Chili : les électeurs tournent la page Pinochet

Dimanche 25 octobre 2020, les Chiliens ont décidé de mettre fin au compromis qui avait présidé à la sortie de la dictature de Pinochet.

Cette transition démocratique avait établi une constitution néo-libérale qui limitait fortement l’action de l’État et promouvait l’activité privée dans tous les secteurs, notamment l’éducation, la santé et les retraites. Un système qui a maintenu une grande partie de la population dans la pauvreté et a poussé à l’endettement une autre partie, précarisant les classes moyennes. Remplacer la Constitution était donc une des revendications des manifestations lancées à partir du 18 octobre 2019 afin de réclamer une société plus juste. Il y a un an jour pour jour, 1,2 million de personnes descendaient dans les rues du Chili pour manifester contre les inégalités sociales après une hausse de 30 pesos (0,03 euro) du prix des transports publics à Santiago. La goutte avait fait déborder le vase social et politique dans le second pays le plus inégalitaire de l’OCDE.

Le vote s’est déroulé dans le calme et a été marqué par une participation de 50,8 %, un record depuis la fin du vote obligatoire dans le pays, en 2012. C’est en fait la participation la plus forte depuis l’instauration du vote volontaire en 2012. Près de 15 millions de Chiliens étaient appelés à voter. De longues files d’attente ont été observées malgré la pandémie. Les jeunes Chiliens ont visiblement voté en nombre, alors que 60 % s’étaient abstenus lors de l’élection présidentielle de 2017.

Les résultats sont sans appel : plus de 78% des électeurs inscrits ont approuvé la nécessité de donner une nouvelle constitution au pays et près de 80 % des votants ont choisi un groupe composé uniquement de citoyens (et aucun parlementaire – avec une parité hommes-femmes) plutôt qu’une “convention mixte” de citoyens et parlementaires.

Ce vote massif pour une Convention constituante illustre ainsi l’immense rejet de la classe politique par les Chiliens : la crise sanitaire du COVID-19 n’a pas arrangé leur confiance en leurs dirigeants (500 000 contaminations et 14 000 morts pour 18,2 millions d’habitants). L’un des grands défis des mois à venir sera d’élire des représentants qui aient davantage de légitimité auprès de la société.

Sebastian Piñera, président mal élu en 2017 et fragilisé depuis l’année dernière par une contestation sociale massive qui a été conduite hors des partis et des syndicats,  risque de connaître une fin de mandat dans l’ombre du processus constituant. La Tercera, l’un des journaux les plus lus du pays, estime que “ceux qui ont parié sur une solution politique ont gagné”. Pour ce grand quotidien, “ce qui s’est passé devrait adoucir le climat politique et, ce que tout le monde espère, écarter la violence”. Prenant acte de la défaite de son camp, le Président n’a même pas attendu la fin du dépouillement pour s’adresser au pays : « Aujourd’hui, nous avons une fois de plus démontré la nature démocratique, participative et pacifique de l’esprit chilien. […] Jusqu’à présent, la Constitution nous a divisés. À partir d’aujourd’hui, nous devons tous collaborer pour que la nouvelle Constitution soit un espace d’unité, de stabilité et d’avenir ».

Ce référendum marque surtout le début de plusieurs longs mois de réflexion. D’abord, le pays retournera aux urnes le 11 avril 2021 pour élire les 155 membres de l’assemblée constituante. Cet organe aura ensuite neuf mois pour préparer une proposition de texte. La ratification de la nouvelle Constitution ne devrait donc pas avoir lieu avant 2022.

C’est un choc violent, une immense défaite, pour la droite, qui s’attendait à obtenir un tiers des voix. La coalition au pouvoir s’en trouve fragilisée, car il y avait en son sein des personnalités favorables au changement de Constitution, dont l’ancien président de Rénovation nationale. Maintenant la droite doit panser ses blessures. Selon des sondages parus lundi matin, 32% des gens se revendiquant de droite auraient voté oui. Mais au regard du contexte aucun parti politique ne peut revendiquer la victoire. Or si certains veulent voir dans le résultat de dimanche et le processus qui commence un premier pas pour rétablir un équilibre social au Chili, la situation du pays impose de faire des réformes en parallèle du processus constituant, pour répondre aux demandes sociales urgentes de la société. Voilà un enjeu de taille pour la gauche chilienne dans un environnement qui reste particulièrement complexe.

