Non à la privatisation des routes nationales!

Un décret lié à la LOM ouvre la possibilité de privatiser les Routes nationales : pour nous c’est non !

La presse a relevé le 18 septembre dernier qu’un décret relatif à la Loi d’organisation des mobilités (LOM) avait été publié le 15 août, en plein été pour échapper à l’attention, qui ouvre la possibilité de privatiser les routes nationales.

Le gouvernement poursuit l’extension du marché et cède à la rente privée un investissement public payé par les Français. Il répond ainsi à l’appétit des grands groupes privés qui profitent déjà de la privatisation des concessions autoroutières.

Ainsi l’État macroniste n’a pas la volonté de s’embarrasser de l’entretien correct de nombreuses portions de routes nationales, et pour parvenir à ses fins explique qu’il n’en a pas les moyens. Cette stratégie est poursuivie depuis plus de 15 ans par tous les gouvernements qui se sont succédés : lorsqu’il ne transfère pas tout simplement aux départements certaines routes nationales (qui n’ont pas les moyens suffisants pour un entretien convenable), l’État choisit de négliger dramatiquement les milliers de kilomètres qui restent de sa responsabilité, qui souffrent ainsi d’un sous-investissement chronique et finissent par se dégrader.

L’État macroniste veut ainsi nous faire croire aux sirènes des sociétés concessionnaires privées d’autoroutes qui susurrent : « si vous nous confiez certaines portions, les derniers kilomètres avant l’autoroute, par exemple, nous les entretenons, nous investissons, et, en échange, vous prorogez nos contrats autoroutiers ».

Aucune leçon tirée du scandale des autoroutes

Or, l’allongement des durées de concession, c’est justement ce qu’il faut éviter, comme le démontre le rapport de la commission d’enquête du Sénat rendu public également ce vendredi 18 septembre, après 8 mois de travaux intensifs. Selon les estimations de ce rapport, au moins deux des trois sociétés concessionnaires auront rentabilisé leurs investissements dès la fin de l’année 2022, alors que les contrats courent pour encore au moins dix ans. Prolonger la durée des concessions reviendrait à priver l’État de nouvelles recettes, car plus une concession est vieille, plus elle est rentable. Les dividendes versés aux actionnaires de ces sociétés privées sont d’ores-et-déjà conséquents, nourris par une gestion opaque des tarifs et des péages au détriment des usagers, qui n’ont aucun moyen de pression – pas plus que l’État qui s’en est volontairement privé. En effet, les contrats de concession accordés à ces grands groupes (Eiffage, Vinci, Abertis, pour les plus importants) ont été négociés de dans un sens qui leur était particulièrement favorable et toute tentative pour remettre de l’ordre a été ajournée sine die, comme le démontre le scandale du fiasco de la mission d’information de 2014, dont le rapporteur socialiste Jean-Paul Chanteguet fut mis sur la touche pour avoir trop vertement critiqué les conditions dans lesquelles le gouvernement Hollande avait renouvelé en 2013 les concessions. La commission d’enquête sénatoriale a ainsi auditionné plusieurs ministres qui ont reconnu l’opacité de la gestion de ces contrats de concession, indiquant avoir été même écartés de certaines négociations.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que la privatisation des concessions autoroutières en 2005, décidée par le gouvernement de Dominique de Villepin, a été une gigantesque erreur. Pourtant la droite sénatoriale comme le gouvernement Macron et sa majorité refusent aujourd’hui de réparer cette erreur, invoquant le même argument (et le seul) qui avait justifié la privatisation en 2005 et le renouvellement des concessions en 2013 : « la dette » ! Ainsi Bruno Le Maire annonce sans examen au fond du coût réel des concessions un prix de 45-50 Mds €, ce qui serait selon lui trop cher pour la puissance publique. Ce prix doit être interrogé, au regard de l’opacité du dispositif et des pratiques des sociétés privées. Or nous l’avons tous constaté, l’argent n’est pas cher aujourd’hui pour la puissance publique : l’État vient d’emprunter plusieurs centaines de milliards d’euros sur les marchés et parfois à des taux négatifs. Ainsi investir pour racheter les concessions autoroutières, ce serait à la fois mettre fin à une rente indue pour des sociétés privées qui n’apporte aucun avantage pour les usagers et créer demain des recettes importantes pour la puissance publique ! Même la commission d’enquête sénatoriale pourtant largement orientée à droite estime qu’il est temps de “partager équitablement les profits futurs avec l’État et les usagers” et pour ce fait suggère de ne pas renouveler certaines concessions autoroutières.

Les péages ne doivent plus servir à nourrir les dividendes des actionnaires mais à financer le retour à la gestion publique des autoroutes et à améliorer le réseau et le service, avec trois axes prioritaires : l’aménagement du territoire, la transition écologique et la maîtrise réelle des tarifs et péages (donc la défense du pouvoir d’achat).

Cadeaux et idéologie

On ne peut qu’être consterné par ce refus obstiné de tirer les enseignements du scandale des concessions autoroutières. Pire, le gouvernement Macron est en train aujourd’hui d’engager une aggravation de la situation en étendant à tout ou partie de plusieurs routes nationales le modèle néo-libéral qui s’applique aux autoroutes.

Il s’agit évidemment pour le futur candidat à l’élection présidentielle de favoriser un peu plus quelques sociétés privées et parmi elles leurs principaux actionnaires, dont il pourra récolter le soutien en temps opportun, étant bien entendu qu’Emmanuel Macron sert depuis 2017 les intérêts d’une caste stato-financière et qu’il a vocation à poursuivre dans cette voie.

La rente de situation des sociétés concessionnaires et la récolte de dividendes seront donc dopées par ce nouvel abandon de la puissance publique au détriment des usagers et des citoyens : la mobilisation des gilets jaunes avait ainsi illustré combien l’augmentation coût des transports est insupportable pour les ménages des catégories populaires et même des « professions intermédiaires ». Après l’échec de la privatisation d’ADP (plus du fait de la crise sanitaire que de la mobilisation somme toute remarquable des citoyens contre celle-ci), les routes nationales sont l’un des actifs les plus facilement aliénables pour satisfaire les grands appétits privés.

Au-delà de ces seules considérations vénales, la logique devant nous revient à mettre au clou notre patrimoine pour répondre à une injonction idéologique dangereuse.

La privatisation des routes nationales, après celles des autoroutes, vise à réduire encore un peu l’emprise de l’État – donc notre mandataire collectif – sur la circulation dans notre pays. C’est ni plus ni moins qu’une forme nouvelle de régression sociale : nous revenons aux institutions de l’Ancien Régime, aux logiques d’aménagement de l’espace et aux régimes de circulation qui dominaient notre pays avant la Révolution de 1789 avec les « Fermiers Généraux » et les octrois. Cela implique une forme de transfert de la liberté de circulation des usagers – les citoyens – vers les entreprises – le marché. L’espace politique de notre pays se trouve ainsi un peu plus placé sous l’emprise et le pouvoir des acteurs du marché (oui contrairement à ce que d’aucuns ont pu laisser entendre le marché n’est pas désincarné) et un peu moins sous l’autorité du peuple, fondement de la souveraineté populaire, donc de la démocratie.

Par ailleurs, une fois de plus, le néolibéralisme, présenté comme une forme de modernisation de la vie économique, engage une régression de l’économie d’un pays pour deux raisons :

  • Premièrement, en restreignant l’accès à la circulation dans l’espace public, la privatisation de ces routes réduit l’activité économique en diminuant les échanges. Ce que le néolibéralisme présente comme une forme de modernité est, en réalité, une régression économique qui tend à réduire le volume des échanges soutenant l’activité économique du pays. Même le marché, finalement, se trouve restreint par ce qui nous est « vendu » comme un outil de son développement.
  • La seconde raison est son incidence sur la circulation elle-même et, au-delà, sur l’emprise de la circulation sur l’activité industrielle. En conduisant à une limitation du volume des échanges et donc, de l’intensité de la circulation, la privatisation des routes conduit, à terme, à une diminution de l’usage des moyens de transport. Dans le temps long, cette privatisation pourrait conduire à une réduction de la demande des acteurs des échanges et ainsi, au-delà, à une réduction de l’offre en moyens de transport des acteurs de l’industrie.

En conséquence, la Gauche Républicaine et Socialiste demande le retrait du décret « relatif aux conditions de classement de certaines sections de routes dans la catégorie des autoroutes ». Elle s’oppose radicalement à la privatisation des routes nationales, et réclame le retour de toutes les infrastructures de transport dans le giron public .

la puissance publique doit s’engager dans une logique de non renouvellement des concessions des sociétés autoroutières et préparer une renationalisation de l’ensemble des autoroutes qui permettra le retour à une gestion publique, sous une forme à inventer pour qu’elle puisse associer les usagers.

La LPPR : une nouvelle loi libérale pour perpétuer une précarité ancienne

Le « libéralisme décomplexé à tous les étages ». C’est ce que le pouvoir souhaite pour notre chère France. Après avoir achevé le code du travail, supprimé l’ISF, « désécurisé » les plus en difficulté avec la Loi ELAN ou encore tenté de privatiser les Aéroports de Paris, aujourd’hui la Macronie s’attaque au monde de la recherche.

Alors que le monde souffre encore de la pandémie de Covid-19 et que la nécessité de la recherche – fondamentale, clinique ou humaine et sociale – a maintes fois été démontrée lors de ces derniers mois, le Gouvernement propose une énième loi qui sous couvert d’apporter des « semi-réponses » à certains besoins, introduit plus de précarité et d’incertitudes pour les acteurs de ce secteur.

Premier constat : c’est un texte rédigé avant la pandémie qui est réchauffé et servi aux parlementaires. Pourtant, les grandes orientations du Projet de loi avaient créé une forte opposition auprès de la communauté scientifique. Pour rappel, les manifestations du 5 mars avaient mis dans la rue des milliers d’enseignants-chercheurs, de chercheurs et d’étudiants.

Ce texte aurait pu faire l’objet d’une révision qui aurait permis de prendre en compte les vrais besoins de la recherche au vu des exigences de notre temps. Sa discussion étant repoussée à plusieurs reprises, l’Etat avait donc tout le loisir d’y apporter des modifications importantes, notamment en matière budgétaire et en termes de moyens.

Face à l’enjeu qu’est l’investissement dans la recherche française (aujourd’hui à 2,2% du PIB contre plus de 3% pour l’Allemagne et 2,4% de moyenne dans l’OCDE) et à l’ambition que s’était donné ce texte (les 1% du PIB pour la recherche publique, annoncés pour 2010, ne sont toujours pas atteints), les moyens annoncés sont insuffisants (et le rapport annexé n’apporte pas d’engagements plus concrets).

