Depuis ce matin, l’armée israélienne bombarde à nouveau de nombreux points de la bande de Gaza. Les morts se comptent par centaines, les hôpitaux sont débordés. Nous condamnons ces bombardements indifférenciés. L’offensive était attendue, elle était préparée depuis plusieurs jours. Voici deux semaines le gouvernement israéliens avait décidé unilatéralement de bloquer l’acheminement de l’aide humanitaire, la semaine dernière il avait coupé l’électricité du territoire entraînant par là une défaillance du système d’approvisionnement en eau des Gazaouis. Ces deux décisions étaient scandaleuses car elles plongeaient les civils dans une situation humanitaire intolérables.
Ces décisions et les frappes meurtrières d’aujourd’hui font suite au refus du Hamas de procéder à la libération des derniers otages – sur les 251 personnes enlevées au total lors de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, il reste 58 otages retenus à Gaza, dont 34 ont été déclarés morts par l’armée israélienne. Le Hamas prétendait exiger le passage à la deuxième phase de négociation avant ces dernières libérations. Le Hamas est une organisation terroriste qui a plongé son propre peuple dans l’horreur après avoir perpétré les massacres antisémites d’octobre 2023, visant volontairement des civils désarmés. Cependant il serait absurde de considérer que dans un processus de négociations compliqué on ne pouvait s’attendre à aucune friction dans la mise en œuvre de la trêve, après une guerre ignoble de plus d’un an durant laquelle des dizaines de milliers de civils ont été tués par l’armée israélienne, et tous les autres soumis à la faim et à la soif et à la perte de leur abri, outrepassant largement le droit légitime de l’État d’Israël de se défendre.
Encore une fois, Benyamin Netanyahu privilégie ouvertement, avec le soutien de l’irresponsable administration Trump, ce qu’il croit être une stratégie politique qui permettra de le maintenir au pouvoir en choisissant de mettre fin unilatéralement à une trêve que l’ensemble de la communauté internationale appelait de ses vœux ainsi que la majorité des peuples israélien et palestinien, en choisissant un recours totalement hors de proportion à la force la plus brutale.
Il apparaît d’autant plus flagrant que les motivations du chef du gouvernement israélien sont animées d’un cynisme absolu, que ce dernier est engagé dans une lutte pour se maintenir contre vents et marées au pouvoir sans avoir à affronter ses responsabilités.
Ainsi le choix des bombardements indifférenciés d’aujourd’hui intervient alors que Netanyahu tente d’obtenir le limogeage du chef du Shinbeth qui conteste sa stratégie extrémiste, que Netanyahu aurait dû ce matin comparaître devant ses juges pour des faits de corruptions (la comparution a été annulée évidemment) et que des manifestations massives contre son gouvernement étaient à nouveau prévues ce soir à Tel-Aviv et Jérusalem – manifestations évidemment interdites pour « raisons de sécurité ».
La GRS demande à la communauté internationale, à l’Union Européenne et à la France de faire pression sur le gouvernement israélien pour stopper ces frappes meurtrières, pour arrêter ce qui ne peut que se transformer en une nouvelle catastrophe humanitaire pour le peuple palestinien, pour arrêter une logique qui met l’État d’Israël lui-même en danger et risque de coûter la vie aux derniers otages survivants. Nous apportons notre soutien aux millions de citoyens israéliens qui s’opposent frontalement à ce premier ministre qui choisit la stratégie du « Mad Man ». Nous plaidons pour la réouverture des négociations et la prise en compte sérieuse des propositions de la Ligue Arabe.
Promouvons une économie de défense et de souveraineté par des politiques de relance et de justice sociale
Nous entrons dans une nouvelle ère, mais réfléchissons sérieusement à ce qu’elle implique, définissons une stratégie à court et à moyen terme sans repartir dans de fausses directions qui s’avèreront des impasses !
La violence et la brutalité des annonces et du comportement de Donald Trump montrent une inflexion et une accélération d’une politique américaine qui avait relégué en seconde zone les enjeux européens pour concentrer son regard et ses actions en direction de l’Asie avec en ligne de mire la puissance chinoise. Déjà le soutien de l’administration de Biden à l’Ukraine était davantage calibré pour conjurer une avancée excessive de Poutine dans ce pays que pour lui infliger une cinglante défaite. Il est clair qu’elle ne souhaitait pas ouvrir un conflit majeur avec la Russie (ce que les dirigeants du Kremlin ont sans doute vite compris). Cela posait et pose encore la question majeure de la crédibilité du droit international. Ce n’est hélas pas le seul cas !
Mais là, il est vrai que l’inversion d’alliance ou pour le moins un rapprochement explicite des États-Unis d’Amérique avec la Russie constitue un fait nouveau. Trump face à la menace chinoise veut éviter un front Russie/Chine et, par ailleurs, compte bien poursuivre son impérialisme autour des USA (canal de Panama, Canada et Groenland).
Sans compter que se joue aussi l’accès aux terres rares, métaux et autres ressources indispensables au développement économique et technologique qui va constituer un point cardinal des relations internationales.
Dans cette perspective, l’Europe n’a aucune place sérieuse dans la logique trumpiste : ni assez de ressources naturelles, ni avancées technologiques majeures ! Et manifestement partager des idéaux démocratiques ne semble plus être une préoccupation prioritaire !
On nous annonce aujourd’hui un accord USA/Ukraine pour proposer à Moscou un cessez-le-feu. Tant mieux, et la France doit agir au-delà pour qu’une paix équilibrée et durable soit signée. Pour l’heure, tout ceci est encore aléatoire. Mais cela n’empêche pas un constat lucide sur le changement de cadre géopolitique.
Le lâchage actuel de l’Ukraine et la totale indifférence à l’égard de l’Europe sommée, d’une part, d’assumer seule sa défense ou en tout cas de payer pour la garantir (ce que les Américains préconisent et ils n’hésiteront pas à faire pression dans ce sens) et, d’autre part, de rééquilibrer ses échanges commerciaux avec les USA, en particulier s’agissant des biens industriels, exige de notre part des réactions à la hauteur des enjeux.
Il faut reconquérir notre indépendance militaire. C’est vrai pour la France qui a des atouts au sein de l’UE et ce devrait être vrai pour l’Europe. Et si nos voisins européens semblent découvrir cette exigence, rien n’est en fait aujourd’hui très clair, si ce n’est le besoin de réengager un réarmement de notre continent pour faire face aux menaces qui pèsent sur lui.
Attention dans des moments troublés, il faut être rigoureux sur les mots comme sur les faits et n’entretenir ni des peurs irrationnelles ni des illusions trompeuses.
1- La France n’a pas à entrer dans une économie de guerre, elle doit entrer dans une économie de défense et de reconquête de souveraineté. C’est la meilleure garantie pour notre paix !
La France ne se situe pas en posture de guerre et actuellement n’est en guerre avec personne.
Néanmoins, elle doit rentrer dans une économie de défense parce qu’elle doit, d’une part, se préparer à d’éventuelles menaces que l’on voit poindre à l’horizon et qui pour une part (mais pour une part seulement…) ont changé de nature, mais aussi parce qu’elle subit dès à présent des attaques de type variées, comme il se doit dans des guerres hybrides. On a pu voir comment la Russie a agi pour la déstabilisation en Afrique ou comme les cyber-attaques se multiplient.
Une économie de souveraineté ne signifie pas fermer nos échanges et collaborations, ni renoncer à des alliances et à la construction européenne. Mais il s’agit de se mettre en situation de maitriser au maximum notre avenir et faire face, si besoin, seuls à des lourds périls et de tous ordres.
Consacrer d’importants efforts pour renforcer nos capacités militaires et de défense est justifié car la seule dissuasion nucléaire ne saurait suffire, elle doit être l’ultime recours et suppose d’être appuyée sur des moyens conventionnels suffisants et consistants.
De fait, nos choix récents étaient davantage tournés vers la projection extérieure, la lutte contre le terrorisme et moins sur la défense de notre territoire national. Cela doit redevenir la priorité.
Il faut donc y consacrer des crédits importants et accompagner une montée en puissance de la production d’armements. Evidemment cette constatation exige des changements majeurs de politique économique et la gauche doit faire des propositions sérieuses et offensives et ne pas se laisser embarquer dans le durcissement de la politique austéritaire et de reculs sociaux qui n’a fait que nous affaiblir !
2- Ne partons pas tête baissée dans l’idée d’une défense européenne ! Parlons de la défense de l’Europe et de la défense de la France ! Engageons de premiers jalons et réarmons notre pays.
Ne théorisons pas notre incapacité dans ce monde nouveau à pouvoir être maître de notre destin, avec cette formule rabâchée à l’envie : nous ne pouvons plus agir seuls, on ne peut le faire qu’avec l’Europe !
Certes, il est mieux agir de concert avec nos voisins européens et consolider nos liens pour ensemble être plus forts, et nous devons faire le maximum pour cela. Mais en aucune façon, nous ne devons accepter de nous trouver affaiblis ou incapables de faire prévaloir nos choix, nos intérêts, nos valeurs, de garantir notre indépendance ! brefs partenaires oui, vassaux – de fait – jamais !
Certes, nous devons très vite avec les Européens (et il y a déjà un problème de définition et de périmètre, puisque, d’une part, le Royaume-Uni est hors de l’UE et, d’autre part, certains pays comme la Hongrie ne sont pas nécessairement très fiables) agir de concert en particulier en soutien à l’Ukraine, trouver les moyens de relancer la production militaire dans nos pays et consacrer les sommes qui s’imposent pour la défense. Mais faut-il encore être au clair sur ce que ce changement radical de paradigme impose.
Nous devons favoriser la création d’une plateforme opérationnelle de défense entre Européens et eux seuls, ainsi que renforcer la production d’armement en Europe. Mais il est extrêmement prématuré de parler de défense européenne.
Oui il faut rapidement prendre des décisions pour produire des armes sur notre continent et la France doit engager des mesures d’urgence pour sa réindustrialisation.
