ENTRETIEN. Comment faut-il comprendre la hausse massive des droits de douanes décidée par les États-Unis ? Pour notre camarade, l’économiste David Cayla, interrogé par Quentin Rousseau pour Front Populaire, le pari protectionniste trumpien est à l’évidence très risqué. Mais il n’en porte pas moins un rude coup à la mondialisation néolibérale. Nous publions cet entretien avec l’accord de David Cayla.
David Cayla est maître de conférence en économie à l’Université d’Angers. Spécialiste du néolibéralisme, de l’économie européenne, et fin connaisseur de la question du protectionnisme, il défend une économie hétérodoxe. Son dernier livre en date : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éd. Le Bord de l’eau, 2024).
Front Populaire : Comment qualifiez-vous la politique commerciale et tarifaire lancée par Donald Trump ? Que cherche-t-il à accomplir en imposant des tarifs douaniers au reste du monde ?
David Cayla : C’est clairement une politique commerciale protectionniste qui renoue avec la tradition commerciale américaine de la deuxième moitié du XIXème siècle. En 1861, sous la pression du député du Vermont Justin Morrill, le Président démocrate James Buchanan fut contraint de signer une loi imposant des droits de douane d’environ 45% sur la grande majorité des importations américaines. Cette hausse tarifaire fut l’une des causes de la guerre de Sécession car les États esclavagistes qui exportaient leur coton en Europe étaient de farouches partisans du libre-échange.
Après 1910, les Américains deviennent la première économie mondiale. Les droits de douanes baissent quelques années, avant de repartir à la hausse à partir de 1920. Dans les années 1930 les droits de douanes retrouvent leurs niveaux de la fin du XIXe siècle, même si moins de produits sont concernés. Enfin, de 1947 (signature du GATT, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) au premier mandat de Trump, les droits de douane baissent jusqu’à un niveau moyen de 2 à 5%.
Que cherche Trump avec ces droits de douane ? La même chose qu’au XIXe siècle. Il s’agit simplement de protéger l’industrie manufacturière américaine et les emplois. Il est à noter que toutes les importations ne sont pas concernées par les hausses tarifaires. Les matières premières, les services, l’énergie, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques sont exemptés, ce qui dénote bien que le souci principal de cette politique est de protéger l’industrie manufacturière.
FP : Les critiques contre la nouvelle politique américaine fusent, y compris dans son camp. Sont-elles justifiées selon vous ?
DC : Il y a deux sortes de critiques. Les critiques idéologiques proviennent de ceux qui font du développement du commerce international l’alpha et l’omega de la politique économique. Ces partisans de la mondialisation néolibérale sont effarés qu’on puisse remettre en cause cet édifice construit patiemment durant des décennies. Ils croient au libre-échange sans recul ni questions et ne comprennent tout simplement pas qu’on puisse le contester. Ces critiques, même si elles se déploient très largement dans les médias, n’ont aucune justification et aucun intérêt. La politique commerciale mérite mieux que ces hauts cris effarouchés.
D’autres critiques plus pragmatiques sont néanmoins justifiées. Disons-le clairement, le pari de Donald Trump est risqué et a toutes les chances d’échouer. Une hausse des droits de douane à elle seule ne peut suffire à réindustrialiser l’économie américaine pour au moins trois raisons.
Il existe de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur.
Premièrement, le système productif américain est très dépendant des importations. La hausse des droits de douanes sur les composants importés va renchérir le coût de fabrication de l’industrie manufacturière, même si les matières premières et l’énergie sont exemptés. Deuxièmement, ces droits de douanes sont inflationnistes. En effet, tous les produits importés ne pourront être remplacés par une production locale. Or, si les prix augmentent, les consommateurs américains vont reporter leurs achats de biens manufacturés, notamment d’automobiles… ce qui en fin de compte risque d’affaiblir les carnets de commande et les secteurs mêmes que les droits de douane sont censés aider. Enfin, il n’est pas sûr que les Américains parviennent à compenser les importations par une production nationale. Pour cela, il faudrait une réserve de main-d’œuvre employable. Or, le taux de chômage américain est faible et la politique d’expulsion des migrants prive les États-Unis d’une partie importante de leur main-d’œuvre.
Il existe donc de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur. Dans ce cas, tout ce que produira cette politique sera une hausse des prix et un appauvrissement des ménages américains.
FP : Comment faut-il interpréter les chutes boursières qui ont suivi, notamment en Asie et en Europe ?
DC : La crise boursière ne peut être une surprise. Toutes les grandes entreprises cotées évoluent dans une économie mondiale qui leur permet de jouer des différences de législation et de règlementation pour produire au moindre coût. Rétablir des barrières douanières, c’est attaquer frontalement ce modèle économique.
De plus, les États-Unis sont, de loin, le premier marché mondial en termes de biens de consommations. L’un dans l’autre, les entreprises cotées du monde entier doivent s’attendre à une forte baisse de leurs profits. Il est donc logique que leur cours boursier s’effondre. De plus, Trump ouvre une guerre commerciale mondiale dont il est difficile de prévoir les conséquences. Cette incertitude participe à créer de la volatilité boursière et explique aussi l’effondrement des bourses mondiales qui deviennent sensibles aux rumeurs et aux spéculateurs.
FP : L’Union européenne s’est fondée sur l’idée que le politique était inféodé à l’économie – et au libre-échange. Que pensez-vous de sa réponse aux nouveaux tarifs américains ?
DC : Je suis loin d’être convaincu par les réponses européennes. L’Union européenne se retrouve confronté à un choix impossible. Soit accepter les droits de douanes américains sans chercher à défendre ses intérêts, soit répliquer au risque de voir la politique commerciale américaine se durcir. Or, l’Union européenne, et singulièrement l’Allemagne, ont besoin d’exporter aux États-Unis. L’Allemagne vient de subir deux années consécutives de récession tandis que son industrie a été lourdement affectée par la crise du gaz.
(…) S’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre.
Dans ce contexte, la seule stratégie européenne susceptible de rallier l’ensemble de ses membres serait le retour au libre-échange. C’est la raison pour laquelle Ursula von der Leyen a proposé aux États-Unis… un accord de libre-échange. Cet accord n’avait évidemment aucune chance d’être accepté, d’autant que l’administration Trump considère la TVA comme un droit de douane déguisé, puisqu’il taxe les importations européennes mais pas leurs exportations, permettant ainsi aux produits européens d’être vendus moins cher aux États-Unis qu’ils ne le sont en Europe. Rappelons qu’aux États-Unis seule une « sale tax » existe, mais son niveau (5-10%) est bien inférieur à celui de la TVA européenne.
À présent que la proposition européenne a été rejetée par la partie américaine, que va faire la Commission ? C’est à elle qu’incombe la responsabilité de négocier les traités commerciaux. Le problème est qu’en dehors du libre-échange dogmatique qui l’anime, il n’y a pas grand-chose. D’autant que, s’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre. Les exportateurs que sont l’Allemagne et l’Italie vont craindre une nouvelle hausse des droits de douane. L’Irlande, la base arrière des géants du numérique américains, ne voudra certainement pas qu’on impose des mesures de rétorsion aux grandes plateformes numériques.
Plus fondamentalement, l’UE est empêtrée dans des traités qui ont été entièrement réécrits dans les années 1980 et 1990, et sont donc très influencés par l’idéologie néolibérale. Cette inertie du droit européen est aujourd’hui un handicap car le monde bascule.
FP : La doctrine néolibérale et la mondialisation vont généralement main dans la main. Trump est-il en train de tourner la page du néolibéralisme ?
DC : C’est la thèse que je défends depuis plusieurs années. Le populisme trumpien est à la fois la conséquence de la mondialisation néolibérale et son antidote.
Néanmoins, cela ne signifie pas que ce qui est en train d’advenir est souhaitable. Le trumpisme est très loin d’être un humanisme. De fait, sortir du néolibéralisme ne conduira pas nécessairement à un meilleur monde. Il annonce au contraire le retour d’une logique impériale et l’affaiblissement d’un ordre mondial qui a longtemps cherché à s’organiser autour du multilatéralisme.
(…) En faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations.
FP : Dans ce contexte de guerre économique livrée par les États-Unis au reste du monde, quelle pourrait être une réaction intelligente de la France ?
DC : La France devrait militer pour des politiques de relance en Europe. Quel est le problème des entreprises européennes ? La faiblesse de leurs débouchés. Ainsi, au lieu de chercher à vendre notre surplus productif de l’autre côté de l’Atlantique, on ferait mieux de faire en sorte qu’il profite aux ménages européens. Au lieu de comprimer les salaires et les dépenses publiques partout en Europe, on ferait mieux de mobiliser notre épargne pour investir sur le sol européen.
Si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’en faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations. Il est plus que temps de rompre avec cette dépendance et d’accepter le fait que nous entrons dans un monde protectionniste où la demande intérieure devient à nouveau préférable aux tentations de la compétitivité extérieure.
Le mardi 18 mars 2025 était publié le très attendu livre blanc de la commission européenne sur la défense qui doit servir à alimenter les réflexions des 27 chefs d’État et de gouvernement. Parmi les principaux thèmes de ce rapport : l’émergence d’une véritable défense européenne, son financement, mais aussi une forme de « patriotisme économique », à savoir faire en sorte que l’argent européen mis sur la table serve à acheter des armes européennes, elles aussi.
Qui, parmi les Européens, achète européen ?
Le plus gros importateur d’armes aujourd’hui au sein de l’Union, c’est la Pologne : elle se fournit pour 87% de ses achats aux États-Unis et en Corée du Sud. Pour les Pays-Bas, deuxième importateur au sein de l’Union, ou pour l’Italie, c’est encore plus spectaculaire : les États-Unis représentent respectivement 97 et 94% de leurs achats d’armes.
D’autres pays sont au contraire plus équilibrés dans leurs sources d’approvisionnement, plus Européens aussi, comme la Grèce pour qui le plus gros fournisseur d’armes à hauteur des deux tiers de ses achats est la France, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne.
L’Union européenne peut-elle imposer aux États membres d’acheter européens ?
Non. Dans les traités européens, la défense n’est pas reconnue comme une compétence communautaire, ni exclusive (heureusement), ni même partagée avec les États membres. C’est donc à ces derniers de s’entendre politiquement, sur un périmètre qui ne sera ni toute l’Union Européenne (la Hongrie ou la Slovaquie se comportent aujourd’hui plutôt comme des alliés du Kremlin) ni la seule Union Européenne, car la Grande Bretagne et la Norvège ne sont pas des partenaires à négliger.
Mais la Commission peut mettre à leur disposition des outils, comme cela avait été fait après la crise sanitaire de 2020, lorsqu’il s’était agi d’acheter des vaccins en commun. L’idée d’une centrale d’achat européenne est revenue avec force ces dernières semaines. Il s’agirait d’un cadre commun dans lequel les États européens pourraient, à plusieurs, peser davantage dans les négociations avec les industriels de l’armement pour faire baisser les coûts, quitte à ce que la commission européenne abonde pour diminuer la charge budgétaire des États membres lorsqu’ils achètent européens. Les achats groupés figuraient bien dans les conclusions du dernier conseil, il y a deux semaines, mais sans préciser si ces achats devaient être prioritairement européens.
Enjeu industriel
Pour acheter européen, encore faut-il que le secteur européen de l’armement puisse suivre. Le tissu industriel de défense a des lacunes en Europe sur des équipements précis comme les drones, par exemple, ou les systèmes de défense anti-drones. C’est pour cela que certains pays comme la Pologne ou l’Allemagne plaident pour maintenir des achats hors Union européenne pour les équipements les plus urgents. Une première liste a été définie début mars incluant des systèmes d’artillerie de longue portée ou encore de défense aérienne. On pourrait pourtant penser que cet écueil puisse être rapidement dépassé pour certains matériels, mais nos voisins européens ont été habitués si longtemps à ne pas avoir d’effort à faire pour obtenir de la seconde main américaine, que le changement de dispositif n’a rien d’automatique.
On a vu à quel point il pouvait être compliqué de construire de véritables programmes d’armement européens. Dernier exemple en date, avec le SCAF, le système de combat aérien du futur porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, une alliance industrielle qui ne va pas de soi en matière de défense.
Structurés en 2017, les programmes SCAF et MGCS représentaient alors les deux principaux piliers d’une initiative franco-allemande voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour engager l’Europe sur une trajectoire plus autonome en matière de défense, avec en son cœur, les deux principales économies et puissances démographiques de l’Union Européenne. Depuis, l’enthousiasme initial a fait place à une défiance croissante, sinon des autorités, du moins d’une partie de l’opinion publique, des industriels et même des militaires, et ce, de part et d’autres du Rhin. Les difficultés se sont multipliées, amenant chacun de ces programmes au bord de l’implosion. Paris et Berlin s’étaient entendus en 2019 sur un partage des tâches à 50%-50% entre Dassault, désigné maître d’œuvre en raison de son expertise, et Airbus, qui représentait à l’époque la seule partie allemande. Mais les négociations ont été rouvertes après l’arrivée de Madrid et de nouvelles exigences de Berlin, les discussions portant notamment sur le partage du travail et les droits de propriété intellectuelle, alors que les trois pays doivent s’entendre sur le financement d’un démonstrateur de l’appareil destiné à remplacer le Rafale à l’horizon 2040. En dépit d’une trajectoire désormais plus sécurisée, sans être toutefois garantie, suite à une vigoureuse intervention des instances politiques des pays participants, de nombreuses interrogations subsistent dans le débat public autour de ces programmes. Un rapport de janvier 2024, émanant de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, va certainement venir encore accroître les inquiétudes les entourant.
