Le projet de loi « Climat et résilience », qui est censé mettre en musique les propositions de la Convention constituée de 150 citoyens, est présenté ce mercredi 10 février 2021 en conseil des ministres.
Le gouvernement assure que ce texte rendra « crédible » l’atteinte de l’objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990.
Avec ses 65 articles, cette loi « ambitieuse et riche dont le gouvernement n’a pas à rougir », « ancre l’écologie dans la société française et fait le dernier kilomètre de la transition écologique », déclare-t-on à Matignon. Une affirmation mensongère quand on confronte l’exécutif à sa pratique réelle et au détricotage en règle des 149 propositions de la Convention climat.
Un texte qui doit plus aux lobbies industriels qu’à la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC)
« Les lobbies industriels ont mené une guerre de l’ombre contre la Convention climat. » C’est ce que démontre l’Observatoire des multinationales dans un rapport rendu public lundi 8 février. Au fil des pages, les auteurs retracent « l’offensive acharnée » des secteurs les plus concernés par les propositions des citoyens et des citoyennes comme l’automobile, l’aérien, l’agrochimie ou la publicité.
Pour l’ONG, cette séquence ouvre une nouvelle étape dans la bataille climatique. Si les objectifs généraux de réduction des émissions de CO2 sont désormais acceptés, le combat s’est déplacé sur les modalités de cette transition. « Les industries veulent maintenir un laisser-faire total quant aux moyens pour les atteindre […] Ils nient ou minimisent leur responsabilité […] et se posent en victime », écrivent les auteurs du rapport. Après « l’agribashing », ils crient maintenant à l’« aviation-bashing », l’« auto-bashing », le « pub-bashing », voire à l’« entreprise-bashing ».
Concrètement, ces industriels ont usé de tous les leviers disponibles pour décrédibiliser la CCC. Ils se sont mobilisés de manière coordonnée et n’ont pas lésiné sur l’achat de services de professionnels de la communication. Les cabinets de conseil Boury Tallon ou Batout Guilbaud ont été très sollicités sur le dossier de la CCC, notamment par Air France ou par le groupe chimique allemand BASF.
Cet automne, le Tout-Paris du lobbying était en ébullition : organisations patronales, avocats d’affaires, groupes de réflexion libéraux… Chacun a été mis à contribution pour produire des contre-argumentaires ou interpeller les pouvoirs publics. « On a même vu des lobbyistes de Monsanto aller au secours de l’aviation », observent les auteurs du rapport. L’Association internationale du transport aérien (IATA) a ainsi fait appel à l’un des partenaires historiques de la firme agroalimentaire, FleishmanHillard, un groupe spécialisé dans la réputation des entreprises — impliqué, d’ailleurs, dans le scandale des « Monsanto papers ».
Même si ces manœuvres se sont jouées en coulisses, quelques traces visibles témoignent de cette effervescence. Plusieurs documents ont fuité dans la presse comme la lettre du Medef dénonçant le délit d’écocide ou celle de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) — le lobby de l’agroalimentaire — contre l’interdiction de la publicité pour la malbouffe.
En parallèle, une multiplicité d’événements ont été organisés par les industriels. Des parlementaires et des membres du gouvernement y étaient évidemment conviés. Dès juin 2020, quelques jours à peine après la publication des propositions de la CCC, la société M&M Conseil a lancé une série de rencontres autour de « la transition », réunissant élus et industriels. En septembre, BASF (agrochimie) et Coenove (gaz vert) ont financé un colloque sur « l’accélération écologique ». Ce qui leur a permis, avec le syndicat agricole majoritaire la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), de dialoguer avec des parlementaires chargés d’examiner le projet de loi. Deux semaines plus tard, Total vantait le mérite des agrocarburants dans une rencontre similaire.
En novembre, alors que la France était confinée et que les mesures phares de la CCC n’étaient pas encore arbitrées au sein du gouvernement, plusieurs événements professionnels ont eu lieu. Au Paris Air Forum, Thales, Airbus et surtout Safran ont défendu la cause de l’avion décarboné. Des « états généraux de la communication » se sont également déroulés sous la houlette de Havas pour évoquer le thème de la publicité. Mercedes Erra, la présidente exécutive, s’est alors félicitée d’être « parvenue à convertir les politiques ». Quasiment toutes les mesures concernant la publicité ont été retirées du projet de loi.
Si ce lobbying a si bien réussi, écrivent les auteurs du rapport, c’est aussi parce que les professionnels ont pu compter « sans surprise » sur l’administration elle-même : « Les industriels ont cherché leurs principaux alliés dans les ministères. »
On a ainsi vu la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) étriller l’idée d’une redevance sur les engrais azotés ou encore la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) surévaluer le coût de l’écocontribution sur les billets d’avion. Ces études ont été contestées pour « leur méthodologie rudimentaire » et leur partialité mais elles ont servi de base argumentaire aux industriels.
La similitude de leurs profils sociaux et professionnels des Hauts Fonctionaires, dirigeants macronistes et industriels, leur recrutement dans les mêmes écoles, ou encore les « portes tournantes » entre privé et public expliquent la situation actuelle et les levées de boucliers au sein même de l’État.
