« La renaissance d’une gauche conséquente et sincère, seule solution contre le RN » – tribune de Bastien Faudot

Bastien Faudot, animateur national de la Gauche républicaine et socialiste , tête de liste pour les régionales en Bourgogne Franche-Comté, estime que le clivage qui oppose LREM et le RN est mortifère.

Tribune publiée dans Marianne le 26 mai 2021

L’annonce de l’alliance entre En Marche et Renaud Muselier (LR) en région PACA est un événement politique dont il faut comprendre le sens et anticiper les conséquences. La recette de cuisine favorite d’Emmanuel Macron est une réduction de sauce. On monte d’abord la température, on fait bouillir la marmite RN, puis on réduit le débat à une nouvelle polarité de type : les démocrates-libéraux-républicains contre l’extrême droite.

On nous joue cette partition depuis près de vingt ans. À gauche, nous avons le « privilège » d’en connaître les conséquences : la gauche s’effrite, perd ou renonce à combattre, puis appelle à « faire barrage au Front ». Les « modernes », les « raisonnables », les modérés du PS sont venus par centaines prêter main-forte à Emmanuel Macron. Avec le succès que l’on sait : au bout de l’histoire, ce n’est pas le RN qui régresse, c’est la gauche qui risque la disparition…

L’équation de la gauche castor « qui fait barrage contre le Rassemblement national » ne fonctionne plus. Et Macron sait compter : s’il veut gagner contre Marine Le Pen l’an prochain, il entend désormais récupérer les voix de droite qui entend elle aussi jouer le barrage. Nous y voilà : c’est le rôle dévolu à Monsieur Muselier qui prend la suite de Manuel Valls, Jean-Yves Le Drian, Christophe Castaner, Richard Ferrand et une centaine de députés LREM venus tout droit de Solférino. Jusqu’ici, quelques renifleurs de type isolés avaient eu le nez plus précoce que les autres à droite, tels que Gérald Darmanin, Bruno Le Maire ou Édouard Philippe.

« Les succès du RN procèdent pour l’essentiel des échecs des politiques libérales que tout ce petit monde s’évertue à poursuivre imperturbablement »

Demain, ils afflueront, de sorte que les deux grands partis qui ont structuré notre débat public depuis cinquante ans seront de fait digérés dans la nébuleuse d’En Marche. Et tous ceux qui, hier encore, ferraillaient sur les sujets économiques et sociaux, bataillaient gauche Capulet contre droite Montaigu, débattaient nationalisations contre privatisations, se tiendront la main en tenant un discours unique – le fameux « en même temps ».

Ces adversaires d’hier, devenus compagnons de déroute, vont expérimenter la redéfinition du clivage entre une droite nationaliste et un centre mondialisé. Jusqu’au jour où inévitablement la bascule adviendra. Pour une raison : les succès du RN procèdent pour l’essentiel des échecs des politiques libérales que tout ce petit monde s’évertue à poursuivre imperturbablement.

D’ailleurs, il faut anticiper une chose : le renfort de la droite, dont l’épisode Muselier est le prologue, loin de contenir le RN, va accélérer sa conquête du pouvoir. Car si les barrages de la gauche castor contre le RN ont, un temps au moins, permis de maintenir la République hors d’eau, il est certain que les digues de la droite ne vont rien retenir du tout : ce sera une voie d’eau et écoper ne servira plus à rien.

« Une partie non négligeable des électeurs LR orphelins opteront pour le RN plutôt que pour LREM. La blague du « plafond de verre du RN » aura tôt fait de se fissurer. »

Si l’électorat de gauche a longtemps suivi les consignes du front républicain de manière assez disciplinée, c’est parce que le RN représente pour lui à la fois l’adversaire ultime et l’ennemi intime. Pour l’électorat de droite, il en ira très différemment : une partie non négligeable des électeurs LR orphelins opteront pour le RN plutôt que pour LREM. La blague du « plafond de verre du RN » aura tôt fait de se fissurer.

Il reste un espoir pour empêcher ce scénario : la renaissance d’une gauche conséquente et sincère. D’une gauche qui ne tergiverse ni ne transige avec les dogmes libéraux. D’une gauche qui ne pactise « sous aucun prétexte » avec l’oligarchie macroniste. D’une gauche qui devra faire le tri entre les diversions sociétales et sa mission sociale. D’une gauche qui aura appris de ses errements passés, qui fera de la reconquête des classes populaires et des territoires abandonnés la priorité absolue vers laquelle tendra son projet.

D’une gauche qui devra se réconcilier avec l’idéal républicain et laïque. D’une gauche qui comprendra que le véritable internationalisme du XXIe siècle passe par la démondialisation des échanges et du pouvoir. D’une gauche qui posera l’écosocialisme comme un compromis fécond entre la nécessité impérieuse de protéger notre écosystème sans abandonner la grande aventure du progrès, y compris technologique, au service de l’humain.

« Il faut toujours se référer au peuple » – Entretien d’Emmanuel Maurel à Reconstruire

Emmanuel Maurel a reçu Reconstruire dans les bureaux de la Gauche Républicaine et Socialiste pour évoquer avec ce média le contexte politique actuel. Propos recueillis par Sacha Mokritzky, photographies de Manon Decremps.

La crise sanitaire empêche la mobilisation. Croyez-vous que la sortie de crise épidémique pourrait aboutir à une mobilisation populaire ?

Le premier sentiment que suscite une crise sanitaire, c’est évidemment la peur. Et la peur, en politique, peut déboucher sur des formes de mobilisation, de manifestations aussi diverses qu’imprévisibles. Ce qu’il y a de singulier en France, depuis le premier confinement, c’est une colère sourde qui s’était déjà exprimée avec la crise des Gilets jaunes. Cette colère est liée à la fois aux mensonges et contre-vérités du gouvernement, à ses échecs manifestes (Étape des tests, l’étape des masques, l’étape des vaccins), mais aussi à une forme d’humiliation nationale : nous sommes le seul pays du Conseil de sécurité de l’ONU à n’avoir même pas mis au point de vaccin. Si l’on ajoute à cela les restrictions en termes de libertés publiques depuis le début de la crise, cela fait un cocktail explosif. Mais ce qui risque d’aggraver les choses, ce sont les conséquences économiques et sociales de la crise, augmentation du chômage de masse et faillite d’entreprises. Les mesures gouvernementales sur, l’assurance chômage, indignes, mais aussi les propos de Bruno le maire promettant de durcir la « réforme des retraites », ne manqueront pas de faire réagir un monde du travail qui a souffert et qui voit que certains « profiteurs de la crise » ne sont même pas mis à contribution. 

Ce qui est probable, c’est que l’enjeu principal des prochains mois, dans la tête des gens, sera à la fois d’échapper aux conséquences de la crise, et de redresser le pays. Il y a, je crois, un enjeu autour de cette idée de réparation. Réparer ce qui a été cassé, redresser un pays durement éprouvé. Ce sera soit une mobilisation sociale, soit une mobilisation politique, soit les deux. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que dans des périodes de crise, par définition très anxiogènes, il est difficile de parier sur un mouvement social organisé et déterminé. Il nous appartient aussi à nous, militants politiques, de susciter en sortie de crise des mobilisations, car il y a de nombreux points sur lesquels les Français auraient raison d’être en colère. Il faut, comme toujours, transformer cette colère, lui donner un débouché politique. C’est le rôle des dirigeants de gauche.

Sur cette question de la gauche, justement, le parti que vous avez fondé, et que vous présidez, la Gauche Républicaine et Socialiste, a toujours appelé à une convergence des gauches pour la prise de pouvoir. Néanmoins, la période montre un désintérêt des Français pour la gauche, qui peine à convaincre. 

Le paradoxe de la période, c’est que les Français plébiscitent des réponses qu’on peut aisément associer à la gauche : intervention de l’Etat dans l’économie, soutien aux services publics, relocalisation des activités industrielles, politique salariale favorable aux travailleurs invisibles sur-sollicités pendant la crise du Covid, etc.

Le plus préoccupant, le plus grave, c’est le décrochage spectaculaire des couches populaires dans la sociologie de l’électorat de gauche.

Mais ces aspirations ne se traduisent pas électoralement, c’est une évidence. L’affaiblissement de la gauche n’est pas un phénomène nouveau, et pas spécifiquement hexagonal, même si chez nous c’est exacerbé. 

Le plus préoccupant, le plus grave, c’est le décrochage spectaculaire des couches populaires dans la sociologie de l’électorat de gauche. Si l’on en croit les chiffres, une très forte proportion d’ouvriers et d’employés ne se reconnaissent plus dans la gauche. On évoque souvent la démographie (assimilant vieillissement de la population et tendance conservatrice) ou l’atténuation des frontières de classe (consécutive aux mutations dans le monde du travail) pour expliquer ce phénomène. 

La vérité, c’est qu’une partie de ce qu’on appelait « la gauche de gouvernement » a trop souvent versé dans la résignation, voire la capitulation. L’exemple le plus frappant, c’est le quinquennat Hollande, qui  n’a pas amélioré les conditions de vie matérielles et morales des gens les plus modestes. Au contraire, il les a détériorées. Le point d’orgue, si vous me passez l’expression, fut la loi Travail. C’est d’ailleurs une chose assez inouïe pour tous ceux qui ont vécu ces cinq années. Il y avait un effet de sidération ; nous avions une équipe dite de gauche, mais qui « en même temps » reprenait absolument tous les arguments patronaux ! Et toutes ces mesures annonçaient celles prises ensuite par Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, en dépit des résultats piteux du macronisme, la gauche n’est pas attendue. Elle n’est pas entendue non plus. 

D’abord parce qu’elle donne l’impression de ne pas s’intéresser suffisamment aux problèmes quotidiens des gens. Passer deux semaines à s’écharper sur les réunions non mixtes à l’UNEF, quoiqu’on pense du sujet, c’est absurde et dérisoire. Pour raisonner en termes marxistes, il s’agit de « contradictions secondaires » par rapport à la contradiction principale, qui est celle du capital et du travail. La gauche donne le sentiment de se cantonner, de manière plus ou moins maîtrisée, à ce type de débats, alors qu’il y a un énorme obstacle au milieu du chemin, qui s’appelle le chômage, la précarité, la misère sociale.

Emmanuel Maurel, au siège de la GRS, à Paris. ©Manon Decremps pour Reconstruire

Ensuite, nous restons, collectivement, intoxiqués par les institutions de la V° République. Il faut sortir du crétinisme présidentialiste. Notre code génétique, c’est la délibération collective et la promotion du parlementarisme.  Cette croyance dans la « rencontre d’un homme avec un peuple », cette personnalisation des débats, c’est quand même curieux pour nous qui avons longtemps clamé qu’il n’y avait ni César ni Tribun. 

Autre paradoxe : nous contestons le bien-fondé de la « concurrence libre et non faussée » dans la vie économique, mais nous en sommes les défenseurs fanatiques en matière électorale. Je me mets à la place de certains électeurs de gauche : trois, quatre , parfois cinq listes lors d’un scrutin local, il y a de quoi être paumé. 

Le morcellement, la division systématique, ne contribue pas à notre crédibilité. D’autant que les électeurs sont beaucoup plus unitaires que les organisations. Je sais qu’il est de bon ton de dire que l’unité de la gauche est un concept dépassé, qui ne représente pas la majorité de l’électorat. Mais en réalité, quand tu discutes avec une personne un tout petit peu politisée, le rassemblement, s’il n’apparaît pas comme une condition suffisante, apparaît néanmoins comme une condition nécessaire. 

Voilà ce qui compose le cocktail : il y a des facteurs sociologiques, des facteurs conjoncturels, et des facteurs quasi-comportementaux qui aboutissent aujourd’hui au fait que les gens se détournent massivement de la gauche. Est-ce inéluctable ? Évidemment, non. Regardons ce qu’est capable de faire Joe Biden, notamment grâce à la pression de son aile gauche. Il est capable de mettre en place l’un des plus grands plans de relance de l’Histoire, de distribuer de l’argent aux foyers les plus modestes, d’investir dans les infrastructures publiques. Cela montre bien qu’il y a des inflexions possibles. Et de l’espoir. Pourvu que l’on parte des préoccupations quotidiennes des gens ordinaires. 

Ces débats identitaires montrent l’accélération du tempo polémique. Est-ce que la politique-twitter impose un rythme qui empêche à la nuance d’exister ?

Même lorsque l’on plaide pour une transformation radicale de la société, même lorsque nous avons des désaccords très forts avec des interlocuteurs, à gauche et, à fortiori, dans le reste de l’échiquier politique, nous ne sommes pas obligés de nous mettre au diapason des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux qui ne fonctionnent que sur le clash. L’écrivain Christian Salmon explique que nous sommes passés de l’ère du storytelling à l’ère du clash, dont Donald Trump, avec d’autres, comme Salvini, sont les parangons. Désormais, pour imprimer dans ce monde du flux d’info en continu, il faut surjouer la conflictualité. J’estime que le fait de privilégier systématiquement l’invective ou la vitupération nuit à la qualité du débat démocratique . Certains diront que c’est un point de vue « petit bourgeois », de quelqu’un de policé. Je rappelle quand même que la République, qui est notre bien commun, part du principe qu’elle exige un débat rationnel, donc respectueux. Cela n’empêche pas d’avoir des idées fermes, des idées originales, des idées clivantes, mais elles doivent être à mon avis servies dans un tempo qui n’est pas celui qui nous est imposé.

Nous ne sommes pas obligés de nous positionner systématiquement sur l’Islam, l’UNEF, sur je-ne-sais-quelle déclaration d’un maire écologiste. C’est nous qui devons rester maîtres de nos combats. Or, précisément, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je pense que la nuance a sa grandeur et sa nécessité lorsqu’on est confronté à des situations de crise aussi graves que celle que l’on vit aujourd’hui. 

Le peuple est aujourd’hui fantasmé. Il est vu à gauche comme une abstraction magnifique, et différents clivages se font face pour le définir politiquement. Où placez-vous le curseur ? Quels clivages distinguez-vous ?

