2023, année funeste pour la distribution et le prêt-à-porter

Jennyfer (220 magasins et 1000 salariés), Sergent Major, Du Pareil Au Même, Camaïeu, Kookaï (100 magasins et 220 salariés), Naf-Naf, Go Sport, Gap, La Grande Récré (101 magasins, 770 salariés), Pimkie, 26 magasins Galeries Lafayette, San Marina (160 boutiques, 650 salariés), Kaporal (85 magasins, 434 salariés), Zalando, Orcanta, Casino, Monoprix, Franprix, Spar, Courtepaille (220 restaurants, 2089 salariés), Pimkie (64 boutiques, 257 salariés) Buffalo Grill, Burton of London (52 magasins, 198 salariés), Minelli (500 salariés, 150 boutiques)…

Sur la seule année 2023, on relève pas moins 21 enseignes en grandes difficultés, une bonne quinzaines d’entre elles ont été placées en redressement judiciaire, et pour certaines d’entre elles leur vie s’est terminée par une liquidation judiciaire, avec son cortège de centaines de magasins fermés et de plusieurs milliers emplois supprimés par licenciements.

Dans la continuité de 2022, les salariés ont payé un lourd tribut à la crise dans ce secteur, induite notamment par la crise du Covid et quelques fois par le comportement peu approprié de certains dirigeants se croyant intouchables en bombant le torse. Enfin, le consommateur a, depuis la crise sanitaire, une tendance avérée à acheter en 3 clics de souris sur un site web chinois plutôt que d’aller consommer à la boutique du centre commercial voisin. D’ailleurs, l’Institut Français de la Mode (IFM) constate en novembre que le chiffre d’affaires des acteurs de l’habillement et du textile est en recul de 4,9% comparativement à novembre 2019.

Vous l’aurez compris l’année 2023 a été funeste surtout pour le commerce de prêt-à-porter, c’est une réelle catastrophe. Selon Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter féminin, plus de 10 000 emplois ont été perdus dans ce secteur en France.

Mystification macronienne

Pour mémoire, lors de la pandémie, les pouvoirs publics avaient ordonné la fermeture des commerces jugés « non essentiels » en mars 2020 (17 mars), fermés jusqu’au 10 mai puis à nouveau fermés du 30 octobre au 28 novembre puis le 3 avril 2021 pour 4 semaines (décret du 19 mars 2021) mais en fait la réouverture sera effective le 19 mai 2021. Ce confinement a porté un coup très important à toute la filière et les plus fragiles ont été en grande difficulté car, au-delà de la perte de ressources (puisque le chiffre d’affaires était proche de zéro), il fallait dans le même temps payer les loyers.

En effet, et c’est là que le facteur extérieur négatif pour la trésorerie des entreprises prend tout son sens, un arrêt de la cour de cassation a contraint les commerces « non essentiels » à payer leur loyer alors même qu’ils n’avaient aucun chiffre d’affaires. Il va sans dire que pour des marques, déjà fragiles qui ont des retards de loyers de plusieurs centaines de magasins, ce fut un coup très dur et elles traînent comme un boulet cette dette de loyer.

En définitive, le « quoi qu’il en coûte » a été une grande mystification de Macron car fatal à de nombreuses marques, boutiques et leurs salariés qui se sont retrouvés sans emploi … sans qu’aucune mesure d’accompagnement spécifique n’ait été mise en place pour venir en aide aux salariés licenciés à la recherche d’un emploi.

Jean-François Dupland,
référent du pôle thématique entreprises de la GRS

Monsieur le Président : renoncez !

L’Appel du 20 décembre 2023 de plusieurs associations, organisations politiques et syndicales demandant au Président de la République de renoncer à son texte sur l’immigration.

Monsieur le Président, Ce soir, à l’occasion de votre intervention télévisuelle, nous vous demandons solennellement de prendre la seule décision qui vaille : vous devez renoncer à une loi qui porte une atteinte fondamentale aux valeurs de notre République et qui, au-delà de fracturer votre propre majorité, va fracturer notre pays.

Vous avez été élu et réélu face à l’extrême droite. Vous vous étiez même posé en ultime barrage contre les idées du Rassemblement National. C’est la raison pour laquelle de très nombreux Français ont voté pour vous, non par adhésion à votre politique, mais pour éviter le pire.

Mais hier soir, une digue a lâché. Loin de régler quoi que soit aux désordres du monde, à l’exil face aux guerres et au changement climatique, à la crise de l’accueil et ses conséquences, la loi sur l’immigration adoptée hier, la plus régressive depuis des décennies, consacre la préférence nationale, remet en cause le droit du sol et les droits fondamentaux affirmés dans le préambule même de notre constitution, issu du Conseil national de la résistance. Le texte voté est un désastre moral, une trahison de notre Histoire, de ce qu’est notre pays et l’esprit des Lumières, et une reddition devant l’extrême droite qui peut légitimement évoquer une victoire idéologique.

Nous, forces politiques, syndicales, associatives, ne nous résignons pas. Nous sommes là pour résister à l’arbitraire et à l’inhumain. Nous appelons l’ensemble des organisations de la société civile, toutes les forces progressistes et républicaines à agir face à cette attaque majeure contre notre République et sa Constitution, et à construire ensemble des initiatives dans les jours et les semaines qui viennent.

Monsieur le Président : renoncez !

Signataires :

Associations et syndicats : ATTAC, ANVITA, Confédération paysanne, Confédération Générale du Travail, CRID, Droit Au Logement, EMMAUS France, Fédération Syndicale Unitaire, Jeune Garde, MRAP, Les Amis de la Terre, Ligue des Droits de l’Homme, SOS Racisme, Union étudiante, Union syndicale Lycéenne

Partis politiques : La France Insoumise, L’Engagement, Les Écologistes – EELV, Les Radicaux De Gauche, Génération·S, Gauche Républicaine et Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Radical de Gauche, Parti Socialiste, Place Publique, REV.

Loi immigration : le macronisme en débandade

La Gauche Républicaine et Socialiste fait part de sa sidération concernant le débat sur la loi immigration.

Les mesures convenues entre Renaissance et LR en CMP et intégrées au texte final démontrent l’impasse politique dans laquelle est engoncée la majorité présidentielle. Prisonnière de la droite, elle en est réduite à accepter des mesures qui confinent à l’inhumanité (« délai de carence » sur l’accès à l’aide et la protection sociales) et au danger sanitaire (promesse faite à LR de supprimer l’Aide Médicale d’Etat).

