Refonder la politique de l’habitat : un avis fort du CESE face à l’urgence !

L’avis du CESE sur « L’habitat et le logement face aux défis sociaux, territoriaux et écologiques » que Marie-Noëlle Lienemann a présenté le 8 juillet 2025, aux côtés de Maud Lelièvre, a été adopté à la quasi-unanimité (2 abstentions).
Il trace la voie pour résorber la crise du logement, répondre à l’urgence climatique et s’adapter aux nouveaux défis et modes de vie en France.

🚨 Un constat sans appel

🔸Niveau dramatique du nombre de mal-logés et de personnes sans domicile
🔸Les dépenses de logement représentent en moyenne 25% du budget des ménages, beaucoup plus encore pour les familles modestes
🔸L’accès à un logement abordable est de plus en plus difficile partout (2,8 millions de demandeurs HLM, accession sociale bloquée…), alors que la construction de logement chute dangereusement
🔸Isolation : retard important dans la rénovation, adaptation insuffisante aux fortes chaleurs

📄 Le rapport fait 22 préconisations autour de quelques axes forts

🔹 Une loi pluriannuelle de programmation, fondée sur la planification territoriale et des réponses adaptées: vieillissement, handicap, logement saisonnier, droit au logement, habitat rural
🔹 La régulation des prix du foncier et l’encadrement des loyers
🔹 La reprise de la production massive de nouveaux logements abordables et de qualité (objectif : 750 000 logements sociaux en 5 ans, relance de l’investissement locatif privé sous condition et de l’accession sociale)
🔹 Des outils pour construire la ville sur la ville, le village sur le village : neuf, reconfiguration de l’ancien, réutilisation des bureaux vides, mobilisation du parc vacant
🔹 Une stratégie foncière anti-spéculative et de sobriété
🔹 Une application renforcée de la Loi SRU et un troisième programme de renouvellement urbain pour avancer vers davantage de mixité sociale
🔹 La prise en compte du « confort d’été » dans toutes les rénovations, mise en place de véritables plans canicule (prévention & réponses d’urgence)
🔹 Un plan de végétalisation et d’accès à la nature partout

📃 Vous pouvez télécharger le rapport ci-dessous

et regarder la séance plénière (avec l’intervention de Clement Beaune Haut commissaire au Plan et de Valérie Letard ministre du logement)

Beds are burning

La date du mardi 8 juillet 2025 apparaît dès aujourd’hui comme un précipité des faux-semblants et des reniements de la politique écologique française sous le mandat d’Emmanuel Macron.

Les gouvernements, qui se succèdent, semblent reprendre à leur compte cette antienne sarkozyste 2011 : « l’environnement, ça commence à bien faire1« .

La présentation du « budget vert » depuis 2020 est essentiellement un exercice de style qui permet d’additionner d’une année sur l’autre des crédits budgétaires qui ne sont pas comparables d’une année sur l’autre pour prétendre à un effort croissant de près de 15 Md € en 5 ans. Ces artifices ont fait long feu : le fonds vert, présenté en 2023 comme le levier pour ancrer la transition écologique sur le terrain et dans les collectivités, est passé de 3,6Md € en 2023 et 2024 à 1,15Md € cette année, en attendant les prochaines annulations de crédits.

L’examen du projet de loi sur la simplification de la vie économique a été un festival des députés MoDem, Renaissance, Horizons, LR et RN pour sabrer dans les outils écologiques : Zéro Artificialisation Nette (sans aucune alternative de stratégie urbaine), affaiblissement de l’ONF, suppression du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, de l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers, de l’Office français de la biodiversité ou de l’Observatoire national de la politique de la ville (outil pourtant nécessaire pour mesurer et accompagner les processus de transition écologique dans les quartiers populaires particulièrement exposés)…

Le 8 juillet, ils votaient la loi Duplomb qui ne pourra avoir qu’un seul résultat : réintroduire des pesticides cancérigènes sans régler AUCUN problème, notamment celui de notre souveraineté alimentaire ! Nos agriculteurs resteront piégés par une concurrence déloyale et une grande distribution qui les pressure jusqu’à la ruine, mais la FNSEA est satisfaite.

Et pendant ce temps, les Quartiers Nord de Marseille, métropole française et méditerranéenne de plus d’un millions d’habitants, et leur population étaient exposés à des incendies massifs, avec une sécheresse qui arrive toujours plus tôt dans l’année, résultat explicite du changement climatique en cours (et qui s’accélère). Quelle autre démonstration plus parlante pouvait-on trouver pour illustrer que le risque climatique est d’ores-et-déjà plus durement vécu par les catégories populaires ?!?

Enfin, ce matin du 9 juillet, nous nous sommes réveillés avec la communication du service européen Copernicus pour son bulletin climatique mensuel : Le mois de juin 2025 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe de l’Ouest, marqué par deux vagues de chaleur – entre le 17 et le 22 puis à partir du 30 juin – « exceptionnelles » : « ces vagues de chaleur sont susceptibles d’être plus fréquentes, plus intenses et affecteront de plus en plus de personnes en Europe« . Dans le monde, le mois dernier était le 3e mois de juin le plus chaud, juste derrière juin 2024 (qui était 0,2°C plus chaud) et quasiment au même niveau (0,06°C) que juin 2023.

Le groupe de rock australien Midnight Oil2 cartonnait dans les classements en 1987 avec la chanson « Beds are Burning ». En 2002, Jacques Chirac prononçait au  IVe sommet de la Terre à Johannesburg « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » En juillet 2025, nos lits brûlent avec la maison et toute la droite, du centre aux extrêmes, regarde ailleurs.

