Emmanuel Maurel dans Extra Local : l’étonnante hiérarchie des priorités du gouvernement

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la Gauche Républicain et Socialiste, était invité vendredi 27 janvier 2023 dans l’émission Extra Local sur LCP et Public Sénat…
Il est interrogé sur l’actualité du socialisme, le congrès du Parti socialiste et le rassemblement de la gauche et sur le bras-de-fer engagé entre le gouvernement, les syndicats et la gauche sur la réforme des retraites, mais aussi la situation internationale et la guerre en Ukraine.

Il est également revenu sur le marché européen de l’énergie, conçu sur un modèle aberrant : oui comme le dit Arnaud Montebourg « L’Europe se suicide au gaz »… Dans les affaires de corruption au Parlement européen, Emmanuel Maurel a rappelé que les lobbies les plus actifs et dotés financièrement étaient les multinationales américaines.

Prix de l’énergie : la Faute à l’Europe

Face à la flambée des prix de l’énergie dans tous les pays d’Europe, l’Union européenne ne prend aucune décision, mettant en péril artisans, PME et certaines entreprises. En cause, le marché unique de l’énergie, réforme libérale qui a mené à la privatisation du secteur de l’énergie, et se montre incapable aujourd’hui de faire face à la crise.

Le point sur la situation et les pistes pour en sortir avec Emmanuel Maurel, député européen GRS (membre du groupe La Gauche), qui répond aux questions de L’Humanité.

Réforme des retraites : la fonction publique sacrifiée sur l’autel ordolibéral !

La réforme des retraites va également toucher les trois fonctions publiques. Dans un document envoyé à l’ensemble des fonctionnaires de l’État, le gouvernement annonce la couleur : travailler plus longtemps pour 0 % d’augmentation des pensions ! La ligne est claire : économiser sur leur dos.

L’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge de départ sont identiques au secteur privé : 43 annuités et 64 ans pour les « sédentaires » (comprendre : administratifs). Les actifs et super-actifs (policiers, douaniers, soignants) devront quant à eux attendre respectivement leur 59ème et 54ème anniversaires pour partir en retraite au lieu de 57 et 52 ans. Le mode de calcul de la pension de retraite reste cependant inchangé (75% du dernier traitement brut hors primes).

Les fonctionnaires déroulent leur carrière au sein d’un corps (policier, professeur, inspecteur des finances publiques, etc.) qui comprend un ou plusieurs grades, eux-mêmes composés d’échelons. Le changement d’échelon est de droit (et se fait tous les deux à quatre ans), tandis que le changement de grade ne l’est pas et se réalise par cohortes limitées chaque année par concours, examen professionnel ou selon les bonnes grâces de l’administration. Autrement dit : il n’y a pas de place pour tout le monde !

C’est l’échelon qui détermine le montant du traitement brut et donc de la pension de retraite. Ainsi, pour les fonctionnaires arrivés au dernier échelon de leur grade à la veille de leurs 62 ans, le recul de l’âge de départ à la retraite ne leur permettra pas de bénéficier d’une meilleure base de calcul pour leur future pension !

Après la crise de la COVID-19, voici donc comment le gouvernement remercie les soignants des hôpitaux de leur dévouement !

En reculant l’âge de départ à la retraite, le gouvernent pénalise également les fonctionnaires, remplissant déjà toutes les conditions pour partir sans décote, qui décidaient de poursuivre leur activité de 62 à 64 ans pour bénéficier d’une surcote. Ceci amplifie donc l’arnaque du report de l’âge légal : ceux qui ont cotisé le plus longtemps auront perdu le plus de pouvoir d’achat dans leur vie active et pendant leur retraite ! Le gouvernent en a pleinement conscience, c’est pour cela qu’il propose aujourd’hui de discuter du report de l’âge maximal de départ à 70 ans !

Pour justifier cette réforme, le gouvernement met en avant le nécessaire équilibre du régime des retraites.

Mais les fonctionnaires bénéficient de leur propre régime de retraite (programme 741 de la loi de finances pour la fonction publique d’État et Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales – CNRACL).

