Droits de douane : « Il y aura des destructions d’emplois en France », prévient David Cayla – entretien dans L’Humanité

L’Humanité, lundi 28 juillet 2025

David Cayla, maître de conférences en économie à l’Université d’Angers, analyse pour nous l’accord signé entre Donald Trump et l’Union européenne, qui prévoit des droits de douane de 15% sur les produits européens. Pour lui, l’UE a laissé passer une chance historique d’affirmer son indépendance.

Quelle lecture faites-vous de l’accord signé ce 27 juillet ?

Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il est déséquilibré ! La question est de savoir pourquoi l’Union européenne (UE) parvient à un accord finalement moins favorable que ce qu’a obtenu le Royaume-Uni qui négociait tout seul de son côté. Ce dernier a en effet obtenu des droits de douane de 10% ainsi que quelques concessions sur des marchés libres de taxes.

L’UE, en revanche, c’est 15% de droits de douane (sur les produits européens exportés vers les États-Unis, N.D.L.R.), avec en plus l’obligation d’acheter du pétrole et du gaz américain, sans compter l’armement. Enfin, les Européens ont promis d’investir 600 milliards de dollars sur le sol américain, ce qui va à rebours de toutes les promesses formulées dans l’UE au cours des dernières semaines, selon lesquelles l’épargne européenne devait être mobilisée pour financer la croissance et l’industrie européenne.

Pourquoi un accord aussi asymétrique ?

Tout simplement parce que les pays membres sont divisés, en raison de structures économiques différentes : entre les pays désireux de protéger leurs industries exportatrices, comme l’Allemagne et d’autres favorables à des positions plus fermes (comme la France), aucun terrain d’entente n’a été trouvé. Et ce sont finalement les logiques exportatrices qui se sont imposées : il n’y a qu’à voir le soupir de soulagement poussé par les industriels allemands, heureux d’échapper à des taxes de 30%.

À l’arrivée, c’est surtout un échec politique de l’UE : on nous vend depuis des années l’idée selon laquelle, avec l’Union, les pays seraient plus puissants pour négocier des accords commerciaux avantageux. Et on se retrouve avec un accord plus mauvais que des pays hors UE. Si l’Union européenne, qui nous impose par ailleurs de multiples contraintes, ne nous protège même pas en cas de guerre commerciale, à quoi sert-elle ? À ce titre, cet accord va renforcer les discours eurosceptiques.

Quelles pourraient être les conséquences pour l’économie française ? Seuls quelques secteurs sont particulièrement exposés (aéronautique, spiritueux, médicaments), et il semblerait qu’ils ont été épargnés par l’accord…

Les choses ne sont pas aussi claires ce stade. L’aéronautique semble épargnée, en effet, mais il manque encore les détails sur les modalités concrètes de cette exemption. Pour ce qui est des spiritueux et de la pharmacie, il y a fort à parier que des taxes s’appliquent.

Ce qui semble évident, de toute façon, c’est qu’il y aura des destructions d’emplois en France : des entreprises exportatrices vont voir leurs carnets de commandes diminuer et réduire leur volume d’emplois. Dans un environnement déjà récessif en raison de l’impact du budget présenté par François Bayrou, la hausse des droits de douane ne va pas contribuer à améliorer l’économie française.

À plus long terme, d’autres choses sont préoccupantes. D’abord, la France (et l’Europe) vont accroître leur dépendance au numérique américain : à chaque fois que vous achetez un logiciel Microsoft ou que vous avez recours à Netflix, par exemple, vous payez pour ces services, sous forme de redevances ou d’abonnements. Tout cela commence à peser lourd dans la balance des paiements des pays européens.

Ensuite, il est probable que les entreprises européennes préféreront construire des usines aux États-Unis pour échapper aux droits de douane. Cela peut être le cas des labos pharmaceutiques, comme Sanofi, ou des groupes d’automobile. Il ne faut pas oublier que l’objectif de Trump est de pousser ses partenaires commerciaux à investir chez lui plutôt qu’en Europe.

Qu’aurait dû faire l’Union européenne ? Accepter pleinement la logique du bras de fer, comme l’a fait la Chine ?

Les différences économiques sont telles qu’il n’est pas évident de se comparer avec la Chine. Mais il aurait fallu, en tout cas, porter nos propres revendications, c’est-à-dire la conquête de l’autonomie stratégique européenne, en matière d’énergie, de défense et sur le numérique.

Cela impliquait de fixer des lignes rouges. Et de dire par exemple aux Américains que s’ils poursuivaient dans cette voie, nous irions taxer leurs géants du numérique et exclure certaines de leurs entreprises de nos appels d’offres. Je vous renvoie au rapport de Mario Draghi (publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne en septembre 2024, N.D.L.R.), qui appelait à davantage de souveraineté européenne : c’est le contraire, que cet accord sur les droits de douane entérine.

en complément à cet entretien accordé à L’Humanité, nous ajoutons ci-dessous les éléments d’analyses que David Cayla a confié le même jour à France 24

« À l’origine, le projet européen est une union douanière de pays qui se coordonnent pour influencer le commerce international à leur profit. Alors que l’UE était là pour nous protéger, le Royaume-Uni s’en sort mieux que nous. Les Britanniques ont vu leurs droits de douane doubler alors qu’ils ont triplé pour l’UE qui paye ici l’hétérogénéité de son économie avec des États membres qui ont des intérêts contradictoires ». […]

« L’Allemagne et l’Italie ont extrêmement peur des droits de douane de 30%. Donc ils se contentent de 15%. La France, qui est moins dépendante des exportations vers Washington, adopte une ligne beaucoup plus dure », note David Cayla, selon qui l’accord vient contrarier les dynamiques que Paris voulait insuffler au sein de l’UE. Selon les annonces de Donald Trump, l’Union européenne s’engage à des achats massifs de matériel militaire aux États-Unis alors qu’Emmanuel Macron plaide en faveur d’une « autonomie stratégique » et d’une « Europe de la défense ».

« La France voulait également que l’on se passe du gaz au maximum au profit de la production d’électricité avec un projet de relance du nucléaire. Une nouvelle fois, comme sur le Mercosur, on s’aperçoit que la ligne de la France n’est jamais celle qui gagne ».