Nous devons être extrêmement fermes avec nos voisins européens : nous ne pouvons pas continuer à financer les budgets européens pour que les autres pays achètent des armes aux Américains ou hors UE. Certes, il va falloir un certain temps pour que cela ne soit plus nécessaire du tout, mais au moins veillons à ce qu’ils n’achètent plus des armements qui ne peuvent être produits en Europe. Le cas des F35 est un bon exemple.
Par ailleurs, sous l’effet de l’émotion, les dirigeants allemands semblent davantage décidés à avancer dans la direction de la coopération européenne. Seuls les actes comptent et ne négligeons pas leur vulnérabilité aux pressions américaines sur leurs exportations outre-Atlantique et le chantage qui leur sera fait concernant l’achat de matériel américain. Ce ne serait hélas pas la première fois ! On a vu comment le Bundestag a tout fait pour faire capoter le projet européen d’hélicoptère Tigre III, ce qu’au final il a obtenu, et la Bundeswehr a acheté des hélicoptères à dominante américaine ! Trump ne va pas se gêner.
Mais de surcroit, il est fort probable que les Allemands mettent les énormes sommes annoncées pour son réarmement au service de productions nationales, parfois concurrentes aux entreprises françaises et il faut être attentifs car le passé récent exige notre vigilance : les coopérations franco-allemandes se sont souvent achevées par une prédation par les acteurs d’outre-Rhin de nos entreprises avec leurs avancées technologiques que de fait nous perdions !
Et en tout cas, s’agissant de l’armement français, il ne faudra pas compter uniquement sur les débouchés européens et il faudra continuer à travailler, voire intensifier la coopération, avec d’autres pays non alignés qui ne veulent pas être soumis aux diktat américains, russes ou chinois ! C’est d’ailleurs un point majeur de notre politique internationale : nouer des alliances avec les pays qui ne veulent pas entrer dans l’orbite des trois blocs impérialistes.
Rappelons que la défense doit demeurer une stratégie, une mise en œuvre souveraine de la Nation. Évidemment c’est particulièrement vrai de la dissuasion nucléaire qui ne saurait être partagée, même s’il revient à notre pays de définir librement les conditions de son utilisation.
3- Surtout pas de saut fédéraliste, mais des exigences immédiates de réorientation de l’UE !
D’abord fort heureusement, nous n’avons pas cédé aux sirènes fédéralistes car, sur de nombreux dossiers, la France était ultra-minoritaire. Si nous l’avions fait, nous serions encore davantage en hyper fragilité aujourd’hui, ne serait-ce que sur la poursuite de la production électrique nucléaire, mais aussi sur ses dépenses militaires.
La France, en tout cas souvent, avait eu raison. Mais trop souvent aussi, elle n’a pas suffisamment créé un rapport de force pour exiger des réorientations majeures de l’Union Européenne et ce sont souvent ceux qui, aujourd’hui, nous pressent au fédéralisme qui, hier, nous poussaient à accepter la logique néolibérale et malthusienne, la thèse des autres, au nom de l’UE à tout prix. Et cela nous a conduit dans les impasses actuelles. Ce fut vrai lors de l’acceptation des dogmes budgétaires inscrits dans le marbre des traités dans le traité d’Amsterdam. Nous disions alors que cette logique économique induirait structurellement un affaiblissement de la croissance ! Cela s’est hélas confirmé avec un décrochage massif en termes de PIB entre l’Europe et les USA mais avec quasiment toutes les autres régions du monde. Même dans ce cadre, nous plaidions pour que soit sorties des critères de dépenses publiques, les dépenses de défense !! Que nenni et alors que notre pays poursuivait un certain effort en ce sens, d’autres comme l’Allemagne nous montraient du doigt comme de mauvais élèves. Quand nous contestions la concurrence libre et non faussée, qui entretiendrait le dumping social et fiscal, on nous promettait un grand marché porteur de prospérité. Nous n’avons eu ni la prospérité ni le renforcement du sentiment européen, mais l’aggravation des inégalités, de la pauvreté, des tensions sociales qui nourrissent l’extrême droite et les populistes.
D’ailleurs le basculement fédéral dans ces circonstances serait d’autant plus dangereux.
On pourrait parler de la pongée aveugle dans la mondialisation libérale et le refus de sérieusement soutenir la production européenne et de prévoir des barrières aux frontières de l’UE. On pourrait citer les conditions du grand marché de l’électricité qui a renchéri le prix de l’énergie … bref la liste est longue.
Plus que jamais ce qu’il faut faire en Europe, c’est privilégier des coopérations intergouvernementales équilibrées, desserrer l’étau de l’austérité budgétaire et engager une nouvelle politique économique européenne, fondée sur la relance, une relance de reconstruction tant des investissements productifs, de recherche, d’innovation, d’éducation, que d’un modèle social où les salariés peuvent vivre dignement de leur salaire, avec une protection sociale élevée et d’un plus juste équilibre capital travail. Car l’atonie de la demande intérieure européenne pèse lourd sur nos industries et freine notre réindustrialisation.
Il n’y a pas d’exemple de réarmement sérieux d’un pays sans relance économique.
Cela suppose aussi de permettre à chaque État de retrouver sérieusement les moyens de sa compétitivité en dehors de cette logique destructrice de dumping social et en l’occurrence de faire baisser sérieusement notre prix de l’énergie. Donc avant de remettre en cause l’actuel marché de l’énergie (on notera qu’aujourd’hui l’Espagne qui s’est mis hors ce dernier est le pays où l’électricité est la moins chère !), nous devons exiger comme le suggère Olivier Lluansi dans son excellent livre Réindustrialiser, le défi d’une génération que 15% de la production nucléaire française puisse être vendue aux industriels à prix coûtant ! Nous avons des moyens de pressions si les résistances à ces dérogations étaient trop fortes. Agissons vite car il n’est pas exclu que rapidement soient rouverts les échanges de gaz avec la Russie à bas prix sous la bénédiction des Américains et qui à nouveau seront un avantage pour nos voisins outre-Rhin.
Au-delà, on ne peut plus tergiverser sur la mise en place de protections à nos frontières et des règles favorables à la consommation de proximité notamment pour les appels d’offre publics. Hélas nous avons à travers les traités (rappelons que les Français l’avaient rejeté) confié l’ensemble de la politique commerciale de l’UE à la commission européenne. On en voit tous les jours les tristes conséquences, récemment encore avec le Mercosur, ou dans l’affaire des panneaux solaires chinois. Mais cela risque d’être particulièrement douloureux pour la riposte aux attaques de Trump !
4- Une réaction effective et dissuasive à la hausse des droits de douanes annoncés par Trump !
Poutine et Trump n’ont en commun que de prendre en compte la force ! Alors face à sa hausse des droits de douanes, nous ne pouvons pas, comme la fois dernière, nous contenter de mesures limitées et ciblées, accompagnées d’un verbe haut. Mais la réalité était que rien de significatif ne touchait fortement les USA.
Si l’on veut frapper un grand coup, annonçons que nous allons taxer les armes américaines ou au moins un panel significatif dans les domaines où l’Europe est capable de prendre le relais ! Peut-être que cela amènera l’administration américaine à réduire ses prétentions et à discuter sérieusement. On le voit dès à présent dans la liste des « rétorsions » de la commission face à la hausse des taxes US sur l’acier et l’aluminium très limitée et juste ajustée à des sommes équivalentes à celle imposées par Trump. Bref c’est une position qui n’est en rien dissuasive !
Il est à craindre que la commission européenne comme d’habitude s’enlise dans des recherches de vains compromis sans avoir auparavant créé l’indispensable rapport de force ! Pire que Madame Von der Leyen négocie un fois de plus avec le prisme des intérêt allemands !
5- Pour mettre en œuvre une économie de défense et de souveraineté, en France aussi il faut changer d’orientations économiques et budgétaires et engager une politique de relance ! Relance par des investissements productifs (dont l’armement mais pas seulement) et par la consolidation de notre modèle social.
Relancer une économie de défense doit aller de pair avec un esprit de défense. Car face aux dangers, un peuple ne gagne pas seulement avec des moyens militaires (il en faut et les utiliser à bon escient) mais aussi un esprit de défense et cela exige plus de cohésion sociale, plus de justice, et autant que faire se peut la défense d’un idéal commun. Pour la France, c’est la République.
De surcroit, pour financer ces nouvelles dépenses, il est impératif de soutenir une politique de croissance qui, seule, garantit des ressources nouvelles et importantes. Il nous faut un grand plan de relance d’investissements productifs au sein desquels la recherche doit avoir une place significative car notre pays est très très loin derrière les autres pays développés. Il faut urgemment rattraper notre retard.
Mais une économie de défense et de souveraineté ne peut se contenter de soutenir les investissements militaires, elle doit concerner de très nombreux secteurs civils. D’ailleurs il est essentiel de bien mettre en synergie les deux dimensions civiles et militaires ! Insistons sur la reconquête d’une souveraineté numérique et technologique.
Face aux menaces chacun doit participer à proportion de ses facultés.
Emmanuel Macron a eu grand tort, a fait une grave erreur lorsqu’à peine disait-il que nous avions à faire face à une menace existentielle qu’il se précipitait à dire qu’il n’y aurait pas de hausses d’impôts, en clair que les plus riches ne seraient pas mis à contribution. Quelle honte !
Hélas, l’histoire a montré qu’une large part du patronat a souvent privilégié son portefeuille à la défense de la Nation et rares sont ceux qui ont fait œuvre de patriotisme et de résistance (il y en a eu néanmoins).
En tout cas faire porter l’effort de réarmement sur les salariés, sur la dégradation de notre modèle social serait une énorme erreur et serait voué à l’échec !
L’adhésion du peuple suppose la justice, l’effort d’abord demandé aux plus riches, au plus forts, une meilleure redistribution des richesses au service de l’intérêt national !
Je le répète c’est un impératif pour réussir !
Ni va-t’en guerre, ni tentés par une sous-estimations des menaces venant de Russie ou d’ailleurs, nous ne devons pas tarder à nous préparer à ce monde nouveau qu’il nous faut affronter avec lucidité, courage (en particulier de sortir des voies suivies jusqu’alors et qui nous ont affaiblies) avec chevillée au corps l’ambition d’être un peuple maître de son destin et de concourir à un monde qui ne saurait être partagé entre des empires dominants !