Diminuer les dépenses publiques, véritable objectif du projet Macron

Dans son rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique pour la loi de finances pour 2022, le ministère des finances (par sa Direction du budget) relevait qu’en 2020, le régime de la fonction publique d’État était bénéficiaire de 1,3 milliards d’euros et que la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) était déficitaire de 1,473 milliards d’euros, notamment dû à la baisse du nombre de fonctionnaires dans les hôpitaux et les collectivités locales.

En somme, le régime de retraite est déficitaire de 173 millions d’euros, liées à la baisse du nombre de fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, en lien direct avec la casse de l’hôpital, la dégradation des finances locales imposées par les gouvernements macronistes, en lien avec leur exigence de voir baisser les effectifs dans les collectivités territoriales !

D’autre part, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) – dans son rapport de septembre dernier – reprend les hypothèses fournies par la Direction du budget. Le nombre de fonctionnaires serait fixe, sauf les 15 000 emplois dans les hôpitaux promis au Grenelle de la Santé. La nécessité d’embauche dans l’éducation, la santé, les soins aux jeunes enfants et aux personnes âgées dépendantes, la culture est oubliée. De 2022 à 2037, l’indice de la fonction publique perdrait 8,3% en pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat dans le privé augmenterait lui de 12,7%. Aucune leçon n’est tirée par l’exécutif de la dégradation de l’attractivité des emplois publics. Compte tenu de ces hypothèses, la part du traitement des fonctionnaires dans la masse totale des rémunérations passerait de 10,5% en 2022 à 7,8% en 2037. Cela présage donc d’une dégradation importante des pensions des fonctionnaires ; on comprend mieux pourquoi le ministre de la fonction publique s’est empressé d’envoyer un courrier électronique aux agents publics de l’État pour leur assurer que leur retraite à 1 250 euros bruts (pour les temps plein et les 43 annuités complètes) ne serait pas remise en cause.

Les économies ainsi espérées sur le régime des fonctionnaires grâce à la réforme Macron-Borne-Ciotti pourraient atteindre quelques 17 milliards d’euros, chiffre que le gouvernement n’affiche pourtant jamais et qui démontre ainsi en creux que l’objectif du projet n’est en rien la sauvegarde d’un système par répartition prétendument menacé de faillite (le COR et les économistes s’accordent à dire que c’est faux ou tout le moins « très exagéré » pour les plus indulgents) mais bien une diminution des dépenses publiques.

Les arguments du gouvernement sont concernant le rapport de l’État au régime général de plus en plus tendancieux : ainsi Bruno Le Maire prétend que l’État mettrait déjà au pot pour réduire le déficit des retraites – celui-ci si l’on en croit le ministre des finances creuserait donc le déficit de l’État –, ce n’est pas le cas, l’État ne subventionne pas le régime général : il paye simplement son dû en tant qu’employeur et, au regard du projet présenté, l’objectif du gouvernement est clairement de faire baisser cette dépense au détriment des pensions des fonctionnaires.

Pour équilibrer la CNRACL, il existe des alternatives : nous proposons d’augmenter les moyens alloués aux collectivités locales et aux hôpitaux afin de leur permettre de mener à bien leurs missions en embauchant plus d’agents, ce qui augmentera conséquemment le nombre de cotisants – et tout aussi vraisemblablement la qualité du service public !

Nous alertions déjà fin 2021 sur les liens entre l’Élysée et la Commission Européenne, qui avait « recommandé » à la France de réformer le régime des retraites et de l’assurance chômage – recommandation qui avait été prise en compte dans le Plan National de Résilience et de Relance présenté le 27 avril 2021 par le gouvernement à la demande de la Commission.

L’actualité sociale fin 2022/début 2023 ne fait que confirmer ce que nous disions alors.

JUSTICE-POLICE : NON AU SACCAGE DES RETRAITES !

Les fonctionnaires des services publics de la Justice et de la Police, sous pression et aux conditions de travail loin des besoins, sont tout aussi lucides que les autres salariés français : pour les « carrières longues » comme pour les autres, le projet gouvernemental est une lourde régression sociale. Le passage de la durée de cotisation à 43 annuités dès 2027 (accélération de la réforme Touraine déjà très négative) frapperait encore des fonctionnaires dont le point d’indice a été gelé de 2010 à 2016 puis de 2017 à 2022 et dont le traitement est en grande partie composé de primes qui ne comptent pas pour le calcul du montant de leur retraite.