Frédéric Faravel

  1. La phrase exacte prononcée par l’ancien président de la République le 6 mars 2011 au Salon de l’agriculture est « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement, parce que là aussi ça commence à bien faire. » ↩︎
  2. Le groupe, connu pour son engagement écologiste, est toujours mené par le chanteur Peter Garett qui fut par ailleurs député travailliste à la Chambre des représentants d’Australie de 2004 à 2013 et ministre australien de l’écologie de 2007 à 2013. ↩︎

« Sans alternative à l’offre actuelle, l’attractivité du train restera une ambition… et l’utilisation de la route, une évidence » Chloé Petat, tribune dans Marianne

Dans cette tribune publiée dans Marianne le 7 juillet 2025, Chloé Petat, autrice de La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIe siècle (Le Bord de l’eau), revient sur l’ouverture à la concurrence de la SNCF, non seulement sur le marché ferroviaire lui-même, mais surtout sur la concurrence indirecte que représente la route, un enjeu souvent négligé. Elle souligne notamment que la hausse des tarifs des billets de train accentue cette problématique.

Depuis l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence, la SNCF n’est plus seule sur les rails français. De nouveaux opérateurs ferroviaires apparaissent progressivement, à la fois sur les parties fret et voyageurs (TGV, trains express régionaux, trains d’équilibre du territoire). En revanche, beaucoup plus surprenant, le premier concurrent du rail figure, lui, dans l’angle mort du débat public : il s’agit de la route. Le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2006. Le marché s’est largement fragmenté avec l’arrivée de nouveaux acteurs (DB Cargo, Captrain, Lineas, etc.) mais le fret SNCF a réussi à conserver plus de 50% des parts de marché. La réforme de 2024 qui démantèle l’entité Fret SNCF en deux entités distinctes, Technis et Heaxfret, va encore rebattre les cartes et cette répartition.

L’ouverture à la concurrence sur le marché ferroviaire de voyageurs est quant à elle effective depuis 2020. Plusieurs nouveaux entrants ont émergé comme la Renfe (sur la ligne Paris-Lyon-Barcelone), Trenitalia (sur les lignes Paris-Lyon-Milan et Paris-Marseille plus récemment), ou encore Transdev qui a commencé à exploiter la ligne TER Marseille-Nice en juin 2025. Cette concurrence est encore limitée puisque la SNCF conserve une quasi-hégémonie sur le territoire (plus de 90% des parts de marché).

En 2022, 80% des déplacements se sont effectués en voiture

En réalité, la concurrence ne se joue pas qu’au sein du marché ferroviaire mais également avec le secteur routier. La route n’a cessé de grignoter des parts de marché sur le secteur du transport voyageurs et de marchandises ces dernières décennies, à tel point qu’aujourd’hui, le train représente seulement entre 9 et 10% des déplacements de voyageurs et de marchandises, contre 80-90% pour la route (Ce pourcentage est proche mais diffère pour le transport de voyageurs et le transport de marchandises).

En 2022 en France, 80% des déplacements se sont effectués en voiture, 10% par le train, 2% par les bus, 2% pour l’aérien (vols intérieurs), 5% par les transports urbains. Pour le fret, 89 % des déplacements sont effectués par la route, contre 9% pour le rail et 1% par les voies navigables (source : Chiffres clés des transports – Édition 2024 | Données et études statistiques1). Cette évolution de la part modale au profit de la route s’explique par un certain nombre de facteurs notamment géographique et économique.

D’abord géographique par la couverture territoriale. La voiture permet de relier directement n’importe quel point du territoire, y compris les zones rurales ou périurbaines insuffisamment desservies par les transports en commun. En comparaison, le réseau ferroviaire, bien que dense, reste concentré autour des grandes villes et des axes majeurs : près de 30% des communes françaises ne sont pas desservies par une gare, ce qui rend le train inaccessible pour une partie significative de la population.

Le maillage routier et la loi Macron de 2015 permettent aujourd’hui à des compagnies comme Flixbus, qui possède une situation quasi-hégémonique sur le marché, de proposer une offre élargie faisant concurrence directement au transport ferroviaire.

Des tarifs élevés pour le train

Ensuite économique par la question du prix. Les tarifs des billets ferroviaires peuvent apparaître comme élevés et ainsi très dissuasifs pour les voyageurs au regard du coût d’un trajet en voiture (qui est lissé sur la période de propriété du véhicule). Les libéralisations du marché du fret routier dans les années 1990 et celle du marché des autocars longue distance en 2015 ont également permis de faire baisser le coût des déplacements routiers. Il est notamment possible pour les entreprises exerçant sur le secteur de faire appel à des salariés étrangers et / ou des sous-traitants étrangers réduisant ainsi les coûts salariaux.

Ensuite, la fiscalité varie entre la route et le rail. Contrairement au rail, le maillage routier permet d’emprunter le réseau routier national gratuit permettant de ne pas payer de péages contrairement au ferroviaire. De plus, il n’existe à ce jour aucune taxe ni sur les poids lourds ni sur les autocars qui génèrent pourtant de nombreuses externalités environnementales négatives.

Ainsi, en comparaison avec le rail, le routier profite donc d’un réseau mieux maillé lui permettant de desservir davantage de territoires et surtout d’une fiscalité avantageuse qui a une incidence sur les prix. Ainsi, si l’ouverture à la concurrence ferroviaire permet l’émergence de nouveaux acteurs, la route reste sans contestation le principal concurrent de la SNCF, tant pour les voyageurs que pour le fret. Le rail ne pourra rivaliser que si l’on établit une fiscalité équitable, une tarification incitative en faveur du ferroviaire et surtout si des investissements financiers suffisants sont mis en œuvre pour rénover le réseau (notamment les petites lignes) et mieux mailler le territoire.

Dans une perspective écologique, il est aujourd’hui urgent de proposer une réelle alternative à l’utilisation de la route et de la voiture individuelle. À défaut, l’attractivité du train restera une ambition… et l’utilisation de la route, une évidence.

