Marché de l’électricité : comment tout a disjoncté ! (débat à la Fête de L’Humanité 2023)

Samedi 16 septembre 2023, sur le stand de la Gauche Républicaine et Socialiste pour la Fête de l’Humanité, la GRS avait invité David Cayla – Maître de Conférences en économique à l’université d’Angers, membre des Economistes atterrés et essayiste – et Laurent Miermont – responsable national au sein du pôle Idées, formation et riposte de la GRS – à débattre du marché européen de l’électricité.

Ils ont retracé la construction de ce marché européen et surtout le chemin de la « libéralisation » et de la création d’une concurrence totalement artificielle, dont le principal effet a été ouvertement de mettre à bas l’opérateur public historique français, EDF. Ils sont également revenus sur la crise de l’énergie qui a crû à partir de la fin 2021 avant d’exploser en 2022 avec la guerre en Ukraine, ainsi que sur les actions désordonnées de la commission européenne pour y faire face.

Les deux intervenants convergent en conclusion sur la nécessité urgente pour la France de sortir – y compris unilatéralement – de ce « marché européen », qui pénalise les usagers et les entreprises, afin de surmonter la crise et de préserver les atouts de notre mix énergétique.

Elargissement de l’Union Européenne : « Cela ressemble à une fuite en avant » – Emmanuel Maurel dans L’Obs

Dans un contexte géopolitique bouleversé par la guerre en Ukraine, l’élargissement de l’UE à de nouveaux entrants d’ici à 2030 semble inévitable mais s’annonce comme un défi majeur. L’Obs a sollicité le 2 octobre 2023 l’avis de la secrétaire d’Etat Laurence Boone et de l’eurodéputé Emmanuel Maurel, dont publions les propos ci-dessous.

article publié le lundi 2 octobre 2023 dans L’Observateur

Que pensez-vous de l’idée d’élargir l’UE en accueillant possiblement des pays comme la Moldavie, l’Albanie, la Serbie… ?

Pour moi, cela ressemble à une fuite en avant : on cherche à élargir, mais sans se demander pourquoi et comment. Surtout, on ne porte pas une attention suffisante aux conséquences économiques et sociales de ce choix. Dans les pays que vous mentionnez, les salaires moyens et minimaux sont très inférieurs à ceux pratiqués dans l’Union. Que se passera-t-il si, demain, nous les accueillons ? Il est très probable que cela donnera lieu à du dumping social. Car nos entreprises seront évidemment tentées de délocaliser leurs activités dans ces pays à bas coût, provoquant du chômage à l’ouest et aggravant la désindustrialisation, particulièrement en France. Qui ira expliquer les « bienfaits » de cette Europe-là aux travailleurs de la classe ouvrière ? Je ne suis pas hostile par principe à l’élargissement à l’est. Mais ces choses-là prennent du temps.

Les défenseurs d’un élargissement mettent surtout en avant la nécessité de contrer l’influence de la Russie sur des pays qui sont encore fragiles démocratiquement…

J’entends l’argument, mais attention : on a tendance à croire que plus nous serons nombreux au sein de l’UE, plus nous constituerons un espace géopolitique puissant et indépendant. Mais c’est oublier que bien des pays à l’est de l’Europe ne partagent pas cette vision : ils souhaitent surtout s’arrimer à l’Otan et aux États-Unis. Je ne compare pas, bien sûr, l’influence américaine à l’influence russe, mais il me paraît important de souligner qu’intégrer trop largement risque plutôt d’affaiblir les institutions européennes. Sans compter la question de la gouvernance : aujourd’hui, à vingt-sept membres, c’est déjà une gageure d’obtenir une position commune sur certaines questions. Songez aux possibles blocages à trente-cinq !

Peut-être faut-il assouplir les processus de décision, par exemple en renonçant plus largement à la règle de l’unanimité entre les membres ?