Or, si l’UE a refusé le combat face à Donald Trump, elle avait pourtant de sérieux atouts dans sa manche. Au-delà d’imposer des taxes réciproques sur les biens américains, l’UE aurait pu brandir la menace d’une taxe sur les revenus publicitaires des géants du numérique. Bruxelles avait évoqué en avril cette possibilité en cas d’échec des négociations avec Washington. « On pouvait aussi répliquer en organisant une taxation plus élevée des entreprises américaines. On aurait également pu interdire à certaines sociétés de postuler à des appels d’offres en Europe. Par ailleurs, les États-Unis sont très dépendants de l’épargne européenne qui finance en partie l’investissement américain. Même si on ne peut pas empêcher les mouvements de capitaux, on aurait pu réfléchir à des mécanismes pour conserver cette épargne dans l’UE ». […]

« Cet accord crée aussi une incertitude autour du projet européen et de ses ambitions écologiques et de réglementation du numérique. Avant Trump, il y avait une stratégie européenne, mais elle est en train de se disloquer sous nos yeux. On admet que les États-Unis sont plus forts, ce qui est en soi un problème ».

Refuser la capitulation de la commission européenne face aux Etats-Unis

Voilà le résultat final du transfert de la compétence sur les accords commerciaux à la Commission Européenne !

Il va falloir remettre en cause la logique complète qui nous a amenés à permettre la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen à pouvoir négocier seule avec Donald Trump.

C’est une capitulation en rase campagne :
🔸15% de droits de douane là où le Royaume-Uni obtient 10% ;
🔸renonciation à taxer les entreprises du numérique ;
🔸renonciation à la taxe minimale de 15% sur les grandes sociétés ;
🔸abandon du renforcement de la régulation des entreprises du numérique que l’Union Européenne prévoyait avant l’arrivée de Trump ;
🔸aggravation de la soumission des Européens au matériel militaire et aux hydrocarbures américains…

La France, qui défendait la ligne dure face à Trump, a perdu encore une fois son bras de fer avec l’Allemagne. Cet accord ne défend pas les intérêts français et va à rebours de tous nos engagements et ceux de l’Union Européenne.

Mais on ne peut pas se contenter de « regretter » la capitulation commerciale entérinée par von der Leyen. Le Premier ministre François Bayrou ne peut en rester à un tweet de déploration.
Il faut agir. Que la France demande la convocation en urgence du Conseil Européen. Nous devons exiger la démission de la Commission et de sa présidente qui ont gravement failli.

Taxation des « riches » en France et en Allemagne : l’indispensable retour du politique dans les choix budgétaires

tribune de Mathieu Pouydesseau publiée dans Marianne, le vendredi 27 juin 2025

Chef d’entreprise outre-Rhin, historien de formation et ancien conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) rattaché à Bercy, Mathieu Pouydesseau aborde, au sein de cette tribune, la question de la redistribution des richesses en Allemagne et France, qui mène, selon lui, à des tensions entre nos deux pays frontaliers.

Des deux côtés du Rhin, les débats budgétaires font rage. Pour ceux qui seraient tentés par une taxation du capital, celle-ci n’obéit pas à une seule logique économique mais relève surtout de doctrine politique. Deux puissants courants de pensée semblent s’opposer sans se réconcilier : la morale héritée des principes de justice sociale et de redistribution face à l’économie dictée par la perception des contraintes de compétitivité.

En France par exemple, l’ISF instauré par la gauche et maintenu par la droite, illustre cette tension. Sujet perçu comme anti-entreprise, il est pourtant peu corrélé à une baisse de l’investissement. En Allemagne, alors que la Constitution affirme que « la propriété oblige », un collectif d’héritiers milite pour une fiscalité plus équitable, dénonçant leur héritage perçu comme immérité.

Entre défiance et conscience

Le Sénat français a rejeté le 12 juin dernier la taxe dite « Zucman » sur les très hauts patrimoines, une mesure pourtant modeste : 2 % du patrimoine net, impôts déjà payés déduits, qui ne concernerait que 2 000 personnes. Conçue par l’économiste Gabriel Zucman, cette taxe pourrait rapporter entre 13 et 20 milliards d’euros. Elle avait été adoptée par l’Assemblée nationale et devrait y revenir à l’automne. L’Allemagne a vu naître en 2021 le mouvement « Tax me now », fondé par une héritière de la famille Engelhorn (ex-Boerhinger). Ce collectif d’héritiers plaide pour une fiscalité plus juste, estimant l’héritage comme immérité. Un appel de 100 entrepreneurs français en janvier 2025 appelant à la même contrition est passé inaperçu.

L’économiste Martyna Linartas a publié en mai 2025 « une inégalité imméritée » dénonçant la concentration extrême des patrimoines et ses effets délétères sur la démocratie. L’histoire de la famille Thiel illustre comment les grandes familles échappent à l’impôt, et pour une famille maladroite dans ses efforts, combien de milliards ainsi échappant au financement des écoles et des hôpitaux ? En juin 2025, la FAZ, le quotidien allemand le plus diffusé au monde, a révélé que la famille Thiel (Knorr-Bremse) a dû verser 4 milliards d’euros d’impôts sur un héritage de 15 milliards, un conflit familial ayant retardé la création d’une fondation destinée à l’éviter. L’Allemagne a progressivement démantelé sa fiscalité sur le capital depuis la suspension de l’impôt sur la fortune par la Cour constitutionnelle en 1997. Or, cet allègement du fardeau fiscal n’a pas amélioré les performances des entreprises. Malgré une épargne abondante, alimentée par des excédents commerciaux records, l’investissement domestique recule. Plus d’un tiers des capitaux allemands sont investis hors d’Europe. L’Allemagne n’a pas su transférer sa richesse vers la consommation intérieure, freinée par la rigueur budgétaire et la modération salariale.

Une étude publiée en mai 2025 dans le Journal of International Economics souligne l’inefficacité des grands fonds allemands : les « Big 6 » affichent des performances médiocres en sélection d’actifs et en timing de marché. Ainsi, l’économie allemande a connu trois années consécutives de récession. En 2024, les salaires réels sont retombés à leur niveau de 2015 (Spiegel, juin 2025). Une décennie d’épargne excédentaire n’a pas suffi ni à financer l’investissement ni à préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes.

L’Europe thésaurise

Entre 2010 et 2025, l’Allemagne a accumulé 3 000 milliards d’euros d’excédents commerciaux sans que cette épargne ne soit investie localement. En France, l’épargne des ménages équivaut aux déficits publics et privés (environ 6 % du PIB). Ainsi, n’est-il pas temps de réorienter cette épargne vers l’industrie européenne plutôt que vers la dette américaine. Même le président Macron a souligné « la folie » consistant à laisser un tiers de l’épargne européenne alimenter… les États-Unis. Les révoltes fiscales se multiplient depuis plusieurs années : Gilets Jaunes, Bonnets rouges, paysans en colère, « Wütbürger » allemands.

