L’Allemagne, malade du logement

Der Spiegel, numéro 2018, 24 février 2021

La période 2008-2020 a vu la démocratie allemande tomber malade. Alors que ses voisins se plaignent de son hégémonie économique, ou la jalouse, la population allemande n’a pas profité dans sa majorité de ce que l’on perçoit à l’extérieure comme une insolente réussite.

Les salaires et le pouvoir d’achat de 50% des Allemands les plus modestes ont d’après toutes les études au mieux stagné, pour le tiers le plus modeste baissé. De plus, le revenu disponible s’est trouvé comprimé par un phénomène tout à fait nouveau en Allemagne : l’inflation des loyers et des prix de l’immobilier.

On dit souvent que l’économie au sein de la zone euro est structurellement déflationniste. C’est vrai, c’est une observation incontestable. Mais il existe des poches inflationnistes ayant un impact démesuré sur les classes populaires, et l’accès au logement est l’un de ces impacts.

Comme le démontre le graphique publié le 24 février 2021 dans le Spiegel, les prix à l’achat en base 0 en 2005 ont progressé de 0 à 198 entre 2010et 2020 (x3), le coût des loyers en base 0 en 2005 a progressé de 10 à 67 (+57%) entre 2010 et 2020.

Ce phénomène illustre l’aggravation des inégalités en Allemagne, selon un modèle que l’on retrouve également en France : si la masse salariale progresse, cette progression reste concentrée sur les plus hauts salaires. La majorité des salariés n’en voient pas la couleur. De plus, le surplus de revenu des hauts salaires leur permet de renforcer aussi leur patrimoine, dont ils tirent des revenus supplémentaires payés par les classes populaires et moyennes sous la forme de loyers, ou de plus values sous fiscalisées.

En Allemagne, deux études récentes ont pointé du doigt l’extrême inégalité des patrimoines, avec une inégalité de répartition retrouvant le niveau de … 1910.

Pourtant, les discours officiels de la raison, en Europe comme en Allemagne, pointent du doigt non pas ces évolutions au sens de la masse salariale, du revenu effectivement disponible, ou de l’inégalité du patrimoine, mais les outils de redistribution de la solidarité nationale. Revenus minimums d’insertion créés par des libéraux et réforme des retraites vont main dans la main pour réduire la solidarité à une forme de charité condescendante, conditionnant la survie biologique à la conformité sociale et politique des classes les plus pauvres.

L’explosion des recours aux banques alimentaires et le rapport à l’aumône public, RSA, Hartz4 ou RUE, nous ramènent aux débats sur la pauvreté du XVIIIème siècle.

Ces inégalités se renforcent par l’injustice devant l’impôt : dans toutes les démocraties, l’impôt sur le revenu est une recette marginale de États, qui se financent surtout par les impôts indirects, qui touchent proportionnellement plus les pauvres que les riches.

De plus, les revenus tirés du capital sont proportionnellement beaucoup moins imposés que ceux du travail. La fable de « l’entrepreneur criblé de charges et d’impôt » peut trouver un certain nombre d’exemples parmi les TPE, mais ne résiste pas à l’examen scientifique. Les 10% de salariés les plus modestes consacrent une part plus importante de leur revenu à l’impôt que les 10% les plus riches, même après application d’une fiscalité (de moins en moins) redistributive. Les entrepreneurs modestes, ceux dont les revenus ne dépassent pas 2 000 euros mensuels, ceux-là vivent le même quotidien que les salariés sous le médian.

La démocratie en est malade. Les subventions au capital ne sont pas contrôlées. Les administrations de contrôles, inspection du travail, inspection fiscale, sont désarmées. En Allemagne, il a fallu que des responsables politiques achètent des CD-rom de données à des lanceurs d’alertes pour que des fraudeurs soient confondus. En France, les révélations des Panama Papers et Luxleaks ont conduit à des transactions à l’amiable, entre amis, sans poursuites. Les scandales CumEx n’ont eu aucune conséquence pour les banques impliquées. OpenLux n’a généré que des réactions faibles.

Dans le même temps, une personne dans la pauvreté doit justifier de l’emploi de chaque centime de son revenu social. Le contrôle à la fraude sociale mobilise plus de moyens que le contrôle de la fraude fiscale, pour des montants bien moindres en coût social. Le pauvre doit même accepter le contrôle de sa vie intime : en Allemagne, l’accès au planning familial sera subordonné à un avis favorable de l’organisme distribuant le minimum social. Ce minimum est d’ailleurs maintenu à un niveau à peine supérieur au seuil qui permet de survivre, et en dessous de ce qui permet une vie digne.

La démocratie en Europe en est malade.

Lorsque la gauche raisonnable de gouvernement se fait élire sur un agenda de justice fiscale, rendant célèbre un historien du patrimoine comme Piketty, en promettant la « réforme de toutes les réformes » avant de confier Bercy à un fraudeur fiscal. Cet effet ciseau moral et politique a entraîné tout le discours sur les inégalités économiques et la critique sociale de l’ordre économique dans sa chute. Une grande coalition centriste s’établit ainsi, perdant chaque année tant sur ses marges populaires que possédantes.

La GroKo allemande est passée de 67% des voix en 2013 à 55% en 2017 et ne pèserait plus dans les sondages que 48%. Dans le même temps, l’extrême-droite est revenue au Bundestag avec 12,5% des voix.

En France, l’extrême droite voit selon toutes les enquêtes d’opinion sa présence garantie au second tour de l’élection présidentielle. Dès 2016, l’hypothèse de sa victoire était devenue crédible avec des sondages montrant le “héros de la justice fiscale”, Hollande, battu par Le Pen. En 2021, “le héros du progressisme”, Macron ne compte plus que 4 points d’avance sur Le Pen dans les sondages de second tour, alors qu’il en comptait 22 en 2017.

Logement, salaire, imposition équitable, solidarité nationale, sécurités sanitaires et physiques, promesse d’enseignement des enfants : Les aspirations des Européens n’ont pas changé en 50 ans. Le capitalisme contemporain n’est pas différent de celui qui précédait le compromis (forcé) des Trente Glorieuses : il favorise une minorité de jouisseurs sur une majorité plongée dans un purgatoire infini.

Climat et Résilience : lobbies, vessies et lanternes

Le projet de loi “Climat et résilience”, qui est censé mettre en musique les propositions de la Convention constituée de 150 citoyens, est présenté ce mercredi 10 février 2021 en conseil des ministres. 

Le gouvernement assure que ce texte rendra “crédible” l’atteinte de l’objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. 

Avec ses 65 articles, cette loi “ambitieuse et riche dont le gouvernement n’a pas à rougir”, “ancre l’écologie dans la société française et fait le dernier kilomètre de la transition écologique”, déclare-t-on à Matignon. Une affirmation mensongère quand on confronte l’exécutif à sa pratique réelle et au détricotage en règle des 149 propositions de la Convention climat. 

Un texte qui doit plus aux lobbies industriels qu’à la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) 

« Les lobbies industriels ont mené une guerre de l’ombre contre la Convention climat. » C’est ce que démontre l’Observatoire des multinationales dans un rapport rendu public lundi 8 février. Au fil des pages, les auteurs retracent « l’offensive acharnée » des secteurs les plus concernés par les propositions des citoyens et des citoyennes comme l’automobile, l’aérien, l’agrochimie ou la publicité. 

Pour l’ONG, cette séquence ouvre une nouvelle étape dans la bataille climatique. Si les objectifs généraux de réduction des émissions de CO2 sont désormais acceptés, le combat s’est déplacé sur les modalités de cette transition. « Les industries veulent maintenir un laisser-faire total quant aux moyens pour les atteindre […] Ils nient ou minimisent leur responsabilité […] et se posent en victime », écrivent les auteurs du rapport. Après « l’agribashing », ils crient maintenant à l’« aviation-bashing », l’« auto-bashing », le « pub-bashing », voire à l’« entreprise-bashing ». 

Concrètement, ces industriels ont usé de tous les leviers disponibles pour décrédibiliser la CCC. Ils se sont mobilisés de manière coordonnée et n’ont pas lésiné sur l’achat de services de professionnels de la communication. Les cabinets de conseil Boury Tallon ou Batout Guilbaud ont été très sollicités sur le dossier de la CCC, notamment par Air France ou par le groupe chimique allemand BASF. 

Cet automne, le Tout-Paris du lobbying était en ébullition : organisations patronales, avocats d’affaires, groupes de réflexion libéraux… Chacun a été mis à contribution pour produire des contre-argumentaires ou interpeller les pouvoirs publics. « On a même vu des lobbyistes de Monsanto aller au secours de l’aviation », observent les auteurs du rapport. L’Association internationale du transport aérien (IATA) a ainsi fait appel à l’un des partenaires historiques de la firme agroalimentaire, FleishmanHillard, un groupe spécialisé dans la réputation des entreprises — impliqué, d’ailleurs, dans le scandale des « Monsanto papers ». 

Même si ces manœuvres se sont jouées en coulisses, quelques traces visibles témoignent de cette effervescence. Plusieurs documents ont fuité dans la presse comme la lettre du Medef dénonçant le délit d’écocide ou celle de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) — le lobby de l’agroalimentaire — contre l’interdiction de la publicité pour la malbouffe. 

En parallèle, une multiplicité d’événements ont été organisés par les industriels. Des parlementaires et des membres du gouvernement y étaient évidemment conviés. Dès juin 2020, quelques jours à peine après la publication des propositions de la CCC, la société M&M Conseil a lancé une série de rencontres autour de « la transition », réunissant élus et industriels. En septembre, BASF (agrochimie) et Coenove (gaz vert) ont financé un colloque sur « l’accélération écologique ». Ce qui leur a permis, avec le syndicat agricole majoritaire la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), de dialoguer avec des parlementaires chargés d’examiner le projet de loi. Deux semaines plus tard, Total vantait le mérite des agrocarburants dans une rencontre similaire. 

En novembre, alors que la France était confinée et que les mesures phares de la CCC n’étaient pas encore arbitrées au sein du gouvernement, plusieurs événements professionnels ont eu lieu. Au Paris Air Forum, Thales, Airbus et surtout Safran ont défendu la cause de l’avion décarboné. Des « états généraux de la communication » se sont également déroulés sous la houlette de Havas pour évoquer le thème de la publicité. Mercedes Erra, la présidente exécutive, s’est alors félicitée d’être « parvenue à convertir les politiques ». Quasiment toutes les mesures concernant la publicité ont été retirées du projet de loi. 

Si ce lobbying a si bien réussi, écrivent les auteurs du rapport, c’est aussi parce que les professionnels ont pu compter « sans surprise » sur l’administration elle-même : « Les industriels ont cherché leurs principaux alliés dans les ministères. » 

On a ainsi vu la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) étriller l’idée d’une redevance sur les engrais azotés ou encore la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) surévaluer le coût de l’écocontribution sur les billets d’avion. Ces études ont été contestées pour « leur méthodologie rudimentaire » et leur partialité mais elles ont servi de base argumentaire aux industriels. 

La similitude de leurs profils sociaux et professionnels des Hauts Fonctionaires, dirigeants macronistes et industriels, leur recrutement dans les mêmes écoles, ou encore les « portes tournantes » entre privé et public expliquent la situation actuelle et les levées de boucliers au sein même de l’État. 

Les industriels millionnaires n’ont pas hésité non plus à se faire les porte-parole autoproclamés des masses populaires. Il y a de quoi trouver suspect que les plus éminents représentants de la classe stato-financière découvre soudainement l’intérêt de défendre les catégories populaires qui s’étaient révoltées au travers du mouvement des « Gilets Jaunes » contre des mesures qui ne tenaient pas compte de leur quotidien et de la réalité sociale. Mais ici rien qui ne ressemble à une forme d’écologie populaire. Il s’agit plutôt de remettre en cause par principe la nécessaire transition écologique. Ainsi ils défendent « la liberté du consommateur » via des associations comme 40 millions d’automobilistes — financée au deux tiers par de grandes entreprises. Certains lobbyistes ont poussé le confusionnisme jusqu’à accuser les cent cinquante citoyens de « conforter le clivage entre la France déclassée et celle des métropoles ». Mais comme le note l’Observatoire des multinationales, on est en droit de supposer que les citoyens tirés au sort sont bien plus représentatifs de la France périurbaine que ces professionnels habitués des cabinets ministériels. 