Attaques et insultes de Recep Erdogan et d’Imran Khan contre la France : ça suffit !

La Gauche Républicaine et Socialiste considère avec sidération et colère les attaques contre la France menées par le président turc et aussi par le premier ministre pakistanais.

Jusqu’alors, la solidarité internationale primait sur les basses manœuvres politiques après un attentat. Las, M. Recep Tayip Erdogan a choisi de mener une campagne politicienne odieuse contre la République française, reprenant à son compte la rhétorique des terroristes pour masquer son impopularité grandissante et sa contestation interne.

Oser comparer la situation des citoyens français de confession musulmane à celles des Juifs européens sous le Troisième Reich est donc plus qu’une grave insulte diplomatique.
Alors que la liberté de culte est inexistante au Pakistan et que des non-musulmans y sont condamnés pour blasphème pour avoir bu dans un puits, le premier ministre pakistanais Imran Khan ose comparer le droit à la caricature aux mesures discriminatoires qui frappent les musulmans en Inde.

L’organisation d’un boycott des produits français orchestré par des chefs politiques qui ont choisi la lâcheté face à la Chine qui opprime la population ouighour est une marque supplémentaire de l’indécence de ces deux dirigeants. Nous ne pouvons pas croire que des propos aussi insultants pour notre pays n’entraîneront pas des conséquences diplomatiques fortes.

Nous reprenons à notre compte la phrase de Mustafa Kemal : « L’homme politique qui a besoin des secours de la religion pour gouverner n’est qu’un lâche ! Or, jamais un lâche ne devrait être investi des fonctions de chef de l’État. »

Universités de la Gauche Républicaine les 21 et 22 novembre à Marseille

La Gauche républicaine & socialiste, Les Radicaux de Gauche, République & Socialisme et Nos Causes Communes prennent acte de la situation sanitaire.

Nous décidons collectivement d’annuler la tenue de nos Universités de la

Gauche Républicaine les 21 et 22 novembre à Marseille.

Nous organiserons les UGR aux mêmes dates, en ligne. Les évènements

seront diffusés en direct depuis Facebook, Twitter et Youtube.

Nous annoncerons bientôt le programme et les intervenants.

La Bolivie a de nouveau le Morales !

Dimanche se tenaient les élections générales boliviennes dont le résultat a été sans appel. Le peuple bolivien s’est exprimé très majoritairement en faveur du Mouvement vers le socialisme (MAS). Les enseignements de cette élection et de la crise qui l’a précédée sont nombreux, et illustrent comment la presse conventionnelle peut, elle aussi, participer à la diffusion de « fake news » en vue de déstabiliser un régime démocratique.

Pour comprendre la complexité de cette crise, nous devons revenir sur la précédente élection, en octobre 2019. Afin d’effectuer un mandat supplémentaire, Evo Morales, alors président, avait modifié la Constitution. Si cette décision était critiquable, elle avait tout de même été menée démocratiquement dans le respect de l’Etat de droit.

La loi électorale bolivienne prévoit qu’un candidat peut être élu dès le premier s’il dépasse 50% des suffrages exprimés, ou bien s’il dépasse 40% avec plus de 10 points d’avance sur son concurrent le plus proche. Toujours au-dessus de 40% mais toujours en-dessous de 50%, Evo Morales a vu son avance dépasser les 10 points en fin de soirée électorale. Les résultats se sont nettement accrus en sa faveur en fin de soirée en raison de l’arrivée tardive des procès-verbaux des bureaux de vote des zones montagneuses et forestières, extrêmement favorables au MAS.

