Emmanuel Maurel : « Aujourd’hui, pour être entendu, il faut surjouer l’indignation »

L’Express – entretien recueilli par Paul Chaulet,
publié le 03/04/2021 à 10:30

L’eurodéputé déplore la dégradation du débat public, illustré par une série de polémiques identitaires. Et appelle la gauche à renouer avec l’universalisme républicain.

Affaire de la mosquée de Strasbourg, polémiques autour des réunions non-mixtes… En pleine crise sanitaire, les sujets identitaires ont envahi le débat public ces dernières semaines. La polémique autour d’Audrey Pulvar a ainsi illustré les fractures au sein de la gauche sur la laïcité ou les discriminations. Dans un entretien à Libération publié dimanche, Jean-Luc Mélenchon dénonçait le manque de soutien des socialistes pour leur tête de liste aux régionales en Île-de-France.

Député européen (élu sur la liste LFI) et fondateur de la « Gauche républicaine et socialiste », Emmanuel Maurel est réputé pour ses convictions laïques et son attachement à la tradition universaliste. Dans un entretien à L’Express, il déplore la dégradation du débat public sur ces thématiques. « On est sommés de choisir son camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. L’ancien socialiste appelle la gauche à mettre l’accent sur les questions économiques et sociales, afin de reconquérir les classes populaires.

L’Express : Les propos d’Audrey Pulvar sur les réunions non-mixtes ont déclenché une vaste polémique. Vous avez évoqué dans Le Figaro une « déchéance de rationalité » du débat public. Débattre autour des sujets dits « républicains » ou « identitaires » est devenu impossible ?

Emmanuel Maurel : Cette déchéance de rationalité ne se limite pas à la gauche, elle est généralisée. Tout le monde est à cran en ce moment, en raison de cette crise interminable. Mais on observe une mutation profonde impulsée en partie par l’éclosion des chaînes de télévision en continu et des réseaux sociaux. Dans le débat public, il faut toujours avoir quelque chose à dire, le dire vite et privilégier le clash pour être repris. Les plus belles intelligences se sentent obligées d’en rajouter en termes de véhémence et de caricature pour être entendues.

C’est une « tweeterisation » de la vie politique. Il faut surjouer l’indignation pour attirer l’attention et vitupérer pour être écouté. À cela s’ajoute l’importation d’un phénomène nord-américain : tout le monde est tour à tour offenseur et offensé. On en arrive à une situation pénible où notre débat public donne l’impression de se résumer à une confrontation entre Eric Zemmour et Camélia Jordana. Ce n’est évidemment pas le cas dans le fond. Il faut rétablir un débat rationnel et respectueux.

Pourquoi cette crispation du débat public est-elle spécifiquement aiguë sur ces sujets identitaires ?

Nos sociétés sont taraudées par l’angoisse du déclin, leurs repères traditionnels sont brouillés. Elles sont en outre percutées par le néolibéralisme, qui a fait voler en éclat les solidarités collectives. C’est dans ce genre de situation que la passion identitaire refait surface. On se rattache à une identité souvent fantasmée, car il est terrifiant d’être laissé seul dans ce que Marx appelait les « eaux glacées du calcul égoïste » : la solitude de l’individu plongé dans le grand bain libéral.

Vous revendiquez une approche « rationnelle » sur ces thématiques. Vous ressentez une difficulté à vous faire entendre ?

Évidemment. Comme l’écrit le chercheur Christian Salmon, nous sommes passés de l’ère du storytelling à l’ère du clash. Il faut exacerber les tensions et adopter une pensée caricaturale pour l’emporter. Eric Zemmour incarne malheureusement cette époque : il a des avis tranchés et péremptoires sur tous les sujets, quitte à dire tantôt des horreurs, tantôt n’importe quoi, sans être contredit. Or, j’estime – même si les faits ne me donnent pas forcément raison – que la confrontation démocratique implique humilité, respect et attention aux arguments des autres.