Le volet des offres s’annonce au moins aussi compliqué que celui de la demande, pour lequel des financements et des aides européennes sont et seront encore débloqués dans les mois à venir.
Voice of America a été la grande radio, qui a agi pour que le bloc soviétique se fissure : cette radio va être débranchée. L’administration Trump a décidé des centaines de licenciements dans ce média public ; la Russie et la Chine se félicitent évidemment de ces licenciements.
Plusieurs employés de VOA qui ne pouvaient pas entrer dans leurs locaux ce samedi se sont entretenus avec des médias, en demandant l’anonymat pour se prémunir de toutes représailles : « On a fait taire la voix de l’Amérique, du moins pour l’instant », disait un reporter chevronné à CNN. « Ce n’est pas que notre salaire qui est en jeu », disait un employé de Radio Free Asia interrogé par France 24. « Nous avons des employés et des pigistes qui craignent pour leur sécurité. Nous avons des journalistes qui travaillent dans des pays autoritaires en Asie, nous avons des journalistes aux États-Unis qui craignent l’expulsion si leurs visas ne sont pas renouvelés. » « On nous a effacés d’un coup de stylo, poursuivait cet employé, c’est tout simplement atroce ».
VoA, un combat pour les libertés parfois à géométrie variable
« Les autocrates du monde entier font des sauts de joie. Hindenburg [sic], Hitler n’avaient pas réussi à faire taire la voix de l’Amérique, Staline, Vladimir Poutine, Mao non plus, les Ayatollahs en iran n’ont pas réussi à le faire, mais Donald Trump vient de réduire au silence la voix de la liberté. Pour la première fois depuis 1942, VoA a été retirée de l’antenne », écrit un éditorialiste du Washington Post.
La chaîne Voice of America avait été souvent critiquée pour son manque d’indépendance et son tropisme pro-américain dans sa couverture des faits dans les années 1950 à 1980. Accusée d’être « négligente » face au communisme par McCarthy, elle a été détachée du Département d’État américain en 1953 par Eisenhower ; cela ne l’avait pas empêché d’être un vecteur pour préparer les opinions latino-américaines avant divers coups d’État au Guatemala et en République Dominicaine ou avant l’opération de la Baie des Cochons à Cuba. Sa petite sœur Radio Free Asia, fondée en 1951 par la CIA pour contrer la nouvelle Chine communiste, a quant à elle servi de porte-voix à la propagande américaine durant toute la guerre du Viet Nâm.
Pourtant, elle jouait également un rôle crucial dans des pays où s’exerce un contrôle drastique des médias comme l’Iran, la Chine populaire ou la Corée du Nord ; elle a joué un rôle important dans la mise au jour de l’univers concentrationnaire au Xinjiang et de l’oppression des Ouïghours. VoA y avait également dénoncé les tentatives d’ingérence du gouvernement chinois dans les élections aux États-Unis, contré les efforts du régime de pékin pour dissimuler les origines de la pandémie de Covid.
Agence de presse, radio, télévision, VoA et ses réseaux avaient progressivement gagné leurs galons d’indépendance, résistant aux pressions de l’administration Bush après le 11-Septembre.
La joie des dictateurs et des usines à fakenews
L’administration a mis en congé, donc, la quasi-totalité de ses 1300 employés et l’administration a fermé les stations sœurs de VoA, Radio Free Europe, Radio Liberty et Radio Free Asia. « La voix de l’Amérique, le soi-disant symbole de la liberté, a été jeté par son propre gouvernement comme un vieux chiffon » s’est réjoui en Chine, le Global Times, l’organe de presse international du parti communiste chinois, qui qualifie également VoA d’usine à mensonge. La Russie se réjouit également de la disparition de ce média indépendant, qu’elle avait qualifié l’an dernier d’organisation indésirable.
« Trump a annoncé la fermeture soudaine de radio liberty et de VoA. C’est une bonne décision », selon la rédactrice en chef du média d’État russe, RT, Margarita Simonian, sur le plateau de Rossia Adin. Dans la foulée, le présentateur Vladimir Solofief s’est amusé de la fermeture de tous les médias indépendants américains avec la fin de leur financement. « C’est génial », renchérit la rédactrice en chef de RT, comme le montre le magazine newsweek.
L’audience de VoA était estimée à plus de 400 millions d’auditeurs, de téléspectateurs, d’internautes, pour une diffusion en 63 langues, selon le magazine conservateur Washington Examiner.
Le monde des « faits alternatifs »
« Les propagandistes chinois ont tout à gagner à faire taire les voix de la vérité et de la liberté », a dénoncé le Washington Post. Apparemment, l’administration Trump a le même intérêt.
Entre 2015 et 2021, Donald Trump avait publié plus de 2490 messages négatifs sur le média national, selon la base de données U.S. Press Freedom Tracker. Et cela ne prend en compte que ses messages sur les réseaux sociaux, dans lesquels il a régulièrement qualifié des chaînes, des journaux de « propagateurs de fake news » et d’« ennemis du peuple ».
Depuis son retour à la Maison-Blanche, l’administration Trump a retiré leur agrément et leur bureau au Pentagone à quatre médias : le New York Times, NBC News, NPR, et Politico.
Promouvons une économie de défense et de souveraineté par des politiques de relance et de justice sociale
Nous entrons dans une nouvelle ère, mais réfléchissons sérieusement à ce qu’elle implique, définissons une stratégie à court et à moyen terme sans repartir dans de fausses directions qui s’avèreront des impasses !
La violence et la brutalité des annonces et du comportement de Donald Trump montrent une inflexion et une accélération d’une politique américaine qui avait relégué en seconde zone les enjeux européens pour concentrer son regard et ses actions en direction de l’Asie avec en ligne de mire la puissance chinoise. Déjà le soutien de l’administration de Biden à l’Ukraine était davantage calibré pour conjurer une avancée excessive de Poutine dans ce pays que pour lui infliger une cinglante défaite. Il est clair qu’elle ne souhaitait pas ouvrir un conflit majeur avec la Russie (ce que les dirigeants du Kremlin ont sans doute vite compris). Cela posait et pose encore la question majeure de la crédibilité du droit international. Ce n’est hélas pas le seul cas !
Mais là, il est vrai que l’inversion d’alliance ou pour le moins un rapprochement explicite des États-Unis d’Amérique avec la Russie constitue un fait nouveau. Trump face à la menace chinoise veut éviter un front Russie/Chine et, par ailleurs, compte bien poursuivre son impérialisme autour des USA (canal de Panama, Canada et Groenland).
Sans compter que se joue aussi l’accès aux terres rares, métaux et autres ressources indispensables au développement économique et technologique qui va constituer un point cardinal des relations internationales.
Dans cette perspective, l’Europe n’a aucune place sérieuse dans la logique trumpiste : ni assez de ressources naturelles, ni avancées technologiques majeures ! Et manifestement partager des idéaux démocratiques ne semble plus être une préoccupation prioritaire !
On nous annonce aujourd’hui un accord USA/Ukraine pour proposer à Moscou un cessez-le-feu. Tant mieux, et la France doit agir au-delà pour qu’une paix équilibrée et durable soit signée. Pour l’heure, tout ceci est encore aléatoire. Mais cela n’empêche pas un constat lucide sur le changement de cadre géopolitique.
Le lâchage actuel de l’Ukraine et la totale indifférence à l’égard de l’Europe sommée, d’une part, d’assumer seule sa défense ou en tout cas de payer pour la garantir (ce que les Américains préconisent et ils n’hésiteront pas à faire pression dans ce sens) et, d’autre part, de rééquilibrer ses échanges commerciaux avec les USA, en particulier s’agissant des biens industriels, exige de notre part des réactions à la hauteur des enjeux.
Il faut reconquérir notre indépendance militaire. C’est vrai pour la France qui a des atouts au sein de l’UE et ce devrait être vrai pour l’Europe. Et si nos voisins européens semblent découvrir cette exigence, rien n’est en fait aujourd’hui très clair, si ce n’est le besoin de réengager un réarmement de notre continent pour faire face aux menaces qui pèsent sur lui.
Attention dans des moments troublés, il faut être rigoureux sur les mots comme sur les faits et n’entretenir ni des peurs irrationnelles ni des illusions trompeuses.
1- La France n’a pas à entrer dans une économie de guerre, elle doit entrer dans une économie de défense et de reconquête de souveraineté. C’est la meilleure garantie pour notre paix !
La France ne se situe pas en posture de guerre et actuellement n’est en guerre avec personne.
Néanmoins, elle doit rentrer dans une économie de défense parce qu’elle doit, d’une part, se préparer à d’éventuelles menaces que l’on voit poindre à l’horizon et qui pour une part (mais pour une part seulement…) ont changé de nature, mais aussi parce qu’elle subit dès à présent des attaques de type variées, comme il se doit dans des guerres hybrides. On a pu voir comment la Russie a agi pour la déstabilisation en Afrique ou comme les cyber-attaques se multiplient.
Une économie de souveraineté ne signifie pas fermer nos échanges et collaborations, ni renoncer à des alliances et à la construction européenne. Mais il s’agit de se mettre en situation de maitriser au maximum notre avenir et faire face, si besoin, seuls à des lourds périls et de tous ordres.
Consacrer d’importants efforts pour renforcer nos capacités militaires et de défense est justifié car la seule dissuasion nucléaire ne saurait suffire, elle doit être l’ultime recours et suppose d’être appuyée sur des moyens conventionnels suffisants et consistants.
De fait, nos choix récents étaient davantage tournés vers la projection extérieure, la lutte contre le terrorisme et moins sur la défense de notre territoire national. Cela doit redevenir la priorité.
Il faut donc y consacrer des crédits importants et accompagner une montée en puissance de la production d’armements. Evidemment cette constatation exige des changements majeurs de politique économique et la gauche doit faire des propositions sérieuses et offensives et ne pas se laisser embarquer dans le durcissement de la politique austéritaire et de reculs sociaux qui n’a fait que nous affaiblir !
2- Ne partons pas tête baissée dans l’idée d’une défense européenne ! Parlons de la défense de l’Europe et de la défense de la France ! Engageons de premiers jalons et réarmons notre pays.
Ne théorisons pas notre incapacité dans ce monde nouveau à pouvoir être maître de notre destin, avec cette formule rabâchée à l’envie : nous ne pouvons plus agir seuls, on ne peut le faire qu’avec l’Europe !
Certes, il est mieux agir de concert avec nos voisins européens et consolider nos liens pour ensemble être plus forts, et nous devons faire le maximum pour cela. Mais en aucune façon, nous ne devons accepter de nous trouver affaiblis ou incapables de faire prévaloir nos choix, nos intérêts, nos valeurs, de garantir notre indépendance ! brefs partenaires oui, vassaux – de fait – jamais !
Certes, nous devons très vite avec les Européens (et il y a déjà un problème de définition et de périmètre, puisque, d’une part, le Royaume-Uni est hors de l’UE et, d’autre part, certains pays comme la Hongrie ne sont pas nécessairement très fiables) agir de concert en particulier en soutien à l’Ukraine, trouver les moyens de relancer la production militaire dans nos pays et consacrer les sommes qui s’imposent pour la défense. Mais faut-il encore être au clair sur ce que ce changement radical de paradigme impose.
Nous devons favoriser la création d’une plateforme opérationnelle de défense entre Européens et eux seuls, ainsi que renforcer la production d’armement en Europe. Mais il est extrêmement prématuré de parler de défense européenne.
Oui il faut rapidement prendre des décisions pour produire des armes sur notre continent et la France doit engager des mesures d’urgence pour sa réindustrialisation.
Nous devons être extrêmement fermes avec nos voisins européens : nous ne pouvons pas continuer à financer les budgets européens pour que les autres pays achètent des armes aux Américains ou hors UE. Certes, il va falloir un certain temps pour que cela ne soit plus nécessaire du tout, mais au moins veillons à ce qu’ils n’achètent plus des armements qui ne peuvent être produits en Europe. Le cas des F35 est un bon exemple.
Par ailleurs, sous l’effet de l’émotion, les dirigeants allemands semblent davantage décidés à avancer dans la direction de la coopération européenne. Seuls les actes comptent et ne négligeons pas leur vulnérabilité aux pressions américaines sur leurs exportations outre-Atlantique et le chantage qui leur sera fait concernant l’achat de matériel américain. Ce ne serait hélas pas la première fois ! On a vu comment le Bundestag a tout fait pour faire capoter le projet européen d’hélicoptère Tigre III, ce qu’au final il a obtenu, et la Bundeswehr a acheté des hélicoptères à dominante américaine ! Trump ne va pas se gêner.
Mais de surcroit, il est fort probable que les Allemands mettent les énormes sommes annoncées pour son réarmement au service de productions nationales, parfois concurrentes aux entreprises françaises et il faut être attentifs car le passé récent exige notre vigilance : les coopérations franco-allemandes se sont souvent achevées par une prédation par les acteurs d’outre-Rhin de nos entreprises avec leurs avancées technologiques que de fait nous perdions !
Et en tout cas, s’agissant de l’armement français, il ne faudra pas compter uniquement sur les débouchés européens et il faudra continuer à travailler, voire intensifier la coopération, avec d’autres pays non alignés qui ne veulent pas être soumis aux diktat américains, russes ou chinois ! C’est d’ailleurs un point majeur de notre politique internationale : nouer des alliances avec les pays qui ne veulent pas entrer dans l’orbite des trois blocs impérialistes.