La GRS s’oppose avec force au projet gouvernemental injuste et brutal de report de l’âge légal de départ à la retraite pour tous. En particulier dans les services publics régaliens que sont la Justice et la Police, la GRS soutient la mobilisation unitaire contre ce projet.
Les études sur la souffrance au travail le prouvent : l’épuisement professionnel lié au sentiment de perte de sens du métier et à l’anxiété se répand dangereusement parmi les fonctionnaires de Justice et de Police. Beaucoup, même parmi les plus anciens, développent des maladies liées à leurs mauvaises conditions de travail, à commencer par des dépressions nécessitant une prise en charge médicale.

Qu’en sera-t-il demain, avec la perspective de travailler deux ans de plus ? Face à cela, il est naturel de se sentir piégé par un gouvernement cynique qui cherche à diviser les salariés et les générations.

L’unité syndicale peut faire reculer le gouvernement et la GRS y apporte son soutien. Elle assure aussi de son soutien les fonctionnaires de Justice et de Police et leurs luttes pour une amélioration de leurs conditions de travail et contre le recul de l’âge légal de départ à la retraite.

TOUTES et TOUS en grève et dans les manifestations jeudi 19 janvier et autant qu’il le faudra !

Samedi 14 janvier 2023, Journée Mondiale de la Logique

La Journée Mondiale de la Logique ce samedi 14 janvier 2023, proclamée par l’UNESCO en partenariat avec le Conseil International de la philosophie et des sciences humaines (CIPSH), nous rappelle que la raison et l’argumentation sont des piliers républicains.
La raison est la chose du monde la mieux partagée, mais il est du devoir de la société de permettre à chacun de la cultiver. C’est pourquoi nous nous battons pour une consolidation des compétences fondamentales à l’école, pour une détection maximale et précoce des difficultés, pour le maintien de l’exigence scientifique et pour le droit à se former tout au long de la vie. Défendre la logique et la raison est un antidote contre tous les obscurantismes qui provoquent tant de dérives…

La journée de la logique doit nous rappeler que ce combat pour la rationalité est une condition pour s’attaquer aux défis qui attendent la France et pour décider collectivement de la voie que nous prendrons afin ne pas subir le progrès mais de l’infléchir vers plus de justice sociale.

Pour nous, Socialistes Républicains, cette journée doit contribuer à promouvoir une culture de l’exigence et de la compréhension mutuelles, par l’éducation et la science, avec un seul but, le progrès humain. Il n’y a pas de justice sans partage de la connaissance et pas de démocratie sans « politesse de la preuve ».

Retraites : une réforme inutile et injuste !

Elisabeth Borne annonce ce 10 janvier une réforme des retraites négociée entre la coalition d’Emmanuel Macron et Les Républicains d’Eric Ciotti. Le résultat était attendu et ne comporte guère de surprise : l’âge légal de départ sera reporté à 64 ans et la loi Touraine sera accélérée pour atteindre 43 annuités de cotisations pour les personnes nées à partir de 1961.

Il n’y avait pas d’urgence à infliger ce mauvais coup aux Français. Comme l’indique le Conseil d’orientation des retraites (COR), le scénario moyen du déficit en 2032 ne serait pas supérieur à 0,5% de PIB, soit un cinquième de la fraude fiscale et sociale, ou un dixième des « aides » sans contreparties versées aux entreprises avant l’éclatement de la pandémie !

Pour faire des économies et se plier aux injonctions de la Commission européenne, le gouvernement a délibérément choisi de s’en prendre à la solidarité nationale et de tout faire peser sur ceux qui travaillent. Cette régression sociale aboutira à un appauvrissement des futurs retraités, notamment les travailleurs précaires, ceux qui exercent des métiers pénibles, les carrières longues et les femmes.

Comme 80% des Français, la GRS rejette totalement la réforme des retraites de Borne, Ciotti et Macron. Ce dernier a beau dire qu’il tient un engagement de la campagne présidentielle, il sait parfaitement que nos concitoyens ne l’ont pas élu pour ça, mais pour faire barrage au Rassemblement National.

