Écosse : vers un deuxième référendum ?

Le 18 septembre 2014, les électeurs écossais, qui avaient donné 3 ans plus tôt une majorité absolue aux indépendantistes de gauche du Scottish National Party (SNP), rejetaient par référendum à une large majorité (55,3 vs 44,7) l’indépendance proposée par le gouvernement régional SNP dirigé par Alex Salmond. Pour le Premier ministre britannique de l’époque, le conservateur David Cameron, l’affaire était donc entendue pour au moins une génération sans modification manifeste du contexte politique. Seulement voilà : le contexte politique, Cameron l’a violemment bouleversé deux ans plus tard avec le référendum sur le Brexit. Les cartes sont aujourd’hui clairement rebattues.

Le précédent parlement écossais avait été élu en mai 2016 ; encore sous le choc de la défaite au référendum de 2014 et de la démission de son leader historique Alex Salmond, le SNP, ses élus et son gouvernement dirigé par Nicola Sturgeon n’avaient pas pour mandat d’exiger à brève échéance un nouveau référendum. David Cameron pensait donc être tranquille pour un long moment : il allait remporter le référendum sur le maintien du Royaume Uni dans l’Union européenne et la génération à venir pourrait être mise à profit pour les forces coalisées du Parti travailliste, des Libéraux démocrates1 et des Tories pour reprendre peu à peu l’Écosse au SNP.

Patatras ! Un mois et demi après les élections régionales écossaise, les électeurs britanniques faisaient le choix de quitter l’Union européenne, expulsant du même coup David Cameron qui s’était cru plus malin que ses concitoyens. Enfin, à proprement parler, ce sont plus exactement les électeurs anglais qui ont voté en faveur du Brexit avec des motivations diverses, dont un fort mécontentement des électeurs populaires traditionnellement travaillistes qui y ont eu vu une occasion de sanctionner Downing Street, mais également l’expression d’un rejet de l’immigration européenne et musulmane et d’un nationalisme spécifiquement anglais. Car, dans les deux provinces les plus « périphériques » du Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, les électeurs ont choisi majoritairement le vote Remain ; et en Écosse, c’est un vote massif en faveur du maintien dans l’UE qui s’est exprimé avec 62 % des suffrages. Le contexte a manifestement été modifié en profondeur.

Pourquoi l’indépendance ?

Les revendications d’indépendance de l’Écosse avancées par le SNP ne sont pas nouvelles. Elles ont commencé à prendre de l’ampleur dans les années 1970. La fin du « règne » de Margareth Thatcher et les affrontements sur la Poll Tax, qui a incarné jusque dans la violence le mépris du gouvernement britannique pour les Écossais ont donné du corps à leur dénonciation. À la fin des années 1990 avec la mise en place de la devolution – transfert partiel du pouvoir du gouvernement britannique au Parlement écossais de Holyrood, à Édimbourg, les indépendantistes écossais ont pu offrir pour la première fois un débouché politique concret au vote en leur faveur. L’objectif du SNP est de créer une Écosse indépendante qui reposerait sur des principes, que l’on qualifiera de sociaux-démocrates, d’égalité et de justice sociale. Les arguments du parti en faveur de l’indépendance sont donc essentiellement socio-politiques et économiques, ce qui le distingue des partis nationalistes centrés sur les questions ethniques ou culturelles.

L’attachement écossais à l’Union européenne – réaffirmé dernièrement dans une pétition adressée à tous les citoyens européens https://europeforscotland.com/ dans l’espoir de faire pression sur les institutions de Bruxelles pour hâter la (ré)adhésion de l’Écosse à l’Union en cas d’indépendance – ne peut pas se concevoir selon les critères politiques des autres États européens, où des forces politiques peuvent dénoncer l’ordo-libéralisme et la perte de souveraineté populaire que la construction européenne implique aujourd’hui. L’Écosse ne dispose plus d’élément de souveraineté monétaire, financière, budgétaire et diplomatique depuis les XVIIème et XVIIIème siècles ; vues d’Édimbourg ou de Glasgow, l’accession à l’indépendance combinée à l’intégration comme État membre dans l’Union Européenne représenterait à tout point de vue une progression certaine en matière de souveraineté par rapport à la situation actuelle. De même, les garanties sociales offertes par le cadre européen – qui nous paraissent terriblement insuffisantes voire régressives en France – sont une protection non négligeable dans un pays qui a subi violemment la vague ultralibérale du thatchérisme sans que les travaillistes ne rétablissent entre 1997 et 2010 les protections collectives antérieures. Enfin si l’immigration européenne est relativement rejetée en Angleterre, où les patrons font jouer la concurrence sans aucun scrupules, l’Écosse connaît, elle, une situation démographique et territoriale qui fait de l’immigration européenne une nécessité et une condition de son développement.

Il y a donc entre l’Angleterre et l’Écosse une double fracture : gauche/droite – le SNP mène sur le logement et la santé des politiques parmi les plus progressistes d’Europe – et sur l’Europe. Les élections européennes de 2019 ont renforcé cette fracture avec, d’une part, une Angleterre pro-Brexit aux couleurs du Brexit Party et du parti conservateur et, d’autre part, une Écosse pro-européenne aux couleurs du SNP, confirmant par la même occasion les résultats du référendum sur le Brexit trois ans plus tôt. Le référendum de 2016 et les élections européennes de 2019 semblent ainsi légitimer le fait que le SNP réclame la tenue d’un second référendum d’indépendance. En effet, ces deux événements semblent avoir mis en évidence le manque de poids de l’Écosse dans les décisions prises à Westminster, comme cela est dénoncé par le SNP depuis de nombreuses années.

L’indépendance et le pari des jeunes

Face à ces deux rendez-vous majeurs qui ont souligné les divergences entre l’Écosse et le reste du Royaume-Uni, Nicola Sturgeon et le SNP en ont appelé à la jeunesse. La Première ministre écossaise est très présente sur les réseaux sociaux. Elle se montre particulièrement proche de la jeunesse de son pays. En outre, elle multiplie les publications à destination des jeunes afin de les sensibiliser sur la question de l’avenir constitutionnel de leur nation. Stratégie politique ou véritable intérêt pour la jeunesse écossaise ? Toujours est-il que le message semble être relativement bien entendu au vu du nombre toujours croissant de nouveaux membres dans les branches jeunes et étudiantes du SNP.

La jeunesse est clairement un enjeu politique. Alors qu’ils sont souvent réputés pour être distants de la vie politique, notamment lors des élections, le référendum d’indépendance de 2014 avait déjà mobilisé une grande proportion d’entre eux. Le taux de participation des 16-34 ans s’est élevé à 69%. Celui des 16-17 ans, qui avaient le droit de voter lors du référendum, s’est quant à lui envolé à 75%. Les partis politiques ont également vu leurs effectifs augmenter grâce à l’adhésion de nombreux jeunes. Cela a été particulièrement le cas du SNP et des Verts, tous deux pro-indépendance. Concernant les résultats du référendum, 54,3% des 16-19 ans et 54,1% des 20-24 ans ont voté en faveur du maintien de l’Écosse au sein du Royaume-Uni, tandis que 62,2% des 25-29 ans ont voté en faveur de l’indépendance.

En parallèle, depuis 2016, les partis politiques n’ont cessé de voir augmenter leur taux de jeunes adhérents. C’est notamment le cas du SNP et des Verts, tous deux défavorables au Brexit. En cas de second référendum, ces jeunes Écossais, toujours plus engagés en politique, pourraient jouer un rôle clé en faveur de la victoire de l’indépendance. Du moins, cette mobilisation de la jeunesse devrait se poursuivre tant que le sort de l’Écosse en tant que partie prenante ou non du Royaume-Uni ne sera pas fixé.

Le 6 mai, un scrutin à enjeux multiples

Rappelons le cadre : Le Parlement écossais est élu pour cinq ans selon un système mixte. Chaque électeur2 dispose de deux voix : la première voix sert à élire un député au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans l’une des 73 circonscriptions, la seconde voix est pour une liste dans le cadre d’une région. Le nombre de sièges pour chaque parti est attribué à la proportionnelle en prenant en compte les sièges déjà attribués dans les circonscriptions.

La première ministre écossaise conduit donc depuis l’été 2016 une offensive déterminée pour un deuxième référendum. Dans le long calvaire de Theresa May sur les négociations de sortie de l’UE, ce sont les députés du SNP à Westminster qui ont souvent été les plus percutants et efficaces pour déstabiliser celle qui avait succédé en catastrophe à David Cameron. Ce scrutin était donc évidemment un référendum en faveur d’un deuxième référendum. Afin d’accentuer la pression sur Boris Johnson qui s’oppose au principe même du renouvellement d’une telle consultation, une majorité indépendantiste claire et un mandat incontestable étaient nécessaires. Le pari est rempli : la participation au scrutin a progressé de 7,2 points à 63 % et le SNP a recueilli plus de suffrages qu’il ne l’avait jamais fait, même sous Alex Salmond, avec presque 1 100 000 votes en leur faveur pour le scrutin proportionnel (40,3 %, -1,4 points) et presque 1 300 000 au scrutin majoritaire (47,7 %, +1,2 points) ; un grain de 150 000 voix dans les deux cas. Le SNP gagne un siège, avec 64 députés en tout.

Les Verts écossais, eux aussi en faveur de l’indépendance, gagnent 2 sièges avec huit députés ; faiblement représentés au scrutin majoritaire, ils progressent substantiellement sur le vote proportionnel avec 8,12 % (+1,5 point) et 220 000 voix (+70 000). Pour compléter le tableau indépendantiste, il faut intégrer Alba (qui signifie Écosse en gaélique), récemment créé par Alex Salmond devenu l’adversaire de Nicola Sturgeon. N’ayant pas présenté de candidats au scrutin majoritaire, il espérait faire son trou au vote proportionnel : c’est un échec car il ne recueille que 45 000 voix (1,66%) et n’aura aucun élu.