La croissance européenne (+20 % de PIB depuis 2010) ne s’est pas traduite par une amélioration du niveau de vie. La pauvreté a progressé en France et stagné en Allemagne. Le pouvoir d’achat reste la première préoccupation des Français depuis cinq ans. Un tiers d’entre eux, et 38 % des Allemands, se disent incapables de faire face à une dépense imprévue (enquête UE 2024). Chacun connaît aujourd’hui la traduction politique de ces errements économiques : alors qu’en 1999, le Front national faisait 5,7 % aux européennes et l’AfD 3 %, en 2024, ils atteignent respectivement 32 % et 16 %. Ensemble, les deux grands blocs démocrates ne réunissent plus que 32 % des voix.

Justice sociale et efficacité économique ne sont pas incompatibles : elles doivent dialoguer –sans opposer Berlin à Paris, ni morale à croissance, sur cette ligne de crête qu’est le respect des perceptions. Le compromis proposé par Gabriel Zucman, une taxation modérée des très hauts patrimoines, tenant compte des impôts déjà acquittés, ou du mouvement allemand « tax me now » incarnent cette tentative de conciliation. Il s’agit surtout d’une possibilité de réintroduire une conscience politique dans les choix d’action publique : repenser la fiscalité du capital mais aussi sa valeur sociale est essentiel au risque d’une issue fatale pour les démocraties européennes.

Mathieu Pouydesseau

20 ans du « non » au TCE : une trahison et 20 ans de perdus

Après une campagne intense et une forte mobilisation populaire, le traité établissant une Constitution pour l’Europe était rejeté par référendum le 29 mai 2005. Les institutions permirent ensuite au président Nicolas Sarkozy de bafouer ce vote en faisant adopter un texte jumeau : le traité de Lisbonne. Sous-estimé à l’époque, ce déni de démocratie marque pourtant un tournant dans la vie publique française.

Mais surtout 20 ans après, les anciens acteurs de la trahison – une partie des social-démocrates, les conservateurs et les libéraux européens – commencent tout juste à percevoir les effets dévastateurs d’une construction européenne qui n’a fixé aucune limite à la libre-circulation du capital. Non seulement le Traité de Lisbonne de 2008 a trahi les référendums français et néerlandais, mais il en a même rajouté, en consacrant le principe d’une circulation du capital sans limites intérieures ni extérieures et en donnant la compétence exclusive de la politique commerciale à l’Union Européenne (cela a accouché de la catastrophe en série des traités de libre-échange) !

Jusqu’à la guerre d’Ukraine et l’élection de Trump, il était proprement inconvenant ne serait-ce que de suggérer la mise en place d’une politique industrielle européenne. Aujourd’hui, la pesante et pénible machine bruxelloise commence à prendre conscience que le libre-échange n’est pas paré de toutes les vertus. Mais pour l’instant, pratiquement rien ne bouge. Pire Ursula Von der Leyen continue de faire comme avant et de ne jurer que par la « Sainte-Trinité » néolibérale – austérité budgétaire, concurrence féroce (à l’intérieur et à l’extérieur), libre-échange généralisé –, alors même que plusieurs gouvernements européens se relèvent peu eu peu avec la gueule de bois. Pourtant le temps presse pour sauver l’industrie et la production européennes.

Les solutions existent. L’Europe a un besoin urgent d’investissements productifs adossés sur une politique budgétaire volontariste, qui pourrait s’inspirer de l’exemple américain : soutien actif à la relocalisation, mise en place de barrières écologiques et sociales à l’entrée du marché, grands projets d’infrastructures. On ajoutera : « et contrôle des flux de capitaux ».

Injonctions contradictoires

À la relance budgétaire devrait aussi correspondre une politique monétaire analogue à celle qui a amorti la crise durant les années 2010, en « monétisant » une partie des dettes publiques. On sait peu, par exemple, que 25% de la dette française est détenue par la Banque de France, pour le compte de la BCE. Ce qui réduit d’autant, en réalité, notre ratio dette/PIB. Pour donner à nos industries toutes leurs chances, les nouveaux investissements stratégiques financés par des emprunts d’États devraient bénéficier des mêmes « facilités quantitatives ».

Les annonces de la Commission sur le secteur de la défense vont dans ce sens, qui en sortent les investissements publics du calcul du déficit. C’est une bonne nouvelle. Mais pourquoi s’en tenir au seul secteur de la défense ? Pourquoi ne pas faire de même pour les investissements écologiques, technologiques et numériques ? Mais nous n’en sommes qu’aux annonces. Et pendant que le temps passe, le risque du « business as usual » avec Ursula nous guette.

Il est temps de sortir l’UE de sa matrice néolibérale et de restaurer le rôle de la puissance publique. Mais la force d’inertie idéologique des dirigeants européens et surtout des traités la retient, et la ramène à ses fondamentaux : le tout-marché et la concurrence libre et non faussée. C’est la raison pour laquelle l’UE envisage une étape supplémentaire de dérégulation massive pour « lever les freins à la croissance ».

Ainsi le rapport Draghi, qui a fait grand bruit, est axé sur deux orientations : la relance de l’investissement productif et la dérégulation. Les rapports de force entre États et la perméabilité des technocrates de la Commission aux thèses du patronat se sont conjugués pour ne pas trop en faire sur l’investissement et se concentrer sur la dérégulation. Or il s’agit là d’un risque mortel pour l’Europe : les gagnants de la dérégulation ne seront pas les Européens mais leurs concurrents internationaux, qui n’attendent que ça pour faire encore plus baisser le prix de leurs exportations.

Il serait insensé de réduire notre ambition écologique ou nos règles relatives à la bonne gouvernance des entreprises, et encore moins celles relatives à la sécurité des produits, notamment agricoles. D’autant que bon an mal an, les entreprises les respectent et maintiennent ainsi un niveau de qualité qui demeure un vrai avantage compétitif.

Reprendre la main

Plutôt que réduire nos règles au niveau de la moyenne mondiale, il faudrait au contraire les imposer à toutes les entreprises non-européennes dont les produits, notamment agricoles, inondent notre marché intérieur.

L’Union Européenne et ses États membres ont besoin d’investissements. Ils ont besoin d’action publique, ils ont besoin de réglementation et de contrôle des flux. Les citoyens sont en demande d’État et supportent de plus en plus mal leur rétraction imposée de l’extérieur, avec la complicité d’élites technocratiques néolibérales.