C’est un véritable « un tournant libertarien » qui est en cours et qui rappelle « les stratégies déployées par les industriels aux États-Unis ». Selon eux, cette évolution explique « le degré supplémentaire de violence observé dans les discours et la proximité, plus ou moins assumée avec l’extrême droite ». Par exemple, le délégué général de 40 millions d’automobilistes est intervenu sur le site conspirationniste Boulevard Voltaire pour enfoncer la CCC. Le chroniqueur proche du transhumanisme Laurent Alexandre et Olivier Babeau, de l’Institut Sapiens, se sont rendus avec le journaliste du Figaro Ivan Rioufol à la Convention de la droite de Marion Maréchal. Contre le climat, une nouvelle alliance se profile. Un agglomérat mêlant conservatisme et défense du business as usual. Comme l’écrit l’Observatoire des multinationales, « leur influence apparaît plus que jamais comme un obstacle à toute réelle action climatique ». 

Un projet de loi qui a subi un tri sélectif avant d’être édulcoré en amont et en aval 

Hormis les trois mesures écartées d’emblée par le chef de l’Etat, comme la demande d’un moratoire sur la 5G, le gouvernement assure que toutes les autres propositions des Citoyens sont mises en œuvre (75) ou en cours de mises en œuvre (71), dont une cinquantaine dans ce projet de loi, outil privilégié de leur déploiement. Selon l’étude d’impact du gouvernement, ce texte permettra de “sécuriser” entre la moitié et les deux tiers de la baisse des émissions prévues d’ici 2030. Sans compter l’effet “difficile à quantifier” de l’impact “culturel” de certaines mesures comme le “CO2-Score”, sorte de “nutriscore” pour l’impact climatique des produits, note-t-on au ministère de la Transition écologique. 

Mais si les mesures présentées sont jugées “en général pertinentes”, elles sont souvent “limitées”, “différées”, et “soumises à des conditions telles qu’on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché”, a jugé le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les nombreuses critiques pointent surtout des mesures “édulcorées”, notamment sur la demande de création d’un “crime d’écocide” devenu délit dans le projet de loi. 

La CCC recommandait aussi l’interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants. Le texte interdit celle pour les énergies fossiles, en complétant avec des “codes de bonne conduite”. En matière de logement, un des secteurs les plus émetteurs de CO2, la CCC demandait la rénovation énergétique obligatoire des bâtiments d’ici 2040. Le projet de loi interdit la location des passoires thermiques à partir de 2028. Dans ce domaine, en fonction des conclusions attendues en mars d’une mission lancée par le gouvernement, des amendements pourraient compléter le dispositif lors du débat parlementaire. 

Vu l’étendue des domaines couverts par cette loi, de l’éducation aux finances en passant par les collectivités locales, une commission spéciale de l’Assemblée nationale devrait examiner le texte en mars, avant le passage dans l’hémicycle en avril. Et certains élus souhaitent déjà modifier le texte, dans un sens ou dans l’autre. Comme le député écologiste ex-LREM Matthieu Orphelin qui a identifié “cinq mesures de plus” qui permettraient selon lui de “multiplier par près de quatre les émissions de CO2 évitées en 2030″. Ou le sénateur Jean-François Longeot (UDI) qui veut introduire des mesures sur l’impact environnemental du numérique. Ce domaine n’est pas couvert par le texte qui se décline en six chapitres : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir et renforcer la protection judiciaire de l’environnement. Les « Citoyens » eux doivent se réunir une dernière fois officiellement fin février pour juger de la réponse de l’exécutif à leurs propositions. 

Un projet de loi peu crédible au regard d’un gouvernement qui triche sur la réalisation des objectifs écologiques 

La France a bien dépassé son objectif de réduction pour 2019, comme l’ont souligné dimanche Emmanuel Macron et Barbara Pompili. Mais le plafond fixé pour cette année-là avait été relevé. La baisse doit, en outre, s’accentuer dans les années à venir si le gouvernement veut tenir ses engagements. 

Un cocorico en règle. “La France a baissé ses émissions de gaz à effet de serre en 2019 de 1,7%. C’est au-delà de notre objectif !”, se félicite Emmanuel Macron dans un tweet dimanche 7 février. Même satisfecit quelques heures plus tôt de la part de la ministre de la Transition écologique. “En 2019, la France a tenu ses engagements climatiques et c’est une excellente nouvelle”. 

Or cet enthousiasme de l’exécutif n’est en réalité qu’un banal et triste coup de communication. 

Le ministère de la Transition écologique a précisé, lundi 8 février dans un communiqué, que la France avait émis 437 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Mt CO2e) de gaz à effet de serre en 2019, selon l’estimation actualisée du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). Cette association, dont les travaux servent de référence, a calculé qu’en 2018 les émissions françaises s’élevaient à 444,8 Mt CO2e. Avec 7,8 Mt CO2e d’émissions en moins en un an, la baisse est donc bien de 1,7%, et même un peu plus (1,75% précisément).  

Toutefois, cette légère inflexion des émissions de gaz à effet de serre constatée en 2019 apparaît bien davantage liée à la conjoncture qu’aux mesures prises par le gouvernement. Le Citepa note ainsi qu’elle est due à 55% à une moindre consommation énergétique des bâtiments. L’hiver ayant été doux, les Français ont fait marcher leur chauffage moins fort. 

Quant à l’autre principale baisse mesurée, elle est liée à la désindustrialisation de la France. La diminution de la production d’acier, de ciment ou de verre a entraîné une diminution de la consommation de gaz naturel et de charbon de l’industrie chimique et métallurgique, relève le Citepa. Le Citepa note toutefois un ralentissement de cette réduction des émissions puisqu’elle avait été de 4% entre 2017 et 2018 (18,7 Mt CO2e d’émissions en moins). 

Avec 437 Mt CO2e émises en 2019, la France est certes en dessous (de 6 Mt CO2e) de l’objectif de 443 Mt CO2e qu’elle s’était imposé. Mais c’est oublier que le gouvernement l’a revu à la baisse, le rendant plus facile à atteindre. L’objectif initial était une baisse de 2,3% et reporter les baisses à plus tard n’est pas responsable”. 

Il est donc bien malhonnête de tronquer la vérité et de ne pas indiquer que l’objectif 2019 a été modifié début 2020 pour être rendu plus facile à atteindre (avec la révision de la SNBC). 

Cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre est inscrit noir sur blanc dans la Stratégie nationale bas carbone. Cette SNBC, née en 2015 avec la loi sur la transition énergétique, sert de “feuille de route” à la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, comme l’explique le ministère de la Transition écologique. Celle-ci détermine des budgets carbones, c’est-à-dire les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser, exprimés en millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2e). Ces objectifs à court et moyen termes tracent une trajectoire jusqu’à 2050. Avec la neutralité carbone comme but ultime à cette date. 

Le premier budget carbone, entre 2015 et 2018, n’a pas été tenu, souligne le Citepa. Les 442 Mt CO2e annuelles moyennes visées ont en réalité atteint 456 Mt CO2e. Le tribunal administratif de Paris vient d’ailleurs de condamner l’Etat pour “carence” dans le non-respect de ses engagements sur cette période. 

Pour le deuxième budget carbone, qui couvre la période 2019-2023, le plafond annuel moyen d’émissions a d’abord été fixé à 398 Mt CO2e, puis à 421 Mt CO2e. Mais la SNBC a été revue. Dans sa version de mars 2020, le plafond annuel moyen des émissions a encore été relevé à 422 Mt CO2e. A partir de 2020 et jusqu’en 2023, il est prévu qu’il soit raboté de 13 Mt CO2e chaque année. Mais pour 2019, le seuil était ainsi encore de 443 Mt CO2e. Cela tombe bien car dans une pré-estimation provisoire, le Citepa tablait sur 441 Mt CO2e d’émissions en 2019. Juste en dessous de la barre fatidique. 

Pour autant, même si ces 437 Mt CO2e d’émissions permettent de respecter l’objectif pour 2019, ce chiffre reste inférieur à la moyenne de 422 Mt CO2 à atteindre sur la période 2019-2023. Afin que les objectifs des années suivantes soient atteints, il faudra que la baisse soit de 3% par an en moyenne à partir de 2020, et non de 1,7% seulement. 

La pandémie de Covid-19 pourrait avoir aidé le gouvernement à atteindre son objectif pour l’année écoulée. Le Citepa fait remarquer que le confinement, le coup de frein donné au secteur des transports et la crise économique ont provoqué une “forte baisse” des émissions de gaz à effet de serre, au moins pendant une partie de l’année. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) estimait dans un rapport rendu en avril que la pandémie pourrait avoir entraîné une chute des émissions de l’ordre de 5 à 15%. 

Le gros de l’effort est en réalité reporté à plus tard. Le troisième budget carbone (pour la période 2024-2028) prévoit une réduction des émissions de l’ordre de 15%, avec un plafond fixé à 359 Mt CO2e par an en moyenne. Puis le quatrième budget carbone (2029 à 2033) table sur 300 Mt CO2e émises par an en moyenne, soit plus de 16% de baisse. 

Les étudiants abandonnés par le gouvernement

Les tentatives de suicide ou suicides d’étudiants se multiplient ces derniers temps. En plus d’être effroyables, elles sont d’une certaine manière marquées du sceau du tragique en ce sens que rien n’est fait pour qu’elles ne se produisent pas. Le Gouvernement est, non seulement coupable par son inaction, mais également pour sa “dés-action” car l’impression que tout est fait à l’encontre des étudiants est prégnante. Le fait que la Ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ait été obligée par des sénateurs d’évoquer la tentative de suicide qui s’est produite à Lyon 3, il y a trois semaines, lors des Questions au Gouvernement d’il y a quinze jours est symptomatique du cynisme de la Macronie à l’encontre des étudiants.

Ce jeudi 14 janvier, afin de pallier cette situation, l’on apprend que le nombre de psychologues dans les universités va être doublé. Plus à côté de la plaque, tu meurs. Cette expression pourrait faire sourire si des vies n’étaient pas en jeu, mais c’est pourtant le cas. Le Gouvernement semble ne pas l’avoir compris ou alors, s’il l’a compris, saluons sa volonté indéfectible d’entraîner les étudiants vers la mort sociale.

Voilà presque une année maintenant que les cours se tiennent quasiment dans leur intégralité en visioconférence. En plus de problèmes techniques – car tous les étudiants ne disposent pas forcément d’ordinateurs ou de connexion internet fonctionnels – et pédagogiques – car suivre un cours depuis un ordinateur demande des efforts de concentration considérables -, les étudiants sont privés de toute socialisation. L’université n’est pas qu’un espace de travail et d’apprentissage. C’est également un lieu où l’on se rencontre, où l’on se forme personnellement, où l’on débat pour se former intellectuellement, où l’on participe à des activités associatives… L’université, ce n’est donc pas qu’une histoire d’études mais aussi une histoire de vie. L’espèce humaine est une espèce éminemment sociale, les étudiants ne font pas exception à la règle, ils en sont même le paroxysme.

En dehors de cela, certains étudiants vivent seuls, enfermés, depuis presque une année maintenant. Parfois éloignés de leurs familles, arrivant en première année, ils sont livrés à eux-mêmes dans un petit studio à peine fonctionnel et n’ont aucun contact social. Pour soulager ces maux, l’on a rien trouvé de mieux que d’augmenter à plusieurs reprises leurs aides personnalisées au logement (APL). Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt.