C’est une orientation qui me paraît extrêmement difficile à prendre et à faire accepter aux Français. Car si, demain, nous renonçons à l’unanimité sur les questions de défense et de diplomatie par exemple, cela signifie que la France confiera à ses voisins une part essentielle de sa souveraineté. Imaginez qu’un jour, une majorité de pays européens soutienne une aventure militaire que nous désapprouvons largement. Faudra-t-il y participer malgré nous ? Imaginez encore qu’on transfère tout ou partie de la compétence « santé » à Bruxelles : on ne tarderait pas à voir la Sécu mise en concurrence, voire privatisée !

Fête de l’Humanité 2023 : Carte blanche à Gérard Streiff sur Missak Manouchian – dimanche 17 septembre

Dimanche 17 septembre 2023, le stand de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la Fête de l’Humanité donnait carte blanche à Gérard Streiff, journaliste, écrivain et rédacteur en chef de la revue Cause Commune.

Gérard est connu pour écrire et publier des « polars politiques », mais ce dimanche 17 il venait nous parler du livre qu’on lui avait commandé sur Missak Manouchian et se compagnons des FTP-MOI, rendus célèbres par « l’Affiche Rouge ».

Alors que l’entrée au Panthéon de Missak et de son épouse Mélinée a été enfin annoncée, nous ne pouvions laisser passer une telle occasion de revenir sur ce parcours de résistant franco-arménien, militant communiste, ouvrier et poète, et sur ses camarades qui aimaient tant la France qu’ils lui ont donné leurs vies.

Autonomie de la Corse : une boîte de pandore macroniste qui ne résoudra rien !

Le jeudi 28 septembre 2023, Emmanuel Macron a déclaré son ouverture à un renforcement constitutionnel de l’autonomie de la Corse et à une reconnaissance étendue de sa culture « spécifique » et de son insularité.

« La République une et indivisible », premiers mots de notre constitution, sont sur le point d’être enterrés par le Président et son gouvernement. Il s’agit de l’aboutissement ultime du néolibéralisme dont l’objectif avoué est la destruction de l’État providence et de la République sociale, au profit d’une « Europe des régions » où chacun serait autonome, « individué », et surtout appauvri.

La Corse, c’est la France. Il s’agit des départements de France métropolitaine les plus pauvres, et souvent les plus ignorés de la puissance publique concernant les investissements publics. Au regard du statut institutionnel actuel de l’île, la Corse bénéficie déjà d’un très large transfert de compétence ; l’étape suivante ne pourrait donc être qu’une autonomie fiscale et législative qui mettrait fin de fait à la République française en Corse. Or soyons très clairs, le Président de la République cherche depuis des mois un échappatoire pour ne pas avoir à résoudre les problèmes concrets que nos concitoyens rencontrent sur l’Île : on pourrait modifier la Constitution, pour y introduire l’autonomie corse, autant qu’on veut, cela ne touchera pas les « intermédiaires » qui détournent la solidarité nationale et y sont responsables de la vie chère : la TVA sur l’essence est à 13% en Corse et à 20% sur le continent mais les prix restent plus élevés sur l’Île ; la Corse bénéficie d’un régime d’importation franco de port, pour l’alimentation mais quand le kilo de tomate est à 7,54€ à Marseille, quand il est à 10,20€ à Ajaccio ! La Corse n’a pas besoin d’une autonomie inscrite dans la constitution, elle a besoin de volontarisme politique, qualité qui fait défaut à cet exécutif comme aux précédents.

Emmanuel Macron décide de répondre par une mauvaise solution à un problème grave, par paresse et par choix – celui de ne pas toucher aux intérêts économiques privés qui créent cette situation. Il le fait aussi par lâcheté : il n’a pas su faire face aux violences qui ont suivi l’année dernière l’assassinat d’Yvan Colonna en prison, et il n’a pas voulu prendre parti pour l’immense majorité de nos concitoyens corses qui ont exprimé alors leur rejet de la violence. Le fait que, lors de son allocution devant l’Assemblée de Corse, il ait tu le nom du Préfet Érignac pour ne parler que de celui qui a été condamné pour son assassinat est à la fois symptomatique et choquant.

Après les défaillances, l’engrenage

La mise en œuvre d’une autonomie en Corse sera le premier domino à tomber dans une logique de fragilisation de la République. La Bretagne et l’Alsace réclament désormais à leur tour des statuts spécifiques (la Savoie et le Pays-Basque suivront sans doute) qui seront autant de détricotages de la République.