D’abord, je trouve ça bien que le peuple soit vu comme une entité magnifique. C’est la vision contraire qui serait préoccupante ! Cela prouve notre attachement à la démocratie, à la souveraineté populaire.

Nous parlons ici d’abstraction magnifique. Comme s’il n’était qu’une fiction.

Il y a des fictions et des abstractions nécessaires. Le peuple est, par définition, hétérogène et insaisissable. Mais il est important de s’y référer toujours. 

Emmanuel Maurel, au siège de la GRS, à Paris. ©Manon Decremps pour Reconstruire

Vous parliez de clivages structurants dans la société. Il y a une césure, qui s’élargit depuis plus de deux décennies, entre les cercles dirigeants économico-médiatico-politiques, et la masse des gens ordinaires, dont les aspirations sont ignorées et méprisées. Cela a culminé, en France avec le mouvement contre le TCE en 2005, et en Grèce les sanctions abominables contre le gouvernement Tsipras et la mise à genoux de tout un peuple. Il y a une coupure, entre une toute petite minorité qui estime savoir distinguer le bien et le juste, qui discrédite toute parole divergente en affublant de qualificatifs de type « populiste » les prises de position qui lui sont alternatives. Ces gens sont tout-à-fait en phase avec les mutations du capitalisme contemporain. Ils se moquent assez des règles, des normes, des frontières, des protections. À contrario, la masse des gens, au contraire, se rattache à des repères, des règles, et attendent justement de la politique qu’elle les conforte.

Mais le clivage le plus important de la société française est toujours le clivage de classe. Même si toute une littérature sociologique et économique nous explique que les frontières de classes se sont estompées et que la conscience de classe s’est étiolée, il y a néanmoins des classes sociales, les ouvriers, les employés, la classe moyenne précarisée, qui auront intérêt à lutter ensemble si elles veulent arracher des compromis dans le cadre d’un monde capitaliste. 

De la même façon, je maintiens le clivage gauche-droite. Même s’il est battu en brèche, remis en cause, il correspond toujours à des aspirations qui continuent à exister, qui sont contradictoires dans la société française, et je ne veux pas les abandonner sous prétexte que François Hollande a fait une politique de droite.

Enfin, il y a un clivage géographique. Nous voyons d’un côté se dessiner une France métropolitaine, intégrée à la mondialisation. D’un autre, une France plus rurale, périphérique, qui souffre de la désindustrialisation et de la fuite des services publics. Il faudrait affiner ce modèle, car au sein des métropoles, il y a aussi de fortes inégalités. Il y a des décrochages entre un habitant de l’Est du Val-d’Oise pince Seine Saint Denis, et un habitant des Hauts-de-Seine.

Tous ces clivages se superposent, se juxtaposent. Cela donne une société assez fracturée, divisée. Il est donc difficile d’apporter une réponse uniforme.  Mais nous savons où est notre camp. C’est celui de tous les gens qui vivent de leur travail, difficilement, qui aspirent à en vivre, même modestement, ou qui ont travaillé – je pense notamment aux retraités. Jadis, nous disions que c’était le salariat. Les choses sont plus compliquées aujourd’hui, mais je vois bien les gens à qui l’on s’adresse, que nous voulons représenter. Il ne faut pas seulement définir le camp social que nous voulons représenter, il faut aussi être à l’écoute de ses attentes et de ses aspirations, les prendre en compte. Il faut une vision du monde, une grille de lecture de la société, mais il faut aussi entendre ce qu’ils nous disent. Ils veulent des protections, de nouvelles conquêtes sociales. La restauration d’un certain modèle social qui est un mode de vie, une qualité de vie. Ils veulent aussi, par exemple, que nous donnions des réponses claires sur la sécurité, que nous ne fassions pas mine de croire que ce n’est pas un problème. Il faut trouver un message unifiant et des mots d’ordres fédérateurs dans une France profondément clivée. 

Nous sommes à quelques mois de l’élection présidentielle, et ce début de campagne se tient dans un contexte inédit. Peut-on s’attendre à l’émergence d’une « candidature champignon » qui vienne bouleverser le jeu politique ? 

Nous ne pouvons pas faire le reproche aux militants et aux dirigeants politiques d’avoir été, comme tout le monde, saisis par une forme de sidération au moment où la pandémie est arrivée. Par définition, la politique suppose le contact humain, y compris dans ce que ça a de chaleureux, de tangible, de concret. Et là, c’est interrompu, figé. Il a fallu se réadapter à cela, s’adapter à une emprise du numérique, qui est un problème idéologique en soi, voire anthropologique. 

Est-ce que cela va profondément bouleverser la donne politique ? C’est le pari du pouvoir. Ils font le pari que la colère qui existe va se tourner vers un réceptacle naturel qui est l’extrême droite. Toute la stratégie d’Emmanuel Macron est d’expliquer que les autres n’auraient pas fait mieux, et, surtout, que l’issue est un duel inéluctable avec le Rassemblement national. C’est le scénario tel que le pouvoir le raconte, et tel qu’il désire qu’il soit raconté, et pour l’instant ça fonctionne. Il suffit de regarder n’importe quel débat télévisé pour s’en convaincre. 

Je fais le pari qu’un programme d’intérêt général peut être construit.

Nous voyons bien que les partis traditionnels n’ont plus la main, et il apparaît que les aventures type « En Marche ! » ont donné  l’impression de fonctionner. Il faudrait en réalité être vigilant sur « En Marche ! » . C’était un syndicat de défense des intérêts économiques qui s’est mis en place pour soutenir un homme. Il ne faut jamais croire à ce récit un peu héroïque d’un homme qui, à la faveur d’audace et de circonstances particulières, s’impose dans le pays. 

La candidature-champignon est possible car nous sommes dans une phase de très grande défiance, de grande désillusion, d’indifférence aussi parfois, à l’égard du politique. Cela favorise des mouvements peu structurés qui s’imposent dans le débat public. Je crois quand même que, candidat-champignon ou pas, ce qui compte, c’est de préparer, sur le long terme, un programme de redressement. Je fais le pari qu’un programme d’intérêt général peut être construit. Avec différentes formations de gauche, avec des syndicats, des associations, des citoyens. Je crois que nous pouvons aussi écrire un contrat de gouvernement, des grandes mesures qui permettent de contribuer au redressement du pays. C’est ce travail-là, un peu méthodique, fastidieux, sérieux, qu’il faut entreprendre maintenant. C’est une tentation facile de n’en rester qu’à la préparation de la présidentielle.

Vous parliez tout à l’heure des échecs sur la stratégie vaccinale et de production industrielle sanitaire. Dans quelle mesure l’Europe en est-elle responsable ? Y a-t-il  une remise au centre du jeu politique de la question de souveraineté ? 

Lors du premier confinement, les ravis-de-la-crèche libéraux se sont rendus compte que d’avoir mis en place des  « chaînes de valeur complexes » , des délocalisations, le libre-échange, nous avait rendus extrêmement dépendants par rapport à une partie du monde. Et ils jurent à présent avoir pris conscience des impasses de ce système.

La vérité, c’est que très peu de choses ont changé. Je siège à la commission du commerce international, et nous continuons à négocier des accords de libre-échange comme si de rien n’était. On prétend tendre vers l’autonomie stratégique, on parle même de relocalisations, mais dans les faits, rien ne va dans ce sens. A la fin de l’année, nous avons signé un accord d’investissement avec la Chine, comme s’il n’y avait pas une remise en question radicale du système d’échange qui aujourd’hui est celui de la globalisation financière. De ce point-de-vue là, il y a de la part de l’Union européenne beaucoup de paroles mais très peu d’actes. De la même façon qu’il y a eu une humiliation française, il y a eu un échec européen que les dirigeants vont devoir largement étudier sous peine que les peuples se détournent encore plus de l’Europe. 

Génération 81 : qu’en reste-t-il ?

Quarante ans après, que reste-t-il de l’espoir suscité par la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle ? Quelle force la gauche actuelle représente-t-elle sur l’échiquier politique tandis que l’élection de 2022 se profile peu à peu à l’horizon ? Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice Gauche Républicaine et Socialiste et ancienne ministre du logement de François Mitterrand (1992-1993), Georges-Marc Benhamou, écrivain, Jean-François Kahn, journaliste et fondateur de Marianne, et Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme et député PS de 2012 à 2017, en débattaient mardi 11 mai 2021 après la diffusion sur France 2 du documentaire de Cécile Amar « 10 mai 81 : changer la vie ? » Débat animé par Julian Bugier

Caroline Fiat : « Si Castex et Véran pouvaient redescendre sur terre… » – entretien à La Revue Charles

Aide-soignante devenue députée, Caroline Fiat dénote, même chez les Insoumis. Entretien avec  Soizic Bonvarlet, publié dans La Revue Charles, le 6 mai 2021

Lorsque nous l’avons interviewée, Caroline Fiat venait de passer sa dernière nuit au sein du service de réanimation du CHU de Nancy, avant de rejoindre les bancs de l’Assemblée. La députée de Meurthe-et-Moselle, mère de deux enfants en bas âge, avait pris la décision, comme durant la première vague, d’enfiler de nouveau sa tunique d’aide-soignante, pour monter au front dans la guerre contre l’épidémie de Covid-19. C’est d’ailleurs en grande partie à ce titre qu’elle a été nommée parmi les finalistes du prix de la femme d’influence politique 2020. Elle nous a parlé de son engagement et de ses luttes, à l’hôpital comme dans l’hémicycle.

À quand remonte votre engagement politique et quelles sont les principales raisons l’ayant motivé ?

Cela remonte à mes seize ans, donc au siècle dernier, une réforme du lycée. C’était devenu un combat pour moi car cette réforme faisait qu’en changeant les programmes, on n’avait de ce fait plus la possibilité d’acheter les manuels scolaires à la bourse aux livres. J’avais mené le combat, ce sont mes premières manifs. Mes parents, me trouvant très investie, étaient assez fiers de moi. Je séchais pour manifester et ils ne disaient rien.

Mes parents étaient à la CGT, communistes sans être encartés. Mon papa était agent technique dans un centre hospitalier et ma maman vendeuse, avant de travailler pour l’association des paralysés de France. Quand j’allais manifester avec eux il y avait souvent les Jeunesses communistes, alors plutôt que rester avec des vieux je préférais être avec des jeunes de mon âge. Et puis j’ai fini par prendre ma carte à la CGT vers l’âge de 24-25 ans. Et au Parti communiste à l’occasion de la campagne présidentielle de Robert Hue. Après tout on a tous notre croix à porter. Moi j’ai été convaincue d’adhérer au Parti communiste grâce à Robert Hue. Je ne suis pas restée adhérente longtemps, même si mon cœur restait communiste. J’avais commencé à prendre du recul dès la campagne présidentielle de 2012.

En juillet 2016, j’ai fait une grosse dépression. En septembre, je vais à la fête de l’Huma, des amis, voyant que je vais très mal, me conseillent de rejoindre le mouvement « Ensemble ! », de Clémentine Autain, pour me sortir de chez moi, voir du monde. Je me rends à quelques réunions en Meurthe-et-Moselle, et « Ensemble ! » décide d’intégrer La France insoumise, et donc j’y entre aussi. Je suivais de loin, mais je me suis vraiment investie à La France insoumise à ce moment-là.

Comment vivez-vous le fait d’être une femme à l’Assemblée nationale ? Avez-vous été surprise par le sexisme qui peut s’y exercer ? Est-il équivalent à celui que vous avez pu connaître auparavant dans votre vie professionnelle ?

Surprise, non. Le sexisme en politique a toujours existé. Je n’étais pas spécialement surprise, mais étonnée car quand j’ai été élue, on parlait de « renouvellement », du « nouveau monde » de La République en marche, avec beaucoup de femmes qui faisaient leur entrée à l’Assemblée. Donc je pensais que nous serions beaucoup à nous battre. Finalement, nous sommes 41% je crois, et très peu à lutter sur le sujet. Moi j’ai mon caractère, quand il y a trop de bavardages et que je vois qu’on ne m’écoute plus, je me tais en l’attente d’avoir de l’attention. Comme avec des enfants ! Ce qui est toujours très impressionnant, c’est l’attitude des hommes députés pendant les questions au gouvernement. Vous pouvez être sûr qu’un homme parle, l’attention est là. Là où quand une femme parle, beaucoup d’hommes discutent entre eux, sortent les téléphones etc. Donc il faut se battre pour se faire respecter. Et je pensais réellement que nous serions plus nombreuses à nous battre.

Quel pouvoir d’influence une aide-soignante, experte des enjeux liés à l’hôpital, a-t-elle à l’Assemblée, par exemple lors de l’examen des PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) ?

Je ne dirais pas que je suis une « experte », mais je sais que je suis écoutée, et que tout du moins quand je me fâche, que j’arrive avec des affirmations, elles sont prises en compte par les autres parlementaires. Ils font attention, parce que c’est du vécu.

Je sais de quoi je parle, et il ne faut pas trop me titiller. Est-ce que cela a réellement fait bouger les lignes ? Je ne sais pas.

Vous sentez-vous d’autant plus écoutée, dans la période actuelle, sur les bancs de l’hémicycle, que vous étiez sur le front durant l’une des phases les plus virulentes de l’épidémie de Covid-19 ?

Nous sommes beaucoup à l’avoir fait durant la première vague, y compris à La République en marche ou chez Les Républicains. En ce qui me concerne, quand mes collègues se sont rendus compte qu’ils ne me voyaient pas depuis quinze jours à l’Assemblée, beaucoup m’ont envoyé des messages pour savoir si j’étais retournée travailler. Et beaucoup m’ont remerciée. Des messages bienveillants issus de députés de tous bords, pour me dire de faire attention à moi.

Sur la deuxième vague, je trouve très étonnant ce silence assourdissant par rapport aux soignants et aux malades. Je ne voulais pas qu’on soit applaudis, je ne vais donc pas m’en plaindre, mais le fait que ce ne soit plus le cas est un signe. Que l’on travaille dans des conditions anormales devient normal. Donc on n’en parle plus. Or la vie est un marathon, pas un 100 mètres. Y être allé durant la première vague, c’est bien, mais il faut continuer. Les besoins sont toujours là.

