Faire reculer le RN et rassembler les Français – UGR24 – dimanche 13 octobre 2024

Est-il encore temps de faire reculer le RN ? La Gauche est aujourd’hui au pied du mur : Construire un projet qui réponde aux grands enjeux d’aujourd’hui et de demain comme aux problèmes quotidiens des Français et des Françaises – unir ses forces dans la durée renouer avec le monde du travail et rassembler tous les Français.

AVEC

Pierre JOUVET
Député européen – secrétaire général du PS – conseiller départemental
Christian PICQUET
Membre de la direction nationale du PCF
Jean Marie CADOR
Parti des travailleurs hongrois 2006
Gilles NOËL
Maire de Varzy (58) – Vice-président national de l’Association des Maires Ruraux de France
Sophie CAMARD
Maire GRS du 1er secteur de Marseille
Dominique CHARNASSÉ
Ancien cadre du Secrétariat Général aux Affaires Européennes –
responsable national de l’Engagement
Présidence/Animation
Catherine COUTARD
Vice-présidente du MRC

Après les élections irlandaises du 29 novembre, le Sinn Féin face à la nécessité de construire une alternative républicaine à gauche

Le 29 novembre dernier, se tenaient les élections générales en République d’Irlande. Déclenchées quelques mois avant le terme du précédent Dáil Éireann1, par les partis de la coalition de droite au pouvoir, elles ont abouti à un paysage politique plus éclaté qu’auparavant.

Dans la foulée des élections de février 2020, le parti républicain Sinn Féin a longtemps caracolé en tête des sondages (entre 30 et 35 % des intentions de vote entre 2021 et 2023). Ce même parti a accédé le 3 février2024 à la fonction de premier ministre du gouvernement provincial autonome en Irlande du Nord. Les partenaires de la coalition de centre-droit Fianna Fáil, Fine Gael et Green Party se sont accordés au début du mois d’octobre 2024 pour anticiper de quelques mois le scrutin. pensant profiter d’un passage à vide du parti républicain, favorable à l’unité de l’île, qui est repassé à ce moment sous les intentions de vote promises aux deux grands partis de droite.

Au final, ce pari purement opportuniste a été relativement perdant. Sinn Féin a rattrapé son retard dans les intentions de vote, sans renouveler pour autant son exploit de 2020 ; les partis de droite on légèrement reculé sans réussir à concrétiser le score que les sondages leur promettaient en octobre et les écologistes ont violemment payé leur position de junior partner d’une coalition de droite dans laquelle leurs électeurs n’avaient vraisemblablement pas anticipé qu’ils y participent.

La situation semble donc à peu de choses près la même qu’en février 2020 : les deux partis de droite historiques de l’Irlande continuent. à s’accorder contre la participation de Sinn Féin à un quelconque gouvernement. Ils réunissent cependant à eux deux désormais presque la majorité du Dáil et devront à nouveau choisir un troisième membre pour asseoir une coalition gouvernementale, sans que celui-ci soit aussi fort que ne l’étaient précédemment les écologistes.

Il convient cependant de resituer ces élections dans les évolutions politiques de la dernière décennie pour comprendre ses enjeux et mesurer ce qu’il reste à parcourir pour installer un jour un véritable gouvernement d’alternance en Irlande, potentiellement capable de soutenir un processus d’unification de l’île sous l’égide de la République.

Les élections de 2024 confirment l’évolution politique de l’Irlande depuis 15 ans

Depuis 1932, Fianna Fáil et Fine Gael, deux partis « frères ennemis » de la guerre civile de 1922-1923, alternent au pouvoir. Le premier, représentant alors le nationalisme irlandais censé être le plus intransigeant, s’étant débarrassé de ses derniers éléments progressistes dans les années 1930, a incarné jusqu’à aujourd’hui la droite conservatrice ; le second, issu des soutiens de Michael Collins qui avait conclu le traité de large autonomie avec le Royaume Uni en décembre 1921, après s’être débarrassé dans les années 1930 de son aile pro-fasciste, a représenté la centre-droit libéral voire progressiste.

Dans ce paysage politique, traumatisé par la guerre civile des années 1920 et focalisé sur la construction de son identité étatique et nationale, nulle possibilité pour ces deux partis de s’accorder ; dans un pays essentiellement rural, la gauche (le parti travailliste ou des petits partis républicains) et les agrariens servaient d’arbitres mineurs pour faire basculer la majorité d’un côté ou de l’autre quand le Fianna Fáil n’arrivait pas seul à la majorité (soit pour compléter sa majorité, soit pour l’empêcher de garder le pouvoir.

Depuis le début du XXIème siècle, la République d’Irlande a vu les données politiques du pays profondément évoluer. Évolution sociologique d’abord avec une part toujours plus grande des populations urbaines et une diminution progressive du poids de l’église catholique impliquant la légalisation du divorce en 1995, celle de l’avortement en 2013 (et une mise au niveau du reste de l’Europe occidentale en 2019) et du mariage homosexuel (plus facilement qu’en France) en 2015. En 20 ans, la République d’Irlande est sortie du conservatisme catholique dans lequel l’avait confite Éamon de Valera2, « père de la Nation » et père du Fianna Fáil, pour faire oublier sa trahison des idéaux d’unité républicaine. Évolution géopolitique ensuite avec la conclusion des « Accords du Vendredi-Saint » entre la plus grande partie des organisations politiques nord-irlandaises et les gouvernements britanniques et irlandais, qui mettaient fin à la guerre civile en Irlande du Nord : politiquement, cet accord a eu pour conséquence de permettre au Sinn Féin, le parti républicain irlandais présent dans le nord rescapé des multiples scissions et affrontements dans l’histoire politique irlandaise, d’investir le débat public dans le sud une fois que l’Irish Republican Army, sa branche armée, avait renoncé à la violence. Évolution partisane enfin : si le Fianna Fáil voyait son hégémonie politique de plus en plus souvent contestée par le Fine Gael, il restait le principal parti irlandais ; Or en 2008, il va être directement frappé à la fois par une affaire de corruption politique en la personne de son chef et premier ministre Bertie Ahern et par les conséquences croissantes de la crise financière et bancaire importée des États-Unis d’Amérique