Seule la puissance publique peut préserver leurs libertés fondamentales, et les citoyens mesurent de plus en plus les dégâts économiques du recul de l’État. Et enfin les citoyens veulent que l’État les aide, les protège et les soutienne dans leur lutte quotidienne pour une vie digne. L’impuissantement de l’État conduit au rejet. Nos ennemis l’ont compris : l’attraction sur les classes populaires exercée par le RN en France, et a fortiori par un Trump aux États-Unis, trouve une partie de sa source dans cette promesse d’action. La débâcle macronienne laisse la gauche seule, à tout le moins en première ligne, pour résister à la progression de l’autoritarisme et du nationalisme. Pour y parvenir, elle doit convaincre les classes populaires et moyennes qu’elle est à leur service et qu’elle agira avec détermination en leur faveur, y compris en s’affranchissant de certaines règles, européennes pour la plupart, qui interdisent au politique de peser vraiment sur l’économie.

20 ans après le rejet du TCE, il est temps de remettre les choses dans l’ordre et le temps nous est compté.

Etat des lieux sur le mal logement et l’ubérisation en France et en Europe – débat à Marseille le 3 mai 2025

À Marseille, après la marche exploratoire avec Sophie Camard (Maire GRS du 1er secteur de Marseille et administratrice de la société publique locale d’aménagement – d’intérêt national contre l’habitat indigne), dans la rue d’Aubagne sur l’action publique pour la réhabilitation des logements, démontrant le caractère essentiel de l’investissement public, se tenait dans les locaux de la fédération départementale du Parti Communiste Français un débat sur le thème « En France, en Europe, le logement n’est pas un privilège, c’est un droit ! »

Une initiative collective du Parti de la Gauche Européenne.

Le débat était introduit et animé par Hélène Bidard (Secrétariat Politique du PGE, conseillère PCF et adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes)

avec

  • Naïma Senanedj (Parti Communiste Français, Bouches-du-Rhône)
  • Ismael González (Coordinateur de la campagne logement du Parti de la Gauche Européenne)
  • Christophe Casanova (Journaliste à La Marseillaise)
  • Sophie Camard (Maire GRS du 1er secteur de Marseille)
  • Marianne Margaté (Sénatrice PCF de Seine-et-Marne)
  • Simon de Beer (PTB, en charge du logement à Forest, Bruxelles)

Allemagne : Friedrich Merz investi chancelier dans la douleur

Friedrich Merz, nouveau chancelier après une investiture dans la douleur, des résultats électoraux médiocres, une économie anémiée – Merz, le nouveau chancelier a manqué son investiture ce matin. Il lui a fallu un second tour inédit depuis 1949 en Allemagne. Il va être jugé sur sa capacité à relancer une économie stagnante depuis 2019, et un pouvoir d’achat en recul.

L’Allemagne a été longtemps présentée comme le « nouvel hégémon » en Europe. En France, beaucoup ont voulu mettre en scène l’Allemagne comme un « modèle » lorsqu’il s’agissait d’obscurcir le débat économique, fiscal et budgétaire.

Les « chocs » de compétitivité étaient ainsi censés « remettre » l’économie française à niveau pour pouvoir « rétablir » le commerce extérieur et accélérer la croissance.
De nombreuses différences structurelles ont été soigneusement ignorées.

La plus évidente d’entre elles, c’est que l’Allemagne est depuis 50 ans maintenant un pays en déclin démographique, obligé de compenser la baisse de sa main d’œuvre par l’immigration, alors que la France a continué de croître avec un excédent de naissances sur les décès jusqu’en 2023.

Une autre évidence, alors que les Françaises sont plus souvent mères que les Allemandes, leur taux d’activité après enfants est comparable, et leur niveau de revenu plus élevé.
50% des femmes en emploi en Allemagne sont en effet seulement à temps partiel, contre seulement 13% des hommes, et seulement 26% des Françaises.

On a chanté les louanges d’un Etat sans déficit, à faible dette, d’un plein-emploi, d’un commerce extérieur en fort excédent.

Entre 2010 et 2025, l’Allemagne a accumulé 3000 milliards d’excédents commerciaux. Son taux d’épargne, plus élevé que la France, a renforcé le montant d’épargne disponible pour de l’investissement. L’Allemagne dispose d’un bas de laine équivalent à plus de 3 ans de PIB ! Pourtant, l’économie allemande stagne depuis … 2019 ! La croissance est nulle sur six ans.

Le taux de pauvreté a progressé entre 2010 et 2023, passant à 17%, soit plus qu’en France, alors que le niveau de pouvoir d’achat des salaires stagne. La demande intérieure reste déprimée, et depuis 2019, l’Allemagne connaît aussi une désindustrialisation. Ce n’est pas normal. Et cela rend les Allemands furieux.

Alors que l’extrême droite est d’une taille négligeable en 2002, et l’extrême gauche anti-système réduite à seulement deux députées, en 2025, c’est une autre affaire. Les deux partis majeurs de gouvernement, SPD et Droite, passent de 77% en 2002 à … 45% en 2025. La gauche radicale (Linke+BsW) passe de 4% à 13,8%, l’extrême droite de 2% à 21%.

Qu’a donc fait l’Allemagne de cette épargne?
Pourquoi n’a t-elle pas investi ?
Pourquoi a t-elle refusé de mutualiser les dettes publiques dans l’Eurozone – ce qui lui aurait donné des débouchés à son épargne, et l’instrument d’une vision à construire en Europe?
Pourquoi a-t-elle, avec la règle d’or, refusé d’investir dans son propre pays, privant l’État de la possibilité de capter l’épargne ?

Certains pourraient argumenter qu’elle en a profité pour investir à l’étranger. Oui, elle l’a fait. « Entre 2010 et 2020, le niveau d’investissement en points de PIB stagne en Eurozone. L’Allemagne investit son épargne en Russie, Turquie, Chine, et les États-Unis – ne bénéficiant pas aux Allemands. »

Mais voilà un résultat de deux analyses scientifiques des investissements allemands hors de la zone euro : les Allemands sont de médiocres investisseurs internationaux, dégageant des rendements médiocres, et perdant régulièrement leur mises.

Un article de 2019 (Hünnekes et alii (2019)) avait déjà constaté qu’entre 1980 et 2016 l’Allemagne avait été le pire pays dans ses choix d’investissement, très très loin des rendements de la moyenne des marchés de capitaux, des investissements des Britanniques ou des Américains !

Une mise à jour de l’article de début 2025 (Hünnekes et alii (2025)) constate que c’est toujours le cas, que l’Allemagne, en tant qu’investisseur international, malgré les volumes considérables – 2,5 fois le PIB annuel, 250% ! – joue en « troisième division ».

La France par exemple réussit à équilibrer ses comptes nationaux entre dette publique et épargne privée. Sa balance des paiements est étonnamment robuste grâce aux dividendes internationaux, revenus financiers rapatriés, et revenus du tourisme compensant quasiment son déficit commercial.
C’est pourquoi la France n’est PAS en faillite. Elle joue avec moins d’épargne un bien meilleur jeu financier.