Lors de son discours de politique générale, le Premier Ministre, Jean Castex, avait pourtant annoncé des mesures budgétaires exceptionnelles et massives de 25 milliards d’euros dans la recherche publique. L’objectif premier étant d’enclencher des mesures de revalorisation salariales ou encore d’augmenter le budget de l’Agence Nationale de la Recherche.

C’était sans compter que l’augmentation de cinq milliards d’euros prévue s’effectuerait sur les dix prochaines années. Le gouvernement ne s’engage en fait que sur les 467 millions d’euros programmés en 2021 et 2022. Qu’en est-il de la prise en compte du taux d’inflation et des besoins financiers de la recherche sur cette prochaine décennie ? N’oublions pas que les engagements de programmation budgétaire, qui concernent en réalité 0,4% des budgets, ne comporte pas d’obligations juridiques. Dans ce cadre, le législateur actuel ou futur peut décider d’en faire autrement l’année d’après ou sur les dix ans à venir, et cela quelle que soit la majorité au pouvoir.

Autre point d’achoppement, la gestion des personnels du secteur est censée « être sécurisée ». C’est notamment l’objet de l’article 3 qui met en place les chaires de professeurs juniors (tenure‑track) qui permet aux établissements de déroger aux titularisations – jusqu’à 25% des recrutements – des directrices et des directeurs de recherche et de professeurs des universités. Ainsi, un établissement peut recruter une personne sur un contrat de 3 à 6 ans et choisir ensuite de la titulariser ou pas. Cela sans aucune précision sur la durée, l’encadrement légal ou les garanties de recrutement et tout en court-circuitant les procédures actuelles.

L’extension du domaine de la précarité, c’est aussi la logique qui sous-tend l’article 4, qui concerne le contrat doctoral, et l’article 5, qui traite des « CDI de missions ». Alors que le premier dispositif rompt avec la convention tripartite des Conventions Industrielles de Formation par la Recherche (une entreprise, un doctorant et un laboratoire) pour installer une logique bilatérale sans le laboratoire, le second permet de contourner l’obligation de « cédeiser » des relations contractuelles de plus de six ans ou de rompre le contrat aisément. Il installe, comme pour la loi PACTE, des CDI de chantier.

L’article 9 symbolise cette course au rendement avec plus d’évaluations et de logiques de rentabilité alors que peu de moyens additionnels sont donnés au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Plusieurs articles organisent aussi une logique de compétition. C’est notamment, le cas de l’article 11 qui prévoit l’augmentation des budgets de l’Agence nationale de la recherche pour la gestion d’appels à projets (Préciput) pour les établissements de la recherche. D’autres articles, comme le 12 et le 13, ouvrent des possibilités de cumul d’activités à temps partiel entre les entreprises et le monde académique. L’article 14 introduit quant à lui la notion de « dispositif de primes et d’intéressement » dans le service de la recherche publique.

La mise en concurrence des acteurs de la recherche est une pure aberration qui induit du stress pour les chercheurs, met en avant une prime au gigantisme au détriment des petits et moyens établissements et à la sacralisation de la loi du plus fort. En outre le dogme du financement exclusif sur appel à projet est contre-productif. Il induit des effets de mode délétères. La logique de l’utilité à court-terme est myope. Ainsi les financements pour travailler sur les coronavirus accordés à l’époque de l’épidémie de SRAS ont vite été abandonnés lorsque cette épidémie s’est finalement révélée moins grave qu’anticipé. Comme en a témoigné dans la presse le virologue Bruno Canard, dans la décennie qui a suivi, il est devenu très difficile de financer ces sujets de recherche sur le coronavirus… jusqu’à ce qu’au printemps dernier un nouveau virus se répande sur la planète et que cette recherche soit jugée urgente de nouveau. Plutôt qu’amplifier la mode, le financement public de la recherche devrait d’abord veiller à garantir une véritable diversité des sujets de recherche.

La recherche, comme la culture, demande une certaine « sensibilité créatrice », parfois des essais-erreurs et une liberté intellectuelle, dans le respect de la vie humaine et animale, pour faire évoluer nos connaissances du monde qui nous entoure. Comme dirait Emile Zola, « chaque fois que la science avance d’un pas, c’est qu’un imbécile la pousse, sans le faire exprès ».

Il nous faut donc défendre la recherche à travers :

  • un plan pluriannuel de recrutement sur des postes durables pour combattre la précarisation et arrêter la progression de la fuite des cerveaux ;
  • un budget qui soutienne réellement les acteurs de la recherche et non un financement par appels à projets comme seul moyen de financement ;
  • une politique qui ne fasse pas de la recherche orientée son seul leitmotiv mais qui comprenne que la science est un chemin d’évolution constant qui ne saurait souffrir de barrières politiques.

La Gauche Républicaine et Socialiste est contre ce texte mis en place sans réelle concertation, qui ne protège nullement notre « souveraineté scientifique » au vu des enjeux actuels et futurs, affaiblit davantage la recherche et l’enseignement supérieur français, accentue les difficultés matérielles et humaines avec des charges et des responsabilités intenables pour le monde de la recherche.

Une stratégie pour redresser la France

Découvrez nos réponses à la crise économique et sociale que traverse le pays.

Les classes populaires allemandes, dans le même bateau que les classes populaires européennes

Les 1% les plus riches allemands possèdent 22% du patrimoine, les 10% les plus riches 66%, et le coefficient d’inégalité en Allemagne, appelé Gini, n’est pas de 0,78 mais de 0,81. Plus il se rapproche de 1 plus une société est inégalitaire. Il était de 0,67 en 2000.

L’Allemagne, d’une des sociétés européenne les plus égalitaires, est devenue en 22 ans l’une des plus inégalitaires. Ces vingt ans ont vu 18 ans de participation au gouvernement du SPD, 15 ans la droite, 7 ans les écologistes et 4 ans les libéraux. Tous se sont accordés, malgré l’établissement d’un salaire minimum légal en 2014, pour détricoter l’économie sociale de marché, l’invention de la fin des années 1950 permettant le consensus historique entre classes populaires et moyennes autour de la démocratie.

Les revenus de la moitié de la population allemande ont baissé entre 1996 et 2016.
Les inégalités de revenus sont déjà bien documentées.
À l’occasion des élections de 2017, des études avaient exposé comment, depuis 1996, les 40% des Allemands gagnant le moins avaient perdu du pouvoir d’achat, quand les 25% les mieux payés avaient gagné jusqu’à 40% de pouvoir d’achat.
Alors que les comptes publics allemands d’avant le Covid démontrent un haut niveau de richesse nationale, que le chômage avoisinait les 5%, et les excédents commerciaux, record depuis dix ans, accumulaient dans le pays des quantités incroyables de capitaux, les 40% d’ouvriers, employés, indépendants avaient eux des conditions de vie inférieures à celles de leurs parents.

Cependant, la presse national-populiste allemande publiait à échéance régulière des articles exposant comment, en moyenne, les foyers allemands possèdent, en Europe, moins de patrimoine que les Grecs ou les Français. Le message implicite, c’est que ces 40% vivaient moins bien parce que leurs impôts alimentaient par l’Union Européenne les patrimoines des Grecs et des Européens. Voilà comment on empêche les classes populaires de découvrir leur communauté d’intérêts dans une zone économique, monétaire et politique.

Il n’y avait pas, dans le passé, en Allemagne de pression à l’achat du logement, ni à la constitution d’un patrimoine immobilier.
Grèce et France ont ici des traditions différentes. Les familles s’endettent tôt pour se constituer un patrimoine immobilier pour les vieux jours : elle est donc pensée comme une épargne de précaution. Mais ce phénomène ralentît en France avec l’explosion des prix immobiliers, qu’aucun gouvernement français n’a voulu endiguer.

L’Allemagne fut longtemps un pays de locataires, à l’offre de logements abondante et relativement abordable.
Dans la capitale allemande, au début des années 2000, plus de 45% des logements étaient propriété publique, gérée par la ville, des coopératives ou une régie de droit privé en main publique. Cela explique l’absence d’explosion sociale dans les années 2000-2010. Le revenu s’effritait peut-être, mais l’Allemagne connut entre 2003 et 2006 une crise immobilière qui baissa la part du revenu disponible consacrée au logement.
Depuis 2010, cependant, l’afflux de capitaux par les excédents commerciaux et ceux de la balance des paiements n’a pas trouvé de débouchés d’investissement, l’Etat refusant de s’endetter pour investir.
La ville de Berlin, elle, s’est séparée de l’essentiel de ses logements, se privant d’un instrument essentiel de régulation du marché immobilier.
C’est la ville où le prix à l’achat comme celui à la location a le plus progressé, obligeant en 2019 la ville à décréter un encadrement légal des prix des loyers, avec un maximum par m2 ne pouvant être dépassé sous la menace d’une amende de 50 000 euros.
Cette nouvelle « loi du maximum » rappelant les conventionnels de 1793, est attaquée devant la cour constitutionnelle, mais démontre surtout comment la ville s’est elle-même privée des outils d’intervention en privatisant n’importe comment.

Les capitaux ont partiellement rejoint, en Allemagne… le matelas : on estime à 1000 milliards d’euros l’épargne dormante sur des comptes courants des Allemands les plus fortunés, ceux du tiers prospère de l’Allemagne.
L’autre partie des capitaux, venue du monde entier, a alimenté une explosion des prix de l’immobilier.
Le coût du foncier a progressé de 80 à 300% dans les villes allemandes, les loyers suivant le même chemin dans la même proportion. Le revenu disponible des ménages modestes s’en est trouvé très directement réduit. C’est ce qui explique le divorce récent des classes populaires et de la démocratie sociale à l’Allemande.

A la suite des réformes antisociales du SPD et des écologistes entre 2003 et 2005, et des politiques pro-banque et « premiers de cordée » de Merkel, le vote de 2017 fut un vote de classe.
Les classes populaires ont choisi massivement soit les deux partis exclus du jeu démocratique et de la participation au pouvoir, les Linke à gauche, et l’extrême droite incarnée par AfD (cette dernière revenant au Bundestag avec 94 députés pour la première fois depuis 60 ans) ; soit l’abstention.
Les Verts et les libéraux du FDP sont en concurrence pour les mêmes classes sociales : les classes supérieures, celles qui ont bénéficié de l’évolution économique des dix dernières années, et qui, par conséquent, défendent une forme de statu quo européen.
SPD et droite merkellienne fondent de tous les côtés, partis des retraités et de classes moyennes ayant vu leur pouvoir d’achat stagner depuis 1996.