Après le sauvetage des banques irlandaises en 2008 et la détérioration du niveau de la dette publique qui a conduit à la crise financière irlandaise, le gouvernement irlandais a accepté un renflouement de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, par crainte d’une crise plus large de la zone euro. Le Fonds européen de stabilité financière a alors proposé au gouvernement irlandais un accord de plusieurs milliards d’euros pour sa nouvelle dette. L’idée d’une telle démarche a littéralement révulsé l’opinion publique qui a accusé le Fianna Fáil d’attenter « au statut de l’Irlande en tant qu’État souverain… les idéaux du Parti républicain sont désormais en lambeaux »3.

Aussi des élections anticipées seront convoquées en janvier 2011, après que la coalition Fianna Fáil/Green Party a explosé en novembre 2010. C’est la coalition conduite par le Fine Gael avec le soutien du Parti travailliste qui emporte très largement le scrutin4 ; pour la première fois de l’histoire, le parti de centre-droit devient le parti le plus important du Dáil Éireann, alors que le Fianna Fáil s’effondre (il passe de 41,7 % à 17,5 %, perdant les 3/4 de ses sièges) et que le parti travailliste frôle les 20 % (dépassant son record de 1997 où il avait atteint 19,2%) alors qu’il est plutôt habitué à des score entre 8 et 13 % depuis les années 1920. Le programme de la coalition était plutôt orientée au centre-gauche, mais il ne résista pas à la réalité de la tutelle économique du FMI et de l’Union Européenne sur l’Irlande qui ne prit fin qu’en 2013. C’est ce même gouvernement dirigé par Enda Kenny qui fit des pieds et des mains pour refuser l’amende de 13 milliards d’euros due selon la Commission Européenne par Apple à l’Irlande alors que le taux de chômage dans le pays retrouvait des niveaux importants (entre 14 % et 15 % de 2010 à 2013) et que le gouvernement était « contraint » de tailler à la serpe dans les dépenses et les services publics. C’est également ce gouvernement qui, en 2014, mit en application une loi de 2009 rendant payante l’eau domestique. De nombreuses campagnes dénonçant les water charges (la gratuité de l’eau n’a pas que des avantages, mais sa fin s’ajoutait aux nombreuses mesures qui alourdissaient les charges des classes populaires et moyennes irlandaises et également des pertes de revenus) ont alors émaillé les villes et campagnes du pays, alimentés par Sinn Féin qui y trouvera une forme de légitimation sociale. Cette implication sociale est d’autant plus poussée que Gerry Adams, président du Sinn Féin, a été élu au Dáil Éireann en février 2011.

Les élections de février 2016 marquèrent donc une nouvelle étape du processus de transformation du paysage politique irlandais. La traversée du désert du Fianna Fáil était relativement terminé, ou tout du moins sa disgrâce était désormais équivalente à celle de son ennemi historique du Fine Gael. C’est le parti travailliste qui paya électoralement les plus violemment la trahison des engagements électoraux de 2011 ; il ne s’en est toujours pas remis. Une coalition entre les deux partis de droite semblaient ouvertement encore impossible, mais à partir du moment où ni les conservateurs ni les libéraux n’acceptaient un accord faisant entrer au gouvernement Sinn Féin, aucune combinaison majoritaire n’était possible. Les deux « frères ennemis » ont donc innové : ils ont trouvé un accord en mai 2016 pour permettre un gouvernement minoritaire du Fine Gael, soutenu par le Fianna Fáil, avec Enda Kenny comme Taoiseach5, auquel Leo Varadkar6 succéda en juin 2017. La politique conduite par ce gouvernement minoritaire resta dans la ligne des précédents gouvernements qui s’étaient succédé depuis 2007 : les élections de 2020 en furent donc la sanction.

À l’issue des élections de février 2020, c’est un véritable coup de tonnerre : le Sinn Féin contemporain, issu de la scission nationaliste de gauche de 1969 en Irlande du Nord, inexistant dans le sud jusqu’en 1992 et avec des suffrages inférieurs à 5 % jusqu’en 20028, arrive en tête des suffrages en nombre de sièges sous la conduite de sa nouvelle présidente Mary Lou McDonald. Les deux partis de droite vont refuser à nouveau tout accord gouvernemental avec son parti, Mary Lou McDonald essuie les refus de l’un comme de l’autre et ne peut rassembler que 73 députés dans une coalition de gauche alors 80 sont nécessaires pour la majorité. Les deux « frères ennemis » de la politique irlandaise décident donc définitivement de sauter le pas et d’officialiser leur union en avril 2020 ; il leur manque 8 sièges pour la majorité, ils trouveront le soutien des 12 députés écologistes comme junior partner de la coalition. L’accord de coalition prévoit la rotation du poste de Taoiseach entre les deux grands partis : en juin 2020, Leo Varadkar cède la place au conservateur Micheál Martin, avant de redevenir Taoiseach en décembre 2022 et de passer les rênes du pouvoir son camarade de parti Simon Harris en avril 2024.