Pire : la loi votée ne prévoit rien sur l’intégration républicaine et restreint le droit du sol sans apporter aucune réponse crédible aux OQTF non exécutées. Les problèmes qu’elle entend régler seront donc inchangés. Ce texte se présente comme un catalogue de mesures mesquines, vexatoires et accessoires contre les étrangers en situation régulière.

La crise démocratique que nous vivons démontre que les institutions de la Vème République, malmenées par le macronisme, sont dépassées. Certains députés et ministres de la majorité présidentielle, qui n’ont jamais rien fait pour défendre les retraites, l’hôpital public, les fonctionnaires, les salaires, ont vaguement mis en scène une fronde de pacotille. Et l’extrême droite, par calcul, a donné le baiser de Judas au gouvernement.

La Gauche Républicaine et Socialiste appelle le Conseil Constitutionnel à censurer le texte et ses mesures contraires aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Elle appelle à l’ouverture d’une politique sérieuse et ambitieuse d’intégration.

COP 28 : Assez d’hypocrisie et de débat sur les mots, il faut des solutions !

La majorité des participants à la COP 28 de Dubaï et les médias internationaux saluent, ce 13 décembre 2023, ce qu’ils présentent comme un « accord historique ».

En effet, le texte de compromis encourage les participants à une « transition hors des énergies fossiles« . On peut considérer que c’est une avancée puisque la COP de Glasgow en 2021 avait échoué à l’intégrer et n’appelait qu’à la sortie du seul charbon.

Cependant, la Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa forte réserve sur ce type d’événements, qui s’apparentent de plus en plus à des foires mondiales où se négocient autant de contrats commerciaux que d’avancées pour la planète. Le tout dans un cadre où règnent les lobbies et où les lieux de réunions sur-climatisés sont distants de 20 km et reliés par des autoroutes à 8 voix…

Mais surtout, les conclusions des COP ne sont jamais contraignantes. Le monde doit compter sur la « bonne volonté » des États. Cette absence de caractère contraignant des engagements pris par les États lors des COP est illustrée de la pire des manières par la stagnation du du fonds pour les États victimes du réchauffement climatique créé par la COP 27… Alors qu’il s’agit des populations entières, les annonces se font rares : on ne peut plus se contenter des bonnes volontés.

L’hypocrisie est d’autant plus forte que les parties s’engagent à la « transition hors des énergies fossiles » tout en misant sur le recours au méthane (un gaz 30 fois plus réchauffant que le CO2) et la « captation du carbone », précisément pour compenser… l’augmentation de la consommation des énergies fossiles (+2 % par an).

Il faut être clair : la lutte contre le changement climatique et pour la survie de nos sociétés ne peut pas se contenter de ces « solutions ». Nous ne pourrons pas limiter le réchauffement climatique à +1,5c° sans diminuer la consommation des énergies fossiles. Pas « limiter », ni « stabiliser » : diminuer ! Pour atteindre les objectifs que les COP se sont fixées pour 2030, cette diminution devrait dès à présent dépasser les 7% par an !

Nous appelons les dirigeants des États à sortir de l’hypocrisie. Nous appelons en particulier les dirigeants européens et américains, et au-delà tous les chefs d’État des pays développés, à cesser de chercher des compromis sur les mots, qui ne font que ménager les intérêts des multinationales. Nous appelons ces États à sortir de toute urgence de la religion du libre échange qui alimente plus que jamais la catastrophe climatique à venir.

Nous ne pouvons plus nous payer de mots ; nous avons besoin de SOLUTIONS.

La sortie des énergies fossiles est une nécessité vitale. Elle implique une révolution de notre appareil productif et une transition énergétique radicale. Il va nous falloir adapter nos sociétés dans leur ensemble, c’est-à-dire toutes nos entreprises pour qu’elles puissent se passer d’ici 15 ans du charbon, du pétrole et du gaz. Les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire font partie de la solution.

Le temps fuit devant nous : il faut s’y mettre dès maintenant.

Assumer le bras-de-fer avec le gouvernement allemand

Déjà absurde à l’origine et inefficace – la dette des États européens s’est maintenue à un niveau élevé et la croissance a été poussive durant les années 2010 –, le Pacte de stabilité et de croissance s’est fracassé sur le mur du Covid en 2020 et 2021. L’éclatement de la guerre en Ukraine, les besoins de la transition écologique et numérique ainsi que la réindustrialisation (notamment l’effort de défense) auraient dû signer sa fin, mais c’est le contraire qui va se passer : les règles du traité budgétaire de 2011 seront rétablies le 1er janvier 2024.

À côté de l’irréalisme des objectifs (3% de déficit, 60% de dette publique, obligation de dégager un excédent primaire, « réformes structurelles »), la quasi impossibilité politique d’infliger des amendes aux États déficitaires commandait pourtant de mettre à jour les lignes directrices de la politique budgétaire.

Timide proposition de la Commission

En avril dernier, la Commission semblait avoir pris (un peu) conscience de la nouvelle donne en proposant une (timide) modification du Pacte : les totems des 3% et 60% demeuraient, mais en privilégiant une approche « au cas par cas » censée tenir compte des spécificités nationales.

À chaque État hors les clous d’un ou plusieurs critères de Maastricht, la Commission souhaitait proposer une « trajectoire budgétaire de référence » sur quatre ans (renouvelable trois ans) si des « réformes structurelles » ou, nouveauté, des investissements de nature à alimenter la croissance, étaient engagés. Le mécanisme du Semestre européen (aux termes duquel les États soumettent leurs orientations budgétaires à la Commission, qui leur répond par des « recommandations ») et les injonctions à conduire des réformes néolibérales étaient maintenues. La Commission pouvait toujours ouvrir une procédure pour déficit excessif, mais avec des amendes moins lourdes.

Nouveau refus germanique

Ces aménagements, pourtant très modérés (pour ne pas dire cosmétiques), n’ont pas fait varier Berlin d’un iota : Scholz, sous la contrainte de Lindner, son très libéral et austéritaire ministre FDP des finances, n’avalise pas cette idée « d’individualisation des parcours » budgétaires, car cela nuirait à la « discipline » et donnerait à la Commission un pouvoir de négociation – et de décision – trop discrétionnaire à leurs yeux. Le gouvernement de la coalition des « feux tricolores » (rouge pour le SPD, jaune pour le FDP et vert pour les Grünen) demande le maintien des règles actuelles, sans changement.

Élisabeth Borne et Bruno Le Maire, qui trouvaient le projet de la Commission à leur goût, ont d’abord répondu « inenvisageable ». Mais comme d’habitude (à l’exception notable de l’inclusion du nucléaire dans la catégorie des énergies soutenues au titre de la transition écologique), Paris a fini par reculer.