Les industriels millionnaires n’ont pas hésité non plus à se faire les porte-parole autoproclamés des masses populaires. Il y a de quoi trouver suspect que les plus éminents représentants de la classe stato-financière découvre soudainement l’intérêt de défendre les catégories populaires qui s’étaient révoltées au travers du mouvement des « Gilets Jaunes » contre des mesures qui ne tenaient pas compte de leur quotidien et de la réalité sociale. Mais ici rien qui ne ressemble à une forme d’écologie populaire. Il s’agit plutôt de remettre en cause par principe la nécessaire transition écologique. Ainsi ils défendent « la liberté du consommateur » via des associations comme 40 millions d’automobilistes — financée au deux tiers par de grandes entreprises. Certains lobbyistes ont poussé le confusionnisme jusqu’à accuser les cent cinquante citoyens de « conforter le clivage entre la France déclassée et celle des métropoles ». Mais comme le note l’Observatoire des multinationales, on est en droit de supposer que les citoyens tirés au sort sont bien plus représentatifs de la France périurbaine que ces professionnels habitués des cabinets ministériels.
C’est un véritable « un tournant libertarien » qui est en cours et qui rappelle « les stratégies déployées par les industriels aux États-Unis ». Selon eux, cette évolution explique « le degré supplémentaire de violence observé dans les discours et la proximité, plus ou moins assumée avec l’extrême droite ». Par exemple, le délégué général de 40 millions d’automobilistes est intervenu sur le site conspirationniste Boulevard Voltaire pour enfoncer la CCC. Le chroniqueur proche du transhumanisme Laurent Alexandre et Olivier Babeau, de l’Institut Sapiens, se sont rendus avec le journaliste du Figaro Ivan Rioufol à la Convention de la droite de Marion Maréchal. Contre le climat, une nouvelle alliance se profile. Un agglomérat mêlant conservatisme et défense du business as usual. Comme l’écrit l’Observatoire des multinationales, « leur influence apparaît plus que jamais comme un obstacle à toute réelle action climatique ».
Un projet de loi qui a subi un tri sélectif avant d’être édulcoré en amont et en aval
Hormis les trois mesures écartées d’emblée par le chef de l’Etat, comme la demande d’un moratoire sur la 5G, le gouvernement assure que toutes les autres propositions des Citoyens sont mises en œuvre (75) ou en cours de mises en œuvre (71), dont une cinquantaine dans ce projet de loi, outil privilégié de leur déploiement. Selon l’étude d’impact du gouvernement, ce texte permettra de « sécuriser » entre la moitié et les deux tiers de la baisse des émissions prévues d’ici 2030. Sans compter l’effet « difficile à quantifier » de l’impact « culturel » de certaines mesures comme le « CO2-Score », sorte de « nutriscore » pour l’impact climatique des produits, note-t-on au ministère de la Transition écologique.
Mais si les mesures présentées sont jugées « en général pertinentes », elles sont souvent « limitées », « différées », et « soumises à des conditions telles qu’on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché », a jugé le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les nombreuses critiques pointent surtout des mesures « édulcorées », notamment sur la demande de création d’un « crime d’écocide » devenu délit dans le projet de loi.
La CCC recommandait aussi l’interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants. Le texte interdit celle pour les énergies fossiles, en complétant avec des « codes de bonne conduite ». En matière de logement, un des secteurs les plus émetteurs de CO2, la CCC demandait la rénovation énergétique obligatoire des bâtiments d’ici 2040. Le projet de loi interdit la location des passoires thermiques à partir de 2028. Dans ce domaine, en fonction des conclusions attendues en mars d’une mission lancée par le gouvernement, des amendements pourraient compléter le dispositif lors du débat parlementaire.
Vu l’étendue des domaines couverts par cette loi, de l’éducation aux finances en passant par les collectivités locales, une commission spéciale de l’Assemblée nationale devrait examiner le texte en mars, avant le passage dans l’hémicycle en avril. Et certains élus souhaitent déjà modifier le texte, dans un sens ou dans l’autre. Comme le député écologiste ex-LREM Matthieu Orphelin qui a identifié « cinq mesures de plus » qui permettraient selon lui de « multiplier par près de quatre les émissions de CO2 évitées en 2030″. Ou le sénateur Jean-François Longeot (UDI) qui veut introduire des mesures sur l’impact environnemental du numérique. Ce domaine n’est pas couvert par le texte qui se décline en six chapitres : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir et renforcer la protection judiciaire de l’environnement. Les « Citoyens » eux doivent se réunir une dernière fois officiellement fin février pour juger de la réponse de l’exécutif à leurs propositions.
Un projet de loi peu crédible au regard d’un gouvernement qui triche sur la réalisation des objectifs écologiques
La France a bien dépassé son objectif de réduction pour 2019, comme l’ont souligné dimanche Emmanuel Macron et Barbara Pompili. Mais le plafond fixé pour cette année-là avait été relevé. La baisse doit, en outre, s’accentuer dans les années à venir si le gouvernement veut tenir ses engagements.