C’était un des matchs dans le match : Alex Salmond, après avoir été le leader historique du SNP, est devenu l’adversaire acharné de Nicola Sturgeon. Cette dernière représentant la continuité de la ligne social-démocrate du SNP que Salmond lui avait donnée, Alba prétendait représenter un indépendantisme plus centriste. En réalité, il s’agit d’abord d’un règlement de compte personnel : Alex Salmond est convaincu que le cabinet Sturgeon et les hauts dirigeants du SNP sont derrière les accusations de harcèlement sexuel dont il a fait l’objet et pour lesquelles il a été acquitté depuis ; ou en tout cas, que sa successeur n’a rien fait pour empêcher la procédure, ce qui est difficilement défendable quand on veut promouvoir une justice indépendante. Le match est donc plié : l’indépendantisme écossais continuera d’être ancré à gauche.

En définitive, en additionnant les suffrages des trois partis indépendantistes, on obtient 50,12 % pour le vote proportionnel et 49 % pour le scrutin majoritaire, des niveaux jamais atteint précédemment dans les deux catégories. Avec la hausse du taux de participation, et 72 sièges sur 129 (+1 par rapport à 2011), le message politique est d’autant plus clair.

résultats des élections régionales écossaises du 6 mai 2021 par circonscriptions et à la proportionnelle

L’autre enjeu était évidemment domestique. Nicola Sturgeon, qui fut ministre de la Santé de 2007 à 2012, est plébiscitée par deux Écossais sur trois pour sa gestion efficace de l’épidémie. Un contraste par rapport à l’attitude erratique de Boris Johnson qui ne doit sa survie aujourd’hui qu’à une tardive mais massive campagne de vaccination avec Astra Zeneca. L’indépendance écossaise a d’autant plus d’attrait qu’il est servi par une première ministre solide.

La lutte était aussi féroce pour la seconde place. En 2016, les conservateurs l’avaient ravie aux travaillistes. Cette année, le chef conservateur, Douglas Ross, promettait des investissements massifs dans les transports et la santé. Pas forcément le point fort des Conservateurs cependant, ce qui témoigne du niveau de déclin des travaillistes autrefois hégémonique en Écosse. Les Tories se maintiennent au vote uninominal et progresse légèrement au vote proportionnel, conservant l’ensemble de leurs sièges. Les travaillistes, eux, ont encore perdu du terrain, même s’ils regagnent quelques dizaines de milliers de voix, celles-ci ne leur permettent pas de maintenir, dans un contexte de forte hausse de la participation, leurs résultats ; ils perdent encore deux sièges. C’est impressionnant car pendant 70 ans, il suffisait à une vache d’affubler le macaron rouge des travaillistes pour être élue au sud du Mur d’Antonin.

D’une manière générale, les élections locales du 6 mai ont été une déroute pour le Labour en Écosse comme en Angleterre. Pour le chef de l’opposition travailliste Keir Starmer, c’est une humiliation et de mauvais augure pour son objectif de reconstruire le Labour avant les prochaines élections générales de 2024. Avec une ligne plus centriste que son prédécesseur Jeremy Corbyn, il avait promis de remettre le parti sur les rails en prenant la tête de la formation quelques mois après sa débâcle aux législatives. « C’est l’illustration la plus spectaculaire que le parti a jusqu’ici échoué à se rapprocher des électeurs des classes ouvrières ayant voté Leave », a estimé John Curtice, un spécialiste des élections britanniques, sur la BBC. Les appels au changement ont rapidement fusé chez les travaillistes et anciens proches de Corbyn : « Keir Starmer doit réfléchir à deux fois concernant sa stratégie », a tweeté la députée Diane Abbott ; « Nous reculons dans des zones où nous devons gagner. La tête du Labour doit urgemment changer de direction », a abondé son collègue Richard Burgon. Il y a une véritable difficulté stratégique pour les travaillistes : comment reconquérir les électeurs ouvriers qui malgré le thatchérisme n’ont jamais convaincu par les avantages de l’UE, tout en reprenant pied dans une Écosse pro-européenne ? L’échec de la stratégie centriste de Starmer et de Salmond semble apporter une partie de la réponse. Mais une Grande Bretagne unifiée, le Labour ne pourra plus gouverner sans reconquérir l’Écosse. Dans un Royaume restreint à l’Angleterre et au Pays de Galles, ce serait aujourd’hui mission impossible sans reconquérir le Red Wall du Nord de l’Angleterre et même au-delà.

Et maintenant ?

« Il n’y a tout simplement aucune justification démocratique pour Boris Johnson, ou pour quiconque, à chercher à bloquer le droit du peuple écossais de choisir son propre avenir », a assuré Nicola Sturgeon : « C’est la volonté de ce pays ».

Réputée pour sa prudence et son expérience du pouvoir (elle est députée depuis vingt et un ans, ministre ou première ministre depuis quatorze ans), elle sait cependant que son jeu présente de sérieuses faiblesses.

D’abord, le gouvernement conservateur de Londres dispose toujours d’un droit de veto sur un éventuel référendum, et Boris Johnson, dès la veille du scrutin, avait déclaré « irresponsable » une nouvelle consultation populaire écossaise. Il s’accroche à l’affirmation qu’un tel référendum ne peut se produire qu’une fois par génération. Par ailleurs, du fait de la déroute des travaillistes, Boris Johnson est sorti des élections locales du 6 mai relativement confirmé et consolidé. Malgré sa gestion au doigt mouillé du Coronavirus, il surfe sur la levée des mesures sanitaires après la vaccination de la majorité du pays, sur le fait que le Brexit en lui-même pose moins de problèmes que prévus pour l’Angleterre et il flatte le sentiment nationaliste des Anglais dans un bras de fer avec la France sur le partage des eaux territoriales autour des îles anglo-normandes. Pourquoi voudrait-il faire un cadeau à Nicola Sturgeon avec un référendum qui pourrait lui coûter sa carrière politique, alors qu’il est en mesure de gouverner le Royaume Uni sans, voire même contre, les trois autres Nations (Écosse, Irlande-du-Nord, Pays-de-Galles) ?

Le SNP dispose cependant d’un argument : pourquoi Boris Johnson refuserait-il aux Écossais de mettre en pratique le principe qu’il a mis en avant – à savoir « le respect de la volonté populaire » – pour virer Theresa May et devenir Premier ministre ? Nicola Sturgeon a d’ores-et-déjà menacé de voter sans attendre un projet de référendum à Holyrood puis de saisir la Cour suprême britannique si Boris Johnson se mettait en travers de son chemin. Pour le moment, la situation reste figée.

Boris Johnson reçu par Nicola Sturgeon à Bute House (Édimbourg) le 29 juillet 2019

Samedi soir, Boris Johnson a téléphoné à la première ministre écossaise pour la « féliciter » et « l’appeler à coopérer » : l’affrontement est cependant inévitable. BoJo va probablement parier sur le pourrissement, le SNP, au contraire, tenter de mettre à profit son refus pour convaincre un maximum d’Écossais que leur destin est de couper le cordon avec Londres, car si les sondages sont aujourd’hui favorables à l’indépendance, les suffrages de l’élection du 6 mai donne une répartition 50-50 entre partis pro et anti-indépendance. N’oublions pas cependant qu’aujourd’hui qu’une partie de ce qu’il reste de l’électorat travailliste est également favorable à l’indépendance. N’oublions pas non plus que l’aspiration à l’indépendance des Écossais ne saurait être perçu comme un délitement des États-nations mais bien au contraire la construction d’un nouveau : la constitution du Royaume Uni n’a jamais été celle d’un État-nation tel que nous l’entendons en France mais bien plus celle d’un État impérial. Boris Johnson pourrait bien être l’archétype de ces représentants de l’État impérial britannique qui confond les intérêts du Royaume avec ceux de la petite Angleterre. On peut se dire que c’est une bonne chose que la majorité conservatrice de Westminster ne soit plus avec BoJo dépendante des ultra-conservateurs unionistes nord-irlandais comme elle l’était sous Theresa May, mais, comme l’ont montré les émeutes mettant en scène de jeunes « loyalistes » à Derry et Belfast, le sentiment de frustration et de trahison – une frontière coupe de fait le Royaume en deux en Mer d’Irlande – pourrait bien hâter les événements dans l’île voisine. À vouloir gouverner seul contre tous et à jouer le pourrissement, Boris Johnson pourrait aussi se mettre à dos les Gallois où le sentiment national est aussi élevé et ceux des Écossais qui défendent encore l’union par défaut.

1 De 1999 à 2011, l’Écosse a été – à partir de la mise en œuvre de l’acte de « dévolution » – gouvernée par un gouvernement de coalition entre travaillistes et libéraux-démocrates. Après un revers en 2003, dû à l’absence temporaire d’Alex Salmond, le SNP a progressivement grignoté les bastions travaillistes du sud de l’Écosse, au point de l’effacer de la carte tant pour les élections à Westminster qu’Holyrood.

2 Les citoyens du Royaume-Uni, de la République d’Irlande, du Commonwealth et de l’Union européenne âgés de 18 ans et plus disposent du droit de vote.

Tout savoir sur les élections régionales et départementales en juin 2021

Quelles sont les compétences du conseil régional ? et celles du conseil départemental ?

Comment savoir si vous êtes inscrit sur les listes électorales ?

Appel pour faire du 22 mai une journée d’actions pour la sécu. Pour que vive la Sécurité sociale ! Plus que jamais !

Réunis, à Saint-Étienne, à l’occasion du 75e anniversaire de l’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la Sécurité sociale, nous lancions un appel pour défendre et reconquérir la Sécurité sociale, notre bien commun. Nous décidions aussi d’ouvrir le chantier de son développement pour un nouveau progrès de société.

Malgré les conditions difficiles imposées par la crise sanitaire, de nombreuses réunions d’échanges et d’éducation populaire se sont tenues par nos propres organisations ou en commun dans le cadre de la Convergence nationale des services publics. Des initiatives symboliques, comme nommer des rues « Ambroise-Croizat » ou pétitionner pour son entrée au Panthéon, ont été initiées. Ces dernières semaines, alors que la campagne de vaccination reste toujours à la traîne, de nombreuses initiatives ont eu lieu pour faire du vaccin un bien public mondial, pour créer un pôle public du médicament et prendre la main sur le brevet et sa production : initiative citoyenne européenne « Pas de profit sur la pandémie », pétition « Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition ! »…

Il y a urgence aujourd’hui à se mobiliser pour sauver notre Sécurité sociale mise en péril par les réformes libérales successives. La menace de laisser à la charge de la Sécurité sociale les milliards de dettes contractées durant cette crise sanitaire n’est pas acceptable. Nous devons créer les conditions d’un débat public et de mobilisation de nos concitoyens pour revendiquer une véritable Sécurité sociale du XXIe siècle pour toutes et tous. Nous avons toutes et tous droit à la sécurité pour notre santé, notre logement, notre famille, nos retraites.