Et comme d’habitude, l’Allemagne veut une Europe à son image, sans se soucier des besoins d’investissement massifs auxquels se sont engagés les autres États membres. Pour notre chère moitié du « couple », la seule chose qui compte c’est respecter le verdict de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 15 novembre dernier, qui a censuré l’utilisation de 60 milliards d’un fonds spécial hors budget, initialement destiné à la relance post-Covid, pour financer d’autres politiques publiques (l’existence de tels véhicules, qu’en finance privée on appellerait du « shadow banking », n’est pas sans poser question sur le sérieux de la « rigueur » allemande…). Sans doute un peu honteux d’avoir été pris la main dans le sac, Christian Lindner a décidé que pour faire bonne figure et rentrer en grâce en son pays, mieux valait faire payer les autres.

Le gouvernement règle ses problèmes intérieurs sur le dos des Européens

Toujours est-il qu’à ce jour, l’Allemagne n’a toujours pas bouclé son budget 2024. Et la raideur de sa position sur le Pacte budgétaire ne l’aidera pas plus que les autres à trouver les dizaines de milliards d’euros nécessaires à la transition énergétique et à endiguer les délocalisations industrielles provoquées par l’explosion des prix de l’énergie.

Emprunter des dizaines de milliards d’euros sur les marchés financiers est un réflexe politique tout sauf naturel pour les Allemands, qui depuis 15 ans se sont imposés une règle ultra-stricte, qu’ils avaient même inscrite dans leur Constitution : quasi-interdiction de tout déficit public, sauf situation d’urgence. La crise sanitaire avait été considérée comme telle, mais pas la crise climatique. Le SPD et les Verts voudraient bien sortir de cette tenaille, mais ont besoin pour ce faire d’un vote des deux tiers du Bundestag, ce qui est arithmétiquement impossible. Et pour le FDP de Christian Lindner, sans lequel il n’y a plus de majorité, il n’en est pas question.

Au cœur du programme du FDP on trouve en effet le refus catégorique de toute hausse des impôts, particulièrement sur les riches. Comme pour ce parti, plus de dette = plus d’impôts et que tout investissement public (en friche complète depuis Merkel, notamment dans les infrastructures : routes, ponts et canaux sont dans un état lamentable) doit être gagé sur des économies, l’obstacle semble infranchissable. La rentrée en récession de l’Allemagne, dont le secteur privé n’investit plus et réduit ses dépenses de R&D, finit de noircir le tableau, sans que cela émeuve les libéraux. On en vient à se demander si une partie de la classe politique d’outre Rhin n’espère pas secrètement que la Russie gagne la guerre et que le business avec cet ex fournisseur d’énergie reprenne comme au bon vieux temps.

Pour sa part, l’opinion publique allemande n’apprécie guère ces tergiversations et encore moins l’absolutisme du FDP. Les sondages lui donnent moins de 5% en cas d’élections anticipées et la paralysie politique éclabousse aussi le SPD et les Grünen. En revanche, au sein de la CDU, des voix se font entendre pour plaider moins de contraintes, voire la remise en cause de la règle d’or budgétaire. Il se murmure qu’un expédient pourrait être trouvé en prolongeant « l’état d’urgence financier » en 2024. Mais rien de bien consistant à ce stade, alors que le temps presse.

Avoir le cran de l’affrontement

S’il venait à l’idée d’Emmanuel Macron d’essayer de réussir (pour une fois) une opération diplomatique, la « cible Lindner » est tentante. Après tout, celui-ci a toujours dit « non » à toutes les propositions européennes du Président français, et ce depuis 2017. L’Élysée, qui ne manque pas de relais dans la presse, pourrait échafauder un plan qui pour le coup, serait bien utile à la France, l’Allemagne et l’Europe. Lindner et le FDP forment le noyau dur de la coalition des « égoïstes », ils ont failli faire capoter le plan de relance de 2020, ce qui aurait proprement démoli nos économies, et se débarrasser d’un tel « ennemi de l’intérieur » n’attristerait sans doute pas grand monde (et pas davantage Scholz, ni le patron des Grünen, Robert Habeck). Mais Macron aura-t-il le cran d’aller à l’affrontement direct avec l’Allemagne en visant Lindner ? Il est permis d’en douter.

Or le temps ne presse pas seulement pour le budget allemand ; il presse aussi et surtout pour la cohésion de l’Europe. Les élections européennes approchent et la vague d’extrême-droite se profile à l’horizon. Il ne reste, au mieux, que quelques semaines pour trouver un compromis sur le nouveau cadre budgétaire si les Vingt-Sept veulent qu’il soit adopté avant la fin de la législature. Dans cette hypothèse, le nouveau Pacte de stabilité rentrerait en vigueur dès 2025. D’ici là, les règles existantes pourraient être aménagées de manière flexible voire constructive. Mais pour l’instant, tout cela relève de la politique fiction.

Il ne nous reste plus qu’à défendre notre programme de gauche et de souveraineté populaire et à le porter dans la campagne pour forcer un gouvernement français quel qu’il soit à assumer enfin la confrontation européenne nécessaire.

Mathias Weidenberg et Frédéric Faravel

Licenciements abusifs : Bruno Le Maire, ministre voyou des patrons voyous

Bruno Le Maire a indiqué dans Le Parisien dimanche 3 décembre que le gouvernement veut s’attaquer à nouveau aux droits des salariés au pas de charge, en vue du vote de la loi Pacte II prévue début 2024. « Un recours contre l’entreprise reste possible pendant 12 mois. Il est important que les salariés puissent être protégés, mais ce délai est trop long ». L’objectif du ministre de l’économie est de réduire ce délai de recours à 2 mois…

Depuis la fin des années 2000, la prescription en matière de contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement a déjà été drastiquement réduite. En 2008, une loi l’avait divisée par six, de 30 ans à 5 ans. Puis en 2013, une autre loi avait entériné son passage à 2 ans. Aussitôt après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, l’ouvrage a été remis sur le métier. Une baisse à six mois avait été initialement envisagée mais devant la levée de boucliers des syndicats, c’est le passage à un an qui avait été finalement retenu dans la réforme du Code du travail.