Quelle serait la suite de l’autonomie corse ? L’autonomie de toutes les régions dont l’identité culturelle locale est restée puissante ? La désagrégation à marche forcée de l’universalité de la loi et la transformation de la France en une obscure fédération de grandes régions ? C’était déjà ce que laissait entendre une proposition de résolution du groupe socialiste en juin 2020 en faveur d’une modification de la constitution visant à énoncer de façon limitative les compétences de l’État, celles des collectivités locales devenant la règle pour tous les autres sujets.

Soyons là aussi explicites : si la conquête électorale de la Corse par les partis autonomistes (alliés aux nationalistes) s’explique aussi beaucoup par le rejet d’un ancien système clanique corrompu qui s’était emparé pendant des décennies des partis dits « républicains » dans l’Île, la position du Président du Conseil régional de Bretagne ou celle du Président de la « Collectivité européenne » d’Alsace (et de leurs soutiens respectifs) n’a de valeur que par l’effondrement de tout autre projet politique réel, incitant ces dirigeants locaux à enfourcher les identités régionales pour trouver une justification à leur légitimité. Ces élus proposent l’autonomie dans une fuite en avant pour camoufler l’accumulation des défaillances multiples de la puissance publique.

La pire solution à des graves problèmes

Cette revendication d’une autonomie fiscale et législative de la Corse pourrait d’ailleurs aboutir à une situation complexe qui déborderait les dirigeants autonomistes : il y a fort à parier que la Corse soit alors encore plus en difficulté pour résister aux appétits « économiques » de certains intérêts peu recommandables. La République reste aujourd’hui le meilleur rempart des Corses et de la Corse contre des visées agressives. C’est un risque bien trop grand avec des conséquences bien trop graves.

Nous disons notre conviction que l’autonomie de la Corse ne réglera rien des problèmes que traverse l’île. La puissance publique n’investira pas plus dans des infrastructures dignes, dans la lutte contre la pauvreté ou contre la corruption. La pauvreté ne reculera pas si la loi de la République ne s’applique plus en Corse. Elle ne reculera que si le gouvernement et les représentants légitimes et élus de cette région discutent des moyens financiers et humains à consacrer à la lutte contre l’isolement, l’inflation, la vie chère, qui rongent la Corse et ses habitants. Négocier un véritable contrat de plan renforcé État/Corse qui vise à résoudre les problèmes sociaux, économiques et d’accès aux services publics des habitants est une priorité absolue : le fait que le président de l’exécutif territorial soit autonomiste ne doit en rien constituer un frein à ce travail urgent et nécessaire.

Sauf que ce processus est tellement aux antipodes de ce qu’Emmanuel Macron a l’habitude de faire qu’il préfère brader l’unité de la République. Pour notre part, nous continuerons à défendre l’indivisibilité de la République et l’égalité des citoyens en son sein. Malgré les néolibéraux qui, après s’être attaqués au service public, veulent maintenant brader l’égalité territoriale par lâcheté.

Augustin Belloc (et Frédéric Faravel et Laurent Miermont)

Avortement : le combat pour la liberté continue

« Un enfant quand je veux si je veux ». Tant de chemin semble avoir été parcouru depuis les années 1960, quand le contrôle des naissances n’était pas en place et que les femmes étaient encore prisonnières de l’ordre moral.

Pourtant, nous aurions tort de nous reposer sur ces acquis, car la pression cléricale est plus forte que jamais pour priver les femmes du choix élémentaire de décider quand, comment et avec qui elles souhaitent porter la vie. De la Pologne aux États-Unis, les intégristes se mobilisent en masse pour empêcher les femmes de disposer de leur corps. Les mesures d’austérité sur la santé, les fermetures de cliniques et la désertification médicale sont également autant d’obstacles à cette pratique, pourtant essentielle à l’émancipation de la moitié de l’humanité, tandis que le planning familial se perd dans des polémiques stériles et minoritaires au lieu de se concentrer sur ses missions prioritaires : informer les femmes de leurs droits et possibilités.