Rappelons que la défense doit demeurer une stratégie, une mise en œuvre souveraine de la Nation. Évidemment c’est particulièrement vrai de la dissuasion nucléaire qui ne saurait être partagée, même s’il revient à notre pays de définir librement les conditions de son utilisation.
3- Surtout pas de saut fédéraliste, mais des exigences immédiates de réorientation de l’UE !
D’abord fort heureusement, nous n’avons pas cédé aux sirènes fédéralistes car, sur de nombreux dossiers, la France était ultra-minoritaire. Si nous l’avions fait, nous serions encore davantage en hyper fragilité aujourd’hui, ne serait-ce que sur la poursuite de la production électrique nucléaire, mais aussi sur ses dépenses militaires.
La France, en tout cas souvent, avait eu raison. Mais trop souvent aussi, elle n’a pas suffisamment créé un rapport de force pour exiger des réorientations majeures de l’Union Européenne et ce sont souvent ceux qui, aujourd’hui, nous pressent au fédéralisme qui, hier, nous poussaient à accepter la logique néolibérale et malthusienne, la thèse des autres, au nom de l’UE à tout prix. Et cela nous a conduit dans les impasses actuelles. Ce fut vrai lors de l’acceptation des dogmes budgétaires inscrits dans le marbre des traités dans le traité d’Amsterdam. Nous disions alors que cette logique économique induirait structurellement un affaiblissement de la croissance ! Cela s’est hélas confirmé avec un décrochage massif en termes de PIB entre l’Europe et les USA mais avec quasiment toutes les autres régions du monde. Même dans ce cadre, nous plaidions pour que soit sorties des critères de dépenses publiques, les dépenses de défense !! Que nenni et alors que notre pays poursuivait un certain effort en ce sens, d’autres comme l’Allemagne nous montraient du doigt comme de mauvais élèves. Quand nous contestions la concurrence libre et non faussée, qui entretiendrait le dumping social et fiscal, on nous promettait un grand marché porteur de prospérité. Nous n’avons eu ni la prospérité ni le renforcement du sentiment européen, mais l’aggravation des inégalités, de la pauvreté, des tensions sociales qui nourrissent l’extrême droite et les populistes.
D’ailleurs le basculement fédéral dans ces circonstances serait d’autant plus dangereux.
On pourrait parler de la pongée aveugle dans la mondialisation libérale et le refus de sérieusement soutenir la production européenne et de prévoir des barrières aux frontières de l’UE. On pourrait citer les conditions du grand marché de l’électricité qui a renchéri le prix de l’énergie … bref la liste est longue.
Plus que jamais ce qu’il faut faire en Europe, c’est privilégier des coopérations intergouvernementales équilibrées, desserrer l’étau de l’austérité budgétaire et engager une nouvelle politique économique européenne, fondée sur la relance, une relance de reconstruction tant des investissements productifs, de recherche, d’innovation, d’éducation, que d’un modèle social où les salariés peuvent vivre dignement de leur salaire, avec une protection sociale élevée et d’un plus juste équilibre capital travail. Car l’atonie de la demande intérieure européenne pèse lourd sur nos industries et freine notre réindustrialisation.
Il n’y a pas d’exemple de réarmement sérieux d’un pays sans relance économique.
Cela suppose aussi de permettre à chaque État de retrouver sérieusement les moyens de sa compétitivité en dehors de cette logique destructrice de dumping social et en l’occurrence de faire baisser sérieusement notre prix de l’énergie. Donc avant de remettre en cause l’actuel marché de l’énergie (on notera qu’aujourd’hui l’Espagne qui s’est mis hors ce dernier est le pays où l’électricité est la moins chère !), nous devons exiger comme le suggère Olivier Lluansi dans son excellent livre Réindustrialiser, le défi d’une génération que 15% de la production nucléaire française puisse être vendue aux industriels à prix coûtant ! Nous avons des moyens de pressions si les résistances à ces dérogations étaient trop fortes. Agissons vite car il n’est pas exclu que rapidement soient rouverts les échanges de gaz avec la Russie à bas prix sous la bénédiction des Américains et qui à nouveau seront un avantage pour nos voisins outre-Rhin.
Au-delà, on ne peut plus tergiverser sur la mise en place de protections à nos frontières et des règles favorables à la consommation de proximité notamment pour les appels d’offre publics. Hélas nous avons à travers les traités (rappelons que les Français l’avaient rejeté) confié l’ensemble de la politique commerciale de l’UE à la commission européenne. On en voit tous les jours les tristes conséquences, récemment encore avec le Mercosur, ou dans l’affaire des panneaux solaires chinois. Mais cela risque d’être particulièrement douloureux pour la riposte aux attaques de Trump !
4- Une réaction effective et dissuasive à la hausse des droits de douanes annoncés par Trump !
Poutine et Trump n’ont en commun que de prendre en compte la force ! Alors face à sa hausse des droits de douanes, nous ne pouvons pas, comme la fois dernière, nous contenter de mesures limitées et ciblées, accompagnées d’un verbe haut. Mais la réalité était que rien de significatif ne touchait fortement les USA.
Si l’on veut frapper un grand coup, annonçons que nous allons taxer les armes américaines ou au moins un panel significatif dans les domaines où l’Europe est capable de prendre le relais ! Peut-être que cela amènera l’administration américaine à réduire ses prétentions et à discuter sérieusement. On le voit dès à présent dans la liste des « rétorsions » de la commission face à la hausse des taxes US sur l’acier et l’aluminium très limitée et juste ajustée à des sommes équivalentes à celle imposées par Trump. Bref c’est une position qui n’est en rien dissuasive !
Il est à craindre que la commission européenne comme d’habitude s’enlise dans des recherches de vains compromis sans avoir auparavant créé l’indispensable rapport de force ! Pire que Madame Von der Leyen négocie un fois de plus avec le prisme des intérêt allemands !
5- Pour mettre en œuvre une économie de défense et de souveraineté, en France aussi il faut changer d’orientations économiques et budgétaires et engager une politique de relance ! Relance par des investissements productifs (dont l’armement mais pas seulement) et par la consolidation de notre modèle social.
Relancer une économie de défense doit aller de pair avec un esprit de défense. Car face aux dangers, un peuple ne gagne pas seulement avec des moyens militaires (il en faut et les utiliser à bon escient) mais aussi un esprit de défense et cela exige plus de cohésion sociale, plus de justice, et autant que faire se peut la défense d’un idéal commun. Pour la France, c’est la République.
De surcroit, pour financer ces nouvelles dépenses, il est impératif de soutenir une politique de croissance qui, seule, garantit des ressources nouvelles et importantes. Il nous faut un grand plan de relance d’investissements productifs au sein desquels la recherche doit avoir une place significative car notre pays est très très loin derrière les autres pays développés. Il faut urgemment rattraper notre retard.
Mais une économie de défense et de souveraineté ne peut se contenter de soutenir les investissements militaires, elle doit concerner de très nombreux secteurs civils. D’ailleurs il est essentiel de bien mettre en synergie les deux dimensions civiles et militaires ! Insistons sur la reconquête d’une souveraineté numérique et technologique.
Face aux menaces chacun doit participer à proportion de ses facultés.
Emmanuel Macron a eu grand tort, a fait une grave erreur lorsqu’à peine disait-il que nous avions à faire face à une menace existentielle qu’il se précipitait à dire qu’il n’y aurait pas de hausses d’impôts, en clair que les plus riches ne seraient pas mis à contribution. Quelle honte !
Hélas, l’histoire a montré qu’une large part du patronat a souvent privilégié son portefeuille à la défense de la Nation et rares sont ceux qui ont fait œuvre de patriotisme et de résistance (il y en a eu néanmoins).
En tout cas faire porter l’effort de réarmement sur les salariés, sur la dégradation de notre modèle social serait une énorme erreur et serait voué à l’échec !
L’adhésion du peuple suppose la justice, l’effort d’abord demandé aux plus riches, au plus forts, une meilleure redistribution des richesses au service de l’intérêt national !
Je le répète c’est un impératif pour réussir !
Ni va-t’en guerre, ni tentés par une sous-estimations des menaces venant de Russie ou d’ailleurs, nous ne devons pas tarder à nous préparer à ce monde nouveau qu’il nous faut affronter avec lucidité, courage (en particulier de sortir des voies suivies jusqu’alors et qui nous ont affaiblies) avec chevillée au corps l’ambition d’être un peuple maître de son destin et de concourir à un monde qui ne saurait être partagé entre des empires dominants !
Bien d’autres questions et choix vont se poser à nous dans les mois qui viennent. C’est toute la noblesse d’une démocratie d’en débattre. Faisons-le sans tarder, sans esquiver les difficultés, avec sérieux en sortant des postures de communication ou des invectives et déclarations réductrices. Dans ces temps difficiles, soyons plus que jamais pleinement citoyens.
Marie-Noëlle Lienemann ancienne ministre, coordinatrice nationale de la GRS, membre du conseil économique, social et environnemental
Cette contribution au débat a été rédigée le vendredi 21 février 2025 par Frédéric Faravel pour nourrir la réflexion au sein de la Gauche Républicaine et Socialiste sur l’évolution brutale et rapide de la situation géopolitique européenne et internationale. Elle vise à sortir le débat public des alternatives caricaturales qui dominent dans les médias et les réseaux sociaux.
Il y a dix ans, la série TV norvégienne Occupied paraissait parfaitement décalée avec son scénario d’accord secret entre l’Union Européenne et la Russie pour subvertir une Norvège écolo ayant décidé d’abandonner l’extraction du pétrole en mer du nord. Aujourd’hui, on ne peut exclure le scénario d’une série finlandaise Conflict : un pays européen envahi à l’Est de l’Europe, les États-Unis très présents au début qui expriment très clairement le fait qu’ils n’apporteront pas de soutien aux membres de l’OTAN.
L’un des éléments majeurs du problème des États européens aujourd’hui est ainsi pointé : alors que toute l’Europe a fondé sa sécurité collective sur la solidarité américaine – plus encore après la chute du mur de Berlin quand pour les États d’Europe centrale et orientale l’adhésion à l’OTAN primait sur « l’intégration européenne » – elle ne bénéficie plus totalement du parapluie ou du bouclier américain. Les arguments invoqués à demi-mot par les Américains dans la série finlandaise paraissent assez réalistes : la priorité est donnée à la compétition avec la Chine en Asie et dans la zone indopacifique, c’est donc aux Européens de se débrouiller pour apaiser la situation et trouver une solution diplomatique sans réel soutien militaire.
Si l’élection de Donald Trump, et son accointance manifeste pour les États autoritaires et la conduite illibérale des affaires intérieures et internationales, est un facteur aggravant que nous voyons aujourd’hui dans la façon dont il tente de dépecer l’Ukraine au profit du Kremlin, il semble cependant évident que la toile de fond durable et générale de la géopolitique européenne, c’est une Europe de plus en plus aux prises avec une rivalité croissante qui se déroule entre trois grandes puissances impérialistes : les États-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie. Depuis des mois, voire des années, l’Europe est spectatrice, « victime collatérale », mais pas véritablement actrice de cet affrontement entre ces trois puissances.
La provincialisation de l’Europe ?
Comment est-on passé d’une situation où les États européens disposaient de la puissance et en usaient régulièrement sur un mode impérialiste, puis une Europe qui restait le cœur des enjeux économiques et géopolitiques, à une situation où l’Europe est devenue vassale et sur la voie de la marginalisation ? Les Européens ont d’une certaine manière unifié la planète : la première véritable mondialisation est passée par la colonisation, une « œuvre » européenne qui passe par le commerce, la guerre et la conquête, et du XVIIIème au début du XXème siècle les rivalités européennes ont fait du monde un champ de bataille unifié, un système poli, un système international unifié. Depuis le XXème siècle, c’est exactement l’inverse : les rivalités entre grandes puissances mondiales façonnent et transforment l’Europe et ont pesé par ailleurs sur son processus d’intégration.
L’Europe va-t-elle devenir provinciale, marginalisée par des grandes puissances extra-européennes, sans même en être le champ de bataille, l’arène principale de la compétition de puissance ? C’était pourtant encore le cas pendant la guerre froide, où Soviétiques et Américains se disputaient le contrôle de l’Europe. Non seulement les États européens semblent avoir perdu toute puissance, mais les puissances réelles s’occupent en réalité d’autres régions.
Nous savons que les États-Unis en tout cas ne considèrent plus l’Europe comme un enjeu réellement important. Avec Obama, Trump I et Biden (mais c’était déjà un sujet sous Clinton), ils se sont avant tout focalisés sur l’Asie et la zone indopacifique, en compétition avec la Chine, et Trump II – malgré les diversions contraintes où il doit amuser la galerie (Ukraine et Gaza) – concentre en réalité ses intervention sur le continent américain : toutes ses initiatives importantes depuis le début de son second mandat montrent plutôt un resserrement sur ce qu’on appelait l’hémisphère occidental, c’est-à-dire le pré-carré, Canada, Groenland, Panama…
En Europe, la priorité de Trump semble d’avoir la paix le plus rapidement, presque à tout prix, pour ne pas avoir à donner de troupes en Europe et à poursuivre le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Les provocations sur Gaza et la « Riviera du Proche-Orient » occupée par les Américains ne ressemblent en rien à une solution pérenne et semblent plutôt relever de la diversion. Pour l’Ukraine, manifestement, il n’y a pas non plus de solution évidente, mais celle qu’il répète avec son entourage est assez constante : il faut s’arrêter à la ligne de front actuelle et donner satisfaction au Kremlin sur le reste, soit un désarmement et une neutralisation de l’Ukraine (voire son émiettement) qui sinon serait une menace pour les pauvres russophones ; c’est en fait une reprise complète des arguments et des angles d’attaques traditionnels de Poutine.