C’est ce dernier qui géra donc les derniers mois et les élections générales anticipées. Sinn Féin était donné très bas entre 15 et 17 % en début de campagne électorale, sans doute à cause de la difficulté à entrevoir comment il pourrait concrétiser une alternative gouvernementale. Mais en insistant sur ses thèmes traditionnels, réunification, justice sociale, égalité des droits (logement, santé, éducation), le parti s’est remis à flot – l’insuffisance de logements et le coût du logement pour les familles sont devenus des enjeux majeurs de la société irlandaise. Les verts se sont effondrés, le centre gauche retrouve du poids mais sur la base d’une division entre travaillistes et social-démocrates. Apparaît cependant une offre à droite des partis gouvernementaux avec Independant Ireland9 et Aontú10. Le plus probable est une reconduction de la coalition des « frères ennemis » avec un junior partner à trouver (il manque deux sièges), ce que le parti travailliste a refusé. La candidature de Mary Lou MacDonald comme Taoiseach a été rejetée le 18 décembre dernier. La question de sa capacité à présenter une alternative concrète est posée, même si la coalition de droite va avoir du mal à se constituer et restera fragile.

Et maintenant ? Quelles perspectives pour l’Irlande ?

Trois résultats importants ont commencé à se cristalliser au lendemain des dernières élections générales irlandaises. Premièrement, le Sinn Féin semble s’être définitivement installé comme la troisième force politique majeure de l’État du sud de l’Irlande. Deuxièmement, pour la première fois depuis la partition, la politique dans les 26 comtés du sud est potentiellement passée de la domination binaire des deux partis conservateurs, le Fianna Fáil et le Fine Gael, à un clivage politique entre des blocs progressistes et conservateurs : dans une déclaration publiée après les élections, le Parti travailliste a déclaré qu’il n’entrerait au gouvernement qu’avec un « bloc progressiste de centre-gauche avec des partis partageant les mêmes idées », et a également exposé les grandes lignes de sa plate-forme de négociation alors que Sinn Féin engageait des discussions avec le Labour et les Social-democrats (ce qui était impensable en 2016 et en 2020 pour les travaillistes) ; le 19 décembre, le Parti travailliste a déclaré qu’il ne rejoindrait pas une coalition avec le Fianna Fáil et le Fine Gael. Troisièmement, le réalignement soulève la nécessité de réfléchir à la manière dont les partis de gauche, les partis républicains et les représentants progressistes coopéreront dans les temps à venir. La nécessité du changement et la résistance à ce changement ont résonné tout au long de la campagne électorale.

Malgré l’urgence de la question du logement et des sans-abris, du coût de la vie et des crises sanitaires, il semble probable qu’une coalition gouvernementale du Fianna Fáil et du Fine Gael se reformera une fois qu’un partenaire junior aura été trouvé. Après le dernier accord de coalition et l’accord de confiance et d’approvisionnement précédent entre ces deux partis, il n’y a aucune chance qu’ils abordent ou abordent sérieusement ces questions. Mais ces priorités continueront de dominer l’agenda politique car elles concernent directement la qualité de vie des citoyens irlandais ; ils deviendront rapidement l’aune à laquelle sera mesurée la prochaine coalition au sein du nouveau Dáil.

Même si la part du vote populaire pour le Sinn Féin a diminué par rapport à 2020, le résultat du 29 novembre 2024 démontre que l’augmentation du soutien au parti républicain n’est pas une chimère. Le Sinn Féin a consolidé sa position électorale et est désormais le deuxième parti du Dáil Éireann. Le chemin vers le pouvoir politique est un marathon, pas un sprint.

C’est la leçon politique de la croissance systématique du parti dans le nord de l’Irlande pour devenir le plus grand parti de la province britannique et, en 2024, diriger la coalition de partage du pouvoir.

Une approche similaire peut être adoptée dans le sud. Il n’y a pas d’alternative au travail constant de construction de ce parti, de campagne sur et de représentation des questions clés qui comptent dans la vie des gens, et de définition d’une vision d’espoir et de changement positif.

La dernière campagne électorale a exprimé une volonté palpable de changement, car la plupart des travailleurs et des familles, notamment ceux de moins de 45 ans, ont été laissés pour compte par les gouvernements successifs de Dublin. Ils ne peuvent pas acheter de maison ni se permettre de louer un logement, et leurs revenus ne suivent pas le rythme de la hausse vertigineuse du coût de la vie. Ceux qui ont été laissés pour compte veulent des solutions, et le Fianna Fáil et le Fine Gael n’ont pas réussi à répondre à leurs besoins et on se demande bien si c’est tout simplement leur préoccupation. Malgré la perpétuation du pouvoir partagé par les « frères ennemis » les attentes des Irlandais resteront les mêmes : un logement abordable, un travail décent, un salaire équitable et un accès à des services publics de bonne qualité. L’émigration est redevenue la réponse politique efficace par défaut pour de nombreux Irlandais face à cette véritable tempête de défis que la droite ne relève pas.

Garder l’espoir vivant et prouver que de véritables solutions peuvent être apportées doivent être la priorité de tous ceux qui formeront l’opposition parlementaire au nouveau gouvernement. Sinn Féin, Labour Party et Social-democrats rassemblent aujourd’hui 60 députés à eux trois. Parmi les Teachtaí Dála11, on peut encore compter d’autres représentants progressistes (People before profit, écologistes, indépendants). Il s’agira sans doute de la plus grande cohorte parlementaire de gauche jamais élue, réunie dans l’opposition parlementaire. Le défi de Sinn Féin sera de traduire cette force politique en une opposition cohésive qui défend les intérêts des travailleurs et des familles : un axe politique représentant le plus grand nombre, et non quelques-uns – the many, not the few comme le répétait en Grande Bretagne Jeremy Corbyn.