Toutefois, les opposants ont refusé de reconnaître ces résultats et ont accusé le président sortant de fraude électorale. Deux phénomènes se sont alors déclenchés et nourris l’un l’autre : l’affolement médiatique, et la déstabilisation diplomatique. Les médias institutionnels, y compris la presse française, ont pris pour argent comptant et sans les remettre en question les accusations infondées de l’opposition bolivienne. Les Etats-Unis et leurs alliés se sont empressés de profiter de la situation pour attaquer un régime qui ne leur était pas favorable. Lâché par l’armée et la police, Evo Morales a dû alors fuir le pays pour éviter un sort funeste.

La bourgeoisie bolivienne s’est alors lancée dans une furie contre-révolutionnaire fort peu démocratique : humiliation publique d’élus du MAS, chasses et ratonnades organisées par l’armée la police et les ligues d’extrême-droite de partisans du MAS, proclamation d’un gouvernement de transition en dehors de toute mesure parlementaire légitime. Sûre de son triomphe, elle préparait alors l’après : l’alignement sur le modèle capitaliste libéral pro-américain. La diplomatie bolivienne a tourné sa casaque, et s’est aligné sur la diplomatie de Donald Trump. Les privatisations des secteurs de la rente minière ont été lancées, et la destruction du modèle économique interventionniste bolivien a été entamée. Dans le même temps, la justice bolivienne a été dirigée toute entière contre Evo Morales, l’empêchant de se représenter. Les préparatifs d’une nouvelle élection pour draper le nouveau régime d’une légitimité démocratique qui lui faisait cruellement défaut ont été lancés.

A mesure que l’absurdité des accusations de fraude se révélait, et qu’il apparaissait de plus en plus clair que nous avions assisté ni plus ni moins à un putsch organisé par l’armée et la bourgeoisie bolivienne avec le soutien d’une puissance étrangère et l’approbation presque unanime de la presse dite progressiste, du New York Times au Monde, le peuple bolivien a montré des signes de résistance à cette prise de pouvoir. Les enquêtes d’opinion ont montré un soutien toujours grandissant au MAS, dont la dissolution, réclamée par les putschistes, n’était plus possible sans provoquer un soulèvement général.

Il faut comprendre le séparatisme et le mépris social et racial considérable de la bourgeoisie bolivienne pour saisir les tenants et les aboutissants de ce putsch. La Bolivie est un des pays d’Amérique latine où la part des amérindiens et des métis est la plus élevée. La bourgeoisie, héritière du système colonial, fait preuve d’un racisme bruyant et retentissant pour légitimer ses privilèges de classe : les amérindiens seraient sales, impurs, fainéants, violents, etc. Le mécanisme de racialisation de la question sociale pour éluder celle-ci est poussé à son paroxysme : en raison de critères ethniques présentés comme essentiels voire génétique, les amérindiens seraient indignes de posséder les richesses et les moyens de production. La politique socialiste et redistributive du MAS a radicalisé la bourgeoisie bolivienne et l’a conduit à appuyer un coup d’Etat grossier.

Le jeu de dupe n’a pas résisté à la mobilisation du peuple bolivien. Non seulement le candidat du MAS, Luis Acre, a remporté l’élection dès le premier tour, mais il a gagné près de 10 points par rapport à Evo Morales en octobre 2019 et obtient 54%. Le candidat des putschistes d’extrême-droite n’a obtenu que 14% des suffrages. Dans les régions où le rapport farfelu de l’opposition quant aux fraudes alléguées prétendait voir des résultats anormalement élevés pour Evo Morales, le MAS passe de 91 à 97% des suffrages. Les résultats préliminaires semblent montrer que le MAS, malgré l’entièreté de l’appareil d’Etat mobilisé contre lui, obtient la majorité absolue dans les deux chambres législatives.

L’élection de Luis Acre, figure extrêmement populaire, n’est pas surprenante. Ministre de l’économie d’Evo Morales, il incarnait le « miracle économique bolivien ». Contrairement à ce que préconise le modèle de pensée unique libérale promu par le FMI, il a refusé de privatiser le secteur minier et organisé un pilotage de l’économie par l’Etat, dans le but de redistribuer les richesses produites et d’empêcher un monopole étranger sur les ressources du pays. Le PIB de la Bolivie a quadruplé et le taux de pauvreté a été divisé par deux. La Bolivie démontrait qu’un autre modèle de développement, plus juste, moins inégalitaire, moins impérialiste, était possible. On peut y voir une des raisons de la mobilisation américaine contre le régime d’Evo Morales.

