#UGR 2023 : Emmanuel Maurel « nous devons contribuer à réveiller les consciences ! » – samedi 7 octobre 2023

Difficile de commencer cette intervention sans évoquer la situation tragique en Israël, l’attaque coordonnée par le Hamas, les milliers de roquettes, les civils morts ou otages. De tout cœur avec le peuple israélien dans ce moment dramatique.

Plaisir des retrouvailles, joie de débattre. État des lieux, perspectives d’avenir. Remercier intervenants, la pertinence de leurs analyses et de leurs combats.

Saluer les camarades de la Fédération de la Gauche Républicaine (FGR), que l’on retrouve, pour certains d’entre eux, un an après nos dernières journées dans la douceur de la Charente-Maritime.

Une année de militantisme, marquée par de nombreuses mobilisations, à commencer par celle, longue et impressionnante, contre la réforme des retraites : l’issue est décevante mais ne croyez pas que la lutte est infructueuse. La détermination tranquille des manifestants, la reconstitution d’un front syndical uni et sa conséquence, l’augmentation des adhérents dans les organisations de défense des droits des salariés, tout cela, en son temps, aura des effets favorables au monde du travail.C’est le lot de tous les militants : la lutte toujours recommencée.

Deux lueurs d’espoir dans cette période sombre et incertaine.

D’abord, le Prix Nobel remis hier à la journaliste iranienne Narges Mohammadi, un an après la mort de Masha Amini, hommage précieux aux femmes qui se battent contre l’oppression, et, au-delà, à tout un peuple confronté à la brutalité d’un régime théocratique et qui veut vivre, et vivre libre. La FGR soutient et soutiendra sans relâche celles qui militent contre l’obscurantisme.

Un mot, également, pour les arméniens récemment chassés du Haut Karabakh (100.000 sur 120.000), au terme d’une opération de nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom, et qui se sentent abandonnés. A tous les exilés, les opprimés, les pourchassés, nous redisons notre solidarité sans faille. Cette semaine, à Strasbourg, les députés européens se sont prononcés dans ce sens. Ils ont même adopté l’amendement que je présentais, qui demande à la commission de suspendre l’accord gazier avec le régime de Bakou, signé en grande pompe il y a un an. Il ne saurait y avoir deux poids deux mesures. Quand la Russie a envahi l’Ukraine, les dirigeants européens ont été prompts à demander la rupture des relations diplomatiques et commerciales avec le régime de Poutine. C’est la même chose dans le cas présent et nous attendons maintenant que la Commission et les Etats membres prennent leurs responsabilités.

Je disais : des lueurs d’espoir, mais dans un contexte international qui n’incite guère l’optimisme.

Les grandes tendances (internationales et intérieures) que nous évoquions l’année dernière se confirment et ce n’est pas pour nous rassurer. Persistance de la guerre, aggravation de la crise climatique, creusement des inégalités, importance des flux migratoires.

Au milieu des grands bouleversements de l’époque, sidérés dans le tumulte du monde, les Français sont inquiets et préoccupés. Il y a de quoi.

En trois ans, il a fallu tenir bon face aux confinements successifs et à l’épidémie, affronter les conséquences d’une guerre qui s’éternise, payer le prix des mauvaises décisions du pouvoir, aggravées par les tergiversations européennes.

Et voilà que nous devons, aujourd’hui supporter l’inflation, l’augmentation vertigineuse des prix alimentaires, celle de l’essence, la restriction de l’accès au crédit, la difficulté à trouver un logement, la mésaventure des classes sans professeur.

Et, pour les plus vulnérables d’entre nous, les difficultés qui commencent le cinq du mois, les files devant les locaux des associations d’aide alimentaire, la misère étudiante.

On s’étonnerait presque qu’il y ait si peu d’explosions de colère (gilets jaunes, émeutes, que certains considèrent comme des jacqueries de l’inflation). C’est qu’il y a surtout de la colère sourde, voire même de la résignation. On parle beaucoup, à gauche comme à droite, des classes populaires (dans un rapport d’extériorité qui devrait d’ailleurs nous interroger) qu’il faudrait « détourner du RN » : la vérité est qu’il faut déjà les convaincre de revenir aux urnes. Les PRAF (« plus rien à foutre ») sont légion, et aucune élection n’échappe à la règle. D’autant qu’ils ont l’impression légitime, qu’on se moque d’eux. Macron annonce depuis le début de son premier mandat, dès 2017, qu’il n’exclut pas d’en appeler au referendum sur certaines questions d’intérêt général : il se garde bien de le faire tant il redoute l’avis du peuple. Cette provocation répétée exacerbe le ressentiment et nourrit l’atonie civique.

Atonie civique d’autant plus préoccupante que le modèle démocratique est attaqué de toutes parts. (aussi bien par les grandes puissances autoritaires que par les grandes plateformes numériques, par l’extrême droite tentée par l’illibéralisme que par les technos libéraux qui rêvent de conjuguer verticalité et efficacité). (Le rêve chinois du marché sans la démocratie/Démocratie comme entrave au bon fonctionnement du marché.)

Réveiller les consciences civiques, redonner de l’espoir, tracer une perspective pour la France et les Français.

Car l’enjeu est bien de réparer le pays, qui en a tant besoin.

Le gouvernement proclame que tous les indicateurs sont au vert. Nous n’avons manifestement pas même appréciation de la situation.

France humiliée au Sahel et en Afrique, déficit commercial abyssal, impression de dysfonctionnement généralisé, à commencer par les services publics.

Une pratique du pouvoir solitaire et hors sol (Bruno demande). Un seul pilote dans l’avion, mais sans plan de vol et ballotté au gré du vent. Un équipage incompétent et un brin sadique.

Retraites, assurance chômage et RSA : les « réformes sociales » du quinquennat ont un point commun : celui de s’attaquer toujours aux mêmes, c’est à dire aux plus vulnérables. Jusqu’à la récente mesure sur les accidents du travail. C’est une des constantes du macronisme : l’indifférence au sort des salariés les plus précaires.

Et ceux qui aspirent à lui succéder ont, sur ce point, une belle communauté de vues avec le président actuel. Voir Édouard Philippe, qui, tout sympathique qu’il est, ne jure que par la réduction de la dette et la retraite à 67 ans promettant, au nom du réalisme, du sang et des larmes.

Une stratégie pour redresser le pays

L’urgence : la fin de la vie chère. Concerne l’immense majorité des Français, qui n’ont pas les soucis immobiliers de monsieur le Maire. Précarité voire même pauvreté. Misère en milieu étudiant. Faillites d’entreprises.

Battre en brèche l’idée reçue selon laquelle l’augmentation des salaires nous entraînerait dans une spirale inflationniste. L’originalité de la période est justement que l’inflation est tirée… par les profits.

Oui, l’indexation sur les prix est une étape évidente. Au passage, certains secteurs dits « en tension » découvriront qu’on trouve davantage de salariés quand on leur offre une rémunération correcte et de bonnes conditions de travail.

Oui, le blocage des prix dans l’alimentation, faute d’attitude responsable des distributeurs et des enseignes commerciales.

Reste le problème spécifique de l’énergie. Problème structurel qu’on ne saurait régler en un jour. Sortir de la dépendance aux hydrocarbures. Enjeu de la décarbonation. Ca suppose de reprendre le contrôle du prix de l’électricité.

C’est un des gros sujets du moment, que la FGR a été une des premières organisations politiques à mettre en avant.

C’est le moment de redire le bilan catastrophique, pour les ménages comme pour les entreprises, de l’ouverture à la concurrence. C’est toujours le moment de mener campagne en faveur de la sortie du marché européen de l’électricité. Cela soulagerait ménages et entreprises. A terme, il faudra reconstituer un pôle public de l’électricité autour d’EDF.

Tout ce qui permet de recouvrir notre souveraineté industrielle et agricole est bon à prendre.

Je ne reviens pas en détail sur la question de la réindustrialisation qui a été brillamment évoquée tout à l’heure. Aujourd’hui, personne ne remet en question la pertinence économique et écologique d’une politique du Made in France. Personne, sauf peut-être une partie des élites dirigeantes responsable d’abandons et de trahisons.