Un cocorico en règle. « La France a baissé ses émissions de gaz à effet de serre en 2019 de 1,7%. C’est au-delà de notre objectif ! », se félicite Emmanuel Macron dans un tweet dimanche 7 février. Même satisfecit quelques heures plus tôt de la part de la ministre de la Transition écologique. « En 2019, la France a tenu ses engagements climatiques et c’est une excellente nouvelle ».
Or cet enthousiasme de l’exécutif n’est en réalité qu’un banal et triste coup de communication.
Le ministère de la Transition écologique a précisé, lundi 8 février dans un communiqué, que la France avait émis 437 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Mt CO2e) de gaz à effet de serre en 2019, selon l’estimation actualisée du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). Cette association, dont les travaux servent de référence, a calculé qu’en 2018 les émissions françaises s’élevaient à 444,8 Mt CO2e. Avec 7,8 Mt CO2e d’émissions en moins en un an, la baisse est donc bien de 1,7%, et même un peu plus (1,75% précisément).
Toutefois, cette légère inflexion des émissions de gaz à effet de serre constatée en 2019 apparaît bien davantage liée à la conjoncture qu’aux mesures prises par le gouvernement. Le Citepa note ainsi qu’elle est due à 55% à une moindre consommation énergétique des bâtiments. L’hiver ayant été doux, les Français ont fait marcher leur chauffage moins fort.
Quant à l’autre principale baisse mesurée, elle est liée à la désindustrialisation de la France. La diminution de la production d’acier, de ciment ou de verre a entraîné une diminution de la consommation de gaz naturel et de charbon de l’industrie chimique et métallurgique, relève le Citepa. Le Citepa note toutefois un ralentissement de cette réduction des émissions puisqu’elle avait été de 4% entre 2017 et 2018 (18,7 Mt CO2e d’émissions en moins).
Avec 437 Mt CO2e émises en 2019, la France est certes en dessous (de 6 Mt CO2e) de l’objectif de 443 Mt CO2e qu’elle s’était imposé. Mais c’est oublier que le gouvernement l’a revu à la baisse, le rendant plus facile à atteindre. L’objectif initial était une baisse de 2,3% et reporter les baisses à plus tard n’est pas responsable ».
Il est donc bien malhonnête de tronquer la vérité et de ne pas indiquer que l’objectif 2019 a été modifié début 2020 pour être rendu plus facile à atteindre (avec la révision de la SNBC).
Cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre est inscrit noir sur blanc dans la Stratégie nationale bas carbone. Cette SNBC, née en 2015 avec la loi sur la transition énergétique, sert de « feuille de route » à la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, comme l’explique le ministère de la Transition écologique. Celle-ci détermine des budgets carbones, c’est-à-dire les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser, exprimés en millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2e). Ces objectifs à court et moyen termes tracent une trajectoire jusqu’à 2050. Avec la neutralité carbone comme but ultime à cette date.
Le premier budget carbone, entre 2015 et 2018, n’a pas été tenu, souligne le Citepa. Les 442 Mt CO2e annuelles moyennes visées ont en réalité atteint 456 Mt CO2e. Le tribunal administratif de Paris vient d’ailleurs de condamner l’Etat pour « carence » dans le non-respect de ses engagements sur cette période.
Pour le deuxième budget carbone, qui couvre la période 2019-2023, le plafond annuel moyen d’émissions a d’abord été fixé à 398 Mt CO2e, puis à 421 Mt CO2e. Mais la SNBC a été revue. Dans sa version de mars 2020, le plafond annuel moyen des émissions a encore été relevé à 422 Mt CO2e. A partir de 2020 et jusqu’en 2023, il est prévu qu’il soit raboté de 13 Mt CO2e chaque année. Mais pour 2019, le seuil était ainsi encore de 443 Mt CO2e. Cela tombe bien car dans une pré-estimation provisoire, le Citepa tablait sur 441 Mt CO2e d’émissions en 2019. Juste en dessous de la barre fatidique.
Pour autant, même si ces 437 Mt CO2e d’émissions permettent de respecter l’objectif pour 2019, ce chiffre reste inférieur à la moyenne de 422 Mt CO2 à atteindre sur la période 2019-2023. Afin que les objectifs des années suivantes soient atteints, il faudra que la baisse soit de 3% par an en moyenne à partir de 2020, et non de 1,7% seulement.
La pandémie de Covid-19 pourrait avoir aidé le gouvernement à atteindre son objectif pour l’année écoulée. Le Citepa fait remarquer que le confinement, le coup de frein donné au secteur des transports et la crise économique ont provoqué une « forte baisse » des émissions de gaz à effet de serre, au moins pendant une partie de l’année. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) estimait dans un rapport rendu en avril que la pandémie pourrait avoir entraîné une chute des émissions de l’ordre de 5 à 15%.
Le gros de l’effort est en réalité reporté à plus tard. Le troisième budget carbone (pour la période 2024-2028) prévoit une réduction des émissions de l’ordre de 15%, avec un plafond fixé à 359 Mt CO2e par an en moyenne. Puis le quatrième budget carbone (2029 à 2033) table sur 300 Mt CO2e émises par an en moyenne, soit plus de 16% de baisse.