Vous connaissez bien Jean-Luc Mélenchon. Quand il accuse le premier secrétaire du PS Olivier Faure de se faire le « relais des inquisitions de l’extrême droite », ne participe-t-il pas à ce phénomène ?

Je rappelle le contexte : certains à droite demandaient la dissolution de l’UNEF, les esprits se sont échauffés, les tweets ont fusé. On a le devoir de combattre cette position scandaleuse de la droite et de l’extrême droite mais on a le droit d’exprimer des critiques fortes sur les dérives de ce syndicat étudiant.

Les accusations de complicité avec l’extrême droite ou d’islamo-gauchisme irriguent le débat public. Le soupçon, plus que le désir de convaincre, semble s’emparer de la discussion publique…

Les débats sur l’Unef ou Audrey Pulvar l’ont montré : nous sommes sommés de choisir notre camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. Au final, il n’y a plus que les « complices des islamistes » et « les complices de l’extrême droite ». C’est évidemment faux et contre-productif : les vrais islamistes et les vrais fascistes peuvent prospérer tranquillement, car les mots perdent leur sens. Évidemment que Jean-Luc Mélenchon n’est pas complice de l’islamisme et qu’Olivier Faure n’est pas complice de l’extrême droite.

Dans cette période angoissante et incertaine, il faut un retour de la rationalité en politique. Cela n’est pas synonyme de fadeur ou de centrisme. La nuance a sa grandeur. Et cela n’empêche pas de répondre aux vrais problèmes, par exemple, dans le cas d’espèce, de la persistance des discriminations et du racisme qui défigurent notre nation.

Le terme d’islamo-gauchisme recouvre-t-il une réalité selon vous ?

Cette expression en dit plus sur ceux qui l’utilisent pour conspuer leurs adversaires que sur ceux qui sont censés l’être. Ce n’est pas un hasard si Madame Vidal l’a balancée alors que des milliers d’étudiants font la queue devant les centres de distribution alimentaire.

Si l’on veut vraiment s’attarder sur ce thème, il renvoie à un moment particulier de l’histoire de l’extrême gauche. Une toute petite partie de l’extrême gauche estimait que les musulmans étaient un facteur révolutionnaire car opprimés. Mais de nos jours, c’est devenu un mot-valise pour discréditer, comme le terme « populiste ». Le terme est tellement péremptoire et définitif qu’il empêche toute discussion.

Les débats les plus clivants au sein de la gauche ne portent pas sur la politique économique ou la question sociale, mais sur ces sujets républicains. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut rappeler une chose : le pouvoir a une responsabilité immense dans l’abaissement du débat public. Emmanuel Macron a prononcé en 2018 un discours plus qu’ambigu sur la religion au collège des Bernardins ; et avait parlé des « mâles blancs » lors de la présentation du plan banlieue. Il a contribué à cette « essentialisation » du débat public et a installé un agenda qui n’est pas le nôtre .

Quant à la gauche, elle s’est retrouvée acculée après le désastre du quinquennat de Hollande. Cette perte de repères se traduit assez bizarrement par la focalisation sur ce qu’on appelait autrefois des « contradictions secondaires », au détriment des sujets qui intéressent le plus grand nombre. Je trouve lunaire que l’on parle pendant deux semaines des réunions non-mixtes, même si je n’en pense pas du bien. Cela ne mérite pas autant de polémiques. Évidemment, la droite et l’extrême droite se frottent les mains.

Personne ne me parle de l’Unef, de l’écriture inclusive ou des réunions non mixtes dans ce contexte de crise sanitaire. Les gens parlent de l’éducation, du système de santé ou du chômage. La gauche doit rester maîtresse de ses combats, et en revenir aux questions essentielles qui intéressent la majorité de nos compatriotes, ceux qui travaillent, ceux qui sont exposés à la précarité et dont les espérances sont assombries par la crise du capitalisme.

La gauche prend un risque politique à s’enliser dans ces polémiques ?