Le soutien de l’Union Européenne et de la presse institutionnelle à sa destitution, et le fait qu’elles aient massivement colporté des informations erronées, non vérifiées et qui sont apparues ridiculement fausse devrait pousser ces acteurs à reconsidérer les leçons de morale dans lesquels elles se drapent quant aux « fake news ».

La Gauche Républicaine et Socialiste se réjouit de la victoire de Luis Acre, et apporte tout son soutien au gouvernement légitime dans la sortie de cette période troublée, où la démocratie a failli être confisquée non dans le silence, mais dans l’approbation générale.

Attentat de Conflans-Sainte-Honorine : nous devons plus que jamais être unis face à la barbarie

Un professeur d’Histoire a été assassiné puis décapité vendredi en pleine rue à Conflans-Sainte-Honorine par un fanatique islamiste qui lui reprochait d’avoir montré en classe les caricatures de Mahomet à l’occasion d’un cours sur la liberté d’expression.

Nous n’avons pas de mots assez forts pour exprimer l’horreur que nous inspire cet acte ignoble et nous adressons nos condoléances à ses proches, ses collègues, ses élèves et sa famille. À travers ce professeur, c’est l’école républicaine son rôle d’éveil des conscience, l’apprentissage de l’esprit critique, la laïcité, la liberté d’expression, qui sont visés. C’est une volonté de nous terroriser pour qu’aucun citoyen n’ose plus réagir devant l’inacceptable et orienter les contenus scolaires pour faire triompher l’obscurantisme.

Nous ne pouvons cependant en rester là : la République doit être forte et rassembler les Français dans ce moment d’intense émotion et de tristesse.

La Gauche Républicaine et Socialiste propose donc à l’ensemble des forces politiques et sociales attachées aux valeurs de la République de demander ensemble l’organisation d’une journée de deuil national, qui doit être un hommage à la victime et à l’ensemble du corps enseignant qui a la charge de transmette les principes républicains à notre jeunesse.

Nous demandons aussi à la rentrée l’organisation d’une minute de silence dans tous les établissements scolaires, suivis d’échanges et de débats dans toutes les classes pour qu’au-delà de l’émotion la force de la Raison reprenne pleinement ses droits.

Enfin, il est essentiel que l’éducation Nationale soit d’une grande attention et d’une vigilance sans faille pour soutenir et accompagner tous les enseignants qui peuvent être mis en cause, menacés, placés sous pression au regard de leur enseignement.

Plus que jamais nous ne devons rien céder aux fanatismes religieux et au terrorisme islamiste.

Elections en Nouvelle-Zélande : triomphe de la gauche

Les élections en Nouvelle-Zélande ont abouti à un résultat impressionnant et qui paraîtrait hautement improbable s’il avait eu lieu en Europe : la gauche a triomphé.

Le Parti Travailliste a recueilli 49,1% des suffrages, remportant la majorité absolue des sièges, tandis que son partenaire écologiste progresse de même et obtient 7,5% des suffrages. Si l’on y ajoute le résultat du parti communautaire maori, 1% des suffrages, c’est plus de 57% des voix que la gauche dans son ensemble est parvenue à réunir. Les travaillistes obtiennent la première majorité absolue, 64 sièges sur 120, depuis l’instauration de la proportionnelle en 1996. Ils obtiennent le meilleur résultat pour un parti depuis 1953. Comment peut-on expliquer un tel résultat alors que la gauche occidentale connaît une crise sans précédent ? Quelles sont les clefs de compréhension de l’exception néo-zélandaise ?

Une première analyse s’impose : la popularité hors-norme de la Première Ministre Jacinda Ardern a grandement aidé son parti. La Nouvelle-Zélande a connu de multiples crises depuis son accession au pouvoir : attentat de la mosquée de Christchurch qui avait fait 50 victimes, crise du covid-19, crise environnementale durable en Nouvelle-Zélande, dont la biodiversité menace de s’effondrer. Tout au long de son mandat, elle a su réagir à ces crises en menant les mesures qui s’imposaient, en préservant l’unité de la Nation néo-zélandaise.