Hommage aux combats d’Arnaud Montebourg, plus utile pour la France que bien des plans gouvernementaux. Relocaliser autant qu’on peut. Ça vaut pour l’industrie autant que pour l’agriculture.

Souveraineté agricole. La gauche doit avoir un message en direction de la France paysanne. Qui ne se limite pas à la défense de l’agro-écologie. Se donner les moyens d’être auto suffisant. Un plan sur dix ans. Soutien aux agriculteurs Français en particulier, et à la France rurale en général.

Enfin, le redressement du pays suppose aussi de prendre à bras le corps un problème structurel, celui de l’état de nos services publics.

Les fondamentaux. Un plan massif pour les services publics (à commencer par l’Éducation nationale (école publique fonds publics) et l’hôpital.

(L’école est malade. Des classes sans professeur. Des concours d’enseignement désertés. La maîtrise des fondamentaux qui s’effondre. Les inscriptions dans le privé qui explosent. Pas de grande nation sans instruction.)

Réparer la France, c’est possible, tant sont nombreux nos atouts et nos qualités. Le plus difficile c’est d’en convaincre les dirigeants économiques et politiques qui sont les premiers à douter du pays, et qui abdiquent plus vite que leur ombre.

La grande explication européenne

Rien ne doit entraver notre action pour le redressement du pays. Pas même les règles européennes qui, parfois, nous rendent la tâche plus compliquée. Je dis parfois, parce que bien souvent, ce sont les gouvernements français qui, d’eux-mêmes, s’autocensurent ou s’autocontraignent, attribuant à Bruxelles la responsabilité de leur renoncement et de leur lâcheté.

Mais enfin, il y a, dans le contenu des politiques européennes et dans le texte des traités, des dogmes et des axiomes qui ont fait beaucoup de mal à notre pays.

Longtemps, le slogan « Faire l’Europe sans défaire la France » a fait consensus parce qu’il était habile. La vérité oblige à dire qu’au nom de la construction européenne, beaucoup a été défait. Nous ne sommes pas défavorables à la pratique du compromis, bien sûr, à condition qu’il ne se conclue pas systématiquement en défaveur des mêmes. Or la France, comme l’ont démontré de nombreuses études, et comme nous le constatons sur le terrain depuis des décennies, a payé un lourd tribut aux exigences de l’intégration européenne.

Désindustrialisation, coupes budgétaires, et surtout casse de formidables fleurons publics au nom de la concurrence et non faussée.

Ni frexiteurs, ni eurobéats, Euro critique, euro vigilant, euro lucide.

Je sais que le COVID et la guerre en Ukraine, agissant comme un choc du réel, ont permis d’heureuses inflexions, surtout langagières. Plan de relance, fin de la naïveté en matière commerciale, assouplissement de la réglementation sur la concurrence. Mais cette prise de conscience est contrebalancée par les vieilles habitudes et les vieilles certitudes, au risque de donner raison, une fois de plus, à l’auteur du Guépard : tout change pour que rien ne change.

C’est reparti pour un tour : Accords de libre-échange tous azimuts (Nouvelle-Zélande, en attendant le Mercosur), retour programmé de l’austérité, foi inentamée dans la concurrence, notamment entre les travailleurs.

Le tout sur fond de crise franco-allemande : le modèle outre-Rhin était fondé sur l’énergie russe, l’exportation massive massive vers la Chine, conjugué avec la fin des centrales nucléaires. Patatras, tout est remis en cause, ce qui explique l’Hostilité à l’égard de la France au prétexte que nous bénéficierions d’un « avantage compétitif ». Le couple franco-allemand tient plus de la relation sadomasochiste que de l’union harmonieuse et égalitaire.

Dans ce contexte de guerre aux portes de l’Europe, des voix fusent pour en appeler à un élargissement rapide. Aux Balkans, a l’Ukraine, la Moldavie, et même la Géorgie.

Cela ressemble à une fuite en avant : on cherche à élargir, mais sans se demander pourquoi et comment. Surtout, on ne porte pas une attention  suffisante aux conséquences économiques et sociales de ce choix. Dans les pays aujourd’hui évoqués, les salaires moyens et minimums sont très inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans l’Union. Que se passera-t-il si, demain, nous les accueillons ? Il est très probable que cela donnera lieu à du dumping social. Car nos entreprises seront évidemment tentées de délocaliser leurs activités dans ces pays à bas coût, provoquant du chômage à l’ouest et aggravant la désindustrialisation, particulièrement en France. Qui ira expliquer les « bienfaits » de cette Europe-là aux travailleurs ? Je ne suis pas hostile par principe à l’élargissement à l’Est. Mais ces choses-là prennent du temps.

J’entends l’argument géopolitique : on a tendance à croire que plus nous serons nombreux au sein de l’UE, plus nous constituerons un espace géopolitique puissant et indépendant. Mais c’est oublier que bien des pays à l’Est européen ne partagent pas cette vision : ils souhaitent surtout s’arrimer à l’Otan et aux États-Unis.

Sans compter la question de la gouvernance : aujourd’hui, à vingt-sept membres, c’est déjà une gageure d’obtenir une position commune sur certaines questions. Songez aux possibles blocages à trente-six !

C’est une orientation qui me paraît extrêmement difficile à prendre et à faire accepter aux Français. Car si demain, nous renonçons à l’unanimité sur les questions de défense et de diplomatie par exemple, cela signifie que la France confiera à ses voisins une part essentielle de sa souveraineté.

Imaginez qu’un  jour, une majorité de pays européens soutienne une aventure militaire que nos élus et notre opinion désapprouvent largement. Faudra-t-il y participer malgré nous ? Imaginez encore qu’on transfère tout ou partie de la compétence « santé » à Bruxelles. On ne tarderait pas à voir la Sécu mise en concurrence voire privatisée ! Je crois qu’on ne renforcera jamais l’Europe en créant davantage de dissensions entre ses membres.

Marché de l’électricité, relocalisation des activités industrielles, Europe de la défense, élargissement. Autant de sujets décisifs, aux implications énormes.

C’est l’intérêt des élections européennes qui viennent. Elles doivent permettre d’avoir cette indispensable « grande explication ».

La FGR se prononcera en temps et en heure sur cette élection, la stratégie et la campagne qu’elle entend mener, en espérant, c’est notre ligne de conduite depuis que nous nous sommes constitués, être utiles à la France et aux français.

Les défis pour la gauche

La gauche n’est pas toujours à la hauteur, soyons honnêtes. Elle verse trop souvent dans les querelles picrocholines, le nombrilisme. Elle multiplie les concessions au gauchisme culturel qui éloigne des masses, acceptant sans le dire l’américanisation des références et des combats, ce qui l’amène à des excès ou à des fautes. Le combat antiraciste est lui-même dévoyé – un rappeur antisémite et homophobe comme témoin de moralité.

Le risque, nous le sentons bien, est de donner l’image d’un progressisme déconnecté, condescendant et punitif.

La passion de la déconstruction, qui confine parfois à l’absurde : oublier Camus, transformé en homme blanc raciste et colonialiste, ou bannir J.-K. Rowling pour transphobie parce qu’elle a eu le malheur de croire que seules les femmes ont leurs règles.

Mais aussi celle de l’excommunication, a de fâcheuses conséquences.

Renvoyer toute expression divergente ou tout désaccord dans le camp du fascisme, en compagnie de Doriot et Déat, c’est surtout bêtement contribuer à banaliser l’extrême droite. Si tout le monde est d’extrême droite, plus personne ne l’est. Or le problème est qu’elle existe bel et bien, l’extrême droite, qu’elle progresse dangereusement, et qu’elle déroule tranquillement ses argumentaires sans être réellement inquiétée.

Le résultat, c’est que la gauche ne progresse pas. Elle se maintient depuis une décennie dans un étiage relativement bas, qui ne lui permet pas d’accéder au pouvoir. Il y en a qui se satisfont de la fameuse tripartition, oubliant un peu vite qu’on ne saurait gagner avec 30% des exprimés.