Chloé Petat

  1. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-des-transports-edition-2024-0 ↩︎

Entre prédation et sobriété juste, faire le bon choix

Comme son nom l’indique, l’écologie concerne à la fois le cadre naturel (sols, eaux, air – climat, biodiversité) qui peut être considéré comme un support et/ou une ressource et les usages d’inscription des populations dans ce cadre (habitats, infrastructures, énergies, mobilités, etc.). Ces deux aspects interagissent au gré des décisions plus ou moins responsables des humains, structurées par les idéologies que ceux-ci élaborent pour décrire leur relation au monde naturel et physique voire physiologique.

Les lois, règles et règlements tentent de codifier les modalités d’inscription des activités humaines censées satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, voire son émancipation de ces contraintes physiques dans un cadre moral et partagé. D’où les conséquences sociales et les rapports de force politiques qui, à leur tour, impactent le cadre naturel.

S’agissant du cadre naturel, après une longue période prolongeant la 1ère révolution industrielle (et les suivantes) fondée sur la découverte des usages que l’on pouvait tirer de l’exploitation des ressources naturelles et sans précautions aucune, les signaux obtenus en retour nous font percevoir leur finitude et les dangers qu’il y aurait à les outrepasser.

Mais comment se résoudre à la frustration du mode de vie que cela nous a procuré et plus encore à celle que les populations qui aperçoivent enfin la possibilité d’y accéder ?

L’extractivisme doit prendre en compte les données très réelles du potentiel restant. Même les grandeurs les plus considérables que sont l’eau et l’air sont susceptibles d’être affectées dans leurs qualités intrinsèques au risque de ne plus être une ressource mais de possibles dangers. Sans compter que les idéologies elles-mêmes posent problème en ne réglant pas les questions de répartitions et de respect des limites physiques.

Il est donc temps que nous prenions conscience de ces paramètres et qu’en responsabilité nous indiquions comment il est possible d’occuper ce cadre naturel – cette planète – durablement et pour toutes les populations qui y ont universellement droit.

Il s’agira certainement de sobriété mais aussi des modalités pratiques réglementées dans un souci d’équité et de justice sociale.

S’agissant des usages, l’occupation des espaces, dans le respect de leurs qualités physiques, est un premier marqueur de la capacité à organiser, dans la justice sociale, la répartition de l’impact humain. S’en suivent, l’organisation des territoires en termes d’infrastructures – de mobilités, énergétiques, de gestion/réparation des pollutions – et de productions industrielles et agricoles, sans oublier les espaces de loisirs. Et ce dans le cadre naturel – espaces naturels inaccessibles et inexploitables : forêts, déserts, montagnes, océans, etc. – qui dépasse largement nos capacités d’aménagement.

Chaque élément d’infrastructure correspond à une prédation dont il convient de limiter l’impact sur les équilibres de l’ensemble. Dans le même temps où ils participent de l’habitabilité de la planète et de la satisfaction des besoins de ses habitants. Il s’agit donc de s’assurer de son moindre impact et/ou de sa compatibilité avec les ressources naturelles qu’il « aménage ». Et de sa réelle valeur en termes de résolution des besoins élémentaires des populations qu’il est censé servir – dans un cadre moral et égalitaire, démocratiquement retenu.

Les sols : qu’il s’agisse de leur occupation ou de leur exploitation, sont en qualité et quantité des valeurs finies. Leur modification physique par l’usage qui en est fait doit être évaluée et leur dégradation doit faire l’objet d’une décision consciente et partagée. Nul ne peut impacter leur nature sans en obtenir l’autorisation par l’ensemble de la communauté.

L’eau est un cycle universel et constant. Il peut néanmoins être perturbé par des usages excessifs, relevant d’accaparements abusifs et inconsidérés ou par des implantations d’infrastructures contrariant son libre écoulement. Là encore il s’agit de coordonner, après des études indépendantes des commanditaires, le « possible » sans risque pour les usages voisins et le respect de la valeur intrinsèque des éléments naturels.

L’air : on sait maintenant à quel point les usages et les productions humaines ont pu et continuent de modifier la composition originelle de l’atmosphère qui englobe notre terre, au point d’en affecter les climats. Pour autant, nous pouvons mesurer les modifications qu’il faudrait opérer dans les usages de nos sociétés développées – qui ne sont qu’une partie de l’ensemble – pour, si ce n’est retrouver, du moins tenir dans des limites acceptables les paramètres qui régissent les éléments atmosphériques. Réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, limitation des molécules et particules rejetées par les usages industriels, agricoles, liés aux mobilités et aux habitats.

Ce sont des efforts considérables qui ne concernent pourtant qu’une partie de la planète, la majorité des sociétés n’ayant pas atteint le niveau de développement des pollutions liées à leurs usages. On se perd en conjonctures sur les voies et moyens d’exister sans tout détruire.

Devant un tel défi, les idéologies tentent d’élaborer les plans de transition vers un retour à la raison, à la compatibilité d’un système d’usages avec les valeurs physiques du cadre. On en est à évaluer le nombre de planètes qui seraient nécessaires à la neutralité, au jour de l’année à partir duquel nous avons atteint les limites physiques des ressources de la planète. On craint que cela ne finisse mal, soit par un collapsus général, soit du fait d’affrontements idéologiques.

Sans doute trouverons-nous des solutions technologiques pour amoindrir les effets du mal qui a déjà été commis mais on se doute tout autant que cela ne sera pas suffisant. C’est un mode d’usages différents qu’il s’agit d’élaborer, en prenant en compte l’ensemble des habitants qui ont un droit égal à habiter la planète, dans de bonnes conditions de santé, de développement et d’émancipation.

La biodiversité animale et végétale : longtemps considérée comme un souci accessoire, tant du fait de son ancienne rivalité avec le genre humain – en termes de partage des ressources alimentaires et de dangerosité réelle ou supposée – que de son incapacité à faire valoir ses droits (!), on en vient pourtant à s’imaginer que la planète et ses ressources ne serait pas la même sans la présence et les interactions de ces espèces douées de sensibilité. Ressource alimentaire – exploitée au-delà de toute raison – mais aussi agent du climat, des relations biologiques inter-espèces, tantôt « nettoyeur », tantôt fécondateur, il s’agit, quoi qu’on en pense, d’un élément constitutif du cadre naturel dans lequel nous avons établi nos vies. Nous ne sommes qu’au seuil de la prise de conscience de son rôle irremplaçable dans les fonctions biologiques de l’environnement et à quel point il serait dangereux, pour nous même en tant qu’espèce, de l’asservir jusqu’à en menacer l’existence.