Depuis son accession au pouvoir, Jacinda Ardern a mené une communication efficace. Son engagement sans faille dans la cause féministe, son inscription dans le mouvement mee too ou dans le combat écologique, ont permis à la gauche institutionnelle d’être le relai et l’écho du féminisme et de l’environnementalisme croissant dans la société. Cet engagement ne s’est toutefois pas contenté d’une campagne de communication, et des mesures concrètes ont permis de répondre aux attentes exigeantes à ce sujet : légalisation de l’avortement, plan d’assainissement des rivières et des lacs, plan de transition vers la neutralité carbone.

Si le gouvernement Ardern a su s’adapter aux attentes écologistes et féministes nouvelles dans la société occidentale, il faut rappeler que le féminisme est un combat de longue date en Nouvelle-Zélande, premier pays à avoir adopter le droit de vote des femmes, et que la conscience environnementale y est très développée. Toutefois, le gouvernement travailliste n’a pas bradé la question sociale au profit de la question environnementale ou féministe, comme l’a fait trop souvent la social-démocratie.

Dès le début de son mandat, le salaire minimum a été augmenté, la sécurité sociale a été étendue et les soins en santé mentale ont été mieux remboursés, des logements sociaux ont été massivement construits, plus de 100 000, alors que la spéculation et l’immigration croissante de catégories aisées ont fait exploser le prix des loyers.

La gauche néo-zélandaise vient de donner une leçon magistrale au reste de la gauche occidentale. Pour accéder au pouvoir, elle n’a pas hésité à s’allier à un parti populiste et au parti écologiste. Une fois au pouvoir, elle a mené une politique d’amélioration des conditions de vie matérielle des classes populaires, tout en s’inscrivant de manière concrète dans les luttes progressistes et environnementales qui faisaient l’actualité. Elle a concilié l’urgence sociale et l’urgence environnementale, a conjugué adaptation aux enjeux culturels modernes et respect de la mission historique de la gauche. Tout cela a été soutenu par une campagne de communication efficace et accessible à tous, où les gestes symboliques et les mesures durables s’alliaient plutôt que ne s’opposaient.

La Gauche Républicaine et Socialiste se réjouit de la victoire du Parti Travailliste, et souhaite que la gauche française, tout en ayant conscience de la différence des contextes, s’inspire de l’exemple néo-zélandais pour réconcilier la gauche et le peuple.

Prolongation de la sortie de l’état d’urgence sanitaire : un long tunnel pour un Etat de droit suspendu

Prolongation de la sortie de l’état d’urgence sanitaire : un long tunnel pour un Etat de droit suspendu 

Au regard de l’amélioration de la situation, l’état d’urgence sanitaire avait cessé le 11 juillet sur l’ensemble du territoire national (en dehors de la Guyane et de Mayotte). La loi organisant la sortie cet état mettait en place un régime transitoire jusqu’au 30 octobre. 

Depuis plusieurs semaines, les indicateurs de suivi épidémiologique se dégradent dans de nombreux territoires et de façon particulièrement préoccupante dans certaines métropoles. Le compte rendu du Conseil des ministres du 16 septembre indiquait que : « Amplifiée par la reprise des activités dans le contexte de la rentrée, cette recrudescence de l’épidémie pourrait conduire à une nouvelle catastrophe sanitaire dans les prochains mois, sans mesures sanitaires adaptées, nécessitant de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire. » 

Prenant prétexte de cette situation, le gouvernement souhaite maintenir le régime transitoire au-delà du 30 octobre 2020. 