Le danger est là. Le droit des femmes à avorter est gravement mis en cause. Le combat féministe pour l’émancipation continue.

Green washing royal

Emmanuel Macron consacre 8 jours de son mandat à l’écologie, entre la réception du roi d’Angleterre et deux matchs de rugby (et nous aimons le rugby !) ce qui permet de juger de ce qu’il entend par «urgence climatique».

Dans les premiers éléments connus du projet de budget pour 2024, il n’y a en réalité qu’une maigre hausse du budget porté à 40 milliards d’Euros pour un «plan» visant à la baisse de 55% des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 et une projection de neutralité carbone en 2050.

Mais la règle du saupoudrage, le refus d’un impôt sur les fortunes climatique et d’un prélèvement sur les sur-profits, les cadeaux aux sociétés d’autoroute, l’absence d’engagement pluriannuel du budget vert de la France tout comme l’absence de réforme du marché européen de l’électricité font douter de l’ensemble et, surtout, sans ressource d’importance empêche la mise en place d’un réel plan de transition écologique.

Quelques bons-points sont à noter :

  • Participation au financement des RER métropolitains (mais seulement 600M€ pour 13 projets),
  • hausse du bonus écologique pour les véhicules électriques et leasing,
  • suppression de 75% des chaudières au fuel et de 20% de celles au gaz,
  • quelques rares autres mesures avec 1,5 Milliards € envisagés pour la biodiversité (haies, forêts, eau),
  • soutien à la production locale d’énergie dans les DOM-TOM.

Mais il faut aussi compter avec les annonces présidentielles à la charge financière des collectivités locales et des bailleurs sociaux : RER et TER, rénovation thermique des établissements d’éducation publique et des logements sociaux, … comment feront-elles alors que l’actuel gouvernement a muselé leur capacité d’action par des ponctions budgétaires importantes et des baisses de recettes conséquentes ? Un exemple, dans le bâtiment, le gouvernement projette 2,2 Milliards alors qu’il ne mettra que 600 Millions sur 2 ans ou encore 0,5M€ pour 2000 écoles.

Et comment les ménages pourront financer des rénovations énergétiques performantes alors que l’inflation rogne les budgets ?

Que dire du flou entourant l’usage prévu d’1,6 milliard sur les transports: ferroviaire, maritime, routier ? Entretien ou création (PACA bordeaux Toulouse) ? financé par la SNCF, le gouvernement, les collectivités locales ? Et quel avenir pour le fret ferroviaire ?
Il en est de même sur la question des énergies avec une enveloppe dédiée de 1,8 milliard alors que nous avons l’obligation de développer massivement les énergies renouvelables (géothermie, hydraulique, éolien, solaire, Hydrogène…), ainsi que la filière nucléaire. Espérons ne pas trouver là le paiement du Gaz de Schiste importé à partir du port du Havre. Le compte n’y est pas !

Et ce n’est pas l’instauration d’un nouveau bidule les COP Régionales qui feront l’intervention de l’Etat.

Encore un rendez vous manqué, Macron a macronné dirait un Ukrainien. Il minimise et dépolitise l’écologie tout en vantant les mérites de la bagnole. La droite reste au milieu gué, refusant de s’engager dans un programme opérationnel pour une transition climatique et écologique républicaine mais pouvait-il en être autrement ?

Haut-Karabagh : épuration ethnique en cours dans l’indifférence

Sur le front du Caucase, la chute de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, n’est plus qu’une question de jours, voire d’heures.

Les négociations en cours piétinent déjà le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et vont malheureusement se traduire par une épuration ethnique à peine voilée, qui a déjà commencé en soumettant la population civile à une logique de famine.

Le nationalisme revanchard azéri, récemment mâtiné de fantasmagories néo-ottomanes par son allié turc, va s’abattre sur la République arménienne. Il est implicitement validé par l’OTAN et la commission européenne qui ne font concrètement rien pour les aider. Le régime d’Erdogan, animé par une idéologie panturque qui avait presque disparue avec Enver Pacha, rêve d’« unifier » les peuples turcophones en écrasant les Kurdes et les Arméniens sur son passage.