La Sécurité sociale a, avant tout, été pensée comme une protection socialisée, une « assurance » collective contre les aléas de la vie. Elle n’est ni un simple filet de sécurité pour les plus modestes ni un saucissonnage de différents risques individuels sur le modèle des assurances privées. Nous devons continuer à réfléchir collectivement pour une Sécurité sociale intégrant le remboursement à 100 % des soins et de la prévention ainsi qu’à l’incorporation de la 5e branche au sein de l’assurance-maladie.

La Sécurité sociale doit devenir une protection solidaire de haut niveau pour toutes et tous de la naissance à la mort. Avec les services publics, elle doit répondre aux besoins de notre siècle. Convergeons pour l’étendre, la renforcer, la réorienter sur ses principes fondateurs : unicité, universalité, solidarité et démocratie. La Sécurité sociale appartient aux salariés et doit donc dépendre d’eux comme cela fut le cas à sa création. Les élections aux caisses instituées le 24 avril 1947 doivent être remises à l’ordre du jour.

Mais, pour que le rôle des administrateurs élus ne se résume pas à gérer une pénurie organisée par le gouvernement, simultanément la pérennité des ressources doit être garantie en les faisant reposer de façon prépondérante sur les cotisations. D’autre part, de nouveaux financements doivent être débattus. Tout nous invite à trouver les ressorts d’une nouvelle dynamique convergente. À l’occasion des 75 ans de la loi portant généralisation du « régime général » de la Sécurité sociale, faisons du 22 mai une journée d’actions pour exiger le renforcement, le développement et la démocratisation de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale est notre bien commun.

La République n’a rien à attendre de généraux réactionnaires

La tribune intitulée « Pour un retour de lhonneur de nos gouvernants » signée par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires est sortie dans Valeurs Actuelles le mercredi 21 avril 2021 à 7 heures du matin. Le symbole est significatif et ne saurait être pris à la légère, 60 ans jour pour jour après le « putsch des généraux » du 21 avril 1961, quand certains militaires avaient prétendu prendre le pouvoir en réaction au retrait français d’Algérie. Au-delà de la date anniversaire, la réthorique est assez similaire.

Ces officiers ont pris la grave responsabilité d’entâcher de déloyauté et de menace de sédition notre armée. L’armée française dans ses profondeurs ne peut être représentée par ces individus qui rompent leurs engagements. Mais si l’armée française n’est pas partie pour faire sécession d’une République qui cultive avec soin le lien entre l’armée et la nation, il y a de quoi s’inquiéter de l’ampleur de ces dérives individuelles, portées par des cadres dont l’attachement à la République n’est que de circonstance à la signature du contrat.

Le texte est court, mais il enchaîne les poncifs et les passages obligés de tout manifeste national-réactionnaire*.

Il invoque la gravité exceptionnelle de la situation pour justifier une sortie du devoir de réserve qui serait « appelée par les événements ». C’est une façon de jouer sur ce qui peut leur servir : le crédit de fidélité et de respect de l’ordre que l’on accorde aux militaires. Ils expliquent ensuite leur sortie par la transcendance du devoir, alors même qu’ils s’en écartent. Après avoir ainsi « capté » son lectorat, le texte peut dérouler une analyse de la situation peu originale, qui énumère les obsessions classiques de l’extrême-droite traditionnelle, réchauffées à l’ambiance d’insécurité des années 2020.

Le premier péril serait l’antiracisme. Pourtant le racisme cause plus de mal et de morts que tout antiracisme (même dévoyé). Si certains militants ou éditorialistes s’égarent, cela justifie-t-il une intervention armée ? Le ridicule ne tue pas, heureusement ! Ces débats qui ont agité les médias font mal à la gauche en l’écartant de la question sociale ; ils suscitent l’indifférence ou la consternation chez la très grande majorité des Français… Mais gageons que la préoccupation des signataires n’est pas de remettre de l’ordre à gauche.

Le deuxième péril viendrait de « l’islamisme et des hordes de banlieue ». L’islamisme est un danger d’ampleur et tangible contre notre société et nos valeurs républicaines. Les réseaux criminels pourrissent la vie de trop de nos concitoyens. Pour éradiquer ces deux dangers, l’intervention militaire n’apporterait rien d’utile, bien au contraire ; c’est à la délibération et au débat démocratiques de départager les solutions à mettre en œuvre (comme celle que nous proposons https://g-r-s.fr/macron-en-campagne-la-securite-vaut-mieux-quun-plan-comm/) et non les fantasmes de « généraux » qui n’ont jamais mis les pieds dans les quartiers populaires et semblent considérer que leurs habitants sont des complices irrécupérables.

Enfin, le dernier péril serait « la haine » qui « prend le pas sur la fraternité lors des manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs ». Voilà l’attaque la plus dangereuse, car le pouvoir macroniste a effectivement usé d’une violence inutile et disproportionnée contre des citoyens français. C’est un détournement odieux, car jamais ce mouvement social inédit n’a émis la moindre sympathie pour les thèses de Valeurs Actuelles et de l’extrême droite. Pour autant, à force de mépriser les Français et les aspirations des catégories populaires et moyennes, à force de leur nier toute possibilité de débouchés économiques et sociaux, une partie d’entre eux désespérant de l’égalité pourrait finir par croire en un sursaut possible grâce à un « nouvel ordre viril ».

Le fait qu’une telle analyse puisse être assumée explicitement et publiquement par plus de mille militaires est en soi un fait politique grave. La conséquence de cette analyse est au moins tout aussi grave : ces mille soldats font-ils courir le risque d’une insurrection ? Ils l’appellent de leurs vœux. Depuis aujourd’hui, certains signataires font marche arrière, expliquant désormais que c’est le pouvoir civil qui sera bientôt contraint de faire appel à l’intervention armée au cœur du pays… Réaction pathétique aux menaces de sanctions disciplinaires absolument nécessaires dont ils sont enfin menacés par leur hiérarchie militaire et gouvernementale.

Il est effrayant que l’exécutif ait mis plus d’une semaine pour réagir enfin à la mesure de la provocation. Il est tout aussi effarant qu’il ait confondu les priorités : s’il fallait dénoncer l’opportunisme et le soutien de Marine Le Pen, qui démontre ainsi que la « dédiabolisation » du RN n’est rien d’autre qu’une façade, c’est en priorité l’autorité républicaine qu’il fallait rétablir contre ces militaires minoritaires.

Nous ne pouvons rester sans réponse face à un pouvoir qui détruit l’espoir dans notre peuple, en réduisant la promesse d’égalité républicaine et les libertés publiques. Et nous ne pouvons laisser non plus s’installer l’idée que l’unique alternative restante serait l’extrême droite. Les difficultés de notre pays et la déconnexion macroniste de la réalité appellent un sursaut politique et démocratique, pour éviter que ne s’installe l’espérance d’un mouvement autoritaire, soutenu ou non par des cadres de l’armée ou de la police. Remettant au goût du jour l’idée selon laquelle la Nation existerait indépendamment de la République, une telle rhétorique laisse bien peu de doute sur la nature du projet politique réactionnaire qui la sous-tend. La gauche doit mettre de côté les disputes accessoires, faire des propositions qui répondent aux aspirations concrètes de nos concitoyens et construire une stratégie de reconquête de l’hégémonie culturelle perdue.

La République Française est une et indivisible ; le pouvoir s’y prend par les urnes et non par les armes. L’armée est au service de la République, elle tire sa légitimité de la défense de cette dernière. Les ennemis de l’intérieur, il en existe et il en a toujours existé ; c’est aux Français et à leurs représentants de les faire reculer avec les moyens qui conviennent dans une démocratie républicaine.

Méditons enfin ce qui a sans doute été une des pires « fausses bonnes idées » des dernières décennies, avec la suppression de la conscription. Nous devons rétablir les conditions d’un encadrement militaire absolument républicain et sanctionner ceux qui ont juré de mettre en danger la communauté nationale en se dressant contre elle parce qu’ils en sont déconnectés. L’armée française doit être l’armée des Français et il convient de réexaminer les conditions dans lesquels ils y reprennent pieds. Relisons L’Armée nouvelle de Jean Jaurès et regardons ensemble comment nous pouvons en appliquer les idées les plus lumineuses aujourd’hui.

* Le pedigree politique des 20 « généraux » en 2e section signataires de cette tribune et mis en avant laisse peu de doute… quelques exemples en photo : Antoine Martinez, leader du groupuscule d’extrême droite VPF, Christian Picquemal habitué des manifestations de la « branche française » du mouvement d’extrême droite allemande Pegida, ou François Gaubert, conseiller régional RN d’Occitanie… on pourrait continuer longtemps comme cela…

Macron en campagne : la sécurité vaut mieux qu’un plan comm’

Le plan comm’ se veut parfait. Un entretien « exclusif » dans Le Figaro, pour séduire un lectorat supposé ancré à droite, publié le dimanche 18 avril, un déplacement de terrain à Montpellier le lendemain pour faire de belles images du Président en maraude avec la BAC, quelques phrases chocs et définitives…

Emmanuel Macron a lancé sa campagne électorale et a décidé de placer la sécurité comme point d’entrée,. Il considère que ce thème est idéal pour consolider sa position dans l’électorat de droite et mettre en scène son duel souhaité avec Marine Le Pen. Pourtant, la sécurité qui a toujours été une préoccupation importante de nos concitoyens vaut mieux qu’une mise en scène d’opérette.

Des affirmations contredites par le terrain

Emmanuel Macron affirme « se battre pour le droit à une vie paisible ». Il a donc d’abord tenu à défendre son bilan au moment où la France doit faire face, selon lui, « à une forte augmentation des violences sur les personnes, qui visent tout particulièrement les détenteurs de l’autorité ». Il promet de « faire reculer la délinquance partout ». Voilà qui est bel et bon. Il promet de tenir son objectif de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires avant la fin du quinquennat ; ainsi « chaque circonscription de police aura plus de policiers à la fin du quinquennat qu’au début, sans exception ». Il insiste : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants ».