Faire tenir ensemble les aspirations des ouvriers, des employés, d’une partie de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie. Ce n’est pas toujours facile, car les conditions de vie et les représentations idéologiques ont évolué et divergé, la géographie s’en mêle (on ne pense pas pareil selon qu’on habite dans un centre métropolitain ou dans la diagonale du vide, même si on fait le même métier). Mais ce n’est pas infaisable non plus. A condition de rechercher une position d’équilibre. Qu’on me comprenne bien : l’équilibre ce n’est pas la modération.

Radicalité des propositions (s’attaquer à la racine des problèmes), crédibilité de la méthode et des engagements.

Et surtout, il faut toujours chercher à embarquer le plus grand nombre. Quand la gauche se vit comme une avant-garde éclairée, elle laisse trop souvent des électeurs en route. Un pas en avant des masses, mais pas deux.

La fameuse phrase de Jaurès, aller à l’idéal, partir du réel. Aller à l’idéal : trop nombreux sont ceux qui l’ont abandonné, souvenir amer du quinquennat Hollande. Ne jamais perdre de vue l’objectif de transformation sociale et d’approfondissement de la démocratie.

Partir du réel : notre grille de lecture de la société ne saurait procéder de nos seules convictions. Il faut tenir compte, au moins un minimum, de la façon dont les gens vivent et de ce à quoi ils aspirent. Moquer le désir d’accès a la propriété (maison individuelle avec jardin), tonner contre les comportements prétendument irresponsables des gens, c’est se condamner à la minorité.

Le débat sur la barbecue est de ce pont de vue-là bien moins anecdotique qu’il n’y paraît. Pour des millions de gens, quelles que soient leurs origines sociales, il est synonyme de plaisir partagé, de sociabilité évidente, de proximité joyeuse. En faire le symbole du virilisme et de la consommation viandarde, c’est braquer inutilement des gens qui, dans leur immense majorité, ont déjà commencé à modifier leur mode de consommation alimentaire et sont moins dépourvus de conscience écologique que les CSP+ qui commandent une salade de quinoa sur Uber Eats.

Aller à l’idéal en partant du réel, quand on parle d’écologie, c’est savoir hiérarchiser les renoncements. Si la priorité est à la décarbonation, alors on va avoir encore longtemps besoin du nucléaire. Si le but est de réduire l’empreinte de la voiture et de l’avion, alors on ne peut pas s’opposer en même temps certains grands travaux qui vont améliorer le ferroutage. Je pense par exemple au tunnel Lyon Turin.

Interroger l’acceptabilité sociale de l’indispensable transformation écologique, ce n’est pas trahir la cause. C’est faire en sorte quelle soit partagée par le plus grand nombre.

Je vais prendre un autre exemple, totalement différent mais tout aussi parlant.

Faire campagne sur « la police tue », c’est par définition se couper d’une partie de notre électorat naturel. Il y a des bavures policières, il y a des policiers qui doivent être sanctionnés, mais l’immense majorité de nos compatriotes comptent sur les fonctionnaires de police, (non pas gardienne d’un ordre social injuste mais garante de la paix républicaine) pour les protéger physiquement, c’est aussi simple que ça.

Faire l’impasse sur la progression exponentielle de l’insécurité, c’est simplement occulter la réalité vécue par la majorité de nos concitoyens, ou qu’ils vivent, et accentuer ainsi l’impression de déconnexion.

L’autorité de l’État ne doit pas s’exercer uniquement dans la vie économique. Elle est censée faire appliquer le contrat social.

C’est en cela que la gauche ne peut gagner que si elle prend appui sur l’idée républicaine, qui est toujours une synthèse dynamique. Services publics et conquêtes sociales, mais aussi tranquillité publique et méritocratie républicaine – accessoirement réconcilier la gauche bac pro et la gauche hypokhâgne.

Mais je vous le dis : il ne suffit pas de dire que nous sommes républicains et de gauche pour que tout d’un coup les gens viennent vers nous par millions.

La République est devenue le lieu commun de la vie politique française : moins elle s’incarne, plus on en parle. Moins elle fait battre les cœurs, plus on s’en revendique. J’ai écrit une fois qu’il en est de la République comme des langues mortes. Ça n’a pas été compris. Je voulais dire parfois qu’on en exalte les beautés mais on ne les enseigne ni ne les pratique. Le cadre est incontesté, le contenu est dévitalisé.

Quel est drame des républicains sincères comme nous ? C’est que nos beaux principes, et les politiques publiques qu’ils avaient inspirées, sont profondément percutés par l’avènement de la « société de marché » et par la normalisation anglo saxonne, à laquelle une partie des classes supérieures consent. 

La société française est gangrenée par la ghettoïsation et le séparatisme social.  Et d’abord le séparatisme des riches, cette « révolte des élites » dont parle Christopher Lasch, mais aussi celui, moins spectaculaire, des Tartuffe des hypercentres qui n’ont que le « vivre ensemble » à la bouche quand ils ne vivent, en réalité, qu’avec leurs semblables. On ne dira jamais assez l’étiolement de la conscience républicaine chez les élites hexagonales.

Et c’est vrai aussi dans la jeunesse militante. Les théories différentialistes ont un écho certain dans la jeunesse estudiantine, et qu’il faut toujours être attentif à ce qui taraude la jeunesse. Ce qui nous parait évident à nous, la défense de l’universalisme, et son corollaire, l’attachement à la laïcité, ne vont absolument plus de soi dans certains milieux.

Et c’est là qu’on mesure à quoi l’individualisme des sociétés libérales aboutit : la disparition d’un monde commun. Le « venez comme vous êtes » de Mac Donald s’est progressivement imposé comme un modèle de vie en société. C’est le règne des tribus et des communautés, le triomphe du relativisme, l’exaltation de la singularité à tout prix.

Mais la juxtaposition des singularités mène à la guerre de tous contre tous. Et, tout aussi grave, à la complaisance avec les bigots, à l’acceptation, par des progressistes supposés, qu’une autorité prétendument supérieure s’arroge le droit de faire la police des comportements et des mœurs.

On a donc beaucoup de boulot de conviction. A nous de rappeler inlassablement que la République est plus qu’une constitution ou un régime politique : c’est une manière de voir le monde et d’y agir, propre à la France, à son histoire, à son génie.

L’école laïque, la Sécurité Sociale, le TGV : l’émancipation par l’instruction, la protection collective des travailleurs, l’aménagement du territoire par l’État stratège. Le modèle républicain se veut une réponse à la passion française pour l’égalité. Égalité des conditions, égalité des territoires, égalité des citoyens.

Il faut redonner à la République sa conflictualité originelle. Retrouver ce qu’elle avait de vivant, de piquant, d’irrévérencieux, d’inventif, voire de provocateur.

Je voulais terminer par une note plus personnelle. Puisque je parle d’être inventif, vivant ; piquant, je ne peux pas terminer sans évoquer une figure de notre jeune parti qui vient de quitter la vie parlementaire après plusieurs décennies de bons et loyaux services. Qu’on me comprenne bien : elle reste militante et n’a pas l’intention de prendre sa retraite. Mais, au moment où Marie-Noëlle quitte le Sénat, je voudrais rendre hommage à sa détermination, sa ténacité, son intelligence.

Marché de l’électricité : comment tout a disjoncté ! (débat à la Fête de L’Humanité 2023)

Samedi 16 septembre 2023, sur le stand de la Gauche Républicaine et Socialiste pour la Fête de l’Humanité, la GRS avait invité David Cayla – Maître de Conférences en économique à l’université d’Angers, membre des Economistes atterrés et essayiste – et Laurent Miermont – responsable national au sein du pôle Idées, formation et riposte de la GRS – à débattre du marché européen de l’électricité.

Ils ont retracé la construction de ce marché européen et surtout le chemin de la « libéralisation » et de la création d’une concurrence totalement artificielle, dont le principal effet a été ouvertement de mettre à bas l’opérateur public historique français, EDF. Ils sont également revenus sur la crise de l’énergie qui a crû à partir de la fin 2021 avant d’exploser en 2022 avec la guerre en Ukraine, ainsi que sur les actions désordonnées de la commission européenne pour y faire face.

Les deux intervenants convergent en conclusion sur la nécessité urgente pour la France de sortir – y compris unilatéralement – de ce « marché européen », qui pénalise les usagers et les entreprises, afin de surmonter la crise et de préserver les atouts de notre mix énergétique.