L’article 1er prévoit de proroger ce régime transitoire jusqu’au 1er avril 2021. Cette date permettrait l’application du régime de transition au plus tard jusqu’à la date de caducité du régime de l’état d’urgence sanitaire, définie lors des travaux sur la loi du 23 mars 2020. Ainsi, un projet de réforme pérenne de l’état d’urgence sanitaire pourrait être examiné par le Parlement au début de l’année 2021, sans que la prolongation des mesures de transition n’interfère avec ce débat de fond. L’article 2 prévoit quant à lui de proroger, jusqu’au 1er avril 2021, la mise en oeuvre des systèmes d’information dédiés à la lutte contre l’épidémie de covid-19. Or la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre un jugement confirmant que le droit de l’Union européenne interdit la conservation massive des métadonnées de communication téléphoniques et internet par les fournisseurs d’accès et à la demande des Etats. 

Un texte inutile 

Rien n’obligeait le gouvernement à soumettre au Parlement un tel projet de loi. 

1) La législation prévoit des dispositions permettant au ministre de la Santé de prendre des mesures préventives en cas de danger sanitaire, et la loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 a spécifiquement prévu le cas de la sortie de l’état d’urgence sanitaire en ajoutant une seconde phrase au premier alinéa de l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique (« Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ») ; 

2) Rien n’empêcherait non plus le Gouvernement, si la situation le justifiait, de recourir, une nouvelle fois à l’état d’urgence sanitaire, par simple décret en conseil des ministres (article L.3131-13 du Code de la santé publique) ; 

3) Enfin, les autorités locales de police administrative (maires et préfets) sont habilitées à adopter toutes les dispositions préventives nécessitées par les circonstances sanitaires locales particulières. 

Un texte dangereux qui peut mener à un gouvernement d’exception 

La « sortie de l’état d’urgence sanitaire » et sa prolongation n’est rien de moins qu’une contamination progressive du droit commun par un régime juridique d’exception. C’est une forme de banalisation des mesures de l’état d’urgence sanitaire, comme cela avait été le cas avec l’état d’urgence décrété après les attentats de novembre 2015, puis constamment renouvelé avant de voir ses principales dispositions pérennisées par la loi sur la sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT – nous y reviendrons plus bas). 

Or le gouvernement nous annonce, aujourd’hui, un projet de loi à venir d’ici janvier 2021 visant à instituer un « dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire » afin d’éviter les « rendez-vous intermédiaires de prorogations des mesures transitoires ». Le risque est donc bien avéré. 

Cette loi n’a pas levé l’état d’urgence mais organisé une  » sortie » de l’état d’urgence. Elle a créé un régime juridique nouveau, un « régime de sortie » dans lequel le Premier ministre conserve des pouvoirs exorbitants, notamment celui de réglementer la circulation des personnes, les conditions d’ouverture des établissements recevant du public ou encore les manifestations et rassemblements sur la voie publique. 

Or une sortie d’état d’urgence ne s’organise pas, ne s’aménage pas, ne se décline pas : il se lève dans sa totalité́ pour mettre fin à̀ l’exception. Ce brouillage inédit des frontières est inacceptable. L’exception doit demeurer l’exception, et le droit commun, la règle. 

On doit être en capacité faut de mieux de s’habituer à vivre avec le virus, mais s’habituer à vivre dans un état d’exception serait un grave danger juridique et démocratique. Si les conditions d’un état d’urgence sanitaire ne sont plus réunies, comment peut-on justifier la nécessité de maintenir des pouvoirs exorbitants aux autorités administratives. Cette contradiction ne résiste à aucune logique si ce n’est celle d’un gouvernement quelque peu « autoritaire ». 

Dans cette situation, l’état d’urgence sanitaire ne trouve de justification que dans la facilité pour le gouvernement de réprimer les manifestations, de limiter les libertés de réunion et les libertés de manifestation, et dans sa volonté de limiter le peu de contrôle effectif du Parlement sur son action. Il est ainsi absolument désastreux que la majorité de l’Assemblée nationale comme celle du Sénat se désarment face à l’exécutif : c’est peut-être une tartufferie plus condamnable encore de la part de la droite sénatoriale, qui s’érige un matin en défenseur des droits du parlement et des libertés individuelles, pour céder le soir en commission sur l’essentiel… 

Or à l’heure où les plans sociaux se multiplient, la possibilité accordée au Premier ministre d’interdire les manifestations ne peut que susciter une inquiétude sérieuse. Les motifs de santé publique – dont personne ici ne contestera l’acuité – sont instrumentalisés pour service des objectifs de basse politique… La Gauche Républicaine et Socialiste ne saurait soutenir une telle manœuvre. 