Pourtant la réalité vécue par les élus locaux et nos concitoyens dément chaque jour cette affirmation : nombre d’entre eux pourraient démontrer aisément que les effectifs de policiers nationaux ou de gendarmes ne sont pas au rendez-vous, malgré les recrutements engagés dès le précédent quinquennat. De même, le dispositif « Police de sécurité au quotidien » (appellation technocratique pour ne plus dire « police de proximité ») n’est déployé qu’avec parcimonie… y compris dans des communes populaires pour lesquelles tout justifierait son implantation. Dans les faits, les habitants voient chaque jour les distances croître entre eux et leurs commissariats, alors que pour ces derniers les collectivités locales sont souvent appelées à fournir ramettes de papier et encre pour les imprimantes tant il manque du strict nécessaire administratif quand ce n’est pas tout simplement de matériel d’intervention. Doter les agents de police des moyens de faire leur métier, d’être présents sur le terrain en nombre au quotidien, plutôt que de devoir mettre en œuvre une politique du chiffre qui les éloigne de la population : voilà qui permettrait de prévenir voire d’empêcher les agressions dont ils sont aujourd’hui victimes et d’avoir le soutien et la confiance des habitants, nécessaires pour lutter contre les gangs, trafiquants et ennemis de la République. On en est loin… nous le verrons plus loin, la stratégie impulsée par le gouvernement et la hiérarchie détourne en réalité la police de sa mission essentielle sans lui apporter les effectifs là où ce serait nécessaire.

Expliquant qu’il fallait prendre le temps de former, le chef de l’État veut convaincre « qu’aujourd’hui 4 508 policiers et 1 706 gendarmes ont déjà été recrutés, soit 6 214 membres des forces de l’ordre », auquel il faudrait ajouter 2 000 fonctionnaires supplémentaires en 2021. On voit difficilement en refaisant tous les calculs comment on pourrait atteindre l’objectif des 10 000 postes supplémentaires d’ici la fin de son quinquennat. D’autant plus que lorsque l’on consulte les rapports « performances » des ministères à Bercy, c’est une toute autre réalité qui apparaît : en effet, si les effectifs de police et gendarmerie ont bien progressé de 9 789 postes équivalents temps plein (ETP) entre 2013 et 2017 (avec une légère baisse pour la police nationale sous l’effet du dernier budget Sarkozy), ceux-ci baissent clairement – et de manière plus prononcée pour la police nationale – entre le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2020 pour atteindre un déficit global de 1 109 ETP (voir notre infographie ci-dessous). La communication élyséenne est donc une fois de plus prise en flagrant délit de mensonge. S’appuyant sur le vote de la loi « sécurité globale », dont le cœur vise avant tout à restreindre les libertés publiques plutôt qu’à renforcer la sécurité, il annonce enfin la création d’une réserve de 30 000 hommes dans la police. Emmanuel Macron réitère également sa promesse de renouveler 50% du parc automobile de la police. Promesses, promesses de campagne… On verra si, à ces annonces, il faut appliquer le même ratio que pour les postes claironnés par l’Élysée et ceux qui sont réellement détruits : si c’est le cas, ça pourrait faire mal…

Cécité volontaire et entêtement dans l’erreur

Après avoir reconnu l’existence de violences policières, il revient à l’affirmation que celles-ci n’existeraient pas : « Il n’y a pas de violence systémique de la police, c’est faux ». Cette déclaration est tout autant électoraliste que les précédentes : elle vise uniquement à s’attirer les bonnes grâces d’un syndicat de police radicalisé, Alliance, qui défend l’impunité a priori des fonctionnaires de police. Là encore, il s’agit d’asseoir une connivence politique et non d’assurer l’efficacité de la police française en garantissant sa respectabilité chez nos concitoyens.

Disposer d’une police républicaine c’est disposer de fonctionnaires de police respectant les principes et la loi républicaine : le racisme n’y a pas plus sa place que la violence. C’est parce qu’elle est républicaine que son action doit être publique. Cela passe par dénoncer la responsabilité de la hiérarchie et du gouvernement inspirant la dérive malsaine, parce que si peu républicaine, dans une partie de la police. Lorsque le préfet de police de Paris, Didier Lallement, affirme devant des caméras de télévision qu’il existe dans la société deux « camps », n’inspire-t-il pas là une culture de guerre civile, incitant les policiers à regarder leurs concitoyens comme de possibles ennemis ? Lorsque le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « s’étouffe » au mot violence policière, n’entretenait-il pas ainsi une culture de l’impunité mettant la police au-dessus des lois, le contraire même de la République ? La police républicaine doit former ses fonctionnaires, les contrôler, les accompagner et garantir leur conformité aux principes républicains. La GRS a toujours affirmé son attachement à une police républicaine. Nous avons rappelé la nécessité de doter la police des moyens humains, des formations, et des contrôles nécessaires. Nous appelons également à un changement de doctrine, refusant la militarisation à l’américaine initiée par la droite il y a 15 ans, mais amplifiée depuis 2015 par les gouvernements successifs de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Durant des décennies, la police française a été considérée comme un modèle d’efficacité et de pondération, formant à l’étranger des centaines de forces de l’ordre à l’encadrement des manifestations et de certains des débordements qui peuvent malheureusement s’y produire. Depuis six ans, aucune manifestation n’a pu se tenir calmement ; la faute à des éléments radicalisés et agressifs qui visent à chaque fois à détourner les mobilisations syndicales et populaires de leur objet ; mais également à une doctrine d’engagement des forces de l’ordre dont l’objet n’est plus la sécurité des manifestations et des manifestants (en lien avec les organisateurs), mais l’affrontement « viril » avec les casseurs et l’amalgame de ces derniers avec les manifestants pacifiques. Loi Travail XXL, 1er mai, « Gilets Jaunes » … la liste est longue où, sous prétexte d’affronter les black blocs et autres casseurs, ce sont des citoyens pacifiques qui ont été « nassés » et visés par les forces de l’ordre, noyés sous les gaz lacrymogènes et gravement blessés, comme nous ne l’avions plus vu depuis les années 1970 ! Il y a une disjonction totale entre les besoins quotidiens de sécurité et tranquillité publiques réclamées par nos concitoyens qui ne sont pas au rendez-vous et la violence exercée avec des moyens disproportionnés contre l’expression démocratique et constitutionnelle des Français. Le choix électoraliste d’Emmanuel Macron est de poursuivre dans l’erreur en faisant de notre police un outil de « maintien de l’ordre » et non un service public de « gardiens de la paix ».

Sémantiquement et juridiquement, si l’on assemble les éléments de discours de ces derniers mois, couronnés par l’adoption de la proposition de loi « Sécurité Globale », « nous sommes en guerre » avec les mesures prises récemment, « couvre feu » « état d’urgence » « confinement », « Drone », « caméra autorisée sans contrôle », « interdictions de filmer la police », les ingrédients sont réunis pour faire basculer la France dans un régime de contrôle et de contrainte et non de liberté, sans garantir la sécurité ! Au-delà des craintes pour les libertés publiques, l’alourdissement de l’arsenal juridique n’a jamais renforcé l’efficacité de la police. La Gauche Républicaine et Socialiste rappelle son opposition farouche à la loi « Sécurité Globale » (nos deux parlementaires – Marie-Noëlle Lienemann et Caroline Fiat ont d’ailleurs signé la saisine du Conseil Constitutionnel sur ce texte). Nous demandons la tenue d’états généraux de la sécurité où seront redéfinis la doctrine d’encadrement des manifestations et de l’ordre public, les moyens nécessaires accordés à la police et son intégration à un projet de société en lien avec la population. Ces états généraux devront déboucher sur une loi de programmation pluriannuelle pour la sécurité intérieure quiprévoira la montée en puissance des moyens humains, matériels, techniques des forces de l’ordre, de renseignement intérieur et de la justice ainsi que leurs missions prioritaires et le déploiement territorial.

Dans cette opération de communication commencée dimanche dernier, le locataire de l’Élysée n’a pas eu un mot pour la Justice et les moyens dont elle manque cruellement et que l’agitation du Garde des Sceaux ne peut (pas plus que du temps de ses prédécesseurs) masquer. Là encore, le gouvernement Macron-Castex reprend les recettes éculées des conservateurs en annonçant la création mardi 20 avril de 15 000 places supplémentaires de prison… sans se soucier le moins du monde des raisons pour lesquelles celles-ci sont combles, sans rien changer à l’indignité des conditions de vie dans les maisons d’arrêts et sans aucune réflexion sur un système qui, plutôt que réhabiliter les détenus, fabrique des récidivistes souvent plus dangereux à l’issue de leur peine qu’ils ne l’étaient avant…

Stupéfiant contre-sens !