La mobilisation des Européens, ainsi que la visite d’Emmanuel Macron à Washington en février, pourraient avoir infléchi la propension du Président américain à la capitulation, en obtenant de sa part des assurances, à ce stade verbales, sur les garanties de sécurité de l’Ukraine. Mais la versatilité et l’imprévisibilité de Trump incitent à la prudence. Avéré le même jour au Conseil de sécurité de l’ONU, où les USA se sont alliés à la Russie sur une résolution sur l’Ukraine ne comportant plus référence à son intégrité territoriale ni à son agresseur, cet alignement signifie que les États-Unis pourraient ne pas honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs alliés.
On pourra toujours rationaliser l’exigence de Trump I de voir les États européens membres de l’OTAN accroître leur participation financière à l’Alliance et leurs budgets militaires (sur ce dernier point, on peut même se dire qu’il y a une logique) mais on peut aussi y voir un prétexte qui servira le moment venu à se désengager en invoquant « l’absence d’effort » des Européens. Cette inquiétude européenne pousse les Ukrainiens à rentrer dans le débat pour ne pas être pris entre l’enclume américaine et la masse russe. Kyïv envoie ce message : « il faut pas que le sort de l’Europe soit décidé sans l’Europe, qu’elle soit court-cuitée par les grandes puissances ». Il y a quelques semaines à Davos, Volodymyr Zelensky disait que « le grand problème de l’Europe, c’est qu’elle peut pas se défendre ». Reconnaissons que c’est bien un problème parce que cela nous rend faibles et vulnérables et cela induit en réalité que personne n’éprouve le besoin d’écouter aucun des États européens.
L’Europe ? Combien de divisions ?
Le sujet n’est pas tant celui de l’Union Européenne car il faut également tenir compte de la Grande Bretagne. Qu’on le veuille ou non – les positions de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la sortie dans un premier temps du commandement intégré de l’Alliance atlantique sont explicites et elles peuvent servir de base pour réfléchir à une stratégie sans OTAN – nous sommes intégrés ensemble dans le cadre de l’OTAN. Toute évolution visant à sortir la France et l’Europe de son statut de faiblesse passera nécessairement par des initiatives en coordination avec la Grande Bretagne. Le Royaume-Uni est un pays qui, même s’il n’est plus dans l’Union européenne, est intéressé à la stabilité européenne.
Le problème de l’Europe n’est pas tant qu’elle n’aurait pas d’armées ou de budgets militaires – ils sont insuffisants mais les efforts dans ce domaine croissent – c’est que la dispersion, l’absence de coordination empêche toute conception d’une ligne de défense solide, vis-à-vis d’un régime russe agressif, qui puisse garantir d’alimenter l’Ukraine en armes si jamais, comme cela semble se dessiner, il faudrait l’assumer sans les États-Unis, et qui puisse garantir la sécurité de l’Ukraine si on doit lui donner des garanties de sécurité. Plusieurs petites armées, cela fait-il une grosse armée ?
C’est également un problème dans le dialogue avec Trump, qui veut imposer à chaque membre européen de l’OTAN de dépenser 5% de son budget pour sa défense. Une meilleure coordination au sein de l’UE avec une dépense à hauteur de 5% conduirait à dépenser collectivement plus que les USA en matière militaire. L’absence totale de coordination militaire et industrielle, la soumission de la majorité des armées européennes au marché militaire d’occasion américain, la concurrence entre productions et marchés européens (au bénéfice du matériel américain) aboutit dans la croissance de nos efforts budgétaires militaires à une colossale perte d’énergie et de crédits.
En 2023, la France a dépensé 2,1% de son budget pour la défense, contre 1,8% auparavant, un effort important dans le contexte budgétaire actuel. L’absence de coordination des dépenses pourrait donc à court terme poser des problèmes budgétaires croissant. Quand on doit acheter certains équipements dits « consommables » en masse – munitions, missiles, drones –, des équipements qu’on peut perdre rapidement et massivement sur le champ de bataille, il faut pouvoir renouveler très rapidement les stocks : une politique d’achat nationale non seulement rend difficile voire impossible cet objectif mais en plus facilite la submersion par le matériel américain en l’absence de toute règles collectives. L’exemple le plus parlant en la matière, c’est l’initiative de 2023 sur les munitions : les Européens se sont accordés pour fournir un million de d’obus d’artillerie aux Ukrainiens, mais en décidant que chacun d’entre eux négocie son contrat dans son coin, sans coordination (on ne parle même pas de centralisation), avec une politique d’achat interne ou extérieure. Résultat, les obus sont arrivés très tard (trop tard) en Ukraine à un moment où il aurait fallu peut-être arriver à deux millions ou trois millions d’obus.
Obus du canon CAESAR
Cet exemple a été mis en avant Kaja Kallas1, haute représentante de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui a suggéré de suivre l’exemple de la rationalisation européenne des achats de vaccins durant la crise sanitaire en se donnant les moyens de discuter en force avec l’industrie sur les prix, le rythme, la rapidité, la quantité. Cependant on ne sent pas que cette analyse et cette impulsion évoquées par la Haute Représentante soit reprise au vol par la présidente de la Commission européenne pour initier une démarche auprès du Conseil et du Parlement européens ; Ursula von der Leyen, ancienne (et très mauvaise) ministre de la défense d’Angela Merkel, semble avoir conservé les réflexes de l’ère Merkel sur les intérêts énergétiques allemands qui passent par la nécessité de ménager le Kremlin. [Les 800 milliards d’euros annoncés début mars par Ursula von der Leyen sont en réalité 150 milliards de prêts garantis et la représentation de ce que représenteraient une autorisation à dépasser les contraintes européennes imposées au budget nationaux de 1,5 points, donc 650 milliards. La Pologne, la France, la Roumanie, la Finlande, la Belgique sont déjà au-delà ; les marges de manœuvre seraient donc limitées à la Suède et l’Allemagne (cette dernière ayant par ailleurs accumulé des retards massifs d’investissements publics) : l’argent frais n’est donc pas apporté par cette initiative.
Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous a permis de nous rendre compte à quel point les capacités, par exemple, militaires françaises étaient faibles en termes purement quantitatifs, sur les chars, sur les obus, sur les munitions. Très rapidement, nous avons été à court de munitions. Les efforts que l’on a fait en matière de tanks étaient important pour nous, mais dérisoires à l’échelle du conflit ; ce que l’on a réussi à envoyer en Ukraine ce compte en unités.
Quelle initiative française ?
Historiquement, la France n’a pas vraiment été une puissance très européenne en matière de défense. Même si nous aimons dire que nous avons été les premiers à ne pas avoir totalement confiance dans la fiabilité de la protection américaine, notre capacité à maintenir notre rôle de puissance africaine était aussi une conséquence de la « protection américaine » comme une puissance installée pour la défense de l’Europe occidentale. Or ces dernières années, en parallèle à la guerre en Ukraine, la France a subi l’effondrement complet de ses positions en Afrique (et le Royaume Uni également dans une moindre mesure).
L’armée française est sans doute en train de vivre une sorte de révolution culturelle : on passe de la logique d’une armée qui se veut « légère », capable d’agir un peu toute seule en se déployant très rapidement, avec des effectifs légers qui peuvent aller assez loin (notamment en Afrique), à une logique où il faut se penser comme une armée européenne en Europe, une armée qui doit avoir plus de stocks et plus d’équipements lourds et qui doit plus penser sa complémentarité avec les autres briques des armées européennes et, si ce n’est la mutualisation de certains équipements, le partage de certaines pratiques avec d’autres armées européennes pour être influente dans une logique de coalition. Ce ne sont donc plus les mêmes qualités et valeurs qui doivent être encouragées.
Cela ne signifie pas que la France doit renoncer à être influente en Afrique, notamment dans les pays francophones, mais elle ne le fera sans doute pas sous la forme de partenariats militaires tels qu’ils existaient voici encore 7 ans : un long chemin de rétablissement de notre image est devant nous, image qui pour l’instant ne nous permet pas de contester les positions acquises par les Chinois ou les proxies russes à notre détriment. Dans le même temps, notre appareil de défense doit à nouveau se repenser dans le champ de la transformation de la position européenne.
L’opportunité polonaise
Il y a aujourd’hui un État qui, pour des raisons que l’on comprend aisément, souhaite désormais une « Europe de la défense », alors qu’il s’en est longtemps désintéressé ; un pays qui augmente son budget militaire : la Pologne a atteint les 4,7% de son budget consacré à la défense, à comparer aux 2,1% français, la Pologne qui réclame désormais – comme l’a longtemps fait seule la France – que ces dépenses soient comptées à part dans les règles budgétaires européennes, voire soient en partie prises en charge par le budget de l’Union Européenne, puisque la frontière polonaise est la frontière de l’Union Européenne avec le bloc russe.
La Pologne est en première ligne pour observer la dégradation sécuritaire de toute la zone, avec l’invasion de l’Ukraine et tout récemment le désengagement annoncé des Américains de l’OTAN. La Pologne veut être protégée d’une énième invasion russe, elle alerte sur des modes multiples depuis des années sur le péril et c’est un sentiment parmi les dirigeants politiques polonais qui apparaît comme parfaitement consensuel et transpartisan ; cette menace était déjà soulignée en 1999 par Aleksander Kwaśniewski, président de la Pologne social-démocrate (ex-communiste) entre 1995 et 2005 ; le PiS, ultra-conservateur et nationaliste, reprenait les mêmes éléments dès 2015, et aujourd’hui Donald Tusk, premier ministre libéral, développe les mêmes arguments.
La Pologne est passée d’une sécurité « assurée » par le pacte de Varsovie, par l’Union soviétique, à une sécurité assurée par l’OTAN. Dès 1990, Lech Wałęsa expliquait que la Pologne avait vocation à entrer dans l’OTAN dans une vision polonaise d’une guerre froide emportée par le camp occidental et par une troïka qui, pour les Polonais, s’incarnait en Jean-Paul II, Ronald Reagan et l’OTAN. L’idée que cette sécurité polonaise serait toujours assurée par l’OTAN, alliance militaire la plus efficace de l’histoire, est en train de glisser vers la nécessité qu’elle le soit également par l’Union Européenne et par la Pologne elle-même. Ce glissement, depuis le début de la guerre en Ukraine, est un axe essentiel, incarné par la multiplication des accidents de frontières, dès qu’un drone ou un missile tombe d’un côté ou de l’autre ; la question qui se pose aux Polonais est comment et qui pourrait les aider à tenir.
La Pologne n’est pas le seul pays dans ce cas alors qu’elle est, d’une certaine manière, déjà en guerre hybride contre la Russie, avec l’intrusion des drones, avec des miliciens de Wagner qui font des manœuvres le long de sa frontière. C’est déjà un premier niveau qui est franchi, la Pologne construit une sorte de bouclier oriental qui va en partant de l’enclave de Kaliningrad, puis le long de la frontière biélorusse, avec à la fois des éléments de défense concrets (barrières anti-char, hérissons d’acier, tout élément censé ralentir la progression d’une armée d’invasion terrestre) et des éléments de « smart défense » (informations, transmission de désinformation, etc.).
Pendant longtemps, la France et la Pologne pouvaient donner l’impression de regarder dans des directions très différentes. La France, intéressée plutôt par l’outre-mer, par l’Afrique ; la Pologne, évidemment rivée sur sa frontière terrestre. La France, parfois sceptique vis-à-vis de l’allié américain, la Pologne, extrêmement engagée sur l’importance du partenariat transatlantique… Finalement, l’évolution de la tectonique des grandes puissances – Poutine et Trump par-dessus nous – nous a rapprochés. Les Français sont contraints de penser leur système de défense dans un cadre plus européen qu’avant et sont par la force des vents contraires moins en Afrique et plus présents en Europe. Et désormais les Polonais sont plus intéressés à des solutions complémentaires à l’OTAN. C’est ainsi qu’ils poussent ou partagent désormais l’idée d’avoir peut-être des emprunts européens, d’avoir un pot commun européen pour faire des investissements conjoints. Il y a eu des rumeurs fin 2024 sur leur souhait de proposer 100 à 500 milliards d’euros pour emprunter en commun sur des grands projets collectifs qu’il faudrait mettre en place entre Européens, comme une défense antimissile.
Olaf Scholz, Chancelier allemand (SPD) démissionnaire, et Donald Tusk, premier ministre (libéral) polonais
Donc d’un côté, des Français qui parlent plus de pilier européen au sein de l’OTAN, un langage qui est devenu audible à Varsovie, et, de l’autre, des Polonais qui parlent plus de solutions entre Européens, y compris par l’Union Européenne. Or si les Français et les Polonais, qui sont deux États qui accordent beaucoup d’importance à la défense, regardent dans des directions différentes, il n’y a pas de défense européenne ; s’ils regardent dans la même direction, il y a une opportunité.
Les relations entre la France et la Pologne sont anciennes. Sans remonter à Henri III et Napoléon, deux acteurs qui fleurent bon l’Ancien Régime ou l’Autocratie, on peut penser au rétablissement de l’indépendance polonaise en 1919 et à l’alliance militaire qui, dès ce moment, est conclue entre nos pays. Charles De Gaulle – pour lequel la défense fût toujours une affaire nationale – était ainsi aux premières loges entre avril 1919 et début 1921 comme instructeur de la jeune armée polonaise qui devait faire face à la première invasion soviétique ; le commandant puis le colonel De Gaulle défendit toujours le système d’alliances de la République française en Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie) qui s’accompagnait de garanties de sécurité, certes dissymétriques mais réciproques, alors que le Maréchal Pétain et ses séides le dénigraient et plaidaient pour un isolationnisme conséquent derrière la ligne Maginot (contrairement à ce que raconte sa fiche wikipédia). Contrairement aux idées reçues, la Pologne s’est relativement bien défendue en septembre 1939 face à la Wehrmacht : l’effondrement fut avant tout précipitée par l’attaque sur le flanc Est, avec l’invasion soviétique consécutive au pacte Ribbentrop-Molotov signé quelques semaines plus tôt. La France se rua courageusement derrière la ligne Maginot : l’abandon de la Tchécoslovaquie à Munich a pavé la défaite de 1940.