Elargissement de l’Union Européenne : « Cela ressemble à une fuite en avant » – Emmanuel Maurel dans L’Obs

Dans un contexte géopolitique bouleversé par la guerre en Ukraine, l’élargissement de l’UE à de nouveaux entrants d’ici à 2030 semble inévitable mais s’annonce comme un défi majeur. L’Obs a sollicité le 2 octobre 2023 l’avis de la secrétaire d’Etat Laurence Boone et de l’eurodéputé Emmanuel Maurel, dont publions les propos ci-dessous.

article publié le lundi 2 octobre 2023 dans L’Observateur

Que pensez-vous de l’idée d’élargir l’UE en accueillant possiblement des pays comme la Moldavie, l’Albanie, la Serbie… ?

Pour moi, cela ressemble à une fuite en avant : on cherche à élargir, mais sans se demander pourquoi et comment. Surtout, on ne porte pas une attention suffisante aux conséquences économiques et sociales de ce choix. Dans les pays que vous mentionnez, les salaires moyens et minimaux sont très inférieurs à ceux pratiqués dans l’Union. Que se passera-t-il si, demain, nous les accueillons ? Il est très probable que cela donnera lieu à du dumping social. Car nos entreprises seront évidemment tentées de délocaliser leurs activités dans ces pays à bas coût, provoquant du chômage à l’ouest et aggravant la désindustrialisation, particulièrement en France. Qui ira expliquer les « bienfaits » de cette Europe-là aux travailleurs de la classe ouvrière ? Je ne suis pas hostile par principe à l’élargissement à l’est. Mais ces choses-là prennent du temps.

Les défenseurs d’un élargissement mettent surtout en avant la nécessité de contrer l’influence de la Russie sur des pays qui sont encore fragiles démocratiquement…

J’entends l’argument, mais attention : on a tendance à croire que plus nous serons nombreux au sein de l’UE, plus nous constituerons un espace géopolitique puissant et indépendant. Mais c’est oublier que bien des pays à l’est de l’Europe ne partagent pas cette vision : ils souhaitent surtout s’arrimer à l’Otan et aux États-Unis. Je ne compare pas, bien sûr, l’influence américaine à l’influence russe, mais il me paraît important de souligner qu’intégrer trop largement risque plutôt d’affaiblir les institutions européennes. Sans compter la question de la gouvernance : aujourd’hui, à vingt-sept membres, c’est déjà une gageure d’obtenir une position commune sur certaines questions. Songez aux possibles blocages à trente-cinq !

Peut-être faut-il assouplir les processus de décision, par exemple en renonçant plus largement à la règle de l’unanimité entre les membres ?

C’est une orientation qui me paraît extrêmement difficile à prendre et à faire accepter aux Français. Car si, demain, nous renonçons à l’unanimité sur les questions de défense et de diplomatie par exemple, cela signifie que la France confiera à ses voisins une part essentielle de sa souveraineté. Imaginez qu’un jour, une majorité de pays européens soutienne une aventure militaire que nous désapprouvons largement. Faudra-t-il y participer malgré nous ? Imaginez encore qu’on transfère tout ou partie de la compétence « santé » à Bruxelles : on ne tarderait pas à voir la Sécu mise en concurrence, voire privatisée !

Fête de l’Humanité 2023 : Carte blanche à Gérard Streiff sur Missak Manouchian – dimanche 17 septembre

Dimanche 17 septembre 2023, le stand de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la Fête de l’Humanité donnait carte blanche à Gérard Streiff, journaliste, écrivain et rédacteur en chef de la revue Cause Commune.

Gérard est connu pour écrire et publier des « polars politiques », mais ce dimanche 17 il venait nous parler du livre qu’on lui avait commandé sur Missak Manouchian et se compagnons des FTP-MOI, rendus célèbres par « l’Affiche Rouge ».

Alors que l’entrée au Panthéon de Missak et de son épouse Mélinée a été enfin annoncée, nous ne pouvions laisser passer une telle occasion de revenir sur ce parcours de résistant franco-arménien, militant communiste, ouvrier et poète, et sur ses camarades qui aimaient tant la France qu’ils lui ont donné leurs vies.

Marché européen de l’électricité : des millions de Français et des milliers d’entreprises sont pris à la gorge !

Des millions de Français sont pris à la gorge et des milliers d’entreprises mettent la clé sous la porte à cause de l’explosion de leur facture d’électricité. Le marché européen de l’électricité est un fiasco absolu dont il faut sortir le plus vite possible. Pourquoi ? Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, vous l’explique très simplement dans cette vidéo.

Université des possibles : « La gauche doit engager la reconquête populaire »

tribune collective publiée dans Marianne le mercredi 23 août 2023

Dans cette tribune publiée à l’orée des universités d’été des partis de gauche, les signataires, élus et militants, intellectuels et associatifs, défendent l’initiative de l’ « Université des possibles » : engager la reconquête des classes populaires à gauche sur une ligne sociale et républicaine.

A quelques jours du début des universités d’été des partis de gauche, et quelques semaines après les émeutes qui ont déchiré le pays, il devient urgent pour la gauche de proposer une nouvelle vision du monde. La tension sociale, à bien des égards explosive, dans laquelle le chef de l’État a poussé le pays depuis la mobilisation contre la réforme des retraites et l’explosion sociale consécutive à la mort de Nahel ont de quoi inquiéter. À mesure que la France s’intègre dans la mondialisation néolibérale, les crises se succèdent (économique, sanitaire, environnementale…) avec ce qu’elles charrient de conséquences néfastes : délocalisation des industries, destruction des écosystèmes, casse des services publics pour financer les mesures d’ »attractivité »…

L’EFFACEMENT DE LA GAUCHE DU DÉBAT PUBLIC

A chacune de ces crises on a prophétisé la fin du tout marché, le retour à la souveraineté nationale et à des mécanismes de régulation lorsque l’activité humaine se révèle prédatrice. La crise sanitaire et la mobilisation contre la réforme des retraites ont d’ailleurs toutes deux fait réémerger des thèmes chers à la gauche : relocalisation de l’activité économique, solidarité nationale et accès à des soins de qualité, nécessité de mener une transition écologique face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

Pourtant, la course à la concurrence généralisée est toujours aussi vive et les partis de gauche semblent incapables de transformer les colères populaires en espoirs d’un ordre social nouveau. En témoignent les sondages qui dépeignent le RN comme grand vainqueur de la réforme des retraites. Les ouvriers, pour la grande majorité d’entre eux, ne votent plus à gauche et les classes populaires ne s’identifient plus à elle depuis longtemps. Bien que la Nupes soit parvenue à éviter la déroute de la gauche aux élections législatives, rares sont les Français qui s’identifient encore aux partis de gauche. La base sociale des différentes organisations qui la composent donne trop souvent l’impression de se rétracter autour d’un entre-soi de diplômés urbains et de militants vieillissants.

SORTIR DE L’IMPUISSANCE

En focalisant leur attention sur la compétition électorale (avec des débats interminables sur l’opportunité de créer des coalitions qui perdent parfois tout sens politique), les partis de gauche ont arrêté de penser les mutations économiques, sociales et politiques de notre société et ne parviennent plus à proposer une « vision du monde » cohérente et crédible, en même temps qu’ils délaissent toute ambition en matière d’actions concrètes sur le terrain.

Dans une société en crise, où il est de bon ton d’exalter la réussite individuelle et de mépriser les solidarités collectives, il est temps de proposer un autre modèle. Certes la concentration de la majorité des médias français entre les mains de quelques milliardaires complexifie l’émergence de récits alternatifs. Mais le travail sur les représentations collectives est depuis longtemps délaissé au profit d’incantations rituelles à la lutte contre l’extrême droite. À l’inverse, les droites, celle du chef de l’État comme celle du Rassemblement national, bien que défendant les intérêts des classes dominantes, grandes gagnantes de la mondialisation financière, ont su jouer sur les peurs des Français et toucher les déclassés et les classes populaires.