Bien d’autres questions et choix vont se poser à nous dans les mois qui viennent. C’est toute la noblesse d’une démocratie d’en débattre. Faisons-le sans tarder, sans esquiver les difficultés, avec sérieux en sortant des postures de communication ou des invectives et déclarations réductrices. Dans ces temps difficiles, soyons plus que jamais pleinement citoyens.
Marie-Noëlle Lienemann ancienne ministre, coordinatrice nationale de la GRS, membre du conseil économique, social et environnemental
communiqué de presse d’Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste – mercredi 12 mars 2025
Je me suis abstenu sur la résolution débattue ce jour à l’Assemblée nationale pour renforcer notre soutien à l’Ukraine.
La guerre déclenchée il y a trois ans par les armées de Vladimir Poutine a semé la mort et la destruction dans un pays qui n’aspire qu’à la liberté, la démocratie et l’indépendance.
La France a raison d’entreprendre une action résolue en faveur d’une paix juste et durable en Ukraine, assortie de garanties de sécurité suffisantes pour dissuader la Russie de jamais reprendre les hostilités.
A cet égard, la proposition conjointe des États-Unis et de l’Ukraine pour un cessez-le-feu est un pas dans la bonne direction. A présent, la balle est dans le camp de la Russie.
Mais la sécurité collective du continent européen nécessitera des efforts au long cours de la part des pays européens et de la France, dans le strict respect de son pacte social.
Nos compatriotes rejettent l’impérialisme meurtrier du Kremlin et souhaitent que l’Union européenne, enfin émancipée de la tutelle américaine, soit forte contre cette menace.
Mais ils ne souscrivent pas à l’idée que pour ce faire, l’Ukraine doive adhérer à l’UE, a fortiori de façon accélérée ! Une telle adhésion provoquerait des déséquilibres financiers et économiques insolubles, particulièrement pour nos agriculteurs.
Ces derniers ne sauraient être la variable d’ajustement d’un mouvement irréfléchi qui mettrait en danger notre souveraineté alimentaire et au-delà, l’idée même de la construction européenne.
Les Français soutiennent la volonté exprimée par la majorité des forces politiques pour soutenir l’Ukraine contre son agresseur. Mais toute volonté d’accélérer l’histoire sans les consulter serait vouée à l’échec.
intervention d’Emmanuel Maurel en séance le mercredi 12 mars 2025 à l’Assemblée nationale
Cette contribution au débat a été rédigée le vendredi 21 février 2025 par Frédéric Faravel pour nourrir la réflexion au sein de la Gauche Républicaine et Socialiste sur l’évolution brutale et rapide de la situation géopolitique européenne et internationale. Elle vise à sortir le débat public des alternatives caricaturales qui dominent dans les médias et les réseaux sociaux.
Il y a dix ans, la série TV norvégienne Occupied paraissait parfaitement décalée avec son scénario d’accord secret entre l’Union Européenne et la Russie pour subvertir une Norvège écolo ayant décidé d’abandonner l’extraction du pétrole en mer du nord. Aujourd’hui, on ne peut exclure le scénario d’une série finlandaise Conflict : un pays européen envahi à l’Est de l’Europe, les États-Unis très présents au début qui expriment très clairement le fait qu’ils n’apporteront pas de soutien aux membres de l’OTAN.
L’un des éléments majeurs du problème des États européens aujourd’hui est ainsi pointé : alors que toute l’Europe a fondé sa sécurité collective sur la solidarité américaine – plus encore après la chute du mur de Berlin quand pour les États d’Europe centrale et orientale l’adhésion à l’OTAN primait sur « l’intégration européenne » – elle ne bénéficie plus totalement du parapluie ou du bouclier américain. Les arguments invoqués à demi-mot par les Américains dans la série finlandaise paraissent assez réalistes : la priorité est donnée à la compétition avec la Chine en Asie et dans la zone indopacifique, c’est donc aux Européens de se débrouiller pour apaiser la situation et trouver une solution diplomatique sans réel soutien militaire.
Si l’élection de Donald Trump, et son accointance manifeste pour les États autoritaires et la conduite illibérale des affaires intérieures et internationales, est un facteur aggravant que nous voyons aujourd’hui dans la façon dont il tente de dépecer l’Ukraine au profit du Kremlin, il semble cependant évident que la toile de fond durable et générale de la géopolitique européenne, c’est une Europe de plus en plus aux prises avec une rivalité croissante qui se déroule entre trois grandes puissances impérialistes : les États-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie. Depuis des mois, voire des années, l’Europe est spectatrice, « victime collatérale », mais pas véritablement actrice de cet affrontement entre ces trois puissances.
La provincialisation de l’Europe ?
Comment est-on passé d’une situation où les États européens disposaient de la puissance et en usaient régulièrement sur un mode impérialiste, puis une Europe qui restait le cœur des enjeux économiques et géopolitiques, à une situation où l’Europe est devenue vassale et sur la voie de la marginalisation ? Les Européens ont d’une certaine manière unifié la planète : la première véritable mondialisation est passée par la colonisation, une « œuvre » européenne qui passe par le commerce, la guerre et la conquête, et du XVIIIème au début du XXème siècle les rivalités européennes ont fait du monde un champ de bataille unifié, un système poli, un système international unifié. Depuis le XXème siècle, c’est exactement l’inverse : les rivalités entre grandes puissances mondiales façonnent et transforment l’Europe et ont pesé par ailleurs sur son processus d’intégration.
L’Europe va-t-elle devenir provinciale, marginalisée par des grandes puissances extra-européennes, sans même en être le champ de bataille, l’arène principale de la compétition de puissance ? C’était pourtant encore le cas pendant la guerre froide, où Soviétiques et Américains se disputaient le contrôle de l’Europe. Non seulement les États européens semblent avoir perdu toute puissance, mais les puissances réelles s’occupent en réalité d’autres régions.
Nous savons que les États-Unis en tout cas ne considèrent plus l’Europe comme un enjeu réellement important. Avec Obama, Trump I et Biden (mais c’était déjà un sujet sous Clinton), ils se sont avant tout focalisés sur l’Asie et la zone indopacifique, en compétition avec la Chine, et Trump II – malgré les diversions contraintes où il doit amuser la galerie (Ukraine et Gaza) – concentre en réalité ses intervention sur le continent américain : toutes ses initiatives importantes depuis le début de son second mandat montrent plutôt un resserrement sur ce qu’on appelait l’hémisphère occidental, c’est-à-dire le pré-carré, Canada, Groenland, Panama…
En Europe, la priorité de Trump semble d’avoir la paix le plus rapidement, presque à tout prix, pour ne pas avoir à donner de troupes en Europe et à poursuivre le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Les provocations sur Gaza et la « Riviera du Proche-Orient » occupée par les Américains ne ressemblent en rien à une solution pérenne et semblent plutôt relever de la diversion. Pour l’Ukraine, manifestement, il n’y a pas non plus de solution évidente, mais celle qu’il répète avec son entourage est assez constante : il faut s’arrêter à la ligne de front actuelle et donner satisfaction au Kremlin sur le reste, soit un désarmement et une neutralisation de l’Ukraine (voire son émiettement) qui sinon serait une menace pour les pauvres russophones ; c’est en fait une reprise complète des arguments et des angles d’attaques traditionnels de Poutine.
La mobilisation des Européens, ainsi que la visite d’Emmanuel Macron à Washington en février, pourraient avoir infléchi la propension du Président américain à la capitulation, en obtenant de sa part des assurances, à ce stade verbales, sur les garanties de sécurité de l’Ukraine. Mais la versatilité et l’imprévisibilité de Trump incitent à la prudence. Avéré le même jour au Conseil de sécurité de l’ONU, où les USA se sont alliés à la Russie sur une résolution sur l’Ukraine ne comportant plus référence à son intégrité territoriale ni à son agresseur, cet alignement signifie que les États-Unis pourraient ne pas honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs alliés.
On pourra toujours rationaliser l’exigence de Trump I de voir les États européens membres de l’OTAN accroître leur participation financière à l’Alliance et leurs budgets militaires (sur ce dernier point, on peut même se dire qu’il y a une logique) mais on peut aussi y voir un prétexte qui servira le moment venu à se désengager en invoquant « l’absence d’effort » des Européens. Cette inquiétude européenne pousse les Ukrainiens à rentrer dans le débat pour ne pas être pris entre l’enclume américaine et la masse russe. Kyïv envoie ce message : « il faut pas que le sort de l’Europe soit décidé sans l’Europe, qu’elle soit court-cuitée par les grandes puissances ». Il y a quelques semaines à Davos, Volodymyr Zelensky disait que « le grand problème de l’Europe, c’est qu’elle peut pas se défendre ». Reconnaissons que c’est bien un problème parce que cela nous rend faibles et vulnérables et cela induit en réalité que personne n’éprouve le besoin d’écouter aucun des États européens.
L’Europe ? Combien de divisions ?
Le sujet n’est pas tant celui de l’Union Européenne car il faut également tenir compte de la Grande Bretagne. Qu’on le veuille ou non – les positions de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la sortie dans un premier temps du commandement intégré de l’Alliance atlantique sont explicites et elles peuvent servir de base pour réfléchir à une stratégie sans OTAN – nous sommes intégrés ensemble dans le cadre de l’OTAN. Toute évolution visant à sortir la France et l’Europe de son statut de faiblesse passera nécessairement par des initiatives en coordination avec la Grande Bretagne. Le Royaume-Uni est un pays qui, même s’il n’est plus dans l’Union européenne, est intéressé à la stabilité européenne.
Le problème de l’Europe n’est pas tant qu’elle n’aurait pas d’armées ou de budgets militaires – ils sont insuffisants mais les efforts dans ce domaine croissent – c’est que la dispersion, l’absence de coordination empêche toute conception d’une ligne de défense solide, vis-à-vis d’un régime russe agressif, qui puisse garantir d’alimenter l’Ukraine en armes si jamais, comme cela semble se dessiner, il faudrait l’assumer sans les États-Unis, et qui puisse garantir la sécurité de l’Ukraine si on doit lui donner des garanties de sécurité. Plusieurs petites armées, cela fait-il une grosse armée ?