Que dire également des étudiants internationaux, loin de chez eux, plus isolés que jamais, sans aucun soutien financier ? Et que dire des étudiants qui payaient leur loyer grâce à un petit boulot et qui se retrouvent aujourd’hui, soit impayés, soit en chômage partiel et donc privés d’une partie de leur salaire ? Il est évident qu’un étudiant qui doit travailler pour subsister, c’est déjà un étudiant de trop, tant les deux devraient être incompatibles. Surtout, quelles perspectives existeront pour des étudiants qui entreront sur un marché du travail exsangue et dans le marasme économique le plus total ?

La situation des étudiants est dramatique, mais s’y ajoute celle des étudiants et lycéens dans une formation professionnelle.

En effet, cette crise sanitaire s’accompagne d’une crise sociale et économique, où nombre d’entreprises ont mis la clef sous la porte ou sont en faillite et fermeront in fine.

Dès lors, que faire lorsque nous sommes apprentis, en CAP et ou bac professionnel, que nous allons au lycée une semaine puis l’autre à l’atelier ou au garage ?

Parfois, le plus souvent même, ces élèves sont issus des milieux populaires et le revenu de la formation professionnelle est particulièrement important pour le foyer.

L’incertitude gagne les petites et moyennes entreprises. La difficulté à se projeter dans le futur et la vie professionnelle, la crainte pour les entreprises, voire la frilosité à embaucher des jeunes en apprentissage ou en alternance grandit malgré les promesses de primes pour celles qui embaucheront un apprenti, cette prime sera-t-elle seulement suffisante ?

Que fait la Macronie contre tous ces maux ? Rien, strictement rien. Pire encore, au lieu d’essayer de les soulager, elle les aggrave. L’on a demandé aux étudiants et plus généralement aux jeunes de faire des efforts au nom de la société. Ces efforts ont été effectués avec beaucoup de courage et une volonté de fer. Mais que lui rend cette société en retour ? Absolument rien. La dernière idée du Gouvernement Castex : un couvre-feu national à 18h. Pour les étudiants, cette option est pire qu’un confinement. Le confinement autorisait en effet une sortie quotidienne d’une heure. Sortie que les étudiants faisaient généralement en début de soirée, à la fin de leur journée de cours. Avec le couvre-feu à 18h cela est impensable. Se réveiller à 8h pour ses cours, être collé à un écran toute la journée et à la fin de ses enseignements, rester chez soi pour cause de couvre-feu, c’est ne pas avoir respiré l’air de l’extérieur de la journée.

Si l’on fait le bilan de ce qui a été fait, défait ou pas fait vis-à-vis des étudiants depuis le début du mandat du Président Macron, un constat apparaît nettement : les étudiant sont, entre autres – les Gilets jaunes, retraités, classes moyennes et non ultra-riches de manière générale, nous ne vous oublions pas -, les sacrifiés du quinquennat.

Une pensée émue aux proches des étudiants et aux étudiants qui tentent de mettre fin à leurs jours et aux proches de ceux qui sont tragiquement mort, comme ce fut le cas d’une étudiante de la Sorbonne le vendredi 15 janvier…

La Gauche républicaine et Socialiste propose plusieurs réponses et soumet plusieurs propositions pour répondre à la précarité étudiante :

-Le RSA jeune est une solution, mais elle est insuffisante.

Il faut également reconnaître les besoins spécifiques de la jeunesse, bourses, emplois, accompagnement spécialisé pour les étudiants en ayant besoin.

– Un dispositif “garantie jeunes” renforcé, une aide à la formation et à l’emploi.

-Un suivi psychologique renforcé.

-Il faut également abroger la réforme assurance chômage repoussé à avril.

-Améliorer l’accès au CROUS

-Adapter les examens, quand le semestre se passe intégralement en distanciel et quand certains étudiants ne peuvent pas suivre l’intégralité des cours.

-Enfin, des mesures sanitaires respectées quand les cours ont lieux en présentiels.

Dans la phase transitoire, seuls les droits automatiques fonctionnent. Créer des emplois jeunes est long, la garantie jeune est complexe. Il faut désormais les deux.

Le RSA pour assurer des revenus et des emplois jeunes, et une stratégie de l’État garant de l’emploi en dernier ressort.

Les dispositif “emplois jeunes” et “garantie jeunes” n’ont pas conjuré l’exclusion et la pauvreté des jeunes.

La “garantie jeunes” ne marche que pour les jeunes qui ne sont pas éloignés de l’emploi, et la généraliser à tous ceux qui en ont besoin est infaisable.

C’est pourquoi il faut en plus leur verser le RSA et créer de nouveaux emplois.

Il faut de plus distinguer les jeunes en formation auxquels il faut verser une véritable allocation d’étude garantissant leur autonomie.

La droite allemande en 2021, entre social conservatisme, néolibéralisme et retour du nationalisme

Ce week-end, la CDU, le parti chrétien-démocrate allemand, auquel appartient la chancelière Angela Merkel, a tenu son congrès virtuellement.

Crise pandémique oblige, le congrès en présentiel de décembre 2020 avait été repoussé et organisé en ligne en janvier. Un bon millier de délégués ont donc voté sur les orientations stratégiques et les choix de personnes en vue de l’élection fédérale de septembre 2021.

Une personne était absente : Angela Merkel. Son parti l‘a obligée dès 2018 à annoncer son retrait après la campagne de 2021. Dès cette date, elle a abandonné la présidence du parti. Pourtant, jamais elle n’a été plus populaire que pendant cet hiver en pleine crise pandémique.

Un nouveau président a été élu : il s’agit d’Armin Laschet, avec 55% des voix des délégués, face à deux concurrents, le néolibéral Friedrich Merz, ancien PDG de Blackrock Allemagne, et le centriste Norbert Röttgen, lors un vote étonnamment ouvert pour un parti allemand. Laschet l’emporte sur Merz au second tour avec un score équivalent à celui qu’avait fait Annette Kramp-Karrenbauer en 2018 face à… Merz.

La ligne de la CDU n’est pas déterminée

Ce congrès, à 8 mois de l’élection fédérale, n’a cependant pas permis de trancher la ligne politique de la future campagne, entre continuité sociale-conservatrice, réformes néolibérales, et tournant nationaliste. La vie interne à la CDU est en effet rythmée, depuis le retour de l’extrême-droite au Bundestag avec 94 députés, par les actes de violence de celle-ci (émeutes racistes et antisémites à Chemnitz, attentat antisémite de Halle, attentat raciste de Kassel, meurtre politique de l’élu CDU pro-migrant Walter Lübcke par un commando néonazi).

Le quotidien plutôt libéral-conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung constatait il y a une semaine que le patrimoine des 10 Allemands les plus riches avait progressé de… 233%.

Aujourd’hui, au lendemain de la défaite du néolibéral Merz à la présidence de la CDU, le FAZ réclame à celle-ci de travailler “en équipe” – c’est-à-dire en intégrant le vaincu à un poste de pouvoir – et de “redécouvrir l’économie de marché” – les 16 années de Merkel paraissant aux néolibéraux des années de stagnation quasi soviétique.

Pourtant, le taux de pauvreté allemand a bien bondi de 12 à 17% dans la même période. Abandonnées par le SPD, les classes populaires et salariée votent désormais pour deux partis d’opposition, les Linke à gauche et l’extrême-droite nationaliste AfD à droite. Un tiers des votants AfD appartiennent aux 20% les plus riches d‘Allemagne, opposés à la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne et à l‘Euro, qui les empêchent de vivre de leurs rentes tant que les taux d’intérêts sont négatifs.

La droite allemande se retrouve ainsi à la croisée des chemins, entre un néolibéralisme intransigeant – Merz étant plus proche de Thatcher, Cameron, Macron –, un social-conservatisme, la position de Merkel – qui n’a finalement conduit aucune réforme de structure en Allemagne et a dû même accepter contre son gré l’établissement d’un salaire minimum – et un nationalisme résurgent – une partie de la droite cherchant à composer avec le retour de l’extrême-droite dans les parlements régionaux et au Bundestag.

Merz, multimillionnaire, se présente comme “représentant de la classe moyenne“. Cela éclaire bien la nature de l’escroquerie du néolibéralisme : des millionnaires annoncent sans fard la politique de maximisation de LEUR fortune contre l’intérêt général, le pauvre étant rendu par la promesse illusoire de participer au partage du butin, alors qu’en réalité son pouvoir d’achat au mieux stagnera.

Le choix du candidat à la chancellerie n’est pas tranché non plus

Avec Laschet, la CDU recule devant la radicalité des réformes néolibérales. Merz sans doute aurait pu convaincre les classes moyennes supérieures votant AfD, ainsi que les électeurs du FDP. Mais aurait-il pu conserver l’électorat salarié chrétien-démocrate ?

Laschet, président de la région la plus peuplée d‘Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie, s’est présenté comme un candidat de la continuité. Cependant, pendant le week-end, une expression dominait le débat, en anglais “vote Laschet, get Söder” : votez Laschet, obtenez Söder.

Markus Söder, Président du Land de Bavière, est également le président du second parti de la droite allemande, la CSU chrétienne sociale. La CSU ne participait pas au congrès, mais beaucoup estiment que, Laschet devenu président de la CDU, c’est Söder qui sera en septembre le candidat à la chancellerie de la coalition de droite. Son parti a refusé de voter au Parlement européen la mise en garde à la Hongrie, invitant Orban à son congrès, et souhaite un contrôle des frontières.

Merz serait ainsi à nouveau marginalisé.

Son protecteur, le président du Bundestag Wolfgang Schäuble – l’ancien ministre des finances qui mena la campagne européenne pour briser Tsípras et écraser le peuple grec (et ainsi faire diversion de la crise bancaire qui frappait notamment la Deutsche Bank) –, n‘a jamais pu mener en Allemagne ce qu’il a fait en Europe. Merkel et le SPD l’ont ainsi freiné. Il souhaite, et avec lui les milieux conservateurs libéraux, mener la bataille que mènent le libéralisme en Europe contre les vestiges des États sociaux créés, en réponse à l’invention européenne du fascisme, dans l’après-guerre.

Le congrès de la CDU n’a donc en réalité rien tranché.

Dès sa défaite, Merz a réclamé d’entrer au gouvernement comme ministre de l’économie, à la place de Peter Altmaier, un des plus fidèles des fidèles d’Angela Merkel. La Chancelière, qui depuis la campagne électorale de 2005 que Merz a failli lui faire perdre, le tient le plus éloigné possible d’elle et a refusé. Si elle ne contrôle plus le parti, elle reste cheffe du gouvernement jusqu’en septembre 2021.

Laschet President de la CDU doit donc à la fois faire avec Merkel, Chancelière sur le départ, mais bénéficiant d’un taux de confiance dépassant les 70%, avec Merz, qui pèse plus de 40% du parti, et enfin avec Söder, qui depuis la Bavière compte bien ramasser la mise en octobre 2021 et hériter de la chancellerie.

Dysfonctionnements partidaires

Mais comment la droite allemande, dominante, peut elle être ainsi depuis trois ans dans une crise existentielle aussi profonde ?

Tout d’abord, un point politique fondamental est de nouveau illustré par les outils de démocratie interne mis en place en 2018 à la CDU et au SPD, mais les outils ne règlent pas les conflits politiques.

Traditionnellement, la présidence des partis allemands est décidée dans les négociations entre courants à l’avance, ou échoit de fait à l’occupant de la chancellerie. La question ne porte plus que sur le nombre de points séparant l’heureux élu des 100%.

Le SPD, déjà, avait cessé cette pratique. Si Schulz, l‘ancien président du Parlement européen, avait obtenu en mars 2017 un score soviétique de 100% à la présidence de son parti, il avait été forcé de démissionner suite à la débâcle de septembre 2017, son parti se maintenant de justesse au dessus des 20%.