Oui. La coupure de la gauche avec le peuple a commencé avec l’exercice du pouvoir. Jusqu’à la fin du XXe siècle, les socialistes et leurs partenaires avaient réussi l’alliance entre les classes populaires et les classes moyennes. Comme elle a perdu les classes populaires à force de renoncements économiques, la gauche réduit trop souvent sa pensée à des éléments de langage s’adressant surtout aux classes moyennes intégrées. Elle risque de s’éloigner encore davantage du plus grand nombre.

Dire cela ne m’empêche pas de penser qu’il n’y a pas de sursaut possible pour la gauche si elle ne renoue pas avec l’universalisme républicain. C’était la clé du succès de Mélenchon en 2017 : un humanisme généreux et un universalisme assumé…

Il s’en éloigne?

A mon avis, il ne doit pas s’en éloigner.

A treize mois de l’élection présidentielle, la gauche part en ordre dispersé. Son éclatement est inévitable ?

Rien n’est inéluctable. Il y a un refus net de l’électorat de gauche de rejouer le duel Macron-Le Pen en 2022. Il y a la crainte légitime de l’extrême droite, que le pouvoir a nourrie par sa politique et avec laquelle il rêve de se retrouver au deuxième tour. Il y a une aspiration unitaire dans notre électorat. Les gens ne disent pas que la recherche de l’unité est une condition suffisante mais qu’elle est une condition nécessaire.

Enfin, on a tout intérêt à reparler des questions économiques, sociales et de la bifurcation écologique : je suis persuadé que l’on peut trouver des points d’entente entre nous sur ces sujets. La sortie de crise et le redressement d’un pays durement éprouvé, c’est l’enjeu essentiel pour 2022. Il faut se mettre autour de la table pour identifier nos convergences programmatiques.

Yannick Jadot se dit prêt à s’entretenir avec « tous les leaders de la gauche » afin d’aboutir à une candidature « unie » pour la présidentielle de 2022. Que pensez-vous de cette initiative, à laquelle vous êtes conviée ?

Comme toutes les initiatives unitaires, elle est bienvenue. On doit se désintoxiquer des institutions de la Ve République. Notre code génétique, c’est la délibération collective. C’est une question de méthode : nous devons nous accorder sur un programme d’intérêt général, les questions de personnes viendront après. Les dernières élections ont montré que l’imprévu et l’inattendu font partie du temps politique.

Au-delà de ses divisions, les sondages montrent la faiblesse du bloc de gauche pour 2022. Comment l’expliquez-vous ?

Ce reflux est historique et ne concerne pas que la France. Le début du siècle a été marqué par un fort recul de la social-démocratie, incapable de résister à la mondialisation financière. L’émergence d’une gauche plus radicale et la percée des écologistes ne sont pas parvenues à contenir le populisme de droite qui récupère des électeurs des classes populaires. Notre objectif doit être de renouer avec les ouvriers et les employés qui nous ont tourné le dos. Pour y parvenir, on doit parler de ce qui intéresse vraiment les gens : emploi, santé, éducation, sécurité, préservation de l’environnement. Ce n’est pas toujours le cas.

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?
Une émission de France Culture « LE TEMPS DU DÉBAT » par Emmanuel Laurentin
diffusée le jeudi 11 mars 2021 – 18h20

Frontières, industries, gestion sanitaire : la Covid a-t-elle réveillé des chantres insoupçonnés du souverainisme ? Que reste-t-il de la ligne internationaliste de la gauche ? Avec les enjeux aussi divers que recouvre le souverainisme, est-on sûr que les termes du débat soient justement posés ?