La GRS soutiendra toutes les initiatives syndicales, politiques et de la société civile pour faire échec à cette réforme désavouée par le pays avant même d’être débattue au Parlement. Nous appelons à la plus large mobilisation pour faire entendre raison au gouvernement et l’obliger à retirer son projet.

« Transferts de nos données personnelles aux États-Unis : pourquoi la Commission est-elle si laxiste ? »

Sans sourciller, comme ça, presque entre deux portes, la Commission de Bruxelles vient d’autoriser le transfert des données personnelles des Européens vers les États-Unis. Qui a bien négocié ? Et qui a fermé les yeux ? Et, surtout, est-il trop tard pour faire machine arrière ? Marianne fait le point sur le dossier, alors que la Commission européenne a lancé en décembre dernier un processus d’adoption de la décision d’adéquation* concernant le cadre de protection des données entre l’Europe et les USA. Emmanuel Maurel y revient longuement sur ce dossier.

Qu’est-ce qui a poussé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à passer un accord avec Joe Biden, en septembre, pour que les données personnelles de tous les Européens soient transférées aux États-Unis ? « Cela fait partie des choses que l’on ne s’explique pas, assure Emmanuel Maurel, député européen rattaché au groupe de gauche. Cet accord ne respecte pas le RGPD [Règlement général sur la protection des données] et nous pensions que les Allemands, qui sont très tatillons en matière de droit, s’y opposeraient. Ne mentionnons pas la France, qui parlait d' »autonomie stratégique », d' »indépendance industrielle » et de “cloud européen”. »

Côté américain, l’appropriation de ces données, de tous les éléments se rapportant à notre vie publique comme privée, fait sens. Les Gafam comme les sociétés d’Elon Musk réclament – pour bâtir le nouveau monde de l’intelligence artificielle, qui doit prédire les besoins des individus et, parfois même, les inventer – de disposer des données personnelles d’un maximum d’individus. « C’est l’or noir de ces sociétés : sans lui, Musk ne peut pas construire son rêve poursuit notre eurodéputé. Joe Biden a considéré – c’est tout à fait certain – que les intérêts économiques des Gafam prévalaient sur tout le reste. Il y a forcément un lien entre cet accord et le lancement de cette “intelligence artificielle”. »

Côté européen, l’abandon de cette souveraineté numérique ne répond à aucune logique, au regard des engagements pris, sauf si l’on applique la nouvelle clé de compréhension issue de la guerre russo-ukrainienne. « La Commission européenne, dans sa très grande majorité, considère que l’on a besoin du soutien des États-Unis non seulement pour aider les Ukrainiens, mais aussi pour nous protéger, estime Emmanuel Maurel. Il convient, dès lors, d’être solidaire de leur politique dans tous les domaines. Quitte à prendre des dispositions irréversibles en remettant les questions de fond à plus tard ! » Les pays scandinaves, les pays de l’Est, proches géographiquement de la Russie, sont sur cette ligne, comme l’Italie de Giorgia Meloni, qui se fait d’autant plus atlantiste qu’elle veut légitimer son gouvernement, dominé par l’extrême droite. « N’oublions pas non plus que ce pays – comme l’Allemagne – compte sur les États-Unis pour suppléer ses besoins en gaz » renchérit Philippe Latombe, député MoDem.

ADIEU LE CLOUD EUROPÉEN

Les entreprises européennes participent également de ce soutien à la politique économique américaine. La SAP SE, société allemande en pointe dans le domaine du progiciel, veut développer ses relations avec les sociétés américaines dont elle est le fournisseur. « Elle pèse d’autant plus fort sur son gouvernement que l’Allemagne fonctionne en écosystème ouvert avec ses entreprises, à la différence du système français, où tout cela est plus feutré » considère Philippe Latombe. Et le français Thales, qui vient de racheter OneWelcome, un logiciel de gestion des identités et des accès clients, outil essentiel dans le monde de la cybersécurité, serait aussi favorable à l’accord Biden-von der Leyen. Une société de cyber­sécurité doit théoriquement exploiter le plus de données personnelles possible pour être efficace. Si l’on sait que 42 % des entreprises françaises sont dotées aujourd’hui d’un système de protection cyber et que 72 % le seront dans dix ans, la position de Thales s’explique mieux. « N’oublions pas non plus que Thales a passé un partenariat avec Google pour créer un cloud de confiance, ce qui condamne la naissance d’un cloud européen pourtant appelé de ses vœux par Emmanuel Macron. Le mal était déjà fait » tranche Emmanuel Maurel. Cap Gemini et Orange, qui ont également passé un accord avec Microsoft en vue de créer un cloud de confiance, ne sont pas non plus hostiles à cet arran­gement. Pour leur défense, ces sociétés françaises assurent qu’elles conserveront la maîtrise de la clé d’accès à nos données.