Mais il y a un point commun entre les deux pays : les choix politiques, économiques, financiers et fiscaux favorisent une petite minorité qui n’a pas intérêt à une forte demande intérieure, susceptible de créer une inflation menaçant la rente. Les deux pays refusent d’investir l’épargne accumulée dans leurs propres infrastructures, dans leurs propres peuples. L’argent est là.

Dans le cas de l’Allemagne, le choix enfin d’annuler la règle constitutionnelle de la règle d’or devrait permettre de réorienter ses flux financiers. On ne peut que le souhaiter, non seulement pour les Allemands et l’Europe, mais aussi pour les responsables financiers allemands.
Ils sauront bien mieux sortir des rendements localement que sur des produits internationaux auxquels ils ne comprennent rien.

Ce n’est sans doute pas un hasard si la mesure a été poussée par un ancien directeur de fonds d’investissement, Merz.

La décision de certains de ses députés refusant de l’investir chancelier dès le premier vote par rejet de cette réorientation est donc doublement absurde : elle affaiblit leur chancelier, et retarde une correction d’un comportement où ils perdent de l’argent !

Mais si l’on cherche des causes de la frustration allemande, elle est là : le déficit d’investissement dans le pays alors que les volumes d’épargne existent, sont visibles, et sont investis d’une manière médiocre pour des rendements inférieurs à la moyenne !

Ou, comme le dit une séquence dans le film « Le loup de Wall Street » en pleine panique financière :
« Qui est encore assez stupide pour continuer d’acheter ?
– Düsseldorf. 
»

Mathieu Pouydesseau

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

Quelle ambition européenne pour la défense ?

Le mardi 18 mars 2025 était publié le très attendu livre blanc de la commission européenne sur la défense qui doit servir à alimenter les réflexions des 27 chefs d’État et de gouvernement. Parmi les principaux thèmes de ce rapport : l’émergence d’une véritable défense européenne, son financement, mais aussi une forme de « patriotisme économique », à savoir faire en sorte que l’argent européen mis sur la table serve à acheter des armes européennes, elles aussi.

Qui, parmi les Européens, achète européen ?

Le plus gros importateur d’armes aujourd’hui au sein de l’Union, c’est la Pologne : elle se fournit pour 87% de ses achats aux États-Unis et en Corée du Sud. Pour les Pays-Bas, deuxième importateur au sein de l’Union, ou pour l’Italie, c’est encore plus spectaculaire : les États-Unis représentent respectivement 97 et 94% de leurs achats d’armes.

D’autres pays sont au contraire plus équilibrés dans leurs sources d’approvisionnement, plus Européens aussi, comme la Grèce pour qui le plus gros fournisseur d’armes à hauteur des deux tiers de ses achats est la France, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne.

L’Union européenne peut-elle imposer aux États membres d’acheter européens ?

Non. Dans les traités européens, la défense n’est pas reconnue comme une compétence communautaire, ni exclusive (heureusement), ni même partagée avec les États membres. C’est donc à ces derniers de s’entendre politiquement, sur un périmètre qui ne sera ni toute l’Union Européenne (la Hongrie ou la Slovaquie se comportent aujourd’hui plutôt comme des alliés du Kremlin) ni la seule Union Européenne, car la Grande Bretagne et la Norvège ne sont pas des partenaires à négliger.

Mais la Commission peut mettre à leur disposition des outils, comme cela avait été fait après la crise sanitaire de 2020, lorsqu’il s’était agi d’acheter des vaccins en commun. L’idée d’une centrale d’achat européenne est revenue avec force ces dernières semaines. Il s’agirait d’un cadre commun dans lequel les États européens pourraient, à plusieurs, peser davantage dans les négociations avec les industriels de l’armement pour faire baisser les coûts, quitte à ce que la commission européenne abonde pour diminuer la charge budgétaire des États membres lorsqu’ils achètent européens. Les achats groupés figuraient bien dans les conclusions du dernier conseil, il y a deux semaines, mais sans préciser si ces achats devaient être prioritairement européens.

Enjeu industriel

Pour acheter européen, encore faut-il que le secteur européen de l’armement puisse suivre. Le tissu industriel de défense a des lacunes en Europe sur des équipements précis comme les drones, par exemple, ou les systèmes de défense anti-drones. C’est pour cela que certains pays comme la Pologne ou l’Allemagne plaident pour maintenir des achats hors Union européenne pour les équipements les plus urgents. Une première liste a été définie début mars incluant des systèmes d’artillerie de longue portée ou encore de défense aérienne. On pourrait pourtant penser que cet écueil puisse être rapidement dépassé pour certains matériels, mais nos voisins européens ont été habitués si longtemps à ne pas avoir d’effort à faire pour obtenir de la seconde main américaine, que le changement de dispositif n’a rien d’automatique.

On a vu à quel point il pouvait être compliqué de construire de véritables programmes d’armement européens. Dernier exemple en date, avec le SCAF, le système de combat aérien du futur porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, une alliance industrielle qui ne va pas de soi en matière de défense.

Structurés en 2017, les programmes SCAF et MGCS représentaient alors les deux principaux piliers d’une initiative franco-allemande voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour engager l’Europe sur une trajectoire plus autonome en matière de défense, avec en son cœur, les deux principales économies et puissances démographiques de l’Union Européenne. Depuis, l’enthousiasme initial a fait place à une défiance croissante, sinon des autorités, du moins d’une partie de l’opinion publique, des industriels et même des militaires, et ce, de part et d’autres du Rhin. Les difficultés se sont multipliées, amenant chacun de ces programmes au bord de l’implosion. Paris et Berlin s’étaient entendus en 2019 sur un partage des tâches à 50%-50% entre Dassault, désigné maître d’œuvre en raison de son expertise, et Airbus, qui représentait à l’époque la seule partie allemande. Mais les négociations ont été rouvertes après l’arrivée de Madrid et de nouvelles exigences de Berlin, les discussions portant notamment sur le partage du travail et les droits de propriété intellectuelle, alors que les trois pays doivent s’entendre sur le financement d’un démonstrateur de l’appareil destiné à remplacer le Rafale à l’horizon 2040. En dépit d’une trajectoire désormais plus sécurisée, sans être toutefois garantie, suite à une vigoureuse intervention des instances politiques des pays participants, de nombreuses interrogations subsistent dans le débat public autour de ces programmes. Un rapport de janvier 2024, émanant de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, va certainement venir encore accroître les inquiétudes les entourant.