Un débat est désormais nécessaire au sein de la gauche irlandaise, qui doit inclure le Congrès irlandais des syndicats, les ONG militantes et d’autres sections progressistes de la société civique irlandaise. Des interventions publiques importantes ont déjà été faites ces derniers jours par de hauts dirigeants syndicaux. Sinn Féin propose donc aujourd’hui un manifeste d’opposition dans le prochain Dáil. Cela nécessitera une volonté de s’engager dans une réflexion nouvelle, de la fraternité et une ouverture pour explorer les domaines d’accord. Une réelle opportunité a émergé de cette élection pour envisager le développement d’un bloc républicain de gauche progressiste qui respecte l’indépendance et l’autonomie des partis politiques qui en seraient partie prenante et des autres TD.

Les questions qui ont dominé les élections générales peuvent constituer la base de la coopération future de la gauche :

• Logement et sans-abri ;

• Listes d’attente des hôpitaux ;

• La directive européenne sur le salaire minimum et son intégration dans la législation irlandaise, ainsi que d’autres droits des travailleurs ;

• Le gaspillage des dépenses publiques ;

•  Pressions liées au coût de la vie sur les familles qui travaillent ;

• Maintenir la neutralité irlandaise.

Dans le même temps, le prochain gouvernement devra mettre en œuvre le consensus politique existant pour planifier et préparer l’unité irlandaise. Tous les partis du dernier Dáil ont soutenu cette position politique. Cela devrait désormais être stipulé dans le prochain programme de gouvernement en tant qu’objectif politique ; les partis de droite sont donc attendus au tournant sur cette question. La coopération républicaine de gauche constituera une dynamique parlementaire importante pour garantir que les décisions nécessaires soient prises pendant la législature du prochain Dáil afin d’assurer un référendum d’unité. Cinq années supplémentaires de même nature de la part d’une coalition attachée au statu quo ne pourront pas être tolérées.

En parallèle, l’opposition de gauche avec Sinn Féin devra découvrir sa force politique collective pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il adopte et mette en œuvre des positions qui servent les intérêts démocratiques, économiques et sociaux nationaux. C’est ainsi que les fondations politiques d’un futur gouvernement de changement pour le plus grand nombre pourront être construites. La coopération politique républicaine de gauche est le chemin obligé de Sinn Féin et de la gauche irlandaise.

Frédéric Faravel

1Dáil Éireann : Chambre basse du parlement irlandais, qui trouve son origine dans la réunion des députés républicains élus en décembre 1918 refusant de siéger à Westminster et qui se proclamèrent parlement d’Irlande.

2Éamon de Valera (1882-1975), homme d’État américano-irlandais, un des dirigeants de l’insurrection de Pâques 1916, élu député Sinn Féin en 1918, président du Dáil Éireann de 1919 à 1922, chef du Sinn Féin anti-Traité de 1922 à 1926, fondateur du Fianna Fáil en 1927, chef du conseil exécutif de l’État libre d’Irlande de 1932 à 1937, premier ministre d’Irlande de 1938 à 1948, premier ministre de la République d’Irlande de 1951 à 1954 et de 1957 à 1959, président de la République d’Irlande de 1959 à 1973.

3« Was it for this ? » publié dans The Irish Times le 18 novembre 2010 : https://web.archive.org/web/20101121220628/http://www.irishtimes.com/newspaper/opinion/2010/1118/1224283626246.html. L’éditorial du journal e référence irlandais considère alors encore le Fianna Fáil comme l’héritier véritable du parti républicain des années 1920, le Sinn Féin anti-Traité.

4Depuis la loi électorale du 5 novembre 1922, le mode de scrutin dans le sud de l’Irlande est le scrutin proportionnel à vote unique transférable. Chaque électeur reçoit un bulletin de vote sur lequel figurent les noms de tous les candidats de sa circonscription. Il/elle vote pour un seul d’entre eux en marquant, au regard du nom de celui-ci, le chiffre 1; l’électeur peut ensuite indiquer son ordre de préférence entre les autres candidats en inscrivant, en face de leurs noms, les chiffres 2, 3, 4… Au début du dépouillement, les bulletins de vote sont bien mélangés et classés selon les premières préférences exprimées. Le total des suffrages valables est ensuite établi et le quotient électoral calculé en divisant ce total par le nombre de sièges à pourvoir et en ajoutant un au résultat. Les candidats ayant obtenu dès le premier tour un nombre de votes de première préférence égal ou supérieur au quotient sont déclarés élus. Si aucun candidat n’a atteint le quotient, le candidat ayant recueilli le plus petit nombre de voix est éliminé et ses suffrages transférés aux candidats pour lesquels une deuxième préférence a été enregistrée. Si un candidat recueille un nombre de suffrages supérieur au quotient requis pour être élu, les suffrages obtenus en sus du quotient sont transférés proportionnellement aux candidats restant en lice, en fonction des deuxièmes préférences exprimées par les électeurs. Lorsque le nombre des candidats qui n’ont été ni éliminés ni élus est égal à celui des sièges à pourvoir, ces candidats sont déclarés élus même s’ils n’ont pas atteint le quotient. En cas de vacance en cours de législature, il est procédé à une élection partielle. Depuis 2014, ce mode de scrutin est également utilisé pour désigner les membres du parlement d’Irlande du Nord qui n’avait connu jusqu’ici que le scrutin majoritaire à un tour typiquement britannique (et toujours en cours pour pour désigner les députés irlandais lors des élections au parlement britannique).

5Taoiseach : titre donné au Premier ministre en irlandais.

6Leo Varadkar a pour particularité d’être le premier chef de gouvernement irlandais à assumer publiquement son homosexualité. Ayant profité de la loi de 2015 sur le mariage homosexuel (adopté par référendum), il était accompagné par son mari aux réceptions officielles, une véritable révolution dans l’Irlande catholique.