Quand on considère à la fois la finitude des ressources et le respect avec lequel qu’il convient de faire usage des celles-ci, dans le contexte d’une démographie qui a d’ores et déjà explosé depuis l’ère préindustrielle, on comprend bien qu’il y a nécessité d’une révision drastique du mode de développement des usages conçus dans le cadre circonscrit à « l’occident développé ».

Nul doute qu’il y a un système de pensée, une conception générale du cadre naturel et des usages qui s’y inscrivent, à la base de la manière dont cela a été développé depuis les Temps Modernes et dans le périmètre de l’Occident.

Un modèle prédateur, sans souci de sa soutenabilité, optimiste quant aux solutions que sa science naissante et sa technologie seraient en mesure de résoudre tous les problèmes à mesure qu’ils apparaitraient. Enfin, parfaitement égoïste, jouisseur et violent.

C’est à la fois le libéralisme en tant que philosophie, le capitalisme en tant que moteur du développement exponentiel et la violence en tant que rapport au monde qui se répandent sur la planète dès les premières conquêtes de la Renaissance, plus encore à partir des Lumières et des premières révolutions politiques puis industrielles, enfin l’impérialisme qui achève le modèle dominant jusqu’à présent. Sans en être comptables, nous en sommes les légataires à défaut d’en être les héritiers. Et il nous échoit de faire le constat du désastre tant humain (politique) qu’environnemental auquel ce puissant mouvement a conduit la planète. Mais il n’était pas univoque et a toujours contenu un mouvement de contestation, tant de ses méthodes que des situations auxquelles il conduisait.

Ne serait-ce que du fait du profond système d’inégalités qu’il a continûment imposé, non seulement vis à vis des populations colonisées mais avant tout vis à vis de celles et ceux qu’il a inscrit dans un système de domination de son propre contingent. La violence étant à la base de son rapport au monde, c’est un système politique de domination des masses par une élite aristocrate, prolongée par une bourgeoisie marchande qui s’est développé à partir de l’occident « très chrétien ».

Or dans ce système le cadre naturel n’est qu’une ressource que l’on peut piller, pour peu qu’on ait les capitaux susceptibles de mettre en œuvre les dernières connaissances en matière d’extraction, de culture intensive, de détournement des ressources en eau et en énergie, d’achat à moindre coût de main d’œuvre (potentiellement gratuite du fait de l’esclavage), d’exploitation des plus faibles.

Cadre naturel et masses humaines sont pris dans une même « machinerie » à créer de la plus-value et du profit : le premier est pillé sans retenue (et plutôt salement), les secondes sont exploité individuellement et collectivement. Les règles et les lois, à peine naissantes, sont à la main de ceux qui ont l’argent et, de fait, l’oreille du pouvoir (qui s’appuie lui-même sur l’argent).

Il faudra bien des luttes – du sang et les larmes – pour que les masses laborieuses, celles qui élaborent les produits, objets du profit, parviennent à se distinguer de la « matière » que l’on extrait et que l’on façonne.

C’est pourquoi il y a incontestablement un rapport entre la violence extractiviste et l’exploitation des masses laborieuses. L’une et l’autre font l’objet du même manque de respect quant à leur nature et à leur fragilité, du même cynisme quant à leur exploitation sans limite.

De ce parallèle, il devrait être possible à la fois de mobiliser sur la modération qu’il devrait y avoir dans nos modes de productions et de rapport au cadre naturel, et de revendication d’un meilleur partage des richesses. Celles et ceux qui voient bien que leur travail est revendu X fois ce qu’il leur est payé, peuvent parfaitement comprendre que la détérioration du cadre dans lequel ils inscrivent leur vie est aussi un abus d’usage des ressources exploitées par les mêmes qui leur achètent si piteusement leur force de travail. Au point même de mettre en danger leur capacité à la reconstituer du fait d’un air pollué, d’une eau de qualité douteuse, d’aliments empoisonnés, de dangers climatiques, etc.

Faire le lien entre ces deux situations critiques, dues au même système prédateur et irresponsable, profitant des mêmes effets d’un déséquilibre assumé en raison de l’accumulation de profits tirés d’un même système de pensée spoliant indifféremment le cadre naturel et les populations inscrites, devrait permettre une prise de conscience.

Une prise de conscience en faveur d’un type de développement respectueux des équilibres naturels finis et d’une conception de la vie en société qui fasse place, durablement, à toutes les existences dans leurs aspirations les plus légitimes.

Bruno Lucas

La concurrence dans le ferroviaire signe-t-elle la fin d’un modèle ? La question du soir, France Culture [PODCAST]

Avec l’ouverture à la concurrence, le modèle ferroviaire français pourrait être remis en question. Promesses d’un service amélioré d’un côté, incertitudes sur l’avenir des lignes moins rentables de l’autre : comment garantir un accès au train partout en France ?

PODCAST à écouter ci-dessous

Débat animé par Quentin Lafay qui avait invité :

  • Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire et consultante auprès des collectivités pour le cabinet Trans-Missions ;
  • Chloé Petat, co-rédactrice en cheffe du média Le temps des ruptures, membre de la direction nationale de la GRS et autrice de La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle

L’ouverture du secteur ferroviaire en France doit nécessairement être régulée et surveillée par la puissance publique pour éviter qu’elle pénalise les usagers et dégrade le service public.

Les nouveaux entrants se concentrent aujourd’hui sur l’exploitation des lignes les plus rentables, au détriment des moins rentables. Autrement, le système de péréquation et la situation de monopole de la SNCF lui permettait de compenser les pertes financières liées à l’exploitation des lignes non-rentables.