La proposition de Bruno Le Maire ne suscite aucun enthousiasme du côté des employeurs. Pourtant enclines à dénoncer les risques de contentieux, aucune des trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) n’est demandeuse d’une telle réduction des délais. Il faut dire que la succession des réformes du code du travail depuis Nicolas Sarkozy (quinquennat Hollande inclus évidemment avec les lois Macron et El Khomri) ont sérieusement déséquilibré le rapport de force en faveur du patronat. Après la création des ruptures conventionnelles en 2008, les ordonnances Macron de 2017 ont sérieusement desserré la pression judiciaire sur les employeurs, avec le plafonnement du montant des dommages et intérêts : le nombre de nouvelles affaires aux prud’hommes a baissé de 44% entre 2015 et 2022, car les salariés n’ont en réalité plus grand chose à attendre de ces instances. Procéder à un licenciement abusif – c’est-à-dire illégal ! – ne coûte plus grand chose…

L’ensemble des organisations syndicales de salariés ont dénoncé cette nouvelle sortie du gouvernement par la voix de son ministre de l’économie et nous partageons leur colère. En effet, ne pas laisser aux salariés le temps de constituer un dossier recours – deux mois, c’est trop court pour sortir de la sidération, se renseigner sur ses droits et pouvoir contester à temps – ne peut que favoriser les patrons voyous ; les cas de licenciement abusif risquent donc de se multiplier … encore.

En réalité, la remontée des chiffres du chômage inquiète le gouvernement qui voit s’éloigner l’objectif des 5% en 2027. Emmanuel Macron et ses gouvernements ont toujours été acquis à une vision idéologique du marché du travail et de l’activité économique… Récemment encore le Chef de l’État déclarait au patronat « Réveillez-vous ! » son raisonnement est à la fois transparent et parfaitement irrationnel… Emmanuel Macron et le centre libéral-autoritaire qui le soutient sont convaincus d’avoir « fait le job », « j’ai précarisé les travailleurs, j’ai flexibilisé le marché du travail, j’ai pénalisé les chômeurs, c’est à vous de nous faire passer de 7,4 à 5%. » Or la facilitation des licenciements, l’indulgence accrue pour les écarts aux codes du travail, la flexilibisation du marché du travail, tout cela ce sont des stratégies qui ont été entamées dans les années 1990 et qui ne fonctionnent pas. Elles ont en réalité donné peu de résultats et une nouvelle étape n’en donnera pas plus. La maltraitance à l’égard des salariés, la casse du droit du travail et la précarisation des travailleurs vont assurément encore dégrader le climat social, mais cela ne créera pas d’emplois, pas plus que cela n’en a créé auparavant d’ailleurs. Et cela ne peut tenir lieu d’une véritable politique industrielle qui manque toujours à la France.

Construire le plein-emploi de demain ne se fera pas en renforçant l’exploitation : non ! Nous voulons une société de citoyennes et de citoyens émancipés, fiers de ce qu’ils apportent à la société, fiers du fruit de leur travail.

Cela passe par des salaires justes, par des protections sociales et juridiques fortes, par la participation des travailleurs aux décisions économiques et par un État qui s’engage aux côtés des entreprises dans la reconquête de nos capacités productives.

Frédéric Faravel

Une COP climatisée, pour quoi faire ?

Après une année de records de températures et de catastrophes climatiques dans le monde entier, la COP28 rassemble à Dubaï (Emirats Arabes Unis) les signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, soit 197 Etats et l’Union européenne.

5 objectifs ont été retenus pour cette édition :

  1. Établir un premier bilan de l’accord de Paris. Les émissions mondiales ne suivent pas les trajectoires d’atténuation compatibles avec l’objectif de température qui avait été fixé (+1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle ). Or les engagements actuels pays par pays ne mènent qu’à 2% de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des… 43% préconisé ! Si ces ambitions ne sont pas revues, le réchauffement global sera d’au moins +2,9°C d’ici 2100. Quel message politique la COP28 va-t-elle réussir à envoyer afin que tout le monde, en 2024, prépare sérieusement de nouveaux engagements ? pour limiter le réchauffement climatique et alors que « Chaque fraction de seconde compte. Un monde à +2°C est très, très différent d’un monde à +1,5°C », nous dit le GIEC.
  2. Afficher des objectifs clairs sur l’énergie : triplement des énergies renouvelables, doublement de l’amélioration de l’efficacité énergétique (c’est-à-dire le rendement lors de la consommation finale) et sortie de notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz), responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre. Progresser sur ce 3ème point à Dubaï semble d’autant plus illusoire que le président de la COP, ministre des Etats Arabe Unis, projette des accords bilatéraux sur le développement des énergies fossiles avec nombre d’États participants… Les ONG résument ainsi la problématique : choisir un tel président pour la COP est « une dissonance cognitive énorme, comme si on mettait un cigarettier à la tête de l’OMS »
  3. Impliquer le secteur pétrolier dans la transition pour organiser la nécessaire sortie des énergies fossiles et développer des solutions de captage et stockage de carbone, qui ne doivent pas cependant justifier l’extension de la production de combustibles fossiles au lieu de privilégier les alternatives (GIEC). Le captage de carbone ressemble par ailleurs à l’exemple même de la diversion : le site de Fujeirah mis en avant par les Emirats Arabes Unis, alimenté par l’énergie solaire et présenté comme le dispositif le plus puissant de la planète en la matière, arrive tout juste à traiter 1% des émissions de carbone de l’exploitation, il ne permet donc en rien de compenser la volonté des Emirats d’accroître leurs capacités de production d’énergie fossile.
  4. Organiser le fonds pour les pertes et dommages des pays victimes de désastres climatiques, dont la mise n place se fait attendre. Qui doit payer : les pays développés, responsables historiques du réchauffement, ou bien aussi la Chine et les pays du Golfe ? Qui seront les bénéficiaires : les pays en développement, Chine comprise (elle conserve en effet ce statut dans les instances mondiales), ou seulement les « plus vulnérables » ? Où installer ce fonds ? Au sein de la Banque mondiale, accusée d’être aux mains des Occidentaux, ou dans une structure indépendante mais dont la mise en place prendra du temps ?
  5. Débloquer les financements promis, sachant que les 100 milliards de dollars d’aide annuelle promis en 2009 par les pays riches ne sont pas atteints (83 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de 2020 fournis par l’OCDE). il va falloir se décider sur la suite. Combien ? Pour englober quoi ? La finance privée devra elle aussi prendre toute sa part. Autre enveloppe défaillante : la promesse de la COP de Glasgow en 2021 d’atteindre 40 milliards d’euros par an pour l’adaptation au changement climatique.