Autrefois existait une contre société de gauche, qui se manifestait par une multitude d’associations (sportives, de soutien scolaire, de musique, de collecte alimentaire, etc…) présentes un peu partout sur le territoire. Un grand nombre de Français avait ainsi une expérience concrète de l’action menée par ces associations : concerts, tournois de foot, cours du soir, etc… Certaines de ces associations existent toujours mais se réduisent comme peau de chagrin en raison du peu d’attention portée à la construction et à l’ancrage social des organisations politiques. Le contrecoup de la révolution numérique a été un éloignement physique grandissant entre les représentants politiques et les citoyens et l’abandon progressif de toute action locale (hormis la diffusion de tracts et le collage d’affiches en période électorale). S’inscrire dans le temps long de la construction idéologique et de l’ancrage social, voilà les conditions d’un véritable renouveau à gauche.

RESTAURER LES CONDITIONS DE L’ESPÉRANCE

Ce sont les objectifs que nous nous fixons en créant dès septembre 2023 l’Université des Possibles. Rassemblant des élus et militants de gauche, intellectuels et associatifs, salariés du public comme du privé, l’Université des Possibles organisera des tables rondes, largement accessibles, et visant à répondre aux grands enjeux auxquels devra faire face le pays au cours du XXIe siècle : la réinvention du contrat républicain ; la transformation écologique et la démondialisation de l’économie ; la révolution féministe ; l’invention d’une nouvelle coopération internationale.

Soucieuse de renouer avec l’éducation populaire, et fidèle à l’héritage des universités itinérantes promues par Jean Jaurès, l’Université des Possibles organisera également des événements populaires (cafés débat, conférences, banquet populaire) sur l’ensemble du territoire national, dans les grandes villes comme dans la France périphérique et rurale. Au cours de la programmation pour l’année 2023-2024, l’université sera notamment présente à Marseille, Rochefort, aux Lilas, à Nantes, Lyon, Angers, Bordeaux, Toulouse, Mont-de-Marsan, Montélimar.

Construire une alternative à l’actuelle dérive autoritaire et libérale du chef de l’Etat est nécessaire : d’autres possibles existent pour répondre à la crise globale.

Le temps presse : pour réussir ensemble, unissons-nous !


Les premiers signataires (par ordre alphabétique) :

Bassem Asseh, PS, 1er adjoint de la maire de Nantes

Philippe Brun, Député PS de l’Eure

David Cayla, maître de conférences en économie à l’université d’Angers

Jean-François Collin, ancien haut-fonctionnaire

Jean-Numa Ducange, Professeur d’histoire contemporaine (Université de Rouen)

Frédéric Farah, économiste et enseignant à Paris 1

Frédéric Faravel, conseiller municipal et communautaire GRS de Bezons

Barbara Gomes, conseillère municipale de Paris, groupe Communiste et Citoyen

Hugo Guiraudou, directeur de publication du Temps des Ruptures

Liem Hoang Ngoc, ancien député européen, économiste et président de la Nouvelle Gauche Socialiste

Jean-Luc Laurent, Maire MRC du Kremlin-Bicêtre

Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice de Paris, co-fondatrice de la Gauche Républicaine et Socialiste, ancienne ministre

Emmanuel Maurel, Député européen, co-fondateur de la Gauche Républicaine et Socialiste

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Arnaud de Morgny, directeur-adjoint du centre de recherche de l’école de guerre économique-cr451

David Muhlmann, essayiste et sociologue des organisations

Pierre Ouzoulias, Sénateur PCF des Hauts-de-Seine

Chloé Petat, co-rédactrice en chef du Temps des Ruptures

Christophe Ramaux, maître de conférence en économie à l’université Paris I

Laurence Rossignol, Sénatrice PS de l’Oise, ancienne ministre

Stéphanie Roza, chargée de recherche au CNRS, philosophe spécialiste des Lumières et de la Révolution française

Milan Sen, co-rédacteur en chef du Temps des Ruptures

Mickaël Vallet, Sénateur PS de Charente-Maritime

Émeutes : quelles leçons pour la gauche ? par Christophe Ramaux

Christophe Ramaux est Maître de conférences à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, membre des Économistes atterrés. Nos chemins se croisent régulièrement et, après la publication de son dernier essai Pour une économie républicaine : une alternative au néolibéralisme (février 2022, édition De Boeck), nous l’avions à nouveau invité à débattre à nos côtés sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre 2022. Lorsqu’il a publié sa réflexion ce mois-ci sur les émeutes (leurs causes, leurs conséquences, l’absence de réponses aux problèmes qu’elles soulèvent) qui ont frappé nos concitoyens fin juin, nous avons à nouveau constaté nos convergences avec ses analyses. Nous lui avons demandé aujourd’hui l’autorisation de publier celle-ci sur notre site et il a immédiatement donné son accord – qu’il en soit chaleureusement remercié. Vous trouverez donc la version longue de son propos ci-dessous et vous pourrez en consulter une version plus courte sur le site d’Alternatives Économiques publiée le 21 juillet dernier. Bonne lecture.

Nous y sommes, au cœur des congés payés, avec Charles Trenet et sa Nationale 7 dont le ciel d’été « chasse les aigreurs et les acidités / Qui font l’malheur des grand’s cités / Toutes excitées ». Des ados taquinant les institutions et donc la police pour s’affirmer n’est pas nouveau. La conduite sans permis et le refus d’obtempérer sont devenus un rite de passage dans nombre de bandes. On doit le déplorer, reconnaître que ce n’est pas simple à gérer. Rien n’autorise cependant à y répondre par la mort. Et celle de Nahel s’ajoute à une trop longue liste. Il y a décidément lieu de revoir certains règles d’intervention de la police. Bourdieu voyait dans le régalien la « main droite » de l’État. C’est offrir beaucoup à la droite. N’est-il pas essentiel que les lois et la Constitution même, les institutions les plus « systémiques » donc, posent pour le régalien la mission de faire respecter les droits de l’homme et du citoyen, dont la lutte contre le racisme ? N’est-ce pas une précondition du progrès social ?

Pour refonder la police encore faut-il reconnaître sa légitimité. On mesure la vacuité de ceux qui clament « tout le monde déteste la police ». Et leur infatuation : les forces de l’ordre comptant parmi les services publics les plus populaires, c’est bien une bonne part du peuple que ce « tout le monde » efface. Une émeute a toujours un sens politique. Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce sens. Tout ce qui bouge n’est pas rouge. Quand la république recule, les petits rois refont surface. C’est vrai de certains policiers et de certains de leurs syndicats, preuve au passage des dangers bien réels du corporatisme. C’est vrai aussi de ces jeunes qui s’autorisent à piller et à casser, des commerces proches, des mairies, des écoles et à l’occasion des cibles juives ou LGBT. L’extrême-droite pointe dans ces jeunes émeutiers des « sauvages ». Mais certains progressistes ne raisonnent-ils pas de même en les enfermant dans le statut de victimes irresponsables ? Respecter autrui, n’est-ce pas aussi lui dire qu’on désapprouve certains de ses actes ? Derrière le paternalisme compassionnel, c’est finalement le mépris à l’égard de ces jeunes eux-mêmes qui perce.

Un mépris qui s’étend aux « quartiers ». L’extrême-droite est dans son funeste rôle quand elle assimile tous les quartiers et leurs immigrés qui y sont concentrés aux « ensauvagés ». Mais n’est-ce pas lui emboîter le pas que de dire que ce sont les « quartiers » qui ont embrassé les émeutes ? Avec ce souci : si le nombre des jeunes émeutiers a été non négligeable, ils n’en forment pas moins qu’une infime minorité de la jeunesse et a fortiori de la population des « quartiers ». Et c’est d’abord dans ceux-ci, on le comprend au regard des dégâts subis, que les émeutes ont été condamnées. Ces autres voix ne méritent-elles pas d’être entendues et respectées ? Le bon côté de la barricade n’était-il pas du côté de ceux, ces mères notamment, qui ont veillé pour protéger « leurs » services publics ?