Il a encouragé l’Azerbaïdjan à relancer ce conflit vieux de 40 ans. Recep Tayip Erdogan et Ilham Aliyev ont très simplement exploité la faille ouverte par Vladimir Poutine, qui avait publiquement lâché l’Arménie pour cause de rapprochement avec les Etats-Unis d’Amérique. Sans le « go » implicite de Moscou, Aliyev n’aurait jamais osé lancer son blocus puis son offensive. L’Union Européenne dans cette période s’est déshonorée en vendant sa morale pour des barils de pétrole azéris.

La France a réagi avec courage. Nous avons été le premier État à condamner l’invasion et notre diplomatie alerte depuis plusieurs mois sur les risques qui pèsent sur cette région. Si nous ne soutenons pas l’Arménie, nous nous dirigeons vers un drame encore plus grand que celui en cours dans l’Artsakh.

Soutien à la grève des fonctionnaires de justice

communiqué de presse du jeudi 21 septembre 2023

La GRS soutient le mouvement de grève des #greffiers et autres fonctionnaires de justice.

Elle appelle solennellement le gouvernement à revaloriser, comme exigé par leurs organisations syndicales unanimes, les traitements de ces fonctionnaires essentiels au fonctionnement de la justice.

Il y a 50 ans, on assassinait impunément la démocratie

L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait”. Ces paroles prononcées par Salvador Allende, premier président socialiste du Chili, lors du coup d’Etat perpétré à son encontre par Augusto Pinochet le 11 septembre 1973 trouvent aujourd’hui un écho particulier. En effet, 50 ans plus tard, c’est sous l’impulsion d’un nouveau président de gauche soucieux de faire toute la lumière sur les crimes commis sous la dictature chilienne que se tient la commémoration de cet événement qui a profondément marqué l’histoire de ce pays et plus globalement, de l’ensemble des mouvements progressistes à l’échelle internationale. Afin de bien comprendre un tel écho, revenons brièvement sur ce qu’incarnait le président déchu ce jour-là.

L’espoir

Le 4 septembre 1970, Salvador Allende remporte l’élection présidentielle chilienne avec le soutien de l’Unité Populaire, une large coalition de gauche, devenant ainsi le premier dirigeant ouvertement marxiste à accéder au pouvoir par la voie démocratique au sein du continent sud-américain. S’il se distingue ainsi de la stratégie prônée par d’autres gouvernements de la région, tels que Cuba qui estime que seule la lutte armée peut permettre l’avènement du socialisme, il n’en reste pas moins porteur d’un ambitieux projet de transformation sociale, comme en témoigne la nationalisation, suite à son arrivée au pouvoir, de près de 90% des banques, ainsi que de la plupart des activités économiques stratégiques du pays telles que l’extraction du cuivre, en vue de réinvestir ces revenus dans des programmes de redistribution sociale.

En pleine guerre froide, Allende prouve ainsi que socialisme et démocratie ne sont pas incompatibles, ce qui fait de lui une référence pour nombre de partis de gauche désireux d’incarner une troisième voie à l’échelle internationale.

La froide préparation du coup d’Etat

Or, les Etats-Unis étant particulièrement préoccupés, depuis la révolution cubaine survenue en 1959, à l’idée de voir se multiplier en Amérique du sud des régimes susceptibles d’entretenir une certaine proximité, ne serait-ce qu’idéologique, avec l’ennemi soviétique, il n’en faut pas plus pour que le président étasunien Richard Nixon affirme que : “Nous ne devons pas laisser l’Amérique latine penser qu’elle peut prendre ce chemin sans en subir les conséquences”. Tandis que la CIA finance massivement le journal d’opposition El Mercurio, Washington va alors arroser les opposants d’Allende en vue de les inciter à “faire crier l’économie chilienne”, pour reprendre là encore les termes de Nixon. L’idée étant, à grand renfort de fake news et de sabotages d’infrastructures stratégiques à l’initiative notamment du groupe de droite radicale Patria y Libertad, de créer un climat suffisamment insécuritaire en vue de justifier une intervention militaire destinée à rétablir l’ordre.