Si l’on reprend l’étude du DIW, voici la réalité des inégalités de patrimoine en Allemagne : alors que rapportée à la moyenne de la population, les Allemands devraient chacun posséder 150 000 € de patrimoine, les 50% les plus modestes n’en possèdent en moyenne que … 3700.

Ce n’est pas le Grec qui s’est constitué un patrimoine sur le dos de l’ouvrier allemand, mais bien le riche allemand, et d’après l’étude principalement un homme ouest-allemand.

Celui-ci ne se plaindrait, toujours d’après le DIW, que d’une chose : travailler 47 heures par semaine et manquer de temps libre.

Une étude de 2016 démontre que cette « plainte » des millionnaires allemands est particulièrement cynique : la baisse du chômage et l’appauvrissement des classes populaires vont de pair, parce que l’Allemagne a procédé depuis 1998 à une gigantesque baisse du temps de travail et des salaires pour les employés, ouvriers, précaires et indépendants.
En forçant la sortie de contrats à temps plein et indéterminés, les classes sociales élevées ont créé une servitude permanente pour les classes populaires.
Celles-ci ont dû accepter des contrats réduisant le nombre d’heures rémunérées pendant l’année, baissant leur revenu, pendant que l’indemnité chômage devenait, par les systèmes de contrôle violant l’intimité, une contrainte encore plus insupportable.
En moyenne, le temps de travail des 50% les plus modestes est passé entre 1998 et 2016 de 38 à 33 heures hebdomadaires, payées 33.
Incapable de vivre dignement dans ces conditions, on ne moufte plus au boulot. On ne se syndique plus. On ne se bat plus.
Il ne reste plus que l’acte du vote pour se révolter, et comme c’est la « démocratie réunifiée » qui dégrade autant les conditions de vie, c’est contre la démocratie que les classes populaires votent.

Les 25% les plus riches ont par contre maintenu leur temps de travail en moyenne au-dessus de 40 heures hebdomadaires payées 40. Ils n’ont partagé ni temps de travail, ni revenus. Et grâce à la spéculation immobilière et la spéculation financière, leur patrimoine progresse en valeur bien plus rapidement que l’inflation.
Dans le même temps, l’Allemagne a fait comme les autres pays européens, et réduit le niveau de prélèvements obligatoires des 25% les plus favorisés : suppression de l’impôt sur les revenus financiers, suppression de l’équivalent de l’ISF, réduction de la taxation de l’héritage, basculement des cotisations et des revenus de l’impôt progressif sur des taxes sans condition de revenu et des impôts indirects.

Les inégalités de revenus ont donc crû en Allemagne, et les inégalités de patrimoine révèlent qu’en plus la moitié des Allemands n’en ont pas.
La crise économique est donc explosive dans ce pays : sans patrimoine, pas de précaution possible contre des accidents économiques majeurs et dramatiques ; pas de patrimoine, c’est être livré, après les réformes Harz IV, à l’arbitraire des contrôles des modes de vie, jusque dans les décisions les plus intimes – peut-on se permettre de se marier, d’avoir un enfant, de vivre ensemble…
De plus, les montants gigantesques de capitaux inemployés, ou engloutis dans la bulle immobilière, n’ont aucune utilité sociale. En refusant de les mobiliser par la dette ou l’impôt, l’Etat allemand a gaspillé dix ans de prospérité pour protéger le quart des Allemands les plus prospères. Il n’a cependant pas satisfait les exigences de rendements des rentiers et cette pression politique explique la conversion de certaines classes supérieures à l’extrême-droite.

La crise du Covid frappe donc un pays où les inégalités dans la prospérité sont devenues tellement insupportables que les services secrets intérieurs le reconnaissent : la première des menaces à laquelle doit faire face la démocratie allemande, c’est l’extrême-droite.

Il faut dire, comme l’a révélé la crise sanitaire du Covid dans certaines branches, que le capitalisme allemand est expert dans l’utilisation de forts volumes de main-d’œuvre moins bien payées et sans culture syndicale, importées d’Europe de l’Est pour maintenir les salaires bas, et les dividendes élevés.
Dans le secteur de la viande, où Merkel arracha à Hollande des réformes européennes funestes à l’agroalimentaire français, les patrons ont fait venir, contre les règles de confinement, 30 000 ouvriers de Roumanie et de Bulgarie, pour les employer par des sous-traitants de paille à des salaires de misère, logés par ces mêmes sous-traitants dans des foyers insalubres à des prix démentiels, l’employeur récupérant par le loyer le salaire versé. Dans ces conditions, qu’un pasteur de Gütersloh qualifie « d’esclavage moderne », 50% des ouvriers ont contracté le Covid.
C’est cela, la compétitivité à l’allemande : la misère, l’exploitation, la maladie.

Il existe une petite musique en France liant les difficultés du pays « à l’hégémonie allemande en Europe, à l’Euro qui n’est que le Deutsche Mark masqué, à ces diktats allemands que sont les traités européens. »
Chacun de ces faits est le résultat d’une alliance consciente des bourgeoisies françaises et allemandes sur le dos de leurs classes populaires.
Les « fondés de pouvoir » de ces bourgeoisies se sont chargés de faire endosser ces politiques par les partis représentant les classes populaires et moyennes – Delors et Hollande en France, Schröder, Gabriel en Allemagne, entre autres, car ils sont bien trop nombreux pour tous les citer.
Dans les deux cas, les partis de la social-démocratie ont perdus les classes populaires et moyennes, l’un s’effondrant en dessous de 7%, l’autre passant de 42 à 14%. Les gauches ont été également emmenées dans ce voyage vers l’enfer : le total gauche en France est passé de 52% en 2012 à 25% aujourd’hui, et en Allemagne, de 57% en 1998 à 35% aujourd’hui.
Dans les deux cas, l’extrême-droite est devenu le parti des classes populaires.
L’amitié franco-allemande n’existe pas, comme l’expliquait Coralie Delaume en 2018, mais l’amitié des bourgeoisies touchant des dividendes, elle, est réelle.
Elles n’ont pas besoin de cohésion sociale, de paix sociale, d’unité nationale.
Daniel Guerin rappelait, dans son introduction de 1962 à la réédition de son livre de 1936 « Fascisme et Grand Capital » : « la solidarité de classe que la bourgeoisie française avait déjà témoignée, naguère, au vainqueur de 1871, lui inspirait de l’indulgence (voire de la sympathie) pour les régimes « forts » d’Allemagne et d’Italie, et un secret désir de s’entendre avec eux contre le prolétariat. »

La bourgeoisie allemande est effrayée : lorsque la crise pandémique paralysait les usines allemandes en Chine, ce sont les communistes chinois qui ont forcé leur réouverture, contre l’avis des propriétaires en Allemagne. Cela les a traumatisés : « quoi, je ne maîtrise pas mon capital en Chine ? »
Le protectionisme américain fermant la voie du marché occidental, il reste le marché intérieur. Angela Merkel cherche une alliance européenne pour une relance afin de permettre à la bourgeoisie de retrouver en Europe les marges perdues en dehors.
Mais il ne faut pas se leurrer : cette affaire se fera sur le dos des classes populaires. Emmanuel Macron, qui a ramené la bourgeoisie sociale française dans son comportement électoral à sa maison, la droite, l’a d’ailleurs déjà annoncé : la réforme des retraites passe avant la relance économique.

Ces politiques égoïstes et cupides des bourgeoisies franco-allemandes ont un défaut : si la démocratie cesse d’être sociale, le divorce des classes populaires de la démocratie condamne à mort celle-ci. La bourgeoisie peut espérer conserver le pouvoir, soit par la violence – et seul un mur de policier sépara Macron d’une chute du régime en décembre 2018 –, soit en se mettant elle-même à la tête du mouvement national-populiste, comme avec Johnson, Trump ou Bolsonaro. C’est en France la tendance du front souverainiste, qui crée le pont entre les intérêts bourgeois et le RN, ou en Allemagne, la tentation populiste de la CSU bavaroise et de la CDU de Saxe.

Les inégalités de revenus et de patrimoine en Allemagne sont encore plus marquées qu’en France. Le taux de pauvreté y est, avant le Covid, plus élevé qu’en France (17% contre 14%).
Si la France est le pays record du monde dans le paiement des dividendes, faisant de son capital le plus coûteux du monde, coût financé par les salariés, l’Allemagne est le pays record d’Europe du contraste entre richesse nationale et misère populaire.

Il faut créer les liens de conscience de classe entre Français et Allemands : ouvriers, employés, fonctionnaires, précaires, indépendants sont dans le même bateau, celui d’une galère où ils rament pendant que leur bourgeoisies sirotent des cocktails sur le pont. Ce n’est pas en levant les classes populaires l’une contre l’autre que l’on changera cela. Et ce n’est qu’en les reconquérant dans les deux pays que les deux Républiques, sociale et laïque en France, d’économie sociale de marché en Allemagne, pourront subsister.

Cela passe par rétablir deux priorités :

  1. logement, donc baisse des prix et rendements immobiliers ;
  2. et salaires, c’est à dire rééquilibrer le partage des richesses entre travail et capital au profit du travail.

C’est la condition pour reconstruire les systèmes de prévoyance solidaires, de santé, d’éducation, de sécurité matérielle.

Reconstruire une représentation politique des classes populaires dans les deux pays ne se fera pas du jour au lendemain. Cela ne se fera pas sous l’égide d’une bourgeoisie libérale écologique incapable de penser les conditions de production et de vie digne des classes populaires, aveuglée par l’individualisme de sa morale. Pourtant, c’est justement par la mobilisation des capitaux que la bourgeoisie refuse d’investir que le bien commun, social et écologique, peut être atteint.

Cela signifie, comme la ville de Berlin réinventant en 2019 la loi du Maximum des révolutionnaires français de 1793, ne pas avoir peur de penser comment contraindre le capital, ce qu’est le bien commun, comment subordonner le marché au bien commun, et reconstruire un pacte républicain.

Municipales 2020 : au-delà de plusieurs symboles réjouissants, les défis restent immenses

Au soir du second tour des élections municipales, et le lendemain encore, nombreux sont ceux à gauche qui crient victoire. Il n’est pas question de leur reprocher, il est légitime que des candidats et des militants se réjouissent de leurs résultats après une campagne qui n’a ressemblé à aucune autre. Les militants de la Gauche Républicaine & Socialiste se réjouissent tout autant lorsqu’ils ont participé à la victoire des forces de gauche là où elle a eu lieu. Nous tentons de consoler aussi d’autres camarades, amis et sympathisants qui ont connu la défaite, parfois attendue, toujours amère et souvent injuste.