C’est également un problème dans le dialogue avec Trump, qui veut imposer à chaque membre européen de l’OTAN de dépenser 5% de son budget pour sa défense. Une meilleure coordination au sein de l’UE avec une dépense à hauteur de 5% conduirait à dépenser collectivement plus que les USA en matière militaire. L’absence totale de coordination militaire et industrielle, la soumission de la majorité des armées européennes au marché militaire d’occasion américain, la concurrence entre productions et marchés européens (au bénéfice du matériel américain) aboutit dans la croissance de nos efforts budgétaires militaires à une colossale perte d’énergie et de crédits.
En 2023, la France a dépensé 2,1% de son budget pour la défense, contre 1,8% auparavant, un effort important dans le contexte budgétaire actuel. L’absence de coordination des dépenses pourrait donc à court terme poser des problèmes budgétaires croissant. Quand on doit acheter certains équipements dits « consommables » en masse – munitions, missiles, drones –, des équipements qu’on peut perdre rapidement et massivement sur le champ de bataille, il faut pouvoir renouveler très rapidement les stocks : une politique d’achat nationale non seulement rend difficile voire impossible cet objectif mais en plus facilite la submersion par le matériel américain en l’absence de toute règles collectives. L’exemple le plus parlant en la matière, c’est l’initiative de 2023 sur les munitions : les Européens se sont accordés pour fournir un million de d’obus d’artillerie aux Ukrainiens, mais en décidant que chacun d’entre eux négocie son contrat dans son coin, sans coordination (on ne parle même pas de centralisation), avec une politique d’achat interne ou extérieure. Résultat, les obus sont arrivés très tard (trop tard) en Ukraine à un moment où il aurait fallu peut-être arriver à deux millions ou trois millions d’obus.
Obus du canon CAESAR
Cet exemple a été mis en avant Kaja Kallas1, haute représentante de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui a suggéré de suivre l’exemple de la rationalisation européenne des achats de vaccins durant la crise sanitaire en se donnant les moyens de discuter en force avec l’industrie sur les prix, le rythme, la rapidité, la quantité. Cependant on ne sent pas que cette analyse et cette impulsion évoquées par la Haute Représentante soit reprise au vol par la présidente de la Commission européenne pour initier une démarche auprès du Conseil et du Parlement européens ; Ursula von der Leyen, ancienne (et très mauvaise) ministre de la défense d’Angela Merkel, semble avoir conservé les réflexes de l’ère Merkel sur les intérêts énergétiques allemands qui passent par la nécessité de ménager le Kremlin. [Les 800 milliards d’euros annoncés début mars par Ursula von der Leyen sont en réalité 150 milliards de prêts garantis et la représentation de ce que représenteraient une autorisation à dépasser les contraintes européennes imposées au budget nationaux de 1,5 points, donc 650 milliards. La Pologne, la France, la Roumanie, la Finlande, la Belgique sont déjà au-delà ; les marges de manœuvre seraient donc limitées à la Suède et l’Allemagne (cette dernière ayant par ailleurs accumulé des retards massifs d’investissements publics) : l’argent frais n’est donc pas apporté par cette initiative.
Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous a permis de nous rendre compte à quel point les capacités, par exemple, militaires françaises étaient faibles en termes purement quantitatifs, sur les chars, sur les obus, sur les munitions. Très rapidement, nous avons été à court de munitions. Les efforts que l’on a fait en matière de tanks étaient important pour nous, mais dérisoires à l’échelle du conflit ; ce que l’on a réussi à envoyer en Ukraine ce compte en unités.
Quelle initiative française ?
Historiquement, la France n’a pas vraiment été une puissance très européenne en matière de défense. Même si nous aimons dire que nous avons été les premiers à ne pas avoir totalement confiance dans la fiabilité de la protection américaine, notre capacité à maintenir notre rôle de puissance africaine était aussi une conséquence de la « protection américaine » comme une puissance installée pour la défense de l’Europe occidentale. Or ces dernières années, en parallèle à la guerre en Ukraine, la France a subi l’effondrement complet de ses positions en Afrique (et le Royaume Uni également dans une moindre mesure).
L’armée française est sans doute en train de vivre une sorte de révolution culturelle : on passe de la logique d’une armée qui se veut « légère », capable d’agir un peu toute seule en se déployant très rapidement, avec des effectifs légers qui peuvent aller assez loin (notamment en Afrique), à une logique où il faut se penser comme une armée européenne en Europe, une armée qui doit avoir plus de stocks et plus d’équipements lourds et qui doit plus penser sa complémentarité avec les autres briques des armées européennes et, si ce n’est la mutualisation de certains équipements, le partage de certaines pratiques avec d’autres armées européennes pour être influente dans une logique de coalition. Ce ne sont donc plus les mêmes qualités et valeurs qui doivent être encouragées.
Cela ne signifie pas que la France doit renoncer à être influente en Afrique, notamment dans les pays francophones, mais elle ne le fera sans doute pas sous la forme de partenariats militaires tels qu’ils existaient voici encore 7 ans : un long chemin de rétablissement de notre image est devant nous, image qui pour l’instant ne nous permet pas de contester les positions acquises par les Chinois ou les proxies russes à notre détriment. Dans le même temps, notre appareil de défense doit à nouveau se repenser dans le champ de la transformation de la position européenne.
L’opportunité polonaise
Il y a aujourd’hui un État qui, pour des raisons que l’on comprend aisément, souhaite désormais une « Europe de la défense », alors qu’il s’en est longtemps désintéressé ; un pays qui augmente son budget militaire : la Pologne a atteint les 4,7% de son budget consacré à la défense, à comparer aux 2,1% français, la Pologne qui réclame désormais – comme l’a longtemps fait seule la France – que ces dépenses soient comptées à part dans les règles budgétaires européennes, voire soient en partie prises en charge par le budget de l’Union Européenne, puisque la frontière polonaise est la frontière de l’Union Européenne avec le bloc russe.
La Pologne est en première ligne pour observer la dégradation sécuritaire de toute la zone, avec l’invasion de l’Ukraine et tout récemment le désengagement annoncé des Américains de l’OTAN. La Pologne veut être protégée d’une énième invasion russe, elle alerte sur des modes multiples depuis des années sur le péril et c’est un sentiment parmi les dirigeants politiques polonais qui apparaît comme parfaitement consensuel et transpartisan ; cette menace était déjà soulignée en 1999 par Aleksander Kwaśniewski, président de la Pologne social-démocrate (ex-communiste) entre 1995 et 2005 ; le PiS, ultra-conservateur et nationaliste, reprenait les mêmes éléments dès 2015, et aujourd’hui Donald Tusk, premier ministre libéral, développe les mêmes arguments.
La Pologne est passée d’une sécurité « assurée » par le pacte de Varsovie, par l’Union soviétique, à une sécurité assurée par l’OTAN. Dès 1990, Lech Wałęsa expliquait que la Pologne avait vocation à entrer dans l’OTAN dans une vision polonaise d’une guerre froide emportée par le camp occidental et par une troïka qui, pour les Polonais, s’incarnait en Jean-Paul II, Ronald Reagan et l’OTAN. L’idée que cette sécurité polonaise serait toujours assurée par l’OTAN, alliance militaire la plus efficace de l’histoire, est en train de glisser vers la nécessité qu’elle le soit également par l’Union Européenne et par la Pologne elle-même. Ce glissement, depuis le début de la guerre en Ukraine, est un axe essentiel, incarné par la multiplication des accidents de frontières, dès qu’un drone ou un missile tombe d’un côté ou de l’autre ; la question qui se pose aux Polonais est comment et qui pourrait les aider à tenir.
La Pologne n’est pas le seul pays dans ce cas alors qu’elle est, d’une certaine manière, déjà en guerre hybride contre la Russie, avec l’intrusion des drones, avec des miliciens de Wagner qui font des manœuvres le long de sa frontière. C’est déjà un premier niveau qui est franchi, la Pologne construit une sorte de bouclier oriental qui va en partant de l’enclave de Kaliningrad, puis le long de la frontière biélorusse, avec à la fois des éléments de défense concrets (barrières anti-char, hérissons d’acier, tout élément censé ralentir la progression d’une armée d’invasion terrestre) et des éléments de « smart défense » (informations, transmission de désinformation, etc.).
Pendant longtemps, la France et la Pologne pouvaient donner l’impression de regarder dans des directions très différentes. La France, intéressée plutôt par l’outre-mer, par l’Afrique ; la Pologne, évidemment rivée sur sa frontière terrestre. La France, parfois sceptique vis-à-vis de l’allié américain, la Pologne, extrêmement engagée sur l’importance du partenariat transatlantique… Finalement, l’évolution de la tectonique des grandes puissances – Poutine et Trump par-dessus nous – nous a rapprochés. Les Français sont contraints de penser leur système de défense dans un cadre plus européen qu’avant et sont par la force des vents contraires moins en Afrique et plus présents en Europe. Et désormais les Polonais sont plus intéressés à des solutions complémentaires à l’OTAN. C’est ainsi qu’ils poussent ou partagent désormais l’idée d’avoir peut-être des emprunts européens, d’avoir un pot commun européen pour faire des investissements conjoints. Il y a eu des rumeurs fin 2024 sur leur souhait de proposer 100 à 500 milliards d’euros pour emprunter en commun sur des grands projets collectifs qu’il faudrait mettre en place entre Européens, comme une défense antimissile.
Olaf Scholz, Chancelier allemand (SPD) démissionnaire, et Donald Tusk, premier ministre (libéral) polonais
Donc d’un côté, des Français qui parlent plus de pilier européen au sein de l’OTAN, un langage qui est devenu audible à Varsovie, et, de l’autre, des Polonais qui parlent plus de solutions entre Européens, y compris par l’Union Européenne. Or si les Français et les Polonais, qui sont deux États qui accordent beaucoup d’importance à la défense, regardent dans des directions différentes, il n’y a pas de défense européenne ; s’ils regardent dans la même direction, il y a une opportunité.