Si, dans ce contexte, Allende tente d’opérer un rapprochement avec le parti démocrate-chrétien, l’une des principales forces politiques d’opposition, lui proposant notamment d’intégrer certains de ses membres à son administration quitte à revenir sur certaines mesures de nationalisation, cette stratégie échoue. Cela peut s’expliquer par les divisions importantes qui traversent l’Unité Populaire à ce sujet. En effet, si les communistes voient d’un bon œil cette tentative d’apaisement de la polarisation politique exacerbée et se veulent intransigeants vis-à-vis de la défense de la stratégie légaliste adoptée par Allende face aux partisans de la lutte armée, son propre parti, le Parti Socialiste chilien, s’oppose à ce qu’il qualifie de compromission avec la bourgeoisie. Il est notamment rejoint en ce sens par le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), qui appelle ouvertement à prendre les armes pour défendre le gouvernement face à ces tentatives de déstabilisation.

Cependant, plus que ces fractures internes à la gauche, c’est surtout la volonté assumée par une part significative de l’opposition de profiter d’une rupture de l’ordre constitutionnel afin de rompre par là-même avec le modèle économique adopté depuis les années 1950 sous l’impulsion de la Commission Économique pour l’Amérique latine (CEPAL), qui prône un processus d’industrialisation encadré de manière significative par l’Etat en vue de permettre aux économies latino-américaines de sortir de leur dépendance à l’exportation de matières premières non renouvelables, une dynamique renforcée par Allende.

Dictature et néolibéralisme

C’est ainsi qu’en amont du coup d’État, les « Chicago Boys », un groupe d’économistes formés au sein de l’École de Chicago qui constitue alors le laboratoire de la pensée néolibérale, rédigent un rapport intitulé El Ladrillo censé servir de feuille de route à un gouvernement alternatif à celui d’Allende. Ce manifeste, imprégné par cette idéologie selon laquelle l’État doit se désengager au maximum du marché économique, afin de laisser libre cours à l’initiative individuelle perçue comme la condition d’une gestion adéquate de l’économie, est alors appliqué à la lettre par le régime militaire qui s’installe à la suite du coup d’État du 11 septembre, faisant du Chili l’un des principaux laboratoires du néolibéralisme. Cela conduit à une réduction drastique des dépenses publiques faisant notamment exploser la part de la population chilienne vivant sous le seuil de pauvreté, qui s’élève à près de 40% à la sortie de la dictature.

Une donnée qui traduit le fait que le prétendu « miracle économique chilien » ne l’est que pour une infime minorité, qui échappe par ailleurs à la répression massive opérée par ce régime dont le bilan fait état de près de 30.000 prisonniers politiques et 3.065 morts victimes de la doctrine de guerre subversive qui part du postulat que tout chilien est susceptible de chercher à déstabiliser le régime et qu’il est donc nécessaire d’avoir recours à toutes les mesures de répression et torture susceptibles de court-circuiter ces éventuelles oppositions internes. Une logique édifiante qui rend indécent le postulat de Milton Friedman, l’un des pères de l’idéologie néolibérale, selon lequel « le capitalisme est une condition nécessaire à la liberté politique ».

Difficile et incomplète transition démocratique

Si le Chili sort finalement de la dictature en 1990, l’héritage du régime pinochetiste reste on ne peut plus prégnant à l’heure actuelle. Cela s’explique par le fait que les forces politiques qui impulsent cette transition démocratique ne remettent pas en cause la Constitution adoptée en 1980 par souci d’assurer une cohésion nationale susceptible de pacifier la société chilienne. Cependant, un tel consensus autour d’un ne peut émerger qu’à condition de réduire les inégalités économiques qui fracturent la société à la sortie de la dictature.

Or, dans la mesure où un certain nombre de principes néolibéraux ont été intégrés au texte constitutionnel adopté sous Pinochet, à l’image de l’interdiction de toute nationalisation économique qui limite considérablement les marges de manœuvre dont dispose tout gouvernement en vue de s’appuyer sur les revenus issus des secteurs économiques les plus stratégiques du pays pour les réinvestir dans des programmes de redistribution sociale, il apparaît indispensable de rompre avec cette Constitution pour refermer définitivement la brèche creusée par la dictature au sein de la population chilienne.

