L’après

Par Mathias Weidenberg

Pendant plusieurs années, décennies même, le débat au fond était rendu impossible par les attaques sur la forme, la personne, ou le procès en „posture“.
Celle ou celui qui critiquait l’absence de solidarité européenne, l’absurdité du libre échange, l’injustice de partage des revenus, qui souhaitait rappeler dans le débat public les notions de biens communs, intérêt public, cohésion sociale, prospérité partagée, durable et écologique, ne se voyait que rarement opposé des faits, une discussion raisonnée, argumentée.
„Postures“ pour conquérir des postes, „gauchisme irresponsable“ conduisant au stalinisme, „euroscepticisme“ assimilable à l’extrême-droite, tout était bon pour réduire le débat à des variantes acceptées du néolibéralisme hégémonique et l’excommunication de ses critiques d’où qu’elles viennent.

La crise économique provoquée par la crise pandémique est une crise balayant les arguments des économistes néolibéraux. De plus en plus d’économistes le disent „c’est une crise de l’offre ET de la demande“. Cette formule permet encore de dissimuler l’ampleur du choc systémique. C’est tout qu’il va falloir réorganiser, refinancer, reconstruire.

La crise pandémique rappelle également des réalités matérielles immanentes : nous sommes mortels, l’organisation en société n’est pas la conséquence d’une oppression d’un individu libre jusqu’à la folie de l’égoïsme le plus cupide, mais le modèle le plus éprouvé pour construire par la solidarité des protections collectives contre la maladie et ainsi retarder le moment de la mort. Le corps social garantit la survie qui elle même est la condition de l’exercice des libertés individuelles. Refuser les solidarités, les mutualisations, les sécurités collectives au nom de l’agent économique individuel, c’est oublier les réalités immanentes, c’est tourner le dos à l’amour, l’amitié, la compassion, la coopération, la consolation.
Le communautarisme est une des variantes de l’individualisme, dans laquelle une définition arbitraire vise à soustraire au corps social une composante. La religion, la langue, l’identité sexuelle, l’origine ethnique, une combinaison de tout cela en sont la marque. Des communautés refusent la solidarité du confinement et mettent l’ensemble de la société en danger au nom de leur vérité individuelle, religieuse ou autre.
Là aussi, le virus rappelle que la condition humaine est universelle.

Les critiques de notre mode de production, d’échange, et des constructions politiques et sociales l’accompagnant, étaient fondées. L’absence de débat au fond n’a pas permis de préparer ceux qui gouvernent aux faiblesses de leur propre système de croyance et d’action. Leur arrogance ne leur permet pas non plus de rechercher dans leurs critiques passés les instruments pour surmonter la crise pandémique et sa conséquence économique, sociale, démocratique.

C’est la conséquence d’un clivage insoluble construit par des groupes de presse de plus en plus concentrés par des milliardaires soucieux de protéger leurs intérêts égoïstes plutôt que soucieux d’intérêt général, confondant leur destin individuel avec celui de l’humanité. L’absence de débat au fond, par l’imprécation et le déni de légitimité, empêche le dialogue, donc l’échange, et le compromis.

C’est là l’écueil de toute cette crise : 15 ans de bombardement médiatique, cinq ans de LBD, cela ne permet pas de définir dans la confusion de la crise les bases pour trouver collectivement les solutions.

Certains pensent qu’il faut attendre que la crise pandémique soit passée. Mais c’est pendant cette crise que se créent de nouvelles réalités et de nouveaux rapports de force.

Jamais l’humanité n’avait acceptée aussi rapidement et collectivement de telles restrictions des libertés individuelles au nom d’un intérêt commun supérieur.
C’est à la fois un signe d’espoir : oui, nous pouvons tous nous mobiliser lorsqu’il s’agit d’une menace existentielle.
Ensemble.
Et un signe d’alerte : l’abolition volontaire de nos libertés ouvre la voie à leur abolition forcée.

C’est l’état de la réflexion ce matin.
Restez en bonne santé, restez chez vous.

Le démantèlement de l’hôpital public n’est pas un fantasme

Une tribune de Caroline Fiat, députée Gauche républicaine &
socialiste (membre du groupe parlementaire La France Insoumise)

La période d’épidémie du Covid-19 mobilise entièrement la nation. Chaque français joue un rôle dans cette lutte contre l’expansion du virus. Les professionnels de santé, en première ligne, tous ceux qui continuent à maintenir à flot certains secteurs essentiels – en seconde ligne, et tous les français en s’adaptant et en respectant les règles liées au confinement.