Les relations entre la France et la Pologne sont anciennes. Sans remonter à Henri III et Napoléon, deux acteurs qui fleurent bon l’Ancien Régime ou l’Autocratie, on peut penser au rétablissement de l’indépendance polonaise en 1919 et à l’alliance militaire qui, dès ce moment, est conclue entre nos pays. Charles De Gaulle – pour lequel la défense fût toujours une affaire nationale – était ainsi aux premières loges entre avril 1919 et début 1921 comme instructeur de la jeune armée polonaise qui devait faire face à la première invasion soviétique ; le commandant puis le colonel De Gaulle défendit toujours le système d’alliances de la République française en Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie) qui s’accompagnait de garanties de sécurité, certes dissymétriques mais réciproques, alors que le Maréchal Pétain et ses séides le dénigraient et plaidaient pour un isolationnisme conséquent derrière la ligne Maginot (contrairement à ce que raconte sa fiche wikipédia). Contrairement aux idées reçues, la Pologne s’est relativement bien défendue en septembre 1939 face à la Wehrmacht : l’effondrement fut avant tout précipitée par l’attaque sur le flanc Est, avec l’invasion soviétique consécutive au pacte Ribbentrop-Molotov signé quelques semaines plus tôt. La France se rua courageusement derrière la ligne Maginot : l’abandon de la Tchécoslovaquie à Munich a pavé la défaite de 1940.
Faire face aux périls
Poutine parie aujourd’hui sur le fait que les États-Unis prennent leurs distances avec des Européens désorganisés et faibles. Cela représente pour le Kremlin une ouverture pour avancer d’une manière ou d’une autre, que ce soit de façon directe, comme en Ukraine (Moldavie, Kazakhstan, pays baltes), ou de façon plus indirecte, hybride, mais de façon opportuniste (notamment en déstabilisant les sociétés et leurs élections comme en Géorgie ou en Roumanie aujourd’hui ou avec des alliés explicites comme la Slovaquie ou la Hongrie).
La Pologne et toute l’Europe baltique et balkanique sont acculées également parce que la Russie est désormais 100% focalisée sur son industrie de guerre, ce qui n’est pas le cas de l’Europe, loin de là. Les élites russes ont tout misé sur la guerre de Poutine, les oligarques ont intérêt à ce que la guerre paye car la Russie n’a pas reconstruit son économie après la fin de l’URSS : elle reste d’abord et avant tout extractiviste et prédatrice sans réellement profiter aux Russes eux-mêmes. La menace est aussi là.
Chacun s’accorde désormais à considérer que cette menace est sérieuse et que les USA ne bougeront pas. Cela signifie qu’on doit être capable de se défendre, donc capable de se battre à la frontière polonaise. Jusqu’au sommet de l’OTAN à Madrid 2022, on a considéré qu’il était suffisant de positionner quelques troupes à l’Est (comme nous en avons dans les pays baltes aujourd’hui). Nous avons changé de paradigme depuis Madrid, alors que Biden était encore à la Maison-Blanche : il s’agit d’être capable si la situation se présentait de repousser l’armée russe à la frontière. Cela veut dire qu’il faut des pays forts à la frontière, comme la Pologne. Ça veut dire aussi que les pays d’Europe de l’ouest, comme la France, doivent être présents à la frontière car nous n’aurons pas d’alliés sans leur offrir des garanties de solidarité. Car il est évident qu’après la manipulation des services russes en Afrique contre les intérêts français, tout repli de notre pays face aux ingérences du Kremlin sera considéré comme un encouragement.
C’est la raison pour laquelle la France a renforcé sa présence en Roumanie, mais nous sommes loin d’avoir atteint les capacités nécessaires. 1.000 ou 1.500 soldats européens dont des Français en Roumanie sont une force dérisoire par rapport au nombre de soldats mobilisés aujourd’hui par la Russie sur le front ukrainien. En cas d’attaque réelle d’un État de l’Union Européenne, le plan de l’OTAN était d’arriver à 100.000 soldats collectivement en quelques jours en cas d’attaque. Aujourd’hui, malgré le désengagement annoncé des États-Unis (donc l’inconsistance de l’OTAN), l’effort à fournir est le même. Or plus on a de soldats sur place, plus on est capable de réagir vite et de rassurer des pays à la frontière qui n’ont pas envie d’avoir une occupation longue et des massacres comme à Boutcha. Cela fait partie de la confiance entre alliés de dire qu’on est capable de vous défendre à la frontière, pas des années après.
Plus que la Pologne ce sont plutôt les pays baltes, qui sont les premiers menacés, car, fort heureusement, la Russie n’a pas les moyens, d’agresser un autre pays à la profondeur géographique de la Pologne ; si elle devait choisir d’entrer quelque part, ce serait plutôt dans un pays balte. C’est pourquoi plusieurs dizaines de milliers de soldats européens et canadiens de l’OTAN (et jusqu’à 100.000 pour un plan de déploiement) y sont stationnés, à comparer aux 1.500 postés en Roumanie. La faible profondeur stratégique de l’Estonie, par exemple, donne une raison de plus pour être solide à la frontière, parce qu’on ne peut pas mettre en oeuvre une défense élastique, où on recule un petit peu pour pouvoir contre-attaquer ensuite. Cela renforce l’importance de la crédibilité entre alliés. D’autres encore sont fragiles et on peut penser à la Moldavie, pour laquelle la guerre en Ukraine est une réalité proche avec les troupes russes positionnées dans la pseudo-république de Transnistrie (figée dans un temps parallèle brejnevien).
Soldats européens en manœuvre dans les pays baltes dans le cadre de l’OTAN
Donald Tusk avait expliqué récemment que, dans le fond, les premiers partenaires de la Pologne étaient avant toute chose les États baltes et nordiques, traumatisés eux-aussi comme la Pologne par les conséquences immédiates du pacte germano-soviétique. C’est aussi important de le rappeler, Poutine ayant fait de la réécriture de l’histoire une arme de destruction massive, niant l’existence du protocole secret entre Ribbentrop et Molotov qui n’auraient signé qu’un accord de non-agression, l’invasion de la Pologne étant de sa seule responsabilité (c’est ce qu’il a expliqué dans l’entretien qu’il avait accordé en 2023 à Tucker Carlson). Voilà qui est encore incandescent dans l’état d’esprit des peuples baltes et polonais dont il ne s’agirait pas de sous-estimer la force du patriotisme. Or c’est bien dans les pays baltes qu’a commencé la dislocation de l’empire soviétique avec des manifestations qui y exigeaient la publication du protocole secret Ribbentrop-Molotov, nié par le pouvoir soviétique.
La responsabilité de la France
Pendant 45 ans, les menaces ont été – malgré des points chauds – relativement figées par l’équilibre nucléaire, menaces réciproques heureusement jamais mises à exécution. Cela donne aux pays qui ont une force nucléaire une responsabilité particulière, parce qu’ils sont mieux protégés, comme disposant une capacité de dissuasion : Poutine peut toujours menacer la France de l’arme atomique, il sait que sa menace si elle était mise à exécution l’exposerait rien qu’avec l’arsenal français à des dégâts peu imaginables quand bien même notre pays subirait une catastrophe complète.
La France a une position intermédiaire dans ce débat. Elle a une doctrine, qui est que son arme nucléaire vise à « protéger les intérêts vitaux de la Nation », dans une logique essentiellement nationale, mais la France ajoute à cela une sorte de note de bas de page : les intérêts vitaux de la Nation ont une dimension européenne. Cette position a été rappelée l’année dernière en Suède par le président de la République, débat ouvert devant des Suédois qui, il n’y a pas si longtemps encore, revendiquaient une neutralité relative2, mais qui demandaient à la France si ce type de dissuasion pouvait participer de la sécurité européenne.
Dans le même temps, d’autres États membres de l’Union Européenne ne sont pas forcément à l’aise sur l’ouverture de ce dialogue et n’ont pas envie de dire publiquement que la protection américaine ne nous suffit plus, craignant que cela donne l’impression à la Russie que le dispositif de défense est rompu. Il y a donc un débat à relancer, un vocabulaire commun à construire. Avec l’élection de Trump et le désengagement américain de l’OTAN, trouver la formule qui permette de dire que la défense des intérêts vitaux nationaux de la France se jouent aussi en Europe – non pas pour soumettre l’usage de la dissuasion nucléaire française (pas plus que la Britannique) à un aréopage bavard (cela doit rester notre prérogative) – serait bienvenue vis-à-vis de la Russie et surtout pour la confiance avec nos alliés européens.
À ceux qui prétendraient que l’usage de l’arme atomique par la France ne sauraient s’entendre que dans la protection stricto sensu du territoire national, rappelons que les deux fois où la bombe américaine a été utilisée ce fut à des milliers de kilomètres des USA et que les fois où il fût envisagé de le faire avec des alertes maximum, il s’agissait de Berlin et de Cuba. À tout prendre, on peut entendre le fait que la construction du Mur de Berlin met un terme à une crise de trois ans avec une tension nucléaire intense et réelle : c’était sans doute moins grave que la bombe. A contrario, le fait que l’Ukraine ait décidé de se débarrasser de ses armes nucléaires doit aujourd’hui être observé avec des regrets ironiques, c’est en tout cas une partie du débat a posteriori en Ukraine : « donnez-nous des garanties de sécurité, parce que, sinon, on va regretter de s’être débarrassé de cette garantie de sécurité importante qui était le fait d’avoir une arme nucléaire » ou « on va se demander s’il ne faudrait pas, à l’avenir, nous doter à nouveau d’armes nucléaires ». C’est réversible assez facilement. Facilement, pas forcément d’un point de vue politique, mais d’un point de vue technique, les Ukrainiens comme beaucoup d’autres en ont la capacité.