Isolée sur la question, la France reste donc bien silencieuse sur ce dossier crucial. Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, que l’on a vu plus bavard sur le sujet, n’a pas fait connaître sa position. On sait seulement qu’il ne veut pas participer aux négociations informelles menées par Valdis Dombrovskis, commissaire en charge de l’Économie et du Commerce, et par la vice-présidente chargée du Numérique, Margrethe Vestager, avec les Américains Antony Blinken, secrétaire d’État, et Gina Raimondo, secrétaire au Commerce. Breton ne cautionnerait pas ces rencontres, qui se déroulent en dehors de tout mandat délivré par les États membres. Un peu de courage politique ne nuirait pas. Il est tout de même question de commerce mondial, de normes technologiques et d’administration des données. Rien ne semble donc contrarier l’adoption, au début de 2023, d’un accord dit « d’adéquation » sur le transfert des données. Celui-ci sera d’autant plus facile à mettre en œuvre qu’il ne répond pas, contrairement à un accord commercial, à la règle de l’unanimité.

Le terme « adéquation » prête d’ailleurs à sourire, car il suggère qu’il puisse y avoir convergence entre le droit américain et le droit européen. Ce qui n’est pas le cas. Cela provoque donc des réactions. Ainsi, Maximilian Schrems, l’avocat autrichien qui a fait invalider par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) deux accords précédents ­passés avec les États-Unis sur le même thème, le « Safe Harbor », en 2015, et le « Privacy Shield », en 2020, déclare : « On a vraiment l’impression que la Commission européenne prend sans cesse des décisions identiques sur la question, en violation de nos droits fondamentaux s’emporte le défenseur européen de la vie privée, fondateur de l’association None of Your Business (« Ce n’est pas votre affaire »). Je ne vois pas comment tout cela pourrait survivre à l’examen de la Cour de Justice. C’est un peu comme si les banques suisses vous disaient : “Donnez-nous votre or”, et que, une fois que vous leur auriez transféré, elles vous informeraient que vous n’avez plus aucun droit dessus car vous êtes étranger. » Me Schrems précise en guise d’explication : « Nous avons un conflit de juridictions : l’une, européenne, qui demande la protection de la vie privée ; et l’autre, américaine, qui prône la surveillance. Les sociétés qui gèrent les centres de données sont broyées entre les deux systèmes. » Et le député européen Emmanuel Maurel de renchérir : « Depuis l’adoption du Patriot Act, nous ne sommes plus certains que nos droits fondamentaux soient respectés par les États-Unis. Nous n’avons pas, avec les Américains, la même notion de ce que l’on appelle la sécurité. Nous n’avons pas, en conséquence, assez de garanties sur les protections et les droits de recours. Aux États-Unis, quand vous saisissez la justice sur ces problèmes de protection de données, vous devez saisir au préalable un médiateur, qui est un fonctionnaire des services des renseignements. » Me Schrems prédit : « La surveillance de masse va continuer, mais, à la fin, l’opinion de la CJUE l’emportera et tuera une nouvelle fois cet accord. »

LE PIÈGE PARFAIT

Le temps de la justice n’étant pas, et de très loin, aligné sur celui des technologies, 90 % des données personnelles des Européens auront été transférées aux États-Unis quand la Cour rendra son verdict. C’est le piège parfait, celui qui ne laisse aucune échappatoire, mais donne l’impression qu’on nous a donnés, à nous, les Européens, notre chance. Il sera alors certain que les entreprises du Vieux Continent ne voudront plus changer leurs modes de fonctionnement, leurs codes sources, investir du temps et de l’argent pour rapatrier et gérer les données personnelles. « C’est pourquoi je demande que des préconisations soient prises au moment où nous saisirons la Cour afin d’empêcher que le transfert des données soit irréversible, souhaite Emmanuel Maurel. À écouter les députés, aussi longtemps que le conflit russo-ukrainien perdurera, cela ne pourra pas être le cas. »