La régression d’une certaine gauche vient de loin

N’en déplaise aux libertariens et anarchistes, la société n’est pas un amas d’individus. Vivre ensemble, former société, suppose valeurs et règles partagées. Les appartenances communautaires (familiale, associative culturelle, religieuse…) sont multiples et respectables. La religion offre à sa façon un surmoi qui mérite d’être compris a fortiori si l’on souhaite la critiquer1. La république soutient toutefois que l’organisation politique de la cité relève du suffrage universel et des lois qui en procèdent et non de la religion, y compris pour permettre à chacun de croire ou non. Les replis communautaires et les régressions religieuses – avec l’islamisme intégriste mais aussi l’évangélisme ici et ailleurs – ont progressé ces dernières années. Certains refusent de le voir, pire battent le pavé contre l’« islamophobie », assimilant ainsi toute critique de la religion – on ne parle pas de la haine des musulmans – à du racisme, ce malgré Charlie, et les intégristes qui brodent sur cette corde victimaire. Mépris à nouveau : celui de l’essentialisme qui assigne, avec en premières victimes les immigrés ou issus de l’immigration agnostiques ou athées, ou qui croient en respectant la laïcité, sans parler des femmes iraniennes.

Loin des replis identitaires et de la lutte sans fin de tous contre tous, les républicains combattent pour l’égalité et la fraternité afin que tous les citoyens – quelles que soient leurs origines – se sentent membre à part entière de la communauté nationale. Un combat universel, embrassé sous tous les continents : c’est en le reprenant que la Société des amis des Noirs a engagé sa lutte contre la traite, que Saint-Domingue s’est soulevée, que l’esclavage a été aboli sous la Révolution et que les peuples aux quatre coins du monde ont mené combat contre le colonialisme et pour leur indépendance.

Une partie de la gauche n’a jamais saisi la portée révolutionnaire de la république. C’est par elle que Jaurès est venu au socialisme. La Révolution française, souligne-t-il en 18902, a été socialiste en politique, elle a «transféré à la nation toute entière la propriété politique […] qu’une famille entendait se réserver indéfiniment ». Elle l’a été dans « l’organisation de la famille » avec, la fin des privilèges et du droit d’aînesse, le partage égalitaire de l’héritage, y compris pour les filles. Dans « l’organisation de l’enseignement public » avec les écoles primaires gratuites. Dans « sa conception de la propriété », va- t-il jusqu’à soutenir, en ouvrant le droit de propriété à tous et en le bornant « par la loi », afin de ne pas « préjudicier […] ni à l’existence, ni à la propriété » des autres. Nul socialisme n’est concevable sans la république a-t-il soutenu inlassablement. On est aux antipodes de ceux qui, aujourd’hui encore – malgré les sphères de l’État social échappant au capital (protection sociale, services publics…) bien plus développées que du temps de Jaurès – soutiennent que l’État n’est au fond que bourgeois et la République de même. Un État néocolonial surenchérissent les mêmes ou d’autres, sans craindre le révisionnisme eu égard à ce qu’était réellement le colonialisme. La République : une expression de la

« domination blanche »3 ? L’extrême droite, à nouveau, est à son aise. De même que Renaud Camus l’est avec l’usage inconsidéré du terme « racisé » : « On critique l’extrême gauche, les BLM [Black Lives Matter], les islamogauchistes, mais ce sont tout de même eux qui nous auront sortis de cette ridicule parenthèse antiraciste et pseudoscientifique selon laquelle les races n’existaient pas »4.

La gauche pour transformer réellement la société doit porter un projet à vocation majoritaire. Le droit à la sécurité – la protection sociale a mobilisé son vocabulaire pour se légitimer – en fait évidemment partie. Il en va de même pour la maîtrise de l’immigration. Le contrôle des frontières ne sert à rien supputent les no border. Mépris pour la misère du monde cette fois : comme si les migrants ne s’orientaient pas aussi en fonction des conditions d’accueil offertes ou non ; comme si l’ouverture complète des frontières, des droits sociaux et le transport organisé et gratuit afin d’éviter les trafics et leurs naufrages, ne se traduiraient pas immédiatement par l’afflux de millions de migrants. Le patronat le plus rétrograde a toujours été favorable aux vastes flots d’immigration. Jaurès avait su fustiger aussi cela. Au nom de quoi d’ailleurs l’immigration devrait-elle échapper à l’idée qu’en tout domaine la maîtrise politique doit primer5 ?

La France a été et demeure un pays d’immigration. L’extrême-droite se repaît de la supposée faillite du « modèle républicain d’intégration ». Faut-il reprendre ce refrain alors même que les mariages mixtes, preuve de la résilience de ce modèle dont c’est une singularité, n’ont nullement disparu6 ? Et quel autre modèle lui opposer ? Celui, américain, du développement pendant longtemps légalement séparé, d’où la distinction de « races » dans le recensement depuis 1790 jusqu’à nos jours7 ? Même s’il est effectivement mis à mal, on peut au contraire soutenir qu’il y a lieu de défendre un modèle qui, sans écraser les différences – comme ce fut certes le cas pendant longtemps – se propose néanmoins de les subsumer autour de valeurs républicaines partagées. Accueillir dignement les immigrés suppose d’en maîtriser les flux : on s’excuse d’avoir à rappeler cette platitude. Le logement, pour ne citer que lui, n’est pas extensible à souhait. Face aux ghettos ethniques et face au racisme qui existe toujours – y compris au sein de la police ce qui est particulièrement inacceptable –, il y a bien une priorité à relancer l’intégration pour faire peuple commun.

Ségrégation spatiale et travail : quelles réponses ?

Le social – est-ce à un économiste de le rappeler ? – ne se réduit pas aux conditions économiques, contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre, aujourd’hui comme en 2005, comme pour excuser les émeutiers. Il est aussi affaire de représentations, de valeurs, d’où d’ailleurs les attitudes différentes au sein des « quartiers » face aux émeutes. Pour faire peuple commun, il y a bien un combat de valeurs à engager. Celui contre la supposée « domination blanche » – comme si on ne pouvait pas être « non blanc » et exploiteur, « blanc » et dominé, a fortiori plus de soixante ans après les indépendances – éloigne évidemment du fraternel, ne peut qu’alimenter la bascule de nombre d’ouvriers et d’employés vers le Rassemblement National.

Tout n’est pas qu’économique et il importe d’instiller dans l’économie elle-même les principes républicains, de promouvoir une économie républicaine, expression dont on s’étonne qu’elle n’ait pas surgi plus tôt, comme si l’économie et de la république ne méritaient pas d’être rapprochés8. Jaurès, à nouveau, en a posé les jalons. La république est amputée, soulignait-il, si elle ne s’accompagne pas de son volet économique avec la république sociale.

L’économie républicaine doit prévaloir en tout domaine, et notamment sur deux volets en lien direct avec les émeutes.

Celui de la ségrégation spatiale tout d’abord. Fipaddict et Thierry Pech ont fait œuvre utile en invitant à se départir d’un catastrophisme englobant sur les « quartiers »9. Dans les Quartiers de la politique de la ville (QPV), le taux de pauvreté (à 43%) est trois fois plus élevé qu’ailleurs en France, le taux d’emploi y est inférieur de 22 points, la mixité sociale recule10. Les QPV ne sont pas pour autant des ghettos homogènes et « perdus ». Le taux de chômage et le nombre d’allocataires au RSA y ont plus baissé qu’ailleurs ces dernières années. La mobilité ascendante y existe. Ils sont pour une part comme des aéroports où on atterrit mais d’où aussi on décolle avec une rotation importante des habitants.

La concentration des immigrés et singulièrement des plus pauvres dans les QPV pose problème. Mais comment y remédier ? Le capitalisme libéral creuse les inégalités territoriales. Les communes riches attirent les plus riches, d’où la flambée des prix qui rend le logement inabordable aux moins aisés, etc. ; à l’opposé, ceux qui en ont les moyens quittent les communes pauvres dès qu’ils le peuvent, d’où l’appauvrissement cumulatif de ces communes. Si les ghettos de pauvres existent, ceux des riches existent aussi et sont bien plus fermés. Seule l’intervention publique peut contrer cette polarisation. Preuve qu’il est possible d’agir, la loi SRU de 2000 y a œuvré. Il est temps d’aller au-delà : en durcissant les pénalités financières à l’égard des communes récalcitrantes à la construction de logements sociaux, mais aussi en accroissant et facilitant la mobilisationfoncièreà la main des préfets pour la construction de ces logements – et en particulier des très sociaux – au sein des communes aisées. Cela permettrait de réduire les temps de transports – une sobriété heureuse – de ceux dont le métier est de travailler dans les quartiers aisés.