Une fois dit ou écrit cela, il faut cependant prendre garde à ne pas tomber dans le triomphalisme en tirant des conclusions erronnées du scrutin qui vient de s’achever. Rien ne serait pire pour la gauche de répéter la même erreur interprétative que celle de mars 2001, où dans un accès de cécité volontaire, la conquête de Paris et de Lyon avait permis de masquer des résultats plus mauvais que ce que la presse et les partis avaient alors présenté. Le fait qu’un certain nombre de grandes villes basculent vers des listes rassemblant la gauche et les écologistes (Lyon, Bordeaux, Tours, Montpellier, Nancy, Annecy, Corbeille-Essonnes, Périgueux, Bourges, etc.), que certaines d’entre elles soient conservées par ce type de liste ou des rassemblements plus classiques (Grenoble, Lille) ou qu’ils évitent des basculements vers LREM (Strasbourg) [le cas de Marseille est plus complexe en attente d’un troisième tour] – c’est une excellente nouvelle – ne doit pas nous faire oublier qu’en réalité le ratio droite/gauche n’a pas réellement bougé : en 2014 il ne restait plus que 84 villes de plus de 30 000 habitants à gauche ; en 2020, elles sont 86, le bilan des gains et des pertes par la gauche et les écologistes est donc mitigé et il le reste si l’on regarder toutes les strates de population (sauf pour les villes de plus de 100 000 habitants). Le rejet du parti présidentiel semble cependant acté un peu partout – sauf exception – ce qui n’empêchera pas l’exécutif de continuer, après ce désaveu, à user sans vergogne de tous les moyens institutionnels dont il dispose

Le premier enseignement de ce scrutin, avant toute autre chose, c’est l’effondrement de la participation, alors que les élections municipales étaient réputées pour être plus fréquentées que les autres il n’y a pas si longtemps…

La crise pandémique, qui semble désormais relativement maîtrisée dans notre pays, n’explique pas pour l’essentiel cette chute brutale. Si elle a pu nous paraître expliquer l’abstention massive du premier tour (avec des appels publics dès la fin de la matinée du 15 mars à ne pas aller voter ou réclamant l’annulation du scrutin), le maintien d’une abstention aussi massive au second tour nous raconte une autre histoire, dans laquelle une large partie du peuple français a décidé de décrocher des élections. Alors qu’on pouvait imaginer que nos concitoyens – à défaut de considérer que les élections nationales avaient une influence réelle sur les choix gouvernementaux et l’évolution concrète de leurs vies – croyaient encore à l’efficacité du vote pour orienter des politiques publiques locales, il nous faut constater que ce n’est plus le cas pour une grande majorité d’entre eux. Les discours qui insistent sur le fait que les électeurs manqueraient de responsabilité sont un peu courts ; il faut faire droit à une idée désormais très répandue dans les catégories populaires selon laquelle la politique ne peut plus changer leur vie.

On aboutit donc du fait de cette abstention massive à une contradiction qui n’est qu’apparente : plus un territoire souffre de la mondialisation libérale plus il vote à droite ; plus un territoire semble s’y être bien inséré, plus il vote écologiste ou à gauche. Il faut mesurer ce que peut signifier une partie du vote écologiste dans les « métropoles » : c’est le retour d’un électorat qui avait voté Macron et LREM au printemps 2017 qui revient à un vote de centre gauche, où l’écologie se substitue peu à peu à la social-démocratie comme idéologie des catégories socio-professionnelles supérieures qui se pensent « progressistes ». Le risque de voir s’estomper encore la question sociale s’aggrave donc, les dirigeants des partis appartenant peu ou prou tous à ce milieu social et adhérant à la culture dominante des centre-villes métropolitains. D’une certaine manière, la France est en train d’achever le parcours qui conduit à l’américanisation de sa vie politique. L’abstention massive rejoint ce que l’on connaît depuis plusieurs décennies aux États-Unis et qui est une victoire de la pensée libérale : les structures collectives sont démonétisées et le business devient l’organisateur du corps social plus que la décision publique. C’est là un des résultats navrant des échecs de la gauche qui se prétend « de gouvernement » et qui a progressivement convaincu les citoyens qu’elle ne peut ou ne veut pas changer le monde. L’impuissance (volontaire) de la gauche face au Capital a provoqué la grève ou la dépression civique.

Nous avons donc franchi un cap qui marque une nouvelle étape de la crise démocratique, révélant encore avec force une fracture sociale et territoriale :

      • En effet, la forte abstention de dimanche (et du 15 mars) risque d’alimenter une rupture au sein même de nos villes qui pourrait créer des dégâts importants et à long terme sur l’acceptation même des politiques publiques locales. Si nous nous se réjouissons de l’adoption de programmes locaux mêlant officiellement solidarité et transformation écologique, leur mise en œuvre sera-t-elle aisée alors que dans certains cas ce sont plus de 70% des habitants qui ont boudé les urnes ? La remarque est d’ailleurs valable pour les communes qui ont choisi ou reconduit une majorité de droite ;

      • Cette abstention peut également renforcer des logiques clientélistes, puisque certaines forces politiques ont choisi de ne pas lutter contre la désertion des urnes. Il s’agit pour elles désormais de mobiliser sur un faible nombre d’électeurs leurs sympathisants et de faire ce qu’il faut pour être devant. Il n’est plus question ici de mobiliser les citoyens et de les convaincre de la pertinence de votre projet. On sait ce que cette logique comporte comme risques de corruption, de clientélisme, de communautarisme et parfois d’achat de voix ;

      • Cela marque également une fracture au sein du pays : qui peut croire que le pays bascule vers une gauche écologique, aux contours parfois indéfinissables, uniquement parce que les grandes villes et en leur sein les centre villes ont choisi dimanche majoritairement ce camp ? Très souvent en milieu rural, périurbain ou dans les quartiers populaires, les habitants sont restés indifférents aux propositions politiques qui leur étaient ainsi soumises, par la gauche comme par la droite. Les écologistes percent essentiellement dans les grandes métropoles. À l’inverse, on voit que la plupart des villes moyennes restent aux mains des maires sortants LR et divers droite (et certaines ont basculé cette année). Notre pays est donc de plus en plus clivé, avec des métropoles qui s’autonomisent, qui font sécession d’une certaine façon, et de l’autre des périphéries qui votent pour des forces plus « rétrogrades ». Ce rapport centre-périphérie est visible jusqu’au sein des métropoles.

Il conviendrait donc de ne pas tirer de conclusions hâtives du scrutin municipal. Les victoires médiatiques – aussi réjouissantes soient-elles – dans les grandes villes masquent des clivages nationaux profonds. Cette élection municipale était fortement désynchronisée du contexte national en raison de l’absence de logique d’alternance. Enfin une élection à 30% de participation et une élection à 80% de participation n’ont rien à voir. Les classes populaires n’ont pas voté. Lorsqu’elles se déplaceront à la présidentielle, elles pourraient faire entendre une toute autre musique.

On peut retenir que la gauche réussit mieux lorsqu’elle est unie et cohérente, que son projet a été travaillé et n’est pas qu’un bricolage de dernière minute. Le travail est encore largement devant nous. Et le défi d’engager une dynamique politique qui permette de convaincre l’ensemble des Français de l’utilité de la Démocratie et en son sein de la gauche républicaine et écologique reste entier. Nous devons être vigilants et éviter que (pour reprendre le concept d’américanisation de la vie politique française) la gauche française souffre du même aveuglement que les Démocrates américains qui tombèrent de haut face à Donald Trump.

Quoi qu’en dise les différents partenaires, les égos sont aiguisés dans la perspective de la course à la désignation d’un candidat pour élire un monarque présidentiel. Nous nous attacherons, nous, à retisser le lien abîmé avec nos concitoyens, là où nous pouvons le faire, que nous participions à des majorités ou à des oppositions municipales. Nous n’aurons également de cesse de plaider pour le rassemblement et un travail de fond pour un programme de transformation. Tout reste à faire.

Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Prolongeant la dynamique du mouvement d’indignation qui a saisi toutes les sociétés occidentales après le meurtre raciste de George Floyd aux États-Unis d’Amérique commis par un policier blanc de Minneapolis, le débat public et les manifestations s’étendent aujourd’hui plus largement à la question de la mémoire, de l’esclavage et des logiques structurelles qui nourrissent toujours dans notre société le racisme et les discriminations.

Une partie du débat et des happenings se cristallisent aujourd’hui sur les statues de personnalités d’époques diverses, que certains souhaitent déboulonner comme représentations symboliques d’une oppression raciste passée. Sans parler du cas particulier des États-Unis et de la mémoire de la Guerre Civile qui seule permit l’abolition de l’esclavage, la statue d’un commerçant esclavagiste britannique a été jetée dans la rivière à Bristol ; elle avait été érigée plusieurs siècles plus tôt pour le remercier d’avoir apporté la prospérité à la ville grâce au détestable « commerce triangulaire », la symbolique était ici particulièrement puissante.

Mémoires de France

En France aussi, les happenings militants se développent et le débat bat son plein. Si cela peut donner lieu à des caricatures, disons le la question n’est pas en soi illégitime. Il ne doit plus, heureusement, rester en France de statue, de rue ou d’avenue Pétain et plus aucun républicain ne lui rend hommage, le chef du régime défaitiste et collaborationniste qui trahit la France ayant effacé le « vainqueur de Verdun » (et sur cette dernière image d’Épinal, il y aurait beaucoup à dire). Pour s’émouvoir de la raréfaction des rues Adolphe-Thiers ou reprocher encore à Gustave Courbet d’avoir fait abattre la colonne Vendôme, il faut être un adorateur particulièrement zélé des « Versaillais ». Que notre pays évolue et choisisse au cours de son histoire et de l’évolution de sa société d’honorer telle ou telle figure est dans l’ordre des choses, mais nous sommes en démocratie et cela doit se faire lors d’un débat serein.

Si d’aucuns ont choisi de s’en prendre à la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale ou exigent que l’on rebaptise la salle Colbert dans le Palais Bourbon car il aurait promulgué le « code noir », rappelons qu’il a promulgué une bonne partie des codes de l’époque, qu’il n’en est pas l’initiateur en tout cas pas plus que Louis XIV qui pourrait bien être visé par la même colère. Personne ne semble retenir que les fresques de la Salle des Conférences du Sénat racontent dans ce grand palais républicain une histoire de France quasi exclusivement monarchique et catholique, ce qui est pour le moins cocasse. De même personne ne songe sérieusement à réduire en cendres le Sacré Cœur, alors qu’il a été construit pour célébrer le massacre de la Commune de Paris et prévenir le peuple de la Capitale qu’il serait toujours surveillé par l’Église et l’Armée. Quand a contrario un buste du Général De Gaulle est vandalisé à Lille sous le prétexte de racisme ou que la statue de Jacques Cœur subit le même sort à Bourges (on peut s’interroger sur une opération de provocation volontaire en pleine campagne des élections municipales) en l’accusant de colonialisme, nous faisons face à de l’inculture et à une méconnaissance affligeante de notre histoire qu’il faudra réparer.