ON NE BADINE PAS AVEC LE CONSENTEMENT

Accepter de partager ses données personnelles, c’est permettre à des entreprises de connaître l’intégralité de sa vie. Famille, réseau d’amis, déplacements, loisirs, situation médicale, maritale, tout peut être connu à partir de la géolocalisation, de l’historique de recherche, de la lecture des courriels comme des messages postés sur les réseaux sociaux. Sur le marché mondial des données personnelles, ces informations ont un prix. Les sociétés qui les achètent les utilisent pour vendre de la publicité, des produits ou pour influencer des choix culturels et politiques. En acceptant l’installation de cookies, c’est-à-dire de fichiers espions, l’internaute autorise que sa personnalité, sa vie dans toutes ses composantes, soit vendue aux enchères à des sociétés qui vont la monnayer. L’obtention du consentement exigé par le Règlement européen sur la protection des données est la seule garantie dont l’internaute dispose. Google avait installé sur les 310 millions de téléphones Android un identifiant unique facilitant l’envoi de publicités ciblées sans que les internautes puissent s’y opposer, mais la firme de Mountain View a dû renoncer à l’exploiter pour respecter le droit européen, suffisamment exigeant en la matière. En janvier 2022, la Commission de la protection de la vie privée, autorité belge de protection des données, dont la décision s’impose à toutes les Cnil en vertu du principe du « guichet unique », a exigé que le consentement de l’internaute ne soit pas obtenu par défaut, sans que celui-ci soit clairement informé. Si tel est le cas, toutes les données recueillies à son insu doivent être supprimées.

Boulangerie, artisanat et énergie

C’est la nouvelle année, le temps des « bonnes résolutions » et le gouvernement vient donc de découvrir que les boulangeries françaises étaient au bord de l’asphyxie. Pourtant, depuis plusieurs semaines et même plusieurs mois, il n’était pas bien compliqué de s’en rendre compte pour qui va lui-même acheter son « pain quotidien » : les prix flambaient (au rythme de plusieurs augmentations pour un même produit en quelques mois), certaines boutiques choisissaient de fermer leur devanture une journée supplémentaire par semaine quand d’autres mettaient tout simplement la clef sous la porte… après les « déserts médicaux », les pénuries de médicaments, nous voici à l’orée de créer des « déserts boulangers ».

Le prix du pain est rentré dans l’imaginaire des Français comme ce qui a déclenché la Révolution (la grande et aussi les suivantes) – et on se souvient du slogan du Front Populaire « Pain, Paix, Liberté » –, tous les exécutifs sont conscients que ce sujet est à la fois symbolique et terriblement concret : le pain doit rester accessible, et pas trop cher. Quand la baguette ne coûte plus 1€, mais 1,10€ ou 1,20€, les Français le voient tout de suite ; souvent la boulangerie est le dernier commerce ouvert dans un village, sa disparition provoque automatiquement un sentiment d’abandon, sentiment d’abandon (et perte de pouvoir d’achat) qui voici un peu moins de 5 ans avait nourri le mouvement des « Gilets Jaunes ».

Panique gouvernementale

Voici pourquoi en catastrophe, Bruno Le Maire a mis en scène mardi 3 janvier 2023 sa mobilisation au secours des artisans boulangers (il aura donc fallu attendre la rentrée scolaire), dans un point presse qui a suivi un échange avec les représentants du secteur de la boulangerie. Les 33 000 artisans auront donc l’immense plaisir de recevoir « courrier personnalisé » pour « leur préciser les aides auxquelles ils ont droit ».