Depuis, ce sont les militants qui ont élu un binôme à sa tête, le ministre des finances et vice-Chancelier Olaf Scholz perdant fin 2018 face à deux inconnus promettant la rupture avec la CDU de Merkel.

Depuis cependant, l’appareil social-libéral, après avoir empêché ses présidents de prendre le contrôle effectif, et utilisé tous les prétextes pour les ridiculiser dans la presse, a repris la main, et imposé la candidature de Scholz à la Chancellerie. Bien qu’empêtré dans deux scandales, celui de la banque Warburg et celui de l’entreprise de la Fintech Wirecard, Scholz rassure une base de cadres soucieux de continuer l’attelage avec la droite, et ainsi conserver un orteil dans le pouvoir, avec ce qui l’accompagne : les postes et les prébendes.

Le SPD se traîne dans les sondages suite à cette nominations, avec à peine à 15% des intentions de vote.

L’outil de la démocratie interne ne s’accompagnait pas de la volonté de traiter les enjeux politiques, et leurs conséquences personnelles, au fond. Cela n’a rien réglé, malgré la crise de la droite, et une gestion considérée comme réussie par l’opinion allemande de la pandémie, le SPD se dirige vers la marginalité politique.

Le souffle chaud de l’extrême-droite sur la nuque

La CDU a dû faire face à plusieurs crises après le scrutin de 2017.

Tout d’abord, le score avec Merkel fut plus que médiocre. La droite, dans son ensemble, passait en effet de 42% à 33%, et l’extrême-droite AfD progressait de 4,7 à 12,5%. Les libéraux du FDP, absents du Bundestag entre 2013 et 2017, y sont revenus, gagnant 3 points. La droite, CDU et CSU bavaroise, avait perdu donc tant à sa droite que sur la ligne libérale.

Dans la foulée, la constitution d’une coalition de bloc bourgeois avait échoué. Droite, Verts et libéraux n’ont pas pu s’entendre – le FDP, allié en Europe de LREM, claquant justement la porte sur l‘Europe.

Pendant six mois, la Chancelière n’a été qu’une cheffe de gouvernement de gestion des affaires courantes. Le rejet par les libéraux de la coalition bourgeoise (surnommée aussi “coalition jamaïcaine” – Noir-Vert-Jaune) a entraîné une reconduction de la grande coalition avec le SPD, mais sans enthousiasme aucun : 42% des militants du SPD ont voté contre le contrat de coalition, pendant que nombre de fédérations de la CDU trouvaient l’ampleur des concessions faites trop importantes.

Le surgissement de l’extrême-droite à 12,5% a de nombreuses causes, qu’il ne s’agit pas d’étudier ici. Gardons en tête que ce score est assez homogène à l‘Est comme à l‘Ouest au dessus de 9%, avec des pics à 25% en Saxe.

L‘AfD fait 12,5% en Bavière, ce qui a traumatisé les chrétiens-sociaux de la CSU. La Bavière est l’une des régions les plus riches d‘Allemagne, exportatrice, au chômage en-dessous de 4%. Horst Seehofer, président de la CSU et ministre-président de la Bavière, en tira comme conclusion que Merkel, en septembre 2015, avait fait une erreur politique majeure en ouvrant les frontières aux réfugiés. L‘Allemagne, qui a besoin en flux constant d’un solde positif de 200 000 migrants par an pour compenser la baisse de sa démographie naturelle, a accueilli plus d’un million de migrants.

Les syndicats patronaux allemands – qui se plaignent depuis dix ans de pénuries de main-d’œuvre très qualifiée, mais n’investissent ni dans la formation des chômeurs longue durée, ni dans les pays européens à forte dynamique démographique et haut niveau de qualification, comme la France – réclament chaque année des plans massifs d’immigration supplémentaire. Seehofer écoute bien sûr cette demande de déflation salariale par l’immigration des patrons allemands, mais constate surtout les dégâts considérables dans sa base électorale. Et l’immigré ne vote pas.

De plus, si le citoyen européen vote aux municipales, il ne vote pas aux élections nationales : pour nombre de Bavarois, l‘Union Européene est trop laxiste avec la Grèce et l‘Italie. De plus, la CSU apprécie énormément le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán (et son parti, le Fidesz), invité d’honneur de son congrès en 2018.

Seehofer a alors négocié de quitter la présidence de la Bavière, récupérée par un jeune qui ne cesse de monter, Söder (dont on a déjà parlé plus haut), pour devenir ministre de l’intérieur de la grande coalition, et avec comme objectif d’y empêcher les politiques migratoires merkelliennes. L’été 2018 verra une crise profonde au sein de la coalition nouvellement formée, qui concernait la CDU de Merkel et la CSU de Seehofer, sur fond d’émeutes de l’extrême-droite en Saxe, à Chemnitz.

A la suite de cette crise, Seehofer a soutenu mordicus le patron des services secrets intérieurs, Hans-Georg Maaßen, membre de la CDU, qui affirmait que l’extrême-droite n’était pour rien dans les émeutes, et voyait le danger plutôt à l’extrême-gauche, notamment les antifa, et l’islamofascisme. Paradoxalement, cette crise fut fatale à … la présidente d’alors du SPD, et ancienne ministre du travail, Andrea Nahles, qui, écœurée, a depuis quittée la politique. La crise a aussi profondément abîmé Seehofer, forcé de limoger Maaßen, qui conseillait en secret l‘AfD. Mais cette crise a aussi révélée une vulnérabilité de Merkel. Car c’est bien suite à cette crise que la CDU a commencé à penser l’après Merkel.

L’assassinat d’un de ses élus régionaux en Hesse par un militant d’extrême-droite en 2018, et les attaques meurtrières de Halle en 2019 contre une synagogue, puis en Hesse en 2020 contre des cafés fréquentés par des Turcs et des Kurdes, ces deux derniers attentats faisant plus de 11 morts ayant été commis par des militants néonazis, ont confirmé que l‘Allemagne connaissait depuis 20 ans une résurgence de la “bête immonde”.

Première succession de Merkel, première crise

Merkel a alors passé la main une première fois, abandonnant la présidence de la CDU.

En décembre 2018, c’est sa dauphine officielle, Annette Kramp-Karrenbauer, surnommée AKK, qui lui succède, avant d’entrer en juillet 2019 au cabinet comme ministre de La Défense, remplaçant Ursula von der Leyen, elle-même en partance pour la Commission européenne. Déjà, c’était un vote ouvert des délégués ; déjà, son adversaire principal était un revenant dans la politique, le néolibéral Friedrich Merz.

L’année 2019 n’a pas permis à AKK (pas plus qu’à la co-présidence du SPD) de s’imposer. Mais c’est une autre crise, juste avant la crise pandémique, en février 2020, qui aura raison d’elle. Les élections régionales de Thuringe se conclurent par la victoire du président sortant, membre des Linke, le parti allié à la France Insoumise au Parlement européen, regroupant anciens communistes est-allemands et les socialistes ayant quitté le SPD sous Schröder. Cependant, il n’avait pas de coalition majoritaire (Die Linke, SPD, Verts). Alors, le FDP, le parti allié de Macron, va obtenir de la CDU et de l’extrême-droite un vote en sa faveur, le plus petit parti représenté à la région obtenant ainsi la présidence !

Le scandale, le bloc des droites reconstitué rappelant 1933 plutôt que 1989, entraîna la démission du président du FDP. Mais l’absence d’autorité d‘AKK, incapable d’empêcher la CDU régionale de mêler ses voix à l’extrême-droite, était si patente, qu’elle annonça sa démission. Depuis, comme ministre de la Défense, pour plaire à Trump, elle a annoncé une commande d’avions de combat américains F18.

Ainsi, entre 2018 et 2020, les trois partis de gouvernement ont perdu une à deux fois leur présidence.

Le moment Söder ?

Markus Söder, en héritant de la CSU bavaroise, a senti le vide. Dans la crise pandémique, il a su prendre les devants, mener des actions de test et de traçage tôt, puis des confinements plus stricts que dans le reste de l‘Allemagne. Accompagné d’une politique de soutien aux activités économiques et culturelles et d’une communication fondée sur l’expression de la solidarité et non sur la punition, son action lui vaut une forte popularité. De plus, son refus de toute compromission avec l‘AfD – il veut récupérer les électeurs, pas le parti – le rend compatible aux autres partis démocratiques. Enfin, de plus en plus de voix parlent de lui comme le candidat à la chancellerie en 2021.

Déjà deux fois, en 1980 et en 2002, c’est le parti régionaliste bavarois qui présentait le candidat à la chancellerie. Une fois avec Franz-Joseph Strauss, battu par Helmut Schmidt, une fois avec Edmund Stoiber, battu par Schröder. Les deux fois, cependant, les deux chanceliers SPD n’ont pas rempli les 4 ans de leur mandat : en 1982, les alliés libéraux de Schmidt l’ont trahi pour Helmut Kohl ; en 2005, Schröder, face aux résistances aux réformes de l’agenda 2010, décida de convoquer des élections anticipées un an plus tôt, perdant de justesse face à Angela Merkel.

Ce retour historique permet de rappeler qu’en 2005, justement, Angela Merkel tenta de gagner grâce à un agenda néolibéral, soucieux de réduction des dépenses publiques, et d‘une réforme fiscale inspirée par Merz. Très mal en point au début de la campagne, Schröder martela son message contre la réforme Merz, et réussit à finir à 8 000 voix seulement de Merkel.

Elle a depuis compris le message :

  1. écarter Merz et les faucons néolibéraux ;
  2. endosser les réformes Schröder, mais surtout, ne pas en faire d’autres ;
  3. trianguler sur les thèmes d’un SPD tellement centriste que cela en devenait trop facile.

C’est la recette Merkel pour conserver le pouvoir, réduisant le SPD, mais ouvrant son front droit.

Chemnitz 2018, Celle, Halle, la Thüringe : bien plus que la pandémie, les crises européennes ou la question climatique, c’est bien la relation à l’extrême droite qui domine l’actualité et les transformations de la droite allemande. Étrangement, depuis 2018, ce sont les militants terroristes néonazis et l‘AfD qui dictent leur actualité aux instances de la CDU, tragiquement.

Le vote de 2021, sans plateforme clarifiée, pourrait, sans la figure rassurante de Merkel, sanctionner une droite courant dans tous les sens.

Paradoxalement, on pourrait assister, par nécessité électorale, au retour de “Mutti“ – le surnom de Merkel est “La maman“, comme Mitterrand a pu être “Tonton”.

Politiquement cependant – et c’est la leçon de ce congrès –, la “weimarisation” de la vie politique de la République fédérale allemande se poursuit, et cela devrait éveiller la vigilance de tous les Européens.

Le gouvernement profite-t-il de la crise sanitaire pour tuer l’Assurance Chômage ?

La pandémie et la crise sanitaire ont débouché en mars dernier sur un confinement qui a mis au « chômage forcé » quelques 8 millions de salariés français. Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire continuent de se faire sentir durement et nous ne sommes qu’au début du phénomène. Quel que soit le rebond économique espéré après la mise à l’arrêt de l’activité économique au printemps et une fois que nous serons sortis de la crise sanitaire, les conditions générales ont fragilisé des milliers d’entreprises – et certaines ne seront pas capable de s’en remettre – et détruit des milliers d’emplois ; les destructions d’emplois vont se poursuivre et on ne compte plus aujourd’hui les entreprises qui profitent de l’ambiance économique générale pour tenter de justifier des plans sociaux qui n’ont pas grand chose à voir avec la crise sanitaire ou avec la situation économique réelle des sites concernés.

La question de l’assurance chômage et de son devenir est donc plus cruciale que jamais. Force est de constater que l’inventivité du gouvernement sur le « chômage partiel » contraste avec sa frilosité concernant la réforme de l’assurance chômage.