Le volet des offres s’annonce au moins aussi compliqué que celui de la demande, pour lequel des financements et des aides européennes sont et seront encore débloqués dans les mois à venir.

Frédéric Faravel

Nouvelle ère, l’exigence de changements de cap en France et en Europe – contribution au débat de Marie-Noëlle Lienemann

article publié le mercredi 12 mars 2025 sur le site de Marie-Noëlle Lienemann

Promouvons une économie de défense et de souveraineté par des politiques de relance et de justice sociale

Nous entrons dans une nouvelle ère, mais réfléchissons sérieusement à ce qu’elle implique, définissons une stratégie à court et à moyen terme sans repartir dans de fausses directions qui s’avèreront des impasses !

La violence et la brutalité des annonces et du comportement de Donald Trump montrent une inflexion et une accélération d’une politique américaine qui avait relégué en seconde zone les enjeux européens pour concentrer son regard et ses actions en direction de l’Asie avec en ligne de mire la puissance chinoise. Déjà le soutien de l’administration de Biden à l’Ukraine était davantage calibré pour conjurer une avancée excessive de Poutine dans ce pays que pour lui infliger une cinglante défaite. Il est clair qu’elle ne souhaitait pas ouvrir un conflit majeur avec la Russie (ce que les dirigeants du Kremlin ont sans doute vite compris). Cela posait et pose encore la question majeure de la crédibilité du droit international. Ce n’est hélas pas le seul cas !

Mais là, il est vrai que l’inversion d’alliance ou pour le moins un rapprochement explicite des États-Unis d’Amérique avec la Russie constitue un fait nouveau. Trump face à la menace chinoise veut éviter un front Russie/Chine et, par ailleurs, compte bien poursuivre son impérialisme autour des USA (canal de Panama, Canada et Groenland).

Sans compter que se joue aussi l’accès aux terres rares, métaux et autres ressources indispensables au développement économique et technologique qui va constituer un point cardinal des relations internationales.

Dans cette perspective, l’Europe n’a aucune place sérieuse dans la logique trumpiste : ni assez de ressources naturelles, ni avancées technologiques majeures ! Et manifestement partager des idéaux démocratiques ne semble plus être une préoccupation prioritaire !

On nous annonce aujourd’hui un accord USA/Ukraine pour proposer à Moscou un cessez-le-feu. Tant mieux, et  la France doit agir au-delà pour qu’une paix équilibrée et durable soit signée. Pour l’heure, tout ceci est encore aléatoire. Mais cela n’empêche pas un constat lucide sur le changement de cadre géopolitique.

Le lâchage actuel de l’Ukraine et la totale indifférence à l’égard de l’Europe sommée, d’une part, d’assumer seule sa défense ou en tout cas de payer pour la garantir (ce que les Américains préconisent et ils n’hésiteront pas à faire pression dans ce sens) et, d’autre part, de rééquilibrer ses échanges commerciaux avec les USA, en particulier s’agissant des biens industriels, exige de notre part des réactions à la hauteur des enjeux.

Il faut reconquérir notre indépendance militaire. C’est vrai pour la France qui a des atouts au sein de l’UE et ce devrait être vrai pour l’Europe. Et si nos voisins européens semblent découvrir cette exigence, rien n’est en fait aujourd’hui très clair, si ce n’est le besoin de réengager un réarmement de notre continent pour faire face aux menaces qui pèsent sur lui.

Attention dans des moments troublés, il faut être rigoureux sur les mots comme sur les faits et n’entretenir ni des peurs irrationnelles ni des illusions trompeuses.

1- La France n’a pas à entrer dans une économie de guerre, elle doit entrer dans une économie de défense et de reconquête de souveraineté. C’est la meilleure garantie pour notre paix !

La France ne se situe pas en posture de guerre et actuellement n’est en guerre avec personne.

Néanmoins, elle doit rentrer dans une économie de défense parce qu’elle doit, d’une part, se préparer à d’éventuelles menaces que l’on voit poindre à l’horizon et qui pour une part (mais pour une part seulement…) ont changé de nature, mais aussi parce qu’elle subit dès à présent des attaques de type variées, comme il se doit dans des guerres hybrides. On a pu voir comment la Russie a agi pour la déstabilisation en Afrique ou comme les cyber-attaques se multiplient.

Une économie de souveraineté ne signifie pas fermer nos échanges et collaborations, ni renoncer à des alliances et à la construction européenne.  Mais il s’agit de se mettre en situation de maitriser au maximum notre avenir et faire face, si besoin, seuls à des lourds périls et de tous ordres.

Consacrer d’importants efforts pour renforcer nos capacités militaires et de défense est justifié car la seule dissuasion nucléaire ne saurait suffire, elle doit être l’ultime recours et suppose d’être appuyée sur des moyens conventionnels suffisants et consistants.

De fait, nos choix récents étaient davantage tournés vers la projection extérieure, la lutte contre le terrorisme et moins sur la défense de notre territoire national. Cela doit redevenir la priorité.

Il faut donc y consacrer des crédits importants et accompagner une montée en puissance de la production d’armements. Evidemment cette constatation exige des changements majeurs de politique économique et la gauche doit faire des propositions sérieuses et offensives et ne pas se laisser embarquer dans le durcissement de la politique austéritaire et de reculs sociaux qui n’a fait que nous affaiblir !

2- Ne partons pas tête baissée dans l’idée d’une défense européenne ! Parlons de la défense de l’Europe et de la défense de la France ! Engageons de premiers jalons et réarmons notre pays.

Ne théorisons pas notre incapacité dans ce monde nouveau à pouvoir être maître de notre destin, avec cette formule rabâchée à l’envie : nous ne pouvons plus agir seuls, on ne peut le faire qu’avec l’Europe !

Certes, il est mieux agir de concert avec nos voisins européens et consolider nos liens pour ensemble être plus forts, et nous devons faire le maximum pour cela. Mais en aucune façon, nous ne devons accepter de nous trouver affaiblis ou incapables de faire prévaloir nos choix, nos intérêts, nos valeurs, de garantir notre indépendance ! brefs partenaires oui, vassaux – de fait – jamais !

Certes, nous devons très vite avec les Européens (et il y a déjà un problème de définition et de périmètre, puisque, d’une part, le Royaume-Uni est hors de l’UE et, d’autre part, certains pays comme la Hongrie ne sont pas nécessairement très fiables) agir de concert en particulier en soutien à l’Ukraine, trouver les moyens de relancer la production militaire dans nos pays et consacrer les sommes qui s’imposent pour la défense. Mais faut-il encore être au clair sur ce que ce changement radical de paradigme impose.