Emmanuel Macron semble avoir bénéficié sur la question des drogues d’une illumination soudaine : « La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères ». On espère que le Président ne découvre pas la situation !? « Ceux qui prennent de la drogue doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et, à la fin, on alimente la plus importante des sources d’insécurité… ». Il ajoute que « 70 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre. […] Ça veut dire quelque chose de clair : si vous vous faites prendre comme consommateur, vous savez que vous allez devoir payer et que vous n’allez pas y échapper. Ça change le rapport de force. » Il affirme également se fixer comme objectif d’éradiquer le trafic « par tous les moyens, [c’est] devenu la mère des batailles, puisque la drogue innerve certains réseaux séparatistes mais aussi la délinquance du quotidien, y compris dans les petites villes épargnées jusqu’ici. Ne laisser aucun répit aux trafiquants de drogue, c’est faire reculer la délinquance partout ». On n’est pas loin de l’unité de pensée entre un Didier Lallement, qui accusait une partie des Français d’être responsables des morts du COVID, et un Emmanuel Macron qui dénonce une autre partie comme des complices objectifs des terroristes. On imagine l’efficacité de ce type de déclarations…

Cette façon de présenter les choses est en réalité parfaitement inefficace et contre-productif. La lutte contre le trafic de cannabis mobilise des effectifs importants de policiers et de gendarmes pour des résultats contestables. Elle est selon les études la raison principale des contrôles au faciès (ce qui rappelle au demeurant que les préjugés existent malgré les dénégations du président de la République). En effet, les contrôles inopinés d’identité sont justifiés par la hiérarchie policière essentiellement pour détecter des détenteurs de haschisch. Non seulement ce type de contrôles ne débouche que sur l’écume du trafic réel mais provoque rancœur et frustration chez ceux de nos concitoyens qui subissent ce qu’ils vivent souvent à juste titre comme une forme de harcèlement. Les forces de l’ordre se trouvent mobilisées pour des opérations à l’efficacité douteuse et qui ternissent leur image auprès d’une partie de la population, dont ils ont déjà du mal à obtenir une confiance pourtant indispensable. Ainsi il serait légitime d’examiner de manière plus appuyée les arguments qui ont poussé de nombreux parlementaires – et notamment Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur – à défendre la dépénalisation de la consommation du cannabis et la réglementation de son commerce : outre qu’il libérerait des effectifs de policiers qui pourraient être affectés à des tâches bien plus utiles pour nos concitoyens et à leur contact quotidien (tout en supprimant une source de friction et des zones grises dans les contrôles d’identité au regard de nos principes républicains), la vente réglementée de cannabis telle qu’elle a été mise en place dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord (sans qu’il y ait d’explosion de la consommation) pourrait sous contrôle de l’État devenir une source de recettes pour les pouvoirs publics (comme le tabac) et tarir les recettes de nombreux réseaux criminels et terroristes, contribuant ainsi à la tranquillité publique. Ainsi en affichant un raidissement intransigeant sur le cannabis, Emmanuel Macron énonce un contresens stupéfiant !

Enfin pour Emmanuel Macron, « dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge » : « Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissement vers des drogues plus dures. » Cette toute dernière affirmation n’a aucun fondement scientifique, mais on peut s’attendre à ce que le candidat Macron la répète ad nauseam pour garantir à son propos de l’efficacité. Les effets de la consommation de cannabis n’ont jamais élevé la raison, personne ne dira le le contraire. Ce serait par contre une erreur dramatique de considérer sa consommation excessive – à tous les âges – comme un objet de sécurité et de répression plutôt que comme une priorité de santé publique. Que dire des effets de l’alcool et du tabac qui en vente libre provoquent lorsqu’ils sont consommés à l’excès des dégâts psychologiques, sanitaires et morbides massifs ! Pourtant ici la morale ne se mêle pas du commerce. Les expériences de prohibition ont toujours été des échecs funestes. La vente du tabac est réglementée bien que le produit soit mortel, elle rapporte des recettes importantes à l’État ; la vente d’alcool non seulement continue de faire l’objet de campagnes publicitaires mais le produit en lui-même sous ces diverses formes est présenté comme un élément constitutif de notre mode de vie. Chacun examinera en conscience la contradiction. En réalité, le fait de considérer les consommateurs de drogue, les toxicomanes, comme des délinquants handicape concrètement les opérations de prévention mise en œuvre par tous les organes de santé publique et les associations. Il est nécessaire et urgent de renverser le point de vue des pouvoirs publics sur ce dossier.

Personne ne niera que la violence a progressé dans la société française et que celle qui vise les dépositaires de l’autorité publique, les agents publics en général, a connu une augmentation plus inquiétante encore. Mais sans retomber dans l’excuse sociale de la violence – les faits d’agression contre des policiers ou les attaques de commissariats ne sont pas excusables, leurs auteurs doivent être appréhendés et condamnés –, cette évolution est également corrélée à la progression des inégalités sociales et dans l’accès aux services publics. C’est une situation qui n’est d’ailleurs pas réservée aux seuls quartiers populaires. Ainsi considérer que la restauration d’une plus grande tranquillité publique ne passera que par une logique répressive est une erreur. Nous sommes favorables à ce que l’État fasse un effort de recrutement pour la police nationale et la gendarmerie, encore convient-il comme nous l’avons dit plus haut de veiller à leur formation, à une répartition territoriale répondant aux besoins réels du pays et aux missions précises qu’on assigne à nos forces de l’ordre : nos concitoyens ont besoin de policiers et de gendarmes de proximité qui connaissent les habitants, pas de CRS ou de gendarmes mobiles supplémentaires. D’autre part, comme nous l’avons indiqué plus haut, il serait illusoire d’en rester là… évidemment la question de la justice et de la réponse carcérale (et des alternatives à la prison) ont été trop longtemps négligées et traitées par des opérations « coups de mentons », mais nos concitoyens ont besoin de retrouver confiance dans la promesse sociale et émancipatrice de la République ce qui passe obligatoirement par un New Deal des services publics sur l’école, le logement et la mixité sociale, l’accès au services publics en général, sur la formation, les transports et par une politique volontariste de l’emploi et sur les salaires afin de résorber ghettos sociaux et poches de pauvreté.

Football : un sport dans lequel à la fin les riches gagnent ?

Depuis les années 1980 l’UEFA, l’Union des associations européennes de football,
a mis le doigt dans un engrenage dangereux, cédant par étapes aux clubs les plus riches du football qui voulaient toujours plus de bénéfices, de droits télé, et qui souhaitaient rester dans un entre-soi, écartant le plus possible l’incertitude du sport. Être battu par un plus petit et un plus pauvre que soi ? C’était un « risque industriel » que les nouveaux riches investisseurs du football voulaient de moins en moins prendre.
Dans les années 1980 la coupe des clubs champions était une compétition ouverte qui voyait s’affronter les champions (et uniquement les champions) de chaque pays européen. Ainsi, le champion d’Angleterre ou d’Espagne concourait à égalité avec celui de Belgique ou du Danemark. La création de la ligue des champions dans les années 1990 a déjà mis à mal ce principe d’équité sportive . Dorénavant, en Angleterre ou en Espagne sont qualifiés directement pour la phase de groupes de la ligue des champions non seulement les clubs qui ont gagné le titre de dans leur pays mais encore les équipes classées deuxième, troisième ou même quatrième de leur championnat, tandis que les championnats jugés plus faibles (c’est à dire plus pauvres) doivent se contenter d’un seul qualifié qui doit encore passer par un ou deux tours préliminaires avant d’accéder éventuellement à la phase de groupes, plus médiatisée et surtout plus lucrative.
Les clubs et les pays les plus riches furent donc déjà avantagés. Le fameux arrêt Bosman, décision de la Cour de justice des Communautés européennes rendue en 1995, n’a fait qu’aggraver la chose, mettant fin à la restriction de trois joueurs étrangers maximum dans un même club ressortissants de l’Union européenne . Dorénavant les plus grands clubs avaient le pouvoir de recruter les meilleurs joueurs, issus de clubs moins riches, sans limites, et n’étaient plus obligés de se consacrer à la formation de joueurs locaux.
Mais toutes ces évolutions des années 90 ne suffisaient pas .
La nouvelle réforme de la ligue des champions présentée aujourd’hui par l’UEFA a proposé d’aller encore plus loin dans ce sens.
Cela n’est cependant toujours pas assez pour les présidents de 12 clubs parmi les plus riches (et cupides, n’ayons pas peur des mots) en Europe, à la tête desquels celui du Real Madrid (club surendetté) ou de la Juventus de Turin (Andrea Agnelli, descendant de la puissante famille Agnelli, administrateur par ailleurs de Fiat). Ces derniers passent désormais à la phase finale de leur plan, la création d’une « Super League » européenne fermée, sur le modèle de la NBA américaine, à laquelle on n’accéderait plus en fonction de ses résultats sportifs mais en tant que membre -actionnaire -de la Ligue.
Le projet de Super League de football est un projet de businessmen qui n’aiment ni le foot ni le sport . Il tuerait le football européen qui deviendrait définitivement un club fermé de riches, faisant disparaître toute idée de mérite sportif, de compétition, toute incertitude, toute idée de plaisir devant l’exploit de David contre Goliath, toute idée de sport populaire…que des clubs anglais comme Liverpool ou Manchester, fondés par des ouvriers, clubs du peuple à l’origine , se prêtent à cela est à pleurer…
il est heureux que de nombreuses voix, tant de responsables politiques que de joueurs ou de personnalités du monde du football s’élèvent contre ce projet fou et rappellent ce qui devrait rester au cœur des préoccupations : les valeurs sportives et non l’argent.

Le « Manifeste des 343 » a 50 ans : Poursuivons le combat pour que le droit à l’avortement soit effectif pour toutes et partout !

déclaration du pôle féminisme de la Gauche Républicaine et Socialiste

1- Un peu d’histoire, le combat des féministes et de la gauche

Le 5 Avril 1971, Le nouvel observateur publie l’appel des 343, signé par des personnalités, femmes qui déclarent : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France.

Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.

On fait le silence sur ces millions de femmes.

Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.

De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Les militantes du MLF ajoutent libre et gratuit !

C’est aussi le moment où se développe l’action du Planning familial en matière de d’information, de conseil, d’accès à la contraception et d’accompagnement en particulier des jeunes filles. Et c’est bien sûr essentiel.

En tout cas, C’est le début d’un grand mouvement de mobilisation dans le pays.

On connait la suite :

  • 1972 : le procès de Bobigny avec Gisèle Halimi ;
  • 1975 : la loi Veil qui n’est votée par l’Assemblée qu’avec le vote de la gauche ;
  • 1982 : la loi Roudy pour le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale ;
  • 2015 : la gratuité de l’IVG.

Toutes ces avancées ont été votées et permises par la gauche au pouvoir. Et bien sûr par le combat culturel et politique, engagé par les féministes.

2- le combat continue car dans les faits de réels problèmes demeurent pour garantir effectivement ce droit à toutes et partout.

Il faut exiger un maillage sérieux des structures où se pratique l’IVG dans tous nos territoires. Ils sont trop nombreux où il n’est pas aisé – voire possible – de trouver des centres ou hôpitaux pour faire réaliser une IVG. Entre le libre choix des médecins, les arbitrages budgétaires des hôpitaux et cliniques et l’arrêt d’une politique volontariste de financement des centres d’orthogénie, beaucoup de femmes ont les plus grandes difficultés et mettent beaucoup de temps à trouver une structure pour avorter. Certaines sont d’ailleurs prises dans le piège des délais. Les plus riches partent à l’étranger, les autres subissent une grossesse non souhaitée !