On constate donc à quel point la COP 28 organisée par les Emirats Arabes Unis est pétrie d’injonctions contradictoires… Rien d’étonnant à cela puisque le cadre capitaliste et financiarisé de la globalisation n’est jamais interrogé. Rappelons que l’extension des échanges commerciaux compte pour 25% des augmentations d’émissions de gaz à effet de serre. Au-delà des actions immédiates pour réduire l’empreinte carbone de la production énergétique ou des transports, nous ne réussirons pas sans changer de modèle de développement, de commerce et de consommation.

Alain Fabre, Marie-Noëlle Lienemann, Laurent Miermont et Frédéric Faravel

La fabrique des pauvres pour rendre les riches plus riches

La pauvreté a augmenté en 2021 et en 2022 en France, les 10% les plus riches ont profité tant de l’inflation que des réformes fiscales.

L’Insee a publié en novembre 2023 une batterie de rapports et de tableaux statistiques (que vous retrouverez en bas de l’article) dont les conclusions sont sans appel : la France va mal, la majorité des Français perd en niveau de vie, seuls les 10% les plus riches et les habitants des centres urbains profitent des évolutions économiques et de la politique “pro-business” du gouvernement.

Hélas, une partie de la presse économique tord les faits pour masquer sa vision néolibérale. Même La Tribune, pourtant réputée pour sa rigueur d’analyse, s’acharne à vouloir y déceler une augmentation du niveau de vie des plus modestes – laquelle augmentation serait même plus élevée que celle des riches – et bien plus élevée que celle des classes moyennes1, en 2022. C’est faux !

Ce mensonge alimente la campagne de la droite et de l’extrême droite qui fustigent « les pauvres » comme étant à la fois « des immigrés », vivant « dans les banlieues criminelles des grands centres urbains », volant le niveau de vie « des classes moyennes des villes moyennes et des villages », tout en étant « ingrats » à la société et l’identité française en la rejetant. En clair des vrais « parasites de la société ».

L’Insee décrit évidemment une toute autre réalité : les classes populaires des villes périphériques et des villages partagent le (mauvais) sort de leurs concitoyens des classes moyennes inférieures et des habitants des banlieues, tandis qu’un groupe beaucoup plus restreint – moins de 10% des Français – vivant principalement au cœur des grandes villes (notamment à l’ouest de Paris et de l’île de France) tire objectivement profit du système.

1 https://www.latribune.fr/economie/france/les-classes-moyennes-grandes-perdantes-des-mesures-du-gouvernement-en-2022-983965.html


L’Insee dit où sont, géographiquement comme socialement, les profiteurs de l’après Covid et de l’inflation

Le Rapport sur l’état social de la France en 2021 ne laisse aucune place au doute : « eb 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent », « le niveau de vie des ménages les plus aisés augmente plus fortement, tiré par la reprise de l’activité », « le taux de pauvreté augmente en 2021 et dépasse son niveau de 2019 ».

L’Insee conclut que 2021 fut pour la majorité des Français aussi douloureuse que 2011 et 2018, années de crises sociales aiguës – dont la seconde vit naître le mouvement des Gilets Jaunes.

Le taux de pauvreté – un français sur 7 – dépasse en 2021 les niveaux de 2017 et 2019 ; et les indicateurs d’inégalité retrouvent à la fin 2020 les records atteints en 2011 et 2018. On ne peut qu’y voir un résultat incontestable de la maltraitance du Gouvernement contre les français.

En 2022, l’Insee, toujours à rebours de La Tribune, dit qu’« au total, la hausse du niveau de vie (monétaire) a compensé une part importante des dépenses additionnelles, 90% en moyenne pour l’ensemble de la population. Cette part varie néanmoins selon le niveau de vie ou selon le lieu de vie. Elle oscille entre 80% et 85% pour les 80% les plus modestes et pour les habitants des communes hors unités urbaines ou des unités urbaines de moins de 200 000 habitants. Elle est sensiblement plus haute, autour de 90% en moyenne, pour les personnes aux niveaux de vie entre le 8e et le 9e décile et les habitants des communes de plus de 200 000 habitants hors Paris. Elle dépasse en moyenne 100% pour les 10% les plus aisés et pour les habitants de l’agglomération parisienne. »

Traduisons : les habitants des villes moyennes et des villages, les classes populaires dans leur ensemble, ont perdu 20 points de niveau de vie réel après inflation et réformes fiscales.


Tout le monde perd, sauf les 10% les plus riches, gagnants de l’inflation et des réformes fiscales

Les habitants prospères des grandes villes ont eux vu leur niveau de vie réel augmenter, parvenant à esquiver l’inflation, particulièrement grâce aux réformes sur la fiscalité du capital. Ces grands gagnants sont bien peu de monde : 6 millions de gagnants, 60 millions de perdants.


Le solde est négatif pour tous les territoires, sauf Paris

À la lumière (crue) de ces données, on comprend mieux pourquoi la droite, le RN et le gouvernement s’acharnent tant à marteler leurs préjugés stupides sur les chômeurs qui piquent dans l’assiette de ceux qui travaillent. Sauf que les vrais pique-assiettes, ce sont en réalité les détenteurs de capitaux et les rentiers de Versailles et du 7ème arrondissement de Paris, par la grâce du néolibéralisme aussi « assumé » qu’agressif de Macron.

Malheureusement, on n’entend plus la gauche rappeler ces évidences, ni la vieille social-démocratie ni même le parti soi-disant insoumis, qui ont abandonné toute analyse matérialiste (au sens philosophique) de la société, préférant passer leur temps à copier-coller des élucubrations intersectionnelles venues d’Outre-Atlantique et qui n’ont pas la moindre prise sur la vie quotidienne de nos compatriotes de toutes origines, cultures et orientations sexuelles.

Le prolétariat et la petite-bourgeoisie des villes moyennes et des villages sont tout autant maltraités que le prolétariat et même la petite-bourgeoisie des grandes villes. Les statistiques de l’INSEE nous donnent les clés pour engager vraiment le débat : faire prendre conscience aux 60 millions de travailleurs et à leur famille qu’ils s’appauvrissent au profit d’à peine 10% des Français ; et qu’il est grand temps qu’ils défendent leurs propres intérêts matériels et moraux.

Le 15 novembre dernier Bruno Le Maire déclarait sur Cnews : « Notre modèle social tel qu’il existe aujourd’hui ne nous permettra pas d’arriver à 5% de taux de chômage ».