Avec la concurrence, se système prend fin. Ainsi, l’Etat doit œuvrer pour garantir :

  • Un juste équilibre entre les exploitants : entre exploitation de lignes non-rentables et lignes rentables en utilisant les outils législatifs à sa disposition pour cela ;
  • La desserte des territoires : l’ouverture à la concurrence ne doit pas engendrer la fermeture de lignes ou la réduction dans les dessertes des gares des villes petites et moyennes ;
  • Une coordination efficace pour les usagers : l’ouverture à la concurrence amène un risque de discontinuité dans l’offre de transport ferroviaire qu’il convient de surveiller.

L’ouverture à la concurrence ne peut être envisagée sans une réelle supervision de l’Etat, ni investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau ferroviaire.

Répondre au défi de Trump et des climato-sceptiques

Mettant soigneusement en scène le retrait des USA de l’Accord de Paris sur le climat, le rejet des engagements financiers internationaux liés dont le soutien aux pays du sud, la fin des aides allouées à l’achat de véhicules électriques, un moratoire sur le développement du parc éolien, … Donald Trump, nouveau président en exercice des États-Unis d’Amérique avec un programme mêlant néofascisme et libertarianisme au profit de l’oligarchie la plus caricaturale, signe l’abandon des politiques américaines en faveur du climat. Et il enfonce le clou en décrétant un état d’urgence énergétique visant à doper la production de pétrole et de gaz des États-Unis, déjà premier producteur mondial, en revenant sur des interdictions de forage dans des zones protégées dont l’Alaska.

Les incendies ravageurs de Californie, conséquence du dérèglement climatique, la fonte exponentielle des glaces des deux pôles, la multiplication des tornades meurtrières balayant les zones habitées des océans comme à Mayotte ou à la Nouvelle-Orléans, le réchauffement général constaté du hot spot méditerranéen à la Sibérie, … Tant et tant d’exemples et d’analyses chiffrées ! Face à ces faits, Donald Trump oppose son refus de comprendre la portée du dérèglement climatique. Ceci est incompréhensible pour les Américains mais aussi pour l’humanité alors que l’objectif de l’accord de Paris limitant à 1,5°c la hausse de températures n’a pas pu être tenu. Les États-Unis, première puissance et premier pollueur historique, ont une obligation vitale pour éviter le pire, leur Président la foule aux pieds.

Gageons que d’autres populistes aux visions « bas du front » lui emboîteront le pas. Le président argentin l’a confirmé, tout comme les formations d’extrême-droite européennes, au pouvoir ou non.

L’internalisation de ce phénomène de déni de l’urgence climatique pourrait provoquer un «effet domino», incitant d’autres nations à relâcher leurs propres engagements environnementaux. Une telle dynamique pourrait compromettre grandement notre capacité à relever ce défi global, dont on sait qu’il nécessite un degré de collaboration international important.

Toutefois, si l’Europe est, pour une fois, réactive sur le plan industriel et si la France en était le fer de lance, cela pourrait être une opportunité pour notre vieux continent.

En effet, le secteur des énergies renouvelables croît et l’absence des USA sur ce marché porteur donne un avantage économique indéniable à l’industrie et l’agriculture française. C’est ce que nous dit Laurence Tubiana, architecte de l’accord de Paris « La transition mondiale bénéficie d’un élan économique imparable ». C’est ce pour quoi nous avons déjà plaidé à plusieurs reprises dans nos prises de position.

Nous militons pour qu’en France un Plan pluriannuel d’investissements soit fléché vers les énergies propres (géothermie, éoliennes, nucléaire, hydrauliques, hydrogène, …) et les économies d’énergie, activité profitable aux entreprises et plus particulièrement au Bâtiment.

Ceci nécessite que les parlementaires et l’exécutif se donnent les moyens d’une fin de non recevoir ferme à la revendication par la droite et l’extrême droite de Le Pen et Wauquiez d’un retour de bâton contre les opérateurs nécessaires à ce virage industriel :

  • l’ADEME (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui finance pour 92% les projets de décarbonation industriels ou de collectivités locales ;
  • l’Office français de la Biodiversité qui nous protège des atteintes aux espaces naturels, à la biodiversité et, surtout au cycle de l’eau (dont les agences sur le terrain font les frais d’actions de vandalisme ou même d’occupation) ;
  • l’Agence Bio qui accompagne 89 000 acteurs économiques pour 215 00 emplois.

Cela implique que l’ensemble des politiques publiques, de l’industrie au bâtiment, de l’alimentation à la cohésion des territoires (ville ou rural, et en priorité en direction des plus modestes) soient des leviers de mise en œuvre active des outils et des crédits dont disposent ses opérateurs. Ceci nécessiterait que le gouvernement fasse preuve de courage et se lance dans des politiques industrielles et climatiques d’avenir. Malheureusement ce n’est pas le chemin choisi par la droite gouvernementale qui, au Sénat, acte une baisse généralisée des programmes écologiques : fermeture de l’Agence bio ; 175 M€ en moins pour l’électrification du parc automobile (qu’est censé compenser le mécanisme de certificat d’économie d’énergie) ; 200 M€ de moins pour les énergies renouvelables ; 700 M€ de moins à « MaPrime Rénov » ; 50 M€ de moins pour les infrastructures de transport ; 30 M€ de moins pour la biodiversité… même le « fonds vert » perd 1,5 Md€ par rapport à 2024.

La GRS a dans ce domaine des suggestions1 à soumettre à l’ensemble de ses partenaires pour conduire une politique au service de la France et des Français.