En parallèle, il faut rallonger le délai de grossesse pour avoir le droit de pratiquer une IVG : il est de 12 semaines en France. Mais il est de 24 semaines au Royaume-Uni, de 22 aux Pays-Bas, de 18 en Suède, de 14 en Espagne et en Autriche. Nous avons à plusieurs reprises tenté par voie d’amendements parlementaires d’allonger les délais de 12 à 14 semaines. En vain ! ni le gouvernement, ni les majorités à l’Assemblée ou au Sénat n’ont accepté !

La situation demeure dramatique pour de trop nombreuses femmes.

Ces combats sont ceux qu’il faut gagner aujourd’hui.

3- Solidarité avec les femmes du monde entier où ce droit n’est pas acquis ou même il est remis en cause par les courants néoconservateurs.

Dans certains pays la situation évolue positivement comme en Irlande avec le référendum de 2018 qui autorise l’IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse, ou en Argentine où l’avortement vient d’être légalisé (14 semaines de grossesse). La mobilisation a été déterminante. Mais dans d’autres pays, au sein même de l’UE, la situation se dégrade… comme en Pologne où le Tribunal constitutionnel a rendu, par un arrêt du 22 octobre 2020, l’avortement quasi illégal en Pologne. Sans parler de l’influence de Trump qui a conforte les lobbies anti-avortement et nommé des juges qui y sont défavorables à la Cour suprême. Ne négligeons pas les offensives des religieux ultra dans le monde.

Ce combat de libération des femmes est une grande cause universelle où nous devons prendre toute notre part.

Il y aura de nombreuses initiatives militantes et féministes pour poursuivre le combat des signataires du manifeste des 343. La GRS, ses militantes et ses militants y prendront toute leur part.

Si dans votre département, votre ville, vous avez connaissance de difficultés d’accès à l’IVG. Adressez nous un message pour expliquer la situation et exiger des solutions. Notre engagement est aussi pour trouver des réponses concrètes aux difficultés des femmes et de nos concitoyens-concitoyennes.

La GRS est présente dans ce combat et signe par les plumes de Marie-Noëlle Lienemann et Caroline Fiat cette tribune publiée dans les colonnes du JDD .

Emmanuel Maurel : « Aujourd’hui, pour être entendu, il faut surjouer l’indignation »

L’Express – entretien recueilli par Paul Chaulet,
publié le 03/04/2021 à 10:30

L’eurodéputé déplore la dégradation du débat public, illustré par une série de polémiques identitaires. Et appelle la gauche à renouer avec l’universalisme républicain.

Affaire de la mosquée de Strasbourg, polémiques autour des réunions non-mixtes… En pleine crise sanitaire, les sujets identitaires ont envahi le débat public ces dernières semaines. La polémique autour d’Audrey Pulvar a ainsi illustré les fractures au sein de la gauche sur la laïcité ou les discriminations. Dans un entretien à Libération publié dimanche, Jean-Luc Mélenchon dénonçait le manque de soutien des socialistes pour leur tête de liste aux régionales en Île-de-France.

Député européen (élu sur la liste LFI) et fondateur de la « Gauche républicaine et socialiste », Emmanuel Maurel est réputé pour ses convictions laïques et son attachement à la tradition universaliste. Dans un entretien à L’Express, il déplore la dégradation du débat public sur ces thématiques. « On est sommés de choisir son camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. L’ancien socialiste appelle la gauche à mettre l’accent sur les questions économiques et sociales, afin de reconquérir les classes populaires.

L’Express : Les propos d’Audrey Pulvar sur les réunions non-mixtes ont déclenché une vaste polémique. Vous avez évoqué dans Le Figaro une « déchéance de rationalité » du débat public. Débattre autour des sujets dits « républicains » ou « identitaires » est devenu impossible ?

Emmanuel Maurel : Cette déchéance de rationalité ne se limite pas à la gauche, elle est généralisée. Tout le monde est à cran en ce moment, en raison de cette crise interminable. Mais on observe une mutation profonde impulsée en partie par l’éclosion des chaînes de télévision en continu et des réseaux sociaux. Dans le débat public, il faut toujours avoir quelque chose à dire, le dire vite et privilégier le clash pour être repris. Les plus belles intelligences se sentent obligées d’en rajouter en termes de véhémence et de caricature pour être entendues.

C’est une « tweeterisation » de la vie politique. Il faut surjouer l’indignation pour attirer l’attention et vitupérer pour être écouté. À cela s’ajoute l’importation d’un phénomène nord-américain : tout le monde est tour à tour offenseur et offensé. On en arrive à une situation pénible où notre débat public donne l’impression de se résumer à une confrontation entre Eric Zemmour et Camélia Jordana. Ce n’est évidemment pas le cas dans le fond. Il faut rétablir un débat rationnel et respectueux.

Pourquoi cette crispation du débat public est-elle spécifiquement aiguë sur ces sujets identitaires ?

Nos sociétés sont taraudées par l’angoisse du déclin, leurs repères traditionnels sont brouillés. Elles sont en outre percutées par le néolibéralisme, qui a fait voler en éclat les solidarités collectives. C’est dans ce genre de situation que la passion identitaire refait surface. On se rattache à une identité souvent fantasmée, car il est terrifiant d’être laissé seul dans ce que Marx appelait les « eaux glacées du calcul égoïste » : la solitude de l’individu plongé dans le grand bain libéral.

Vous revendiquez une approche « rationnelle » sur ces thématiques. Vous ressentez une difficulté à vous faire entendre ?

Évidemment. Comme l’écrit le chercheur Christian Salmon, nous sommes passés de l’ère du storytelling à l’ère du clash. Il faut exacerber les tensions et adopter une pensée caricaturale pour l’emporter. Eric Zemmour incarne malheureusement cette époque : il a des avis tranchés et péremptoires sur tous les sujets, quitte à dire tantôt des horreurs, tantôt n’importe quoi, sans être contredit. Or, j’estime – même si les faits ne me donnent pas forcément raison – que la confrontation démocratique implique humilité, respect et attention aux arguments des autres.

Vous connaissez bien Jean-Luc Mélenchon. Quand il accuse le premier secrétaire du PS Olivier Faure de se faire le « relais des inquisitions de l’extrême droite », ne participe-t-il pas à ce phénomène ?

Je rappelle le contexte : certains à droite demandaient la dissolution de l’UNEF, les esprits se sont échauffés, les tweets ont fusé. On a le devoir de combattre cette position scandaleuse de la droite et de l’extrême droite mais on a le droit d’exprimer des critiques fortes sur les dérives de ce syndicat étudiant.

Les accusations de complicité avec l’extrême droite ou d’islamo-gauchisme irriguent le débat public. Le soupçon, plus que le désir de convaincre, semble s’emparer de la discussion publique…

Les débats sur l’Unef ou Audrey Pulvar l’ont montré : nous sommes sommés de choisir notre camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. Au final, il n’y a plus que les « complices des islamistes » et « les complices de l’extrême droite ». C’est évidemment faux et contre-productif : les vrais islamistes et les vrais fascistes peuvent prospérer tranquillement, car les mots perdent leur sens. Évidemment que Jean-Luc Mélenchon n’est pas complice de l’islamisme et qu’Olivier Faure n’est pas complice de l’extrême droite.

Dans cette période angoissante et incertaine, il faut un retour de la rationalité en politique. Cela n’est pas synonyme de fadeur ou de centrisme. La nuance a sa grandeur. Et cela n’empêche pas de répondre aux vrais problèmes, par exemple, dans le cas d’espèce, de la persistance des discriminations et du racisme qui défigurent notre nation.

Le terme d’islamo-gauchisme recouvre-t-il une réalité selon vous ?

Cette expression en dit plus sur ceux qui l’utilisent pour conspuer leurs adversaires que sur ceux qui sont censés l’être. Ce n’est pas un hasard si Madame Vidal l’a balancée alors que des milliers d’étudiants font la queue devant les centres de distribution alimentaire.

Si l’on veut vraiment s’attarder sur ce thème, il renvoie à un moment particulier de l’histoire de l’extrême gauche. Une toute petite partie de l’extrême gauche estimait que les musulmans étaient un facteur révolutionnaire car opprimés. Mais de nos jours, c’est devenu un mot-valise pour discréditer, comme le terme « populiste ». Le terme est tellement péremptoire et définitif qu’il empêche toute discussion.

Les débats les plus clivants au sein de la gauche ne portent pas sur la politique économique ou la question sociale, mais sur ces sujets républicains. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut rappeler une chose : le pouvoir a une responsabilité immense dans l’abaissement du débat public. Emmanuel Macron a prononcé en 2018 un discours plus qu’ambigu sur la religion au collège des Bernardins ; et avait parlé des « mâles blancs » lors de la présentation du plan banlieue. Il a contribué à cette « essentialisation » du débat public et a installé un agenda qui n’est pas le nôtre .

Quant à la gauche, elle s’est retrouvée acculée après le désastre du quinquennat de Hollande. Cette perte de repères se traduit assez bizarrement par la focalisation sur ce qu’on appelait autrefois des « contradictions secondaires », au détriment des sujets qui intéressent le plus grand nombre. Je trouve lunaire que l’on parle pendant deux semaines des réunions non-mixtes, même si je n’en pense pas du bien. Cela ne mérite pas autant de polémiques. Évidemment, la droite et l’extrême droite se frottent les mains.

Personne ne me parle de l’Unef, de l’écriture inclusive ou des réunions non mixtes dans ce contexte de crise sanitaire. Les gens parlent de l’éducation, du système de santé ou du chômage. La gauche doit rester maîtresse de ses combats, et en revenir aux questions essentielles qui intéressent la majorité de nos compatriotes, ceux qui travaillent, ceux qui sont exposés à la précarité et dont les espérances sont assombries par la crise du capitalisme.

La gauche prend un risque politique à s’enliser dans ces polémiques ?