Rassurez-vous d’autres mesures suivent… Les boulangers pourront « demander le report du paiement de leurs impôts et cotisations sociales » (merci la sécurité sociale) ; ils auront droit à une remise sur l’électricité « pouvant aller jusqu’à 40% de remise sur leur facture » ; ils pourront enfin résilier leurs contrats d’énergie sans frais, lorsque l’évolution des prix pratiqués sera « prohibitive » – les experts comptables des artisans concernés devront faire preuve de talent et de subtilité pour définir le niveau à partir duquel cette évolution sera « prohibitive » (on ne sait toujours pas s’il y aura un décret pour encadrer la mesure). Dominique Anract, le président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française, qui avait participé à la réunion du matin s’est évidemment réjoui de ces nouvelles mesures, mais il lui fallait forcément nuancer : « pour une facture (d’énergie) qui va être multipliée par dix ou douze, rien ne sera suffisant »… c’est mieux que si c’était pire, donc.

Nous avons également eu droit à une nouvelle saison de #BrunoDemande : « Aujourd’hui, je le dis clairement : les fournisseurs n’aident pas suffisamment les boulangers et les PME » avant de rencontrer les « énergéticiens » dont Engie, EDF ou TotalEnergies. Il leur « demande » de « faire plus, de faire mieux, et de le faire tout de suite ». Alors même que début octobre 2022, ils ont signé une charte les engageant à protéger les entreprises de la hausse des pris de l’énergie, « un certain nombre de fournisseurs ne respectent absolument pas les engagements qu’ils ont pris », selon l’aveu du ministre de l’économie lui-même. S’ils ne « corrigent » pas le tir, Bruno promet de prendre « les mesures nécessaires pour faire respecter ces engagements et nous assurer que les fournisseurs jouent aussi le jeu » : « On peut toujours prélever davantage sur les fournisseurs d’énergie que ce que nous faisons aujourd’hui ». Dans le budget pour 2023, le gouvernement a mis en place un mécanisme qui doit lui permettre de collecter une partie des bénéfices des énergéticiens et lui rapporter, selon ses estimations, 11 milliards d’euros. Pourquoi ne pas agir maintenant alors que les défaillances sont ouvertement constatés ? Sans doute pour la même raison que les super-profits d’un certain nombre d’entre eux ne sont pas taxés, car ils n’existeraient pas.

Enfin, « dans chaque département, dans chaque préfecture, un point d’accueil des boulangers, avec des équipes dédiées, qui non seulement accueilleront tous les boulangers qui ont des questions et qui se demandent comment bénéficier des aides mais qui viendront aussi à la rencontre des boulangers » a souhaité préciser le même jour sur France Info, la première ministre Élisabeth Borne. Sauf que son ministre déplorait quelques minutes plus tard « nous avons à peine une cinquantaine de PME par jour seulement, je ne parle même pas des boulangers, qui viennent solliciter une aide à laquelle ils ont droit » : dans des préfectures et sous préfectures qui ne disposent déjà pas des moyens nécessaires pour effectuer correctement leurs missions habituelles, on doute que les boulangers se précipitent, alors qu’ils se plaignent déjà du caractère ubuesque des procédures à respecter pour obtenir ces aides – une dépense d’« énergie supérieure aux quelques centaines d’euros obtenues en bout de course » (sans jeu de mots).

Concours Lépine du faux-nez politique

Les boulangers vont-ils marcher sur Paris ? Certains en rêvent. Le 23 janvier, un Collectif pour la survie de la boulangerie et de l’artisanat appelle à manifester dans la capitale. Un autre collectif, La boulangerie à poil, va participer. Ces professionnels invitent d’autres artisans à les rejoindre et accusent l’État de ne pas les soutenir suffisamment. Ils affirment qu’ils veulent « changer le cours de l’histoire », rien de moins. On sent la reprise des codes du mouvement des « Gilets Jaunes » que nous évoquions plus haut.

Or, Frédéric Roy, le boulanger niçois qui a créé le premier de ces collectifs, est ouvertement engagé en politique. Dans ses interviews, il ne se contente pas de montrer ses factures. Il a tout un discours sur l’échec de l’Europe dans le domaine de l’énergie, et sur la souveraineté française qu’il faudrait retrouver. Qui le soutient ? Localement, Eric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes, qui est aussi… président de LR. Il est particulièrement savoureux de voir LR – qui a accompagné toutes les décisions néolibérales et technocratiques décidées par le Conseil et la Commission européennes (donc le gouvernement français) – se révolter aujourd’hui… si quelques-uns peuvent parfois (difficilement) se prévaloir d’une lointaine filiation gaulliste ou séguiniste, pour la plupart on se vautre dans la caricature.