Après je pense que c’est d’autant plus facile pour moi d’y retourner que je suis restée fidèle à mes convictions. Je ne risque pas grand-chose. Là où un député de la majorité  risquerait peut-être d’être mal reçu dans un service. Et par ailleurs, moi la première fois ça m’avait fait du bien psychologiquement aussi, de retourner aux sources, de ne pas devoir aller rechercher des souvenirs d’il y a trois ans, en particulier quand je devais m’exprimer à l’Assemblée.

Pourquoi ne vouliez-vous pas être applaudie ?

Parce que si j’avais conscience que beaucoup de gens applaudissaient avec conviction, pour nous soutenir et nous remercier, je voyais aussi l’effet de mode. Et puis surtout, il y avait les applaudissements dans l’hémicycle. En février 2020, un mois avant la première vague, une infirmière avait été égorgée sur son lieu de travail, j’avais demandé une minute de silence à l’Assemblée. Richard Ferrand avait refusé, et un mois après, ils applaudissaient tous. Ça ne passe pas.

Comment avez-vous vécu cette période ? Vous sentiez-vous alors plus utile dans l’exercice de votre métier ou de votre mandat ?

Je me sentais aussi utile dans un rôle que dans l’autre. Mais encore une fois, psychologiquement ça m’a fait du bien d’y retourner. J’embauchais à 19h, je quittais à 7h, c’était du concret, je savais ce que j’avais fait et pour quels résultats, même s’ils n’étaient pas forcément positifs. Là où quand vous êtes parlementaire, vous pouvez travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les résultats vous ne les voyez pas.

Comment avez-vous géré, entre votre travail en réa, celui en tant que parlementaire et votre vie de famille ?

Pour la deuxième vague, cela a été presque plus simple. Pour la première, je n’étais heureusement pas toute seule, mon mari assurait. Je travaillais de nuit, je dormais un peu le matin, et au réveil il y avait « continuité pédagogique » avec mes enfants, qui ont 6 et 8 ans. Cette fois, comme ils allaient à l’école, j’ai pu me reposer un peu. Et puis pour le travail parlementaire, il y avait mes collaborateurs, avec qui j’échangeais l’après-midi.

Mais ce qui était dur, pour moi comme pour tant d’autres, c’est qu’il n’y avait plus de vie de famille. Pas de bisous ni de câlins, je dormais dans la chambre d’amis, je ne prenais presque plus mes repas à côté d’eux. Car même si vous vous êtes protégé, vous n’êtes jamais à l’abri.

Jean-Luc Mélenchon, votre président de groupe à l’Assemblée, a-t-il été particulièrement admiratif de cette décision que vous avez prise ?

Tous mes collègues sont fiers de moi, mais Jean-Luc Mélenchon, au-delà de ça, il a eu peur pour moi. Et ce même si je lui disais que j’étais malgré tout presque plus protégée à l’hôpital, que lui ou d’autres en allant acheter leur kilo de sucre au supermarché.

Il y avait une vraie anxiété chez lui par rapport au fait que je puisse tomber malade, je pense que c’est la raison pour laquelle il m’a mise beaucoup en avant durant cette période. Et puis parce qu’il sait que je suis maman, que je m’investis déjà beaucoup en tant que parlementaire, et qu’il m’arrive d’être fatiguée. Surtout la deuxième fois, à l’issue des débats sur le PLFSS.

Mais je trouve ça mignon, ça prouve que le méchant Jean-Luc Mélenchon, qui ne fait soi-disant que grogner, hurler ou insulter tout le monde, est en fait un vrai gentil. Le soir où il a annoncé sa candidature pour 2022, je travaillais. Je n’ai rien suivi de la soirée, mais il y avait une réunion en visio. J’ai fait une pause pour fumer ma cigarette, et je me suis connectée quelques minutes. Jean-Luc était tout content de me dire qu’il m’avait citée au journal de 20 heures. Je le savais, j’avais déjà reçu à peu près 5000 messages… Il se bouffe de l’intérieur tellement il se fait de souci pour les autres. Au début de la première vague, j’en plaisantais, mais j’ai vite compris qu’il avait vraiment peur. Donc j’ai arrêté, et j’ai commencé à le rassurer, à lui envoyer des messages régulièrement dans lesquels je lui disais que je n’avais pas de température, que j’allais bien.

Le « Ségur de la Santé » qui avait été lancé par le gouvernement, est-il en mesure d’améliorer le quotidien des soignants ?

Non. Il fallait une augmentation de 300 euros. Les syndicats n’ont pas balancé un chiffre irréfléchi. Au final, on a 183 euros. On ne crache pas dessus, sauf que ce n’est pas assez. Dans des régions transfrontalières comme la mienne, si on veut récupérer les 40 000 soignants qui travaillent en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, il faut 300 euros, cela représente l’écart moyen de salaire, combiné au coût du transport. Il faut des moyens humains. Beaucoup d’hôpitaux manquent de personnel. Au CHU de Nancy, lors de la première vague on avait 40 postes vacants, tout simplement parce que cela revient cher de se loger dans des métropoles. Les 300 euros étaient donc largement justifiés. Et donc non, le Ségur n’apporte pas les réponses nécessaires. D’autant que tous les personnels n’ont pas droit à cette augmentation.

Qu’aviez-vous pensé de la répression de la manifestation du 16 juin 2020, qui s’était notamment abattue sur une infirmière, Farida C. ?

J’y étais. Nous sommes arrivés aux Invalides, donc aux abords de l’Assemblée nationale, il y avait plusieurs cordons de CRS. J’avais pourtant ma tunique d’aide-soignante et mon écharpe tricolore, on s’est pris des gaz lacrymogènes, c’était d’une violence inouïe. Il y avait une trentaine de personnes habillées en noir qui faisaient n’importe quoi, mais en voyant le nombre de CRS au kilomètre carré, j’ai pensé qu’ils allaient les entourer, pour protéger les soignants et nous laisser terminer notre manifestation bon enfant. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. On nous a gazés, c’était du jamais-vu. On les regardait en se disant que la prochaine fois que l’un d’entre eux arriverait avec un collègue blessé, on n’aurait peut-être pas envie de les soigner. Policiers, gendarmes, avec les soignants on travaille souvent ensemble, et là c’était l’incompréhension totale. D’autant qu’il y avait très très peu de casseurs. Concernant l’infirmière, elle était fatiguée, excédée de la situation. Je lui ai apporté mon soutien. Se faire gazer alors que nous venions de traverser des mois très difficiles, ce n’était peut-être pas la meilleure réponse.

Comment jugez-vous la situation actuelle au regard de l’épidémie et des dispositions prises par le gouvernement ?

Cela génère en moi de la colère, car c’est du bricolage. Depuis le premier déconfinement on leur a dit qu’ils allaient droit dans le mur, qu’ils ne prévoyaient rien, qu’il fallait planifier la deuxième vague, pour être prêts. A l’Assemblée, on a fait des auditions, des commissions d’enquête. Le 16 juillet, j’ai interpellé le Premier ministre pour lui dire que suite à l’annonce de Jérôme Salomon quant à la possibilité d’une deuxième vague, les établissements de santé n’étaient pas prêts, et qu’il fallait débloquer de l’argent immédiatement, notamment pour embaucher. Ils ne l’ont pas fait. Quand fin octobre, on entend que la deuxième vague arrive, et que comme tous nos amis européens, on ne l’a pas vue arriver, vous ne pouvez qu’être en colère. Qu’ils ne m’aient pas écoutée moi, d’accord, mais enfin c’est le directeur général de la Santé qui l’annonce. Qu’ont-ils fait entre le 16 juillet et fin octobre ? Rien. Nous avions moins de lits de réa qu’avant la première vague. Bref, ce serait bien que Messieurs Castex et Véran aient parfois les pieds sur terre et qu’ils redescendent un tant soit peu.

Vous auriez été pour un confinement plus strict jusqu’à maintenant ?

Sincèrement, bien malin celui qui affirme « moi à leur place, j’aurais pris telle ou telle décision ». C’est pour cela que par ailleurs j’attaque assez rarement en frontal. Il y a des moments-clés où je savais ce qu’il fallait faire, là oui j’attaque.

J’ai entendu, par exemple, l’engouement des gens pour Noël et le nouvel an. Entendu aussi les difficultés d’Olivier Véran à répondre. Moi par rapport à ça, j’aurais eu une toute autre vision. J’aurais été plus cash, c’est clairement ma casquette de soignante qui aurait pris le dessus, en disant aux gens qu’on allait peut-être se passer une fois de fêter Noël et le nouvel an, dans l’optique de garder des gens vivants avec qui l’on pourra passer plein d’autres fêtes. Alors oui, c’est chiant, il y a plein de gens qui font des dépressions, mais aller faire Noël avec mamie Jeannette pour qu’elle ne soit pas seule, mais que quinze jours après elle se retrouve en réa, et culpabiliser d’en avoir été un peu responsable, je ne suis pas sûre qu’on aille beaucoup mieux après. Je pense qu’il faut être ferme, se dire que pendant qu’on espérait pouvoir fêter Noël, les soignants, déjà exténués, n’ont pas eu de vacances du tout. Ils ne se sont même pas posé la question de savoir s’ils auraient un réveillon, mais juste un seul jour de repos.

Quel regard portez-vous sur la commission d’enquête parlementaire relative à la gestion de la crise sanitaire, dissoute en janvier dernier, et au sein de laquelle vous avez été particulièrement impliquée ?

Elle était très suivie au départ, et après les vacances d’été, c’est retombé. Et puis c’est sous serment, mais quand les auditionnés n’ont pas envie de répondre, ils ne répondent pas. Je sais que ce n’est pas un tribunal, mais la semaine dernière il y a eu l’audition d’Olivier Véran, je travaillais donc c’est ma collègue Bénédicte Taurine qui a posé ma question, il ne répond pas du tout. Je voulais absolument savoir si Agnès Buzyn l’avait prévenu lors de la passation de pouvoir, qu’il n’y avait pas de masques et que ça allait être un « tsunami », comme elle l’a dit ensuite. C’est une information importante. Il ne répond pas. Et donc on baisse un peu les bras. Au Sénat ils y arrivent mieux, donc on laisse un peu faire les collègues sénateurs.

Moi je pense qu’il faut assumer. Olivier Véran ou Agnès Buzyn seraient arrivés devant les caméras en disant « bon les gars, on a merdé, en septembre 2019, les masques étaient périmés, on les a brûlés, par souci d’économies on n’en a pas racheté, pensant que ce serait inutile, et pas de bol, on a eu une pandémie six mois après », tout en soulignant l’importance du port du masque dès qu’on en aurait, ils se seraient grandis. Et ça leur aurait évité de se contredire à trois mois d’intervalle.

Le contexte est dégradé du point de vue sanitaire, mais aussi sécuritaire. Particulièrement suite à l’assassinat de Samuel Paty, les « Insoumis » ont dû faire face à l’invective et se sont vus attribuer le qualificatif d’« islamogauchistes », quand il n’étaient pas accusés de nourrir des « ambiguïtés avec le cadre républicain », pour reprendre les mots d’Anne Hidalgo. Comment vivez-vous cela ?

Premièrement, ce terme ne veut rien dire. Deuxièmement, il faut bien faire attention à ce que l’on dit et aux attaques que l’on profère, car cela revient à nous mettre des cibles dans le dos. Si demain il arrive quoique ce soit à l’un d’entre nous, ce ne sera pas la peine, et j’ai déjà prévenu, de se mettre debout pendant une minute dans l’hémicycle. En pleine période de terrorisme, où l’on a besoin d’unité nationale, où il faut expliquer aux gens que rien ne se règle par la violence, où il faut débattre, parler sereinement, quel est l’intérêt d’aller dire « ce sont des islamogauchistes, allez-y ! » Mais où sommes-nous ? On marche sur la tête ! Il faut soutenir toutes les religions, mais pas les Musulmans ? Je précise que je suis une bille dans le registre de la laïcité, ce n’est pas mon sujet, mais enfin, une mosquée est attaquée, il y a une marche qui est organisée en soutien, on se fait traiter d’islamogauchistes, Mireille Knoll est tuée, on va manifester, on se fait exfiltrer… On ne peut plus apporter son soutien quand une religion est visée ?

Le terrorisme n’est pas lié à l’islam religieux, mais à l’islam politique, et moi je suis très triste de voir des personnes musulmanes insultées, qui se sentent mal en raison d’une religion mal perçue. Et par ailleurs, faire trop de politique politicienne autour des religions, je pense définitivement que ce n’est pas bon.

10 mai 81 : quand la gauche faisait peur

C’est le lot des anniversaires prestigieux que de verser immanquablement dans la mythologie et la nostalgie.

La commémoration de la quarantième année du 10 mai 81 ne nous épargnera pas les figures imposées de l’iconographie, de l’anecdote et du folklore. Les belles et émouvantes images sépia d’un temps où la gauche faisait rêver, la cohorte des députés à collier de barbe issus de l’Éducation nationale, les larmes de Pierre Mendès France, la célébration au Panthéon, sous le triple patronage du socialisme, de la résistance et de l’humanisme, la chanson de Barbara, un mot d’ordre rimbaldien (« changer la vie »), les slogans rieurs d’un peuple de gauche dansant sous la pluie : « Mitterrand du soleil ! »

Or c’est bien là le problème : la version édulcorée de la victoire risque de faire oublier ce qu’elle avait de conflictuelle et de transgressive.

Car la gauche ne faisait pas seulement rêver : elle faisait peur. Des gens très sérieux s’attendaient à voir les chars russes envahir Paris, les USA admonestaient Mitterrand d’avoir pris des ministres communistes, et des capitalistes, entre stupeur et tremblement, envisageaient de quitter la France.