Faire face aux périls
Poutine parie aujourd’hui sur le fait que les États-Unis prennent leurs distances avec des Européens désorganisés et faibles. Cela représente pour le Kremlin une ouverture pour avancer d’une manière ou d’une autre, que ce soit de façon directe, comme en Ukraine (Moldavie, Kazakhstan, pays baltes), ou de façon plus indirecte, hybride, mais de façon opportuniste (notamment en déstabilisant les sociétés et leurs élections comme en Géorgie ou en Roumanie aujourd’hui ou avec des alliés explicites comme la Slovaquie ou la Hongrie).
La Pologne et toute l’Europe baltique et balkanique sont acculées également parce que la Russie est désormais 100% focalisée sur son industrie de guerre, ce qui n’est pas le cas de l’Europe, loin de là. Les élites russes ont tout misé sur la guerre de Poutine, les oligarques ont intérêt à ce que la guerre paye car la Russie n’a pas reconstruit son économie après la fin de l’URSS : elle reste d’abord et avant tout extractiviste et prédatrice sans réellement profiter aux Russes eux-mêmes. La menace est aussi là.
Chacun s’accorde désormais à considérer que cette menace est sérieuse et que les USA ne bougeront pas. Cela signifie qu’on doit être capable de se défendre, donc capable de se battre à la frontière polonaise. Jusqu’au sommet de l’OTAN à Madrid 2022, on a considéré qu’il était suffisant de positionner quelques troupes à l’Est (comme nous en avons dans les pays baltes aujourd’hui). Nous avons changé de paradigme depuis Madrid, alors que Biden était encore à la Maison-Blanche : il s’agit d’être capable si la situation se présentait de repousser l’armée russe à la frontière. Cela veut dire qu’il faut des pays forts à la frontière, comme la Pologne. Ça veut dire aussi que les pays d’Europe de l’ouest, comme la France, doivent être présents à la frontière car nous n’aurons pas d’alliés sans leur offrir des garanties de solidarité. Car il est évident qu’après la manipulation des services russes en Afrique contre les intérêts français, tout repli de notre pays face aux ingérences du Kremlin sera considéré comme un encouragement.
C’est la raison pour laquelle la France a renforcé sa présence en Roumanie, mais nous sommes loin d’avoir atteint les capacités nécessaires. 1.000 ou 1.500 soldats européens dont des Français en Roumanie sont une force dérisoire par rapport au nombre de soldats mobilisés aujourd’hui par la Russie sur le front ukrainien. En cas d’attaque réelle d’un État de l’Union Européenne, le plan de l’OTAN était d’arriver à 100.000 soldats collectivement en quelques jours en cas d’attaque. Aujourd’hui, malgré le désengagement annoncé des États-Unis (donc l’inconsistance de l’OTAN), l’effort à fournir est le même. Or plus on a de soldats sur place, plus on est capable de réagir vite et de rassurer des pays à la frontière qui n’ont pas envie d’avoir une occupation longue et des massacres comme à Boutcha. Cela fait partie de la confiance entre alliés de dire qu’on est capable de vous défendre à la frontière, pas des années après.
Plus que la Pologne ce sont plutôt les pays baltes, qui sont les premiers menacés, car, fort heureusement, la Russie n’a pas les moyens, d’agresser un autre pays à la profondeur géographique de la Pologne ; si elle devait choisir d’entrer quelque part, ce serait plutôt dans un pays balte. C’est pourquoi plusieurs dizaines de milliers de soldats européens et canadiens de l’OTAN (et jusqu’à 100.000 pour un plan de déploiement) y sont stationnés, à comparer aux 1.500 postés en Roumanie. La faible profondeur stratégique de l’Estonie, par exemple, donne une raison de plus pour être solide à la frontière, parce qu’on ne peut pas mettre en oeuvre une défense élastique, où on recule un petit peu pour pouvoir contre-attaquer ensuite. Cela renforce l’importance de la crédibilité entre alliés. D’autres encore sont fragiles et on peut penser à la Moldavie, pour laquelle la guerre en Ukraine est une réalité proche avec les troupes russes positionnées dans la pseudo-république de Transnistrie (figée dans un temps parallèle brejnevien).
Soldats européens en manœuvre dans les pays baltes dans le cadre de l’OTAN
Donald Tusk avait expliqué récemment que, dans le fond, les premiers partenaires de la Pologne étaient avant toute chose les États baltes et nordiques, traumatisés eux-aussi comme la Pologne par les conséquences immédiates du pacte germano-soviétique. C’est aussi important de le rappeler, Poutine ayant fait de la réécriture de l’histoire une arme de destruction massive, niant l’existence du protocole secret entre Ribbentrop et Molotov qui n’auraient signé qu’un accord de non-agression, l’invasion de la Pologne étant de sa seule responsabilité (c’est ce qu’il a expliqué dans l’entretien qu’il avait accordé en 2023 à Tucker Carlson). Voilà qui est encore incandescent dans l’état d’esprit des peuples baltes et polonais dont il ne s’agirait pas de sous-estimer la force du patriotisme. Or c’est bien dans les pays baltes qu’a commencé la dislocation de l’empire soviétique avec des manifestations qui y exigeaient la publication du protocole secret Ribbentrop-Molotov, nié par le pouvoir soviétique.
La responsabilité de la France
Pendant 45 ans, les menaces ont été – malgré des points chauds – relativement figées par l’équilibre nucléaire, menaces réciproques heureusement jamais mises à exécution. Cela donne aux pays qui ont une force nucléaire une responsabilité particulière, parce qu’ils sont mieux protégés, comme disposant une capacité de dissuasion : Poutine peut toujours menacer la France de l’arme atomique, il sait que sa menace si elle était mise à exécution l’exposerait rien qu’avec l’arsenal français à des dégâts peu imaginables quand bien même notre pays subirait une catastrophe complète.
La France a une position intermédiaire dans ce débat. Elle a une doctrine, qui est que son arme nucléaire vise à « protéger les intérêts vitaux de la Nation », dans une logique essentiellement nationale, mais la France ajoute à cela une sorte de note de bas de page : les intérêts vitaux de la Nation ont une dimension européenne. Cette position a été rappelée l’année dernière en Suède par le président de la République, débat ouvert devant des Suédois qui, il n’y a pas si longtemps encore, revendiquaient une neutralité relative2, mais qui demandaient à la France si ce type de dissuasion pouvait participer de la sécurité européenne.
Dans le même temps, d’autres États membres de l’Union Européenne ne sont pas forcément à l’aise sur l’ouverture de ce dialogue et n’ont pas envie de dire publiquement que la protection américaine ne nous suffit plus, craignant que cela donne l’impression à la Russie que le dispositif de défense est rompu. Il y a donc un débat à relancer, un vocabulaire commun à construire. Avec l’élection de Trump et le désengagement américain de l’OTAN, trouver la formule qui permette de dire que la défense des intérêts vitaux nationaux de la France se jouent aussi en Europe – non pas pour soumettre l’usage de la dissuasion nucléaire française (pas plus que la Britannique) à un aréopage bavard (cela doit rester notre prérogative) – serait bienvenue vis-à-vis de la Russie et surtout pour la confiance avec nos alliés européens.
À ceux qui prétendraient que l’usage de l’arme atomique par la France ne sauraient s’entendre que dans la protection stricto sensu du territoire national, rappelons que les deux fois où la bombe américaine a été utilisée ce fut à des milliers de kilomètres des USA et que les fois où il fût envisagé de le faire avec des alertes maximum, il s’agissait de Berlin et de Cuba. À tout prendre, on peut entendre le fait que la construction du Mur de Berlin met un terme à une crise de trois ans avec une tension nucléaire intense et réelle : c’était sans doute moins grave que la bombe. A contrario, le fait que l’Ukraine ait décidé de se débarrasser de ses armes nucléaires doit aujourd’hui être observé avec des regrets ironiques, c’est en tout cas une partie du débat a posteriori en Ukraine : « donnez-nous des garanties de sécurité, parce que, sinon, on va regretter de s’être débarrassé de cette garantie de sécurité importante qui était le fait d’avoir une arme nucléaire » ou « on va se demander s’il ne faudrait pas, à l’avenir, nous doter à nouveau d’armes nucléaires ». C’est réversible assez facilement. Facilement, pas forcément d’un point de vue politique, mais d’un point de vue technique, les Ukrainiens comme beaucoup d’autres en ont la capacité.
La plupart des États autour de nous, que ce soit la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, parlent tous d’une protection pas simplement de leur territoire national, mais aussi de leurs alliés. Par-dessus tout, il faut aussi concevoir que les impérialismes renaissant, qui lancent des guerres d’agression (ou menacent de le faire), le font toujours parce qu’ils calculent que les risques sont minimes : donc créer une forme d’ambiguïté stratégique, d’insécurité face à des pouvoirs bellicistes est nécessaire ! Le message doit être : il n’y a rien à gagner à s’attaquer à l’Europe !
Ce renforcement de la sécurité européenne passe bien entendu par une discussion réelle entre la Pologne, la France et l’Allemagne, également avec les Britanniques, et en associant sérieusement des partenaires militaires relativement solides (Italie, Espagne, Suède …) : nous devons viser une reconstitution du « triangle de Weimar »3, avec un rapport à égalité entre la Pologne et l’Europe occidentale, et non un couple franco-allemand mythifié (on a payé pour savoir) s’imposant aux autres. Aujourd’hui d’ailleurs c’est un moteur franco-polonais qui peut faire bouger l’Allemagne, souvent plus réticente, plus paralysée par ses doutes ; Français et Polonais peuvent dans ce triangle composer une valse à deux, à deux face à un.
Dans ce cadre, il faudra poser les fondements de ce qui peut être une nouvelle alliance, qui ne soit pas une armée européenne (incapable de respecter la question de la souveraineté), mais qui permettent une véritable coordination militaire. La question de l’industrie et de sa coordination doit également être posée, tout comme celle du marché de l’armement en veillant à ce que nous cessions collectivement de saper notre indépendance, donc en arrêtant de s’en remettre systématiquement au matériel américain.
Nous avons un devoir
Ces débats à gauche dans des moments tragiques nous les avons déjà eus. Par fascination pour la force, par naïveté pacifiste malgré l’agression ou par lâcheté, certains ont préféré s’incliner devant les brutes, c’était le cas de Paul Faure – secrétaire général de la SFIO de 1921 à 1940 – qui portait comme une croix le refus absolu de la guerre, même de défense, après les fautes de 1914. À cause de ces illusions, il choisit Pétain et la collaboration.
Face à lui et à la majorité des socialistes, Blum décida pourtant comme président du conseil un grand plan de réarmement dès 1936. Cet effort indispensable avait été mené sans l’opposer à la mise en œuvre d’un programme inédit de progrès social et économique rendu possible par la mobilisation des ouvriers lors des grèves de mai-juin 1936. Les efforts consentis par la Nation pour sa défense ne pouvaient réussir sans soutien populaire (et n’oublions pas que le détricotage dès 1938 des acquis du Front Populaire a prodigieusement sapé ce soutien) : tous ceux qui aujourd’hui prétendent que le réarmement nécessaire de la France et des démocraties européennes ne pourra se faire qu’à la condition de faire le deuil de notre modèle social nous conduisent donc à un dramatique échec, s’ils devaient prévaloir, tout comme ceux qui expliquent en miroir qu’il faut refuser l’effort de défense pour renforcer notre modèle social. Au contraire, nous devons affirmer que l’effort de réarmement et de réorganisation militaire fonctionnera, sera soutenu parce que les Français verront leur modèle social être conforté, et vus les dégâts encaissés depuis 30 ans être réparé, parce qu’ils soutiendront un système qui permettra de défendre la Liberté et la démocratie républicaine ET l’Égalité et la République sociale.
Blum dénonça en 1938 le « lâche soulagement » qui n’avait rien résolu à Munich. Avec lui, Léo Lagrange plaidait pour la lucidité antifasciste : les Radicaux et une partie de ses camarades socialistes refusèrent qu’il fût nommé ministre de la défense nationale (on récolta pour notre malheur Daladier) car jugé belliciste. Après avoir laissé son nom à l’émancipation de la jeunesse et des prolétaires, par le sports et les loisirs, il mourut à 39 ans sur le front le 9 juin 1940 juste avant que la défaite ne pose en des termes différents la question de la survie de la Nation.