Évidemment, la France a une longue histoire, dans les siècles qui se sont écoulés on trouve le pire et le meilleur. Il faut savoir vivre avec et savoir la regarder sereinement et démocratiquement ; que les promoteurs de l’esclavage ou des militaires connus pour avoir perpétré des massacres de populations civiles dans l’hexagone ou en Outre Mer soient progressivement écartés ou que leurs méfaits soient rappelés ne devraient pas nous effrayer. Mais il est important qu’alors que nos commémorations symboliques peuvent évoluer nous ne jetions un voile sur tout ou partie de notre histoire : les régimes, gouvernements, monarques, ministres, généraux, etc. qui ont fait la France doivent être présentés aussi avec leurs zones d’ombre ; l’histoire de l’Outre Mer où vivent plusieurs millions de nos concitoyens mériterait elle aussi d’être valorisée, enseignée aussi bien dans la Creuse qu’à Fort-de-France.

La République face à l’histoire

L’esclavage – en quelques époques ou lieux que ce soit – ne peut apparaître à un républicain et un humaniste sincère que comme une abjection morale. Il laisse des traces profondément dans les sociétés qu’il a blessées et parfois plusieurs générations après. Quiconque veut bien être un peu observateur constatera que c’est encore le cas à bien des égards en Martinique, Guadeloupe ou à la Réunion, où la stratification économique et sociale ou même certains comportements portent encore l’héritage de l’esclavage. Clemenceau, journaliste pour Le Temps, s’était rendu aux États-Unis d’Amérique après la victoire de l’Union sur la confédération, il avait vu l’horreur des conséquences de l’esclavage même après son abolition, il en était revenu profondément anticolonialiste.

Or l’un des premiers actes de notre pays en devenant République fut de rompre symboliquement avec cette pratique abominable. La République française s’est constituée en abolissant l’esclavage, une première fois en 1794, et l’un des premiers actes du gouvernement provisoire qui établit la Deuxième République en 1848 c’est à nouveau l’abolition de l’esclavage et la création pour la première fois en droit positif dans le monde occidental de la notion de crime contre l’humanité, puisque le citoyen français qui continuerait à posséder et/ou à acheter des esclaves serait déchu de sa nationalité française. Qui se souvient de cela ? Qui se souvient que la proclamation devant la face du monde de l’aspiration à l’égalité par la Nation française avait bien dès le départ cette portée universelle puisqu’elle s’adresse à tous les êtres humains quelle que soit leur couleur de peau ? C’est dire combien les attaques récentes contre la mémoire de Victor Schoelcher, père de l’abolition, sont absurdes. Cela ne doit par contre pas effacer une réalité historique et politique qui est trop peu enseignée, voire pas du tout : l’abolition n’est pas un cadeau accordé dans un élan de pure générosité humaniste ; si l’abolition put être décidée (avec le compromis qu’on trouverait aujourd’hui aberrant sur l’indemnisation des propriétaires) c’est aussi la conséquence des nombreuses révoltes d’esclaves à la Martinique et à la Guadeloupe, notamment, et de la lutte réussie pour l’indépendance d’Haïti. L’abolition répondait donc aussi à un rapport de force et des intérêts bien compris. L’ensemble de cette histoire, plus complexe que l’image d’Épinal qu’en fit plus tard la IIIème République, mériterait d’être rappelée et enseignée.

Si l’idéal républicain est donc bien universaliste et égalitaire, la République n’est pas acquise une bonne fois pour toute. Napoléon Bonaparte au moment d’établir le Consulat – qui était déjà une forme d’abolition de la République – rétablit l’esclavage en Guadeloupe avec une répression féroce (la Martinique occupée par les Britanniques ne connut jamais cette première abolition) et tenta de reconquérir Haïti pour y rétablir l’esclavage. La motivation profondément raciste de ce personnage pourtant illustre de l’histoire de France ne fait pas de doute. Ainsi lorsque nous enseignons l’Histoire du Consulat et de l’Empire, notre récit national devrait sans doute célébrer l’instigateur du code civil, mais peut-être brosser aussi le portrait moins flatteur du dirigeant raciste d’un régime très autoritaire et intrusif, qui mit souvent pour de mauvaises raisons l’Europe à feu et à sang (revers de la médaille de la gloire militaire temporaire qu’on lui attribue). La République fut également progressivement subjuguée par un autre Bonaparte ; les missi dominici de Napoléon le Petit imposèrent ainsi un régime particulièrement oppressif pour les Antillais et Réunionnais que la Deuxième République venait de libérer de l’esclavage. Ce régime se perpétua d’ailleurs au-delà de la chute du Second Empire, il ne tomba réellement qu’avec départementalisation de 1946 et l’action publique ne cesse depuis de corriger petit à petit les séquelles de cette histoire.

Si l’idéal républicain est bien universaliste et égalitaire, les gouvernements de la République et ceux qui les dirigent ne sont pas parfaits et peuvent même avoir commis des fautes. On peut établir que l’esclavage et la colonisation naissent de concert. Pour soutenir l’idée de l’esclavage, il faut évidemment soutenir l’idée d’une inégalité entre les Hommes, l’existence de races inférieures et supérieures. Les premières colonies antillaises et africaines sont ainsi totalement liées à l’histoire de l’esclavage. La poursuite de la colonisation après l’abolition symbolique de l’esclavage est héritière de cette idée que les peuples colonisés seraient de ces « races inférieures » et l’Européen, le Français, serait donc légitime à les dominer. La colonisation porte ainsi un message radicalement opposé à celui de la République. Comment plaider la cohérence d’une France républicaine qui puisse prétendre diriger des territoires et des populations auxquelles elle refuse les bénéfices des droits qu’elle proclame pour toute l’humanité ? En Algérie, seule véritable colonie de peuplement française (considérée comme partie intégrante du territoire national dès les années 1880), le code de l’indigénat impliquait des peines spéciales décidées par l’administration coloniale pour les Algériens, qui bien que Français ne bénéficiaient pas pleinement de la citoyenneté. Il n’est pas possible d’arguer après coup que c’était une autre époque et qu’il serait inapproprié de mesurer la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec les lunettes de 2020 : les débats politiques et parlementaires sur la pertinence de l’aventure coloniale, tant du point de vue philosophique que pratique, furent particulièrement vifs. On l’a dit, des Républicains radicaux comme Clemenceau étaient profondément anticolonialistes, mais certains nationalistes ou monarchistes voyaient également dans la colonisation une diversion par rapport à la « nécessaire » préparation de la revanche sur l’Allemagne, quand l’inventeur de l’école républicaine obligatoire, gratuite, publique et laïque – Jules Ferry – fut un colonialiste convaincu. Jean Jaurès qui commença sa carrière politique à l’ombre de ce dernier devint ensuite tout à la fois socialiste et anticolonialiste, mais il faut dire que la vigueur anticolonialiste concrète de la SFIO s’effaça rapidement après son assassinat. Charles De Gaulle, envoyé dans les années 1930 en mission au Liban, rédigea lui-même une note indiquant que de tels régimes supposant que des peuples soient ainsi mis sous tutelle étaient déjà anachroniques et qu’il était dans le sens de l’histoire qu’ils prennent leur indépendance. De quoi éclairer sous un jour particulier l’action qu’il mena quelques trente années plus tard (après avoir compté sur « l’empire » comme base arrière de la France Libre), qui est elle-même percluse de multiples contradictions.

L’universalisme républicain en acte

La République et son idéal font ainsi souvent les frais des rapports de force politiques, quand ce n’est pas plus prosaïquement et banalement la conséquence de « petits jeux politiciens ». La République est un combat ; on ne peut tenir notre devise Liberté – Égalité – Fraternité pour acquise du simple fait qu’elle serait énoncée. Comme socialistes, nous connaissons bien les logiques inégalitaires à l’œuvre en économie capitaliste qui ne plient ou reculent que sous l’effet du rapport de force politique et social que l’on construit (ou pas). Pourquoi serait-ce différent pour les inégalités et discriminations fondées sur l’origine, la couleur ou la religion supposée ? Pourquoi serait-ce différent quand les Libéraux et le monde capitaliste instrumentalisent également les enjeux d’identité pour réduire la personne à l’individu, pour diminuer d’autant la capacité des travailleurs à s’organiser collectivement en les dressant les uns contre les autres en fonction de leurs origines ? Pourquoi serait-ce différent quand les discriminations liées à l’origine croisent les inégalités économiques et sociales ?

D’ailleurs en d’autres points du globe, ce type de processus a été parfaitement utilisé, y compris à des fins économiques, entre des populations différentes que ne séparaient pas la couleur de peau : l’opposition au sein de la classe ouvrière d’Irlande du Nord entre Unionistes et Nationalistes (Protestants et Catholiques) grâce à l’encouragement du sectarisme est un modèle du genre.

Raison de plus pour ne pas se laisser pièger par des concepts ambigus ou même pervers. Ainsi la notion de « privilège blanc » (expression popularisée par une écrivaine de talent et à succès mais dont on peut s’interroger sur son sens des réalités) peut évidemment être comprise, dans une certaine mesure, s’il s’agit de désigner cette situation où, par le fait d’être blancs, certains d’entre nous ont accès facilement à un logement, un emploi, à un certain nombre de choses sans même nous en rendre compte. Mais cette notion, même si on peut en comprendre l’intention (chez certaines personnes de bonne foi), est viciée à la base car le concept de « privilège » renvoie à quelque chose qu’il faudrait en principe abolir. Or, le souci aujourd’hui n’est pas de savoir si les « blancs » doivent avoir accès facilement à un logement, etc. ou s’il faudrait leur retirer cette capacité, alors même qu’elle n’est pas l’apanage de tous les « blancs ». Cette façon de penser est même quelque part une manière de réinvestir le principe de « hiérarchie des races », entre les « blancs » qui auraient (forcément) une vie merveilleuse et « les autres ». La question c’est de se demander pourquoi d’autres n’ont pas accès, pourquoi nous tolérons encore que dans les faits de telles discriminations perdurent concrètement ; la question est de se demander – lorsqu’on a constaté qu’il y a des gens, en raison de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur handicap, pour lesquels l’exercice des droits humains est soit tronqué, soit inexistant – comment il faut agir pour faire reculer puis mettre fin concrètement à cette rupture d’égalité. Car à nouveau ce que l’universalisme républicain nous rappelle c’est bien l’unité de l’humanité, l’égalité entre tous les Hommes, en cela il n’est en rien un concept évanescent et surplombant comme le prétendent certains militants différentialistes ou intersectionnalistes. L’universel ne relève pas d’une sorte de dogme surplombant, d’un ensemble de principes qu’on accepte tels quels. L’universel c’est une aspiration qui est toujours en construction, qui est traversée d’une réflexion sur les façons de faire progresser ces aspirations universelles. L’universalisme républicain devient concret lorsqu’il existe une volonté politique pour le mettre en œuvre.