Le travail et les métiers justement : c’est le second grand enjeu. Le chômage et les emplois plus souvent à temps partiel et précaires minent les QPV. Les études abondent qui attestent du maintien de la reproduction sociale. Dénoncer celle-ci est évidemment essentiel, mais gare, ce faisant, à ne pas alimenter la disqualification des métiers d’ouvriers et d’employés, d’entretenir l’idée que les occuper est peu ou prou calamiteux. Nous aurons toujours besoin demain d’ouvriers, les vastes chantiers de la bifurcation écologique l’exigent, et d’employés, du fait notamment du vieillissement de la population et donc des besoins liés à la dépendance.

Instiller de la république en économie, c’est aussi soutenir que tous les métiers doivent être tenus pour strictement égaux dans le respect qui leur est dû. En Allemagne, on peut encore être fier lorsque son rejeton accède à un poste d’ouvrier. On en est loin en France, malgré la mise en évidence du rôle essentiel des « premiers de corvée » et autres « secondes lignes » avec le covid. Le magnifique Discours à la jeunesse de Jaurès se terminait, ce n’est pas anodin, par un éloge de la fierté du travail bien fait,«quel qu’ilsoit», et des travailleurs qui l’exercent. C’est un enjeu majeur trop souvent omis dans les travaux sur la mobilité sociale : redonner à tous les travailleurs leur fierté.

Les représentations importent : n’est-ce pas au nom de l’égale dignité des métiers qu’on peut d’autant mieux exiger de réduire les distances entre eux ? Les progressistes aux petits pieds se bornent à promouvoir l’égalité des chances. La priorité serait de permettre aux femmes, aux « minorités », voire aux fils d’ouvriers pour les plus hardis, de devenir patron du CAC 40. On peut retenir une autre priorité : un nouvel âge de l’égalité, avec une authentique revalorisation tant matérielle que symbolique des ouvriers et employés et la limitation des écarts pour « ceux d’en haut ». L’égalité des chances y gagnera puisque ce n’est pas en augmentant la hauteur d’une échelle qu’on facilite d’y grimper à son sommet.

Il est minuit moins le quart pour la gauche

En 1936, à la Libération et en 1981, c’est lorsqu’elle a porté la république en politique comme en économie que la gauche a pu accéder au pouvoir, déployer ses grandes réformes. Les promoteurs du néolibéralisme économique savent le bénéfice qu’ils peuvent tirer lorsque ceux qui s’opposent à ce néolibéralisme prennent leur distance avec la république, s’enlisant inexorablement dans des postures minoritaires. La droite, Macron avec, l’a parfaitement compris à l’occasion des émeutes : ils arguent de la défense de la République pour mieux ne rien changer dans la politique économique. La république mérite pourtant mieux qu’une défense hémiplégique. Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, pour ne citer qu’eux, s’en posent en gardiens, mais en négligeant son volet social. D’où la défense de la politique économique de Macron, dont la réforme des retraites, dans leur journal Franc- Tireur, avec en chroniqueur économique Olivier Babeau, encenseur des dividendes et des milliardaires.

On se désole de la montée du Rassemblement National. Encore faut-il en sonder les ressorts. Cette extrême-droite a tourné le dos à la dénonciation de la « gueuse ». Elle se présente, à sa façon, en défense de la république tant au niveau politique que social, d’où sa progression.

La gauche ne pourra offrir une alternative crédible si elle est dominée par deux pôles qui sont autant d’impasses : l’un, opposé au néolibéralisme économique, mais au message brouillé sur le volet républicain du politique, l’autre, dont Macron est un pur produit, qui prétend porter ce dernier volet, mais pour mieux justifier le néolibéralisme.

Il est minuit moins le quart pour la gauche. Puisse-t-elle, avec Jaurès, se reconstruire comme gauche authentiquement républicaine et sociale… pour que ne sonne pas son glas.


1 C’est devant El prendimiento de Cristo de Goya (le Christ y prend toutes les bassesses et offre tout) à Tolède que l’auteur de ses lignes, athée, a saisi il y a quelques années la puissance que porte – et porte encore pour certains – la religion. Et à choisir, les lignes de Marx sur la religion (dans Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel – 1844) ne comptent-elle pas parmi ses plus subtiles (« La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur »…) ?

2 « Le socialisme et la Révolution française », La Dépêche de Toulouse, 22 octobre 1890.

3 Sur toutes ces questions, voir la roborative mise au point de Stéphane Beaud, Gérard Noiriel (2021) dans Raceetsciences sociales.Essaisurlesusagespublicsd’unecatégorie, Agone. Voir aussi Florian Gulli (2022), L’antiracismetrahiDéfensede l’universalisme, PUF, ouvrage salué par Gérard Noiriel dans son précieux blog.

4 Cité dans l’article documenté de Gaston Crémieux sur le racisme de Renaud Camus, «LeGrandmâleblanc», Franc-Tireur, n°15, 23 février 2022.

5 Voir sur cette question la courageuse note de la Fondation Jean Jaurès de Renaud Large (2023), «Ambitieux sur les retraites, ferme sur l’immigration : le modèle social-démocrate danois (2016-2023) ».

6 Cf. les résultats de la deuxième enquête Trajectoireset originesde l’Insee (2022) : «La diversitédesoriginesetlamixité des unions progressent au fil des générations », Insee Première.

7 Du premier recensement en 1790 à 1850, seules deux races étaient reconnues : les « blancs » et les « noirs » (avec pour ces derniers les sous-catégories de « libres » et d’esclaves »). S’y sont ensuite progressivement ajoutés les « Amérindiens et autochtones d’Alaska », les « Asiatiques », les « Autres races » et (en 2000) les « Autochtones d’Hawaï et des îles du Pacifique ». S’y superposent l’enregistrement des « origines ethniques » (hispaniques, etc.), le tout avec moult conflits sur leurs contours à l’occasion des recensements tous les 10 ans.

8 Christophe Ramaux (2022), Pour une économie républicaine. Une alternative au néolibéralisme, De Boeck.

9 «Emeutes urbaines et quartiers prioritaires : comment ne pas se tromper de diagnostic », La Grande Conversation, 13 juillet 2023. Voir aussi Vincent Grimault (2023), « Non, les banlieues ne croulent pas sous l’argent public», Alternatives économiques, 07 Juillet.

10 Voir Mathilde Gerardin et Julien Pramil (2023), « En 15ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses, no79, 11 janvier.

Sri Lanka : Un an après la révolte, où en est le pays ?

Le 9 juillet 2022, le Président Gotabaya Rajapaksa démissionnait de ses fonctions à la suite de la prise du palais présidentiel par le peuple Sri Lankais. Cette démission suivait celle de son frère Mahinda Rajapaksa le 9 mai précédent, alors Premier Ministre du pays, après une crise politique majeure, due à une très forte inflation, des coupures d’électricité et des pénuries de carburant et de produits de première nécessité.

Qu’est-ce qui avait conduit à ce renversement ?

Des manifestations majeures s’étaient déroulées depuis le 15 mars 2022 pour réclamer la démission des frères Rajapaksa. Le 9 mai 2022, des heurts entre manifestants pro- Rajapaksa et manifestants anti- Rajapaksa ont provoqué la mort de 9 personnes et 139 autres ont été blessées.

Le 14 juillet 2022, Ranil Wickremesinghe (ancien premier ministre) a été désigné Président de la République du Sri Lanka.

En 2022, la situation économique du pays, qui ne s’est pas totalement remis de la guerre civile entre Cingalais et Tamouls, avait été aggravée par la crise économique résultant de la crise COVID. En effet, la dette extérieure du pays est passée de 42,6 % du PIB en 2019 à 101 % en 2021. Le gouvernement de Mahinda Rajapaksa a massivement baissé les impôts, augmentant le déficit budgétaire tout en augmentant la création monétaire, augmentant ainsi l’inflation.

Depuis, quelle est la situation ?