Généralisation du dispositif « activité partielle » : avantages et inconvénients

En effet, arguant de la nécessité de parer au plus pressé le gouvernement Philippe a généralisé, avec la loi sur l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances du printemps, le dispositif « activité partielle », faisant un parallèle discursif avec les dispositifs de chômage partiel qui avaient si bien réussi à l’Allemagne au cœur de la crise financière de 2008. Discours relativement bien reçu dans la population et chez toutes les organisations politiques. Avec quelques mois de recul, il faut maintenant faire le bilan.

Personne ne reprochera au gouvernement d’avoir permis ainsi de préserver l’emploi et des milliers d’entreprises en « nationalisant les salaires ». Sauf qu’il faut relativiser cette expression de « nationalisation des salaires » car elle n’a été que partielle. Dans l’urgence – l’urgence parfois devient pratique après coup –, le gouvernement a imposé par ordonnance une généralisation à huit millions de travailleurs d’un dispositif qui n’avait été prévu que pour quelques dizaines de milliers de cas concomitants. Or les conditions du dispositif de départ n’ont pas été adaptées à ce changement d’échelle radical ! L’assurance chômage (financée désormais essentiellement par la CSG) a pris en charge un tiers du coût sans que les partenaires sociaux qui la gèrent n’aient leur mot à dire. Or l’arrêt total de l’activité économique du printemps était consécutif à la seule décision du gouvernement et non à des difficultés économiques rencontrées par les entreprises : rien ne justifiait que l’assurance chômage participe au financement à un niveau aussi élevé du dispositif « activité partielle ».

Le coût pour l’Assurance chômage ne s’arrête pas là puisque les entreprises entrant dans le dispositif « activité partielle » bénéficient (assez logiquement) d’exonérations qui ont grévé les recettes à hauteur de 8 millions de salariés. Les pertes accumulées par l’assurance chômage à l’occasion de la crise sanitaire et de ses implications économiques et sociales sont donc énormes : exonérations pour les entreprises en « activité partielle » et perte de CSG consécutive aux suppressions d’emplois, fermeture de sites ou aux défaillances d’entreprises.

La dette de l’assurance chômage avait donc grimpé de plus de 10 milliards d’euros à la fin du printemps du fait du dispositif « activité partielle », sans que l’on pense encore un seul instant à une légitime compensation de l’État ou à une reprise totale de cette dette qui avait été créée par les décisions de l’État. « Dette ici ou dette là, quel intérêt ? », nous direz-vous ? Et bien parce que la dette est plus facilement pilotable au niveau de l’État : celui-ci n’éteint jamais sa dette, il paye les intérêts, emprunte sur 30 ans et lorsque la dette arrive à échéance il la refinance en empruntant à nouveau pour rembourser ce qu’il avait précédemment emprunté, et tout cela aujourd’hui à des taux souvent négatifs. Ce n’est pas le cas de l’assurance chômage qui – bien qu’elle bénéficie de la signature de l’État – emprunte sur des durées beaucoup plus courtes, rembourse à la fois intérêts et capital, tout cela dans le cadre de conventions UNEDIC sur des durées courtes, qui ne permettent jamais à cette institution d’avoir une stratégie économique contra-cyclique… en réalité, la dette coûte plus cher lorsqu’elle « appartient » à l’assurance chômage plutôt qu’à l’État, dont on a par ailleurs bien vu la capacité aujourd’hui à trouver des dizaines et des centaines de milliards d’euros face à la crise, dans un cadre relativement contenu.

À moyen et long termes, cette dette accumulée de l’assurance chômage va donc servir d’aspirateur à recettes (quand celles-ci reviendront enfin) et ne permettra pas d’affronter correctement le défi durable d’une situation de l’emploi dégradée par les conséquences économiques de la crise sanitaire et de la transformation de notre économie.

Conservatisme gouvernemental sur l’assurance chômage

Quel contraste avec la frilosité du gouvernement sur la réforme de l’assurance chômage ! L’application de sa décision unilatérale contre les partenaires sociaux de l’UNEDIC en juillet 2019 n’a été face à la crise repoussée que de trimestre en trimestre, alors que tous s’accordaient à reconnaître qu’elle provoquerait dans les circonstances créées par la pandémie une catastrophe sociale insupportable. Le gouvernement Castex prétend toujours la mettre un jour ou l’autre en application.

Au-delà de la mise en cause légitime de cette réforme régressive, il conviendrait pourtant de réfléchir à un assurance chômage profondément rénovée qui pourrait devenir un véritable outil de protection du plus grand nombre, ce que certains nomment avec nous « sécurité sociale professionnelle », où l’éligibilité à l’indemnisation serait plus large, le niveau de vie mieux garanti et la confiance des salariés plus forte – leur permettant ainsi de mieux négocier les transitions entre emploi et chômage. Il conviendrait également de repenser les relations entre assurance chômage et minima sociaux, qui sont bien plus liés qu’on ne le dit, puisqu’ils touchent d’abord des publics frappés par l’épuisement de leurs droits.

Le double discours d’Emmanuel Macron n’a jamais cessé sur le sujet. On avait déjà perçu sa « croyance » dans un système inspiré du modèle britannique où la faible aide sociale attribuée aux chômeurs serait censée les inciter à retrouver rapidement un emploi. Toutes les études ont depuis longtemps démontré que le « monde merveilleux » de Moi, Daniel Blake croqué par Ken Loach était en réalité contre-productif, produisant démoralisation, retour à l’emploi plus difficile et pertes de compétences. Pourtant le candidat Macron proposait dans le même temps l’élargissement aux indépendants, et le président d’aujourd’hui a suggéré la création d’une aide de 900 euros par mois garantie pendant 4 mois devant bénéficier aux travailleurs des secteurs de la restauration ou de l’évènementiel, ou encore à des intérimaires, lourdement touchés par la crise … une forme d’avancée vers l’idée d’« État employeur en dernier recours ». Mais tout cela sans jamais s’interroger de manière sérieuse sur le financement durable de l’assurance chômage telle qu’elle était ou même élargie à de nouveaux publics (ce dont on ne pourrait que se réjouir).

De fait, depuis les années 1980, la part de PIB consacrée aux dépenses sociales liées au chômage a stagné à hauteur de 2% ; le refus de maintenir les recettes à un niveau nécessaire alors que les besoins augmentaient a conduit à un durcissement progressif des conditions d’indemnisation et un déversement de plus en plus important vers les minima sociaux. En grande partie, comme pour le reste de la sécurité sociale, le déficit de l’assurance chômage est artificiellement organisé par la suppression de recettes et par la non compensation par l’État de dépenses indues (ex. la partie ANPE de pôle emploi est aujourd’hui prise en charge par l’UNEDIC sans être compensée par l’État qui s’est ainsi débarrassé d’une dépense sur l’assurance chômage).

* * *

Toutes ces questions sont devant nous. Mais sachant qu’on ne peut tuer son chien qu’en ayant fait croire à tous qu’il avait la rage, la Gauche Républicaine et Socialiste se mobilisera aux côtés des partenaires sociaux pour que l’État prenne enfin ses responsabilités face à l’augmentation de la dette de l’assurance chômage qu’il a artificiellement créée en globalisant le dispositif « activité partielle », en compensant une partie des dépenses qu’elle a eues à sa charge dans le dispositif et en reprenant à son compte le coût des exonérations qui ont grévé en parallèle les recettes de l’UNEDIC.

Il faut mettre un coup d’arrêt à l’offensive Amazon

Avec un chiffre d’affaires en hausse de 50% depuis janvier, l’année de la pandémie sera pour Amazon celle de tous les records. En un an, la valeur de l’entreprise a doublé. Si la multinationale poursuit sur sa lancée, sa capitalisation boursière devrait dépasser le PIB de la France l’an prochain… Mais à l’heure où le second confinement risque d’être fatal à de nombreuses petites entreprises, les profits du géant américain font désordre.

Amazon compte à ce jour 27 plateformes logistiques à travers notre pays. Depuis le printemps, l’association Les amis de la Terre a recensé une douzaine d’implantations de nouveaux entrepôts en projet à travers le pays. L’objectif d’Amazon ? Réduire les délais de livraisons à une journée, voire une demi-journée pour conquérir de nouvelles parts de marché face au commerce traditionnel.

Cette carte du nouveau déploiement d’Amazon n’est pas le fruit du hasard : alors qu’Emmanuel Macron recevait le PDG du géant américain à l’Élysée en février dernier, les projets d’implantations de plateformes apparaissaient aux quatre coins de l’Hexagone. A chaque fois, la logistique d’Amazon vient s’implanter dans des territoires traumatisés par un plan de licenciements, une fermeture d’usine ou de base militaire. A Belfort, au pont du Gard, à Augny dans le sillon mosellan, les implantations programmées sont autant de lots de consolation pour des territoires en déclin. La stratégie est habile : la création d’emplois est l’argument gourdin. Qui pourrait venir s’y opposer dans des territoires qui souffrent du chômage ?

Mais l’impact d’Amazon sur l’emploi local commence à être mieux évalué. Trois rapports au moins ont permis de démontrer que chaque emploi créé par le géant du e-commerce en détruit entre 2,3 et 4,5 dans le seul secteur du commerce de détail. L’étude publiée par les assureurs Allianz et Euler Hermes en janvier 2020 a établi qu’aux Etats-Unis le développement du e-commerce a entrainé la suppression de 670.000 emplois en 10 ans et la fermeture de 54.000 boutiques. L’effet est dévastateur lorsque cela touche en priorité des petites et moyennes villes de province déjà affaiblies par la métropolisation. Le développement de ces plateformes pose un sérieux problème en matière d’aménagement du territoire pour un pays comme la France qui s’est structuré autour de son réseau dense de petites et moyennes agglomérations.

Ces projets d’implantations sont symptomatiques des déséquilibres de la mondialisation libérale : on consomme dans les pays anciennement industrialisés des biens produits dans des pays où s’est délocalisée la production. En regardant dans le détail, ces projets ont été localisés en particulier dans des territoires en voie de désindustrialisation. Vieilles terres industrielles dont l’activité permettait de fournir des emplois qualifiés et dont la production s’exportait. Au plan économique, Amazon est un projet symétriquement inverse : chaque entrepôt est une pompe à importations des pays à bas coûts. Chaque entrepôt Amazon contribue concrètement au déficit de notre balance commerciale, et accroit aussi les émissions de gaz à effet de serre avec des volumes de produits transportés toujours plus importants.

Malgré tout ces effets pervers sur l’environnement, sur l’économie nationale et l’emploi, le soutien de l’Etat au déploiement d’Amazon devient encore plus incompréhensible quand on sait que la multinationale s’est faite championne du monde du contournement fiscal grâce à ses implantations dans deux paradis fiscaux : le Luxembourg en Europe et le Delaware en Amérique du nord. A chaque fois la stratégie est la même : plus de 80% du chiffre d’affaire réalisé en France est facturé par une filiale luxembourgeoise. De fait, Amazon ne paie d’impôt sur les bénéfices que sur les 20% restants… Pire, l’entreprise engage désormais des recours pour réduire la taxe foncière de ses plateformes sur les territoires qui ont souvent subventionné son implantation !

Face au problème, le gouvernement continue pourtant de naviguer à vue. Pour l’heure, le ministre de l’économie multiplie les déclarations contradictoires au gré des circonstances. Alors que l’État facilite l’implantation des nouveaux entrepôts partout en France, Bruno Le Maire désignait début novembre les GAFA comme « des adversaires » des États, avant qu’il ne se rétracte en précisant qu’Amazon ne devait pas servir « de bouc émissaire ». Une semaine plus tard, il implorait la multinationale de bien vouloir reporter son black Friday au vendredi 4 décembre pour calmer la fronde des petits commerçants…

La croissance exponentielle d’Amazon et les menaces d’un développement non maîtrisé nécessitent une réponse globale et la cohérence des pouvoirs publics.