Oui. La coupure de la gauche avec le peuple a commencé avec l’exercice du pouvoir. Jusqu’à la fin du XXe siècle, les socialistes et leurs partenaires avaient réussi l’alliance entre les classes populaires et les classes moyennes. Comme elle a perdu les classes populaires à force de renoncements économiques, la gauche réduit trop souvent sa pensée à des éléments de langage s’adressant surtout aux classes moyennes intégrées. Elle risque de s’éloigner encore davantage du plus grand nombre.

Dire cela ne m’empêche pas de penser qu’il n’y a pas de sursaut possible pour la gauche si elle ne renoue pas avec l’universalisme républicain. C’était la clé du succès de Mélenchon en 2017 : un humanisme généreux et un universalisme assumé…

Il s’en éloigne?

A mon avis, il ne doit pas s’en éloigner.

A treize mois de l’élection présidentielle, la gauche part en ordre dispersé. Son éclatement est inévitable ?

Rien n’est inéluctable. Il y a un refus net de l’électorat de gauche de rejouer le duel Macron-Le Pen en 2022. Il y a la crainte légitime de l’extrême droite, que le pouvoir a nourrie par sa politique et avec laquelle il rêve de se retrouver au deuxième tour. Il y a une aspiration unitaire dans notre électorat. Les gens ne disent pas que la recherche de l’unité est une condition suffisante mais qu’elle est une condition nécessaire.

Enfin, on a tout intérêt à reparler des questions économiques, sociales et de la bifurcation écologique : je suis persuadé que l’on peut trouver des points d’entente entre nous sur ces sujets. La sortie de crise et le redressement d’un pays durement éprouvé, c’est l’enjeu essentiel pour 2022. Il faut se mettre autour de la table pour identifier nos convergences programmatiques.

Yannick Jadot se dit prêt à s’entretenir avec « tous les leaders de la gauche » afin d’aboutir à une candidature « unie » pour la présidentielle de 2022. Que pensez-vous de cette initiative, à laquelle vous êtes conviée ?

Comme toutes les initiatives unitaires, elle est bienvenue. On doit se désintoxiquer des institutions de la Ve République. Notre code génétique, c’est la délibération collective. C’est une question de méthode : nous devons nous accorder sur un programme d’intérêt général, les questions de personnes viendront après. Les dernières élections ont montré que l’imprévu et l’inattendu font partie du temps politique.

Au-delà de ses divisions, les sondages montrent la faiblesse du bloc de gauche pour 2022. Comment l’expliquez-vous ?

Ce reflux est historique et ne concerne pas que la France. Le début du siècle a été marqué par un fort recul de la social-démocratie, incapable de résister à la mondialisation financière. L’émergence d’une gauche plus radicale et la percée des écologistes ne sont pas parvenues à contenir le populisme de droite qui récupère des électeurs des classes populaires. Notre objectif doit être de renouer avec les ouvriers et les employés qui nous ont tourné le dos. Pour y parvenir, on doit parler de ce qui intéresse vraiment les gens : emploi, santé, éducation, sécurité, préservation de l’environnement. Ce n’est pas toujours le cas.

Marie-Noëlle Lienemann : « Vous ne me ferez pas dire du mal de tout le monde… » – entretien au Point, 3 avril 2021

ENTRETIEN. La sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann estime qu’il y a, dans le pays, une envie de gauche. Et milite pour une candidature unique en 2022.

Propos recueillis par Florent Barraco et Jacques Paugam – Le PointPublié le 03/04/2021 à 08h00

Si le socialisme était un héritage, Marie-Noëlle Lienemann en serait la gardienne zélée. Droite comme la justice, qu’elle aimerait sociale, sévère au demeurant, ne laissant passer aucun reniement ou renoncement, l’élue socialiste n’a jamais souffert les virages idéologiques. Au point de quitter le PS, son parti de cœur, en 2018, après l’effondrement de la gauche, trahie, selon elle, par les sociaux-libéraux, de Manuel Valls à François Hollande.
Convaincue que les Français ont une envie de gauche et attendent des propositions pour lutter contre les inégalités, la sénatrice de Paris, secrétaire d’État au logement sous Lionel Jospin, fixe néanmoins le cap à près d’un an de l’élection présidentielle. Si elle veut espérer l’emporter en 2022, la gauche doit se retrouver elle-même, les ambitions suivront. Une gauche sociale, planificatrice, affranchie de la dette et, si possible, farouchement anti-Macron.

Le Point : Dans quel état se trouve la gauche : en état de mort cérébrale ? Dans le coma ? Ou en rémission ?

Marie-Noëlle Lienemann : En rémission. Je ne pense pas que la gauche doit disparaître dans ce pays, parce que les idéaux de gauche, notamment l’égalité sociale ou plus de justice, sont extrêmement forts. Mais il y a en effet une crise politique. Cette crise est idéologique, car une partie de la gauche qui a gouverné a été au mieux une gauche sociale-démocrate ou trop souvent néolibérale. Ensuite, il y a l’obstacle de la division à surmonter. Nous devons également réfléchir au centre de gravité politico-idéologique. Et il y a la chute de l’adhésion des classes populaires aux partis politiques de gauche. Nous devons concurrencer le Rassemblement national et ne pas faire comme si c’était une évidence que cet électorat est acquis à Marine Le Pen. Ces défis ne sont pas tous à mener dans la même temporalité : la reconquête des classes ouvrières sera plus longue car « chat échaudé craint l’eau froide » et la tentation nationaliste et identitaire peut les attirer ; l’unité des forces de gauche peut aller plus vite.

Comment se traduirait cette unité ?

Je ne la crois possible qu’autour d’un programme avec des propositions précises. Si tout le monde signe cet accord, tout le monde se tient par la barbichette et personne ne peut revenir sur des propositions fondamentales. Je ne crois pas au principe des deux gauches irréconciliables. Il y a toujours eu dans l’histoire de la gauche française deux tendances avec des affrontements sérieux, mais à la fin tout le monde finit par se réunir. La France va sortir de cette crise dans un état terrible. Les Français ont une idée de pourquoi on a été si vulnérables, notamment sur le vaccin, qu’on n’a pas été capables de produire. Il y a des leçons tirées et la gauche doit se positionner sur ces sujets.

Tous ceux qui étaient plutôt macronistes, qui disaient « pourquoi pas », ont été vaccinés, si je puis dire…

Si cette unité n’a pas eu lieu en 2017 où Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon étaient d’accord sur l’essentiel, pourquoi serait-ce le cas en 2022 ?


En 2017, on était dans le bilan de François Hollande. Bien que critique, Benoît Hamon avait été dans le gouvernement Hollande et, par ailleurs, l’électorat socialiste était en colère, mais pas en décrochage total. La situation était ubuesque avec un président sortant qui n’assume pas son bilan et une gauche socialiste complètement désarçonnée et éclatée. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Le bilan d’Emmanuel Macron a levé pas mal d’ambiguïtés et clarifié la position de beaucoup de personnes au Parti socialiste : tous ceux qui étaient plutôt macronistes, qui disaient « pourquoi pas », ont été vaccinés, si je puis dire… La crise elle-même a mis en évidence toute une série d’errements que la gauche au pouvoir avait accompagnés ou mis en œuvre. Quelle va être l’alternative offerte aux Français pour engager cette phase de reconstruction d’une République sociale ? Nous avons le devoir de proposer une alternative crédible. Mais ce n’est pas parce qu’on a le devoir que tout le monde a le sens du devoir… On sent que ça pousse.

Aucune personnalité ne peut se dégager dans le clapotis de la division et de la guerre d’ego.

Vous parlez d’une République sociale. Xavier Bertrand, qui s’est déclaré candidat à la présidentielle dans nos colonnes, se revendique comme gaulliste social. Il existe une offre à droite…

C’est comme Chirac sur la fracture sociale : verbalement ils sont toujours très bien, mais après ils vous disent « il faut rétablir les comptes », « il y a trop d’assistés »… On connaît leur discours. Le seul avantage de Xavier Bertrand par rapport à pas mal de ses camarades de droite, c’est que lorsqu’on est président de la région des Hauts-de-France, on ne peut pas se permettre de croire que le libre marché généralisé va permettre de résoudre les problèmes sociaux…

Pour en revenir à l’unité : qui peut porter cette candidature commune ?

C’est en permanence cette question que l’on pose. Au lieu de commencer par cette équation, dont on sait qu’elle est la plus dure à résoudre, commençons par ce qui est faisable et attendu : les propositions ! Il y a certes la grande mythologie de la Ve République, de la rencontre d’un homme avec les Français, mais je n’en suis plus certaine. Ils ont d’abord besoin de repères clairs sur les décisions relativement rapides qu’on est capable de prendre pour inverser la spirale du déclin, d’inégalité et doute républicain dans laquelle notre pays est plongé. Tout en répondant à l’exigence écologique. Si déjà sur ces quatre sujets, on met en œuvre un programme d’intérêt général pour la France, commun à toutes les forces de la gauche, la confiance remontera. Aucune personnalité ne peut se dégager dans le clapotis de la division et de la guerre d’ego. Ce sont des jeux qui nous isolent.

Cela ressemble à un vœu pieux…

Je sais, mais vous pouvez me dire tout ce que vous voulez, je ne vois pas comment on dénoue la situation. Elle n’est pas bonne. Personne n’a de solution à part dire « ralliez-vous à moi ». C’est une forme d’impasse. Le vote utile à gauche ne marchera que s’il y a l’idée qu’on peut porter quelque chose d’autre. Les Verts, Mélenchon et le PS peuvent se mettre d’accord sur un programme, ne serait-ce que pour avoir une majorité législative.

Dans un sondage publié par Marianne il y a quelques semaines, le bloc de gauche peine à atteindre les 30 %. Y a-t-il vraiment une envie de gauche en France ?

Les attentes qui s’expriment sont de gauche, et la crise sanitaire l’a montré. Il n’y a, pour l’instant, pas de réponse politique structurée pour mettre la gauche au pouvoir. Voilà le décalage. Les idées de gauche, quelles sont-elles ? Un besoin d’égalité, davantage de moyens pour les services politiques, une planification du redressement industriel, l’engagement de la transition écologique en demandant aux plus forts de faire les efforts, une justice fiscale, l’allocation d’autonomie pour les jeunes, un meilleur partage du pouvoir, etc.