La plupart des États autour de nous, que ce soit la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, parlent tous d’une protection pas simplement de leur territoire national, mais aussi de leurs alliés. Par-dessus tout, il faut aussi concevoir que les impérialismes renaissant, qui lancent des guerres d’agression (ou menacent de le faire), le font toujours parce qu’ils calculent que les risques sont minimes : donc créer une forme d’ambiguïté stratégique, d’insécurité face à des pouvoirs bellicistes est nécessaire ! Le message doit être : il n’y a rien à gagner à s’attaquer à l’Europe !
Ce renforcement de la sécurité européenne passe bien entendu par une discussion réelle entre la Pologne, la France et l’Allemagne, également avec les Britanniques, et en associant sérieusement des partenaires militaires relativement solides (Italie, Espagne, Suède …) : nous devons viser une reconstitution du « triangle de Weimar »3, avec un rapport à égalité entre la Pologne et l’Europe occidentale, et non un couple franco-allemand mythifié (on a payé pour savoir) s’imposant aux autres. Aujourd’hui d’ailleurs c’est un moteur franco-polonais qui peut faire bouger l’Allemagne, souvent plus réticente, plus paralysée par ses doutes ; Français et Polonais peuvent dans ce triangle composer une valse à deux, à deux face à un.
Dans ce cadre, il faudra poser les fondements de ce qui peut être une nouvelle alliance, qui ne soit pas une armée européenne (incapable de respecter la question de la souveraineté), mais qui permettent une véritable coordination militaire. La question de l’industrie et de sa coordination doit également être posée, tout comme celle du marché de l’armement en veillant à ce que nous cessions collectivement de saper notre indépendance, donc en arrêtant de s’en remettre systématiquement au matériel américain.
Nous avons un devoir
Ces débats à gauche dans des moments tragiques nous les avons déjà eus. Par fascination pour la force, par naïveté pacifiste malgré l’agression ou par lâcheté, certains ont préféré s’incliner devant les brutes, c’était le cas de Paul Faure – secrétaire général de la SFIO de 1921 à 1940 – qui portait comme une croix le refus absolu de la guerre, même de défense, après les fautes de 1914. À cause de ces illusions, il choisit Pétain et la collaboration.
Face à lui et à la majorité des socialistes, Blum décida pourtant comme président du conseil un grand plan de réarmement dès 1936. Cet effort indispensable avait été mené sans l’opposer à la mise en œuvre d’un programme inédit de progrès social et économique rendu possible par la mobilisation des ouvriers lors des grèves de mai-juin 1936. Les efforts consentis par la Nation pour sa défense ne pouvaient réussir sans soutien populaire (et n’oublions pas que le détricotage dès 1938 des acquis du Front Populaire a prodigieusement sapé ce soutien) : tous ceux qui aujourd’hui prétendent que le réarmement nécessaire de la France et des démocraties européennes ne pourra se faire qu’à la condition de faire le deuil de notre modèle social nous conduisent donc à un dramatique échec, s’ils devaient prévaloir, tout comme ceux qui expliquent en miroir qu’il faut refuser l’effort de défense pour renforcer notre modèle social. Au contraire, nous devons affirmer que l’effort de réarmement et de réorganisation militaire fonctionnera, sera soutenu parce que les Français verront leur modèle social être conforté, et vus les dégâts encaissés depuis 30 ans être réparé, parce qu’ils soutiendront un système qui permettra de défendre la Liberté et la démocratie républicaine ET l’Égalité et la République sociale.
Blum dénonça en 1938 le « lâche soulagement » qui n’avait rien résolu à Munich. Avec lui, Léo Lagrange plaidait pour la lucidité antifasciste : les Radicaux et une partie de ses camarades socialistes refusèrent qu’il fût nommé ministre de la défense nationale (on récolta pour notre malheur Daladier) car jugé belliciste. Après avoir laissé son nom à l’émancipation de la jeunesse et des prolétaires, par le sports et les loisirs, il mourut à 39 ans sur le front le 9 juin 1940 juste avant que la défaite ne pose en des termes différents la question de la survie de la Nation.
Soyons des Léon Blum et des Léo Lagrange qui réussissent…
Frédéric FARAVEL
Kaja Kallas, première ministre de l’Estonie de 2021 à 2024. Présidente du parti de la réforme, affilié à Renew Europe. Elle a été nommée Haute représentante de l’UE et vice-présidente la Commission européenne le 1ᵉʳ décembre 2024. ↩︎
Sans être membre de l’OTAN et tout en revendiquant sa neutralité, la Suède a rejoint le Partenariat pour la Paix en 1994 (un an avant de rejoindre l’UE) et elle a officiellement reconnu ses engagements de solidarité stratégique à l’égard des autres États membres de l’Union Européenne en 2009. Elle est également liée depuis longtemps par des accords sur le renseignements avec les services occidentaux. ↩︎
Le Triangle de Weimar définit la coopération trilatérale entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Il est, pour reprendre la formule de l’historien Bronisław Geremek « un instrument politique intelligent ». Concrètement, c’est un forum de rencontre, de dialogue et d’échange informel entre ces trois pays, et non un accord formel de coopération. ↩︎
Avec l’ouverture à la concurrence, le modèle ferroviaire français pourrait être remis en question. Promesses d’un service amélioré d’un côté, incertitudes sur l’avenir des lignes moins rentables de l’autre : comment garantir un accès au train partout en France ?
PODCAST à écouter ci-dessous
Débat animé par Quentin Lafay qui avait invité :
Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire et consultante auprès des collectivités pour le cabinet Trans-Missions ;
L’ouverture du secteur ferroviaire en France doit nécessairement être régulée et surveillée par la puissance publique pour éviter qu’elle pénalise les usagers et dégrade le service public.
Les nouveaux entrants se concentrent aujourd’hui sur l’exploitation des lignes les plus rentables, au détriment des moins rentables. Autrement, le système de péréquation et la situation de monopole de la SNCF lui permettait de compenser les pertes financières liées à l’exploitation des lignes non-rentables.
Avec la concurrence, se système prend fin. Ainsi, l’Etat doit œuvrer pour garantir :
Un juste équilibre entre les exploitants : entre exploitation de lignes non-rentables et lignes rentables en utilisant les outils législatifs à sa disposition pour cela ;
La desserte des territoires : l’ouverture à la concurrence ne doit pas engendrer la fermeture de lignes ou la réduction dans les dessertes des gares des villes petites et moyennes ;
Une coordination efficace pour les usagers : l’ouverture à la concurrence amène un risque de discontinuité dans l’offre de transport ferroviaire qu’il convient de surveiller.
L’ouverture à la concurrence ne peut être envisagée sans une réelle supervision de l’Etat, ni investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau ferroviaire.
Dans son allocution du 5 mars 2025, le Président de la République a appelé les Français à faire face à la « menace russe ». « Les temps de l’insouciance sont terminés » et « la patrie a besoin de vous », a-t-il affirmé.
Sans contester la gravité du moment, céder aux facilités de la surenchère guerrière serait contre-productif. Les Français soutiennent majoritairement le combat des Ukrainiens, mais ne s’en estiment pas proches au point d’approuver une escalade militaire. La vérité est que nous ne sommes pas en guerre et l’évocation permanente de l’Histoire (« faut-il mourir pour Dantzig ? ») n’y changera rien.
Le message que nos compatriotes sont prêts à entendre, c’est qu’il faut dimensionner correctement notre armée. Ils comprennent qu’un budget militaire à moins de 2% du PIB relève de l’exception historique. Sous les septennats de François Mitterrand, la France consacrait plus de 3% de son PIB à la défense, et sous de Gaulle, près de 5%. Face à une Russie plus agressive que jamais, en « économie de guerre » depuis trois ans et qui augmente ses capacités, mais aussi face aux menaces diverses dans un monde chaotique et violent, il est logique de poser la question des moyens alloués à notre défense.
Il ne serait ni prudent ni responsable de faire comme si le Kremlin allait s’arrêter à 20% du territoire ukrainien, puis redevenir subitement pacifique à la faveur d’un simple cessez-le-feu. En Russie, le bourrage de crâne contre « l’Occident collectif » fonctionne à plein régime et entretient la paranoïa de la base au sommet. Le révisionnisme historique n’y est pas non plus en reste, qui conteste aux anciennes républiques soviétiques leur droit à l’autodétermination et l’indépendance. La peur des Baltes, des Polonais et même des Finlandais, sujets du Tsar jusqu’en 1917, n’est pas imaginaire. Ils ont tous payé pour voir l’impérialisme russe à l’œuvre.
On ne compte plus les opérations russes de « guerre hybride » sur le territoire européen. Tentatives de déstabilisation politique, meurtres, attaques cyber, propagande téléguidée depuis Moscou sur les réseaux sociaux… tout y passe. Les services de renseignements européens alertent de longue date sur ce déploiement de grands moyens. Ils n’inventent rien et nous devons nous fier à leur expertise, mais en gardant la tête froide. Les services et officines russes seraient ravis que nous cédions à la panique ; ils en profiteraient même pour jeter encore plus d’huile sur le feu.
Ce qui a radicalement changé en revanche, c’est le revirement américain. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les Etats-Unis adoptent une position « pacifiste pro-russe » qui reprend quasi intégralement le narratif du Kremlin, osant même accuser l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre ! Le discours de Trump révèle une trahison assumée de ses alliés européens, qui sert plusieurs buts : affaiblir nos économies, rafler le Groenland et détacher la Russie de la Chine. Pour nous Européens, ce changement radical comporte un vrai risque, auquel nous sommes bien obligés de faire face.
Et pour nous Français, ce n’est pas faute d’avoir prévenu ! Tous ceux qui méprisaient nos propositions pour un approfondissement de la coordination européenne en matière de défense en sont pour leurs frais. L’Otan est vraiment « en état de mort cérébrale », nous sommes vraiment seuls, et il faut vraiment mettre en place des mécanismes pour rattraper notre retard. Il est assez piquant de voir les plus fervents atlantistes historiques se rallier en convertis fervents à « l’Europe de la défense ».