7Le nombre de sièges augmente car le Dáil Éireann est passé de 160 à 174 membres, suite à la prise en compte de l’augmentation de la population mise en lumière par le recensement de 2022. En vertu de l’article 16.6.2° de la Constitution irlandaise, il doit y avoir un député élu pour au moins 20 000 habitants et 30 000 au plus.

8Gerry Adams, président du parti, a fait du développement du parti républicain dans le sud dès que le processus de paix issu des Accords du Vendredi-Saint (dont il était signataire) dans le nord a été sécurisé.

9Le parti Irlande Indépendante a été fondé en 2023 par deux députés indépendants (les indépendants sont une spécificité de la politique irlandaise, il y en a pour tous les goûts). Il reprend la place qui était celle des partis agrariens des années 1950 et 1960, économiquement libéraux, affilié au parti démocrate européen et à Renew Europe, mais opposé à l’avortement.

10Aontú (« être d’accord ») est une scission de Sinn Féin, en janvier 2019, fondé essentiellement sur une rupture avec le soutien du parti républicain à la libéralisation de l’avortement. C’est un parti eurosceptique, transphobe, défavorable à l’éducation sexuelle à l’école, anti-immigration mais qui défend des options sociales et économiques proches de son parti d’origine.

11Un Teachta Dála (abrégé TD, au pluriel : Teachtaí Dála), est un membre du Dáil Éireann, la chambre basse du Oireachtas, le parlement de l’Irlande.

Quelle stratégie pour sauver le transport ferroviaire ? entretien avec Chloé Petat – Les Jeudis de Corbera

Podcast enregistré le jeudi 12 décembre 2024

Le transport ferroviaire français est dans la tourmente.

Depuis plusieurs années, la puissance publique s’est progressivement désengagée, entraînant la fermeture des petites lignes, abandonnant les trains de nuit, décentralisant la compétence aux conseils régionaux pour favoriser aujourd’hui l’ouverture à la concurrence. Ces dernières semaines des signaux contradictoires ont été envoyés : la SNCF a choisi une voie qui conduit à la mort de son système de fret ferroviaire, déclenchant une grève reconductible des cheminots, mais les grandes lignes européennes – comme le trajet Paris-Berlin – rouvrent progressivement de jour et de nuit. Mais quel que soit l’angle sous lequel on prend le dossier, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il n’y a aucun miracle à attendre de l’ouverture à la concurrence au moment où les Britanniques renationalisent leurs chemins de fer. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, nous ne verrons aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service.

C’est pour parler de tous ces sujets que Carole Condat interrogeait jeudi dernier Chloé Petat, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et membre de la direction nationale de notre parti, qui vient de publier La révolution ratée du transport ferroviaire  aux éditions du Bord de l’Eau. Vous pouvez écouter ci-dessous le podcast.

La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? – Éclairages – GRS Landes et David Cayla

Considérant qu’il est nécessaire de s’interroger, de sortir de l’impuissance, d’explorer les possibles et faire vivre le débat public, la Gauche Républicaine et Socialiste a mis en place, dans les Landes, une initiative dénommée « Éclairages », faisant ainsi par la même occasion un clin d’œil aux Lumières. Il s’agit d’une sorte d’université populaire ouverte à toutes et tous ayant pour objectif que tout un chacun s’informe et échange en réfléchissant collectivement. Les modalités seront variées (conférences, tables rondes, ateliers de travail…) et les sessions organisées dans différentes communes du département (urbaines/rurales, littorales/forestières…).

Éclairages a ouvert son premier cycle de rencontres publiques en décembre 2024 sur le thème : « Être de Gauche : c’est quoi ? ». La première session de ce premier cycle a réuni une quarantaine de personnes vendredi 6 décembre 2024 Saint-Paul-lès-Dax avec la conférence-débat animée par l’économiste David Cayla (enseignant-chercheur à l’Université d’Angers, spécialiste en économie politique, membre des économistes atterrés) : « La Gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? »

Ces dernières années, la Gauche a semblé impuissante à répondre à la régression sociale. Quel projet la Gauche peut-elle proposer afin d’agir concrètement en faveur des classes populaires et de reconstruire un État social ?

Après avoir brossé le tableau de la situation politique des 30 dernières années relevant que la gauche ne progresse plus électoralement depuis 2012, David Cayla a d’abord défini le néolibéralisme en soulignant bien ses différences d’avec le libéralisme et en pointant les conséquences (économiques, sociales et politiques) négatives de cette doctrine tout à la fois économique et anthropologique.

Il a ensuite rappelé qu’une partie de la Gauche ne l’a pas combattue ; au contraire, c’est même elle, avec Jacques Delors et à partir de l’Acte unique en 1986, qui l’a accompagnée et accentuée (libéralisation et privatisations ont augmenté sous le mandat de Lionel Jospin). David Cayla précise que, si une gauche plus radicale a pu avoir un discours souverainiste et anti-néolibéral, ce discours est aujourd’hui plus atténué, car elle met en avant aujourd’hui prioritairement des combats relevant plus du sociétal et de la mobilisation des affects.

David Cayla a ensuite présenté les propositions qu’il préconise pour sortir du néolibéralisme, notamment une véritable stratégie de réindustrialisation, mettre en place un nouveau modèle agricole, développer les services publics, réguler davantage. Plus généralement, il faut encastrer le marché dans la société, et non le contraire comme actuellement.

Les Jeudis de Corbera – La haine des fonctionnaires : quel avenir pour la fonction publique ? 5 décembre 2024

Les Jeudis de Corbera proposaient une nouvelle séance d’échanges au soir de la grève nationale de la fonction publique et des nombreuses manifestations de la journée.