Le ministre de l’économie n’a pas choisi cette chaîne par hasard, qui comme tout robinet d’infos met en scène à longueur de « talks shows » la fausse opposition entre « réactionnaires » et « libéraux progressistes », qui sont en dernière analyse d’accord sur l’essentiel : défendre leurs privilèges et mettre au pas les classes populaires en détruisant l’État social. Tout cela, bien sûr, pour le bien des Français : quand on appauvrit un chômeur de plus de 55 ans comme le souhaite le ministre de l’économie, ça l’incite à trouver un emploi, même si aucun employeur ne lui en proposera un.

Il est vraiment urgent de revenir au réel – contre lequel, à force de désagrégation sociale, finiront aussi par se cogner les gagnants (provisoires) de la crise : défendons les intérêts économiques et sociaux de 80 % des Français ! Pour vaincre Zemmour, Le Pen et Macron, la voie identitaire est une impasse. La seule issue qui nous préservera de la guerre de tous contre tous sera de forger un nouveau contrat social pour la France.

Mathias Weidenberg

Milei ou le « tronçonneur de l’État » : voyage au bout du néolibéralisme autoritaire

Suite à l’élection à la tête de la présidence argentine de Javier Milei, Vincent Arpoulet revenait pour Le Temps des Ruptures le 21 novembre 2023 sur la situation qui a permise son élection, ainsi que sur ses engagements de campagne. Nous publions cet article avec leur accord.

« Ce que propose le FMI [Fonds monétaire international] est minuscule au regard du plan d’austérité que je propose ». C’est en ces termes qu’en pleine campagne présidentielle argentine, Javier Milei, libertarien revendiqué fraichement élu le 20 novembre 2023 à la tête du pays, s’engage ni plus ni moins à amplifier dans des proportions considérables l’application d’un projet économique ayant plongé près de 40% de la population argentine sous le seuil de pauvreté. En effet, cette situation résulte notamment de la dette historique contractée par le président conservateur Mauricio Macri qui, en 2018, a obtenu un prêt de 50 milliards de dollars en provenance du FMI. Or, il se trouve que, de même que l’ensemble des prêts octroyés par cet organisme international, celui-ci est conditionné à une réduction drastique des dépenses publiques, ainsi qu’à une reconfiguration des fonctions de l’État au profit du secteur privé, conformément à l’idéologie néolibérale selon laquelle la puissance publique doit se désengager au maximum du marché afin de laisser libre cours à l’initiative individuelle qui est perçue comme la plus à même de permettre une gestion rationnelle de l’économie dans la mesure où elle cherche à maximiser son profit. Si cette théorie économique entre en adéquation avec les conceptions portées par Milei – en témoigne le fait qu’il ait baptisé l’un de ces cinq chiens en hommage à Milton Friedman, l’un des pères du néolibéralisme -, le nouveau dignitaire argentin estime cependant qu’il faut aller encore plus loin.

L’ « ANARCHO-CAPITALISME » : VERSION PAROXYSTIQUE DU NÉOLIBÉRALISME AUTORITAIRE

Se revendiquant de l’ « anarcho-capitalisme », il affirme en effet que : « Chaque fois que l’État intervient, c’est une action violente qui porte atteinte au droit à la propriété privée et, au final, limite notre liberté »(1). C’est là la différence fondamentale entre néolibéraux et anarcho-capitalistes. Là où les premiers estiment que l’État doit être présent en vue d’organiser son propre retrait du marché, les seconds considèrent que le marché est la seule institution à même d’organiser l’ensemble de la société. En d’autres termes, suivant cette conception, la totalité des activités humaines sans exception entrent dans les logiques de marché et aucune instance ne doit pouvoir entraver de quelque manière que ce soit la propriété privée, ce qui conduit Murray Rothbard, l’un des tenants de ce courant, à prôner un « marché libre des enfants », au nom du respect inconditionnel de la propriété des parents. La volonté de libéraliser la vente d’organes prônée par Milei s’inscrit ainsi pleinement dans ce courant qui pousse à son paroxysme l’idéologie néolibérale, ce qui conduit Mark Weisbrot, co-directeur du Centre pour la Recherche Politique et Économique (CEPR), à affirmer que : « Jamais quelqu’un d’aussi extrémiste en matière économique n’a été élu président d’un pays sud-américain »(2). Dans un continent ayant servi de laboratoire à l’idéologie néolibérale, ce n’est pas une mince affaire.

Cependant, de même que son maître à penser qui défend par ailleurs la mise en place d’un « État policier libertaire » dans lequel les forces de l’ordre, là encore débarrassées de toute contrainte institutionnelle, seraient « autorisées à appliquer des punitions instantanées », la défense inconditionnelle des libertés de la part de Milei semble s’arrêter aux frontières de l’économie. En effet, le volet sécuritaire de son projet inclut notamment des propositions telles que l’abaissement de la majorité pénale ou encore, la création d’un système national de surveillance ayant recours à la reconnaissance faciale. Milei affirme ainsi vouloir prévenir l’émergence de toute opposition interne susceptible d’être violente, à l’égard de laquelle il s’est empressé d’affirmer, à peine élu, qu’il serait implacable. Une logique qui n’est pas sans rappeler les propos tenus par Victoria Villarruel, candidate à la vice-présidence à ses côtés, qui a ouvertement affirmé à de nombreuses reprises que les crimes commis par le régime militaire au pouvoir entre 1976 et 1983 s’expliquaient avant tout par la déstabilisation interne provoquée par les mouvements d’opposition à cette dictature, reprenant ainsi en tous points les propos tenus par les responsables de ces exactions à l’occasion de leur procès. Si Milei s’est malgré tout engagé, lors de son discours d’investiture, à respecter toute mobilisation s’exprimant dans le cadre de la loi, une telle conception des oppositions internes ne peut que susciter des inquiétudes du côté des différentes organisations sociales et syndicales argentines. Et ce, d’autant plus que le nouveau dirigeant s’affirme par ailleurs ouvertement favorable à la remise en cause de certains droits sociaux tels que l’IVG, légalisée en 2020 au terme d’un large mouvement social ayant poussé l’Argentine à rejoindre le cercle très réduit des États du continent reconnaissant ce droit de manière inconditionnelle, aux côtés de l’Uruguay, de la Colombie, de Cuba et du Mexique.

Alors comment expliquer l’irruption d’une telle force politique venant mettre un coup d’arrêt à cette vague progressiste qui s’était également caractérisée par un rejet du modèle néolibéral défendu par Macri à l’occasion de la précédente élection présidentielle remportée par Alberto Fernandez, candidat du péronisme en 2019 ?