Mais les affichages budgétaires ne suffiront pas. Pour être efficients, ils devront s’inscrire dans une politique de croissance et de relance, qui seule est en mesure de conforter l’autonomie stratégique européenne. Cela implique d’investir en commun et surtout d’acheter européen en commun. Cela implique aussi d’en finir avec l’austérité gravée dans le marbre des traités budgétaires.
La validation de la (vieille) proposition française de sortir les dépenses militaires du calcul des déficits n’est qu’un premier pas. La conjoncture comateuse de l’Union européenne exige que la politique macroéconomique dans son ensemble, budgétaire et monétaire, soit entièrement revue.
Macron a donc tort d’envisager la montée en puissance de notre effort militaire d’une manière étroitement libérale, où sa politique de l’offre devrait impérativement être préservée. Au nom de quel principe fondamental, ou d’efficacité, devrait-on exonérer les plus riches et les multinationales de cet effort collectif ? Ce n’est pas aux Français des classes populaires et moyennes, et encore moins aux plus vulnérables, de payer intégralement le prix de notre sécurité ! Aucune nécessité n’impose de compenser 30 milliards annuels de plus pour l’armée par 30 milliards annuels en moins pour la protection sociale. Il n’est pas de notre intérêt de procéder à de tels arbitrages, qu’il s’agisse du social ou de tous autres investissements publics utiles à la collectivité.
Quoiqu’il en soit, le Président de la République n’a pas la prérogative pour en décider seul, ni la majorité parlementaire pour trancher sans débat préalable !
Le Parlement vote le budget, les impôts, et il se prononce sur les grands choix économiques et sociaux. Il serait temps qu’Emmanuel Macron comprenne que tout le pouvoir n’est pas concentré à l’Elysée.
Il serait temps aussi qu’il comprenne que nous n’avons nul besoin de nous précipiter vers des solutions toutes faites de type « armée européenne », et autres détricotages des souverainetés nationales sur les questions régaliennes. Fidèles à eux-mêmes, les Français ne refusent pas d’approfondir la coopération européenne, y compris en matière de défense. Mais ils ne sont pas prêts à toutes les fuites en avant ; et exigent qu’en tout état de cause, la parole leur soit donnée sur tout choix structurant pour l’avenir de la nation.
pour la Gauche Républicaine et Socialiste Emmanuel Maurel, député et animateur national
Mardi 4 mars 2025 dans l’après-midi, Emmanuel Maurel, député et animateur national de la GRS (groupe parlementaire GDR), intervenait à la tribune de l’Assemblée nationale lors du débat sur « La perte de souveraineté industrielle et l’atteinte aux industries stratégiques« . 🔴🏭Parler sérieusement de souveraineté, de défense, cela suppose au minimum de ne pas laisser nos entreprises se faire racheter par l’étranger. Depuis des années les Américains font leurs courses en France et le Gouvernement laisse faire (sauf… 3 fois). Soyons un peu cohérents !
communique de presse d’emmanuel maurel – mercredi 5 mars 2025
Nous pensions savoir à quoi nous en tenir avec Donald Trump, mais le début de son second mandat montre que nous n’avons encore rien vu.
Le Président des États-Unis, qui préconisait de s’injecter de l’eau de javel par intraveineuse pour soigner le COVID, pour qui le réchauffement climatique est un canular inventé par la Chine, qui pense que les sans-papiers sont des criminels et des violeurs qui mangent les chiens et les chats, se livre à une attaque sans précédent contre l’université, la science et la recherche.
Un collectif de chercheurs américains de toutes universités et toutes disciplines, « Stand Up For Science », s’est constitué en réaction aux assauts de la nouvelle administration, et particulièrement de son bras armé d’une tronçonneuse, Elon Musk.
Ce collectif répertorie une incroyable série de suppressions de crédits budgétaires, menées tambour battant par le département de la soi-disant « efficacité gouvernementale ». Désormais, seule la bande de fanatiques obscurantistes au pouvoir à Washington s’estime qualifiée pour dicter ce qui vaut d’être lu, étudié et appris. Voilà le sort que les défenseurs autoproclamés de la « liberté d’expression » réservent aux voix discordantes.
Les sciences humaines font l’objet, dans toute leur diversité, de mises à l’index allant jusqu’à retirer des milliers d’ouvrages des rayons des bibliothèques universitaires. Mais ce n’est qu’un prélude à une attaque en règle contre toutes les sciences.
Nous apprenons avec sidération que le Gouvernement américain a supprimé 20% des financements destinés au télescope spatial James-Webb, fruit d’une coopération associant la Nasa et l’Agence spatiale européenne, et qui a remplacé le célèbre télescope Hubble en 2021.
Nous assistons, médusés, à une foire d’empoigne des trumpistes visant à décourager toute vaccination, au point de mettre même dans l’embarras le ministre de la santé, Robert Kennedy Jr, pourtant considéré comme un vaccino-sceptique de choc.
Nous apprenons enfin qu’il n’y aura plus de mesures satellitaires des gaz à effet de serre et du changement climatique. Cela s’ajoute aux milliards de dollars subitement retirés à d’innombrables laboratoires de recherche, jusqu’aux sciences de la santé et aux neurosciences, et qui laissent sur le carreau des milliers de scientifiques.
J’apporte tout mon soutien au collectif « Stand Up For Science » et aux initiatives des universitaires et chercheurs français pour venir en aide à leurs collègues outre-Atlantique. La journée de mobilisation du 7 mars, à laquelle je prendrai part, marquera la première étape de la résistance contre le bâillonnement de la science par la nouvelle internationale réactionnaire.
Comme chaque année, le salon de l’agriculture bat son plein à Paris depuis le samedi 22 février 2025, traduisant l’attachement constant des Françaises et des Français pour nos paysans, nos territoires, nos savoir-faire et nos produits. Emmanuel Maurel, député et animateur national de la GRS, était dans cet état d’esprit présent porte de Versailles pour des moments riches d’échanges, de rencontres et de convivialité.
Pourtant, plus d’un an après les mobilisations des agriculteurs en janvier et février 2024, aucun gouvernement n’a répondu à l’angoisse des paysans et exploitants agricoles, qui plus que d’autres catégories sociales et professionnelles pointent le risque de déclassement de notre pays si nous ne changeons rien.
L’incohérence de la politique commerciale européenne qui conduit encore aujourd’hui à vouloir imposer aux Etats – la France au premier chef – un accord inutile et dangereux avec le MERCOSUR, l’absence de réelle stratégie française dans la distribution et l’utilisation de la Politique Agricole Commune et le dénigrement qui semble animer aujourd’hui le cabinet Bayrou contre l’agriculture biologique, tout cela met en question ou en risque notre autosuffisance alimentaire.
Les chambres d’agriculture ont été renouvelées voici quelques semaines et la poussée de la confédération paysanne et surtout de la coordination rurale sont le symptôme criant de ce besoin de changement et progrès.
Il faut une alternative politique : nous ne pensons pas qu’elle passe par la sécurité sociale de l’alimentation mais nous travaillons à compléter nos propositions exposées dans notre programme de 2022.
Comment évolue la stratégie de Moscou après ses revers en Artsakh et en Syrie ? Jusqu’où pourra aller la coopération compétitive avec la Turquie ? Le chercheur et spécialiste de l’Asie centrale David Gaüzère (Président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)1. Il est également militant à la Gauche Républicaine et Socialiste) a accepté de partager ses analyses pour France Arménie. Nous diffusons aujourd’hui l’entretien accordé pour l’édition de mars 2025 par notre camarade avec son accord.
France Arménie : Avec le revers de la Russie en Syrie et ses percées sur le front ukrainien, comment évaluez-vous les priorités de la politique étrangère de la Russie en 2025 ?
David Gaüzère : La priorité de Moscou sera d’après moi un recentrage sur l’Afrique, car ce continent voit la présence russe se renforcer, contrairement au reste du monde où soit l’influence de la Russie est contestée (Ukraine, Caucase, Syrie), soit est bien présente, mais limitée à un soft power discret (Amérique du Sud). En Afrique, des instructeurs militaires et paramilitaires russes sont directement impliqués en Libye, auprès du maréchal Khalifa Haftar, ou, plus au Sud, en soutien aux trois régimes sahéliens putschistes (Mali, Burkina Faso et Niger) ou encore en République centrafricaine.
Les tensions augmentant avec la France à deux niveaux (contentieux franco-algérien et franco-russe), il est fort possible que d’ici peu de temps Alger fasse appel à Moscou pour installer une base navale et/ou aérienne en bordure de la mer Méditerranée en Algérie. Toujours est-il que la Marine russe, naguère stationnée à Tartous en Syrie, peut facilement trouver en Méditerranée d’autres ports d’attache, en premier lieu en Libye, sinon – en accord avec ces États alliés – en Égypte ou en Algérie. Ces ports « prêtés » rapprocheraient du reste la Marine russe des côtes de l’Union européenne (UE), notamment dans le cas algérien.
Cette priorité n’est-elle pas dictée par une question de sécurité nationale ? A savoir éliminer les ressortissants russes partis faire le djihad en Syrie sous la bannière des différentes factions rebelles ?
La Russie a subi ces dernières années deux revers majeurs en peu de temps dans deux régions proches l’une de l’autre, à savoir en Artsakh (2020 et 2023) et en Syrie (2024). Moscou est en mauvaise posture dans ces deux endroits, du fait de sa perte d’influence face à la montée en puissance de la Turquie.
Aujourd’hui, les relations entre Moscou et Ankara souffrent d’un véritable manque de lisibilité, qui nuit en principal lieu à Moscou. Officiellement, les deux hommes forts que sont Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan se toisent, s’impressionnent et se craignent dans une relation virile et équilibrée de joueurs d’échecs. Mais, le Turc, fin stratège, a toujours le dernier mot : soutien d’Ankara au gouvernement libyen de Fayez el-Sarraj face au maréchal Haftar l’homme de Moscou, protection des éléments djihadistes, notamment russophones, par Ankara dans le nord de la Syrie, appui discret d’Ankara aux Tatars de Crimée pour leur autonomie et leur renaissance culturelle contrecarrant à moyen terme l’action de Moscou dans la province annexée ; inaction totale de la Russie face à l’annexion azerbaïdjanaise de l’Artsakh chapeautée par Ankara et aux agressions quotidiennes de l’Azerbaïdjan dans le Siounik arménien et montée de l’Organisation des États turcophones avec une coopération interne très dynamique en matière de défense face à une CEI stagnante, sans encore évoquer l’ancrage turc également en Afrique. Partout, la Russie est contrariée par son soi-disant allié turc du moment. Aussi, cette alliance de façade sera condamnée à échouer d’ici peu de temps, sans doute une fois le conflit ukrainien gelé.