Face à l’offensive Amazon qui met en péril notre équilibre économique, notre modèle social et environnemental, la Gauche Républicaine et Socialistes se prononce pour :

– La mise en œuvre sans délai d’un moratoire sur le développement des plateformes de e-commerce proposé par la convention citoyenne

– La proposition d’une taxe carbone substantielle sur l’ensemble des produits manufacturés en dehors de l’Union européenne

– La remise à plat de la fiscalité appliquée aux entreprises de e-commerce pour qu’elles payent enfin ce qu’elles doivent à la collectivité.

Démembrement d’EDF : un plan « Hercule » qui devrait s’appeler le plan « Judas ».

Le gouvernement et la direction d’EDF avancent un plan Hercule, prétendant ainsi améliorer l’efficacité énergétique du pays en séparant les activités historiques dites « bleues », notamment le nucléaire, des activités « vertes » comme les énergies renouvelables, et quelques autres structures encore. Ce plan ne donnera pas plus de force à EDF : il engage le démantèlement de l’opérateur public, sa privatisation partielle et met en danger notre capacité à impulser la transition écologique et à assurer notre indépendance énergétique.

I- Un secteur soumis aux règles européennes et à leurs dérives libérales

L’Union européenne est compétente en matière de réglementation de la production d’énergie, et en particulier d’électricité. En effet, L’Article 194 du Traité de Lisbonne (celui qui imposa les effets du projet de TCE malgré son rejet référendaire par les Français) a institutionnalisé les compétences de l’UE en matière énergétique :

« Dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :

  • à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie ;
  • à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union ;
  • à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ;
  • et à promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques. »

Or un des principes fondamentaux de l’UE est la concurrence libre et non faussée. Elle applique donc ce principe à la production de l’électricité.

Pour la France, cela a deux conséquences majeures : la création d’un marché de l’énergie et le démantèlement d’EDF.

II- La création d’un marché de l’énergie

A la demande de la Commission européenne, la France a créé en 2010, l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH). Il fut mis en œuvre en 2011. Ce marché régulé consiste en l’obligation qui est faite à EDF de fournir pour un volume global maximal de 100 TWh/an de l’électricité à un tarif réglementé qui est de 42 €/MWh.

Cela signifie que si le prix du marché est inférieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés achètent leur électricité au prix du marché. En revanche, lorsque le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés l’achètent en dessous du prix du marché à EDF et la revendent au prix du marché à d’autres opérateurs. En réalité dans cette hypothèse, il ne s’agit plus d’un marché de l’énergie mais d’une rente de situation financière car ces opérateurs privés du marché de l’énergie, pour leur grande majorité, ne produisent pas d’électricité, ils se contentent de la commercialiser. Ainsi de 2011 à 2013, le prix moyen de gros de l’électricité était supérieur à 50 €/Mwh – ce qui était une situation de rente pure pour les opérateurs privés. De 2013 à 2015, le prix moyen de gros fluctuait autour de 42 €/MWh ce qui constituait une situation d’arbitrage pour les opérateurs privés en fonction du prix réel de l’achat. entre 2015 et 2017, le prix moyen de gros été inférieur à 40 €/MWh: situation dans laquelle les opérateurs privés n’achètent pas d’électricité au prix de l’ARENH. Or depuis 2018, le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, nous sommes donc à nouveau dans une situation de rente pure pour les opérateurs privés.

Cette obligation faite à EDF de vendre de l’électricité à un prix fixe à des opérateurs privés, handicape EDF lorsque le prix du marché est supérieur à celui auquel elle est obligée de vendre puisqu’elle ne peut pas bénéficier de cette augmentation de tarif. Depuis 2011, date de création de cette obligation, EDF s’est trouvée dans cette situation pendant six ans sur neuf ans.

Pire, selon EDF le prix de l’ARENH ne couvre pas ses frais de production. En effet EDF a demandé une réévaluation du prix afin qu’il passe de 42 € à 53€/MWh. Donc selon EDF, à chaque fois qu’un producteur privé achète de l’électricité à ce prix régulé, EDF perd de l’argent et voit ses capacités productives mises en péril. Il semblerait que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) envisage d’augmenter l’ARENH à 48€/MWH mais ce prix est toujours inférieur au prix de revient déclaré par EDF.

Le principe de l’Union européenne de concurrence libre et non faussée conduit donc à la création d’un marché inégalitaire au bénéfice des opérateurs privés et au détriment d’EDF et cela est inacceptable !

III- Le plan « Hercule » un démembrement industriel d’EDF et un risque de disparition d’expertise technique

Le plan « hercule » est la réponse d’Emmanuel Macron et des Techno-Libéraux français à la demande de la Commission de réorganisation structurelle d’EDF afin d’empêcher que l’organisation interne d’EDF ne soit, selon la commission, un frein à la concurrence.

Ce plan a connu, pour l’instant, deux modalités et devrait être finalisé d’ici la fin de l’année.

1. Le projet Edouard Philippe :

– La première proposition du gouvernement Édouard Philippe en avril 2019 était de scinder le groupe EDF, de manière à écarter le nucléaire et ses risques financiers des autres secteurs. Dans les faits, création de deux entités, une société « Bleue »  et une société « verte », d’ici 2022. Ces deux entités étaient de droit public et pilotées par le groupe EDF qui restait lui aussi une entreprise publique.

La société « bleue », détenue par l’État, comprendrait le secteur du nucléaire existant. Ce secteur est soumis à l’Arenh et est le plus déficitaire. Il serait composé aussi des barrages hydroélectriques et du transport d’électricité (RTE).

L’État français devra investir 8 milliards d’euros pour racheter les actions EDF aux investisseurs privés.

Une autre société, « Verte », couvrirait les énergies renouvelables restantes, les réseaux (Enedis), les services énergétiques (transport, acheminement) et le commerce (EDF achète l’énergie comme les autres à l’Arenh). Cette seconde entité, propriété de la première, serait introduite en bourse, l’État conservant 65% du capital via la société Bleue avec une introduction en bourse à hauteur de 35% et comprendrait Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia, la direction du commerce, les activités d’outre-mer et de la Corse d’EDF.

Cette réforme risque fort de faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire dit ancien — à l’État, donc au contribuable, tandis que les activités plus rentables — renouvelables et distribution — seraient privatisées. Il faut rappeler qu’ EDF a une dette de 41 milliard avec une menace de 20 milliards de plus sur ses produits financiers hybrides (dette transformable en action par les créanciers) en fin 2019.

Il faut cependant se rappeler aussi que les actifs positifs constitués par EDF et qui sont monnayables (actions, obligations) pour le démantèlement des réacteurs anciens et la fin de cycle des combustibles (par ex. Bure) représentent le même montant soit 41 milliards.

2. Le plan « hercule » modifié par la Commission européenne :

« La position de la Commission européenne consiste à privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci […] et ne percevant pas de dividendes, ceci étend versé directement aux actionnaires de la holding. […]  Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré et irait au-delà des exigences posées par les textes européens » (note de l’agence des participations de l’État datée du 6 mai 2020).

Toujours selon l’agence, la Direction générale de la concurrence justifierait la désintégration juridique, financière, comptable et opérationnelle du groupe par « l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF du fait du SIEG (service d’intérêt économique général, le service public en droit européen) […] afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe ». En définitive, si les demandes de l’Europe étaient acceptées par la France, il s’agirait d’un démantèlement pur et simple d’EDF.

Donc le plan de la Commission européenne est la mise en place d’au moins 4 structures différentes et autonomes : EDF-holding (droit privé), EDF bleue filiale autonome du secteur nucléaire (entreprise publique), société Azur (barrages hydroélectriques et statut juridique non défini) et EDF verte filiale autonome énergies renouvelable (société anonyme donc de droit privé).

Cette position de la Commission européenne interdit la mise en place d’une stratégie de groupe et de toute politique industrielle, et permet que les filiales de la holding EDF se fassent concurrence entre elles ! De plus, la commission demande la séparation juridique des activités nucléaires régulées et des activités de nouveau nucléaire interdisant que les bénéfices tirés des investissements déjà amortis ne puissent être réinvestis dans des activités nucléaires nouvelles. Cela impose aussi que les compétences et les expertises qui sont le fruit des activités nucléaires régulées ne puissent être utilisées pour la mise en place du nouveau nucléaire.

3. Le cas particulier des barrages hydroélectriques :

Il est à noter qu’en ce qui concerne les barrages hydroélectriques (société Azur), 150 contrats de concession arrivent à terme d’ici 2023 et donc devront éventuellement être concédés à nouveau selon des procédures d’appel d’offres et de mise en concurrence – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent et représenterai un nouveau marché juteux puisque les investissements sont déjà amortis( les barrages sont construits depuis longtemps et rapportent 1,5 milliards d’€ par an !).

Cette demande de la commission européenne remonte à 2015 (mise en demeure par la commission) même si la droite avait commencé à anticiper cette demande dès 2010.

Les barrages hydroélectriques constituent la première source d’électricité renouvelable en France. Si l’État en est propriétaire, ce parc est aujourd’hui exploité à plus de 80 % par EDF – avec 433 barrages – via des contrats de concessions. Cependant la question de l’hydroélectrique n’est pas qu’une question de production d’électricité mais aussi touche à la sûreté, à la gestion de l’eau et des crues, sujets encore plus important désormais, du fait du réchauffement climatique. Par ailleurs, la production hydroélectrique permet de réguler les creux et les crêtes de production des autres sources d’énergie. Cette régulation ne peut être efficace que si la production hydroélectrique est intégrée à la production d’autres énergies – à défaut au moins régulée par la même entité. Cette ouverture à la concurrence remet en cause donc possiblement, des intérêts majeurs des populations.

* * * * *

Sur ce sujet majeur d’intérêt général qu’est la maîtrise de la production d’électricité, sa sécurisation et sa revente au prix le plus juste pour les consommateurs, le gouvernement a cédé aux demandes libérales et destructrices de l’Union européenne.

La GRS demande au contraire la création d’un service public de l’énergie qui puisse être contrôlé à la fois par les citoyens, les élus locaux et des représentants de l’État. Et si EDF doit changer ce n’est pas en la démembrant en des entités indépendantes et qui se feront la concurrence comme le veut l’Union européenne et le met en place le Gouvernement Castex mais en la démocratisant.

De plus, La GRS condamne cette privatisation rampante de pans entiers de l’activité d’EDF et en particulier des secteurs des énergies renouvelables  et du nucléaire nouveau (construction et exploitation de nouvelles centrales). Ces secteurs sont primordiaux pour entamer la transition énergétique et ce sujet d’intérêt général est trop important pour le laisser à la propriété privée et aux forces du marché. Les modalités de transition énergétique doivent être le fruit d’un débat national et ses instruments publics.

Enfin ce démembrement « Hercule » qui relève davantage du lit de Procuste que du combat contre l’hydre de Lerne interdira toute stratégie industrielle et tout patriotisme économique. En effet EDF n’est pas une entreprise seule mais participe d’un écosystème de filières, d’innovation et de recherche. Or c’est justement de politique de renforcement de filière et particulièrement de filières en France dont nous avons besoin pour relancer et renforcer notre économie- l’exact contraire de ce que fait le Gouvernement en accord avec l’Union européenne.

Raccommoder une Amérique déchirée

Il aura fallu quatre jours pour que le monde connaisse le résultat du vote des électeurs américains du mardi 3 novembre dernier. Ils étaient appelés à se prononcer sur la présidence des États-Unis, les membres de la Chambre des Représentants (chambre basse), les deux tiers du Sénat, et sur toute une série de référendums locaux… La complexité de ce système électoral, l’importance prise cette année par le vote par correspondance à cause de la pandémie (plus de 100 millions d’électeurs), et la tension politique de cette campagne expliquent les délais et le suspense dans la récolte des résultats.