Nous devons favoriser la création d’une plateforme opérationnelle de défense entre Européens et eux seuls, ainsi que renforcer la production d’armement en Europe.  Mais il est extrêmement prématuré de parler de défense européenne. 

Oui il faut rapidement prendre des décisions pour produire des armes sur notre continent et la France doit engager des mesures d’urgence pour sa réindustrialisation.

Nous devons être extrêmement fermes avec nos voisins européens :  nous ne pouvons pas continuer à financer les budgets européens pour que les autres pays achètent des armes aux Américains ou hors UE. Certes, il va falloir un certain temps pour que cela ne soit plus nécessaire du tout, mais au moins veillons à ce qu’ils n’achètent plus des armements qui ne peuvent être produits en Europe. Le cas des F35 est un bon exemple.

Par ailleurs, sous l’effet de l’émotion, les dirigeants allemands semblent davantage décidés à avancer dans la direction de la coopération européenne.  Seuls les actes comptent et ne négligeons pas leur vulnérabilité aux pressions américaines sur leurs exportations outre-Atlantique et le chantage qui leur sera fait concernant l’achat de matériel américain. Ce ne serait hélas pas la première fois !  On a vu comment le Bundestag a tout fait pour faire capoter le projet européen d’hélicoptère Tigre III, ce qu’au final il a obtenu, et la Bundeswehr a acheté des hélicoptères à dominante américaine ! Trump ne va pas se gêner.

Mais de surcroit, il est fort probable que les Allemands mettent les énormes sommes annoncées pour son réarmement au service de productions nationales, parfois concurrentes aux entreprises françaises et il faut être attentifs car le passé récent exige notre vigilance : les coopérations franco-allemandes se sont souvent achevées par une prédation par les acteurs d’outre-Rhin de nos entreprises avec leurs avancées technologiques que de fait nous perdions !

Et en tout cas, s’agissant de l’armement français, il ne faudra pas compter uniquement sur les débouchés européens et il faudra continuer à travailler, voire intensifier la coopération, avec d’autres pays non alignés qui ne veulent pas être soumis aux diktat américains, russes ou chinois ! C’est d’ailleurs un point majeur de notre politique internationale : nouer des alliances avec les pays qui ne veulent pas entrer dans l’orbite des trois blocs impérialistes.

Rappelons que la défense doit demeurer une stratégie, une mise en œuvre souveraine de la Nation. Évidemment c’est particulièrement vrai de la dissuasion nucléaire qui ne saurait être partagée, même s’il revient à notre pays de définir librement les conditions de son utilisation.

3- Surtout pas de saut fédéraliste, mais des exigences immédiates de réorientation de l’UE !

D’abord fort heureusement, nous n’avons pas cédé aux sirènes fédéralistes car, sur de nombreux dossiers, la France était ultra-minoritaire. Si nous l’avions fait, nous serions encore davantage en hyper fragilité aujourd’hui, ne serait-ce que sur la poursuite de la production électrique nucléaire, mais aussi sur ses dépenses militaires.

La France, en tout cas souvent, avait eu raison.  Mais trop souvent aussi, elle n’a pas suffisamment créé un rapport de force pour exiger des réorientations majeures de l’Union Européenne et ce sont souvent ceux qui, aujourd’hui, nous pressent au fédéralisme qui, hier, nous poussaient à accepter la logique néolibérale et malthusienne, la thèse des autres, au nom de l’UE à tout prix. Et cela nous a conduit dans les impasses actuelles.
Ce fut vrai lors de l’acceptation des dogmes budgétaires inscrits dans le marbre des traités dans le traité d’Amsterdam. Nous disions alors que cette logique économique induirait structurellement un affaiblissement de la croissance ! Cela s’est hélas confirmé avec un décrochage massif en termes de PIB entre l’Europe et les USA mais avec quasiment toutes les autres régions du monde. Même dans ce cadre, nous plaidions pour que soit sorties des critères de dépenses publiques, les dépenses de défense !! Que nenni et alors que notre pays poursuivait un certain effort en ce sens, d’autres comme l’Allemagne nous montraient du doigt comme de mauvais élèves. Quand nous contestions la concurrence libre et non faussée, qui entretiendrait le dumping social et fiscal, on nous promettait un grand marché porteur de prospérité. Nous n’avons eu ni la prospérité ni le renforcement du sentiment européen, mais l’aggravation des inégalités, de la pauvreté, des tensions sociales qui nourrissent l’extrême droite et les populistes.

D’ailleurs le basculement fédéral dans ces circonstances serait d’autant plus dangereux.

On pourrait parler de la pongée aveugle dans la mondialisation libérale et le refus de sérieusement soutenir la production européenne et de prévoir des barrières aux frontières de l’UE. On pourrait citer les conditions du grand marché de l’électricité qui a renchéri le prix de l’énergie … bref la liste est longue.

Plus que jamais ce qu’il faut faire en Europe, c’est privilégier des coopérations intergouvernementales équilibrées, desserrer l’étau de l’austérité budgétaire et engager une nouvelle politique économique européenne, fondée sur la relance, une relance de reconstruction tant des investissements productifs, de recherche, d’innovation, d’éducation, que  d’un modèle social où les salariés peuvent vivre dignement de leur salaire, avec une protection sociale élevée  et d’un plus juste équilibre capital travail. Car l’atonie de la demande intérieure européenne pèse lourd sur nos industries et freine notre réindustrialisation.

Il n’y a pas d’exemple de réarmement sérieux d’un pays sans relance économique.

Cela suppose aussi de permettre à chaque État de retrouver sérieusement les moyens de sa compétitivité en dehors de cette logique destructrice de dumping social et en l’occurrence de faire baisser sérieusement notre prix de l’énergie. Donc avant de remettre en cause l’actuel marché de l’énergie (on notera qu’aujourd’hui l’Espagne qui s’est mis hors ce dernier est le pays où l’électricité est la moins chère !), nous devons exiger comme le suggère Olivier Lluansi dans son excellent livre Réindustrialiser, le défi d’une génération que 15% de la production nucléaire française puisse être vendue aux industriels à prix coûtant ! Nous avons des moyens de pressions si les résistances à ces dérogations étaient trop fortes. Agissons vite car il n’est pas exclu que rapidement soient rouverts les échanges de gaz avec la Russie à bas prix sous la bénédiction des Américains et qui à nouveau seront un avantage pour nos voisins outre-Rhin.

Au-delà, on ne peut plus tergiverser sur la mise en place de protections à nos frontières et des règles favorables à la consommation de proximité notamment pour les appels d’offre publics.  Hélas nous avons à travers les traités (rappelons que les Français l’avaient rejeté) confié l’ensemble de la politique commerciale de l’UE à la commission européenne. On en voit tous les jours les tristes conséquences, récemment encore avec le Mercosur, ou dans l’affaire des panneaux solaires chinois.  Mais cela risque d’être particulièrement douloureux pour la riposte aux attaques de Trump !