Tout est fait par Emmanuel Macron et le Rassemblement national pour éluder la question économico-sociale.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une autre aspiration, plus à droite et majoritaire au vu des sondages, pour davantage de sécurité, d’autorité, des mesures contre l’islamisme et un contrôle de l’immigration qui écrase les aspirations sociales ?

C’est la tentation de la droite. Vous savez, dans une élection, ce qui est important, c’est le pied d’appel, l’axe dominant de la campagne. Quand, en 1995, Jacques Chirac fait campagne sur la fracture sociale, il a choisi de ne pas s’enfermer dans le débat sur la sécurité. La sécurité et l’immigration, c’est le pied d’appel de la droite, mais dans les sondages, les Français vous expliquent qu’ils sont inquiets pour leur pouvoir d’achat et leur emploi. Si la gauche ne fait pas de ces thèmes-là le cœur de son programme avec des propositions concrètes, elle ne pourra pas gagner. Les Verts ont fait de très bons scores car le sujet qui a été dominant, et qu’ils ont su porter lors des européennes et des municipales, c’était le climat. Tout est fait par Emmanuel Macron et le Rassemblement national pour éluder la question économico-sociale. D’ailleurs, quand je vois les résultats de la droite sur la sécurité, ils ne sont pas plus mirobolants que ceux de la gauche. C’est la droite qui n’a pas embauché de policiers…

Que dites-vous aux jeunes, qui sont, selon les enquêtes, de plus en plus nombreux à ne pas vouloir voter Emmanuel Macron s’il y a un deuxième tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?

Je pense qu’on ne peut pas donner aujourd’hui un blanc-seing à Emmanuel Macron. Il faut bien sûr tout faire pour éviter d’avoir Marine Le Pen à l’Élysée, mais ça commence à bien faire ! Je commence à en avoir marre qu’on me pose la question du deuxième tour avant d’avoir joué le premier. Et du coup, cette question obère le premier vote. Cela a déjà eu lieu en 2017… On a vu ce que cela donne… De plus, comme en 2002, où Jacques Chirac n’a pas été à la hauteur de ceux qui ont voté massivement pour lui, Emmanuel Macron n’a pas donné assez de signes à un électorat de gauche qui l’a élu de manière défensive par rapport au RN. Il a fait de l’hyperlibéralisme comme si nous avions tous voté pour sa loi XL antisociale, la réforme des retraites, l’assurance-chômage… Il est élu par des gens qui n’en voulaient pas. Il délégitime la résistance à Marine Le Pen. Bien sûr que je me suis sentie cocufiée.

Macron n’a pas changé d’orientation. Il a ouvert une parenthèse.

Le libéralisme d’Emmanuel Macron en a pris un coup avec le Covid : il a, de son propre aveu, nationalisé les salaires avec le chômage partiel et a ouvert le robinet d’argent public…

Il n’a pas changé de logique. Les libéraux ont toujours considéré que l’État était là pour faire le pompier quand tout allait mal. Vive le marché, mais quand il y a des ratés, on rappelle l’État à la rescousse. C’est un classique. Les gens qui pensent qu’à cause de la crise ils ont changé d’orientation se trompent : ils ont ouvert une parenthèse. Mais dans cette parenthèse, il n’a pas renoncé à ses idéaux libéraux : il n’a pas abandonné la réforme de l’assurance-chômage, ni celle des retraites. À aucun moment il n’a augmenté les salaires des premiers de cordée. Il fait des primes, beaucoup plus fragiles. Ils sont venus au secours du système par des dépenses massives. Tant mieux ! Il a aussi promis de ne pas augmenter les impôts mais, avec la crise qui se profile, Emmanuel Macron essayera de réduire la voilure sur les dépenses et la protection sociale.

Tous les candidats, de Xavier Bertrand à Emmanuel Macron, promettent de ne pas augmenter les impôts…

Nous, nous augmenterons les impôts, mais pour les riches. Je suis pour le retour de l’ISF et je pense aussi qu’il faut réfléchir à la question de la transmission des héritages importants. Il y a une réforme fiscale majeure à prévoir pour ce pays, mais il faut, dans le même temps, innover et réfléchir à taxer autrement pour retrouver des recettes fiscales en France. On peut penser à une imposition des Gafam, à la lutte contre la fraude fiscale, par exemple.

J’en ai clairement ras le bol que nos divisions s’invitent sur ce terrain de l’identité.

Sur l’endettement, quelle serait la position d’un ou d’une candidate de la gauche unie ? Marine Le Pen a elle-même endossé l’esprit de responsabilité en déclarant vouloir rembourser la dette.

Ne soyons pas trop dogmatiques, ne nous flagellons pas avec ce sujet de la dette. En réalité, on vous explique partout que si la France arrête de rembourser, le marché ne voudra plus prêter. Mon œil ! C’est faire paniquer les gens pour pas grand-chose. Nous sommes un pays qui a toujours remboursé ses dettes, même de façon indirecte, parce que vous les reportez, parce qu’une certaine inflation finit par en diminuer la charge dans le budget de l’État. La vraie question, c’est comment on ne se laisse pas enfermer dans ce circuit de remboursement permanent, toujours à courir après les intérêts de la dette, à en oublier nos besoins en investissements pour le pays. C’est l’investissement qui doit être notre priorité aujourd’hui. Endettons-nous pour de bonnes raisons ! Pour des projets de réindustrialisation, de transition écologique, de filières locales. Ce ne sera jamais du gaspillage ni du déficit.

Aujourd’hui, la fracture à gauche n’est plus simplement sociale, mais identitaire, avec ce qu’on appelle la « cancel culture », la « génération woke »… C’est la nouvelle lutte finale ?

J’en ai clairement ras le bol que nos divisions s’invitent sur ce terrain de l’identité et c’est bien pour ça que je vous parle autant de social. Soyons clairs : les expériences de la gauche américaine qui fédère les minorités, au motif qu’elles sont minoritaires, et qui espère que cette somme des opprimés finira par faire une majorité, n’ont jamais fonctionné. Ces démarches isolent, enferment les gens et ne correspondent pas à notre modèle républicain. Je dis à la gauche sur ces sujets : attention, danger ! Ça n’est pas la bonne méthode. Nous devons porter un projet d’intérêt général pour les plus défavorisés et au service du pays parce que la gauche a vocation à gouverner pour tous. Nous devons enfin porter haut l’idéal républicain. Qu’est-ce qui mine les valeurs républicaines, la République ? Ce sont les inégalités. La vraie question, elle est sociale. Au lieu d’avoir des débats théoriques sur l’intersectionnalité, réfléchissons vraiment à la lutte contre les discriminations du quotidien.

Mélenchon, les Verts…, la nouvelle gauche est particulièrement active sur ces sujets de société. La sortie récente d’Audrey Pulvar sur les réunions non mixtes a défrayé la chronique. Peut-on parler d’un conflit de générations à gauche ?

La domination anglo-saxonne a pesé dans la culture générale des jeunes générations mais, vous savez, à mon époque, les mêmes qui étaient des libertaires enflammés se sont vite calmés. Ils sont devenus des libéraux forcenés ou des autoritaristes plein pot. Je ne dis pas que la jeunesse a tort, mais il faut veiller à ne pas devenir péremptoire. La seule philosophie qui vaille, c’est l’action. Contre les discriminations, il doit être possible d’agir en fédérant tous les républicains de gauche. Comment évite-t-on que la police ne fasse des contrôles au faciès ? Comment évite-t-on la discrimination à l’embauche ? Concrètement, que fait-on ?

Vous l’avez dit à Manuel Valls, qui sort un livre, Pas une goutte de sang français, aux éditions Grasset ?

Je n’ai rien à dire à Manuel Valls qui a déserté la gauche et la France.

Et à Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon, ces ténors d’une gauche, pour l’instant, très plurielle ?

Je ne passe pas mon temps à dispenser mes conseils aux uns ou aux autres. Vous ne me ferez pas dire du mal de tout le monde. J’ai mes convictions, que je partage volontiers, mais je ne varierai pas d’un iota. On veut toujours porter le fer pour disqualifier l’autre, au détriment des principes. L’urgence, c’est de nous mettre autour de la table pour proposer une vision aux électeurs de gauche !

On nous prend trop pour des enfants.

À quoi ressemblera la campagne de 2022 ? À un grand procès d’Emmanuel Macron ou à une bataille des idées ? Pourra-t-on s’exonérer du contexte sanitaire ?

Les élections ne se jouent jamais sur un bilan, mais sur un horizon. Quel avenir proposer aux Français au sortir de la crise ? Je ne cessais de le dire à Lionel Jospin avant le 21 avril 2002, à qui l’on répétait qu’il avait un bilan excellent. On a vu la suite… Sur les vaccins par exemple, je suis tendance franchouillarde – je viens d’une famille de résistants, je suis née à Belfort – et j’ai une certaine idée de la place que doit occuper mon pays. Quand on voit que l’on est complètement dans les choux sur la vaccination alors que nous étions parmi les meilleurs au monde, que notre système hospitalier est à la peine après des années de coupes budgétaires ! Depuis dix ans que j’interviens sur ces sujets, j’en ai vu des technos nous expliquant que nous n’avions rien compris. Les Français précaires se sentent écrasés et une large majorité, si ce n’est humiliée, au moins mal à l’aise. Sans faire du flamboyant, ils espèrent que la France se redresse, retrouve le goût de l’optimisme, se projette dans un avenir commun. On nous prend trop pour des enfants. C’est celui qui portera le mieux une vision positive et républicaine, à gauche ou à droite, qui aura le plus de chances de gagner. Les gens ont déjà leur avis sur la gestion de la crise sanitaire. Pas besoin d’en rajouter, si j’ose dire. Et puis qu’est-ce que c’est que ces âneries de se comparer en permanence avec les autres pays ?

Vous ne demandez pas d’excuses au gouvernement, comme Angela Merkel ?

Non, j’attends des analyses. Pourquoi n’avons-nous pas fait mieux, comment aurions-nous pu éviter des morts inutiles ? Qu’est-ce qu’il faut changer ? Je suis pour une relation rationnelle à la politique, pas sur-affective. Et puis, c’est mon côté catholique, mais les gens s’excusent souvent de leurs péchés pour mieux recommencer derrière.

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