C’est aussi une élection hors norme du point de vue américain lui-même, puisque le taux de participation a atteint quelques 66%, 10 points de plus qu’en 2016, niveau jamais atteint depuis 120 ans. Cette participation en forte hausse s’est portée sur chacun des camps en présence. Joe Biden, avec 76,3 millions de voix, engrange plus de suffrages qu’aucun candidat à la présidence des États-Unis avant lui, soit 10 millions de plus qu’Hillary Clinton en 2016 ou Barack Obama en 2012, et 7 millions de plus que celui-ci en 2008.

Mais la surprise vient d’abord de Donald Trump, qui avec plus de 71 millions de suffrages franchit également ce record en gagnant plus de 8 millions de voix supplémentaires par rapport à son score de 2016, progressant dans de nombreux secteurs de l’électorat. Il n’y a pas eu de vague démocrate, le président sortant et les candidats républicains à la Chambre et au Sénat font mieux que résister. Si les Démocrates conservent leur avance en nombre de Représentants, ils voient leur majorité se réduire d’une dizaine de sièges ; les résultats au Sénat sont plus ambivalents, car pour le moment les Démocrates et leurs alliés « indépendants » font jeu égal avec les Républicains avec 48 sièges, la majorité dépendant des résultats pour le moment des deux sièges de la Géorgie, qui se joueront le 5 janvier 2021 dans des seconds tours (La Géorgie et la Louisiane ont choisi le scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour le Sénat, contrairement au restes du pays).

La victoire de Joe Biden ne fait cependant aucun doute, quoi qu’en dise le président sortant et une large partie de ses supporters : on voit difficilement comment défendre l’idée qu’il y aurait eu une fraude massive et concertée en faveur du candidat démocrate quand sur les mêmes bulletins les électeurs américains ont pu choisir de voter pour des Représentants républicains, dont les résultats étaient salués par la Maison Blanche. La Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, l’Arizona et peut-être même la Georgie (où Biden aurait quelques 12 000 voix d’avance, qui font l’objet d’un recomptage) ont basculé vers le candidat démocrate, lui donnant une avance indéniable en termes de délégués (290 à 306, 270 étant nécessaires pour être élu) qui viennent s’ajouter à la majorité populaire.

Dans un pays structurellement marqué par l’importance des communautés, la stratégie d’Hillary Clinton de miser en 2016 sur une coalition d’afro-américains, de latino-américains, de personnes LGBT et de citadins avait relativement échoué : si elle avait recueilli plus de suffrages que son adversaire, sa campagne segmentée et communautaire n’avait pas eu d’échos dans les catégories populaires précarisées de la Rust Belt, ce qui lui avait coûté plusieurs États-clefs et donc leurs délégués. L’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, avait expliqué a contrario comment le slogan de Donald Trump, Make America Great Again, portait une dimension universelle à laquelle n’importe quel Américain pouvait se référer. Cette stratégie des libéraux américains, relayée en France par Terra Nova et encore prisée par certains sociaux-démocrates européens et progressistes autoproclamés, visant à remplacer une base électorale populaire défaillante par les milieux urbains éduqués et les minorités, avait plus que démontré ses limites, voire ses effets néfastes. Pour sortir de cette ornière, les Démocrates avaient misé, aux élections de mi-mandat de 2018, sur les banlieues aisées délaissant Donald Trump et le parti républicain. Ils avaient ainsi pu mettre fin à près d’une dizaine d’années de contrôle républicain de la chambre basse, en faisant basculer un certain nombre de circonscriptions-clefs.

Les primaires démocrates de 2020 avaient souligné la profonde division du parti : l’aile gauche en progression et déterminée à reconquérir les classes populaires était portée par les candidatures d’Elizabeth Warren et Bernie Sanders ; l’aile droite misait avant tout sur le rejet de Donald Trump chez les modérés et d’anciens républicains, et était représentée par Pete Buttigieg et l’ancien maire républicain de New York, Michael Bloomberg. Joe Biden, situé à l’aile droite mais dont la popularité chez les afro-américains et dans une partie de la classe ouvrière syndiquée est indéniable, avait finalement remporté ces primaires.

Contrairement à Hillary Clinton en 2016, il a pris en compte la force croissante des démocrates-socialistes dans la conception de son programme et dans sa stratégie de communication. S’il a continué de miser sur le basculement des banlieues aisées des États du sud, il a toutefois mené campagne pour reconquérir la Rust Belt avec un programme de sécurité sociale conséquent, même s’il n’est pas encore à la hauteur des espérances de l’aile gauche du parti démocrate.

Pour contrebalancer le risque de basculement de certains États du sud, Donald Trump avait adopté une stratégie originale : conquérir tout ou partie de l’électorat latino. La multiplication de clips de campagne en espagnol dans les dernières semaines avant l’élection ainsi que son raidissement sur la question de l’avortement avaient pour but d’attirer un électorat perçu comme plus religieux que la moyenne. Cette stratégie était osée, car c’est sur la critique radicale de l’immigration mexicaine que Donald Trump avait fondé sa popularité lors des primaires républicaines de 2016. Pendant les élections présidentielles, Hillary Clinton avait obtenu un score très important dans cette partie de la population. En parallèle, Donald Trump a tenté de consolider ses gains dans la classe ouvrière, en martelant que son bilan en termes d’emploi et de politique commerciale était le meilleur depuis Ronald Reagan.

Ces élections présidentielles et au congrès nous semblent contenir quatre principaux enseignements :

1) La décision démocrate de miser d’abord sur les banlieues aisées était une erreur stratégique que Joe Biden a eu raison de contrebalancer ;

2) La popularité de celui-ci dans les syndicats et son programme reprenant des éléments de la campagne de Bernie Sanders ont permis aux démocrates de reconquérir une partie de la classe ouvrière ;

3) Si Joe Biden a fait quelques progrès dans la Rust Belt, les Républicains et Donald Trump y ont fortement résisté comme le démontrent les résultats à la Chambre des Représentants et la conservation de l’Ohio par le président sortant ;

4) Ce dernier a réussi à attirer de nombreux électeurs latino lui permettant de se maintenir ou de limiter les dégâts dans un certain nombre d’États du sud et du sud-ouest.

Les banlieues aisées n’ont pas basculé comme l’espéraient les Démocrates. Si les banlieues des métropoles de Phoenix et d’Atlanta, en Arizona et en Georgie, les ont suffisamment favorisés pour retourner ces deux États (ce n’est pas encore confirmé pour la Georgie) systématiquement républicains depuis 1996, cela n’est pas généralisable à tout le pays. Les résultats à la Chambre des représentants démontrent que les gains démocrates de 2018 n’étaient pas durables, et que si le rejet de Donald Trump a pu faire voter Biden, il n’a pas été suffisant pour conserver ces circonscriptions. Ainsi, les banlieues aisées de Los Angeles, de Miami, de New York (dont la très symbolique circonscription de Staten Island), la circonscription d’Oklahoma City ou encore celle de Charleston sont redevenues républicaines après un bref passage démocrate de deux ans, tandis que l’avenir de celles des banlieues de Salt Lake City est encore incertain. Les élus démocrates de ces circonscriptions, souvent des hommes d’affaire ou des vétérans, situés très à droite du parti démocrate sur les sujets économiques, n’ont pas réussi à se faire réélire.

En revanche, en faisant campagne auprès de la classe ouvrière et en promettant une extension de la sécurité sociale, Biden a pu enrayer le recul des démocrates auprès des Américains blancs de la classe ouvrière, et a pu refaire basculer les États ouvriers du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie. Toutefois, l’Iowa et l’Ohio ont tous les deux voté pour Donald Trump : les républicains retrouvent au moins une des deux circonscriptions perdues en 2018 dans l’Iowa et parviennent à en conquérir une dans le Minnesota. Les résultats y ont été très serrés, et les démocrates vont devoir démontrer aux électeurs indécis de la classe ouvrière qu’ils peuvent répondre à leur insécurité économique.

Donald Trump, qui a bénéficié d’un soutien plus large que prévu dans les banlieues huppées, a réussi son pari de miser sur l’électorat latino-américain. La Floride et le Texas ont voté pour lui avec des marges plus élevées que prévu, et Joe Biden recule drastiquement dans les comtés à forte proportion hispanophone. Dans les comtés frontaliers du Mexique au Texas, majoritairement latino, Hillary Clinton avait battu Donald Trump avec environ 75% des suffrages. Joe Biden s’y effondre, et n’obtient qu’à peine plus de 50% des voix. Des circonscriptions à majorité latino du Texas, censées être sûres pour les Démocrates, ont été remporté avec une marge très faible, et ils perdent une circonscription au Nouveau-Mexique et deux en Floride dans des zones fortement hispanophones. Donald Trump a semble-t-il mobilisé un électorat hispanique conservateur qui jusque-là s’abstenait. Il ne faut pas oublier que jusqu’aux polémiques contre l’immigration mexicaine dans les années 2010, l’électorat hispanophone était très partagé. Toute la question est de savoir si les Républicains vont parvenir à fidéliser cet électorat.

Joe Biden a sans doute remporté l’élection car ses équipes ont compris qu’il fallait nuancer la stratégie communautariste et de séduction des banlieues aisées pour reconquérir une partie de la classe ouvrière. La communautarisation du débat politique n’a pas empêché la volatilité du vote des minorités et les riches américains sont restés fidèles au parti républicain ; les Démocrates vont être contraints de questionner leur ligne stratégique depuis la présidence Clinton jusqu’aux élections de mi-mandat 2018. Il semble clair que le parti démocrate doive chercher à redevenir le parti du peuple (Party of the People) qu’il a été des années 30 aux années 70. Il y a encore un long chemin pour y parvenir : les résultats en Floride semblent indiquer qu’un nombre important d’électeurs votant en faveur du salaire minimum à 15$ (scrutin référendaire) ont porté leurs suffrages dans le même temps sur Donald Trump… la crédibilité des Démocrates reste à construire sur ce qui est pourtant l’une des principales revendications de leur aile gauche, inscrite dans le programme de Biden.

Si Donald Trump a été battu, le trumpisme n’est pas mort. Le président sortant a élargi de manière impressionnante sa base électorale. Sa communication outrancière, sa remise en cause de l’État de droit, ses invectives contre les médias, son refus de reconnaître la défaite et ses cris dénonçant une indémontrable fraude massive ont toujours un écho puissant dans la société américaine. Ce comportement hasardeux plonge la démocratie américaine dans une crise politique jamais vue depuis le scandale du Watergate. La transition n’a pas encore pu commencer, elle se fera vraisemblablement dans le conflit et l’amertume : les partisans de Donald Trump resteront persuadés qu’on leur a volé cette élection. Les Démocrates vont devoir gouverner avec une grande partie de la population persuadée que l’élection a été truquée. Donald Trump n’ayant effectué qu’un mandat, il aura droit de se représenter en 2024 et pourrait compter sur ce ressentiment comme moteur politique. S’il n’est pas candidat, nul doute qu’il trouvera des successeurs « dignes de lui ».

Joe Biden a su mener campagne sans jouer au centriste modéré, ce que dément pourtant toute sa vie parlementaire. Toujours placé à la droite du parti démocrate, il était connu pour concevoir ses projets de lois avec les républicains et avait plaidé en 2004 pour que John McCain, sénateur républicain, soit le colistier de John Kerry, le candidat démocrate contre George W. Bush. Si son programme comporte des avancées sociales certaines, le possible maintien des Républicains au Sénat pourrait handicaper sa réalisation, d’autant que les Représentant démocrates n’ont pas grand chose à voir avec le Squad autour d’Alexandria Ocasio Cortez. Enfin les inclinaisons naturelles du futur président ont de quoi inquiéter les démocrates-socialistes, qui vont poursuivre leur combat politique pour un parti démocrate proche du peuple et de ses aspirations.