Or, si 78,31% des Chiliens se déclarent favorables à un changement de Constitution lors du référendum organisé en octobre 2020 à la suite de mobilisations massives visant à dénoncer la perpétuation des logiques économiques et sociales issues de l’ère Pinochet, le texte constitutionnel rédigé par l’Assemblée Constituante élue en conséquence est finalement rejeté par près de 62% de la population 2 ans plus tard.

Cette résilience du pinochetisme se voit par la suite confirmée par les élections organisées dans la foulée de ce référendum en vue de désigner les membres de la nouvelle Assemblée Constituante chargée de proposer un nouveau texte constitutionnel à soumettre une nouvelle fois au suffrage populaire au mois de décembre prochain. Il se trouve que c’est le Parti Républicain, formation de droite radicale ouvertement nostalgique du régime de Pinochet, qui remporte ce scrutin au mois de mai 2023, obtenant 23 élus sur 51, soit une majorité absolue des sièges au sein de cette instance. Autrement dit, l’institution chargée de rédiger un nouveau texte constitutionnel est paradoxalement dominée par une force politique ouvertement favorable au maintien du texte en vigueur.

Le Chili n’est pas sorti d’affaire

Un coup d’arrêt à un processus constitutionnel pourtant soutenu activement par le président Gabriel Boric, qui avait rassemblé une majorité de suffrages autour d’un projet de transformation sociale de grande ampleur à l’occasion du scrutin présidentiel qui s’est tenu en décembre 2021, soit moins d’un an avant le rejet de la nouvelle Constitution. Comment expliquer un tel revirement de l’opinion publique en si peu de temps ?

L’une des explications peut résider dans l’impopularité croissante de Gabriel Boric dont l’action est jugée par une part significative de la population comme n’étant pas à la hauteur des importants espoirs de changement suscités par son élection. Dans ce contexte, le scrutin référendaire, puis l’élection à l’Assemblée Constituante qui a suivi, ont pu cristalliser ces désillusions. Et ce, alors que paradoxalement, celles-ci s’expliquent justement par le fait que les marges de manœuvre de ce gouvernement sont limitées de manière significative par ce cadre constitutionnel, ainsi que par la composition du Parlement, dominé par la coalition de droite Chile Vamos qui y dispose de 75 sièges au total – contre seulement 42 pour la majorité gouvernementale –, ce qui représente notamment une entrave à la volonté de Boric de faire adopter une réforme destinée à accroître l’imposition du patrimoine.

Cependant, un autre élément d’importance est le fait que, contrairement au référendum de 2020, le vote sur le nouveau texte constitutionnel proposé l’année dernière était obligatoire. Au vu du fort rejet suscité par cette hausse de la participation, force est de constater qu’une forme de nostalgie du pinochetisme reste encore présente au sein de la société chilienne. Nostalgie alimentée notamment par un discours actuellement martelé par la droite, et en particulier le Parti Républicain, selon lequel c’est en réalité la radicalité du projet porté par Allende qui a précipité et rendu nécessaire ce coup d’État. Si ce discours est infondé d’un point de vue historique, il a suscité une crainte de voir un processus constitutionnel présenté comme étant trop radical aggraver les fractures sociales, avant de venir alimenter la campagne menée par le Parti Républicain à l’occasion du scrutin suivant, centrée autour de la nécessité de garantir la sécurité de la population, de sorte à mieux occulter son absence de propositions relatives à la rédaction d’un nouveau texte constitutionnel. Si ce type de discours ne détonne pas du côté droit de l’échiquier politique, il est en revanche frappant de constater que ces débats se retrouvent au sein même de la coalition gouvernementale.