Rappel : le régime juridique mis en place par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire 

La loi prévoit qu’à compter du 10 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020 : 

Le Premier Ministre est habilité à prendre les mesures nécessaires visant à lutter contre la covid 19, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, qui peuvent porter notamment sur : 

➣ la limitation des déplacements des personnes et les conditions d’utilisation des transports collectifs ; 

➣ la limitation de l’accès, voire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, la fermeture, de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion ; 

➣la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ; 

➣ l’obligation d’un test de contamination par le virus à l’arrivée ou au départ du territoire métropolitain et d’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution si cette collectivité est une zone de circulation active du virus. 

Le Premier ministre peut habiliter les préfets à prendre ces mêmes mesures à l’échelon du département et à mettre en demeure de fermer les établissements ne se conformant pas à ces mesures. 

Ces mesures sont applicables sur le territoire de la République là où l’état d’urgence sanitaire n’est pas en vigueur. 

Les mesures ainsi prises doivent être adéquates et proportionnées et prendre fin au plus tôt dès que leur nécessité n’est plus avérée. Le procureur de la République est avisé des mesures individuelles. Les décisions prises sont par ailleurs susceptibles d’un recours devant le juge administratif sur le fondement des articles L. 521-1 et 521-2 du code de justice administrative (référé suspension et référé liberté). 

La prolongation des exceptions : une méthode généralisée du gouvernement pour tout ce qui concerne la sécurité 

On pourrait croire que nous voyons le mal partout si le gouvernement ne soumettait pas au Parlement en même temps plusieurs textes, dont le fond et la méthode illustrent de la même manière nos inquiétudes. C’est ce qui se passe avec le projet de loi de prorogation des dispositifs expérimentaux issus de la loi SILT et de la loi Renseignement. 

En 2017, la SILT (que nous avons évoquée plus haut) ancrait dans le droit commun différents pouvoirs spéciaux de police administrative propres à l’état d’urgence. Les quatre premiers articles de la loi arrivaient en principe à échéance le 31 décembre 2020. Le même terme devait également mettre fin à l’expérimentation de la technique de renseignement dite de « l’algorithme » contenue dans la loi Renseignement de 2015. 

Le gouvernement voulait prolonger ces mesures jusqu’au 31 décembre 2021. Ce délai a été ramené à six mois par la commission des lois de l’Assemblée Nationale estimant qu’un projet de loi devrait intervenir dans un laps de temps réduit pour modifier et entériner ces dispositifs de sécurité. 

La SILT portait déjà la banalisation des mesures d’urgence et la fragilisation de l’Etat de droit et des libertés fondamentales. Le gouvernement nous refait donc le coup du provisoire qui dure en prolongeant des mesures sécuritaires sous prétexte d’épidémie. 

Aucune évaluation des dispositifs concernés n’a été faite, en dépit des décisions de censure de certaines dispositions par le Conseil constitutionnel. Leur nécessité, leur proportionnalité ou leur l’efficacité n’ont jamais été démontrées. Par contre, il a été argumenté largement par les associations de défense des droits de l’Homme qu’elles pouvaient conduire à des violations du droit de circuler librement, du droit au travail et du droit au respect de la vie privée et familiale, en plus des graves conséquences psychologiques. 

Nous restons convaincus que les vraies réponses à apporter à la lutte contre le terrorisme résident dans les moyens donnés à la justice et aux services de renseignement (humains plutôt qu’informatiques), plutôt que dans cette surenchère législative récurrente. Tous les fonctionnaires de terrain en témoignent, les lois ne manquent pas, les moyens oui. 