La palme revient sans doute à Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône qui fut députée pour le même camp de 2007 à 2020, qui citant Loïk Le Floch-Prigent – « Le fait de produire de l’énergie d’origine nucléaire à 40 €, de la vendre à 42, et ensuite de la racheter le 21 juillet à 397 € devrait faire s’interroger tous les Français » – conclue par « Le fiasco énergétique de Hollande-Macron » : pour quelqu’un qui a voté en 2010 la loi NOME (qui introduit le processus aboutissant à l’impasse actuelle) à la demande du président Nicolas Sarkozy, c’est assez gonflé… Or la flambée des prix de l’énergie qui étrangle les boulangers, les TPE et plus généralement les Français, trouve aussi et d’abord son origine ici.

Démondialisation et marché européen

Les boulangeries avaient déjà subi une poussée de fièvre sur les prix fin 2021-début 2022 à cause de l’augmentation des prix du blé. On avait même vu dans certaines boutiques s’afficher des graphiques explicatifs pour justifier une première augmentation de 10 % de la « baguette tradition ». La guerre en Ukraine – qui a évidemment aggravé le phénomène – ne l’explique pourtant pas ou pas totalement. Depuis plus de 20 ans, le blé est une « matière première » hautement spéculative… Or aujourd’hui, si un producteur français voulait vendre à des prix plus accessibles que les cours actuels du marché, il ne pourrait pas car ce marché justement est mondialisé : tout est négocié à … Chicago. La construction d’un marché international régulé des céréales n’est évidemment pas à remettre en cause – c’est un des acquis des grands objectifs de régulation de la communauté internationale construite après la seconde guerre mondiale –, mais justement la « régulation » n’existe plus ou peu car la réglementation a sauté ligne par ligne avec le processus de libéralisation des marchés engagé depuis les années 1990. La « mondialisation heureuse » des néolibéraux aboutit au dysfonctionnement total du marché… Mais là, l’exécutif français reste coi, au niveau international comme au niveau européen.

L’échelle européenne, parlons en justement… car, en pratique, face à la crise, le gouvernement répond avec des aides ciblées en craignant la contagion des revendications. La peur n’ayant jamais écarté le risque, déjà, d’autres professionnels réclament, eux aussi, des aides supplémentaires. Les restaurateurs expliquent qu’ils ont du mal, comme les boulangers, à payer leur facture. Le gouvernement macroniste craint donc d’avoir ouvert la boîte de Pandore, alors que, depuis quelques mois, il essaie de diminuer son soutien à l’économie hérité de la crise sanitaire. Officiellement, la politique du « quoi qu’il en coûte » est derrière nous – l’État n’en aurait plus les moyens au moment où les taux d’intérêts nominaux remontent. Comment soutenir alors ceux qui ont des problèmes, sans faire chaque jour de nouveaux chèques ?

La solution est systémique et c’est celle que le gouvernement et la haute fonction publique de Bercy – aveuglés par le foi néolibérale – se refusent encore à mettre totalement en œuvre : c’est exiger (après avoir défendu l’inverse pendant des décennies) la fin du « marché » européen de l’énergie. La sortie du traité de la charte de l’énergie ne saurait satisfaire les Français avides de solutions concrètes. Pourquoi proposer au TPE et aux artisans de revenir temporairement aux tarifs réglementés (la gauche voudrait y adjoindre les collectivités), quand on sait que c’est le système actuel qui dysfonctionne en soi ?

Nous avons longuement écrit sur le sujet et vous pourrez vous référez à nos articles… l’idée fait son chemin pourtant, et il est un moment où personne ne pourra encore la différer : il fallait écouter le journaliste Jean-Sébastien Ferjou, le mardi 3 janvier au soir dans l’émission Les informés de France Info, expliquer que, tout en se revendiquant libéral et affirmant « croire au marché », lorsqu’il n’existe qu’un seul producteur – EDF en l’occurrence – il n’y a pas de marché et que les dispositifs mis en place par les institutions européennes pour en créer un artificiellement étaient tout simplement absurdes.

Espérons que l’inéluctable ne soit donc pas mis en œuvre trop tard.

Frédéric Faravel

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