Ainsi, après la démonstration que nous venons de faire, si l’expression de racisme d’État nous semble impropre dans la République française, le débat sur la définition de « racisme structurel » peut être entendu mais doit faire l’objet de beaucoup de précautions. Le Défenseur des Droits vient de pointer une politique systématique dans un arrondissement de Paris d’arrestations de personnes de couleur ; il considère ici qu’il ne s’agit plus de l’acte d’un individu mais d’une structure, il a également pointé le fait que ses interpellations sur les dysfonctionnements de l’institution n’avaient pas reçu de réponses depuis 5 ans. Soyons clairs, il existe en France une politique ou une stratégie particulière qui a des effets de « racisme institutionnel », c’est celle qui préside aux contrôles d’identité. C’est un cas particulièrement choquant : toutes les études montrent que lorsque vous êtes jeunes, noirs ou d’origine maghrébine, vous avez 10 à 20 fois plus de « chances » d’être contrôlés : cela signifie que 3 ou 4 fois par jour au bas mot une personne issue de ces catégories peut-être contrôlée, ce qui explique aisément un sentiment de ras-le-bol, de révolte et parfois les propos et les actes qui vont avec (avec les conséquences que l’on peut imaginer). Cette pratique s’apparente donc à une peine administrative appliquée à une catégorie de la population qui doit justifier plus que d’autres de son appartenance à la Nation, du fait de son apparence … et cela devant ses amis, devant ses proches, devant les collègues de travail qui eux ne seront pas contrôlés, et le fait que cela se passe également parfois sans témoin n’en diminue pas l’ineptie. Les justifications prétextées pour cette pratique discriminante sont de deux ordres : l’immigration irrégulière et le trafic de stupéfiant… Notre police est affectée pour une trop grande part au contrôle et à la répression du commerce et de la consommation d’une drogue qui est aujourd’hui légale au Canada et dans de nombreux États européens et des USA : la marijuana. Ces policiers doivent être affectés à des tâches autrement plus importantes pour l’ordre public, notre sécurité et la concorde civile. Avec cette réforme, l’essentiel des contrôles d’identité et leur justification tendancieuse disparaîtraient. La fin de cette stratégie de fait des contrôles d’identité discriminatoires auraient également pour conséquence de participer à la modification de l’état d’esprit d’une partie des forces de police, à qui la hiérarchie impose de fait une façon de penser qui s’éloigne des principes républicains.

Notons aussi que le choix des hommes compte sur ce chemin semé d’embûches. Dans la suspicion qui existe entre une partie de la population et les forces de l’ordre, le problème ne vient pas directement des policiers, mais de la stratégie qu’on leur demande d’appliquer. Les hommes comptent dans ces matières : M. Papon était dans les années 1960 Préfet de police de Paris ; sous son autorité ont eu lieu le Massacre de Charonne (8 février 1962, 9 morts et 250 blessés) et celui des manifestants pro-FLN du 17 octobre 1961 (pas moins de 200 morts). Le Préfet Grimaud qui lui a succédé avait une toute autre politique en matière de maintien de l’ordre, il est évident que de nombreux manifestants de Mai-68 doivent la vie à ce changement de préfet. À un moment, il y a la responsabilité des chefs qui donnent des consignes et des stratégies, et les policiers ne sont souvent que des agents qui doivent obéir aux ordres qui leur ont été donnés (tant qu’ils ne sont pas illégaux). Rappelons le courrier adressé à ses troupes par le Préfet Grimaud le 29 mai 1968 : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez. » La hiérarchie, l’administration républicaine et ses cadres se doivent en tout temps et toute circonstance d’impulser un discours, des consignes et des stratégies conformes à l’idéal républicain, si l’on veut que l’ensemble des représentant de l’État en toute matière (et pas seulement en ce qui concerne la sécurité et le maintien de l’ordre) agisse selon les principes républicains.

L’éducation est aussi un terrain à réinvestir. Nous avons insisté plus haut sur l’enseignement de l’histoire, sur un récit national qui prenne mieux en compte la diversité du peuple français, qui tienne compte avec raison des faces sombres et lumineuses de notre pays. Faire face à notre histoire avec réalisme est la meilleure manière de renforcer l’unité de la communauté nationale. Il faudra donc revoir notre enseignement de l’esclavage et de la colonisation, l’enseignement des l’histoire de l’Outre Mer et des pays qui ont été si fortement liés, pour le pire mais parfois aussi le meilleur, au nôtre avant de prendre leurs indépendances. Le fait que l’immigration algérienne se soit poursuivie – dans des proportions importantes – après 1962 montre également que la France était capable de dépasser la guerre civile qu’elle avait subi et fait subir des deux côtés de la Méditerrannée. Il ne faut pas non plus oublier les conditions souvent indécentes dans lesquelles beaucoup de travailleurs maghrébins puis leurs familles furent reçus, ou plutôt parqués. Une histoire de l’immigration doit donc être intégrée au récit national, en ayant à l’esprit que le fait que celle-ci depuis les années 1960 provienne très majoritairement de pays dont les populations ont été dominées par la France modifie quelque peu la manière dont nous pouvons atteindre les objectifs républicains d’assimilation et d’intégration que nous avons appliqués aux immigrations précédentes. Au demeurant nous récusons l’idée parfois avancée (au comptoir du café du commerce) que si les Italiens, Polonais, Yiddish, Espagnols ou Portugais ont subi un forme de « bizutage », il serait tolérable que les immigrations maghrébines et subsahariennes le subissent aussi.

Enfin, la crise sanitaire que nous venons de subir a de nouveau démontré les discriminations de tout ordre dont font l’objet des habitants de certaines parties de notre territoire. La Seine-Saint-Denis a enregistré ainsi un niveau de contamination, de décès et de verbalisation (cf. notre paragraphe sur le contrôle au faciès) plus important que la moyenne nationale. On sait parfaitement que ce département compte aujourd’hui de très nombreux habitants d’origine méditerranéenne, subsaharienne et chinoise. Les statistiques ethniques réclamées par certains – en prenant le risque de figer les identités – n’apporteraient rien de nouveau et d’utile à l’action publique. La sous dotation médicale ou en services publics de ce territoire est ancienne et n’est pas liée à la nature de son peuplement actuel mais l’a précédé. Le déficit d’égalité de la Seine-Saint-Denis s’est donc creusé au fil des décennies ; il a commencé à le faire selon une logique que nous qualifierons de « méfiance » à l’égard de « classes laborieuses » considérées comme des « classes dangereuses ». L’installation des familles de travailleurs immigrés à la sortie des bidonvilles dans lesquels ils étaient cantonnés parfois jusque dans les années 1970 n’a fait que renforcer cette discrimination territoriale, dans un territoire frappé dès le début des années 1980 par une violente désindustrialisation. Ici encore l’inégalité économique et sociale rejoint la problématique des discriminations « ethniques » et celle de la ségrégation géographique. Le retour à une « Politique de la Ville » digne de ce nom (elle a fini d’être mise en lambeau sous le quinquennat de François Hollande), parallèle à un renforcement massif des services publics et des politiques de droit commun pour ramener ces territoires à l’égalité républicaine, ou un renforcement des contrôles et des sanctions pénales en matière de discrimination à l’embauche et dans l’emploi, est une urgence absolue.

* * *

La République est un combat. La réalisation de la promesse de l’universalisme républicain est un combat. Elles ne peuvent se satisfaire de notre immobilisme ; pour faire un peu de provocation, détournons dans cette conclusion le fameux slogan maoïste : « La République est comme une bicyclette : quand elle n’avance pas, elle tombe ! »

La République est née en rejetant radicalement l’esclavage et le racisme, en proclamant l’égalité humaine à toute l’humanité. Notre pays n’a pas besoin d’accommodements, de négociations, de tractations, de privilèges : il a besoin d’égalité et de République. Plus que jamais ! La concrétisation de notre idéal ne va pas de soi et dépend des actions que nous aurons la volonté et le courage de mettre en œuvre : au travail !

Face à la violence et au racisme, redonner force à la République !

Le meurtre de Georges Floyd par quatre policiers de Minneapolis (Minnesota) est la dernière goutte de sang faisant rompre des digues dans les opinions publiques occidentales.

La prise de conscience en cours dépasse le cadre américain et rappelle dans l’universalité de la réponse des jeunesses des sociétés riches les mouvements oubliés contre l’apartheid de l’Afrique du Sud des années 1980.

Ainsi, malgré la conscience du risque pris, alors que la pandémie due au Covid-19 n’est pas finie, des dizaines de milliers de manifestants, jeunes pour la plupart, masqués, ont manifesté partout en Europe contre le racisme et les violences policières : Bruxelles, Londres, Copenhague, Berlin, Munich, Francfort, Hambourg, et même, malgré l’interdiction prononcée par les préfets, à Paris et plusieurs grandes villes de France. À Bristol, une statue de l’esclavagiste Colson a été jeté dans le port.

Tous les cortèges ont en commun de rassembler des jeunes, entre 18 et 35 ans, beaucoup de primo-manifestants, tous habillés de noirs. C’est un mouvement d’opinion qui rebondit sur celui des “Friday” pour le climat. Il démontre un refus de thèses et d’organisations sociales et politiques au cœur du néolibéralisme, et dont le protecteur dévoyé est souvent la police.

Il ne constitue pas encore une alternative, et les contradictions sont nombreuses encore entre tenants de l’universalisme humaniste, et ceux, adhérant paradoxalement à la définition néolibérale d’une humanité divisée en identités et inégalités de nature, privilégiant l’individualisme de la communauté, et niant les solidarités de classe. C’est le piège de ce moment : il y a des libéraux souhaitant le repli individualiste ou communautaire pour nier les classes et les questions sociales ; il y a des faux universalistes souhaitant plonger la tête dans le sable, privilégiant la conservation de l’ordre social à la résolution de sa violence. Les uns ne veulent pas de la République, les autres nient qu’elle soit sociale.