A l’occasion de la sortie en kiosque du nouveau numéro de la revue de France Culture, « Papiers » dont le dossier central se demande « par où est la gauche ? ». Soixante-trois personnalités répondent à cette question, de Bertrand Badie à Daniele Lienhart, d’Olivier Besancenot à Claire Nouvian ou d’Aude Lancelin à Thomas Piketty.
Il nous a semblé qu’une des questions importantes qui structurait la gauche ces derniers temps concernait la souveraineté, sanitaire, alimentaire ou bien énergétique. Une question pas si nouvelle, puisque le Parti communiste de Georges Marchais fut à la fois internationaliste et héraut d’une certaine souveraineté nationale. Puisque le chevenementisme a participé à développer cette idée de souveraineté à gauche. Mais est-ce la crise que nous connaissons qui motive le retour de cette idée ?

avec Emmanuel Maurel, député européen Gauche Républicaine et Socialiste, Aurore Lalucq, députée européenne Place publique, et Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférences en Science politique à l’Université de Montpellier.

Le souverainisme peut-il être un programme de gauche ?
Une émission de France Culture « LE TEMPS DU DÉBAT » par Emmanuel Laurentin

« Redevenir souverain (Reprendre le contrôle de nos destinées) » – Festival des idées, Emmanuel Maurel

A l’occasion de la deuxième édition du Festival des Idées (organisée à La Charité-sur-Loire, dans la Nièvre), était organisée une table ronde intitulée « Redevenir Souverain – Reprendre le contrôle de nos destinées ».
Les intervenants étaient :

  • Coralie Delaume, essayiste ;
  • Fabien Escalona, journaliste à Mediapart et docteur en sciences politiques ;
  • Emmanuel Maurel, député européen Gauche Républicaine & Socialiste (membre du groupe parlementaire de la Gauche Unitaire Européenne) ;
  • Beligh Nabli, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), auteur de plusieurs ouvrages notamment sur la géopolitique méditerranéenne.
    La table ronde était animée par William Leday, éditorialiste à Chronik.

Emmanuel Maurel, candidat GRS aux élections européennes

La Gauche républicaine et socialiste participe à la dynamique de la France insoumise dans son combat pour l’écologie populaire et la souveraineté républicaine, contre l’extrême droite et l’idéologie libérale. 4 candidats de la GRS aux européennes sont présents sur la liste France insoumise pour renforcer son action partout dans le pays : aujourd’hui nous vous présentons Emmanuel Maurel.

Qui es-tu ? 

Je suis né le 10 mai 1973 à Épinay-sur-Seine (93). Après des études de lettres modernes et d’histoire, je suis diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. J’ai, par la suite, enseigné dans le supérieur et suis l’auteur d’un manuel de droit constitutionnel.

Comment a commencé ton engagement ?

Très tôt militant, je suis élu municipal de Persan (95) et vice-président de la Région Île-de-France en charge des affaires européennes et internationales puis en charge de l’apprentissage, de la formation professionnelle, de l’alternance et de l’emploi jusqu’en 2014.Biographe de Jean Poperen, Éditorialiste de l’hebdomadaire « La Corrèze républicaine et socialiste » et directeur de publication du mensuel politique et culturel « Parti pris », j’ai toujours appartenu à l’aile gauche du PS.

Quel est le combat que tu portes ou que tu souhaites mener ? 

Depuis 2014, je suis député européen, membre des commissions « commerce international » et « affaires économiques ». Après le scandale « Panama Papers », je participe également à la commission d’enquête sur l’évasion fiscale. Tout au long de mon mandat, je m’engage notamment contre les méga-accords commerciaux qui vont à l’encontre des intérêts des salarié·e·s, des consommateur·rice·s et du respect de la planète (TAFTA, CETA, JEFTA…). Je me mobilise également en faveur du protectionnisme solidaire, proposant des textes législatifs visant à défendre les salaires, les savoir-faire et les territoires menacés par les délocalisations et le dumping social. Enfin, je suis en première ligne dans le combat pour une fiscalité plus juste au moment où les multinationales comme McDonalds, Facebook, Google, etc. ne paient quasiment pas d’impôts dans les pays où ils réalisent des bénéfices. En octobre 2018, je quitte le Parti Socialiste afin de fonder l’APRES (Alternative pour un Programme Républicain, Écologiste et Socialiste). Au Parlement, je siège désormais au groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE/NGL).

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