Soyons des Léon Blum et des Léo Lagrange qui réussissent…
Frédéric FARAVEL
Kaja Kallas, première ministre de l’Estonie de 2021 à 2024. Présidente du parti de la réforme, affilié à Renew Europe. Elle a été nommée Haute représentante de l’UE et vice-présidente la Commission européenne le 1ᵉʳ décembre 2024. ↩︎
Sans être membre de l’OTAN et tout en revendiquant sa neutralité, la Suède a rejoint le Partenariat pour la Paix en 1994 (un an avant de rejoindre l’UE) et elle a officiellement reconnu ses engagements de solidarité stratégique à l’égard des autres États membres de l’Union Européenne en 2009. Elle est également liée depuis longtemps par des accords sur le renseignements avec les services occidentaux. ↩︎
Le Triangle de Weimar définit la coopération trilatérale entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Il est, pour reprendre la formule de l’historien Bronisław Geremek « un instrument politique intelligent ». Concrètement, c’est un forum de rencontre, de dialogue et d’échange informel entre ces trois pays, et non un accord formel de coopération. ↩︎
Dans son allocution du 5 mars 2025, le Président de la République a appelé les Français à faire face à la « menace russe ». « Les temps de l’insouciance sont terminés » et « la patrie a besoin de vous », a-t-il affirmé.
Sans contester la gravité du moment, céder aux facilités de la surenchère guerrière serait contre-productif. Les Français soutiennent majoritairement le combat des Ukrainiens, mais ne s’en estiment pas proches au point d’approuver une escalade militaire. La vérité est que nous ne sommes pas en guerre et l’évocation permanente de l’Histoire (« faut-il mourir pour Dantzig ? ») n’y changera rien.
Le message que nos compatriotes sont prêts à entendre, c’est qu’il faut dimensionner correctement notre armée. Ils comprennent qu’un budget militaire à moins de 2% du PIB relève de l’exception historique. Sous les septennats de François Mitterrand, la France consacrait plus de 3% de son PIB à la défense, et sous de Gaulle, près de 5%. Face à une Russie plus agressive que jamais, en « économie de guerre » depuis trois ans et qui augmente ses capacités, mais aussi face aux menaces diverses dans un monde chaotique et violent, il est logique de poser la question des moyens alloués à notre défense.
Il ne serait ni prudent ni responsable de faire comme si le Kremlin allait s’arrêter à 20% du territoire ukrainien, puis redevenir subitement pacifique à la faveur d’un simple cessez-le-feu. En Russie, le bourrage de crâne contre « l’Occident collectif » fonctionne à plein régime et entretient la paranoïa de la base au sommet. Le révisionnisme historique n’y est pas non plus en reste, qui conteste aux anciennes républiques soviétiques leur droit à l’autodétermination et l’indépendance. La peur des Baltes, des Polonais et même des Finlandais, sujets du Tsar jusqu’en 1917, n’est pas imaginaire. Ils ont tous payé pour voir l’impérialisme russe à l’œuvre.
On ne compte plus les opérations russes de « guerre hybride » sur le territoire européen. Tentatives de déstabilisation politique, meurtres, attaques cyber, propagande téléguidée depuis Moscou sur les réseaux sociaux… tout y passe. Les services de renseignements européens alertent de longue date sur ce déploiement de grands moyens. Ils n’inventent rien et nous devons nous fier à leur expertise, mais en gardant la tête froide. Les services et officines russes seraient ravis que nous cédions à la panique ; ils en profiteraient même pour jeter encore plus d’huile sur le feu.
Ce qui a radicalement changé en revanche, c’est le revirement américain. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les Etats-Unis adoptent une position « pacifiste pro-russe » qui reprend quasi intégralement le narratif du Kremlin, osant même accuser l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre ! Le discours de Trump révèle une trahison assumée de ses alliés européens, qui sert plusieurs buts : affaiblir nos économies, rafler le Groenland et détacher la Russie de la Chine. Pour nous Européens, ce changement radical comporte un vrai risque, auquel nous sommes bien obligés de faire face.
Et pour nous Français, ce n’est pas faute d’avoir prévenu ! Tous ceux qui méprisaient nos propositions pour un approfondissement de la coordination européenne en matière de défense en sont pour leurs frais. L’Otan est vraiment « en état de mort cérébrale », nous sommes vraiment seuls, et il faut vraiment mettre en place des mécanismes pour rattraper notre retard. Il est assez piquant de voir les plus fervents atlantistes historiques se rallier en convertis fervents à « l’Europe de la défense ».
Mais les affichages budgétaires ne suffiront pas. Pour être efficients, ils devront s’inscrire dans une politique de croissance et de relance, qui seule est en mesure de conforter l’autonomie stratégique européenne. Cela implique d’investir en commun et surtout d’acheter européen en commun. Cela implique aussi d’en finir avec l’austérité gravée dans le marbre des traités budgétaires.
La validation de la (vieille) proposition française de sortir les dépenses militaires du calcul des déficits n’est qu’un premier pas. La conjoncture comateuse de l’Union européenne exige que la politique macroéconomique dans son ensemble, budgétaire et monétaire, soit entièrement revue.
Macron a donc tort d’envisager la montée en puissance de notre effort militaire d’une manière étroitement libérale, où sa politique de l’offre devrait impérativement être préservée. Au nom de quel principe fondamental, ou d’efficacité, devrait-on exonérer les plus riches et les multinationales de cet effort collectif ? Ce n’est pas aux Français des classes populaires et moyennes, et encore moins aux plus vulnérables, de payer intégralement le prix de notre sécurité ! Aucune nécessité n’impose de compenser 30 milliards annuels de plus pour l’armée par 30 milliards annuels en moins pour la protection sociale. Il n’est pas de notre intérêt de procéder à de tels arbitrages, qu’il s’agisse du social ou de tous autres investissements publics utiles à la collectivité.
Quoiqu’il en soit, le Président de la République n’a pas la prérogative pour en décider seul, ni la majorité parlementaire pour trancher sans débat préalable !
Le Parlement vote le budget, les impôts, et il se prononce sur les grands choix économiques et sociaux. Il serait temps qu’Emmanuel Macron comprenne que tout le pouvoir n’est pas concentré à l’Elysée.
Il serait temps aussi qu’il comprenne que nous n’avons nul besoin de nous précipiter vers des solutions toutes faites de type « armée européenne », et autres détricotages des souverainetés nationales sur les questions régaliennes. Fidèles à eux-mêmes, les Français ne refusent pas d’approfondir la coopération européenne, y compris en matière de défense. Mais ils ne sont pas prêts à toutes les fuites en avant ; et exigent qu’en tout état de cause, la parole leur soit donnée sur tout choix structurant pour l’avenir de la nation.
pour la Gauche Républicaine et Socialiste Emmanuel Maurel, député et animateur national
communique de presse d’emmanuel maurel – mercredi 5 mars 2025
Nous pensions savoir à quoi nous en tenir avec Donald Trump, mais le début de son second mandat montre que nous n’avons encore rien vu.
Le Président des États-Unis, qui préconisait de s’injecter de l’eau de javel par intraveineuse pour soigner le COVID, pour qui le réchauffement climatique est un canular inventé par la Chine, qui pense que les sans-papiers sont des criminels et des violeurs qui mangent les chiens et les chats, se livre à une attaque sans précédent contre l’université, la science et la recherche.
Un collectif de chercheurs américains de toutes universités et toutes disciplines, « Stand Up For Science », s’est constitué en réaction aux assauts de la nouvelle administration, et particulièrement de son bras armé d’une tronçonneuse, Elon Musk.
Ce collectif répertorie une incroyable série de suppressions de crédits budgétaires, menées tambour battant par le département de la soi-disant « efficacité gouvernementale ». Désormais, seule la bande de fanatiques obscurantistes au pouvoir à Washington s’estime qualifiée pour dicter ce qui vaut d’être lu, étudié et appris. Voilà le sort que les défenseurs autoproclamés de la « liberté d’expression » réservent aux voix discordantes.
Les sciences humaines font l’objet, dans toute leur diversité, de mises à l’index allant jusqu’à retirer des milliers d’ouvrages des rayons des bibliothèques universitaires. Mais ce n’est qu’un prélude à une attaque en règle contre toutes les sciences.
Nous apprenons avec sidération que le Gouvernement américain a supprimé 20% des financements destinés au télescope spatial James-Webb, fruit d’une coopération associant la Nasa et l’Agence spatiale européenne, et qui a remplacé le célèbre télescope Hubble en 2021.
Nous assistons, médusés, à une foire d’empoigne des trumpistes visant à décourager toute vaccination, au point de mettre même dans l’embarras le ministre de la santé, Robert Kennedy Jr, pourtant considéré comme un vaccino-sceptique de choc.
Nous apprenons enfin qu’il n’y aura plus de mesures satellitaires des gaz à effet de serre et du changement climatique. Cela s’ajoute aux milliards de dollars subitement retirés à d’innombrables laboratoires de recherche, jusqu’aux sciences de la santé et aux neurosciences, et qui laissent sur le carreau des milliers de scientifiques.
J’apporte tout mon soutien au collectif « Stand Up For Science » et aux initiatives des universitaires et chercheurs français pour venir en aide à leurs collègues outre-Atlantique. La journée de mobilisation du 7 mars, à laquelle je prendrai part, marquera la première étape de la résistance contre le bâillonnement de la science par la nouvelle internationale réactionnaire.
Après la publication d’un podcast sur la Radio « Français dans le monde« , notre camarade franco-berlinois Mathieu Pouydesseau revient dans cet article avec une analyse détaillée des résultats des élections législatives fédérales du 23 février 2025, de leurs causes et de leurs potentielles conséquences. Il propose quelques pistes pour sortir de l’ornière.
Le peuple allemand, convoqué à des élections législatives anticipées le 23 février 2025, a répondu massivement. 83% des inscrits ont voté, soit le plus fort taux de participation de l’histoire de l’Allemagne réunifiée, supérieur au record enregistré sous la RFA en 1987 !
Jamais le résultat de ces élections n’aura été aussi incontestable dans la légitimité accordée aux députés siégeant au Bundestag.
Le résultat en pourcentage voit la droite, constituée des deux partis CDU et CSU, l’emporter avec 28,6%. La CSU n’est présente qu’en Bavière, où la CDU ne présente pas de candidats. Le candidat conservateur à la chancellerie, Friedrich Merz, a reçu les félicitations des autres présidents de partis qui lui ont reconnu la légitimité de constituer une coalition.
La coalition sortante SPD-Verts-Libéraux (FDP) s’effondre, totalisant à peine 32,3% des suffrages. Le FDP disparaît du Bundestag en manquant le seuil des 5%. L’ancien ministre des finances Lindner a annoncé son retrait de la vie politique.
Les verts résistent mieux que leurs partenaires de coalition mais perdent au profit des Linke une partie de l’électorat féminin et de moins de 30 ans.
L’extrême droite double son score, tant à l‘Est qu’à l‘Ouest, où, avec 17,7% elle fait jeu égal avec le SPD et remporte certain de ses anciens bastions. Les classes ouvrières et salariées ont voté AfD plutôt que SPD.
Les Linke connaissent une renaissance inattendue, fondée sur une campagne politique sur le thème du pouvoir d’achat, et de la fin de la « règle d’or » pour permettre des investissements, ainsi qu’une identification forte à l’antifascisme.
La majorité est à 316 sièges. La droite et le SPD ont la majorité absolue ensemble. Les dirigeants conservateurs multiplient les appels du pied au SPD pour entrer en négociation de coalition. Ils ont exclus l’autre coalition majoritaire, avec l’extrême droite.
Le SPD est choqué par sa défaite. Le futur nouveau patron du groupe parlementaire, Lars Klingbeil, a déclaré que la participation du parti au gouvernement « n’était pas automatique. »
Analyse politique des résultats
La droite l’emporte avec un score décevant, son deuxième plus mauvais score depuis 1949, le pire ayant été en 2021. Friedrich Merz, un homme sorti des années 1980, rival malheureux de Merkel en 2005, néo-libéral à la pensée archaïque, va donc devenir chancelier. En janvier, il a fait voter ses troupes avec l’extrême droite sur des résolutions sur l’immigration, brisant le « mur républicain » autour de celle-ci pourtant établi depuis 1949. Il a annoncé un agenda de coupes drastiques dans le système social et les dépenses publiques, tout en reconnaissant le déficit d’investissements. Il fait partie des théologues croyant à la « règle d’or » comme à une règle divine.
Celle-ci empêche les États de mobiliser l’épargne accumulée par l’investissement, financé par l’emprunt. Or, les mêmes refusent aussi de mobiliser l’épargne des riches par l’impôt. Face à cette contradiction, il ne reste plus qu’à baisser les dépenses. On a vu en France l’échec de cette politique avec des déficits budgétaire et commercial abyssaux.
L’extrême droite AfD double son score et submerge l’Allemagne de l’Est. Ce serait une erreur de croire que l’AfD est un parti régionaliste : elle rassemble presque 18% des suffrages à l’Ouest et y fait jeu égal avec le SPD. Elle y gagne d’ailleurs deux circonscriptions. Elle a proposé une coalition à la droite ; Merz l’a refusé en nommant comme divergences insurmontables l’Ukraine, le soutien à Poutine, le rejet de l’Euro et de l’Union Européenne.
Carte des circonscriptions allemandes, partis arrivés en tête
Le SPD s’effondre à son pire score depuis … mars 1933. Le chancelier sortant Scholz a exclu participer aux négociations de coalition ou à un gouvernement. Son destin au sein du parti reste flou. Boris Pistorius, le ministre de la défense, beaucoup plus populaire, pourrait récupérer la présidence et le rôle de vice-chancelier en cas d’alliance avec la droite.
Les Verts font mieux que prévus mais reculent par rapport à 2021. Le ministre écologiste sortant de l’économie, Habeck, n’a pas cherché à mobiliser les troupes venues de Friday for Future1, fortement mobilisées contre l’AfD et la complaisance de Merz, pour ne pas abîmer la possibilité d’une participation au gouvernement. Le résultat cependant ouvre la voie à une majorité sans les Verts.