Et il faut dire qu’il y avait de quoi. Il suffit de relire les « 110 propositions » pour constater à la fois l’ambition de la nouvelle majorité, mais aussi son sérieux. La gauche ne se contentait pas de conquérir le pouvoir après une longue marche de 15 ans : elle entendait l’exercer.

Dans le dictionnaire des idées reçues rédigé paresseusement par l’establishment, il est écrit que les vainqueurs de 81, se heurtant au « mur de la réalité », abandonnèrent rapidement leur velléité de transformation sociale. C’est tout simplement … faux.

L’œuvre législative est colossale, au moins aussi importante que celle de 1936.

Œuvre sociale d’abord : 39h, augmentation des salaires et des minimas sociaux, lois Auroux, cinquième semaine de congés payés, etc. Fidèle à sa mission historique, la gauche rendait justice au monde du travail face à la loi du capital. La retraite à 60 ans, ce n’est pas « la gauche du rêve » : c’est celle qui, au terme de plusieurs décennies de luttes sociales intenses, change l’existence concrète de millions de gens.

Et puis il y a les innombrables lois de liberté, d’émancipation, un effort culturel de la Nation sans précédent. Les nationalisations elles-mêmes, si décriées aujourd’hui, ont été couronnées de succès : elles ont permis de préserver une bonne partie de l’appareil industriel et du secteur bancaire.

Tous les poncifs sur « Mitterrand le florentin », ambigu et cynique, sont balayés par cette vérité insuffisamment rappelée : le nouveau président avait été élu sur un programme et il a tout mis en œuvre pour l’appliquer.

S’il a été réélu triomphalement en 1988, ce n’est pas seulement en raison de son génie stratégique ou de la nullité et de la brutalité de la droite. C’est aussi parce que les Français les plus modestes lui savaient gré d’avoir œuvré puissamment à l’amélioration de leurs conditions de vie matérielle et morale. D’avoir tenté beaucoup en dépit des obstacles et de l’adversité. Ce n’est pas un hasard si François Mitterrand garda, jusqu’au bout, la confiance de la majorité des ouvriers et des employés.

Ainsi, au moment où les commentateurs s’apprêtent à disserter à l’envi sur les inévitables « désillusions » et inviteront au « devoir de grisaille », qui n’est rien d’autre que la théorisation de la résignation, nous faisons le choix, nous, de retenir du 10 mai 1981 les transformations profondes de la société française accomplies en quelques mois par un pouvoir qui voulait donner « une majorité politique à la majorité sociale ».

Nous retenons, nous, le sérieux programmatique et la constance stratégique – l’union de la gauche, certes rompue en 1977, mais vivante encore dans la mémoire des électeurs de 1981.

La plus belle façon de célébrer le 10 mai, c’est d’en isoler le principe actif. Une gauche qui sait où elle habite et où elle va. Une gauche qui sait pour qui elle se bat, et pour quoi.

Emmanuel Maurel

Madrid : une campagne délétère pour une victoire de la droite nationaliste

Menaces de mort, banalisation de l’extrême droite, violence de rue, escalade verbale sur les réseaux sociaux… le climat de tension de la campagne électorale madrilène a témoigné d’une polarisation grandissante des sociétés démocratiques ébranlées par le Covid. Achevée par une victoire de la droite, cette campagne est aussi symptomatique des erreurs d’une gauche qui s’est trop focalisée sur une rhétorique antifasciste qui ne répondait pas aux préoccupations des gens.

Organisé par la radio ONDACERO le 23 avril 2021, le débat de la campagne électorale pour le parlement régional madrilène aurait pu être l’occasion d’un échange argumenté d’idées pour un vote crucial. La région de Madrid, première économie d’Espagne, dispose en effet de compétences importantes, notamment en matière de politique de santé et de direction des structures hospitalières… Il n’en fut rien. À peine commencé, le débat tourna court après une altercation entre le candidat de Unidas Podemos (UP), Pablo Iglesias, et la représentante du parti d’extrême droite Vox, Rocio Monasterio, au sujet de lettres de menaces de mort accompagnées de balles de fusil adressées à Iglesias et à des ministres de gauche.

Pour comprendre comment la politique espagnole a pu arriver à de telles extrémités, il est nécessaire de revenir au commencement d’une campagne électorale sale, pour ne pas dire abjecte, qui s’est déroulée, au plus fort de la pandémie, comme une tragédie en plusieurs actes, avec pour commencement la radicalisation de la droite.

Acte 1 : Une droite hors de contrôle

Depuis le 10 novembre 2019 et la mise en place d’un gouvernement de coalition entre le Parti socialiste (PSOE) et Unidas Podemos (UP), les trois partis politiques de droite (Parti Populaire – PP, Ciudadanos, Vox) ne cessent de remettre en cause la légitimité du pouvoir. Les raisons principalement invoquées se résument à la présence au sein du gouvernement de ministre dits « communistes », c’est-à-dire appartenant aux parti de Pablo Iglesias, et au soutien parlementaire accordé à la nouvelle équipe par la gauche indépendantiste régionale. Ces accusations hors sol contre un gouvernement démocratiquement élu ont été renouvelées lors de la crise du coronavirus, à l’initiative de Vox.

De l’autre côté des Pyrénées, aucun moment d’unité nationale derrière le gouvernement pour affronter une crise historique ne put avoir lieu. À peine un mois et demi après le début du confinement, Vox envoya ses soutiens, mélange hétéroclite entre une grande bourgeoisie conservatrice, une petite bourgeoisie commerçante précarisée et les traditionnels matons néofascistes, défiler en voiture (!) contre les mesures sanitaires. Le 23 mai 2020, 6 000 véhicules inondèrent les principales artères de Madrid de drapeaux espagnols et d’une grande quantité de pollution. Mais le plus grotesque vînt indéniablement deux semaines auparavant, dans le quartier Salamanque, sorte de 16e arrondissement madrilène, dont les habitants bravèrent le confinement pour manifester leur refus des mesures saniataires, contre la présence de Podemos dans le gouvernement et contre ce qu’ils appellent la « dictature communiste » qu’auraient mise en place par Pedro Sanchez et sa ministre de l’économie, Nadia Calvino, économiste issue de la Commission européenne. Toujours avec Vox à la manœuvre, ces manifestations furent à l’image de la rupture qui existe actuellement entre la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie espagnole et le gouvernement de gauche. S’ensuivit une escalade haineuse et dangereuse : pendant deux mois, des manifestants ont harcelé quotidiennement la famille de Pablo Iglesias, à l’entrée de son domicile, malgré un important dispositif policier de protection.

Mais une telle dérive n’aurait pas été possible sans la complaisance, même le soutien, des partis de la droite classique, PP et Ciudadanos, envers le discours fascisant de ce parti. Avant même que la formation d’extrême droite n’eut été représentée au parlement, leurs leaders respectifs, Pablo Casado et Albert Rivera, s’unirent à Santiago Abascal, président de Vox, à l’occasion d’une photo lourde de sens, prise après une manifestation organisée à Madrid le 10 février 2019.

Cependant, confronté à deux échecs aux élections générales et à une chute vertigineuse dans les sondages, Pablo Casado finit par sentir le risque que l’extrême droite lui dérobât le contrôle du camp conservateur espagnol. Dans un discours qui l’honore, il condamna fermement l’extrême droite au moment où celle-ci venait de déposer une motion de censure contre le gouvernement de gauche alors que commençait la deuxième vague de l’épidémie… En outre, et après des résultats électoraux désastreux à la suite de la funeste « photo de Colon », Ciudadanos finit par prendre ses distances avec Vox en rompant début 2021 un accord électoral passé un an plus tôt dans la ville de Murcie, pour soutenir une liste dirigée par le parti socialiste.

Mais les partis de droite dits « démocratiques » ne se remirent jamais de leur péché originel que furent leur premier accord électoral avec l’extrême droite en 2018 : banalisée, adoubée par des partis conventionnels, celle-ci ne tarda pas à exercer une influence grandissante sur la droite du PP, elle aussi attirée par le succès de certaines formules de droite radicale à travers l’Europe et les États-Unis… La « trumpisation » du PP ne faisait que commencer.

Acte 2 : la droite déclenche des élections sales à Madrid

Furieuse de la rupture de l’accord de Murcie où son parti était impliqué, la fantasque présidente PP de la communauté autonome de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, décida de convoquer de nouvelles élections dans l’espoir de faire disparaître son rival et partenaire centriste, avec lequel elle se partageait auparavant le contrôle du gouvernement. Cette femme, qui s’était illustrée dans son parti par un travail de Community manager qui lui donna l’occasion d’organiser le compte Twitter de « Pecas », le chien officiel du PP, a développé avec talent une communication tapageuse et outrancière, destinée à chasser sur les terres de l’extrême droite.

Avec pour slogan phare « socialisme ou liberté », rapidement remplacé par « communisme ou liberté », Diaz Ayuso donna le ton d’une campagne extrêmement agressive, destinée à exploiter le ressentiment d’un pays ravagé par les inégalités, enfoncé dans un marasme économique que la population peine à affronter du fait de l’absence de solidarité sociale due au néolibéralisme. Ayuso se présenta ainsi comme la défenseuse d’une liberté mise à mal par les restrictions sanitaires imposées par le gouvernement de gauche. La stratégie fût habile : la promesse de garantir l’ouverture des bars et restaurants séduisit de nombreux jeunes qui virent dans ces secteurs l’unique porte de sortie du chômage de masse. A fortiori, elle lui permit, à travers cette prétendue défense de la « liberté », d’opposer à la gauche une vision ultralibérale de la société. Madrid est vantée par la droite comme une « terre libre » … d’impôts : la région, qu’elle gouverne depuis 26 ans, exerce ainsi une concurrence fiscale déloyale contre le reste de l’Espagne, en profitant des ressources qui lui confèrent son statut de ville mondiale et la présence de sièges sociaux de grandes sociétés pour réduire au minimum la fiscalité sur les entreprises. Cette politique, pratiquement « négationniste » sur le plan de la pandémie, ultralibérale sur celui de l’économie, était mobilisée par la droite dans l’objectif de diaboliser la gauche en la présentant comme une menace communiste contre les libertés afin de remobiliser l’électorat conservateur et libéral.

Le résultat calamiteux de cette stratégie, qui fit de Madrid, avec près de 15 000 morts, l’un des territoires les plus affectés d’Europe par la pandémie, n’a en aucun cas découragé l’électorat de la présidente, qui réussit à minimiser son échec en mêlant les choix sanitaires à des considérations politiques passionnées et exacerbées.

Acte 3 : Pablo Iglesias, chevalier contre le « fascisme »

Le moment a stupéfait la classe politique espagnole. Depuis son bureau ministériel, le fondateur de Podemos et vice-président du gouvernement, Pablo Iglesias, la main posée en avant sur son bureau, annonça sa démission fracassante du gouvernement pour concourir aux élections madrilènes, afin d’empêcher, selon ses propres mots, « l’ultra droite » et le « fascisme » de gouverner la région capitale. Là aussi, les mots choisis par Iglesias témoignèrent d’une volonté d’affrontement, qui fut cependant sans commune mesure avec l’hyper-violence déployée par la droite la plus radicalisée. Alors que la droite traditionnelle agitait le fantôme du communisme, Vox ne promit ni plus ni moins son exclusion de la vie politique et l’interdiction de son parti, et envoya ses militants réaliser une campagne de haine sur les réseaux sociaux.

L’escalade ne fit que commencer : le 7 avril, en guise de provocation, la formation d’extrême droite décida de lancer sa campagne dans le quartier ouvrier de Vallecas, bastion de la gauche radicale. Le meeting, organisé dans la dénommée « Place Rouge » fut violemment perturbé par des militants antifascistes, chauffés à blanc par l’équipe d’Iglesias, qui lancèrent des projectiles sur les partisans ainsi que sur les agents de police présents. Certains gros bras d’Abascal décidèrent de rompre le cordon policier de protection, le risque de bagarre générale obligea la police à intervenir de façon très musclée, laissant tout de même dans les deux camps 35 personnes blessées. La non-condamnation des violences de la part de Pablo Iglesias et Santiago Abascal envenima encore davantage la campagne devenue hystérique. Alors que les meetings de Vox furent systématiquement perturbés par des boycotts antifascistes, les hommes politiques de gauche commencèrent à recevoir des lettres de menaces de mort. Pablo Iglesias reçut dans un paquet quatre balles, qui étaient aussi destinées, selon l’expéditeur, à sa femme et ses parents. Le second courrier, était destiné à la ministre des finances socialiste, la très modérée Maria Jesus Montero ; il contenait la pointe ensanglantée d’un couteau envoyé par un individu lui reprochant vraisemblablement la hausse des impôts…

Les élections madrilènes inaugurèrent ainsi une nouvelle mode de la politique espagnole, celle de l’envoi de lettres de menaces de mort à des hommes et femmes politiques pour leur signifier un désaccord en période électorale. L’une des dernières victimes ne fut autre que l’ancien président socialiste du gouvernement, Jose Luis Zapatero.

Acte 4 : la fin du débat démocratique

Le plus choquant reste néanmoins l’absence de condamnation de la part de certains responsables politiques, venant notamment de la droite radicalisée. Lors d’un débat organisé par la radio Ondacero, alors qu’Iglesias exigeait de Monasterio une condamnation sans ambages des menaces de mort, celle-ci lui opposa ses doutes sur la véracité des courriers, dénonça sa non-condamnation des violences à Vallecas, avant de conclure en ces termes : « si vous êtes courageux, barrez-vous d’ici ». Face au tollé, les partis de gauche décidèrent de cesser tout débat avec Vox, désormais qualifié de « fasciste » et de « nazi », mettant fin à tout autre projet de confrontation télévisée. Fait hallucinant, les équipes de Vox se félicitèrent d’une telle issue et saluèrent la sortie d’Iglesias du débat : « nous t’avons viré du débat, nous allons bientôt te virer de la politique espagnole », pouvait-on lire sur le compte Twitter de ce parti.