Alain Fabre-Pujol, Maxence Guillaud, Henri Fiori et Frédéric Faravel

  1. à consulter d’urgence :
    Le programme de la Gauche Républicaine et Socialiste, adopté en septembre 2021 (actualisation à venir) ;
    Alerte sur le climat : pour l’agriculture, les solutions existent
    La catastrophe de Valence fera-t-elle faire silence aux climato-sceptiques
    Peut-on financer la transition écologique par l’émission de monnaie sans dette ?
    Production, échanges et transition écologique : l’Europe n’a pas de stratégie
    Quelle stratégie pour sauver le transport ferroviaire ?
    La question fondamentale, c’est « Où on produit ? Qu’est-ce qu’on produit et que veut-on produire ? »
    Planification écologique : Macron prend l’eau
    Electricité : l’autorité de la concurrence contre la démocratie
    Greenwashing royal
    L’impasse écologique de l’extrême droite
    Sommet du plastique : passons aux solutions pratiques !
    Une COP climatisée, pour quoi faire ?
    L’accord UE-Mercosur serait perdant des deux côtés de l’Atlantique
    On condamne l’agriculture européenne et française à mourir
    Panneaux solaires et voitures électriques : catastrophe en vue sur l’industrie européenne
    et bien d’autres encore … ↩︎

Quelle stratégie pour sauver le transport ferroviaire ? entretien avec Chloé Petat – Les Jeudis de Corbera

Podcast enregistré le jeudi 12 décembre 2024

Le transport ferroviaire français est dans la tourmente.

Depuis plusieurs années, la puissance publique s’est progressivement désengagée, entraînant la fermeture des petites lignes, abandonnant les trains de nuit, décentralisant la compétence aux conseils régionaux pour favoriser aujourd’hui l’ouverture à la concurrence. Ces dernières semaines des signaux contradictoires ont été envoyés : la SNCF a choisi une voie qui conduit à la mort de son système de fret ferroviaire, déclenchant une grève reconductible des cheminots, mais les grandes lignes européennes – comme le trajet Paris-Berlin – rouvrent progressivement de jour et de nuit. Mais quel que soit l’angle sous lequel on prend le dossier, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il n’y a aucun miracle à attendre de l’ouverture à la concurrence au moment où les Britanniques renationalisent leurs chemins de fer. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, nous ne verrons aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service.

C’est pour parler de tous ces sujets que Carole Condat interrogeait jeudi dernier Chloé Petat, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et membre de la direction nationale de notre parti, qui vient de publier La révolution ratée du transport ferroviaire  aux éditions du Bord de l’Eau. Vous pouvez écouter ci-dessous le podcast.

SNCF : « Sans contrôle ni investissement, l’ouverture à la concurrence n’aura aucun effet positif » – tribune de Chloé Petat

Alors que des grèves sont annoncées à la SNCF à partir du 11 décembre prochain, Chloé Petat, membre de la direction nationale de la GRS, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et auteure de La révolution ratée du transport ferroviaire (Éditions du Bord de l’Eau), met en lumière dans une tribune publiée dans Marianne le mercredi 27 novembre 2024 une cause qu’elle juge particulièrement préoccupante : l’ouverture à la concurrence des trains régionaux.

Les grèves SNCF annoncées à partir du 11 décembre remettent sur le devant de la scène la situation extrêmement critique que connaît le rail depuis maintenant plusieurs décennies. Le démantèlement du fret est la première raison explicative de cette grève. La deuxième, moins reprise par les médias, concerne l’ouverture à la concurrence des trains régionaux autrement appelés TER. Depuis les années 2000, l’Union européenne a adopté une stratégie d’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire en insistant sur les bénéfices attendus tels que la baisse des prix ou l’amélioration de la qualité de service et la régularité.

Qu’en est-il réellement ? Avant toute chose, il faut préciser que la mise en concurrence du ferroviaire peut prendre deux formes. Pour les offres commerciales comme les TGV, la concurrence est en « libre accès » : les nouveaux opérateurs peuvent concurrencer la SNCF en adressant une demande auprès du gestionnaire d’infrastructures, SNCF Réseau, pour bénéficier de sillons et faire circuler leurs trains.

La concurrence des trains régionaux, les trains du quotidien, repose sur une autre procédure. C’est la région, en tant qu’autorité organisatrice des transports, qui lance un appel d’offres en vue de déléguer l’exploitation de son réseau par une ou plusieurs compagnies ferroviaires. Si certaines régions ont décidé de contractualiser avec la SNCF, comme la Normandie ou l’Occitanie, d’autres, comme la région PACA, ont ouvert une partie du réseau régional à la concurrence.

Par exemple, les lignes intermétropoles Marseille-Toulon-Nice et Nancy-Vittel-Contrexéville seront exploitées par Transdev. Pour l’instant, peu de régions osent encore se passer entièrement des services de la SNCF. En effet, l’ouverture à la concurrence fait peur, ce qui explique qu’elle soit à ce stade toujours partielle. Toutefois, le processus de libéralisation est largement engagé, les régions devant obligatoirement ouvrir à la concurrence d’ici 2034, ce qui pourrait engendrer la réorganisation en profondeur des services de transport ferroviaire régionaux.

Une privatisation qui ne fait pas baisser les prix

Cette réorganisation se fera-t-elle dans l’intérêt des usagers ? L’expérience des pays voisins permet de répondre en partie à cette question. En Allemagne ou au Royaume-Uni, cela fait des décennies que le réseau ferroviaire est ouvert à la concurrence. Mais cela ne s’est pas traduit par une baisse des prix, bien au contraire ! Au Royaume-Uni, la libéralisation a entraîné une hausse de 27 % des prix des billets entre 1990 et 2010, conséquence d’une absence totale de régulation étatique.

Le désordre entraîné par la privatisation du secteur a entraîné un retour en arrière avec la création en 2023 de la Great British Railways… une renationalisation du secteur. En Allemagne, l’évolution des prix est méconnue. En toute logique, si la baisse avait été drastique, elle aurait été mise en avant par l’Union européenne pour justifier de l’efficacité de la libéralisation.