Les Linke sont littéralement réanimés par la tentation de Merz de rompre le mur républicain isolant l’AfD. Ils ont récupéré l’électorat jeune, activiste pour le climat, mobilisé cette fois-ci contre l’extrême droite et la tentation de Merz de s’allier avec elle. Les verts, en refusant d’exclure gouverner avec Merz, ont perdu surtout dans cet électorat. Les Linke ont su aussi apprendre du départ de Wagenknecht et mener leur campagne sur les sujets du pouvoir d’achat et des investissements.
Le parti de gauche conservatrice BSW manque l’entrée au Bundestag de peu, à 4,972% pour un seuil minimum à 5%. Cruauté des soirées électorales ! C’est un échec cuisant, suite à une stratégie inaudible depuis septembre, abandonnant les questions économiques pour suivre l’AfD sur le rejet de l’aide à l’Ukraine et sans d’ailleurs se distancer d’eux sur les questions migratoires. Ils n’ont pas bénéficié du rebond antifasciste de la jeunesse allemande.
Le FDP du libéral Lindner, qui a saboté le travail du gouvernement pendant trois ans et organisé sa chute en septembre, est lourdement sanctionné et disparaît du Bundestag.
L’AfD s’impose comme le parti des classes populaires inquiètes de l’avenir, mais aussi ébranlées par des années de stabilité salariale à la baisse, l’augmentation des prix et des loyers. Si la droite chrétienne démocrate conserve un volant populaire, le SPD a perdu cet électorat au profit de l’AfD.
Évolution du vote des classes salariées et ouvriers entre 2013 et 2025Sondage sortie des urnes par situation financièreSondage sortie des urnes : vote en fonction de la peur face à l’inflation « j’ai peur que les prix augmentant tant que je ne puisse plus payer mes factures »Sondage sortie des urnes : « comment considérez vous la situation économique du pays » schlecht = mauvaise, gut = bonne
Quel nouveau modèle allemand ?
Dimanche soir, lors de la traditionnelle émission politique où se retrouvent tous les patrons de partis représentés au Bundestag, M. Söder, le président du parti bavarois CSU, composante de la droite victorieuse, disait ceci : « Le vieux modèle économique allemand est terminé, le modèle de l’immigration économique est terminé ». Le constat est devenu consensuel en Allemagne : le « modèle allemand » est en échec. Les conséquences à en tirer divergent très fortement, le seul parti étant finalement incapable de formuler une réflexion cohérente, le SPD, subissant une défaite historique.
L’autre parti s’accrochant encore à la « règle d’or » et au « modèle » des exportations au prix de la baisse des salaires, le FDP, n’est même plus représenté au parlement.
La crise du modèle allemand a fait l’objet de plusieurs de mes analyses. Je rappellerai ici les articles suivants, récents :
La crise politique allemande, conséquence de la crise sociale, s’aggrave avec le résultat des législatives anticipées, et menace d’emporter l’Union Européenne.
Pourquoi l’Europe en crise voit la montée du populisme nationaliste ?
Le moteur économique de l’Union Européenne entre 2009 et 2019, l’Allemagne, n’a depuis plus connu de croissance. Ce sont six années de stagnation qui ne s’expliquent pas seulement par le Covid ou la guerre d’agression russe en Ukraine. Le PiB est en 2024 au niveau de 2019. L’industrie s’effondre. Un institut a prédit la troisième année de récession pour ce pays en 2025.
En janvier 2025, la droite allemande a poussé au Bundestag un texte sur l’immigration, comme si ce sujet était l’urgence économique de l’heure, pour le faire voter par l’extrême droite et les libéraux. C’est la première fois que le cordon républicain isolant l’extrême droite allemande depuis son retour au Bundestag en 2017 se fissure. L’ancien président du consistoire des juifs d’Allemagne a démissionné de ce parti, l’ancienne chancelière Merkel a critiqué le parti.
Madame von der Leyen ne s’est pas distanciée de son camarade de parti Merz. Elle a déjà mené des actions avec une partie de l’extrême droite européenne depuis sa nomination pour un second mandat à la commission, et a marginalisée les tenants d’un fédéralisme politique – les macronistes français – comme ceux tenants d’une Europe sociale.
Elle souhaite disposer des coudées franches pour une pratique autoritaire de son pouvoir, elle est animée d’un profond mépris pour la France, par une vision idéologique des problèmes, d’une absence totale de décence et de morale, et promeut plus que jamais la mise en place de réformes libérales néfastes et stupides pour l’économie.
Elle s’apprête à rentrer dans l’histoire au côté du chancelier Brüning, cet idéologue de l’équilibre budgétaire qui en pleine crise économique de 1929 décida de rompre avec le centre gauche, de diriger sans majorité parlementaire, de couper les crédits et les salaires, aggravant encore la crise et favorisant la montée du parti nazi, pourtant marginal jusqu’en 1929.
Sauf qu’en 2025, l’extrême droite est déjà présente dans sept gouvernements européens.
L’échec économique et social, l’échec culturel, l’échec politique
L’Union Européenne connaît en 2025 des perspectives de croissance médiocres. Les instituts les plus optimistes prévoient une stagnation. Les causes de cette crise sont connues : les prix de l’énergie sont trop hauts, la demande intérieure des ménages et des entreprises trop basse.
Les Européens n’ont pas assez d’argent pour consommer. Ceux qui ont de l’argent l’épargnent au lieu de consommer. Leur épargne n’est pas investie en Europe, elle est investie à l’étranger, ne créant aucune demande en Europe.
Les Européens qui n’ont pas d’argent pour consommer ont vu l’envolée des prix de leurs logements, et de leur transport et la dégradation de leurs services publics. Leur qualité de vie se dégrade depuis que l’Europe est en excédent commercial.
La banque centrale européenne a, d’après tous les analystes, monté les taux d’intérêts trop haut, les y a maintenu trop haut trop longtemps, et les baisse trop peu, trop lentement. Il y a six mois, l’ancien patron de la banque centrale européenne Mario Draghi a présenté un rapport sur la perte de productivité européenne et le décrochage économique de l’Europe depuis 2010. Il y conclut que l’Europe manque d’investissements. Il y fait aussi, prisonnier de son idéologie, des recommandations de dérégulation sauvage et de privatisation de services publics, sans s’attaquer aux déséquilibres réels de l’économie européenne.
Madame von der Leyen, avec le soutien de l’extrême droite, pousse uniquement le chapitre des dérégulations. Elle conclut seule, sans demander aux chefs de gouvernement ni au parlement, des accords de libre échange prolongeant le mercantilisme européen.
L’erreur est humaine, la répéter diabolique
Les États Unis ont mené au sortir de la crise de 2020 une politique très différente de l’européenne. Voilà une économie qui a depuis 2010 laissé l’Europe loin derrière et qui génère d’énormes capacités d’investissement et d’innovations. Pourtant, le déficit public américain, c’est 6,3% du produit intérieur brut. Pourtant, la dette publique US, c’est 123% du PIB. Pourtant, le déficit commercial américain, c’est l’équivalent de 3% du PIB. D’après les doctrines économiques européennes, les États-Unis devraient être mis sous “troïka” et mener une politique de réduction drastique des salaires pour « rétablir ses comptes ».
Les États Unis ont financé leur différence de croissance avec l’investissement public, laissant loin derrière la vertueuse Europe. Il y a une corrélation, positive, entre dette et croissance.
La Chine fait la même politique que les États Unis pour rattraper et dépasser l’Union Européenne, bien trop restrictive même en accumulant des excédents commerciaux.
La crise américaine est une crise des inégalités économiques, et non sociales ou culturelles. La prospérité non partagée amène l’orage, toujours.
L’arrivée au pouvoir des démocrates s’accompagne de politiques déflationnistes contre l’inflation, touchant en premier lieu les salaires des classes populaires. Les inégalités sociales s’y aggravent et la prise de pouvoir médiatique et politique des oligarques s’accompagne d’une dégradation du débat public, sur des agendas de boucs émissaires. La bourgeoisie démocrate, incapable de s’unir aux syndicalistes et aux classes populaires – car cela signifierait augmenter leurs impôts et réduire leurs privilèges économiques – sera incapable de défendre la démocratie.
Les démocrates ont été incapables, en 2023 et en 2024, de prendre des mesures concrètes de soutien du pouvoir d’achat des américains. La politique de la banque centrale, la “Fed”, a joué un grand rôle en privant de l’accès au crédit à la consommation et au crédit immobilier des millions d’Américains. Or, l’accès au crédit est aux États-Unis le principal stabilisateur social et il est en crise. Joe Biden, qui conservait des éléments de keynésianisme, a été remplacé par Kamala Harris pour mener une campagne sur des sujets culturels principalement.
Trump est en train de mettre en place une politique de « mise au pas », de “Gleichschaltung”, de l’ensemble de l’État et de la société. C’est un coup d’État aux apparences de légalité. Ceux qui pensent pouvoir corriger ces effets en 2026 se trompent : les élections américaines de 2026, au mieux, ressembleront sans doute à celles de mars 1933 en Allemagne : un climat de violence, d’intimidation, et de réduction de la liberté de la presse.
Différentiel de vote entre scrutin sur l’avortement et score de Trump/Harris
L’électeur américain a ainsi voté dans de nombreux États à la fois pour l’augmentation des salaires minimums, des aides sociales et pour le droit à l’avortement, et en même temps, pour Trump, dont la principale promesse est de garantir le retour de la prospérité pour tous les Américains – “les vrais Américains”.
Les pertes de voix de Harris dans des électorats populaires s’accompagnent du maintien de la mobilisation des bases sociologiques trumpistes. La guerre culturelle approfondit les clivages et empêche de reconquérir l’électorat populaire passé à Trump en 2016.
Malgré ces énormes défis politiques, et les conséquences pour l’Europe, l’économie américaine était en bien meilleure position en faisant l’inverse de l’Union Européenne : soutien de la demande par la dette publique et l’investissement, transferts des gains économiques en investissements privés, innovation par la recherche publique monétisée par le privé.
Cependant, le libertarisme idéologique des oligarques américains est en train de détruire un à un ces ressorts de la prospérité américaine. Dans ces conditions, les oligarques auront besoin d’une autre manifestation indissociable des régimes ultra-capitalistes : la guerre, civile ou extérieure.
L’urgence en Europe, c’est reprendre le contrôle de notre économie
Le problème européen, ce n’est pas le recours à une immigration du travail, qui n’est qu’un symptôme d’une erreur plus large. Le problème européen, c’est d’avoir tout subordonné à l’idéologie de la compétitivité.
Car celle-ci a un autre nom : la déflation. Nous avons dévalué depuis plus de 20 ans nos salaires, nos services publics, nos investissements. La valeur du capital financier, comme celui du capital immobilier, a augmenté considérablement. Le but était d’être compétitif pour vendre plus de biens et de services au reste du monde que ce que nous voulions lui acheter. Cela s’est fait en réduisant nos capacités d’acheter, le prix du travail devant baisser.
Or, le monde a appris à produire ce que nous produisions et à détester les philosophies morales et politiques inventées en Europe. Nous ne sommes plus ni un partenaire commercial à la même hauteur, ni une puissance militaire respectée, ni un modèle intellectuel et culturel, nous devenons la nouvelle proie.
Au cœur de la sécurité européenne future se trouve d’abord un énorme effort d’investissement public.
Mais les classes politiques dominant les grands pays d’Europe n’en veulent pas. Myopes, soumises aux théories qui nous conduisent à un échec depuis 20 ans, incapables de se remettre en cause même face aux faits les plus brutaux, elles veulent continuer à servir une accumulation de capital stérile et vaine.
Tous les peuples européens ont les mêmes intérêts. Chaque Nation en Europe est solidaire par sa situation géographique, son histoire, son héritage issu des Lumières. Les Européens ont mené leur émancipation de religions obscurantistes, meurtrières en millions de victimes, de systèmes de féodalité les asservissant, de régimes autoritaires et héréditaires méprisant le droit et l’utilisant pour imposer les inégalités de naissance et de condition. L’Europe a créé un système pour ne plus asservir : la démocratie sociale, avec un État providence, acceptant la décolonisation, renforçant le système des organisations internationales.
Depuis les années 1970, des forces employant à tort le mot de « libéralisme » ont cherché à détruire tout ce qui a été construit en 1945 pour empêcher le retour des fascismes, au nom des « énergies libres du capitalisme », de la compétitivité, de la productivité, de l’efficacité. C’est ce mouvement qui est à sa fin décadente.
Il est temps de revenir à une période de solidarité, de réconciliation entre Européens, de reconstruction sur la base des philosophies de la raison. Les États-Unis sont perdus. Ils vont devenir le siège d’une pieuvre fasciste cherchant à détruire l’idée même de solidarité. Mais les droites européennes sont tentées d’abandonner toute morale, tout sentiment chrétien, toute compassion, pour quelques billets verts et quelques jouissances du pouvoir.
L’Europe n’a pas besoin de dérégulation et d’abandon supplémentaire à des lois du marché conçues pour un être humain amoral, égoïste, et immortel, c’est-à-dire, diabolique.
L’Europe a besoin d’un projet d’investissement commun, de l’abandon des bureaucraties myopes des ordolibéraux qui croient que l’état doit contrôler l’efficacité du marché à coup de normes, d’une mobilisation de l’épargne par emprunt, et la mobilisation des gains injustifiés des profiteurs de la guerre en Ukraine et de l’inflation par l’impôt confiscatoire sur les milliardaires.
Cette campagne de mobilisation doit reconstruire notre demande intérieure. Pour que les machines allemandes alimentent les industries françaises et non chinoises. Pour que les Allemands puissent consommer de la haute qualité en vêtements et en nourriture française et non du low cost Bengalais ou chilien.