À cet égard, les réseaux sociaux s’illustrèrent une nouvelle fois comme le triste terrain d’expression d’opinions haineuses et d’une violence verbale décomplexée : entre promesse de « passer Pablo Iglesias à la mort-aux-rats », et montage grimant Ayuso en nazi, le visionnage de Facebook et de Twitter faisait réellement froid dans le dos. Comme si le pays tentait de répéter sur le mode d’une sinistre farce la guerre civile qui le ravagea 80 ans plus tôt. Mais le comble de l’ignominie fut certainement atteint par Vox, dont les équipes diffusèrent un photomontage immonde sur Instagram mettant en scène un mineur isolé, arborant une cagoule masquant mal sa peau foncée, en compagnie d’une femme du quatrième âge, indiquant qu’il recevait 10 fois plus d’argent de l’État que celle-ci. Cette image, qui a fait l’objet de poursuites judiciaires, résuma à elle seule l’esprit d’une campagne électorale amère : propagande outrancière à grand renfort de publication sur les réseaux sociaux, mensonges, haine et désinformation.

Indéniablement, cette pitoyable campagne électorale témoigne de la grave fragilité de nos démocraties à la suite de la pandémie. Elle laissera une trace indélébile sur la suite de la politique espagnole.

La crise sanitaire semble avoir ainsi aggravé les tendances mortifères à l’œuvre depuis une décennie : exposition grandissante des individus aux réseaux sociaux (où n’importe quelle opinion caricaturale peut se faire vérité), disqualification de la pensée et du débat démocratique dans une débauche grossière d’invectives. Et bien sûr, aggravation sidérante des inégalités suscitant la haine, le ressentiment et la rancœur contre un État qui n’est pas parvenu à protéger sa population de la pandémie sans la priver de ses libertés. À l’avenir la vie politique espagnole risque de se dépêtrer difficilement de la violence et de la saleté, dans lesquelles l’extrême droite s’épanouit toujours plus aisément que la gauche.

Acte 5 : Une victoire nette de la droite

Ainsi, sans grande surprise, ces élections aux airs de mauvaise farce se sont achevées par un triomphe électoral de la droite. En réunissant 44 % des votes, Ayuso et le PP renforcent leur contrôle sur la communauté autonome de Madrid, et absorbent l’essentiel des électeurs libéraux de Ciudadanos qui disparaît ainsi du panorama politique. L’extrême droite stagne à 9 %, alors que la gauche, notamment le PSOE connaît un score particulièrement décevant. S’il est encore trop tôt pour analyser les ressorts sociologiques d’un tel résultat, des premières conclusions peuvent être tirées.

Sans l’ombre d’un doute, la campagne anti confinement d’Isabel Diaz Ayuso a porté ses fruits : le vote massif pour cette candidate conservatrice ultralibérale témoigne d’une exaspération grandissante de la population face à la dureté des mesures sanitaires depuis un an. Elle a su instrumentaliser habilement ce ressentiment pour se présenter comme l’opposante n°1 contre le gouvernement de Pedro Sanchez. Ainsi, la volonté de renverser la table et « le dégagisme » de la classe politique au pouvoir ont encore frappé, mais cette fois contre la gauche : indéniablement, des postures politiques plus radicales et peu conformistes permettent de remporter une élection, quel que soit le bord politique.

Cependant, la victoire du PP doit être relativisé : le parti conservateur contrôlait la région depuis 26 ans, où il a déjà réalisé des scores bien supérieurs. De plus, le clivage gauche-droite n’a pas disparu. Il doit cependant composer avec l’explosion du discours populiste qui crée une grande fluctuation de l’électorat. La disparition brutale de Ciudadanos et l’effondrement du PSOE après sa renaissance sont à cet égard révélateur de l’instabilité politique croissante des citoyens. En conséquence, une communication habile semble parfois plus efficace que l’affirmation d’un logiciel idéologique pour gagner dans les urnes. Dans ce domaine, Isabel Diaz Ayuso a été particulièrement redoutable.

La gauche a subi une défaite lourde, qui appelle une profonde réflexion. Le PSOE a vu son score fondre de 28 à 17%. La présence de Pablo Iglesias à la tête de la liste de Podemos n’a pas permis à la formation de gauche radicale d’améliorer substantiellement son résultat, qui est passé de 5,6 à 7,1% des votes. La surprise de la soirée est indéniablement la montée en puissance du parti municipal de gauche Mas Madrid (MM), lancé deux ans auparavant par Inigo Errejon (ancienne tête pensante idéologique et stratégique des plus belles heures de Podemos), qui a dépassé le PSOE en augmentant son score de 14 à 17,1%. Les partis de gauche qui ont préféré centrer leur campagne sur un prétendu « danger fasciste » plutôt que sur des propositions concrètes pour les habitants de la région de Madrid ont été sanctionnés. Au contraire, la démarche « citoyenniste » et municipale de MM, qui a placé à la tête d’une liste de novice en politique (une anesthésiste activiste pour l’hôpital public), est apparu davantage en phase avec les préoccupations des habitants de Madrid, ébranlés par la mauvaise gestion de la pandémie par la droite et la difficulté d’accès aux soins en cette période de crise sanitaire. La gauche radicale avait pris de 2015 à 2019 la mairie de Madrid. Mma réussi à incarner tout à la fois la continuité de cette expérience municipale d’une gauche alternative et le dégagisme contre l’establishment de droite qui contrôle la communauté autonome depuis 26 ans et la capitale de 1991 à 2015 et à nouveau depuis 2019. La première leçon de ce résultat est donc limpide : la gauche a davantage à gagner en travaillant sur un programme et des propositions qu’en agitant le spectre d’un retour à la terreur d’extrême droite. En outre, il semble tout à fait contre-productif d’entrer en compétition avec les formations de droite dans l’outrance et la violence verbale : le climat délétère de la campagne n’a au final profité qu’à un parti conservateur outrancier et au populisme d’extrême droite.

Le départ de Pablo Iglesias de Podemos, parti qu’il avait contribué à fonder 7 ans plus tôt, marque un point de bascule dans la vie politique espagnole. La droite est désormais galvanisée par sa victoire et va tenter d’accentuer la pression sur un gouvernement de gauche fragilisé. Il est urgent pour Podemos de commencer une recomposition sereine pour que le parti redevienne un porte-voix populaire.

Les luttes, moteur du capitalisme ?

Rencontre-débat autour de l’ouvrage Sociologie historique du capitalisme de Pierre François et Claire Lemercier, en présence de :

  • Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT, ancienne membre du Conseil Economique, Sociale et Environnemental ;
  • Pierre François, sociologue, directeur de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, doyen de l’École de la recherche de Sciences Po ;
  • Claire Lemercier, historienne et directrice de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po
  • Emmanuel Maurel, député européen, cofondateur de la Gauche républicaine et socialiste ;
  • Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’École d’économie de Paris (Paris School of Economics)

Modération par Christian Chavagneux, éditorialiste à Alternatives économiques.

Rémi Lefebvre : « Les partis politiques hors jeu de la présidentielle ou presque… »

Le « Monde« , 12 avril 2021

La candidature de Jean-Luc Mélenchon et, plus récemment, celle de Xavier Bertrand démontrent que les formations politiques ne semblent plus structurer le processus de désignation des candidats voire s’apparentent à des outils au service d’ambitions personnelles, analyse le politiste dans une tribune au « Monde ».

Tribune. Xavier Bertrand a donc déclaré, mercredi 24 mars, sa candidature pour l’élection présidentielle sans attendre les élections régionales ni l’hypothétique primaire d’un parti (Les Républicains, LR) dont il n’est de toute façon plus membre. Les partis politiques semblent avoir perdu la maîtrise du jeu présidentiel ou sont des instruments au service d’ambitions personnelles. Sous la Ve République, un des rôles des partis était de fabriquer des présidentiables et de les départager à travers diverses méthodes (cooptation, sondages, primaires fermées ou ouvertes…). Jusqu’en 2012, l’élection présidentielle arbitre la lutte de personnalités s’appuyant sur des organisations partisanes même si les primaires ouvrent le processus à des non-adhérents. Lors de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon s’autoproclament candidats en s’appuyant sur des partis-mouvements – La République en marche (LRM) et La France insoumise (LFI) −, créés ad hoc pour appuyer leur ambition personnelle. Le parti ne produit plus le candidat en le légitimant au préalable, c’est le candidat qui crée le parti pour porter sa campagne. La personnalité du candidat devient l’aspect central de l’offre politique (l’organisation n’est qu’un arrière-plan). L’investiture partisane n’est plus un préalable puisque le parti n’est, en quelque sorte, que le moyen, le support et la conséquence d’une candidature personnelle. « Investiture populaire » En novembre 2020, Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré pour la troisième fois candidat à l’élection présidentielle. Le député a inventé alors de nouvelles règles pour se représenter et se réinventer. S’il « propose » à nouveau sa candidature, il la conditionne à une « investiture populaire » (le parrainage de 150 000 citoyens). Il ne présente donc pas sa candidature comme procédant de LFI, tout en précisant que « c’est le programme qui est investi, pas un homme ». Une nouvelle plate-forme est créée pour récolter les parrainages : noussommespour.fr. Ce n’est significativement pas sur la plate-forme de LFI que les soutiens sont recueillis. Les militants LFI n’ont été que consultés un peu plus tôt, par e-mail, tout comme les députés lors d’une réunion informelle. Le seuil de 150 000 parrains est franchi en quelques jours : plus de 2 millions d’abonnés sur Twitter suivent le leader de LFI qui revendique 500 000 adhérents. La candidature résulte donc d’une forme d’autodésignation mais celle-ci est sanctionnée par un plébiscite populaire aux résultats largement prévisibles. Emmanuel Macron, quant à lui, s’apprête à présenter sa candidature hors de toute symbolique partisane au nom d’un nouveau « dépassement ». Elle est naturalisée par son statut de président sortant et son emprise totale sur LRM. Au journal Libération, le 11 mars 2021, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, confie qu’« Emmanuel Macron ne sera pas le candidat LRM à la présidentielle » et le délégué général de ce mouvement, Stanislas Guerini, précise : « Je n’envisage évidemment pas Macron comme le candidat d’un parti politique, ce sera le candidat du dépassement. » Dans la perspective de 2022, ce processus d’autonomisation des candidats semble affecter aussi les organisations dites traditionnelles, ceux de l’ancien duopole Les Républicains-Parti socialiste. Prendre ses distances avec les partis devient une figure imposée pour tout prétendant au trophée présidentiel. Le cas de Xavier Bertrand est exemplaire. Après l’élection présidentielle, l’ancien secrétaire général de l’UMP (de 2008 à 2010) s’émancipe de son parti et annonce son départ de LR. En août 2020, il annonce qu’il se « prépare » à l’élection présidentielle de 2022. Multipliant les critiques contre les appareils, il exclut de se soumettre à une primaire de la droite, estimant que sa primaire « sera le scrutin régional des Hauts-de-France » de 2020. Financement Xavier Bertrand a créé un mini-parti, La Manufacture, structure personnelle dont il développe l’implantation à mesure qu’approche l’élection présidentielle. Pour prendre de vitesse ses concurrents de droite, il décide finalement de se lancer avant un scrutin régional dont l’organisation est compromise par la crise sanitaire. Sa stratégie est indirectement partisane : se rendre incontournable auprès de son ancien parti en s’installant dans l’opinion et les sondages pour obtenir de lui, au final, la ratification de sa candidature. La stratégie de Valérie Pécresse, elle aussi présidente de conseil régional (Ile-de-France), présente des similitudes structurelles. Elle a quitté LR en juin 2019, a créé son propre (micro) parti, Libres !, en juillet 2017, et se prépare à une possible candidature pour 2022. Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les maux de la Ve République diagnostiqués depuis longtemps, à force de s’aggraver, érodent la vitalité de la démocratie » Cette stratégie est aussi mobilisée à gauche, comme le démontre le positionnement d’Arnaud Montebourg. Candidat aux primaires de son parti en 2011 et 2017, il prend ses distances avec le PS et la politique officielle du « sérail », et cultive une image d’entrepreneur. Mais il reste présent dans les médias et travaille à l’hypothèse d’une candidature à l’élection de 2022, hors du PS, en espérant finalement son soutien. Le Parti socialiste aura-t-il un candidat au final ? Anne Hidalgo, la maire de Paris, teste l’hypothèse de sa candidature mais ne s’inscrit guère dans une symbolique partisane. Elle a créé une « plate-forme d’idées » numérique autonome de son parti, tout comme le député européen Yannick Jadot, qui voudrait faire l’économie de la primaire organisée par EELV en septembre, qu’il trouve trop enfermante… On observe ainsi une forme d’individualisation du capital politique. Pour les prétendants à l’élection présidentielle disposant d’un capital politique personnel, s’appuyer clairement sur son parti apparaît une stratégie moins porteuse que s’en démarquer. Mais ces changements sont aussi trompeurs. L’élection présidentielle ne s’est pas totalement « départinisée ». Elle suppose toujours des moyens collectifs (de financement notamment). C’est LRM et LFI qui financeront respectivement la campagne d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon. Xavier Bertrand, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot auront besoin des moyens d’organisations dont ils ne peuvent s’aliéner totalement le soutien. Rémi Lefebvre est professeur de sciences politiques à l’université de Lille.

Irlande du Nord : Le Brexit va-t-il gâcher 23 ans de Paix ?

Le décès du Prince Philip aura peut-être offert un fragile répit à la province du Nord de l’Irlande. En effet, certains initiateurs unionistes des manifestations prévues pour le week-end avaient appelé à leur suspension vendredi soir par « respect pour la reine et pour la famille royale ». Des heurts ont cependant à nouveau éclaté dans la soirée, mais d’une ampleur moindre que ces deux dernières semaines. Alors que cette semaine correspond tout à la fois au 105e anniversaire de la Révolution irlandaise de Pâques 1916 et au 23e anniversaire du « Good Friday Agreement »1 qui a ramené la paix dans la partie de l »Île toujours rattachée au Royaume Uni, qu’est-ce qui explique cette flambée de violence? 