Le débat était intitulé « Quel avenir pour les fonctionnaires ? » : au moment où les fonctionnaires sont l’objet d’un réel mépris de leur ministre de tutelle et du gouvernement, comment reconstruire la confiance des agents publics indispensables à l’exercice de leurs missions ? En s’attaquant ainsi à ceux qui servent l’intérêt général, l’objectif est bien de démanteler les services de l’Etat.

Carole Condat, référente du pôle thématique fonction publique et services publics de la GRS, et Damien Vandembroucq, membre du collectif de direction de la GRS, interrogeaient et dialoguaient avec Claire Lemercier, historienne, directrice de recherche au CNRS et co-autrice de La haine des fonctionnaires, que nous avions déjà reçu pour une séance de dédicaces sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre dernier.

Produire des richesses en France – UGR24 – samedi 12 octobre 2024

La Gauche Républicaine et Socialiste et la Fédération de la gauche républicaine sont convaincues que l’un des principaux défis de notre pays est celui de réorganiser la production dans notre pays, pour des raisons de souveraineté économique, de transformation écologique, d’emplois durables, de finances saines capables de soutenir notre modèle de république sociale et de productions de richesse indispensables pour qu’elles soient réparties… sans parler de la place des salariés dans l’organisation des entreprises et leur stratégie économique.

Pour en débattre :

  • Nicolas RAVAILHE
    Avocat – enseignant notamment à l’École de guerre économique
  • François HOMMERIL
    Président confédéral de la CFE-CGC
  • Fatima BELLAREDJ
    Directrice générale de la CG SCOP
  • Gautier CHAPUIS Adjoint au maire de Lyon (Les écologistes)
  • Présidence/Animation : Marie Noëlle LIENEMANN Membre du CESE – ancienne ministre – coordinatrice nationale de la GRS

La France et l’Europe face aux bouleversements mondiaux – UGR24 – samedi 12 octobre 2024

L’état du monde en 2025 : L’empire Américain sur le déclin – L’extension de la puissance chinoise – l’avènement d’un « sud global » ? – La désoccidentalisation du monde – l’impotence européenne – et la France ? et l’UE ? Comment éviter à la France et à ses partenaires européens d’être politiquement et économiquement marginalisés ?

pour en débattre :

  • Anne-Cécile ROBERT
    journaliste – enseignante à l’université Paris 2 et à l’IRIS – auteur de Le défi de la paix – Remodeler les organisations internationales (2024)
  • Max-Erwann GASTINEAU
    Directeur des relations institutionnelles dans le secteur de la transition énergétique – spécialiste de la Chine – chroniqueur pour différents médias (Le Figaro, Marianne) – auteur de L’ère de l’affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation (2024)
  • Danai KOLTSIDA
    Politologue grecque – ancienne Vice-Présidente de la fondation Transform! Europe.
  • Gaëtan GORCE
    Membre honoraire du parlement – ancien membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat
  • Laure PALLEZ co-fondatrice du think tank « La France et le Monde en commun » – ancienne élue des Français de l’étranger en Chine et aux Etats-Unis d’Amérique
  • Présidence/Animation : Samia JABER Conseillère départementale du territoire de Belfort

L’urgence d’une nouvelle politique du logement ? UGR24 – samedi 12 octobre 2024

Samedi 12 octobre 2024 vers 14h45, Renaud PAYRE, Vice-président de la Métropole de Lyon en charger de la politique de la ville et du logement et politologue, Marie-Noëlle LIENEMANN, ancienne ministre du logement, et Romain BIESSY, Secrétaire général de la Confédération Syndicale des Familles, intervenaient dans le cadre des universités de la gauche républicaine au Palais de la Mutualité de Lyon, dans une table ronde programmée par la Gauche Républicaine et Socialiste et animée par Frédéric Faravel.

En France, près de 15 millions de nos concitoyens sont menacés par la crise du logement et 4 millions en souffrent directement. Le logement est trop cher et plombe le pouvoir d’achat des Français. L’explosion des prix de l’immobilier, renforcée par un retour élevé de l’inflation, entretient une rente intolérable peu productive, anti-économique qui accroît considérablement les inégalités. Pourtant, la production de logement n’a pas été une réelle préoccupation de la politique conduite par les gouvernements d’Emmanuel Macron ; pire que cela, la stratégie de l’offre mise en avant par choix idéologique a provoqué un effondrement de la construction et les organismes HLM ont été volontairement mis en difficulté par des prélèvements excessifs qui ont attaqué leurs fonds propres. L’avant-dernier ministre du logement avait comme priorité de faciliter les expulsions, la nouvelle ministre n’aura sans doute pas le temps de mettre en place quoi que ce soit. La GRS a fait des propositions fortes pour conjuguer accès au logement et pouvoir d’achat ; le dialogue entre Marie-Noëlle Lienemann, Romain Biessy et Renaud Payre permettra de compléter nos réflexions et nos solutions politiques.

SNCF : « Sans contrôle ni investissement, l’ouverture à la concurrence n’aura aucun effet positif » – tribune de Chloé Petat

Alors que des grèves sont annoncées à la SNCF à partir du 11 décembre prochain, Chloé Petat, membre de la direction nationale de la GRS, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et auteure de La révolution ratée du transport ferroviaire (Éditions du Bord de l’Eau), met en lumière dans une tribune publiée dans Marianne le mercredi 27 novembre 2024 une cause qu’elle juge particulièrement préoccupante : l’ouverture à la concurrence des trains régionaux.

Les grèves SNCF annoncées à partir du 11 décembre remettent sur le devant de la scène la situation extrêmement critique que connaît le rail depuis maintenant plusieurs décennies. Le démantèlement du fret est la première raison explicative de cette grève. La deuxième, moins reprise par les médias, concerne l’ouverture à la concurrence des trains régionaux autrement appelés TER. Depuis les années 2000, l’Union européenne a adopté une stratégie d’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire en insistant sur les bénéfices attendus tels que la baisse des prix ou l’amélioration de la qualité de service et la régularité.