Kamala Harris, sénatrice de Californie, va devenir la première femme à atteindre l’exécutif américain. Le symbole qu’elle représente, après deux ans de lutte féministe intense aux États-Unis contre les violences faites aux femmes et pour le droit à l’avortement, est important. Mais il ne faut pas oublier que Kamala Harris a mené comme procureure générale de Californie une politique très décriée, que de graves accusations de dissimulation de preuves ayant conduit au maintien en détention de personnes innocentes ont été portées contre elle, et que ces accusations avaient conduit à son retrait des élections primaires fin 2019. Sous son mandat, le taux de condamnation était passé de quelques 50% à plus des deux tiers, alors que la question afro-américaine, et notamment l’incarcération de masse des afro-américains (phénomène devenu massif sous la présidence Clinton), sera un des sujets majeurs de la présidence Biden. Kamala Harris n’en paraît pas moins dans une position avantageuse pour la présidentielle de 2024, à condition qu’elle soit habile. Dans tous les cas, si le Sénat n’avait pas de majorité son rôle serait décisif.

La défaite de Donald Trump est évidemment en soi un motif de réjouissance, tant il a aggravé les divisions et attisé la haine dans son pays, tout en contournant à bien des égards l’État de droit. Mais cette défaite ne fait pas tout et nous ne pensons pas que les choix stratégiques des États-Unis d’Amérique seront profondément bouleversés. Certaines orientations de Donald Trump, notamment en matière de commerce international, vont vraisemblablement perdurer et devraient d’ailleurs être méditées en Europe. Il faut cependant espérer que le futur président Biden mènera une politique sociale à la hauteur du programme qu’il a annoncé, ce qui pourrait aider à panser les plaies des Américains. Espérons également qu’à l’inverse de Donald Trump et des présidents précédents il sera plus respectueux de ses alliés et de la France en matière diplomatique et militaire, plus respectueux des libertés des citoyens européens qui avaient été massivement espionnés, et que nos relations industrielles cesseront d’être fondées sur la prédation.

État d’urgence sanitaire : un exécutif en solitaire

Le gouvernement a pris un décret rétablissant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020. Ce décret était valable pour un mois. Le gouvernement soumet donc au parlement la prolongation de cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février prochain. Le texte adopté mercredi 21 octobre en conseil des ministres a été examiné le samedi 24 octobre à l’Assemblée nationale sans qu’il en résulte de modifications importantes.

Ce projet comporte quatre articles :

Le premier article propose de prolonger jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sanitaire décrété le 14 octobre 2020.

Le gouvernement demande donc au Parlement de l’autoriser à prolonger l’état d’urgence sanitaire décrété le 14 octobre pour une durée de 3 mois (en plus du mois d’application initial, ce qui fait une durée totale de 4 mois) et à mettre en œuvre le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence à partir du 17 février. Il est quand même à noter qu’au tout début de l’épidémie, la durée de l’état d’urgence sanitaire était dans une première version de la loi du 23 mars calquée sur la durée de l’état d’urgence « sécuritaire » : soit à 12 jours, il a ensuite été prolongé à 1 mois, ce qui paraissait déjà exorbitant…

L’exposé des motifs du texte précise une nouvelle fois que le Parlement sera saisi d’un projet de loi visant à instituer un dispositif pérenne de gestion de la crise sanitaire. Toutes nos craintes de contamination de notre droit commun par un droit d’exception sont donc une nouvelle fois avérées et vérifiées.

Le deuxième article propose de prolonger le régime juridique transitoire de « sortie de l’état d’urgence sanitaire » (loi du 9 juillet 2020) jusqu’au 1er avril 2021.

C’est une façon de prolonger nombre de dispositions de l’état d’urgence à l’issue de celui-ci. Il s’agit en fait du texte sur lequel nous avions rédigé une précédente note (voir ici) et dont l’examen a été suspendu le 13 octobre 2020 au parlement suite à l’annonce de la parution du décret du 14 octobre rétablissant l’état d’urgence sanitaire. Presque toutes les mesures prises dans le cadre du nouvel état d’urgence sanitaire aurait pu l’être dans le cadre de ce régime transitoire baroque ; seule impossibilité : la mesure d’interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin (le couvre-feu) prévue par l’article 51 du décret du 16 octobre. La jurisprudence du conseil constitutionnel impliquait en effet que seul l’état d’urgence sanitaire permettait une telle interdiction.

Le troisième article permet la mise en œuvre des systèmes d’information dédiés au covid-19 jusqu’au 1er avril 2021 tout en complétant le dispositif existant pour l’adapter aux nécessités présentes.

C’était également une mesure prévue dans le texte de prolongation de la « sortie de l’état d’urgence sanitaire ». Or, comme nous l’avions fait remarquer dans notre analyse de ce projet de loi avorté, la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre un jugement confirmant que le droit de l’UE interdit la conservation massive des métadonnées de communication téléphoniques et internet par les fournisseurs d’accès et à la demande des États.

Le quatrième article autorise le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, pour rétablir ou prolonger les dispositions de certaines ordonnances prises dans le cadre de la première phase de la crise sanitaire.

Cet article reprend l’amendement que le gouvernement avait déposé (hors délai de dépôt) le 13 octobre juste avant que le texte qui devait prolonger le régime juridique transitoire de « sortie de l’état d’urgence sanitaire ». L’amendement en question est ici rédigé sous forme d’article direct, mais les dispositions qu’il vise à mettre en œuvre ne sont pas moins problématiques, car les habilitations sont nombreuses et le contrôle parlementaire très limité. Le ralentissement de l’économie et l’interruption contrainte d’un certain nombre d’activités nécessitera évidemment des mesures de soutien, mais il est regrettable que l’exécutif se passe à nouveau des parlementaires pour tenter d’améliorer les dispositifs de ce type qui avaient été mis en place au printemps 2020. De même, un certain nombre de mesures excessives en matière de libertés publiques, de respect du droit et notamment du droit du travail, vont pouvoir être ainsi prolongées sans contrôle.

* * *

Pour la cinquième fois en 7 mois, le parlement est amener à examiner un projet de loi portant des mesures exceptionnelles ; il s’agit de faire face cette fois à la résurgence de l’épidémie, la « deuxième vague », sans que rien n’ait été réellement fait entre temps pour préparer notre système sanitaire à l’affronter et les soignants abordent ainsi cette période dans un état d’épuisement avancé et avec des moyens moindres qu’en mars, c’est un comble !

Par ailleurs, après avoir décrété un couvre-feu le 14 octobre pour 16 départements, puis pour 38 de plus le 22 octobre, et après avoir retiré de l’ordre du jour le précédent projet de prolongation de la « sortie de l’état d’urgence sanitaire », le gouvernement n’a, pour le moins, pas ménagé le Parlement. En réalité, les décisions dans la gestion de cette crise s’abattent sur les parlementaires comme sur les citoyens de manière complètement verticale. La suppression du texte au Sénat en cours de lecture est caricaturale. Plus le temps passe plus la capacité du parlement à contrôler l’action du gouvernement se réduit comme peau de chagrin.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, a rappelé à plusieurs reprises qu’elle veillerait à ce que les mesures liberticides d’exception ne deviennent pas ordinaires, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pour qui « il y a un risque d’accoutumance aux mesures de contrôle. Dans certains cas, les pouvoirs publics peuvent se dire que, après tout, si une mesure n’a pas entraîné de levée de bouclier, on continue. »

Il apparaît évident que l’urgence sanitaire ne doit pas faire oublier les manœuvres politiques. Ce sont même six membres du Conseil scientifique, dont son président Jean-François Delfraissy qui le signalent dans une tribune à The Lancet : « Lorsque les troubles menacent, les gouvernements, au lieu d’organiser un débat sur les différentes options, se sentent obligés de brandir le bâton […] Dans la phase actuelle, il est temps de passer d’une approche verticaliste et technocratique à une approche plus inclusive et ouverte. »

Elections en Nouvelle-Zélande : triomphe de la gauche

Les élections en Nouvelle-Zélande ont abouti à un résultat impressionnant et qui paraîtrait hautement improbable s’il avait eu lieu en Europe : la gauche a triomphé.

Le Parti Travailliste a recueilli 49,1% des suffrages, remportant la majorité absolue des sièges, tandis que son partenaire écologiste progresse de même et obtient 7,5% des suffrages. Si l’on y ajoute le résultat du parti communautaire maori, 1% des suffrages, c’est plus de 57% des voix que la gauche dans son ensemble est parvenue à réunir. Les travaillistes obtiennent la première majorité absolue, 64 sièges sur 120, depuis l’instauration de la proportionnelle en 1996. Ils obtiennent le meilleur résultat pour un parti depuis 1953. Comment peut-on expliquer un tel résultat alors que la gauche occidentale connaît une crise sans précédent ? Quelles sont les clefs de compréhension de l’exception néo-zélandaise ?

Une première analyse s’impose : la popularité hors-norme de la Première Ministre Jacinda Ardern a grandement aidé son parti. La Nouvelle-Zélande a connu de multiples crises depuis son accession au pouvoir : attentat de la mosquée de Christchurch qui avait fait 50 victimes, crise du covid-19, crise environnementale durable en Nouvelle-Zélande, dont la biodiversité menace de s’effondrer. Tout au long de son mandat, elle a su réagir à ces crises en menant les mesures qui s’imposaient, en préservant l’unité de la Nation néo-zélandaise.

Depuis son accession au pouvoir, Jacinda Ardern a mené une communication efficace. Son engagement sans faille dans la cause féministe, son inscription dans le mouvement mee too ou dans le combat écologique, ont permis à la gauche institutionnelle d’être le relai et l’écho du féminisme et de l’environnementalisme croissant dans la société. Cet engagement ne s’est toutefois pas contenté d’une campagne de communication, et des mesures concrètes ont permis de répondre aux attentes exigeantes à ce sujet : légalisation de l’avortement, plan d’assainissement des rivières et des lacs, plan de transition vers la neutralité carbone.

Si le gouvernement Ardern a su s’adapter aux attentes écologistes et féministes nouvelles dans la société occidentale, il faut rappeler que le féminisme est un combat de longue date en Nouvelle-Zélande, premier pays à avoir adopter le droit de vote des femmes, et que la conscience environnementale y est très développée. Toutefois, le gouvernement travailliste n’a pas bradé la question sociale au profit de la question environnementale ou féministe, comme l’a fait trop souvent la social-démocratie.

Dès le début de son mandat, le salaire minimum a été augmenté, la sécurité sociale a été étendue et les soins en santé mentale ont été mieux remboursés, des logements sociaux ont été massivement construits, plus de 100 000, alors que la spéculation et l’immigration croissante de catégories aisées ont fait exploser le prix des loyers.

La gauche néo-zélandaise vient de donner une leçon magistrale au reste de la gauche occidentale. Pour accéder au pouvoir, elle n’a pas hésité à s’allier à un parti populiste et au parti écologiste. Une fois au pouvoir, elle a mené une politique d’amélioration des conditions de vie matérielle des classes populaires, tout en s’inscrivant de manière concrète dans les luttes progressistes et environnementales qui faisaient l’actualité. Elle a concilié l’urgence sociale et l’urgence environnementale, a conjugué adaptation aux enjeux culturels modernes et respect de la mission historique de la gauche. Tout cela a été soutenu par une campagne de communication efficace et accessible à tous, où les gestes symboliques et les mesures durables s’alliaient plutôt que ne s’opposaient.

La Gauche Républicaine et Socialiste se réjouit de la victoire du Parti Travailliste, et souhaite que la gauche française, tout en ayant conscience de la différence des contextes, s’inspire de l’exemple néo-zélandais pour réconcilier la gauche et le peuple.

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