Sortir par le Haut

Après une élection présidentielle frustrante et décevante, les législatives, en dépit de l’arrivée salutaire d’un nombre important d’élus de gauche, précipitent notre pays dans une période confuse et incertaine. 

La composition de la nouvelle Assemblée nationale confirme l’absence d’adhésion majoritaire au projet du président. On ne peut que constater l’avènement d’une “tripartition bloquante”: bloc de gauche, bloc droite/RN et bloc macroniste s’équilibrent et s’entravent mutuellement.

Cette situation témoigne d’abord du rejet des politiques menées depuis de trop nombreuses années au détriment des aspirations populaires. Elle témoigne également de l’essoufflement de la Vème République. Le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral étaient censés présidentialiser le régime et faire de l’élection législative une formalité pour le camp du chef de l’État. Le scrutin majoritaire avait vocation à donner de la « stabilité » à la vie politique. Les Français ont choisi de “proportionnaliser” le scrutin et de rééquilibrer les pouvoirs. 

La France est confrontée à une grave crise démocratique

Ainsi, l’abstention s’enkyste dans le pays de façon préoccupante. Plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé dimanche. Une désertion citoyenne s’installe élection après élection, à laquelle nombre de commentateurs et d’acteurs semblent se résigner. Pourtant, quand la jeunesse et les classes populaires refusent de participer à un scrutin aussi décisif, c’est la vitalité de la nation elle-même qui se trouve gravement menacée. 

Si l’abstention confirme son rang de vainqueur, Emmanuel Macron occupe celui de premier vaincu. Le scrutin de dimanche constitue un désaveu majeur et inédit pour un président fraîchement reconduit. Rattrapé par un dégagisme dont il fut naguère le bénéficiaire, il est le principal artisan de sa défaite.

Réélu par défaut, il s’est empressé d’écœurer ceux qui lui ont permis de battre le Pen. En mettant en exergue une seule mesure programmatique, la retraite à 65 ans, il a conforté son image de dirigeant obtus et injuste. En composant, au terme d’interminables consultations, un gouvernement aussi enthousiasmant qu’un slogan de Giscard, en refusant le débat pendant la campagne législative, en n’affirmant ni cap ni stratégie, il a donné l’impression de se moquer des Français, de leurs inquiétudes et de leurs aspirations. Les électeurs, en le privant de majorité, l’ont puni de cette désinvolture coupable.

Pire encore : celui qui fut présenté comme le « meilleur rempart » contre le Rassemblement National n’aura pas empêché celui-ci de réaliser une progression historique. Même avec la proportionnelle, l’extrême droite n’avait pas envoyé un tel nombre de députés au Palais Bourbon. Le refus du « front républicain », à droite, chez les macronistes, et même parfois à gauche, y aura contribué. Reste que cette dynamique brune vient de loin : faute d’avoir répondu aux angoisses des classes populaires des territoires délaissés par la mondialisation, faute d’avoir su combattre les inégalités territoriales et sociales, les gouvernements successifs ont préparé le terrain à ce succès électoral. Deux fois présente consécutivement au deuxième tour de l’élection présidentielle, disposant d’un groupe pléthorique à l’assemblée nationale, l’extrême droite peut aujourd’hui prétendre au pouvoir.

C’est à la gauche qu’il revient de briser cette ascension. Pour cela, il faudra qu’elle casse elle aussi un « plafond de verre », autant sociologique que politique. Certes, la stratégie unitaire ayant conduit à la formation de la NUPES aura permis à la gauche d’envoyer à l’Assemblée un nombre d’élus important (près de 150) en dépit d’un résultat en voix relativement faible. La France Insoumise est l’incontestable bénéficiaire (elle passe de 17 à près de 80 députés) de la coalition électorale qu’elle a finalement suscitée.

Militants unitaires, nous avons rappelé qu’une dynamique de rassemblement se construit dans le temps, autour d’axes programmatiques longuement débattus, et ne saurait se résumer à un seul accord électoral.

Nous avons également contesté le principe d’un accord général et exclusif : à rebours de la tradition de la gauche, il a abouti à un certain nombre d’erreurs. La diversité du camp progressiste n’a pas été suffisamment prise en compte. Le calcul au trébuchet des rapports de force n’a pas permis le choix optimal des candidats sur le terrain, comme l’ont déploré nombre de responsables locaux.

Mais le problème principal est ailleurs : la carte électorale révèle que, comme lors de l’élection présidentielle, l’audience de la NUPES est géographiquement et sociologiquement circonscrite. Elle triomphe dans les centres métropolitains et les banlieues proches mais décline souvent dans les territoires ruraux, villes moyennes et secteur péri-urbains. De surcroît, la gauche perd du terrain chez les actifs, ouvriers et employés. Cette chute est particulièrement marquée dans les régions qui lui furent longtemps acquises, des anciens bastions ouvriers du Nord et de l’Est aux terres rurales du Sud-Ouest. Et ce au profit du RN qui réalise des « grands chelems » dans certains départements longtemps (voire encore) socialistes.

Le rétrécissement sociologique de l’électorat de gauche est l’un principaux problèmes politiques qui nous est aujourd’hui posé, comme l’avancent à raison des élus comme François Ruffin ou Fabien Roussel et comme nous n’avons cessé de le souligner, ainsi qu’Arnaud Montebourg. Or pour répondre aux intérêts des classes populaires, si hétérogènes soient-elles, il faut que les forces progressistes ne négligent aucune des préoccupations de celles-ci : pouvoir d’achat, délitement des services publics, climat mais aussi insécurité sociale et physique, atteintes répétées à la laïcité, disparition du monde rural.

La gauche n’est pas condamnée à être « le plus gros des tiers ». Elle ne saurait se satisfaire de cette perspective qui ne lui permettra pas de gouverner dans la durée et de transformer durablement la vie de nos concitoyens. L’enjeu est bel est bien de reconstruire une gauche à vocation majoritaire et elle peut atteindre cet objectif si elle se fixe pour objectif d’arracher au RN ou à l’abstention les ouvriers et les employés des zones péri-urbaines et rurales, si elle sait se hausser à la hauteur du projet rassembleur et d’intérêt général que la situation exige (guerre en Europe, crise sanitaire, pouvoir d’achat en baisse drastique, dérèglement climatique, désindustrialisation du pays, perte des repères républicains…). Cela passe par un équilibre subtil entre mesures de justice et réponses d’ordre, entre radicalité et crédibilité. Cela implique de prendre en compte les éléments d’une politique de redressement républicain : retour de l’État dans la vie économique et sociale, augmentation massive des bas salaires et solidarité sociale, égalité et laïcité, démondialisation, promotion inlassable du « made in France », transition écologique et objectif zéro pétrole, égalité territoriale, refondation totale de nos institutions.

Dans ce contexte de crise multiforme, la gauche ne saurait se contenter de porter la colère. Pour ne pas être un facteur anxiogène supplémentaire, elle doit aussi rassurer et proposer, s’engager résolument à retrouver la confiance des couches populaires dans toutes leurs composantes, à s’implanter à nouveau sur l’ensemble du territoire sans en négliger aucun, réussir tout à la fois son élargissement et son unité dans le respect de sa diversité.

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