Après plusieurs jours de tension et d’accrochage, les événements ont particulièrement dégénéré dans la nuit du 7 au 8 avril qui ont donné lieu à une sorte de « déjà-vu » qu’on pensait enterré. Une foule « unioniste »2 s’est rassemblée sur Lanark Way, à Belfast, « où un autobus a été incendié », ont rapporté les forces de la police nord-irlandaise. Des incendies ont été signalés sur cette avenue, où d’énormes barrières métalliques séparent un quartier catholique d’un quartier protestant, selon la correspondante de la BBC, Emma Vardy. Des centaines de personnes ont jeté des cocktails Molotov. La circulation du métro a été suspendue. Depuis le 29 mars, chaque nuit apporte son nouveau lot d’échauffourées et de violence. Des groupes d’adolescents, certains âgés d’une douzaine d’années seulement, armés de briques, de barres de fer et de cocktails Molotov, affrontent des forces de l’ordre retranchées derrière des Land Rover blindées et des canons à eau. Les jeunes assaillants sont généralement quelques dizaines, quelques centaines dans le pire des cas, souvent encouragés et applaudis par les adultes, parfois manipulés par des groupes paramilitaires unionistes. La police d’Irlande du Nord accuse notamment deux groupes paramilitaires unionistes de manipuler les jeunes émeutiers : l’Ulster Volunteer Force (UVF)3 et l’Ulster Defence Association (UDA)4

Face aux émeutes déclenchées à l’initiative de jeunes manifestants unionistes, la première ministre nord-irlandaise, Arlene Foster, a déclaré sur Twitter dans la nuit du 7 au 8 avril : « Il ne sagit pas dune manifestation. Cest du vandalisme et une tentative de meurtre. Ces actions ne représentent ni lunionisme ni le loyalisme. » Pourtant ce tweet cache mal le fait qu’elle est en grande partie responsable de la situation. Son parti, le Democratic Unionist Party (DUP)5, et elle-même avaient mené une campagne acharnée en faveur du Brexit aux côtés d’une partie des conservateurs britannique et de Boris Johnson ; un temps indispensable à la majorité parlementaire de Theresa May, le DUP avait également compliqué les négociations déjà invraisemblables entre le Royaume Uni et l’Union européenne (UE) pour organiser la sortie du premier de la seconde. Arlene Foster fait donc face aux conséquences directes de ce choix politique qui n’avait d’ailleurs pas été suivi dans la province puisque les citoyens d’Irlande du Nord avait voté à 55% en faveur du maintien dans l’UE. 

Conséquences du Brexit et effet révélateur 

Or l’accord de paix signé en 1998 a estompé la frontière entre la province britannique et la République d’Irlande ; le Brexit est donc venu fragiliser le délicat équilibre, en nécessitant l’introduction des contrôles douaniers entre Royaume-Uni et UE. Après d’âpres négociations, Londres et Bruxelles sont parvenus à s’accorder sur une solution, le protocole nord-irlandais, qui permet d’éviter le retour à une frontière physique sur l’île d’Irlande en déplaçant les contrôles dans les ports nord-irlandais. Si des dispositions ont été prises pour accompagner les entreprises de la province face à cette transformation, les nouvelles dispositions, qui, de fait, maintiennent l’Irlande du Nord dans l’union douanière et le marché unique européens, entraînent des perturbations dans les approvisionnements. Au début du mois de mars 2021, le premier ministre britannique, Boris Johnson, avait été confronté, lors d’une visite en Irlande du Nord, à un mécontentement croissant sur les conséquences du Brexit. Favorable à un abandon pur et simple des contrôles sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne, Arlene Foster a jugé «intolérable» les dispositions entrées en vigueur le 1er janvier dernier. De son côté, Michelle O’Neill, vice premier ministre de la province et leader du Sinn Féin6 pour l’Irlande du Nord, a refusé de le rencontrer, lui reprochant son « approche téméraire et partisane » vis-à-vis du protocole nord-irlandais. 

Mais, plus profonde une partie importante de la population unioniste éprouve un sentiment de trahison. Les émeutiers s’intéressent peu à la complexité des questions commerciales nées du Brexit, mais « sont en colère » car ils comprennent (enfin) qu’ils ont été trahis précisément par le gouvernement britannique envers lequel leurs parents, leurs grands-parents et leurs arrière-grands-parents faisaient preuve d’une loyauté aveugle. Boris Johnson avait promis une circulation sans entrave entre la province et la Grande Bretagne, ce qui n’est évidemment pas le cas. la ministre de la justice nord-irlandaise, Naomi Long (membre du parti de l’alliance7) a ainsi résumé la situation sur la BBC4 : « Ils ont nié lexistence de toute frontière, alors même que ces frontières étaient érigées ». 

Certains pensent également que les négociateurs du Brexit ont cédé aux nationalistes, qui aurait tacitement menacé d’une réponse sanglante à la perspective de toute reprise des contrôles à la frontière irlandaise. En réalité, les responsables nationalistes de la province – y compris ceux qui n’ont jamais pris part aux agissements paramilitaires – s’étaient publiquement inquiétés que le rétablissement de la frontière ne déclenche des troubles. « Cela a créé un précédent explosif selon lequel beaucoup de jeunes loyalistes regardent le protocole et arrivent à la conclusion que la violence est récompensée », a déclaré le militant unioniste Jamie Bryson au journal News Letter

Les braises de la « guerre civile » toujours chaudes 23 ans après? 

Mais le Brexit ne représente que l’un des aspects d’une crise plus large chez les Unionistes en Irlande du Nord. En 2017, ils ont perdu leur majorité historique à l’Assemblée régionale de Stormont. Puis, en 2019, les élections britanniques ont, pour la première fois, envoyé plus de députés nationalistes que d’unionistes à Westminster. S’y ajoutent les signes d’un mouvement démographique, avec la jeune génération, vers les nationalistes, donnant aux unionistes le sentiment d’être une minorité assiégée. 

Dans ce contexte, l’Irlande du Nord est tout juste sorti de sa deuxième crise institutionnelle. De 2017 à 2020, le DUP a choisi une stratégie d’obstruction après la perte de la majorité unioniste au parlement de Stormont, refusant de reconstituer le gouvernement provincial qui regroupe les cinq grands partis d’Irlande du Nord. Indispensable à Theresa May, le DUP tenu contre vents et marées dictant une bonne partie des décisions concernant la province depuis Westminster où le gouvernement britannique avait été contraint de gérer les affaires courantes en l’absence de gouvernement provincial. Les choses ont changé lors qu’Arlene Foster, comme son prédécesseur Peter Robinson avant elle, a été prise dans un scandale politico-financier qui a largement entamé son « crédit » politique. Sinn Féin, SDLP8 et Alliance Party ont eu beau jeu dès lors d’exiger soit le retrait d’Arlene Foster ou ses excuses publiques avant de reconsidérer la possibilité de reformer un gouvernement multipartite. En 2019, une fois Boris Johnson débarrassé de l’épée de Damoclès du DUP qui avait pénalisé Theresa May au sein de la Chambre des Communes, la position d’Arlene Foster était devenu fragile. Les négociations pour un gouvernement provincial ont repris et ont abouti à sa reformation en janvier 2020, toujours avec Arlene Foster en premier ministre, mais dans lequel les positions des nationalistes irlandais et en premier du Sinn Féin étaient renforcées. 

Ce dernier a d’ailleurs logiquement utilisé toute la période qui a suivi le référendum sur le Brexit pour plaider avec force d’arguments en faveur d’une réunification de l’Irlande : le Brexit est un choix anglais ; les citoyens d’Irlande du Nord ne souhaitaient pas quitter l’UE (et pour atteindre 55% en faveur du maintien, il a bien fallu que des « Protestants » votent aussi contre le Brexit) ; la réunification de l’Irlande permettra à tous les citoyens irlandais au nord comme au sud de bénéficier du rétablissement d’une situation économique déséquilibrée. Le Sinn Féin bénéficie d’une véritable efficacité politique car il est le seul parti depuis 20 ans à être présent dans les deux parties de l’Île (il est l’opposition au gouvernement libéral-conservateur de la République, il participe au gouvernement provincial du nord avec le poste de vice premier ministre depuis mai 2007). La crise sanitaire a évidemment ralenti cette campagne mais ne l’a pas arrêtée et les pénuries résultant de l’application de l’accord commercial entre l’UE et la Grande-Bretagne depuis janvier 2021 ont renforcé son point de vue. « Nous pensons quun référendum [d’unification] peut être organisé dans les cinq ans », déclarait le 2 mars 2021 Mary Lou McDonald, présidente du Sinn Féin et cheffe de l’opposition en République d’Irlande,. Sa stratégie est de développer initialement une unification économique. Elle évoque, par exemple, la mise en place d’un système de santé unifié. 

Les tenants de l’Unionisme sont donc particulièrement sur la défensive. Ces dernières semaines, les leaders unionistes ont tenté d’attaquer l’image des dirigeants du Sinn Féin pour enrayer leur chute. Cela a culminé voici quelques semaines. En effet, à la fin du mois de mars 2021, le responsable du service de police de l’Irlande du Nord (PSNI) décidé de ne pas poursuivre vingt-quatre responsables du Sinn Féin qui avaient assisté, à la fin de juin 2020, aux obsèques de Bobby Storey, qui aurait été le chef du renseignement de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), malgré les restrictions en vigueur contre l’épidémie due au coronavirus. La présence dans la foule de Michelle O’Neill et de Mary Lou McDonald a été perçue par une partie des Unionistes les plus intransigeants comme un bras d’honneur fait au fragile équilibre politique dans la province. Qu’importe si Michelle O’Neill a présenté des excuses pour ne pas avoir respecté les règles de distanciation physique. Les principaux partis unionistes ont appelé le chef du PSNI, Simon Byrne, à démissionner, affirmant que les communautés avaient perdu confiance en son autorité. Arlene Foster a affirmé que l’adhésion de la population aux restrictions était menacée en raison de la perte de confiance dans la loi et l’ordre causée par la décision de ne pas poursuivre les membres du Sinn Féin. C’est là aussi toute la limite de cette campagne : si Mme Foster (dont la crédibilité est-elle profondément écornée) jugeait que la présence à cet enterrement était inacceptable (et pire que ses propres turpitudes) alors elle pouvait décider de ne plus collaborer avec le Sinn Féin et mettre fin au gouvernement autonome. Elle a choisi de continuer de diriger la province avec des dirigeants qu’elle cherche pourtant chaque jour à salir dans l’opinion publique. On ne peut imaginer grand écart plus inconfortable, mais il est certain que le feu couvant a été alimenté par de nombreuses giclées d’huile d’Arlene Foster. 

Notons pour finir de décrire le contexte que des opérations de police contre le trafic de drogue dans le comté d’Antrim, sur lequel l’Ulster Defence Association (UDA) a la mainmise, ont également contribué à attiser les tensions dans la province ; l’UDA cherche sans doute au travers des émeutes a réaffirmé sa capacité de nuisance et à forcer les autorités à la « laisser en paix ». 

Appels au calme 

Depuis plusieurs jours, les appels au calme se multiplient de tous les côtés. Après avoir longtemps soufflé sur les braises ou ignoré la situation, les classes politiques britannique, irlandaise et nord-irlandaise ont finalement appelé au calme jeudi 8 avril. Boris Johnson s’est exprimé pour la première fois, se disant « profondément préoccupé ». Le gouvernement nord-irlandais a publié une déclaration commune : « La destruction, la violence et les menaces de violence sont complètement inacceptables et injustifiables, quelles que soient les inquiétudes que puissent avoir les communautés. » Naomi Long, ministre provinciale de la Justice (précédemment citée), a expliqué comprendre le sentiment de colère des Unionistes : « Même la plupart des gens qui sopposent au Brexit ont une certaine sympathie pour ceux qui se sentent trahis. On leur avait promis des lendemains merveilleux mais c’était un fantasme. Le Brexit nallait jamais se terminer de cette façon. Ceux qui sont au gouvernement [britannique] le savaient, mais ils étaient plus intéressés par leur ascension vers le pouvoir que par les questions dinstabilité en Irlande du Nord. » 

Tout en dénonçant les manipulations du DUP que nous avons décrites plus haut, le Sinn Féin a tout à la fois appelé les dirigeants politiques à s’unir pour mettre fin aux émeutes et placé les dirigeants unionistes devant leurs contradictions : « Aujourd’hui, nous devons être unis pour appeler toutes les parties concernées à s’abstenir de nouvelles menaces ou de recourir à la violence et appeler ceux qui dirigent les jeunes à s’engager dans la violence à cesser. Il y a de la place pour tout le monde dans le processus politique, mais il n’y a aucune place dans la société pour ceux qui sont armés et illégaux et qui devraient se dissoudre. Vous êtes les ennemis de la paix. Ceux qui sont impliqués dans la violence, les dommages criminels, la manipulation de nos jeunes et les attaques contre la police doivent cesser. » 

« Soulignant que la violence est inacceptable, ils ont appelé au calme, a réagi Dublin. Cest par le dialogue et un travail sur les institutions mises en place par laccord du Vendredi saint quil faut avancer.» La Maison Blanche a également appelé au calme, se disant « préoccupée » par ces violences qui interviennent alors que le président des Etats-Unis, Joe Biden, fier de ses origines irlandaises, avait déjà exprimé ses inquiétudes concernant les conséquences du Brexit pour la paix dans la province. 

La situation est préoccupante car le gouvernement et l’opinion publique britanniques ne semblent pas prendre la mesure de la situation, alors même que le feu couve depuis 2016. Sur Twitter, Jennifer Cassidy, chercheuse irlandaise en diplomatie à l’université d’Oxford, s’interrogeait ainsi sur le relatif silence des médias britanniques : « Si ces violences avaient lieu dans nimporte quelle autre partie du Royaume-Uni, il y aurait une couverture médiatique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des appels au calme, à la paix, des discours pendant des heures auParlement. Mais parce que cest lIrlande du Nord, vous pensez que dire “ ne faites pas ç” suffira? Réagissez. » 

Car les émeutes sont bien le révélateur d’un mal beaucoup plus profond qui ne se résoudra que par des choix et des initiatives politiques inédites et sans doute iconoclastes. Sans cela, la guerre civile pourrait renaître dans la province sous une forme nouvelle. La situation actuelle participe en tous les cas d’un processus de délitement progressif du Royaume-Uni.