Qu’en est-il réellement ? Avant toute chose, il faut préciser que la mise en concurrence du ferroviaire peut prendre deux formes. Pour les offres commerciales comme les TGV, la concurrence est en « libre accès » : les nouveaux opérateurs peuvent concurrencer la SNCF en adressant une demande auprès du gestionnaire d’infrastructures, SNCF Réseau, pour bénéficier de sillons et faire circuler leurs trains.

La concurrence des trains régionaux, les trains du quotidien, repose sur une autre procédure. C’est la région, en tant qu’autorité organisatrice des transports, qui lance un appel d’offres en vue de déléguer l’exploitation de son réseau par une ou plusieurs compagnies ferroviaires. Si certaines régions ont décidé de contractualiser avec la SNCF, comme la Normandie ou l’Occitanie, d’autres, comme la région PACA, ont ouvert une partie du réseau régional à la concurrence.

Par exemple, les lignes intermétropoles Marseille-Toulon-Nice et Nancy-Vittel-Contrexéville seront exploitées par Transdev. Pour l’instant, peu de régions osent encore se passer entièrement des services de la SNCF. En effet, l’ouverture à la concurrence fait peur, ce qui explique qu’elle soit à ce stade toujours partielle. Toutefois, le processus de libéralisation est largement engagé, les régions devant obligatoirement ouvrir à la concurrence d’ici 2034, ce qui pourrait engendrer la réorganisation en profondeur des services de transport ferroviaire régionaux.

Une privatisation qui ne fait pas baisser les prix

Cette réorganisation se fera-t-elle dans l’intérêt des usagers ? L’expérience des pays voisins permet de répondre en partie à cette question. En Allemagne ou au Royaume-Uni, cela fait des décennies que le réseau ferroviaire est ouvert à la concurrence. Mais cela ne s’est pas traduit par une baisse des prix, bien au contraire ! Au Royaume-Uni, la libéralisation a entraîné une hausse de 27 % des prix des billets entre 1990 et 2010, conséquence d’une absence totale de régulation étatique.

Le désordre entraîné par la privatisation du secteur a entraîné un retour en arrière avec la création en 2023 de la Great British Railways… une renationalisation du secteur. En Allemagne, l’évolution des prix est méconnue. En toute logique, si la baisse avait été drastique, elle aurait été mise en avant par l’Union européenne pour justifier de l’efficacité de la libéralisation.

Au niveau de la régularité, les résultats sont contrastés. La situation britannique est catastrophique, avec un taux important de trains supprimés et de retards. En Allemagne, 35 % des trains sont arrivés en retard en 2022. Bien que la fréquentation du réseau ferroviaire soit en hausse, le réseau national souffre encore d’un sous-investissement chronique causant des retards à répétition.

L’ouverture à la concurrence n’a pas été menée de la même façon dans les deux pays. Elle a été totale et dérégulée au Royaume-Uni, alors que l’Allemagne l’a davantage encadrée et complétée par des investissements au démarrage. Il faut ainsi souligner que la concurrence à elle seule ne produit aucun miracle et peut même s’avérer particulièrement nocive si elle n’est pas sérieusement encadrée.

En effet, les expériences de libéralisation ont montré l’importance du réseau et de sa gestion dans l’organisation de la concurrence. Le réseau apparaît en effet comme un bien commun que se partagent des compagnies ayant pour objectif la maximisation de leurs gains. Mais s’il est surexploité et mal entretenu, certaines lignes peuvent devenir de véritables goulots d’étranglement. On ne peut pas faire rouler un nombre de trains infini, surtout sur des infrastructures vieillissantes.

Un encadrement étatique indispensable

Cela pose de sérieuses limites à la gestion de la concurrence, à moins de multiplier les dessertes sur certaines lignes. Mais, recherchant la rentabilité, les transporteurs vont privilégier l’exploitation des lignes les plus rentables et aucun ne se positionnera pour exploiter et financer les petites lignes déficitaires. L’absence de candidats aux appels d’offres lancés par l’État sur les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon en est une preuve flagrante. Ainsi, pour que le réseau garde sa cohérence et pour qu’un service public puisse continuer d’exister pour les petites et moyennes villes, les régions sont contraintes de financer les lignes déficitaires.

Face à la difficulté d’organiser une véritable concurrence, il a été décidé de soutenir financièrement les concurrents de l’opérateur historique en accordant aux nouveaux entrants une réduction sur les péages ferroviaires, dont ne bénéficie pas la SNCF. Cette pratique, qui n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’Arenh (« Accès régulé à l’électricité nucléaire historique ») dans le marché de l’électricité, démontre à elle seule qu’il n’y a rien de spontané ni d’efficace dans l’ouverture à la concurrence, puisqu’il faut subventionner les concurrents afin qu’ils puissent rivaliser avec la SNCF.

En somme, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il ne faut attendre aucun miracle de l’ouverture à la concurrence. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, elle n’apportera aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service. Les résultats de la libéralisation dans les autres pays européens le prouvent. Ce qui fera fonctionner les TER, ce sont les investissements et l’engagement financiers des régions et de l’État. À condition toutefois qu’ils parviennent à élaborer une véritable vision stratégique en concevant une politique publique de la desserte des territoires par le train, ce qui est loin d’être le cas.

Chloé Petat

Fret SNCF : une mise à mort orchestrée par Bruxelles et Paris


Au lieu de défendre les intérêts du fret français, Paris courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne le secteur du Fret. Au 1er janvier 2025, l’entreprise sera dépossédée de ses activités les plus rentables, au profit des entreprises concurrentes et au détriment des salariés et de l’écologie.