Si le pays semble sortir progressivement de la crise économique, le FMI – dont on ne connaît que trop bien les recettes – appelle à une douloureuse restructuration du pays, notamment par le doublement des impôts, la réduction des dépenses publiques, l’augmentation des tarifs d’électricité et la baisse des subventions. 2,9 milliards de dollars seulement ont été promis en contrepartie.

Sont donc notamment visées les entreprises publiques, dont la société nationale d’électricité, la compagnie aérienne nationale ainsi qu’une compagnie pétrolière, qui avaient subi une perte d’1,3 milliards de dollars en 2021. Notons la seule contrepartie intéressante : la promulgation de lois anti-corruption dans le pays.

Après avoir fait défaut en avril 2022 de 46 milliards de dollars de dette extérieure, le pays reste aujourd’hui débiteur de 36 milliards de dollars, dont un peu plus de 7 milliards sont dus à la Chine. Cette dernière l’utilise comme moyen de pression sur le gouvernement sri lankais : exportation de 100 000 macaques à toque vers les zoos chinois (espèce placée sur la liste rouge des espèces en danger), vente d’un port sri lankais pour 99 ans, ouverture du marché des carburants à la compagnie chinoise SINOPEC…

Fin 2022, la dette locale s’élevait à 15 033 milliards de roupies (50 milliards d’euros), dont la valeur pour les créanciers diminue autant que la devise perd de sa valeur avec l’augmentation de l’inflation.

Le gouvernement a récemment publié son programme de restructuration de sa dette : une décote de 30 % sera prochainement appliquée sur les obligations du pays libellées en dollars, autant pour les créanciers internationaux que sri lankais. Seuls les crédits bilatéraux (intergouvernementaux) ne sont pas concernés par cette restructuration.

Des perspectives peu rassurantes

Le PIB, quant à lui, est en récession de 7,8 % en 2022, une nouvelle diminution de 2 % est également attendue en 2023 et la croissance, modeste, n’est pas prévue avant 2024.

Malgré le départ du clan Rajapaksa, la colère populaire persiste : l’inflation, bien que réduite, reste à un très fort niveau et les pénuries de bien se poursuivent. L’augmentation des impôts, du coût de l’électricité et des biens de première nécessité ont de nouveau poussé une quarantaine de syndicats à appeler à une grève nationale le 15 mars dernier, malgré l’interdiction faite par le gouvernement le mois précédent. L’armée a été déployée dans les gares et le port de Colombo.

Joffrey Robécourt

Les Jeudis de Corbera – Quelle politique républicaine de maintien de l’ordre ? – 25 mai 2023

Après plus de 3 mois d’une contestation sociale historique, la politique de maintien de l’ordre ne cesse de poser question. Alors quelle politique républicaine de maintien de l’ordre et des droits ? D’autres pays font face à des problèmes similaires comment agissent-ils, quelle politique de désescalade ? Nous abordions cette question lors de la 3ème émission des Jeudis de Corbera, le 25 mai à partir de 19h, en présence de Fabien Jobard, chercheur sur les sujets police / justice, et Jean-Baptiste Soufron, avocat au barreau de Paris. Les débats étaient animés par Hélène Franco.

Intelligence artificielle : empêchons la dictature de la machine ! – tribune d’Emmanuel Maurel dans Euractiv

tribune publiée le 7 juin 2023 (pour la version anglo-saxonne ici)

Alors que Sam Altman, le PDG de l’IA générative ChatGPT, continue son tour du monde pour demander aux gouvernements de réguler l’intelligence artificielle (IA), le député européen Emmanuel Maurel met en garde contre tous les défis que l’UE aura à relever vis-à-vis de cette technologie de rupture.

L’intelligence artificielle révolutionne l’économie mais menace aussi la civilisation. Pour nous préserver de ce péril, il faudra aller bien plus loin que « l’IA Act » voté la semaine prochaine.

Pas un jour ne passe sans que nous soyons témoins de la progression fulgurante de l’intelligence artificielle.

L’IA est déjà utilisée dans la vie quotidienne : communications, traductions, jeux vidéo, bientôt voitures autonomes, mais aussi systèmes de surveillances de masse… et conflits armés. La possibilité de voir arriver des « robots tueurs » sur le champ de bataille est en effet tout sauf théorique.

Dans une lettre ouverte publiée en mars, un millier de chercheurs et professionnels du secteur demandaient un moratoire de six mois afin d’élaborer une régulation visant à empêcher l’IA d’être « dangereuse pour l’humanité ».

Moins apocalyptique, quoique fort inquiétant : la possibilité de propager de fausses informations à l’aide de photos et vidéos créées de toutes pièces par des IA, presque impossibles à distinguer des vraies.

Dans un contexte d’uniformisation des contenus sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming via les algorithmes, ce genre d’innovation nuira non seulement à la manifestation de la vérité, mais aussi à la culture et sa diversité – et donc à la civilisation.

Il est important de développer un projet éducatif autour de l’intelligence artificielle, ayant pour but d’informer les citoyens sur les risques associés à l’IA, mais aussi de les former à utiliser l’IA de manière responsable et éthique.

Des mesures fortes s’imposent pour encadrer l’IA, particulièrement sur les aspects liés aux droits humains. Est-il par exemple nécessaire de recourir aux technologies de reconnaissance faciale dans le cadre des prochains Jeux olympiques à Paris ?

L’Assemblée nationale, qui a voté en ce sens le mois dernier, aurait dû faire preuve de davantage de prudence au lieu de s’engager sur un terrain aussi glissant pour les libertés fondamentales.

Entretemps, l’Union européenne s’est emparée du sujet et met au point une législation se voulant protectrice et uniforme sur tout le continent, afin d’éviter toute tentation de « dumping numérique ». Les dispositions contenues dans son « IA Act », qui sera soumis au vote du Parlement européen en juin, offrent ainsi une perspective intéressante, insistant sur l’importance du rôle de l’humain dans la supervision de l’intelligence artificielle.

Mais organiser une telle supervision nécessitera que l’Europe se dote d’unités de contrôle fortement qualifiées, or les candidats manquent. De plus, il est nécessaire que l’humain soit en capacité de “débrancher la machine” manuellement, sans besoin de mécanismes informatisés et numérisés.

Qu’il s’agisse du contrôle ou du développement de l’IA, où nous sommes en retard par rapport aux États-Unis et à la Chine, nous n’aurons pas d’autre choix que mettre en place une stratégie extrêmement volontariste pour empêcher la « fuite de cerveaux », redoubler d’efforts pour la formation et pour la consolidation d’un écosystème favorable à l’émergence d’une IA spécifiquement européenne, centrée sur l’humain et sur les principes de liberté et de démocratie.

Un aspect important de cette stratégie est la collaboration entre les entreprises, les gouvernements, les experts en IA ainsi que la société civile, qui doivent travailler main dans la main pour amener une utilisation régulée des intelligences artificielles.

Dans l’immédiat, il nous faut contrer la voracité des géants du numérique, afin de prévenir toute utilisation abusive de l’IA, notamment en matière de protection des données personnelles, d’intrusion dans la vie privée, de désinformation, ou encore d’assurance-santé.

Tout reste à faire pour mettre sur pied une vision spécifiquement européenne de l’IA, à rebours du modèle chinois, mais aussi du modèle américain. Microsoft, qui a énormément investi dans OpenAI, et son « ChatGPT » vient de licencier la totalité de son équipe responsable de l’éthique de l’IA…

Enfin, l’IA risque d’entraîner une déstabilisation sociale massive. Des études récentes pronostiquent que 300 millions d’emplois pourraient être sous-traités par des IA !

Après avoir délocalisé la classe ouvrière en Asie, les multinationales s’apprêtent à remplacer la classe moyenne, y compris la plus diplômée, par des logiciels autonomes. Nos sociétés démocratiques n’y survivront pas. En l’espèce, agir dès maintenant sur le partage du temps de travail et de la valeur ajoutée, ainsi que sur les conditions de travail n’est pas une option, mais une obligation.

Tout doit être fait pour garantir une utilisation responsable et éthique de l’IA, dans l’intérêt des travailleurs et des citoyens européens. Nous ne pouvons pas laisser la machine décider de tout à la place de l’humain.

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.