Aux racines du conflits nord-irlandais 

Nous n’allons pas revenir ici sur un conflit colonial qui est né voici près de 800 ans avec la volonté anglaise de conquérir l’Irlande, ambition relancée à compter de la dynastie des Tudor à la Renaissance. La conquête et la domination ethno-politique de l’île Verte par la monarchie de l’île voisine s’est doublé à compter du début du XVIIème siècle d’un conflit politico-confessionnel, la monarchie britannique réservant le pouvoir et les droits civiques aux Anglicans et aux Presbytériens d’origine écossaise, minoritaires sauf en Uslter la province du nord-est qui a fait l’objet d’une véritable stratégie de colonisation et d’implantation agricoles de populations protestantes écossaises. 

L’influence de la Révolution française puis le processus d’émancipation progressive des catholiques de la monarchie britannique ont conduit au réveil de l’identité nationale irlandaise, à la fin du XVIIIème siècle. Le ressentiment contre la monarchie britannique a été portée à son comble par la Grande Famine de 1845 et 1852 qui provoqua plus d’un million de morts et plus encore d’émigration. L’Irlande ne s’en est jamais réellement remise et son développement économique et humain en subit toujours les lointaines conséquences. La disparition progressive de la langue irlandaise engagée par la Grande Famine suscita un réveil culturel gaélique qui nourrit également l’idéal nationaliste. La lenteur du processus d’autonomisation politique, promis et toujours remis à plus tard, aboutit à la radicalisation politique d’une partie des nationalistes irlandais qui, associés aux socialistes, lancent l’insurrection de Pâques 1916 et fondent ensemble l’IRA (fusion entre l’Irish Republican Brotherhood et la Citizen Army des socialistes irlandais). 

Si l’insurrection est un échec, la violence effroyable de l’armée britannique pour la détruire puis la répression terrible qu’elle organisa (avec le soutien de milices paramilitaires protestantes qui ressemblent beaucoup aux futurs « faisceaux » de Mussolini) finissent par rallier la population irlandaise au Sinn Féin. Le gouvernement britannique, dont l’administration sur l’île s’est effondrée et a été de fait remplacée par des institutions parallèles, finit par négocier avec les nationalistes irlandais et obtient après le chantage d’une « guerre totale » qu’ils acceptent une indépendance relative en 1922 et la partition de l’île, le Royaume-Uni conservant six des neufs comtés de la province d’Ulster, majoritairement peuplés des descendants des anciens colons anglais et écossais, mais surtout partie la plus riche et la plus industrialisée (avec notamment les importants chantiers navals de Belfast). Le Sud connut une guerre civile de deux ans (l’IRA sera la branche armée du Sinn Féin maintenu refusant le traité imposé par la Grande-Bretagne) et n’accéda à l’indépendance pleine et entière qu’en 1938, la République y sera enfin proclamée en 1948-1949. 

Au nord, c’est un régime ségrégationniste qui se met en place sous l’autorité de dirigeants politiques acquis à la couronne britannique et considérant les Irlandais catholiques qui constituent alors quelques 40% de la population de la province au mieux comme des ennemis de l’intérieur, souvent comme des sous-hommes ou des demi-sauvages. Ainsi dans l’une des provinces appartenant directement à la démocratie européenne la plus avancée un gouvernement anti-démocratiques va diriger le territoire pendant plus de 40 ans, sans aucune autre réaction que quelques attentats ratés organisés par ceux qui se considèrent comme les continuateurs de l’IRA de 1916 et de 1922. 

Plusieurs dirigeants de l’apartheid qui régit l’Afrique du Sud en visite en Irlande du Nord au début des années 1960 s’exprimeront publiquement sur place pour dire tout le bien et l’admiration qu’ils éprouvent pour le régime nord-irlandais, qu’ils jugent « plus efficace » que le leur !?! Les Irlandais catholiques sont de fait exclus de la plupart des offices publics, l’embauche des Protestants est systématiquement favorisée. Ainsi malgré l’existence d’une importante classe ouvrière en Irlande du Nord, les ouvriers unionistes défendirent toujours le point de vue de leurs industriels unionistes considérant les ouvriers catholiques comme des ennemis. L’Ulster Unionist Party règne en maître sur la Province avec l’appui de l’Ordre d’Orange, officine maçonnique protestante. Seuls quelques députés provinciaux indépendants arrivent à se faire élire dans les comtés les plus catholiques de la province, où une partie des habitants acceptent de participer aux élections. 

En 1964, pour dénoncer les discriminations économiques est créé le mouvement Campaign for Social Justice. Après plusieurs attaques contre les Irlandais inspirées par le Révérend Ian Paisley, la Northern Ireland Civil Rights Association (NICRA) est fondée en 1967 sur le modèle du mouvement d’émancipation des noirs américains ; elle en reprend d’ailleurs l’hymne We Shal Overcome. Le mouvement aconfessionnel, soutenu par tous les organisations et tendances politiques ne soutenant le régime, a pour objectif l’instauration d’une véritable démocratie fondée sur l’égalité des droits civiques, sociaux et économiques dans la Province. Ces manifestations de plus en plus massives vont systématiquement être attaquées physiquement par les organisations paramilitaires « loyalistes », ce qui justifiera l’envoi en 1968 d’un contingent militaire britannique initialement pour garantir la paix civile. Mais la troupe et l’encadrement militaire vont rapidement considérer la population irlandaise, non unioniste, comme suspecte ou en soi hostile ; ils vont collaborer avec les mouvements paramilitaires loyalistes. Des attentats organisés par ces groupes sont même attribués à l’IRA qui n’a à cette époque pas une seule arme en état de marche ou d’explosifs. 

L’IRA scissionne en décembre 1969, entre ceux qui fidèles à la direction marxiste-léniniste du Sinn Féin, veulent privilégier la lutte « politique et économique » et ceux qui face aux exactions croissantes des paramilitaires et de l’armée britannique veulent se réarmer pour protéger la population irlandaise. Sinn Féin scissionne sur les mêmes modalités dans les semaines qui suivent. Le réarmement de l’organisation politico-militaire nationaliste débute alors. Cependant aucune des manifestations de la NICRA ne peut se dérouler en sécurité : le 30 janvier 1972, l’armée britannique tire sur des manifestants pacifiques et fait 14 morts. La fable d’une provocation armée de l’IRA a été depuis longtemps éventée et la justice britannique a reconnu la responsabilité entière et totale de l’armée dans ce massacre. Le gouvernement britannique supprimera les institutions autonomes de la province cette même année. Mais la guerre civile est lancée. Elle fera plus de 3 500 morts. L’IRA va désormais recruter à tour de bras et ses actions militaires vont rattraper celles des mouvements paramilitaires loyalistes. D’un côté comme de l’autre, les cibles ne furent pas seulement policières et militaires et des dérives mafieuses ont été fréquentes. Après que John Major ait fait échouer la plus longue trève décrétée par l’IRA en 1994 par son refus d’engager des discussions politiques, une nouvelle trève est décrétée après l’élection de Tony Blair en 1997. Les négociations s’engagent qui conduiront aux accords du Vendredi Saint, à la démocratie, au partage du pouvoir et au désarmement. 

1Good Friday Agreement : en Français, « accord du Vendredi Saint » négocié sous l’égide de Tony Blair et du premier ministre irlandais et signé par plusieurs partis d’Irlande du Nord (SDLP, Sinn Féin, UUP, UDP et PUP) le 10 avril 1998, il a mis en place le processus de paix qui a démocratisé la province, refondé totalement les services de police, abouti au désarmement des différents groupes paramilitaires…

2Unionistes : L’Unionisme est l’affirmation politique de la volonté de rester membre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord plutôt que de rejoindre l’Etat libre puis la République d’Irlande. L’Unionisme défend les intérêts des communautés protestantes d’Irlande du Nord (Anglicans et Presbytériens) qui y sont encore majoritaires. Souvent confondue avec le « Loyalisme », cette dernière dénomination politique est plus particulièrement utilisée pour désigner les mouvements paramilitaires protestants qui ont alimenté la guerre civile pendant 29 ans.

3L’Ulster Volunteer Force (UVF) est un groupe paramilitaire loyaliste d’Irlande du Nord, fondé en 1966, reprenant le nom d’une ancienne milice unioniste. Son objectif affiché est de lutter contre l’IRA et pour le maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Le nom vient des Ulster Volunteers, créés en 1912 pour défendre l’union entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. L’UVF est placée sur la liste officielle des organisations terroristes du Royaume-Uni et des États-Unis. Pendant le conflit nord-irlandais, l’UVF s’est rendue responsable de 426 morts (sur 3500). Le 27 juin 2009, l’Ulster Volunteer Force achève officiellement son désarmement. En 2020, le PSNI évalue à 12 500 le nombre de membres de l’UVF et de l’UDA en cas de reprise des affrontements communautaires (5000 pour l’UDA et 7500 pour l’UVF).

4Ulster Defence Association (UDA) : c’est la principale organisation paramilitaire protestante loyaliste, créée en 1971, par la fusion des groupes paramilitaires loyalistes de l’époque. Elle a été une collaboratrice zélée et recherchée par l’Armée britannique dans son occupation de la province dans les années 1970, avant de mener son propre agenda terroriste pour lutter contre les Nationalistes et Républicains irlandais. Elle a ainsi infiltré l’armée et les renseignements britanniques, de grandes loges maçonniques écossaises et orangistes. Devenue illégale seulement en 1992, elle serait de près de la moitié des morts du conflit. Le parti politique qui lui servait de vitrine officielle l’Ulster Democratic Party (UDP, à ne pas confondre avec le DUP de Ian Paisley et Arlene Foster) est un des signataires du Good Friday Agreement. Depuis son désarmement progressif depuis 2007, l’UDA s’est souvent recyclé dans le contrôle d’actions mafieuses et notamment le trafic de drogue.

5Democratic Unionist Party : Parti unioniste fondé en 1971 par des dissidents du parti unioniste officiel de l’époque (Ulster Unionist Party) pour lutter contre le mouvement des droits civiques et représenter le point de vue des loyalistes les plus intransigeants dans le conflit nord-irlandais. Il a été dirigé par le pasteur presbytérien fondamentaliste Ian Paisley de 1971 à 2008. Bien que non signataire des « Accords du Vendredi Saint », c’est son acceptation finale en 2007 de participer et conduire le gouvernement multipartite de la province avec le Sinn Féin qui sortira l’Irlande du Nord de la crise qui avait conduit à la suspension pendant 5 ans des institutions autonomes. Ian Paisley allait même être premier ministre de mai 2007 à juin 2008, avec pour vice premier ministre Martin McGuinness, un des principaux anciens chefs militaires de l’IRA. Le DUP a toujours récupéré depuis le poste de premier ministre.

6Sinn Féin : « nous-mêmes » en Gaélique. C’est le parti politique actuel le plus ancien d’Irlande. Fondé en 1905, il a poursuivi le combat indépendantiste engagé depuis plus d’un siècle. Il engage la révolution irlandaise à Pâques 1916, date à laquelle est créée l’Irish Republican Army (IRA). L’actuel Sinn Féin est issu d’une scission de 1970 contre les dirigeants officiels de l’organisation qui voulaient l’orienter dans une réorientation marxiste-léniniste faisant passer le combat nationaliste au second plan ; ces derniers se sont transformés en Workers’ Party, qui a un temps représenté l’extrême gauche en République d’Irlande avant de devenir marginale. Sinn Féin a mené de front une action politique et paramilitaire, qui en ont fait un acteur incontournable du Good Friday Agreement et de la vie politique démocratique en Irlande du Nord. Depuis 1997, Sinn Féin a également réussi sa réimplantation politique en République d’Irlande passant de 1,5% à 25% des suffrages aujourd’hui, où il est à la fois le premier parti du Dáil, l’assemblée irlandaise, et l’opposition au gouvernement libéral-conservateur. Son idéologie est évidemment nationaliste, mais surtout républicaine et socialiste.

7Alliance Party : Le Parti de l’Alliance d’Irlande du Nord est un parti non confessionnel, fondé en 1970. C’est le 5ème plus grand parti d’Irlande du Nord avec 8 sièges au sein de l’assemblée provinciale et un siège à Westminster. À l’origine, le parti de l’Alliance défend un unionisme modéré et non confessionnel. Toutefois, avec le temps et notamment dans les années 1990, il devient plus neutre sur la question de l’Union et se tourne davantage vers le libéralisme et le non-confessionnalisme. Il est membre du Parti libéral démocrate européen.

8SDLP : Social-Democratic and Labour Party – Parti travailliste et social-démocrate d’Irlande du Nord. Ce parti a été fondé en 1970 par plusieurs parlementaires régionaux proches du mouvement des droits civiques et refusant « l’abstentionnisme » (le refus de participer aux institutions provinciales et britanniques) des leaders traditionnels du nationalisme irlandais en Irlande du Nord. John Hume en a été le dirigeant emblématique de 1979 à 2001 et a été l’un des principaux négociateurs du Good Friday Agreement, pour lequel il a reçu le Prix Nobel de la Paix avec David Trimble, président de l’Ulster Unionist Party. Longtemps premier parti représentant les intérêts nationalistes irlandais dans la province, il a été surpassé depuis 2003 par Sinn Féin.

Weimarisation de la République fédérale : concept et processus

L’année 2021 va voir l’achèvement d’un phénomène que nos camarades installés en Allemagne nous décrivent depuis dix ans … mais un phénomène qui a débuté voici près de 20 ans : la Weimarisation de la République fédérale d’Allemagne.

La République de Weimar est restée dans les mémoires pour le Traité de Versailles, l’hyperinflation, l’incapacité des deux partis de gauche de s’allier, la crise économique des années 1930, et finalement, une coalition du centre droit et de l’extrême droite achevant son agonie.