ENTRE DÉGRADATION DE LA JUSTICE ET DES TERMES DE L’ÉCHANGE

Tout d’abord, nous pouvons constater que cette large victoire de Milei – qui l’emporte avec plus de 10 points d’avance sur Sergio Massa, ministre de l’Économie sortant – traduit avant tout un rejet massif du péronisme. Ce courant est notamment assimilé, au sein d’une grande partie de l’opinion publique, à des pratiques de corruption depuis la condamnation de la vice-présidente sortante Cristina Kirchner, le 6 décembre 2022, à une peine de 6 ans de prison après avoir été accusée d’avoir eu recours à des pratiques d’ « administration frauduleuse » en vue de l’octroi de parts de marché dans la province de Santa Cruz qu’elle a représenté en tant que sénatrice entre 2001 et 2005. Il n’est pas inutile de préciser ici, comme nous le rappelions alors dans ces colonnes(3), que Diego Luciani et Rodrigo Giménez Uriburu, respectivement procureur de l’affaire et président du tribunal, étaient réunis moins de 4 mois avant ce verdict pour un match de football au sein d’une ferme appartenant à Mauricio Macri. Cette proximité avec l’un des principaux opposants au péronisme, combinée à la faiblesse manifeste de l’accusation – Kirchner se voyant condamnée sur la base de simples suspicions de complicité avec son mari dont l’implication dans l’affaire semble plus avérée -, dénote une évidente volonté d’instrumentaliser la justice à des fins politiques. Si cela conduit à discréditer le principal parti de gauche argentin, c’est plus globalement l’ensemble de la classe politique traditionnelle qui en pâtit. C’est ainsi que, pris à son propre piège, le parti Juntos por el Cambio, représenté par Patricia Bullrich soutenue par Macri lors de cette élection, termine aux portes du second tour avec 23,83% des suffrages, loin derrière les 29,98% des voix obtenues par Javier Milei.

Cependant, il ne s’agit pas pour autant d’exempter le gouvernement sortant de toute responsabilité dans ce résultat. En effet, il se trouve que, dans un contexte dans lequel l’inflation atteint 143%, cette campagne s’est quasi exclusivement centrée autour de la question économique. Le fait que Milei se trouve confronté, au second tour de ce scrutin, au ministre de l’Économie sortant     considéré comme comptable de cette situation n’a pu que jouer en sa faveur. Et ce, d’autant plus que, si Massa est issu d’un gouvernement initialement élu sur la base d’un projet de rupture avec le néolibéralisme, celui-ci a finalement tenu à respecter les engagements fixés par le FMI. Cela s’explique notamment par le fait qu’outre l’épidémie de Covid-19 qui survient trois mois à peine après l’arrivée au pouvoir de Fernandez, celui-ci doit également faire face à une sécheresse qui vient porter atteinte à la production agricole, l’une des plus grandes sources de revenus d’un pays qui occupe le 5e rang des producteurs internationaux de soja, de maïs ou encore, de tournesol. Dans un tel contexte, l’obtention de devises en dollars par le biais des exportations se réduit de manière significative. Par conséquent, les réserves de dollars se raréfient à l’échelle nationale. Or, ce type d’économie reposant principalement sur l’exportation de matières premières doit nécessairement disposer de suffisamment de dollars en vue d’importer l’ensemble des biens manufacturés qui ne sont pas produits sur son territoire. Dans un tel contexte, la demande de dollars ne suivant pas la chute de l’entrée de devises, il faut donc plus de pesos – la monnaie nationale argentine – pour obtenir un dollar. Le peso se déprécie alors par rapport au dollar, ce qui signifie que tous les prix en pesos augmentent. Le seul moyen de faire face à l’inflation qui s’ensuit est alors de contracter des prêts auprès d’organismes financiers susceptibles de pallier cette pénurie de dollars. C’est la dégradation des termes de l’échange dont sont victimes la plupart des pays latino-américains dépendants de l’exploitation et exportation de matières premières dont les prix dépendent des fluctuations de la demande internationale. Dans ce contexte, difficile pour le gouvernement péroniste d’engager une rupture frontale avec le FMI.

UN CANDIDAT « ANTI-CASTE » AU SERVICE DE L’ORDRE ÉTABLI

C’est ce scénario qui conduit à l’émergence du projet de dollarisation de l’économie argentine porté par Milei. S’il est vrai que l’adoption du dollar pourrait être à même de réduire cette inflation générée par la dégradation des termes de l’échange, la contrepartie n’est pas négligeable. En effet, elle conduirait à limiter de manière significative les marges de manœuvre monétaires du gouvernement argentin, comme en témoigne l’économie équatorienne, dollarisée en 2000. Dans la mesure où l’ensemble des devises en circulation sur le territoire équatorien sont directement émises par la FED – la Banque Centrale des Etats-Unis -, l’État équatorien n’a pas la possibilité de dévaluer sa monnaie en cas de crise. C’est ainsi que le choc des commodities, qui se traduit en 2015 par une chute subite du prix de la quasi-totalité des matières premières à l’échelle internationale, est d’autant plus dur à encaisser pour l’Équateur qu’il ne peut faire face à la concurrence imposée par ses voisins qui dévaluent leur monnaie de sorte à rendre leurs ressources plus accessibles. Par ailleurs, le fait que l’équilibre des devises en circulation sur le territoire d’un État dépend directement de la FED vient nécessairement limiter sa capacité à prôner un modèle économique alternatif à celui défendu par le gouvernement étasunien, sous peine de se voir privé de liquidités suffisantes.

C’est donc pour faire face à ce double mécanisme de dégradation des termes de l’échange et de dépendance généré par l’hégémonie du dollar dans les échanges commerciaux régionaux qu’un certain nombre de gouvernements de gauche récemment arrivés au pouvoir au sein du continent prônent, sous l’impulsion de Lula, la mise en place d’une monnaie régionale à taux flottants avec les devises nationales. Or, la défaite du parti péroniste qui représentait, aux côtés du président brésilien, l’un des principaux tenants de ce projet, ainsi que l’émergence, au sein de la troisième économie du continent, d’un partisan acharné d’un renforcement des relations diplomatiques et commerciales avec les Etats-Unis, pourrait venir mettre un coup d’arrêt à cette dynamique de constitution d’une nouvelle forme d’intégration régionale.

Seule ombre au tableau pour Milei : avec 37 députés sur 257, il ne dispose d’aucune majorité parlementaire et sera donc contraint de composer avec les 93 élus dont dispose Juntos por el Cambio. Ce rapport de force au parlement peut expliquer la raison pour laquelle Bullrich s’est empressée d’apporter son soutien au candidat libertarien à l’issue du premier tour. En effet, discréditée depuis la fin de la présidence de Macri, la droite traditionnelle a trouvé en ce candidat anti-système un moyen de reprendre le pouvoir sous couvert de rupture avec l’ordre établi. La majorité de Milei dépendra finalement de l’establishment qu’il a tant voué aux gémonies. 