L’Allemagne face aux infiltrations terroristes de sa police

À Berlin, à Munich, à Hambourg, à Nuremberg, dans de nombreuses villes allemandes, les manifestations ont fait le lien entre racisme et violences policières.

Dans ce pays, les policiers doivent prêter serment à la loi fondamentale, qui inclut la déclaration des Droits de l’Homme, et proclame le caractère intangible de la dignité humaine.

À ce titre, il est jugé incompatible avec le service public l’engagement dans des partis et mouvements d’extrême droite tels que le NPD.

Il y a presque dix ans, on découvrait cependant que dix meurtres, neuf immigrés d’origine turcs ou grecs, et une policière, avaient été commis par une cellule terroriste d’extrême droite, la NSU. Tout au long des enquêtes, la police n’avait pourtant jamais prospecté sur cette piste, privilégiant des « règlements de compte entre maffias et clans », se plaignant d’une omerta empêchant le recueil d’informations sur cette maffia, qui n’existait pourtant que dans les préjugés racistes des enquêteurs.

Depuis, les groupements d’extrême droite ont renforcé leurs efforts pour infiltrer la police.

Depuis quelques années, les autorités ne réagissent plus par des enquêtes administratives, comme la France continue elle à le faire avec l’IGPN, juge et partie, mais directement en saisissant les services secrets intérieurs.

C’est ainsi qu’en 2018 un groupe Whatsapp de 40 policiers a été identifié et observé : ces policiers, du Land de Hesse, utilisaient les bases de données de la police pour envoyer des lettres de menaces à des militants antiracistes et des avocats des victimes de la NSU. Suite à une perquisition en février 2020, il a été prouvé que certains de ces fonctionnaires avaient détourné armes et munitions des dépôts policiers en vue de préparer des actions terroristes. Les enquêtes en cours ont entraîné les limogeages immédiats des fonctionnaires concernés.

En France, un tel groupe peut grimper à 8 000 participants !

La co-présidente d’un des partis au gouvernement, le SPD, Saskia Esken, a réclamé hier une grande enquête sur le racisme dans la police. Elle n’est pas seule : les autorités hiérarchiques policières elles-mêmes parlent de combattre le racisme dans leur rang, de renforcer formation et encadrement, de se donner les moyens pour maintenir une police républicaine, loyale au serment à la loi fondamentale.

Samedi, malgré des affrontements en fin de manifestation à Berlin et 93 arrestations, le chef de la police a « remercié » les manifestants « majoritairement pacifiques » et loué leurs efforts pour respecter la distanciation physique – discours si différent d’un Castaner déclarant en janvier 2019 « ceux qui viendront manifester savent qu’ils seront complices des débordements » ou d’un préfet de police indiquant à une manifestante âgée qu’ils n’étaient « pas dans le même camp ».

Une culture de l’impunité est la négation de la République

Ce long développement permet de souligner la culture de l’impunité qui s’est établie en France. Aujourd’hui même, le rapport du Défenseur des Droits la dénonce : en cinq ans, le Défenseur des droits a demandé des poursuites disciplinaires dans trente-six affaires de manquements aux règles de déontologie, sans recevoir de réponse.

La République proclame l’égalité de toutes et tous devant la loi. Cela vaut également pour ceux dépositaires, au nom du peuple souverain, du monopole de l’exercice de la violence légitime. Le peuple républicain attend de sa police protection et service, pour pouvoir jouir des libertés publiques garanties par la constitution.

Cependant, l’exercice de la violence ne reste légitime que s’il est contrôlé, encadré, si les Gardiens de la Paix sont formés et dirigés correctement, si des effectifs et des moyens nécessaires et suffisants permettent d’assurer les missions.

Devenir policier est un engagement au service de la Nation qui peut rendre nécessaire le sacrifice de sa vie pour sauver les autres. C’est un métier difficile, ingrat, à la conjonction de demandes contradictoires, entre des politiques néo-libérales qui veulent gérer à coup de matraque les inégalités sociales, une Nation espérant Protection et Soutien, et des groupes sociaux et politiques s’affranchissant de la République.

Il faut le dire : le gardien de la paix est au cœur du pacte social républicain, comme le professeur, l’infirmière, le militaire, le pompier. C’est pourquoi les attentes sont également particulièrement élevées quant à l’exemplarité de son comportement en fonction. Tout cela implique de garantir l’exemplarité par la sanction immédiate des comportements déviants.

En France cependant, de faux républicains affirment l’infaillibilité de nature de la police.

Républicaine par la force des textes de lois, elle serait sans faute ni tâche. Elle devrait dès lors être soustraite à tout examen de son action, ses fonctionnaires considérés au-dessus de tout soupçon.

Cette culture de l’impunité est entretenue par le rôle prééminent donné à l’IGPN, autorité de contrôle administrative interne.

L’absence de contrôle s’accompagne de la lâcheté hiérarchique. Comment un groupe Facebook a-t-il pu atteindre 8 000 membres sans qu’un seul gradé, face aux centaines de messages racistes et sexistes, n’intervienne ? Comment se peut-il qu’un tel groupe ne soit pas surveillé par la sécurité intérieure ?

Cela s’explique par une raison simple : depuis 2005 au moins, la police est utilisée comme instrument principal de lutte contre les révoltes et les colères sociales, tout en restant une variable d’ajustement budgétaire, dont on réduit toujours les effectifs ou les moyens concrets, poussant ses fonctionnaires à bout, jusqu’aux « épidémies de suicides ».

La hiérarchie policière, versée dans la seule répression sociale, au point d’agresser les journalistes et les parlementaires en manifestation, sous estime le danger d’infiltration des institutions par des groupes et idéologie d’extrême droite souhaitant la guerre civile européenne.

Ces idéologies sont à l’origine des attentats d’Anders Breivik en Norvége en 2011, du tueur de Munich en 2016, du meurtre de la députée travailliste britannique Jo Cox en 2016, des attentats en Allemagne contre des élus, des juifs et des turcs en 2019 et 2020.

Pourquoi une police où les syndicats affiliés à l’extrême droite ont fortement progressé ces dix dernières années serait-elle immunisée face à un phénomène européen ?

L’égalité devant la loi nécessite de remettre les deux moteurs inséparables, la sanction et la formation, au cœur de la réforme de la police républicaine.

Il est insupportable que des personnes, interpellées pour des délits, meurent au moment de leur interpellation, qu’ils s’appellent Traoré ou Chouviat. La doctrine et les techniques d’interpellation doivent changer, l’obligation de secours à la vie redevenir prioritaire à l’accomplissement d’un acte administratif visant à sanctionner un outrage.

Il est contraire à la République que la police ne garantisse plus l’exercice des droits fondamentaux, tel que celui de manifester, de s’exprimer, mais au contraire les en empêche. Ce n’est pas le rôle de la police de décrocher, pendant le confinement, des banderoles d’opposants accrochés à des balcons privés. Il est absolument intolérable que des élus, des journalistes, des syndicalistes, soient des cibles dans les cortèges. Personne ne devrait perdre un œil ou une main dans l’exercice d’un droit fondamental. Il est absolument nécessaire de pourchasser devant la justice tous les actes de violence non proportionnés de membres des forces de l’ordre. Il n’est pas proportionné aux impératifs de maintien de l’ordre d’éborgner, amputer, et blesser des citoyens libres de manifester.

* * *

Aux États-Unis, le Parti Démocrate a annoncé une grande réforme de la police en cas d’alternance. En Allemagne, le plaquage ventral est maintenant interdit. La France, en retard, sous la pression internationale, a annoncé l’interdiction de la prise d’étranglement mais reste dans l’ambiguïté sur le plaquage ventral.

La confiance dans la République et sa police exige à la fois de la réformer, de mieux la former et l’encadrer, et de briser la lâche impunité que lui garantit le pouvoir actuel.

Remettre de la République dans la police, c’est remettre de la République dans la société, et par conséquent, s’attaquer aux conséquences sociales de 40 ans de destruction néolibérale de l’Etat et de la cohésion nationale.

Le coût du travail n’existe pas !

Il n’y a plus de véritable politique de l’emploi en France.

Celle-ci se confond depuis maintenant de nombreuses années avec l’idée simpliste qu’il suffirait de baisser les coûts de production pour que le taux de chômage diminue. On assiste ébahi à un empilement de mesures visant à réduire le « coût » du travail (CICE, Pacte de responsabilité etc.) sans que cela ait le moindre effet pérenne sur le marché de l’emploi.

Cette non-politique a en revanche des conséquences directes et franchement absurdes sur notre appareil productif : multiplication des plans de réductions des effectifs, recours excessifs à la sous-traitance, développement d’emplois atypiques favorisant la précarité (CDD, interim, etc.).

Plutôt que de continuer dans cette voie la crise actuelle nous fournit l’opportunité d’entamer une bifurcation digne de ce nom, de rompre avec l’idée malsaine et faussée selon laquelle le travail est un coût qu’il faut baisser.

Rappelons-le, le travail n’est ni un coût ni une marchandise comme les autres.

Il est un investissement et constitue, au même titre que la monnaie, l’une des conditions indispensables de l’échange économique. Parler du coût du travail a donc aussi peu de sens que de parler du coût de la monnaie et est révélateur du renversement sémantique à l’œuvre depuis 30 ans qui vise à culpabiliser les travailleurs.

Leur précarisation croissante n’a par ailleurs jamais été une solution au chômage de masse. Au lieu de favoriser l’émergence d’un cercle vertueux dans lequel l’efficacité économique serait directement corrélée à la stabilité de l’emploi et à une revalorisation des salaires, les partisans de la « flexisécurité » pratiquent la dynamique inverse et créent de véritables trappes à pauvreté desquelles il sera particulièrement complexe d’extraire les travailleurs précarisés.

L’enjeu est donc de taille : il ne s’agit rien de moins que de construire une nouvelle stratégie économique orientée vers une véritable transition sociale et écologique dont les deux piliers seraient l’investissement dans des emplois de qualité et la réduction du temps de travail.

Contrairement donc à l’idéologie libérale, la baisse d’un prétendu « coût » du travail ne constitue pas un levier d’action adéquat. Une politique de l’emploi digne de ce nom ne pourra jamais se contenter d’une telle chimère ; elle doit se construire sur une série d’instruments allant de la politique industrielle au marché du travail en passant par l’éducation et la formation professionnelle. Et tous ces instruments doivent être animés par un objectif partagé : celui d’un appareil productif qui valorise des emplois plus qualifiés et de meilleure qualité.

