre la volonté démocratique et les impératifs économiques.
Les catégories populaires ont appris à se méfier de l’exécutif
Autrement dit, c’est parce que les électeurs sont pris en tenaille entre les nécessités économiques, celles de préserver leurs emplois et leurs revenus (ce qui suppose, dit-on, qu’ils n’ont pas le choix)… et la nécessité de pouvoir décider de leur destin (ce qui suppose qu’ils ont le choix) que les classes populaires se révoltent et se mettent à voter contre le « système ».
Ce hiatus entre la théorie et la pratique démocratique explique l’essentiel de la défiance des classes populaires. Pour s’en convaincre, analysons les causes du mouvement des Gilets jaunes et reprenons ce qu’en dit David Cayla.
Le mouvement des Gilets jaunes est une révolte sociale et démocratique dont on ne peut comprendre la cause si on ne s’intéresse pas aux politiques économiques menées après la crise de 2008.
Or, qu’ont fait Hollande et Macron pour rétablir l’économie française ? Ils ont tous les deux mené une politique « d’attractivité » visant à attirer les capitaux et les investisseurs. Pour cela, ils ont essentiellement basculé la charge fiscale des entreprises vers les ménages.
Mais dans les faits, et pour les gens, la politique d’attractivité n’est rien d’autre qu’une politique de classe qui sert les intérêts des riches et des multinationales au détriment des classes défavorisées. Dans ce contexte, il est logique que les classes populaires n’aient aucune confiance dans le gouvernement pour défendre ses intérêts. Pire : les discours expliquant que le pouvoir est à la solde de « Bigpharma » paraîtront bien plus légitimes et conformes à la réalité… que les messages rassurants des médecins et des autorités sanitaires en faveur de la vaccination.
Après tout, les gouvernements de droite et de gauche n’ont-ils pas démontré qu’ils préféraient servir les intérêts des multinationales que celui du peuple ?
Ainsi les classes populaires ne font pas preuve de bêtise en refusant la vaccination. Leur méfiance est tout à fait légitime et s’appuie sur l’expérience vécue depuis plus de dix ans. Sarkozy, Hollande et Macron ont tous mené la même politique. Après des années de néolibéralisme, ce n’est pas Macron et ses vidéos Tik Tok qui vont réussir à convaincre les populations défavorisées de se faire vacciner.
C’est donc à l’opposition anti-néolibérale de monter au créneau pour pousser les classes populaires à se faire vacciner. C’est urgent. Il s’agit non seulement de sauver des vies mais aussi d’éviter de nouveaux confinements destructeurs socialement et économiquement.