Veolia-Suez : une fusion négative

Une profonde transformation du paysage des entreprises du secteur de l’eau, des déchets et de l’économie circulaire est en cours. C’est un secteur clef pour notre souveraineté nationale et pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Or cette transformation s’est jouée en quelques jours dans un Monopoly capitalistique, face auquel la puissance publique s’est montrée impuissante.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que l’État détient 23,64 % du capital d’ENGIE et 34,3 % des droits de vote théoriques. L’intervention et la vigilance publique étaient d’autant plus nécessaires que les activités concernées impactent la gestion de Biens Communs.

Voilà des mois que Bruno Le Maire est moqué sur les réseaux sociaux avec le mot-dièse #BrunoDemande ; la parole de l’État en matière industrielle a donc atteint un niveau de démonétisation terminale : ses admonestations à ne pas se précipiter dans cette affaire, tout en en soutenant de manière contradictoire l’intérêt, ont donc fini « en eau de boudin » : les instances d’ENGIE ont fini par accéder à l’exigence de VEOLIA avec le soutien des représentants CFDT. Cette démonétisation est d’autant plus dramatique que la parole du ministre de l’économie fut tout au long des négociations sapée par celle de l’Élysée. C’est la conséquence d’un déséquilibre institutionnel donnant plus de pouvoir à un fonctionnaire au cabinet présidentiel qu’à un ministre, qu’on avait déjà observé lorsque le secrétaire général adjoint Macron sapait les efforts du ministre Montebourg sur le dossier des hauts fourneaux.

Le rachat de Suez par Veolia aboutira de fait en France à la constitution d’un grand monopole privé dans la gestion de l’eau et des déchets. Or, s’il y a situation de monopole – surtout dans ce secteur –, celui-ci doit être public. Et si tel n’était pas le cas, il était préférable qu’il existe une concurrence saine entre entreprises françaises capables d’organiser une stimulation positive plutôt qu’une compétition destructrice.

Mais plus encore, la logique qui sous-tend le projet de Veolia conduira à court et moyen termes à l’introduction d’opérateurs étrangers qui occuperont l’espace de la libre concurrence. Tous les exemples précédents démontrent que cela aboutit à un accroissement significatif de la pénétration des entreprises étrangères en France. Cela ne sera pas sans conséquences négatives sur nos recettes fiscales, sur l’emploi et les conditions sociales des salariés français de ces entreprises et enfin sur la maîtrise technologique et la Recherche & Développement (car Veolia pour respecter les règles de la concurrence se séparera d’une partie des activités de Suez à l’international qui avait permis à cette société de construire des coopérations mondiales dans ce domaine).

Toute cette affaire pose donc une grave question de souveraineté nationale :

  • d’une part, une pénétration accrue de notre marché par des sociétés étrangères ;
  • d’autre part, et paradoxalement, une mise à mal des synergies qu’ont su construire Veolia et Suez entre activités nationales et internationales, en particulier en matière de développement technologique.

Ce regroupement aura des conséquences négatives pour l’emploi, que ce soit pour les fonctions « support » nationales ou régionales mais aussi dans les agences locales.

Il fait enfin porter un risque important sur la nécessaire diversité des solutions à mettre en œuvre dans le domaine de l’économie circulaire, où un modèle unique pourrait s’imposer, en choisissant de privilégier un modèle hyper-mécanisé et spécialisé, plutôt que de le faire cohabiter avec des centres locaux, plus diffus, plus mixtes mais dont le spectre des produits traités est plus large. Or ce sont des choix majeurs sur le chemin pour engager la transition écologique, pour favoriser l’emploi et les compétences, et pour soutenir le développement local.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime donc son opposition à l’absorption de Suez par Veolia. Elle défend l’idée qu’il ne saurait être possible d’imposer un monopole privé sur la gestion de l’eau et des déchets, tout monopole en ces matières ne pouvant être que public. Enfin elle promeut le retour à une véritable politique industrielle de la France, totalement abandonnée depuis 2014, qui seule peut stopper la désindustrialisation, permettre les relocalisations et engager notre pays vers des stratégies d’avenir en lien avec la nécessaire transition écologique. Il sera du devoir du prochain gouvernement de gauche de nationaliser le nouveau groupe, dans le cadre d’une stratégie offensive de reconquête industrielle.

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