En effet, si Boric a fait du devoir de mémoire et de réparation des crimes commis sous la dictature l’une des priorités de son projet de rupture avec l’intégralité de l’héritage pinochetiste, ses proches se déchirent autour de cette question. En témoigne la démission, ce mercredi 5 juillet, de Patricio Fernandez, son conseiller spécial pour les commémorations du 50e anniversaire du coup d’État, qui a suscité l’ire de ses partenaires communistes après avoir affirmé, dans un entretien : « L’Histoire (…), les historiens, les politologues (…) pourront continuer à discuter sur les raisons du coup d’État ».

Cette incapacité à aboutir à un consensus autour de la qualification et condamnation du coup d’État traduit ainsi une difficulté persistante à enterrer définitivement Pinochet.

Vincent Arpoulet

La pire rentrée depuis des décennies

Voici deux jours que les élèves des écoles maternelles et élémentaires ont repris le chemin des classes ; les collégiens et les lycéens ont suivi. Jamais depuis près de 40 ans, nous n’avons connu une rentrée scolaire dans des conditions également dégradées. Non seulement il manque d’enseignants dans le primaire comme dans le secondaire, mais la « nécessité » des recrutements en catastrophe – pour boucher les trous béants dans les effectifs générés par le laisser aller gouvernemental – a conduit à un effondrement des exigences pédagogiques à l’égard de nombreux contractuels débutants qui vont arriver devant une classe, sans bagage et sans expérience. Parallèlement, leurs collègues (qu’ils sortent du concours ou soient en poste depuis des années) désespèrent de leurs écoles.

Les médias peuvent tourner depuis ce matin sur la grève du lycée Maurice-Utrillo de Stains contre la « politique islamophobe » du gouvernement – ​​​​il est vrai que le discours assumé d’une partie des enseignants engagés (égarés ?) dans ce mouvement est totalement à contre-courant des 80% des enseignants satisfaits de la réaffirmation du sanctuaire scolaire face à l’intrusion du religieux – mais en réalité, dans ce lycée REP+, sur une des communes de France les plus en difficulté, les motivations profondes de toute la communauté éducative de l’établissement sont sur l’essentiel : baisse de la dotation horaire au sein de l’établissement, augmentation du nombre d’élèves dans les classes de 2nde pro (elles passent de 24 à 30 élèves), suppression d’un poste de CPE… de quoi massacrer le quotidien scolaire.

Pendant ce temps-là, Emmanuel Macron peut bien gloser chez « Hugo décrypte » sur le bien fondé d’une expérimentation de l’uniforme à l’école, on voit difficilement en quoi cela pourrait répondre aux enjeux du service public d’éducation nationale , lui redonner les moyens de faire des élèves des citoyens émancipés, pourvus de l’esprit et des compétences nécessaires pour conduire leur vie hors de tout déterminisme social. 
Le pire est sans doute que nous ferons prochainement un édito du même type sur tous les services publics qui sont au contact quotidien de nos concitoyens. Nous avons besoin d’une mobilisation nationale ! 
En septembre 2021, la GRS avait adopté son programme; une partie fournie sur l’éducation lui était consacrée. On ne peut (malheureusement) en retirer aucune ligne, tout reste à faire !

  • Nouveau découpage des secteurs en fonction de la mixité avec une carte scolaire contraignante et sans dérogation possible ;
  • Pondérer les dotations des écoles privées en fonction de leur engagement dans les politiques de mixité ;
  • Instauration et suivi d’une péréquation financière à l’échelle départementale ;
  • Cibler le parc scolaire à rénover avec des grands plans nationaux visant à établir l’égalité des conditions d’enseignement ;
  • Augmenter les salaires mensuels de 30% sur 5 ans ;
  • Améliorer le recrutement et la formation des enseignants : remplacer les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation par des Écoles normales du primaire et du secondaire rétablissant deux années pleines de formation ;
  • Soutenir les personnels de l’Éducation nationale en impliquant la précarité statutaire et salariale des AESH, en renforçant leur formation et leurs effectifs ;
  • Sur la base d’un engagement à servir l’État pendant 10 ans, les étudiants seraient faits fonctionnaires et donc rémunérés dès le début de leurs études ;
  • Création de postes d’enseignants spécialisés en surnuméraire et mobiles dans toutes les écoles et diminution du nombre d’élèves par classe […].

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.