En France, le budget adopté est le plus stupide de notre histoire depuis 1788. l’effondrement des recettes en 2023 s’est accéléré en 2024 et ne s’arrêtera pas en 2025. Car les recettes dépendent directement de la croissance.
Or, depuis 2023, d’après la plus récente note de l‘Insee, l’épargne ne s’investit pas, ni ne se consomme, et le pouvoir d’achat s’effondre. Seule les dépenses de l’État alimentent encore un peu la croissance. Et, le pays cessant de produire pour lui-même, les importations continuent d’augmenter, obligeant le pays à s’endetter.
Et que va faire ce budget ? Casser le seul moteur de la faible croissance, stopper les investissements, et ne rien faire pour la sécurité géopolitique du pays.
Voilà où j’attends la gauche, et non dans les disputes sur le « sexe des anges » au sein de la coalition électorale actuelle. Je constate que celles et ceux qui partagent mes constats et mes solutions sont systématiquement « silencés », tant dans les médias que par ces gauches médiocres.
Le triomphe de la folie n’est cependant pas inéluctable. Nous avons, dans notre histoire européenne, vaincu plusieurs fois la folie. J’ai espoir.
Rappels et perspectives pour notre avenir
Qui se souvient de 2013 ?
J’avais alors mis en garde sur la montée de l’extrême droite allemande au moment du scrutin législatif. J’avais posé l’idée que sans renversement des logiques budgétaires et économiques, les extrêmes droites européennes prospéreraient. J’avais notamment regretté que les logiques de « compétitivité » et de concurrence entre les économies nationales au sein du marché unique entraînaient de force un appauvrissement des classes populaires. J’avais enfin écrit que la culture démocratique était en danger.
2013 était une fenêtre de tir historique. Elle fut manquée. L’histoire ne repasse pas les plats. Les conséquences de nos myopies doivent être assumées.
En 2025, l’Europe fait face à l’abandon de l’allié américain. Celui-ci veut partager le monde directement avec la Chine et la Russie. Les alliés idéologiques argentins ou indiens seront sans doute associés. L’Europe, vue comme le maillon faible, est la proie.
Dimanche soir, au débat télévisé entre présidents de partis allemands, l’atlantisme allemand, qui justifiait de mépriser la France tout au long des années Merkel et Scholz, a commencé à se fissurer. Le patron des écologistes, Habeck, a constaté que les États-Unis de Trump se plaçaient du côté des adversaires des valeurs de l’universalisme européen. Merz, le futur chancelier chrétien-démocrate, a aussi fait le constat que l’alliance américaine était finie, à la surprise de nombreux observateurs.
Seul Scholz, le chancelier sortant du SPD, s’accrochait encore à l’Otan comme un outil pertinent de sécurité.
Merz est un homme des années 1980. Âgé de 69 ans, passé par un fonds d’investissement américain où il a fait fortune, il n’a pas de réflexion profonde sur la crise actuelle, reprenant le prêt à penser mainstream qui unit l’extrême droite, la droite et le centre : « il faut baisser les dépenses publiques, réduire les impôts des riches, baisser les cotisations et les prestations des pauvres, réduire les salaires pour rester compétitif. Il faut fermer les frontières. Il faut expulser. Et par miracle, la demande déprimée, l’investissement partant aux États-Unis plutôt qu’en Europe, la croissance repartira ». C’est de la pensée magique. Mais la crise américaine pourrait entraîner des révisions drastiques des dogmes mainstream.
Sinon, on connaît le scénario : la crise économique et sociale s’aggrave, la vulnérabilité géopolitique augmente, la droite prend panique et s’allie à l’extrême droite.
Les gauches européennes ont encore une fenêtre de tir.
Il faut réfléchir ensemble à trois sujets :
1. Quelle transformation du modèle économique européen est elle nécessaire, pour que notre demande absorbe notre production et réduire notre dépendance à la demande internationale. En créant une demande européenne interne, nous soutiendrons notre production, des emplois à haute valeur ajoutée, une progression du pouvoir d’achat. Cela passe par l’investissement public, la fin des règles d’or.
2. Quelle transformation de notre système de défense et d’alliance est nécessaire pour garantir notre sécurité géopolitique et intérieure ? L’OTAN ne joue pas ce rôle. L’allié américain n’est pas fiable, et trahit l’alliance. La dépendance aux technologies américaines est un poison.
3. Quelle transformation de notre rôle culturel et médiatique souhaite t-on ? Cela implique retrouver une souveraineté sur nos espaces publics, médiatiques, technologiques et investir massivement dans la science et la raison, alors que Trump est en train de tuer la recherche scientifique aux États-Unis.
C’est ce à quoi je souhaite m’employer.
Mathieu Pouydesseau
Friday for future : mouvement lancé par des mouvements activistes sur le climat ayant eu beaucoup de succès dans les lycées et les universités d’Allemagne avec des manifestations tous les vendredis. Friday for future a eu l’impact en Allemagne de sos racisme dans les années 1980 en France. Que les Verts aient perdu la main sur ce mouvement au profit des Linke par une transformation d’un mouvement pro-climat en un mouvement antifasciste pose fortement questions aux écologistes. ↩︎
Depuis sa prise de fonction officielle comme 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump multiplie les prises de parole provocatrices qui varient du clownesque au répugnant en passant par l’agressif. De l’annexion du Canada et du Groënland à l’explosion des droits de douane, de la remise en cause illégale du droit du sol aux USA aux attaques outrancières contre la Cour Pénale Internationale, de l’abolition de l’impôt sur le revenu à la déportation des Palestiniens pour faire de Gaza une nouvelle Riviera sous occupation américaine…
Il est inutile de répondre ou de chercher à répondre à chacune de ses provocations. Sans mésestimer sa volonté et sa capacité à vouloir mettre en œuvre concrètement certaines d’entre elles, Donald Trump sait parfaitement jouer de la Société du Spectacle dont il est un éminent produit et représentant.
Cette stratégie a été ouvertement assumée pour ce qu’elle est par Steve Bannon, ce « théoricien » de l’AltRight qui reste un de ses proches : il s’agit d' »inonder la zone », une stratégie de la submersion médiatique avec deux objectifs :
provoquer indignation et sidération pour incapaciter l’adversaire (enfin l’ennemi) ;
donner tellement d’os à ronger à la presse, considérée comme un adversaire politique, qu’elle ne sait plus trop lequel saisir pour tourner en boucle dessus…
Pendant ce temps, Trump, Musk et leurs amis avancent tranquillement dans la mise en œuvre de leur agenda impérialiste, oligarchique et capitaliste autoritaire.
Il ne sert donc à rien de réagir ou sur-réagir : la seule chose à faire est de nous-mêmes fixer une ligne directrice, des principes à rappeler (calmement, fermement et froidement) et un agenda à dérouler. C’est bien là une priorité que devrait se fixer la France – et ses alliés européens – plutôt que de donner le spectacle aujourd’hui de canards sans tête ou de lapins hypnotisés par les phares d’un SUV.
Nos priorités stratégiques et géopolitiques, notre politique commerciale, nos stratégies de défense et nos alliances sont à redéfinir face à l’émergence ou au renouvellement des impérialismes américain, chinois, russe ou turc.
La France s’est vue confiée par l’assemblée générale des Nations Unies l’organisation du « Sommet pour l’Action dans l’Intelligence Artificielle (IA) », faisant suite à l’adoption à sa 79ème session du « pacte numérique mondial », et aux sommets pionniers ayant déjà eu lieu en Grande Bretagne en 2023 et en Corée du Sud en 2024. Ce sommet aura lieu à Paris, au Grand Palais, les 10 et 11 février 2025, organisé par le palais de l’Élysée.
La feuille de route de ce sommet est à la fois ambitieuse en définissant des objectifs universels, et pusillanime quant aux moyens à mettre en place. Voici les 5 axes de travail :
L’IA au service de l’intérêt général,
Avenir du travail,
Innovation et culture,
IA de confiance,
Gouvernance mondiale de l’IA.
Son agenda, et la starisation choisie de personnalité controversées du capitalisme technologique libertarien, interrogent tous les démocrates sincères.
En octobre 2024 la mission de préparation annonce souhaiter « lutter contre le mésusage de l’IA », en « s’appuyant sur un consensus scientifique robuste », notamment pour « lutter contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux. »
Elon Musk est pourtant annoncé comme l’une des stars de l’évènement qu’Emmanuel Macron souhaite utiliser pour redorer son blason, après ses échecs budgétaires, économiques et politiques, et ses deux défaites électorales consécutives.
Le loup est invité à cuisiner le chaperon rouge !
Nous devons, au nom de la décence et de la protection des libertés publiques, interpeller la présidence française, encore une fois.
Le nouveau ministre américain en charge de « la simplification administrative » a toujours été soigné par le président de la République Française, pensant ainsi attirer l’une des sociétés du magnat de la technologie, Tesla, dans notre pays.
Musk a choisi l’Allemagne, mais le président français Macron continue sa danse du paon.
Nous sommes persuadés que la France, par son histoire, son universalisme, les contributions essentielles de ses chercheurs et ses philosophes sur les concepts clés de l’IA, doit être le moteur en Europe des réflexions sur son déploiement, sa régulation : il s’agit d’un enjeu politique crucial, un enjeu de souveraineté, un enjeu vital pour garantir notre indépendance.
Ce que nous refusons avec force, c’est que soit à nouveau déroulé le tapis rouge pour Elon Musk et ses alliés libertariens ! Celui qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde n’est pas seulement le premier allié de Donald Trump : il est devenu un acteur politique toxique, ennemi de toutes les lois limitant son pouvoir absolu, et chantre d’un libertarianisme aussi débridé qu’irrationnel, soutenant les néofascismes européens.
Après avoir déboursé 270 millions de dollars et mis son réseau x et son logiciel d’intelligence artificielle Grok au service de Donald Trump pendant la campagne électorale américaine, il a submergé l’espace médiatique de fausses informations.
Depuis le scrutin de novembre 2024, Elon Musk a insulté publiquement le Chancelier allemand et fait ouvertement campagne pour l’AfD, un parti d’extrême-droite allemand, dont les dirigeants assument leurs inspirations néo-nazies.
Il s’attaque également au gouvernement travailliste britannique, soutenant l’extrême droite anglaise, propageant fausses polémiques et accusations diffamatoires.
Il insulte le chef du gouvernement canadien démissionnaire, soutenant la campagne impérialiste de Trump visant à annexer ce pays, une partie du Danemark, et le Panama.
L’Europe a décidé, lâchement, de faire semblant de ne pas entendre les déclarations pourtant répétées du nouvel exécutif nord-américain.
Les dirigeants politiques attaqués, dont deux social-démocrates, sont seuls face à des campagnes de haine multipliés par les algorithmes trafiqués.
Le patron de Meta Marc Zuckerberg (Facebook, Youtube, Instagram, WhatsApp, etc.) a annoncé se rallier lui aussi à l’alliance idéologique populiste pour inonder les réseaux de contenus manipulant les réseaux sociaux !
Comment inviter des patrons qui déclarent être opposés aux objectifs du sommet ? Ils ne serons là que pour les saboter.
Comme pourraient-ils être encore le bienvenu en France, alors qu’ils s’attaquent à nos intérêts et aux fondements de la démocratie républicaine ?
Elon Musk n’a jamais été un partenaire loyal mais une menace permanente. Aujourd’hui, il attaque ouvertement le principe même de l’égalité devant la loi, les fondements de notre démocratie. Sa prétendue défense de la liberté d’expression est d’une indécence absolue : quelle liberté d’expression reste-t-il quand des multimilliardaires disposent des outils médiatiques les plus puissants pour saturer le débat public de mensonges ?
Musk ne veut pas de liberté d’expression, il veut la liberté de mentir, de diffamer, de propager la haine, avec ses gigantesques moyens financiers comme seules limites.
Qui, une fois pris comme cible par ces hommes riches, opposés aux principes démocratiques, peut espérer faire corriger une accusation mensongère par sa propre voix, sans la protection des lois ?
Musk met toute sa puissance pour saper la démocratie issue de la philosophie des Lumières ; il est parmi nos ennemis.
Le président américain Donald Trump sera présent également. Il n’est pas possible de l’empêcher de participer vu le mandat de l’assemblée générale des Nations Unies. Mais sommes-nous obligés de dérouler le tapis rouge à ceux qui multiplient les déclarations hostiles à nos valeurs, notre démocratie, à l’Europe ?
La Gauche Républicaine et Socialiste demande à la présidence de la République et au gouvernement de tenir enfin un discours de fermeté en direction des principaux dirigeants des multinationales du numérique : les conditions d’exercice de la liberté d’expression ne sont pas marchandables, la protection des médias et de l’information et des citoyens français ne sont pas négociables. La GRS exige que l’Union Européenne consolide l’encadrement législatif des services numériques (DSA) pour protéger les citoyens et nos démocraties de l’incitation à la haine, à la violence et au terrorisme, des manipulation, des opérations de désinformation et des contrefaçons ; la GRS exige que les plateformes numériques soient enfin mises réellement et de manière concrète en face de leurs responsabilités et de leurs obligations en Europe et qu’elles soient sanctionnées quand elles ne les respectent pas.
Nous appelons les organisations démocratiques à faire des propositions communes en ce sens. Nous proposons à l’ensemble des organisations politiques et de défense des libertés à se joindre à elle dans cette exigence et à l’exprimer sur place lors du sommet.
Frédéric Faravel et Mathieu Pouydesseau
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