L’instabilité ministérielle de Weimar s’accompagnait de l’absence de majorités claires, avec un émiettement en dizaines de micro partis catégoriels ou régionalistes obtenant des élus. C’est ce qui mena à la répétition de « grandes coalitions » associant centre gauche et centre droit, puis, dès 1930, à des gouvernements minoritaires au parlement qui contournaient celui-ci en utilisant des ordonnances.

Cela accéléra la défiance populaire à l’égard du parlement, et finalement, de la démocratie en soi,. Cette situation favorisa l’ascension du parti promettant un pouvoir fort, mais aussi d’unir en son sein toutes les classes sociales, selon un agenda raciste et une définition racialiste de la société, avec l’antisémitisme comme ciment, et le militarisme comme outil d’avenir, la colonisation de l’Europe orientale comme projet, le parti nazi.

L’une des faiblesses institutionnelles de Weimar, d’après les « spécialistes » qui pensent que le cadre juridique détermine les réalités sociales, aurait été la proportionnelle intégrale, favorisant l’émiettement du vote, et dès lors, l’incapacité de grands partis à constituer des blocs permettant un fonctionnement sain de la democratie, avec une alternance entre majorité et opposition des deux blocs. Cette interprétation trop répandue écarte toute analyse sérieuse sur la culture politique, historique et sociale construite par la domination du militarisme ultra-nationaliste prussien et sa sublimation raciste après la défaite de 1918…

Selon les mêmes interprètes, le mode de scrutin devait en quelque sorte favoriser la réconciliation des droites et des gauches pour que la démocratie fonctionne – la thèse des gauches irréconciliables étant dès lors l’un des pires poisons à donner à une démocratie. Le mode de scrutin de la République fédérale est par conséquent hybride : la moitié des députés sont élus « à la britannique » – le candidat arrivé en tête dans une circonscription emporte le siège – et l’autre moitié à la proportionnelle, avec une correction du nombre de sièges in fine.

De plus, pour réduire l’émiettement parlementaire de Weimar, la loi électorale fédérale a fixé un seuil de 5%, l’idée etant que le citoyen informé n’allait pas voter pour un parti sans chance sérieuse d’entrer au Bundestag et s’engagerait dans l’un des deux blocs pour y défendre son intérêt particulier.

Cela a longtemps marché : les Allemands de l’Ouest se sont longtemps organisés autour de deux grands partis de masse, les Völkerparteien, à gauche le SPD, à droite l’Union de la CDU et la CSU, chacun de ces deux partis fédérant des ailes droites, centriste au SPD, nationaliste au sein de l’Union, et de gauche, marxiste au SPD, chrétienne sociale au sein de l’Union. Le FDP, le parti libéral, à la fois sur les libertés publiques et les questions économiques, subsista seul comme petit parti.

Premiers signes

L’apparition des Verts dans les années 1980 allait commencer un processus d’émiettements par cercles successifs de sujets spécifiques. Les Verts regroupent à la fois des gauchistes que le SPD ne voulait pas organiser en son sein, et des conservateurs soucieux de la nature, et refusant des centrales nucléaires dans leurs jardins. C’est l’ambivalence des Grünen, entre anciens « amis » de la Rote Armee Fraktion (RAF) et bourgeois souabes surpris d’être frappés par la police en refusant un chantier de centrale nucléaire.

La réunification a initié de fait un nouvel émiettement, car le parti issu des anciens communistes de l’Est (parti socialiste unifié d’Allemagne – SED), devenu Parti du socialisme démocratique (PDS), n’ayant aucun allié naturel ou espace d’intégration avec les partis de l’Ouest, et subsistant une quinzaine d’années en tant que parti régional voire régionaliste, car moins « communiste » que défenseur des intérêts des Ossis (Allemands de l’Est) face à une réunification vécue comme une sorte de colonisation. Une étude récente d’ailleurs démontrait que l’Ossi, encore aujourd’hui, est perçu par la société allemande comme une sorte de migrant de l’intérieur : mêmes stéréotypes et discriminations silencieuses que pour un descendant de migrant.

En parallèle, la troisième voie social-démocrate a théorisé en Europe une rupture interne, tout à la fois concernant les classes sociales qu’elle représentait, que dans la synthèse des familles politiques constituant la gauche. Avant même l’apparition du clintonisme et du blairisme, le Labour britannique s’était divisé selon cette grille de lecture, les ailes droites et gauches devenant irréconciliables. L’évolution a suivi un long processus, avec des rythmes différents selon les spécificités nationales, dans la plupart des pays d’Europe occidentale. La social-démocratie n’a pas compris son incapacité à prendre réellemnt pied dans l’ancienne Europe de l’Est ; elle a cessé dans la même période d’être un espace d’engagement réellement militant, de formation, mais aussi d’encadrement. Sur ses décombres, dans les géographies de ses pertes électorales, ont émergé des partis d’extrême droite.

En Allemagne, ce mouvement s’engage surtout à partir de 2002.

On aurait pu penser que le système institutionnel l’emporterait sur les tensions sociales et économiques pour déterminer le paysage politique, selon l’interprétation de ceux qui considèrent que le cadre domine la dynamique sociale.

En 2002, on a encore deux grands blocs, un SPD encore populaire à 35%, une gauche majoritaire, une droite en un seul bloc à 35% et Les libéraux. Les anciens communistes disparaissent quasiment du parlement, à moins de 5% des voix, et seulement deux élues, qui emportent par leur implantation régionale leur circonscription. La démocratie semble solide, la loi constitutionnelle joue son rôle, il y a alternance entre deux blocs, mais aussi, modération du fait majoritaire par l’obligation de coaliser avec deux petits partis, qui servent d’amortisseurs, Verts ou FDP.

Schröder, le dynamiteur

Le deuxième mandat de Schröder va tout faire exploser.

L’agenda 2010 de réformes de l’assurance chômage et du droit du travail – les réformes Hartz 4 – n’était pas à l’agenda de la campagne de 2002. Il est annoncé en mars 2003, un peu à la surprise générale, et, grâce au soutien des Verts, s’impose aux oppositions de l’aile gauche du SPD et du syndicalisme allemand.

Dès 2004 naissent des scissions à l’aile gauche du SPD, qui s’organisent en 2005 avec les restes d’un parti agonisant, le PDS des ex communistes est-allemands. De cette alliance de bric et de broc naîtra les Linke ; elle est la conséquence directe de la volonté de l’aile droite du SPD de gouverner sans l’aile gauche, même au prix de ne plus être le parti matrice des synthèses à gauche. Rejeté par son électorat du fait de ces réformes, le SPD perdra en 2004 et 2005 Land après Land. Schröder a tenté de chercher son salut dans une élection anticipée, pour prendre de court à la fois la droite, où Merkel était encore considérée comme une présidente de transition, et sa gauche.

Son pari échoua de 8 000 voix. Mais le Bundestag en sortira bloqué.

Le parlement est privé de majorité de gauche ; la gauche est pourtant majoritaire, avec 327 sièges sur 614, mais le PDS et ses alliés (ils ne sont pas encore devenus Linke mais sont remontés à 8,7% des suffrages et 54 députés) et le SPD sont « irréconciliables », et les Verts est-allemands, issus des mouvements civiques dissidents comme Bündnis ’90, reconnaissent encore au sein des élus du PDS des anciens membres de la Stasi.

C’est donc le retour de la coalition maudite de Weimar : la « Grande Coalition ». Merkel devient chancelière, et n’aura plus qu’un programme politique : le rester.

L’explosion du parti de masse à gauche va progressivement renforcer l’émiettement politique et parlementaire.

La première GroKo (abréviation populaire de grande coalition) va voir une première résurgence de l’extrême-droite avec le parti néonazi NPD, mais aussi le « parti pirate », libertarien et laïc (il réclame la séparation des Eglises et de l’Etat).

L’émiettement weimarien s’accompagne de l’impossibilité de faire des majorités de droite ou de gauche. Il apparaît d’abord dans les votes communaux, régionaux. On commence à parler de coalitions bizarres, utilisant parfois les couleurs des drapeaux de nations lointaines pour désigner les associations de couleur des partis : Jamaïque, Kenya, Feu rouge, etc.

L’élection fédérale de 2009 sanctionna l’explosion de la gauche avec un SPD effondré à 23% – il était à 42% en 1998. Mais la droite aussi ne retrouve pas pour autant ses grands scores, et ce sont les Libéraux du FDP qui apparaissent comme le sas de sortie d’une partie de l’électorat ; ils remplacent le SPD comme partenaires de coalition de l’Union. Au total, les deux anciens grands partis de masse ne regroupent plus que 60% de l’électorat, contre 85% en moyenne de long terme. Les 3 « petits partis » font chacun plus de 10%. Le vote pour des partis non représentés au parlement a également progressé : cela représente 8% des suffrages démontrant ainsi qu’une part croissante de l’électorat veut voter pour son parti de cause unique coûte que coûte.

2009 marquait ainsi la fin de l’équilibre institutionnel instauré par la loi fondamentale en RFA, mais sur le chemin de la Weimarisation il manquait encore un composant essentiel.

Les sociaux-libéraux choisissent la soumission et la marginalisation de la gauche

L’élection fédérale de 2013 représenta l’accélération de cette Weimarisation, masquée sur un scrutin par la popularite d‘Angela Merkel. Son parti connaît un rebond, que l’on sait avoir été ultime, à 42%. Mais sa politique est rejetée, et c’est le FDP qui en fait les frais ; son allié de coalition n’arrive pas à rester au Bundestag en passant de 14,7% à moins de 5%.

Cette année là, l’AfD manque de peu son entrée au Bundestag. Sa progression suivra aux européennes, aux régionales, et son apparition détraque un peu plus le jeu institutionnel prévu par la loi fondamentale.

Seulement 85% des suffrages exprimés sont représentés au Bundestag – 15% des électeurs (+7 points!) ont choisi des partis en connaissant le risque de ne pas être représentés.

Ce n’est que grâce à cela que la gauche en 2013 est à nouveau majoritaire sur le papier. Ainsi, tout au long de ce mandat, de 2013 à 2017, la gauche aurait pu, aurait dû, surmonter ses désaccords « irréconciliables » et aurait pu, aurait dû, renverser Merkel. Celle-ci, obsédée par le possible rassemblement des gauches, fera tout pour l’empêcher, y compris s’asseoir sur les traités internationaux pour ouvrir les frontières.

On ne reviendra pas en détail sur la responsabilité des gauches ici. Dans un contexte de Weimarisation, reconnaissons seulement que 2013-2017 était la fenêtre d’opportunité pour retrouver l’équilibre institutionnel prévu par la loi fondamentale, et reconstruire un bloc de masse. Les classes bourgeoises sociales-libérales refuseront la reconstitution de la synthèse social-democrate structurante et choisiront la marginalisation.

L’émiettement final … ?

Les élections de 2017 voient le retour des faiblesses de Weimar : l’extrême droite est de retour, avec 12% des suffrages et 94 députés.

On compte pas moins de 6 partis représentés au Bundestag. Aucun bloc n’est majoritaire.

L‘Union fait l’un de ses pires scores historiques à 33%, le SPD son pire score historique, à 20%, retrouvant un niveau …. d’avant la première guerre mondiale.

Pendant les 6 mois qui suivront l’élection, l’Allemagne n’aura qu’un gouvernement démissionnaire, expédiant les affaires courantes.

La GroKo se réforme sans enthousiasme, secouée pendant deux ans de crises internes. La droite se fissure, entre aile droite tentée par l’alliance avec l’AfD, et une aile centriste n’excluant pas des alliances régionales avec les … anciens communistes devenus Linke.

La crise pandémique a provoqué un rassemblement national des partis associés aux exécutifs régionaux. L’AfD en a été exclue, elle a perud en visibilité, en vote (lors des récentes élections régionales dans le sud-ouest de l’Allemagne – https://g-r-s.fr/enseignement-des-elections-locales-en-allemagne/) et en intention de vote, du moins en apparence.

Mais l’émiettement se poursuit et s’achève.

En 2021, Merkel ne se représentera pas.

La GroKo bancale de 2018-2021 aura été une mauvaise affaire tant pour le SPD, passé définitivement sous les 20%, que pour l’Union, qui s’effondre dans un dernier sondage à 26%, et pour la démocratie.

8% des électeurs refusent le jeu institutionnel et s’entêtent sur des partis sans aucune chance de représentation parlementaire : NPD, Pirates, mais aussi partis communautaristes, animalistes, ultragauchistes ou satiriques. Ce sont les Sonstige, les « divers ».

Les Verts occupent l’espace du Nouveau Centre, du Zentrum de 1928.

Théoriquement, si le sondage Forsa du 24 mars 2021 était le résultat des prochaines élections fédérales de septembre 2021, la gauche de l’ancien temps serait majoritaire en sièges. Incapable de parler ensemble en 2005, seulement capables entre 2013 et 2017 de s’allier en fin de mandat, pour passer contre Merkel le mariage pour tous, il est cependant peu probable qu’ils se coalisent en 2021.

La compréhension historique et sociologique des Verts ne les conduisent pas à « éviter de refaire Weimar ». Leur ambition structurante s’est affranchie peu à peu des réflexions issues du gauchisme allemand qui les a un temps caractérisés. Ce sont pourtant eux qui devraient avoir les cartes en main, tout au long de la campagne, et, sauf accident dramatique pendant la campagne, après.

Ce que Merkel avait retardé en 2011 en décidant à la surprise générale l’arrêt du nucléaire, alors que les Verts étaient déjà à 20% des intentions de vote, pourrait se produire dix ans après.

La question pour l’Allemagne, est de savoir si elle retourne aux vieux démons enfantés par Weimar, ou si elle inventera d’une nouvelle synthèse post-unification…

Les classes populaires y seront-elles associées, ou le séparatisme satisfait d’une bourgeoisie prospère va-t-il accentuer encore les fractures de la société allemande ?

C’est l’enjeu tant de la gestion de la crise pandémique que de l’élection fédérale dans six mois.

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