Références :

(1) Entrevista de Tucker Carlson a Javier Milei, 14 de septiembre de 2023 ; https://twitter.com/TuckerCarlson/status/1702442099814342725?t=Ojd1lv5MidxV-vCfTmWgHQ&s=19

(2) https://cepr.net/press-release/elecciones-en-argentina-nunca-alguien-tan-extremista-en-materia-economica-ha-sido-elegido-presidente-de-un-pais-sudamericano-dice-mark-weisbrot-codirector-del-cepr/ 

(3) https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/12/15/les-gauches-argentine-et-peruvienne-face-au-lawfare-et-au-neoliberalisme-par-surprise/

Avec Emmanuel Le Roy Ladurie, nous perdons un historien du peuple

Emmanuel Le Roy Ladurie, un monument de la culture française nous a quitté hier mercredi 22 novembre 2023.

A l’heure où il est bon, un peu partout, de réécrire l’histoire pour asseoir quelques vaines certitudes politiques, nationales ou religieuses (souvent assez semblables d’ailleurs, dans leur irrationalité et leur malhonnêteté intellectuelle intéressée), ce décès est une grande perte pour ceux qui aiment s’instruire de l’Histoire des Hommes.
En 1975, Emmanuel Le Roy Ladurie publie chez Gallimard « Montaillou, village occitan de 1294 à 1324« . Ce travail d’ethno-histoire connaît un succès fulgurant. Il sera vendu à plus de deux millions d’exemplaires, alors que ce livre relate la vie, au XIVe siècle, d’un village de paysans montagnards imprégnés de foi cathare.

Dès la fin des années 1980, Le Roy Ladurie, professeur au Collège de France, s’intéresse au quotidien, à la vie des individus, au climat. Avec ses ouvrages de référence, il devient un historien au prestige international.

Le Roy Ladurie est cependant plutôt habitué à la confidentialité de ses travaux d’histoire quantitative et il était loin d’imaginer une telle ferveur autour de ses ouvrages. Dans l’avant-propos de « Montaillou, village occitan« , il confiait une certaine tendresse pour le monde « où vivaient les rustres du soi-disant bon vieux temps ».
Les ferveurs du modernisme post-soixante-huitard étaient déjà en train de s’affaiblir. Barthes pouvait bien écrire dans son journal en 1977 qu’il avait compris « tout à coup » qu’il lui était indifférent d’être « moderne ».

Les conditions étaient réunies pour assurer un grand succès à ces paysans du Languedoc auxquels Le Roy Ladurie avait déjà consacré sa thèse. Il restera un historien des campagnes françaises du Moyen Âge et des Temps modernes.

Né en 1929 à Moutiers-en-Cinglais dans le Calvados, Le Roy Ladurie était le fils d’un ancien ministre du gouvernement de Vichy, Jacques Le Roy Ladurie, propriétaire exploitant de la vallée de l’Orne. Par réaction, Emmanuel Le Roy Ladurie adhéra au Parti communiste en 1949. Il décrivit cet engagement comme un « coup de foudre ». Il allait y militer avec ardeur pendant sept ans, comme beaucoup des élèves de la Rue d’Ulm. Il se lia alors avec Pierre Juquin, François Furet, Michel Crouzet. Il rompit avec le PCF en 1956 après la publication du rapport Khrouchtchev et l’annonce de l’intervention soviétique en Hongrie. La rupture devait être durable et il chercha ensuite pendant quelque temps sa voie à la « deuxième gauche » et il devint même un bref moment secrétaire de la section PSU de Montpellier. Il subit un attentat de l’OAS Métro à son domicile pour ses prises de position en faveur de l’indépendance de l’Algérie.

Il se consacra ensuite surtout à sa carrière d’historien. Après Normale Sup et l’agrégation d’histoire, il enseigna à la faculté de Montpellier, puis à l’Ecole des hautes études. Il fut nommé au Collège de France en 1973 à la chaire d’histoire de civilisation moderne. Son parcours sans faute s’explique par son respect scrupuleux de la « nouvelle histoire » et de l’Ecole des Annales, alors fort en vogue. S’appuyant sur la notion braudélienne de « longue durée », Le Roy Ladurie expliquait dans Le Territoire de l’Historien : « La révolution quantitative a totalement transformé, dans notre pays, le métier d’historien ».
« L’histoire s’immobilise », déclare-t-il dans sa leçon inaugurale au Collège de France. Désigné pour succéder à Fernand Braudel à la direction des Annales, Le Roy Ladurie devient le chef de file de cette Ecole au moment même où le prestige de cette dernière va en s’affaiblissant au fil du temps, à mesure que des historiens grand public, comme Alain Decaux, vont attaquer ses effets délétères sur l’enseignement de l’histoire. L’erreur des agents du ministère, à laquelle Le Roy Ladurie semble étranger, fut d’avoir voulu étendre une discipline universitaire à l’enseignement secondaire.

Avec le relatif désintérêt pour l’histoire quantitative dès la fin des années 1980, Le Roy Ladurie va s’intéresser au quotidien, à la vie des individus, au climat dont il deviendra un historien scrupuleux. Il sera aussi chroniqueur au Figaro Littéraire pendant de nombreuses années.

Par l’abondance de ses travaux et sa participation à de nombreuses œuvres collectives, Emmanuel Le Roy Ladurie a lancé de nouvelles pistes, dont toutes ne furent pas suivies par le public, notamment L’Histoire du climat depuis l’an mil (1967), Le Territoire de l’historien (2 vol. 1973-1978), Le Carnaval de Romans (1979), L’Argent, l’amour, la mort en pays d’oc (1980), Le Siècle des Platter 1499-1628 (trois tomes jusqu’en 2006, Fayard). Il a aussi été historien du politique pour la période moderne dans L’Ancien Régime, 1610-1770 (1991). Il a publié en 2001 une Histoire de France des régions. Il a également occupé les fonctions d’administrateur de la Bibliothèque nationale de 1987 à 1994 et est membre de l’Académie des sciences morales et politiques. L’un de ses derniers ouvrages, résumant l’histoire des Paysans français d’Ancien Régime (2015), se voulait plus accessible au grand public. Durant toutes ces années, Emmanuel Le Roy Ladurie dit être resté marxiste sur le plan méthodologique.

Nous saluons sa mémoire.

pour la GRS
Alain Fabre-Pujol

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