Pour l’heure, le Président de la République Emmanuel Macron l’a rappelé, l’objectif est d’être uni dans la lutte contre le virus, d’être responsable pour mener la guerre.

Néanmoins, l’expression de visions alternatives est un impératif – c’est la raison de la reprise des travaux du Parlement, même dans un format réduit – et le moment nous donne plus que jamais l’occasion de prendre du recul sur les politiques de ces dernières décennies pour comprendre ce qui a conduit à la situation catastrophique que nous connaissons. 

Dans ce contexte, Frédéric Lordon, économiste de formation, chercheur en philosophie sociale au CNRS, a trempé sa plume dans le vitriol pour attaquer le système néolibéral, architecte de cette construction bancale qui s’effondre devant nos yeux. Le feuillet encore chaud, Eric Verhaege, haut-fonctionnaire, contributeur à Contrepoints et FigaroVox lui a répondu avec véhémence laissant entendre que le budget la Sécurité sociale et plus précisément celui de nos hôpitaux ne s’étaient jamais si bien portés ces dix dernières années. D’un côté il y aurait le ressenti des soignants et des français, de l’autre la réalité des chiffres.

Jouons le jeu. Regardons ce que nous disent les chiffres justement sur la situation de l’hôpital public aujourd’hui. 

Lorsque l’Eric Verhaege affirme que le budget des hôpitaux a connu une hausse de 25% entre 2009 et 2020, soit deux fois plus rapide l’inflation, il oublie de dire que les charges des hôpitaux ont, elles, cru bien plus rapidement du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques. 

L’énarque fait ici preuve d’une remarquable malhonnêteté intellectuelle puisque pour juger de la bonne santé de notre hôpital public, il se contente d’en observer le budget, hors de tout contexte. Mais le démantèlement d’un service public ne s’observe qu’en comparant les recettes avec les charges induites par les besoins à satisfaire. En d’autres termes, il faut calculer les économies réalisées.

Chaque année, l’hôpital voit ainsi ses charges augmenter d’environ 4%. Dès lors, lorsque son budget ne croit que de 2% par an, le compte n’y est pas. Ainsi, en 2018, malgré un budget en hausse, les hôpitaux devaient réaliser 960 millions d’euros d’économies. En 2019, rebelotte à hauteur de 650 millions d’euros cette fois-ci. 

Lors du vote du budget pour 2020, malgré l’annonce en grande pompe d’un « Grand plan pour l’hôpital », 800 millions d’euros d’économies étaient demandés aux hôpitaux et 4,2 milliards à l’Assurance maladie. On arrive à un total de 12,2 milliards d’économies sur les dépenses de santé depuis l’arrivée de Macron. Les chiffres font froid dans le dos, la réalité encore davantage.

Regroupements hospitaliers, fermetures de maternités (plus de la moitié en seulement 40 ans), incitation croissante à la pratique libérale… les faits sont têtus. 

Eric Verhaege juge que la fermeture des lits n’est que le corollaire des progrès scientifiques en matière de médecine ambulatoire. Il pointe alors « la fermeture assez naturelle du nombre de lits, devenus inutiles faute de malades en nombres suffisants. » Il fallait oser ! L’argument serait risible s’il n’y avait pas une réalité soignante derrière
faite de souffrance au travail. Courir d’un service à un autre pour trouver un lit de libre à un patient est devenu le quotidien dans certains services, tout particulièrement les services d’urgence. Non les 100 000 lits fermés ces 20 dernières années ne sont pas le simple fait de fulgurants progrès en santé.

Par ailleurs, quand il fait état d’une bureaucratie plus souple dans les structures de santé privées qu’au sein de l’hôpital public, il fait fi des différences de patientèles et de soins pris en charges. En effet, le privé se paie le luxe de choisir ses soins et ses patients. Ainsi, tandis qu’une clinique privée pratique essentiellement de la médecine en ambulatoire, les structures publiques doivent prendre en charge les hospitalisations de longue durée, ce qui induit nécessairement des charges administratives supplémentaires.

Il aura fallu un virus, le Covid-19 pour que soient ébranlées les certitudes austéritaires de nos dirigeants. Car en effet, l’heure est au mea culpa. Le Président de la République a annoncé, ce Mercredi 25 mars, à Mulhouse, qu’un grand plan sur la santé aura lieu à la suite de cette crise. Il atteste du fait que, jusqu’à présent, ce secteur a manqué terriblement de moyens.

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