Que sait-on du nombre et de la situation des combattants rebelles de nationalité russe et de pays d’Asie centrale en Syrie ?
Ils seraient évalués autour de 700-800 hommes. Ils appartiennent essentiellement à al-Tawhid wal-Djihad, plus communément qualifié de Djannat Ochiklary. Cette katiba (unité djihadiste), toujours fidèle à al-Qaïda – même du temps de la puissance de l’Organisation État islamique (OEI) – était dirigée par Abou Saloh, un Ouzbek ressortissant du Kirghizstan provenant de la ville d’Och (sud du Kirghizstan), et comprenait quelques centaines de combattants issus de cette région multiethnique qu’est la vallée du Ferghana. En Syrie, cette katiba, qui a un temps tenu Alep jusqu’en 2016, s’est ensuite repliée dans le réduit d’Idlib, jusqu’à l’offensive éclair de décembre 2024, dont elle était l’un des principaux fers de lance. Parmi ses dirigeants, un certain nombre avaient combattu dans l’OEI au sein de la garde prétorienne d’al-Baghdadi dirigée par le colonel tadjik Goulmourod Khalimov. À la mort de ce dernier et à la chute de l’OEI, ces combattants d’élite étaient alors repartis en Afghanistan. Cependant, du fait de leur longue absence entre 2014 et 2019, les hiérarchies avaient été reconstituées dans la djihadosphère afghane, y compris russophone, et ces hommes n’avaient pas, pour la plupart, pu retrouver leur place ; ce qui les avait donc forcés à retourner en Syrie et reprendre la lutte djihadiste sur ce terrain, en plaçant leur tactique militaire héritée de l’ex-Armée rouge soviétique au service d’al-Qaïda, puis de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Parmi ces combattants revenus en Syrie, figure Saïfiddin Tadjibaev, devenu après l’installation du nouveau pouvoir à Damas, le chef d’état-major de la nouvelle armée syrienne, en signe de reconnaissance par HTC pour ses actes passés.
Héritière de la diplomatie soviétique, la diplomatie russe jouit d’une remarquable expertise sur les affaires du monde arabe, pensez-vous que Moscou avait anticipé le succès des rebelles islamistes syriens ?
Non, Moscou pensait que, comme à Alep en 2016, le régime pourrait de nouveau maintenir son emprise sur de larges pans de la Syrie, notamment Damas et le réduit alaouite de Lattaquié (une plaine étroite facilement défendable entre la Méditerranée et les monts Anti-Liban) et n’a pas du tout anticipé un effondrement aussi rapide. Moscou avait cependant plusieurs fois par le passé appelé le régime baasiste syrien à faire des « réformes », mais n’a pu l’y convaincre. Par lassitude d’une part et du fait du dégarnissement d’autres zones du monde où l’armée russe était présente pour renforcer ses troupes en Ukraine, Moscou a laissé tomber le régime d’Assad. Cet abandon aura malheureusement des conséquences dans le Caucase avec le retour du djihadisme dans les républiques musulmanes de la Fédération de Russie et en Asie centrale post-soviétique. Tadjibaev, qui a de nombreux soutiens au Tadjikistan, est par exemple qualifié par ses pairs de « président », car dans sa tête il a déjà détrôné Emomali Rakhmon, le chef d’État tadjik actuel, et gouverne à sa place un État devenu islamiste.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de la coopération russo-turque en Syrie ? Est-ce cela qui explique l’absence de confrontation directe entre les soldats russes présents en Syrie et les rebelles de HTC ?
La coopération russo-turque est en Syrie, comme auparavant en Artsakh, une coopération en chiens de faïence. Mais, il est clair que, du moins pour l’instant, c’est la Turquie qui sort gagnante de ce bras de fer. La Russie a besoin de soldats en Ukraine et doit pour ce faire dégarnir les autres fronts (Tadjikistan, Arménie, Syrie…). Mis en place en 2020, le centre de coopération technique russo-turc d’Aghdam n’a pas fonctionné depuis et la prise par l’Azerbaïdjan, aidé de la Turquie, du dernier réduit encore « libre » de l’Artsakh trois ans plus tard a mis fin à la vocation de ce centre, comme à celle de la Russie en tant que puissance d’interposition. La suite de la partie s’est jouée en Syrie, où la chute du régime Assad, soutenu par Moscou, et la panique au même moment des soldats russes sur les bases de Hmeimim et de Tartous ont sonné le glas de leur présence sur place, au même moment où les forces turques ont profité du chaos syrien ambiant pour reprendre des villes comme Manbij aux Kurdes d’YPG et envoyer leurs agents d’influence dans le sillage du ministre des Affaires étrangères (et ancien chef du MIT) Hakan Fidan auprès du nouveau régime à Damas. Moscou n’a, en revanche, à l’heure actuelle, toujours pas envoyé de signes positifs ou négatifs en direction du nouveau pouvoir de HTC à Damas.
Pensez-vous réaliste que la Russie rapatrie ses facilités militaires navales en Libye où dans les zones contrôlées par le maréchal Haftar se trouve le port en eaux profondes de Tobrouk ?
Oui, car c’est la dernière zone que Moscou tient encore en Méditerranée et, dans cette partie du monde, la Russie peut encore compter sur ses alliés égyptien et algérien.
Est-ce que ce repli russe dans le Moyen Orient aura pour conséquence une concentration de l’effort militaire et diplomatique russe dans le Caucase du Sud et en Asie centrale ? Pourquoi ?
Il est difficile ici de répondre pour le moment, tant les signes contradictoires sont forts, ne serait-ce par exemple que dans le Caucase du Sud : en Géorgie, la « victoire » du parti pro-russe, Rêve géorgien, dans les élections législatives trafiquées du 26 octobre 2024 et le départ de la présidente pro-UE Salomé Zourabichvili sont un point marqué par Moscou, mais qui d’un autre côté ne peut enrayer les ambitions azerbaïdjanaises soutenues par Ankara, dont le rêve est d’isoler – sinon occuper – l’Arménie en reliant la Turquie au vaste espace turcophone centrasiatique dans un projet néo-impérial panturquiste. L’Arménie est, comme la Moldavie, tiraillée entre de fortes velléités pro-UE et le besoin d’être défendue par la Russie. À Erevan, le pouvoir pro-occidental de Nikol Pachinian est contesté par une forte opposition pro-russe conduite par d’anciens hauts-gradés nostalgiques (Onik Gasparian) et appuyée par une grande part d’Artsakhiotes pour qui la perte de l’Artsakh, qui aurait pu être évitée, est la conséquence de la relation inamicale entre Poutine et Pachinian.
Chisinau, la présidente pro-UE Maia Sandu se trouve face à ses minorités gagaouze (turque orthodoxe) et transnistrienne (russe) au positionnement pro-Poutine.
En Asie centrale, le changement générationnel commence à se voir sur la relation entretenue avec la Russie, avec la montée de critiques internes au soutien de l’action de la Russie en Ukraine (le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ne reconnaissent pas par exemple les républiques sécessionnistes pro-russes d’Ukraine et les récentes annexions territoriales de Moscou dans ce pays).
Comment peuvent évoluer les relations russo-azerbaïdjanaises après le crash de l’avion d’Azerbaijan Airlines au-dessus de Grozny à Noël dernier ?
Dans l’immédiat, elles n’évolueront pas, car la Russie et l’Azerbaïdjan restent encore tous deux membres de la CEI et des intérêts économiques communs liés aux exportations de pétrole et de gaz naturel de la mer Caspienne lient encore ces deux États. Cependant, il est fort probable qu’à moyen terme la fin prochainement annoncée de l’alliance entre la Russie et la Turquie rebattra de nouveau les cartes dans le Sud-Caucase et ailleurs.
Par ailleurs, si Poutine conserve encore une « vision eurasiste » de son pouvoir, qui ne dit pas que son successeur n’aura pas une vision pan-slaviste mettant plutôt en avant les valeurs de la Russie éternelle ? Si cette éventualité se produisait, peut-être alors que la question de l’Artsakh pourrait revenir sur le devant de la scène régionale, notamment si une nouvelle majorité politique pro-russe venait au même moment à s’emparer du pouvoir par les urnes à Erevan. Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’évolution du régime politique en Iran. Si ses jours sont comptés, sa chute pourrait soit, si elle est bien orchestrée, entraîner une évolution politique maîtrisée sans changements territoriaux. En revanche, si elle devait mener au chaos, un risque de désintégration de l’Iran multi-ethnique ne serait alors pas à exclure et, auquel cas, les Azéris iraniens – plus nombreux qu’en Azerbaïdjan – pourraient alors s’unir dans les frontières d’un « Grand Azerbaïdjan » panturquiste.
À cela s’ajoute encore la question kurde. Il en résulterait des conséquences régionales incalculables et gravissimes dans le grand jeu des puissances riveraines qui se déroule du Caucase à l’Asie centrale, dans son acception géographique la plus large.
David Gaüzère est également co-auteur avec Yoann No-miné de l’ouvrage Le Chaudron vert de l’islam centrasiatique : vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale postsoviétique (L’Harmatan, 2020) et de nombreux chapitres d’ouvrages et articles portant sur l’observation des formes de radicalisation religieuse en Asie centrale et de leur incidence sur la situation sécuritaire de la région. Il a notamment publié un chapitre dans l’ouvrage Haut-Karabakh : le livre noir, intitulé « Haut-Karabakh : l’Etat profond turc contrarié par l’axe sino-russe » (Ellipses, 2022). ↩︎
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