L’urgence sociale et écologique nous force à tourner la page d’un hyperproductivisme low-cost qui ne survit que par la compression des coûts et la précarisation des travailleurs. La crise sanitaire du Covid-19 a d’ailleurs fait rejaillir le problème fondamental de l’utilité sociale des emplois :

comment ne pas s’insurger devant le traitement réservé à celles et ceux qui ont fait tourner le pays pendant ces deux derniers mois (personnels hospitaliers, ouvriers du bâtiment, travailleurs des services publics, conducteurs de métros et de bus etc…) ?

La question de la répartition du travail se pose également avec une intensité croissante.

Révolution numérique et persistance du chômage nous mettent face au défi de trouver une configuration du marché de l’emploi qui ne soit excluante pour personne. Le risque d’une société à deux vitesses où cohabiteraient des citoyens intégrés par le travail et d’autres vivant à sa marge existe bel et bien et montre l’impérieuse nécessité de relancer une dynamique d’aménagement et de réduction du temps de travail.

Faire le pari de l’emploi c’est également viser sa juste répartition :

le passage au 39h a entraîné la création de 145 000 emplois sur trois ans, avec les 35h il s’agit de 350 000 sur quatre ans. Certes la réduction du temps de travail n’est pas une fin en soi, elle doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur la place du travail dans notre société, il n’en reste pas moins qu’elle constitue une politique de l’emploi redoutablement efficace quand elle est bien menée.

Face à la faillite sociale, économique et écologique du néolibéralisme il est encore temps d’engager nos politiques de l’emploi vers un futur plus souhaitable et soutenable, vers une vision qualitative de la production économique qui soit respectueuse des travailleurs et de l’environnement.

Le mur de la dette publique n’existe pas !

Depuis le début de la crise du covid-19 , les discours alarmistes sur le gonflement de la dette publique française prolifèrent et ce sans raison apparente.

Oui, déficits et dette publics gonfleront demain : le second projet de loi de finance rectificative annonce un déficit à 7,6 % du PIB et une dette équivalente à 112 % du PIB à la fin de l’année 2020.

Non, une telle situation n’a rien de catastrophique. Contrairement à nombre d’idées reçues la dette publique n’est pas un mal en soi, et encore moins un mal français.

Dans leur volonté d’autoflagellation, les libéraux et autres partisans des politiques austéritaires oublient que l’augmentation des déficits et de la dette publique n’est pas une situation qui s’arrête aux frontières de l’Hexagone. C’est la norme dans la quasi-totalité des pays développés.

Depuis 1974 les Etats-Unis n’ont connu que trois années d’excédents budgétaires, la Grande-Bretagne quatre et le Japon cinq. Avoir un budget équilibré tient donc de l’exception et non de la règle. Bien souvent les discours sur la dette ne sont que des prétextes pour attaquer des dépenses publiques jugées à tord excessives.

Dans le lot des arguments nous intimant l’ordre de nous inquiéter du niveau de la dette publique française on retrouve aussi l’idée que les générations futures devront payer nos excès.

“La dette serait à l’origine d’une rupture d’équité entre générations.” Rien n’est plus faux.

la dette publique est inférieure à la production de richesses par les administrations publiques et ce sont ces mêmes richesses, et non nos excès, que nous léguerons aux générations futures à travers les dépenses publiques d’éducation ou encore de santé. Ce qui pose problème ce n’est pas la valeur du lègue, le patrimoine privé comme le patrimoine public sont positifs, c’est sa répartition.

A la faveur de la crise, le gouvernement semble découvrir une vérité pourtant établie depuis longtemps : la dette publique est un outil indispensable de l’interventionnisme étatique et il ne faut pas hésiter à l’utiliser quand la situation l’exige.

Lorsque la conjoncture est basse, lorsque l’activité se rétracte, il est du devoir de l’Etat de faire jouer les déficits publics et la dette afin de relancer l’économie. La majorité des pays de l’OCDE a d’ores et déjà mis en place une politique budgétaire expansionniste et renvoyé aux calendes grecques leurs objectifs d’équilibre budgétaire.

C’est la voie à emprunter. La dette publique est nécessaire, elle ne devient excessive que lorsque les taux d’intérêts et d’inflation sont trop élevés. Ce n’est pas le cas présentement. Loin d’être un problème, l’endettement public est actuellement la solution à la crise économique que nous traversons. Mais cette vérité triviale ne semble pas sauter aux yeux de tout le monde.

« La transition écologique impose des choix cohérents au service d’un projet d’émancipation »

L’écologie n’a de sens que si elle s’inscrit dans une perspective philosophique et politique récusant aussi bien l’idéologie de la compétition que le conservatisme xénophobe, souligne, dans une tribune au « Monde », Gaëtan Gorce, membre de la Gauche républicaine et socialiste.

De tribunes en appels variés, il n’est plus question, comme issue à la crise que nous traversons, que de transition et d’investissement écologiques !

Mais si tout le monde semble s’accorder sur l’objectif, c’est qu’il repose sur une ambiguïté qu’il serait sage de lever. L’écologie n’est pas un programme en soi. Elle impose de faire des choix cohérents en matière sociale, économique, fiscale et ne peut donc avoir de sens qu’inscrite dans une perspective plus large, politique et anthropologique.

Face aux dérives toujours possibles, y compris autoritaires, d’une nouvelle « morale écologiste », c’est d’abord une conception philosophique de l’homme qu’il convient de remettre en avant : une conception qui fait de l’individu un être social, certes autonome mais constitué des relations qu’il entretient avec le monde dans lequel il vit ;

une philosophie, celle de l’émancipation collective qui considère l’humanité comme un écosystème, caractérisé par des liens d’interdépendance qui, de contraints, doivent devenir librement consentis. Et dans laquelle l’exigence écologique trouve « naturellement » sa place. Se fixer cette exigence permet de refonder à la base le combat à mener : à la fois contre une idéologie néolibérale revendiquant pour l’individu une liberté d’action totale et contre un conservatisme xénophobe qui partage cette vision compétitive, mais la transpose à l’échelle de groupes humains fermés sur leur identité.

Un pacte social

Elle conduit à renouer avec les deux grandes sources d’inspiration que furent pour la gauche les théories de la liberté sociale et du solidarisme, qui restent d’une formidable actualité. La première va au-delà d’une conception matérielle et jugée égoïste de la liberté. Aussi refuse-t-elle d’en séparer la définition de celle de la fraternité. La liberté n’est pas la juxtaposition d’intérêts et d’initiatives individuels dont la confrontation finit par détruire la société. Elle est la possibilité de s’accomplir par le plein exercice de ses facultés, qui ne peut s’obtenir par la concurrence qui mutile mais se réalise au contraire par la coopération qui enrichit la ressource commune dans laquelle chacun peut alors puiser plus largement.

Ce qui suppose que l’autre ne soit pas vu simplement comme un partenaire de l’échange marchand, mais comme un égal.

Le philosophe, homme politique et éditeur Pierre Leroux (1797-1871) s’est, parmi d’autres, fait le porte-parole de cette idée d’une véritable communauté sociale, condition et moyen de la liberté individuelle.

Le « solidarisme », formalisé par le Prix Nobel de la paix Léon Bourgeois (1851-1925), la complète : prenant acte que l’individu n’existe pas sans la société, il fonde positivement la morale et le droit sur ce fait social incontestable qu’est la solidarité, c’est-à-dire l’imbrication des fonctions. Il en déduit la dette dont chaque membre de la société serait redevable. De ce qu’il ne peut rien accomplir sans les autres, l’homme doit s’acquitter par son engagement à leur service, au prorata des avantages reçus. Le développement de sa liberté, son épanouissement, liés à ses qualités propres, se réaliseront d’autant mieux que la société sera plus solidaire, c’est-à-dire plus riche de la conjonction des efforts de tous.

C’est la perspective d’une égalité fondatrice et croissante qui doit guider l’action politique, poussant au progrès continu de la solidarité

Ces deux cadres théoriques, qui ont servi de fondement tant à l’impôt progressif qu’aux premières assurances sociales, amènent à une conclusion commune : il n’y a pas lieu d’opposer l’individu à la société, l’une étant créée par l’autre, pas plus que la liberté à la solidarité, chacune contribuant à l’affirmation de l’autre. Leur développement ne peut être que concomitant. On voit bien alors en quoi cette approche nous aide à préciser le projet de la gauche et à y intégrer l’écologie.

Le « solidarisme » repose sur une conception du pacte social susceptible de servir de support à un réformisme offensif. Il imagine en effet ce pacte comme un contrat de fait, dont les clauses devraient être proches de celles que les hommes auraient consenties s’ils avaient pu en délibérer à l’origine. Le principe d’égalité ne les aurait en effet conduits à donner leur accord qu’en contrepartie d’avantages jugés équivalents par et pour tous. C’est cette perspective d’une égalité fondatrice et croissante qui doit donc guider l’action politique, poussant au progrès continu de la solidarité.

« Un fonds commun » inaliénable

Le solidarisme invite ensuite à considérer que la dette dont l’homme est débiteur vaut aussi bien pour l’avenir que pour le passé. La seule façon qu’il ait de remercier ses donateurs est d’agir de la même façon à l’égard de ses descendants, tous étant ses semblables dotés par conséquent des mêmes droits. Il lui incombe donc d’entretenir mais aussi d’enrichir le legs qui lui est fait et dans lequel il est aisé – et logique – d’introduire « la nature ».

Le patrimoine dont il jouit et qu’il lui revient de transmettre est en effet aussi bien matériel qu’immatériel, naturel que social. Il constitue « un trésor ou un fonds commun » inaliénable, non privatisable, universellement accessible, anticipant les notions de patrimoine commun de l’humanité ou de biens publics mondiaux. Il en découle une règle pour l’action : préserver, réparer ou enrichir ce patrimoine par des politiques appropriées.

Cette analyse, séculaire, est aujourd’hui confortée par l’évolution des sciences, notamment la biologie qui fait de tout être vivant non une substance mais une symbiose, non un état mais un devenir. Toutes nous confirment que nous sommes physiquement et psychologiquement le produit d’interactions : notre mode d’existence est donc foncièrement écologique. L’économie ne peut prétendre en fournir la finalité profonde qu’il appartient à la communauté humaine de définir en élargissant sa responsabilité à toutes les dimensions de vie sur terre. Dès lors, l’enjeu est bien de construire sur ces bases la société comme une société de coopération qui pense l’humain en relation avec ce qui le fait vivre. Au rebours d’une vision réactionnaire subordonnant la vie sociale au respect des lois naturelles, il s’agit bien là d’articuler le politique, l’économique, le social et l’environnemental au service d’un projet d’émancipation.

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