Au niveau de la régularité, les résultats sont contrastés. La situation britannique est catastrophique, avec un taux important de trains supprimés et de retards. En Allemagne, 35 % des trains sont arrivés en retard en 2022. Bien que la fréquentation du réseau ferroviaire soit en hausse, le réseau national souffre encore d’un sous-investissement chronique causant des retards à répétition.

L’ouverture à la concurrence n’a pas été menée de la même façon dans les deux pays. Elle a été totale et dérégulée au Royaume-Uni, alors que l’Allemagne l’a davantage encadrée et complétée par des investissements au démarrage. Il faut ainsi souligner que la concurrence à elle seule ne produit aucun miracle et peut même s’avérer particulièrement nocive si elle n’est pas sérieusement encadrée.

En effet, les expériences de libéralisation ont montré l’importance du réseau et de sa gestion dans l’organisation de la concurrence. Le réseau apparaît en effet comme un bien commun que se partagent des compagnies ayant pour objectif la maximisation de leurs gains. Mais s’il est surexploité et mal entretenu, certaines lignes peuvent devenir de véritables goulots d’étranglement. On ne peut pas faire rouler un nombre de trains infini, surtout sur des infrastructures vieillissantes.

Un encadrement étatique indispensable

Cela pose de sérieuses limites à la gestion de la concurrence, à moins de multiplier les dessertes sur certaines lignes. Mais, recherchant la rentabilité, les transporteurs vont privilégier l’exploitation des lignes les plus rentables et aucun ne se positionnera pour exploiter et financer les petites lignes déficitaires. L’absence de candidats aux appels d’offres lancés par l’État sur les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon en est une preuve flagrante. Ainsi, pour que le réseau garde sa cohérence et pour qu’un service public puisse continuer d’exister pour les petites et moyennes villes, les régions sont contraintes de financer les lignes déficitaires.

Face à la difficulté d’organiser une véritable concurrence, il a été décidé de soutenir financièrement les concurrents de l’opérateur historique en accordant aux nouveaux entrants une réduction sur les péages ferroviaires, dont ne bénéficie pas la SNCF. Cette pratique, qui n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’Arenh (« Accès régulé à l’électricité nucléaire historique ») dans le marché de l’électricité, démontre à elle seule qu’il n’y a rien de spontané ni d’efficace dans l’ouverture à la concurrence, puisqu’il faut subventionner les concurrents afin qu’ils puissent rivaliser avec la SNCF.

En somme, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il ne faut attendre aucun miracle de l’ouverture à la concurrence. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, elle n’apportera aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service. Les résultats de la libéralisation dans les autres pays européens le prouvent. Ce qui fera fonctionner les TER, ce sont les investissements et l’engagement financiers des régions et de l’État. À condition toutefois qu’ils parviennent à élaborer une véritable vision stratégique en concevant une politique publique de la desserte des territoires par le train, ce qui est loin d’être le cas.

Chloé Petat

Électricité : l’Autorité de la concurrence contre la démocratie

Dans son communiqué du 19 novembre 2024, l’Autorité de la concurrence soutient que les interventions de l’État sur les prix de l’électricité ont été discrétionnaires et ont brouillé le « signal prix » censé créer des incitations à la sobriété énergétique. Elle exige donc du gouvernement d’organiser progressivement la suppression du tarif réglementé de l’électricité. Certes, l’Autorité de la concurrence veille au respect des règles de la concurrence. C’est sa mission. Néanmoins, elle ne peut pas se substituer aux principes démocratiques. Or, le besoin de fixer politiquement les prix de l’électricité relève avant tout d’une question démocratique. Les citoyens ne veulent pas élire des responsables politiques impuissants, comme l’a montré la réélection de Trump. Supprimer le tarif réglementé entraînerait la montée des contestations politiques et de l’extrême droite et pourrait mettre en danger un fondement de la démocratie française.

Le contrôle des prix de l’électricité est aussi une mesure favorable à l’économie et à la transition énergétique. La production électrique française est presque entièrement décarbonée et il faudrait inciter les ménages à acheter des véhicules électriques et à remplacer leurs systèmes de chauffage par des systèmes électriques. Or, pour cela, nous avons besoin d’un contrôle public des prix de l’électricité, afin de garantir aux ménages que ces prix resteront bas.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme l’autorité de la concurrence, l’ouverture à la concurrence n’a pas prouvé sa capacité à augmenter les investissements productifs dans la production d’électricité. Ainsi, faute d’investissements privés, le gouvernement a décidé de construire jusqu’à six nouveaux EPR avec EDF. Pour financer cet investissement, nécessaire à la transition écologique, il doit prévoir des recettes sur plusieurs dizaines d’années, ce qui implique de contrôler le prix de vente de l’électricité.

Enfin, l’actualité ne cesse de nous rappeler les graves conséquences du choix par l’Union européenne de la concurrence dans le marché européen de l’électricité. Cela interdit la planification à long terme et engendre une faible résilience face aux chocs tels que la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, les tarifs élevés de l’électricité sont le principal frein à la compétitivité des entreprises européennes. Les nouvelles règles du marché européen de l’électricité ne change pas l’absurdité d’empêcher notre pays de fixer sa tarification électrique et nous devons nous mobiliser pour que la France prenne comme l’Espagne et le Portugal les moyens de maîtriser le prix de l’énergie dans notre pays. Mais en attendant, au moins une décision immédiate s’impose : le maintien des tarifs régulés de l’électricité. Cela est indispensable pour des raisons démocratiques, mais également parce qu’ils sont une condition nécessaire à la planification de la transition écologique. Il faudrait même, à terme, élargir la réglementation pour y inclure les industriels et éviter qu’un prix trop élevé de l’électricité conduise de nombreuses entreprises soit à renoncer à l’électrification de leur système productif, soit à délocaliser.

Au moment où se multiplient les plans sociaux et où déferle une nouvelle vague de désindustrialisation, faire baisser le prix de l’énergie est un impératif absolu. Et vite !