4- Une réaction effective et dissuasive à la hausse des droits de douanes annoncés par Trump !

Poutine et Trump n’ont en commun que de prendre en compte la force ! Alors face à sa hausse des droits de douanes, nous ne pouvons pas, comme la fois dernière, nous contenter de mesures limitées et ciblées, accompagnées d’un verbe haut. Mais la réalité était que rien de significatif ne touchait fortement les USA.

Si l’on veut frapper un grand coup, annonçons que nous allons taxer les armes américaines ou au moins un panel significatif dans les domaines où l’Europe est capable de prendre le relais ! Peut-être que cela amènera l’administration américaine à réduire ses prétentions et à discuter sérieusement. On le voit dès à présent dans la liste des « rétorsions » de la commission face à la hausse des taxes US sur l’acier et l’aluminium très limitée et juste ajustée à des sommes équivalentes à celle imposées par Trump. Bref c’est une position qui n’est en rien dissuasive !

Il est à craindre que la commission européenne comme d’habitude s’enlise dans des recherches de vains compromis sans avoir auparavant créé l’indispensable rapport de force ! Pire que Madame Von der Leyen négocie un fois de plus avec le prisme des intérêt allemands !

5- Pour mettre en œuvre une économie de défense et de souveraineté, en France aussi il faut changer d’orientations économiques et budgétaires et engager une politique de relance ! Relance par des investissements productifs (dont l’armement mais pas seulement) et par la consolidation de notre modèle social.

Relancer une économie de défense doit aller de pair avec un esprit de défense. Car face aux dangers, un peuple ne gagne pas seulement avec des moyens militaires (il en faut et les utiliser à bon escient) mais aussi un esprit de défense et cela exige plus de cohésion sociale, plus de justice, et autant que faire se peut la défense d’un idéal commun. Pour la France, c’est la République.

De surcroit, pour financer ces nouvelles dépenses, il est impératif de soutenir une politique de croissance qui, seule, garantit des ressources nouvelles et importantes. Il nous faut un grand plan de relance d’investissements productifs au sein desquels la recherche doit avoir une place significative car notre pays est très très loin derrière les autres pays développés. Il faut urgemment rattraper notre retard.

Mais une économie de défense et de souveraineté ne peut se contenter de soutenir les investissements militaires, elle doit concerner de très nombreux secteurs civils. D’ailleurs il est essentiel de bien mettre en synergie les deux dimensions civiles et militaires !  Insistons sur la reconquête d’une souveraineté numérique et technologique.

Face aux menaces chacun doit participer à proportion de ses facultés.

Emmanuel Macron a eu grand tort, a fait une grave erreur lorsqu’à peine disait-il que nous avions à faire face à une menace existentielle qu’il se précipitait à dire qu’il n’y aurait pas de hausses d’impôts, en clair que les plus riches ne seraient pas mis à contribution. Quelle honte !

Hélas, l’histoire a montré qu’une large part du patronat a souvent privilégié son portefeuille à la défense de la Nation et rares sont ceux qui ont fait œuvre de patriotisme et de résistance (il y en a eu néanmoins).

En tout cas faire porter l’effort de réarmement sur les salariés, sur la dégradation de notre modèle social serait une énorme erreur et serait voué à l’échec !

L’adhésion du peuple suppose la justice, l’effort d’abord demandé aux plus riches, au plus forts, une meilleure redistribution des richesses au service de l’intérêt national !

Je le répète c’est un impératif pour réussir !

Ni va-t’en guerre, ni tentés par une sous-estimations des menaces venant de Russie ou d’ailleurs, nous ne devons pas tarder à nous préparer à ce monde nouveau qu’il nous faut affronter avec lucidité, courage (en particulier de sortir des voies suivies jusqu’alors et qui nous ont affaiblies) avec chevillée au corps l’ambition d’être un peuple maître de son destin et de concourir à un monde qui ne saurait être partagé entre des empires dominants !

Bien d’autres questions et choix vont se poser à nous dans les mois qui viennent. C’est toute la noblesse d’une démocratie d’en débattre. Faisons-le sans tarder, sans esquiver les difficultés, avec sérieux en sortant des postures de communication ou des invectives et déclarations réductrices. Dans ces temps difficiles, soyons plus que jamais pleinement citoyens.

Marie-Noëlle Lienemann
ancienne ministre,
coordinatrice nationale de la GRS,
membre du conseil économique, social et environnemental

Protéger l’Europe et soutenir l’Ukraine ne justifie pas d’accélérer son adhésion à l’UE !

communiqué de presse d’Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste – mercredi 12 mars 2025

Je me suis abstenu sur la résolution débattue ce jour à l’Assemblée nationale pour renforcer notre soutien à l’Ukraine. 

La guerre déclenchée il y a trois ans par les armées de Vladimir Poutine a semé la mort et la destruction dans un pays qui n’aspire qu’à la liberté, la démocratie et l’indépendance.

La France a raison d’entreprendre une action résolue en faveur d’une paix juste et durable en Ukraine, assortie de garanties de sécurité suffisantes pour dissuader la Russie de jamais reprendre les hostilités.

A cet égard, la proposition conjointe des États-Unis et de l’Ukraine pour un cessez-le-feu est un pas dans la bonne direction. A présent, la balle est dans le camp de la Russie.

Mais la sécurité collective du continent européen nécessitera des efforts au long cours de la part des pays européens et de la France, dans le strict respect de son pacte social.

Nos compatriotes rejettent l’impérialisme meurtrier du Kremlin et souhaitent que l’Union européenne, enfin émancipée de la tutelle américaine, soit forte contre cette menace.

Mais ils ne souscrivent pas à l’idée que pour ce faire, l’Ukraine doive adhérer à l’UE, a fortiori de façon accélérée ! Une telle adhésion provoquerait des déséquilibres financiers et économiques insolubles, particulièrement pour nos agriculteurs.

Ces derniers ne sauraient être la variable d’ajustement d’un mouvement irréfléchi qui mettrait en danger notre souveraineté alimentaire et au-delà, l’idée même de la construction européenne.

Les Français soutiennent la volonté exprimée par la majorité des forces politiques pour soutenir l’Ukraine contre son agresseur. Mais toute volonté d’accélérer l’histoire sans les consulter serait vouée à l’échec.

intervention d’Emmanuel Maurel en séance le mercredi 12 mars 2025 à l’Assemblée nationale

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