FRET SNCF agonise depuis plusieurs années déjà. Sa part modale n’a cessé de baisser, jusqu’à descendre en dessous de 10%. Son déclin a été accentué par un certain nombre de facteurs :

  • D’abord, l’ouverture à la concurrence qui a contribué à morceler complètement le marché et qui n’a pas réussi contrairement aux promesses de l’Union européenne, à rendre ses lettres de noblesse au fret. Le nombre de marchandises en milliards de tonnes.km1 était déjà en déclin depuis les années 1980, il a été divisé par deux en 2010. On peut légitimement considérer que cette baisse drastique et soudaine, est corrélée à l’ouverture à la concurrence effective depuis 2005/2006.
  • Ensuite, la concurrence déloyale de la route face à laquelle l’Union européenne reste muette. Les investissements massifs dans le réseau routier ont contribué à créer un réseau correctement maillé, efficace et permettant d’effectuer des trajets de bout-en-bout ce qui n’est aujourd’hui pas le cas du réseau ferroviaire.

Les acteurs empruntant les réseaux routiers peuvent par ailleurs contourner la fiscalité en place. En effet, l’utilisation des réseaux routier et ferroviaire nécessite de s’acquitter d’un péage. Pourtant, les acteurs du réseau routier peuvent facilement éviter de payer péages et taxes, en utilisant le réseau routier gratuit et en ne réalisant pas le plein d’essence en France mais dans les pays voisins. Ainsi, ces acteurs ne payent pas la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE), qui est de 4 centimes par litre pour les transporteurs. Avec la déréglementation du transport routier les entreprises peuvent également faire appel à des travailleurs étrangers moins rémunérés, réduisant ainsi le coût du travail.

Enfin, l’état catastrophique des infrastructures induit une qualité de service insatisfaisante pour les entreprises. En 2022, près d’un train sur six (16%) a accusé un retard de plus de 30 minutes. Le réseau est extrêmement dégradé ce qui explique ces retards : les lignes capillaires qui connectent les entrepôts / usines au réseau principal ont en moyenne 73 ans. De nombreuses lignes ont également été fermés ces dernières années faute de travaux de remise en état.

Désinvestissement dans le réseau, évitement de la fiscalité par les transporteurs routiers, concurrence déloyale, ouverture à la concurrence, circulation des méga-camions favorisée en Union européenne… Voici une liste non-exhaustive des principaux facteurs qui sont en train de tuer le fret ferroviaire.

Pour répondre aux pressions et aux menaces de liquidation totale de la Commission européenne qui visait fret SNCF d’une enquête pour non-respect des règles de la concurrence, le gouvernement a donc décidé de mettre en œuvre en toute discrétion, la réforme présentée par Clément Beaune en mai 2023. La commission accuse notamment fret SNCF d’avoir bénéficié de subventions notamment pour la recapitalisation de l’entreprise, et l’annulation de la dette en 2019 pour un montant d’environ 5 milliards d’euros.

La réforme devient désormais réalité. Au 1er janvier 2025, fret SNCF va être divisé en 2 sociétés, Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour la maintenance.

Il faut également mentionner que malgré le morcellement du marché, fret SNCF conservait encore près de 50% des parts de marché et restait donc un acteur clé. Ces parts de marché vont désormais être réparties entre les autres acteurs du marché. En effet, la réforme oblige fret SNCF à abandonner 23 flux de marchandises (représentant 20% de son chiffre d’affaires), évidemment les plus rentables pour l’entreprise. Ces flux vont être ouverts à la concurrence, sans que fret SNCF puisse y candidater pendant près de 10 ans. L’ouverture à la concurrence n’est donc pas la même pour tous : comment justifier cet écartement de fret SNCF des appels d’offres pendant 10 ans ?

Dernière étape de la réforme : ouvrir le capital de fret SNCF à des investisseurs privés, d’ici quelques années.

Dans « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle », j’écrivais déjà avant confirmation de la réforme que sa mise en œuvre serait la mort pure et simple de l’entreprise et qu’elle engendrerait le chaos sur le marché. Evidemment, la situation est d’autant plus catastrophique qu’elle impacte directement les cheminots, avec la suppression de 500 emplois.

Le gouvernement défend la réforme en indiquant qu’elle sera un nouveau souffle pour fret SNCF, et que l’Etat va aider le secteur à hauteur de 370 millions d’euros. Cette somme est très faible, au regard des demandes des acteurs du secteur. Selon la commission des finances du Sénat, près de 10 milliards d’euros devraient être investis pour la rénovation du réseau d’ici 2030.

Comment comprendre la schizophrénie de l’Union européenne ? Alors que cette dernière s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle condamne un secteur qui serait clé dans cette baisse. En effet, le secteur des transports représente 30% des émissions au niveau mondial et elle condamne aujourd’hui, avec l’accord de la France, un secteur clé pour amorcer la transition.

Au lieu de défendre ses intérêts, la France courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne ainsi le fret, qui serait pourtant clé à la fois pour accompagner la réindustrialisation du pays et également pour amorcer la transition écologique. Tout ceci est un non-sens écologique et stratégique.

Chloé Petat

Pour aller plus loin, vous pouvez dès à présent vous procurer le dernier livre de la collection coordonnée par Le Temps des Ruptures avec les Editions du bord de l’eau sur le sujet, « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle ». Sortie le 15/11/2024 : https://www.editionsbdl.com/produit/la-revolution-ratee-du-transport-ferroviaire-au-21e-siecle/

1 La tonne-kilomètre est une unité de mesure de quantité de transport correspondant au transport d’une tonne sur un kilomètre. La quantité de transport s’appelle le volume de transport.

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