Fret SNCF : une mise à mort orchestrée par Bruxelles et Paris


Au lieu de défendre les intérêts du fret français, Paris courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne le secteur du Fret. Au 1er janvier 2025, l’entreprise sera dépossédée de ses activités les plus rentables, au profit des entreprises concurrentes et au détriment des salariés et de l’écologie.

FRET SNCF agonise depuis plusieurs années déjà. Sa part modale n’a cessé de baisser, jusqu’à descendre en dessous de 10%. Son déclin a été accentué par un certain nombre de facteurs :

  • D’abord, l’ouverture à la concurrence qui a contribué à morceler complètement le marché et qui n’a pas réussi contrairement aux promesses de l’Union européenne, à rendre ses lettres de noblesse au fret. Le nombre de marchandises en milliards de tonnes.km1 était déjà en déclin depuis les années 1980, il a été divisé par deux en 2010. On peut légitimement considérer que cette baisse drastique et soudaine, est corrélée à l’ouverture à la concurrence effective depuis 2005/2006.
  • Ensuite, la concurrence déloyale de la route face à laquelle l’Union européenne reste muette. Les investissements massifs dans le réseau routier ont contribué à créer un réseau correctement maillé, efficace et permettant d’effectuer des trajets de bout-en-bout ce qui n’est aujourd’hui pas le cas du réseau ferroviaire.

Les acteurs empruntant les réseaux routiers peuvent par ailleurs contourner la fiscalité en place. En effet, l’utilisation des réseaux routier et ferroviaire nécessite de s’acquitter d’un péage. Pourtant, les acteurs du réseau routier peuvent facilement éviter de payer péages et taxes, en utilisant le réseau routier gratuit et en ne réalisant pas le plein d’essence en France mais dans les pays voisins. Ainsi, ces acteurs ne payent pas la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE), qui est de 4 centimes par litre pour les transporteurs. Avec la déréglementation du transport routier les entreprises peuvent également faire appel à des travailleurs étrangers moins rémunérés, réduisant ainsi le coût du travail.

Enfin, l’état catastrophique des infrastructures induit une qualité de service insatisfaisante pour les entreprises. En 2022, près d’un train sur six (16%) a accusé un retard de plus de 30 minutes. Le réseau est extrêmement dégradé ce qui explique ces retards : les lignes capillaires qui connectent les entrepôts / usines au réseau principal ont en moyenne 73 ans. De nombreuses lignes ont également été fermés ces dernières années faute de travaux de remise en état.

Désinvestissement dans le réseau, évitement de la fiscalité par les transporteurs routiers, concurrence déloyale, ouverture à la concurrence, circulation des méga-camions favorisée en Union européenne… Voici une liste non-exhaustive des principaux facteurs qui sont en train de tuer le fret ferroviaire.

Pour répondre aux pressions et aux menaces de liquidation totale de la Commission européenne qui visait fret SNCF d’une enquête pour non-respect des règles de la concurrence, le gouvernement a donc décidé de mettre en œuvre en toute discrétion, la réforme présentée par Clément Beaune en mai 2023. La commission accuse notamment fret SNCF d’avoir bénéficié de subventions notamment pour la recapitalisation de l’entreprise, et l’annulation de la dette en 2019 pour un montant d’environ 5 milliards d’euros.

La réforme devient désormais réalité. Au 1er janvier 2025, fret SNCF va être divisé en 2 sociétés, Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour la maintenance.

Il faut également mentionner que malgré le morcellement du marché, fret SNCF conservait encore près de 50% des parts de marché et restait donc un acteur clé. Ces parts de marché vont désormais être réparties entre les autres acteurs du marché. En effet, la réforme oblige fret SNCF à abandonner 23 flux de marchandises (représentant 20% de son chiffre d’affaires), évidemment les plus rentables pour l’entreprise. Ces flux vont être ouverts à la concurrence, sans que fret SNCF puisse y candidater pendant près de 10 ans. L’ouverture à la concurrence n’est donc pas la même pour tous : comment justifier cet écartement de fret SNCF des appels d’offres pendant 10 ans ?

Dernière étape de la réforme : ouvrir le capital de fret SNCF à des investisseurs privés, d’ici quelques années.

Dans « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle », j’écrivais déjà avant confirmation de la réforme que sa mise en œuvre serait la mort pure et simple de l’entreprise et qu’elle engendrerait le chaos sur le marché. Evidemment, la situation est d’autant plus catastrophique qu’elle impacte directement les cheminots, avec la suppression de 500 emplois.

Le gouvernement défend la réforme en indiquant qu’elle sera un nouveau souffle pour fret SNCF, et que l’Etat va aider le secteur à hauteur de 370 millions d’euros. Cette somme est très faible, au regard des demandes des acteurs du secteur. Selon la commission des finances du Sénat, près de 10 milliards d’euros devraient être investis pour la rénovation du réseau d’ici 2030.

Comment comprendre la schizophrénie de l’Union européenne ? Alors que cette dernière s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle condamne un secteur qui serait clé dans cette baisse. En effet, le secteur des transports représente 30% des émissions au niveau mondial et elle condamne aujourd’hui, avec l’accord de la France, un secteur clé pour amorcer la transition.

Au lieu de défendre ses intérêts, la France courbe l’échine face à la Commission européenne et condamne ainsi le fret, qui serait pourtant clé à la fois pour accompagner la réindustrialisation du pays et également pour amorcer la transition écologique. Tout ceci est un non-sens écologique et stratégique.

Chloé Petat

Pour aller plus loin, vous pouvez dès à présent vous procurer le dernier livre de la collection coordonnée par Le Temps des Ruptures avec les Editions du bord de l’eau sur le sujet, « La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIème siècle ». Sortie le 15/11/2024 : https://www.editionsbdl.com/produit/la-revolution-ratee-du-transport-ferroviaire-au-21e-siecle/

1 La tonne-kilomètre est une unité de mesure de quantité de transport correspondant au transport d’une tonne sur un kilomètre. La quantité de transport s’appelle le volume de transport.

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